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N° 474

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 décembre 2002.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

sur la situation de Giat Industries

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Yves FROMION et Jean DIÉBOLD,

Députés

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Défense.

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : UNE ENTREPRISE ANCIENNE CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES 13

I. -  BREF PANORAMA DE L'ENTREPRISE 13

A. L'HÉRITAGE DES ANCIENS ARSENAUX 13

1. Une industrie ancienne et bien implantée 13

2. Une évolution progressive vers la création de la société Giat Industries 13

a) Une première étape : la constitution du GIAT 13

b) La création d'une société nationale 14

B. UNE IMPLANTATION GÉOGRAPHIQUE DISPERSÉE 15

1. L'évolution des implantations de Giat Industries 15

2. Des établissements spécialisés 15

C. UN GROUPE INDUSTRIEL INTÉGRÉ 18

1. Une organisation centralisée 18

2. Un groupe présent dans le domaine des blindés et des armes et munitions 19

II. -  UN TRÈS LOURD PASSIF 20

A. DES COMPTES PRÉOCCUPANTS 22

2. L'accumulation de pertes énormes depuis sa création 22

B. DES ERREURS DE GESTION À LA CHAÎNE 23

1. Des contrats à l'exportation déséquilibrés 24

a) La vente mal négociée des chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis 24

b) D'autres contrats malheureux 25

2. L'échec de la stratégie de croissance externe 25

C. UNE STRATÉGIE COMMERCIALE DÉFAILLANTE 26

1. Giat sait-il promouvoir ses produits ? L'exemple du Caesar 26

2. Des délais jugés trop longs 27

3. Des augmentations de prix critiquées 28

III. - DES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES 29

A. UN ACTIONNAIRE UNIQUE PEU AVISÉ 29

1. Des modalités critiquables de création de la société 29

a) Des conditions initiales discutables 29

b) La préparation insuffisante de la transformation en société 30

c) Les difficultés associées au changement de culture 30

2. Des décisions qui ne correspondent pas à une logique industrielle 31

a) Des impératifs d'aménagement du territoire lui sont imposés 31

b) Des décisions qui ne sont pas fondées sur des critères économiques 32

3. Des contraintes administratives qui ne facilitent rien 32

a) Une manière originale de déterminer les prix de vente 32

b) Des démarches administratives propres au domaine de l'armement 32

B. LES TERGIVERSATIONS DU CLIENT PRINCIPAL 33

1. Des relations compliquées avec la DGA et l'armée de terre 33

a) Des retards et une inflation de versions pour les 406 chars Leclerc 33

b) Les hésitations et revirements relatifs au VBCI 34

c) La difficulté de travailler à trois 34

2. L'armée de terre, un partenaire exigeant 34

a) L' DE CHARGE EN CONSTANTE DÉCROISSANCE ET CONDITIONNÉ À LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES 37

1. Vers la fin des livraisons du char Leclerc 37

2. Le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) : un ballon d'oxygène insuffisant et tardif 38

3. Des programmes de rénovation 38

B. DES EFFECTIFS SANS RAPPORT AVEC LA PRODUCTION 39

1. Un personnel divisé en trois statuts principaux 39

2. La mise en place du PSES 40

3. Des mesures d'âge coûteuses érigées en système 41

4. Des usines au ralenti 41

II. -  DES COMPÉTENCES INDÉNIABLES, MAIS FRAGILES 42

A. UN SAVOIR-FAIRE MILITAIRE INTERNATIONALEMENT RECONNU 42

1. Des blindés d'excellente qualité 43

a) Le Leclerc est probablement le meilleur système d'armes au monde 43

b) Le VBCI : un engin prometteur doté d'un fort potentiel à l'exportation 43

2. Une palette de produits performants 44

a) Un canon novateur et d'une précision inégalée : le Caesar 44

b) D'autres matériels militaires moins connus 44

3. Un pôle d'excellence en matière de pyrotechnie 45

a) Un savoir-faire unique en Europe 45

b) Une sécurité particulièrement rigoureuse 45

4. Une reconnaissance objective 46

a) Giat Industries s'est vu décerner la norme ISO 9001 - 2000 46

b) Giat Industries a reçu deux fois le prix Zernow 46

B. DES EFFORTS QUI ONT APPORTÉ QUELQUES RÉSULTATS 47

1. Certaines méthodes de travail ont été repensées 47

a) La mise en place des équipes opérationnelles de production (EOP) 47

b) L'accent a été mis sur la formation 47

2. Coûts et délais de production s'en sont trouvés réduits 48

C. DES HABITUDES DE TRAVAIL 115158"> 50

a) Une réactivité parfois faible 50

b) Un manque de coordination interne 50

3. Un revers industriel : le dépanneur Leclerc 50

III. - L'INÉVITABLE ADAPTATION DE L'ENTREPRISE 51

A. REFUSER LA DISPARITION DE GIAT 51

1. Garantir la pérennité de l'industrie française d'armement terrestre 52

a) Giat Industries occupe une position centrale au sein de ce secteur 52

b) La France doit conserver une industrie de l'armement terrestre conforme à ses ambitions internationales 53

2. Des compétences et un savoir-faire dont on ne peut se priver 53

a) Une longue expérience des spécificités terrestres 53

b) Giat, principal producteur des matériels de l'armée de terre française 54

B. L'ADAPTATION INDISPENSABLE À UN MARCHÉ QUI A PROFONDÉMENT ÉVOLUÉ 54

1. Un marché de l'armement terrestre peu favorable 54

a) Les mutations du marché des véhicules blindés 55

b) Une concurrence accrue dans le domaine des munitions 56

2. Un paysage industriel en pleine évolution 56

a) La consolidation des industries allemande et britannique 56

b) Des groupes américains expansionnistes 57

TROISIÈME PARTIE : UN NOUVEAU GIAT DOIT NAÎTRE 59

I. -  DES SOLUTIONS À EXPLORER 59

A. LA DÉFINITION D'UN PÉRIMÈTRE D'ACTIVITÉ MILITAIRE 59

1. Conserver un groupe intégré 59

a) La préservation de l'entité des armes et des munitions 59

b) Vers un avenir de systémier-intégrateur de ses propres produits 60

2. Se positionner sur des marchés porteurs 61

a) Choisir des créneaux à forte valeur ajoutée... 61

b) ...Ce qui suppose un effort vigoureux en matière de recherche et développement 61

B.&# c) A Tulle, la production civile supplante déjà le moyen calibre 64

C. DES ALLIANCES INDUSTRIELLES INDISPENSABLES 65

1. Des coopérations ponctuelles en cours 65

a) Des coopérations avec des partenaires essentiellement européens 65

b) Des alliances a minima aux résultats incertains 65

c) Deux affaires plus substantielles 66

2. Des alliances structurelles sont nécessaires 66

a) Renforcer la taille et l'offre du groupe 66

b) Créer des synergies et s'ouvrir de nouveaux marchés 67

D. CHANGER LE NOM DE GIAT ? 67

II. - L'ETAT DOIT ASSUMER SES RESPONSABILITÉS 68

A. VERS UN NOUVEAU PARTAGE DE LA MAINTENANCE 68

1. La nécessaire clarification de la répartition de l'entretien des matériels 68

a) Deux acteurs principaux 68

b) Des confusions très dommageables associées au partage de la maintenance 69

2. Giat a vocation à assumer une part plus importante de la maintenance 70

a) Un apport de charge bienvenu 70

b) Une difficulté : la TVA 71

3. Une évolution qui impose une véritable adaptation de l'entreprise 71

a) Un changement de culture indispensable 71

b) Vers une approche en termes de coût de possession 72

B. UN CONTRAT D'ENTREPRISE ENTRE GIAT ET L'ETAT 72

1. Giat et son actionnaire doivent s'engager contractuellement 73

2. Des commandes pluriannuelles 73

3. Giat aurait besoin d'un plan d'investissement 74

III. - DES CONSIDÉRATIONS SOCIALES À PRENDRE EN COMPTE 75

A. DES BASSINS D'EMPLOI TRÈS ÉPROUVÉS 75

1. Les précédents plans sociaux ont été douloureux 75

a) Plus de 11 000 emplois perdus sur 18 000 en douze ans 75a) Imaginer des mesures sociales innovantes 79

b) Faut-il se priver des mesures d'âge ? 80

2. La SOFRED doit jouer pleinement son rôle 80

C. DES COMPENSATIONS EN MATIÈRE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 82

1. Les collectivités attendent des délocalisations 82

2. L'ensemble de la direction de Giat doit-il rester à Satory ? 83

CONCLUSION 85

EXAMEN EN COMMISSION 87

ANNEXE 91

INTRODUCTION

Giat Industries bénéficiera prochainement d'une nouvelle recapitalisation d'un montant proche de 300 millions d'euros de la part de l'Etat. Est-ce à dire que les précédentes étaient insuffisantes ?

Constatant que les recapitalisations de ce groupe industriel public se sont déjà élevées à 3,129 milliards d'euros en douze ans, soit la moitié des dotations versées à ce jour au Crédit Lyonnais, la commission de la défense nationale et des forces armées a décidé de nommer une mission d'information destinée à éclairer le Parlement et, au-delà, la nation, sur la réalité de la situation de Giat Industries.

Si des développements ont été consacrés à cette entreprise dans le cadre de rapports budgétaires parlementaires, si la Cour des Comptes a enquêté sur la société lors d'un rapport consacré aux industries d'armement de l'Etat, ni l'Assemblée nationale ni le Sénat n'avaient jusqu'à présent constitué une mission d'information entièrement consacrée à Giat Industries. On ne peut que regretter qu'il ait fallu attendre si longtemps pour que le Parlement entreprenne une telle démarche.

Les rapporteurs qui ont été désignés par la commission avaient évidemment une certaine vision de l'entreprise. Tant de choses ont été dites sur Giat Industries qu'il était difficile de ne pas commencer cette mission avec des idées préconçues. « Fiasco, gabegie, gouffre financier, manque de savoir-faire, absence d'organisation... » : telles sont les expressions le plus souvent employées à propos du groupe par ceux qui en parlent, souvent sans une connaissance suffisante de l'entreprise.

Pour se forger leur propre opinion et rendre leur travail le plus objectif possible, les deux rapporteurs ont donc décidé, malgré des délais très serrés, de visiter la totalité des sites de Giat afin d'essayer de mieux appréhender le fonctionnement de l'entreprise et les méthodes de travail, de rencontrer in situ autant de salariés que possible et de donner la parole aux équipes de direction ainsi qu'aux représentants du personnel. Cette visite exhaustive des établissements de Giat Industries constitue une première de la part d'observateurs ext&eacut rapporteurs. Plusieurs élus locaux ont été rencontrés. Les rapporteurs ont également entendu les responsables militaires, économiques et administratifs directement concernés par le devenir de l'entreprise.

Les rapporteurs ont pu noter à quel point leur souci d'exhaustivité était nécessaire : ce « tour de France » des sites de Giat leur a permis de constater que chaque établissement avait ses caractéristiques et ses savoir-faire propres, notamment pour des raisons historiques. Ils ont pu appréhender la diversité des produits militaires, mais aussi civils, réalisés. Partout ils ont rencontré des salariés légitimement fiers d'un savoir-faire insoupçonné, travaillant avec professionnalisme, mais amers de constater à quel point l'image de leur entreprise est dégradée et meurtris par un sentiment d'abandon et par des critiques dont ils s'estiment injustement victimes.

La mission a certes mis en évidence un certain nombre de dysfonctionnements. Néanmoins, les rapporteurs ramènent de leur enquête une vision de Giat Industries qui ne correspond que très partiellement à celle que peut avoir le public, ainsi qu'une analyse nuancée des causes des difficultés financières du groupe.

*

Le seul sentiment des rapporteurs qui n'ait pas évolué depuis le début de la mission, si ce n'est pour être renforcé, est leur conviction profonde qu'il est d'un intérêt majeur pour la France de sauvegarder une industrie nationale de l'armement terrestre. Puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, pays fondateur de l'Union européenne, la France doit conserver des forces armées, notamment terrestres, à la hauteur de ses ambitions. Or, Giat Industries est en France l'entreprise principale de ce secteur.

Face à des sociétés américaines expansionnistes, Giat Industries demeure, avec l'allemand Rheinmetall, l'un des deux derniers « systémiers » intégrés européens capables d'offrir toute une gamme de produits, qu'il s'agisse de plateformes, de chars lourds, de blindés légers, de canons, d'armes légères, de munitions en tout genre, de protections nucléaire, biologique et chimique (NBC), de tenues de combat, de systèmes de navigation... 70 % à 80 % des véhicules blindés en activité dans les forces terrestres françaises sont sortis de ses chaînes de montage. Qui mieux que ce groupe peut en assurer l'entretien et les éventuelles transformations ? Quel groupe français pourrait se substituer à Giat pour ce type de matériel ? La France devrait-elle se contenter d'acheter « sur étagère » du matériel américain ou allemand ?

Les pouvoirs publics se sont occupés de la réorganisation du secteur aéronautique, avec la constitution de grandes sociétés européennes telles que EADS ou Thales ; ils ont ensuite entrepris de restructurer DCN, l'ancienne direction des constructions navales. Le secteur terrestre, qui avait pourtant fait l'objet dès le début des années 1990 d'une amorce de réforme, a aujourd'hui le sentiment d'être livré à lui-même. Sans vouloir se substituer au Gouvernement à qui il appartient, in fine, de prendre les décisions relatives à l'avenir de économiques actuelles et sur le caractère inévitable d'une reconfiguration. Dans la troisième partie, les rapporteurs tenteront de convaincre de la nécessité de donner naissance à un nouveau Giat, aux activités redéfinies et aux relations clarifiées avec les pouvoirs publics, sans qu'il soit fait pour autant abstraction de l'indispensable prise en compte des considérations sociales, comme des exigences de l'aménagement du territoire.

PREMIÈRE PARTIE : UNE ENTREPRISE ANCIENNE CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES

I. -  BREF PANORAMA DE L'ENTREPRISE

Afin d'avoir une vision complète et globale de la société, les rapporteurs ont tenu à visiter chacun des établissements. Cette approche concrète permet de réaliser une présentation générale de l'entreprise, en rappelant son histoire, sa configuration géographique ainsi que ses domaines d'activités, et de mieux appréhender les enjeux industriels et économiques de Giat Industries.

A. L'HÉRITAGE DES ANCIENS ARSENAUX

1. Une industrie ancienne et bien implantée

Les établissements qui ont constitué l'industrie d'Etat d'armement terrestre se caractérisent par leur ancienneté et la diversité de leurs origines. Certains étaient des arsenaux créés après la Révolution française, d'autres des manufactures parfois plus anciennes. C'est, par exemple, au XVIIIème siècle que furent créées les manufactures royales d'armes à feu à Saint-Étienne et à Tulle.

Au cours du XIXème siècle, plusieurs établissements furent bâtis : une fonderie de canons et un arsenal d'artillerie furent mis en place à Bourges en 1866 et l'atelier de construction de Tarbes fut créé après la défaite française de 1870 pour fabriquer des canons à balles. D'autres usines furent construites à Roanne et à Salbris au début du XXème siècle et les premières nationalisations en 1936 transformèrent des usines en établissements d'Etat.

Après 1945, un certain nombre d'établissements fut créé ou rattaché à la direction des études et fabrications d'armement (DEFA) nouvellement instituée. Celle-ci incluait au début des années 1950 plus de trente établissements.

2. Une évolution progressive vers la création de la société Giat Industries

a) Une première étape : la constitution du GIAT

La création du Groupement Industriel des Armements Terrestres (GIAT) en 1971 répondait à la volonté de distinguer les missions Etatiques des missions industrielles. Le constat de l'inadaptation du régime de régie directe à des activités industrielles a donné lieu à une réforme visant à séparer, au sein de la direction technique des armements terrestres (DTAT), les activités dites « Etatiques », ayant vocation à comme la direction des constructions navales (DCN), le Giat était un service du ministère de la défense, sans autonomie ni personnalité juridique, dont la gestion était soumise aux règles budgétaires et comptables de l'administration. Ce statut impliquait d'importantes lourdeurs et complexités de gestion. Aussi son évolution apparut-elle indispensable.

b) La création d'une société nationale

Le changement de statut du GIAT requit plus de dix ans. Envisagée dès 1981, la transformation du GIAT en société nationale ne fut effective qu'en 1990. Elle fut mise en _uvre par la loi n° 89-924 du 23 décembre 1989, autorisant le transfert à une société nationale des établissements industriels dépendant du Groupement industriel des armements terrestres, ainsi que par le décret n° 90-582 du 9 juillet 1990. Le GIAT, rebaptisé Giat Industries, est ainsi devenu une société nationale régie par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.

Depuis 1990, Giat Industries est une entreprise publique dont le capital est intégralement détenu par l'Etat ; elle jouit de la personnalité juridique, commerciale et financière. Son conseil d'administration, au sein duquel siègent des représentants de l'Etat, établit des comptes annuels, comportant un bilan et un compte de résultat, et les règles comptables et financières qui lui sont applicables sont celles des sociétés de droit commun.

Les articles 2 à 7 de la loi du 23 décembre 1989 précitée prévoyaient un dispositif spécifique de transfert à la société Giat Industries des personnels affectés préalablement aux établissements industriels du Giat. Les garanties offertes à ces personnels reposaient sur l'idée qu'aucun employé du Giat ne serait contraint d'entrer au service de la nouvelle société. Giat Industries a ainsi présenté à chaque salarié une proposition de contrat de travail à durée indéterminée pour un poste dans l'établissement au sein duquel il travaillait.

Les militaires et les fonctionnaires ont eu le choix entre une autre affectation dans un service ou un établissement relevant du ministère de la défense ou le recrutement par Giat Industries. Dans cette dernière hypothèse, ils se sont vu offrir la possibilité d'obtenir un détachement, une mise à disposition ou une disponibilité. Les personnels ouvriers, outre une autre affectation au sein du ministère de la défense, ont pu choisir entre être employés par la société sous le régime commun du droit du travail et de la convention collective de la métallurgie ou être placés sous un régime réglementaire leur assurant le maintien des droits et garanties de leur ancien statut.

La diversité des statuts applicables au personnel de Giat Industries a sans doute permis d'assurer aux salariés des garanties et des droits légitimes, mais a constitué un facteur incontestable de complexité et de rigidité au sein de la nouvelle entreprise.

B. UNE IMPLANTATION GÉOGRAPHIQUE DISPERSÉE

Lors de sa créat Salbris, ont été fermés, tandis que la fermeture d'un quatrième site, celui de Saint-Pierre-en Faucigny, qui abrite la société Cime Bocuze, a pu être évitée grâce à une alliance avec un autre industriel.

Concernant le site de Rennes, les productions de la douillerie ont été peu à peu interrompues et la direction de Giat Industries a pu trouver un partenaire britannique pour adosser l'activité d'abris (dits shelters) et assurer son avenir. Les activités de fabrication de munitions de petit calibre sur le site du Mans étaient trop réduites et ont été transférées vers l'établissement Manurhin Défense à Cusset. Les activités de chargement et d'encartouchage de munitions de gros calibre du site de Salbris ont été transférées vers Luchaire Défense, à La Chapelle Saint-Ursin. Enfin, la filiale Cime Bocuze a été acquise par le groupe autrichien Plansee en 1999. Giat Industries conserve une participation minoritaire de 34 %, mais le développement de l'établissement est désormais autonome.

2. Des établissements spécialisés

A ce jour, Giat Industries compte dix établissements, qui interviennent dans des domaines d'activités spécifiques.

Le siège administratif et commercial du groupe est situé à Satory, sur la commune de Versailles. C'est sur ce site que sont réalisés la recherche et le développement des chars et blindés légers, l'ingénierie logistique des blindés, ainsi que le développement du futur VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie).

Trois établissements sont implantés dans le département de la Loire. Le site de Roanne abrite les activités de fabrication et d'intégration des chars lourds, tels que le char Leclerc, et des blindés légers. C'est dans cet établissement que sont réalisés les essais constructeurs et d'acceptation du client, ainsi que le soutien logistique des blindés. Il comprend un bureau d'études des composants mécaniques des blindés. A proximité de Roanne, l'établissement de Saint-Chamond est spécialisé dans les tourelles légères, les tourelles marines, ainsi que la fabrication et le montage des véhicules blindés légers. Il assure aussi des activités de soutien logistique. Cet établissement comprend deux unités industrielles : NBC-Sys, qui est spécialisée dans les activités de protection contre les risques NBC, ce qui inclut notamment la protection individuelle et collective, ainsi que des produits de détection et de filtration ; CML, qui est spécialisée dans les pièces composites de structure et les pièces mécanosoudées. Enfin, le site de Saint-Étienne a été redimensionné : les activités NBC ont été transférées à Saint-Chamond, établissement dont il dépend désormais, tout comme celles relatives aux armes de petit calibre ; restent les activités optiques, regroupées au sein de l'unité industrielle Optsys.

La région Centre abrite deux établissements spécialisés dans les armes et les munitions, situés à Bourges et à La Chapelle Saint-Ursin. Bourges accueille le et de simulateurs, ainsi que l'industrialisation et la fabrication de pièces forgées en acier ou en aluminium. Il est également spécialisé dans les études et la réalisation de pyrotechnie primaire et de compositions pyrotechniques, ce qui constitue une compétence rare et recherchée. Ce savoir-faire est utilisé par une filiale, SPRIA, créée en 2000 et détenue à parité par Giat et la société espagnole Dalphimétal, qui développe et commercialise des dispositifs pyrotechniques appliqués à l'automobile (airbags). Le site comprend également deux unités industrielles : Dual Tech Ingénierie, spécialisée dans les bancs d'essais, les positionneurs et les outillages industriels, et Afsys, qui a pour vocation le développement de réservoirs GPL pour automobiles.

Le site de Toulouse, longtemps appelé la Cartoucherie, était spécialisé dans les munitions ; il a mené à bien une profonde reconversion depuis la fin des années 1980 et assure aujourd'hui les études et la production d'équipements électroniques pour les véhicules blindés et les systèmes d'armes. Il réalise notamment des pupitres de visualisation et de commande, des systèmes d'intercommunication de bord et des calculateurs de traitement d'image. Compte tenu des évolutions technologiques rapides dans ce domaine, ce site remet en Etat, modernise et fiabilise les équipements, auxquels de nouvelles fonctions sont régulièrement ajoutées.

À Tulle, un établissement, qui est ancré dans une tradition industrielle de plus de deux cents ans, est spécialisé dans l'industrialisation et la production des systèmes d'armes de moyen calibre. A ce titre, il fabrique le canon des Mirage, du Rafale et du Tigre. Il a développé des activités civiles de traitement thermique, de reconstruction de machines, ainsi que d'usinage dans des domaines aussi divers que l'automobile et l'aéronautique.

Enfin, l'établissement de Cusset, à proximité de Vichy, est une filiale du groupe depuis 1990 et est en charge des études, du développement et de la production de munitions de moyen calibre ; il détient des compétences de déformation à froid et de chargement de munitions par compression. Ces installations sont réparties sur les sites de Montpertuis et des Graves.

Carte des implantations géographiques de Giat Industries

graphique

Versailles

Bourges

La Chapelle ● ● 

Cusset

● Roanne

graphique

● St-Chamond

Toulouse

Tarbes

EFFECTIFS DES ÉTABLISSEMENTS DE GIAT INDUSTRIES FRANCE
AU 31 OCTOBRE 2002

Etablissements

Effectifs

Roanne

1 288

Satory

1 262

Bourges

874

Tarbes

850

Saint-Chamond

717

Toulouse

454

Cusset

441

Tulle

431

La Chapelle Saint-Ursin

268

Saint-Etienne

81

Total

6 666

C. UN GROUPE INDUSTRIEL INTÉGRÉ

1. Une organisation centralisée

La société fonctionne de façon centralisée, afin de gagner en homogénéité et en intégration. C'est la politique qui a été retenue à partir de 1997, parallèlement au redimensionnement de l'entreprise. Les établissements ne constituent pas des entités juridiques propres et l'autonomie des filiales du groupe est relativement réduite. Une direction industrielle ayant autorité sur l'ensemble des établissements a été mise en place, afin de mieux orienter et contrôler les activités du groupe.

Giat Industries est organisé autour de deux divisions et une direction : la division des systèmes blindés (DSB) et la division des systèmes d'armes et de munitions (DSAM) sont chargées de concevoir et de développer leurs produits respectifs ; la direction du soutien logistique assure la disponibilité opérationnelle et l'évolution des systèmes d'armes.

Les directions fonctionnelles sont communes à l'ensemble du groupe, selon une organisation matricielle ; une direction industrielle et des achats du groupe (DIAG) pilote les établissements de production et les achats du groupe et une direction commerciale et des affaires internationales (DCAI) élabore la stratégie et la politique commerciales de l'ensemble de la société. De même, le secrétariat général, la direction des ressources humaines et la direction de la communication sont compétents pour l'ensemble du groupe.

L'organigramme juridique de Giat Industries fait apparaître les filiales suivantes, qui sont détenues à 100 % :

- la société européenne de développement et de participations industrielles (SDPI), créé en 1999. Elle joue le rôle de holding de participations et son objectif est de porter les titres des futures sociétés de développement du groupe Giat Industries. Ainsi, les participations du groupe dans Euro-shelter SA, Cime Bocuze SA et plus récemment SPRIA, ont été intégrées dans la SDPI. Les titres de la SDPI sont eux-mêmes portés par la société européenne de gestion ;

- les filiales Luchaire Défense et Manurhin Défense, qui ont été intégrées lors de la création de la société et dont l'autonomie de gestion est relativement réduite ;

- les filiales Cime Bocuze, Euro-Shelter et SPRIA, détenues par Giat Industries à hauteur de respectivement 34 %, 50 % et 50 % ;

- la filiale CTA International, détenue à parité par Giat Industries et BAe Systems RO Defence ;

- la filiale SOFRED (Société financière régionale pour l'emploi et le développement), créée en 1994 et détenue à 100 % par Giat Industries. Elle est destinée à favoriser le développement et la réindustrialisation des bassins d'emploi de Giat Industries touchés par les restructurations.< blindés comprend des chars de combat, des véhicules blindés moyens ou légers, des tourelles, des matériels du génie et des systèmes d'information pour les opérations terrestres. L'activité de l'entreprise dans le domaine des blindés lourds repose essentiellement sur le char Leclerc, qui est complété par des dérivés, tels que les kits de déminage, les dépanneurs et les châssis pour les systèmes d'armes. Giat Industries a été sélectionné, en collaboration avec Renault Trucks, pour concevoir et fabriquer le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), destiné à remplacer les AMX 10 P chenillés de l'armée de terre. Le groupe réalise également la tourelle TML 105, intégrable sur tout véhicule blindé léger à roues, comme le Piranha, la tourelle Dragar, armée d'un canon de moyen calibre, qui devrait équiper le VBCI dans sa version VCI, ainsi que la tourelle-canon THL 30, développée pour équiper l'hélicoptère de combat Tigre.

Sur le segment des armes et des munitions, l'entreprise produit les canons tractés 155 TR/39 et 105 LG Mk II, ainsi que le système d'artillerie automoteur projetable Caesar. Elle assure la fabrication de canons pour avions et équipe notamment le Mirage 2000 et le Rafale, ainsi que des munitions de tous calibres adaptées aux armes produites par la société ou par d'autres industriels. Elle produit également la munition d'artillerie « Bonus » en coopération avec la société Bofors Weapon Systems. Cette munition est un obus cargo transportant deux sous-munitions antichars intelligentes.

II. -  UN TRÈS LOURD PASSIF

Giat Industries connaît, depuis son changement de statut en 1990, des difficultés économiques et financières récurrentes et ne parvient pas à trouver son équilibre. L'effondrement des marchés de l'armement terrestre, lié à l'évolution brutale du panorama géostratégique mondial et à la disparition du bloc soviétique, ne suffit pas à lui seul à expliquer ce constat. On ne peut ignorer les erreurs de stratégie et de gestion imputables à l'entreprise lors de la première moitié des années 1990 et dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui. Les rapporteurs se sont également interrogés sur l'efficacité de la stratégie commerciale du groupe.

A. DES COMPTES PRÉOCCUPANTS

1. Une situation économique difficile

a) La diminution continue du chiffre d'affaires de l'entreprise

Si l'entreprise Giat Industries France comprend à ce jour dix établissements, ces derniers ne constituent pas des entités juridiques distinctes, à l'exception des filiales Luchaire Défense et Manurhin Défense. C'est donc le chiffre d'affaires consolidé du groupe Giat tout entier qui doit être pris en compte.

Il a considérablement décru depuis la création du groupe, passant de 1,7 milliard d'euros en 1991 à 800 millions d'euros à ce jour.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRES
DU GROUPE GIAT INDUSTRIES DEPUIS 1991

(en millions d'euros courants)

Année

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002(1)

Chiffre d'affaires

1 700

1 692

1 403

1 174

1 265

1 281

1 027

1 079

884

565

802

828

(1) Prévisions

L'activité de l'entreprise connaît une érosion continue et son chiffre d'affaires a été divisé par plus de deux depuis sa création. La chute brutale du chiffre d'affaires observée en 2000 est due à d'importantes difficultés survenues dans le déroulement du contrat de fourniture de chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis, qui ont entraîné l'interruption momentanée des livraisons de chars, seuls quinze chars ayant été livrés au cours de cette année.

Parmi les groupes d'armement terrestre mondiaux, Giat est passé depuis 1991 de la deuxième à la cinquième place, derrière notamment les américains General Dynamics et United Defense et l'allemand Rheinmetall. Si Giat Industries reste en France le pôle naturel de l'armement terrestre, loin devant les autres entreprises telles que TDA, filiale de Thales, ou Panhard, filiale de Peugeot, la position internationale du groupe s'est indéniablement érodée.

b) Une forte dépendance de l'activité à un contrat à l'exportation

Le principal client de Giat Industries est l'armée de terre française, mais les exportations, malgré une relative diminution, représentent une part significative de son chiffre d'affaires.

RÉPARTITION DU CHIFFRE D'AFFAIRES
ENTRE LA FRANCE ET LES EXPORTATIONS

(en millions d'euros)

1997

1998

1999

2000

2001

Prévisions 2002

France

531
(soit 51,7 %)

445
(soit 41,2 %)

361
(soit 40,1 %)

394
(soit 69,7 %)

440
(soit 55 %)

530
(soit 64 %)

Export

496
(soit 48,3 %)

633
(soit 58,8 %)

523
(soit 59,9 %)

171
(soit 30,3 %)

362
(soit 45 %)

298
(soit 36 %)

TOTAL

1 027

1 078

884

565

802

828

En fait, ces exportations dépendent pour une large part de l'exécution du contrat de livraison de chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis, comme l'illustre la chute de la part des exportations en 2000, année marquée par une brève interruption des livraisons aux Emirats. Cette forte dépendance du plan de charge de l'entreprise à un unique contrat à l'exportation rend Giat particulièrement vulnérable.

c) Une masse salariale considérable

Le niveau moyen de rémunération des salariés de l'entreprise est supérieur à celui qui est pratiqué dans une entreprise privée ordinaire, compte tenu des spécificités du personnel de l'entreprise, qui se partage en trois catégories de salariés : les ouvriers sous décret, dont la rémunération est la plus favorable, les personnes sous convention collective et les fonctionnaires. La masse salariale totale de l'entreprise s'élevait en 2001 à 315,8 millions d'euros.

Le niveau des salaires et des primes, s'il résulte d'un processus historique et de spécificités sociales légitimes, n'en constitue pas moins un handicap pour l'entreprise par rapport à ses concurrentes. Les taux horaires élevés de Giat Industries ont une incidence directe sur sa compétitivité. Cependant, pour les métiers requérant un savoir-faire spécifique, le niveau de rémunération des salariés correspond à celui observé dans d'autres entreprises comparables.

d) Le coût des plans sociaux successifs

Face à la forte contraction des marchés de l'armement terrestre, l'entreprise a mis en _uvre, en accord avec son actionnaire, l'Etat, une succession de plans destinés à adapter ses capacités à la décroissance de son plan de charge. Alors que Giat Industries comptait 14 000 salariés en 1990, auxquels on devait ajouter près de 4 000 personnes dans ses filiales, l'effectif s'établit aujourd'hui à 6 400 personnes. La diminution drastique des effectifs a été obtenue par cinq plans successifs, de 1987 à aujourd'hui. Le dernier d'entre eux, le PSES (plan stratégique, économique et social), lancé en 1998, atteindra son terme au 31 décembre 2002.

La mise en _uvre de ces plans de redimensionnement pèse lourdement sur les comptes de l'entreprise. Dans son rapport sur les industries d'armement de l'Etat publié en octobre 2001, la Cour des Comptes a évalué le coût des plans sociaux successifs à 1,07 milliard d'euros. Plus spécifiquement, en ce qui concerne le dernier plan, le coût total du PSES sur quatre ans est estimé à 429,8 millions d'euros, alors que la provision initiale constituée par Giat à la demande du Gouvernement s'établissait à 409,6 millions d'euros. A titre d'exemple, le coût moyen unitaire d'un départ en préretraite toutes catégories confondues s'est élevé à 150 000 euros. Cette moyenne cache une forte disparité, puisque le coût moyen de départ d'un ouvrier sous décret à 52 ans s'élève à 200 000 euros.

La décroissance DU GROUPE GIAT INDUSTRIES DEPUIS 1991

(en millions d'euros courants)

Année

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002 (1)

Montant des pertes

61

78

189

445

1 568

300

433

139

144

280

204

135

(1) prévisions

Si le déficit record enregistré en 1995 s'explique par les provisions réalisées pour les pertes financières du contrat avec les Emirats Arabes Unis, le groupe enregistre des pertes de façon structurelle depuis sa création et leur somme atteint le montant de 4,041 milliards d'euros.

Actionnaire unique de l'entreprise, l'Etat a dû procéder à des recapitalisations successives depuis 1991. En effet, Giat Industries étant une société anonyme, les dispositions législatives applicables prévoient que l'actionnaire est tenu de recapitaliser l'entreprise dès lors que les fonds propres sont inférieurs à la moitié du capital social.

Giat Industries a été doté à sa création d'un capital de 283 millions d'euros, complété en 1991 par une dotation en capital de 163 millions d'euros. Par la suite, l'entreprise a bénéficié de recapitalisations successives retracées dans le tableau suivant :

DOTATIONS EN CAPITAL DE GIAT DEPUIS 1991

(en millions d'euros courants)

1991

1996

1997

1998

1999

2000

2001

Total

Apports de l'Etat en fonds propres

160

566,5

564,06

655,5

869

0

304,9

3 120

On doit ajouter à ce montant total de 3,12 milliards d'euros une somme de 286,6 millions qui doit être versée prochainement. La recapitalisation décidée le 31 décembre 2001 s'établissait à 591,5 millions d'euros, dont 304,9 millions d'euros ont été versés immédiatement. Restent 286,6 millions d'euros, qui seront libérés au cours du premier semestre 2003. Cette recapitalisation avait pour objectif de ramener les fonds propres de l'entreprise au niveau de la moitié du capital social au 31 décembre 2000. Cela signifie que la somme attendue en 2003 servira à couvrir les pertes enregistrées jusqu'en 2000, mais non celles des années 2001 et 2002.

Ces recapitalisations pèsent lourdement sur le budget de l'Etat. Elles ont mis largement à contribution le budget d'équipement des armées, car elles ont été en grande partie gagées par des annulations de crédits d'équipement du budget de la défense. On aboutit ainsi à un mécanisme pernicieux, puisque des crédits qui auraient dû être affectés à des acquisitions d'équipements militaires, parmi lesquels des matériels destinés à l'armée de terre, donc pour une part produits par Giat Industries, sont destinés à recapitaliser le groupe, dont les pertes sont dues en grande partie à une baisse de son plan de charge, principalement en raison de la baisse de ses commandes par l'armée de terre...

B. DES ERREURS DE GESTION À LA CHAÎNE

Si la forte contraction des marchés de l'armement terrestre explique pour une large part les difficultés de Giat Industries, on ne doit pas occulter les erreurs commises par le groupe, lequel a adopté des stratégies de développement hasardeuses et in fine parfois désastreuses.

La Cour des comptes a, dans le rapport précité, souligné que, sur un total de 3,66 milliards d'euros de pertes accumulées entre 1990 et 2000, 1,98 milliard sont la « conséquence de décisions malheureuses, imputables à la société qui les a prises avant 1995, ou à ses tutelles qui les ont laissées s'exécuter ».

1. Des contrats à l'exportation déséquilibrés

a) La vente mal négociée des chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis

Au premier rang de ce que la Cour des comptes a qualifié de « décisions malheureuses », figure sans nul doute le contrat de vente de blindés lourds Leclerc conclu avec les Emirats Arabes Unis en 1993. Ce dernier prévoyait la livraison de 390 chars de bataille, de 46 dépanneurs et de munitions à partir de 1994, pour un montant de 3,2 milliards de dollars.

Afin d'obtenir ce marché, le prix du char Leclerc fut calculé au plus juste, alors que son coût de fabrication unitaire augmentait. De plus, le modèle que Giat Industries s'était engagé à livrer différait pour partie de celui qui avait été développé pour l'armée de terre française.

Ce difficultés diverses, qui ont abouti à une interruption des livraisons en 2000. Le processus d'acceptation n'a repris qu'en juin 2001, au terme d'une négociation difficile. Les livraisons devraient être achevées au début de l'année 2003 pour les chars de combat et probablement en 2004 pour les chars de dépannage.

Le contrat émirien a constitué un apport de charge considérable pour l'entreprise au cours des dernières années. À titre d'exemple, en 2001, l'exécution de ce contrat représentait environ 25 % de l'activité globale productive de Giat Industries. Cependant, son exécution a conduit à des pertes considérables pour l'entreprise, estimées à plus de 1,3 milliard d'euros à ce jour.

Ce contrat a connu un aléa supplémentaire. Un plan d'acomptes favorable avait permis à Giat de dégager des réserves de trésorerie. Hélas, ces sommes ont fait l'objet de prises de risques inconsidérées, qui ont entraîné des pertes de change d'un montant de 150 millions d'euros, ce qui témoigne d'un très grave défaut de contrôle.

b) D'autres contrats malheureux

D'autres contrats à l'exportation se sont avérés calamiteux.

Un contrat de livraison de 515 tourelles Dragar et de 575 canons de 25 mm a été conclu avec la Turquie en 1992. Il prévoyait que ce pays fabriquerait sous licence et assurerait l'intégration d'une partie de ces matériels. Or, la perte résultant de la vente de ces tourelles est estimée à 91,6 millions d'euros, pour un montant global de 55,2 millions d'euros. Les pertes représentent près du double du chiffre d'affaires !

Lors de la vente de composants du très grand télescope de l'observatoire européen de l'hémisphère sud implanté au Chili en 1995 (dit télescope ESO, pour European Space Organisation), les pertes atteignirent 14,9 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de 16,1 millions d'euros. Cette tentative de diversification s'est soldée par un échec financier et économique cinglant, même si elle est considérée comme une réussite technologique.

Les résultats financiers associés à ces contrats à l'exportation se sont révélés catastrophiques, en raison du caractère déséquilibré des contrats ou d'une incursion dans des domaines mal maîtrisés.

2. L'échec de la stratégie de croissance externe

Lors de la création de Giat Industries, une politique de croissance externe très volontariste, mais hasardeuse, fut adoptée, afin de faire de l'entreprise un pôle fédérateur de l'industrie de l'armement terrestre française et même européenne.

Giat Industries a donc repris dès sa création en 1990 Luchaire Défense, spécialisée dans les munitions d'artillerie, les grenades à fusil et les têtes anti-chars, et Manurhin Défense, spécialisée dans les munitions de moyen calibre.

Le 1er janvier 1991, l'entreprise fit l'acquisition de 92 % de la Fabrique Nationale Herstal, entreprise belge qui &ea de petit ou moyen calibre, mais elles ont également fortement accru ses moyens de production et aggravé ses surcapacités, alors que l'entreprise était dès l'origine surdimensionnée. Dans un contexte de contraction des marchés de défense terrestre, ces surcapacités se sont ensuite révélées très coûteuses.

L'acquisition du groupe Herstal s'est avérée particulièrement désastreuse. Le rachat de ce groupe, alors en liquidation judiciaire, permit de compléter la palette des produits de Giat Industries, par l'introduction dans son catalogue d'armes individuelles, principalement civiles. Toutefois, la situation financière du groupe a connu une nouvelle et forte dégradation à partir de 1994, notamment en raison de ses rigidités structurelles, du vieillissement de sa gamme et de l'effondrement des marchés civils et militaires des armes de petit calibre. Le droit de veto bien imprudemment accordé à la région wallonne, qui ne possédait pourtant que 2 % du capital, a considérablement freiné les évolutions devenues indispensables. Après de difficiles négociations, le groupe Herstal fut finalement cédé à la région wallonne en octobre 1997. Pour Giat Industries, l'ensemble des pertes liées à cette opération est aujourd'hui évalué à 300 millions d'euros.

Ces achats ont eu également des implications sur l'organisation de l'entreprise. En effet, la stratégie d'expansion à marche forcée mise en _uvre par Giat Industries s'est traduite par une organisation en cinq branches très autonomes correspondant aux cinq domaines d'activité : véhicules blindés, artillerie de gros et moyen calibre, armes et munitions de chasse, soutien logistique et diversification. Comme l'a souligné la Cour des comptes, cette organisation a entraîné une autonomie excessive des branches, qui n'a été corrigée qu'en 1995.

C. UNE STRATÉGIE COMMERCIALE DÉFAILLANTE

Il est apparu aux rapporteurs que Giat avait trop longtemps négligé le rapport au client. Cette situation, surtout vérifiée aux dépens des forces armées françaises, est en voie d'amélioration. Par exemple, des techniciens de l'entreprise sont présents en permanence auprès des régiments de chars Leclerc à Mourmelon et des bureaux commerciaux ont été mis en place à l'étranger au contact direct des clients. Il reste que la promotion des produits du groupe, l'attaque des marchés, semblent encore dépourvues de toute l'efficacité nécessaire.

1. Giat sait-il promouvoir ses produits ? L'exemple du Caesar

Le PDG du groupe de défense américain Northrop Grumann, de passage à Paris, déclarait récemment à l'un des rapporteurs à propos du canon Caesar : « Giat fabrique de bons produits, mais ne sait pas les vendre ». C'est exactement l'impression que retirent les rapporteurs de leur visite dans les sites de l'industriel. L'absence d'agressivité commerciale donne l'impression que ce sont les clients ou des intermédiaires qui viennent frapper à la porte de l'entrepreneur et non l'inverse. Malgré un service commercial fort d'une centaine de personnes, la prospection des marchés étrangers n'a pas paru réellement convaincante.< non prioritaire, afin seulement d'alimenter le carnet de commandes des industriels à l'exportation.

Plutôt que de se complaire de cette attitude contre-productive, il serait sans doute plus utile d'insister sur le fait que les forces françaises vont acquérir par un autre biais les innovations apparues sur ce canon. L'armée de terre va transformer une partie de son parc de canons automoteurs AUF1 en une version modernisée, l'AUF2, qui sera capable d'envoyer dix obus par minute jusqu'à une distance de quarante-deux kilomètres. Les avancées technologiques du Caesar se retrouvent dans l'AUF2 qui reprend le concept totalement innovant du montage de la centrale inertielle directement sur la masse oscillante, ce qui permet un pointage continu et sans intermédiaire de l'arme et lui donne cette précision sans équivalent. Plusieurs autres industriels avaient envisagé un tel procédé sans parvenir à le mettre au point ; Giat a réussi. De nombreux autres éléments innovants sont communs aux deux pièces, tels la vis-culasse ou le concept de « pièce intégrale ».

La direction de Giat, au prétexte de ne pas brouiller l'image de chacun de ces produits, préfère ne pas mettre en avant leurs points communs.

Les rapporteurs considèrent que cette argumentation n'est guère convaincante et qu'il serait préférable, en vue de la promotion commerciale, de mettre en avant les similitudes entre Caesar et AUF2. Expliquer que l'armée de terre française a acheté le Caesar sous sa forme AUF2 serait plus efficace que de se lamenter sur le faible nombre de Caesar achetés par les forces terrestres.

2. Des délais jugés trop longs

La question des délais, notamment pour la fourniture de pièces de rechange, est invoquée comme l'un des principaux sujets d'insatisfaction de la part du client principal, la direction centrale du matériel de l'armée de terre (DCMAT).

A titre d'exemple, la DCMAT indique que, pour l'AMX 10 RC en cours de rénovation, 350 lignes, correspondant chacune à la demande d'une pièce détachée, sont en attente de réponse de la part de Giat Industries. 260 de ces lignes correspondent à des problèmes d'obsolescence.

Selon l'industriel, les délais les plus importants concernent des problèmes d'obsolescence de pièces détachées sous-traitées pour lesquelles le sous-traitant a soit disparu, soit arrêté la production. Ainsi, l'AMX 10 RC en question a été doté, lors de sa construction, d'un système de freinage utilisant des composants qui équipaient alors les DS 19 fabriquées par Citroën. Ce type de voiture n'est plus fabriqué depuis longtemps et Citroën a arrêté la production des systèmes de freinage spécifiques à ce modèle. Il est donc nécessaire de trouver un nouveau fournisseur et de qualifier la pièce, ce qui peut prendre, selon Giat, jusqu'à une année.

De tels délais sont-ils compatibles avec la réactivité demandée aux armées ? Comment admettre, si un conflit inopiné devait éclater, que l'armée de terre soit privée de ses AMX 10 RC au prétexte que l'industriel, qui a conçu et vendu l'engin, recherche désespérément un produit d l'armée de terre ont attiré l'attention des rapporteurs sur les prix de certaines pièces de rechange qui ont connu une augmentation comprise entre 30 % et 50 % entre 2001 et 2002.

Les dirigeants de Giat, à qui la question a été posée, se sont défendus en arguant du fait que cette hausse est justifiée parce que la fabrication des pièces de rechange était auparavant adossée à la production en série, alors que désormais ce n'est plus le cas. Cette réponse peut-elle être admise s'agissant du char Leclerc, dont la production est toujours en cours et dont plus de 80 exemplaires doivent encore être livrés aux forces terrestres d'ici 2005 ?

Autre argument par lequel Giat justifie ses augmentations de prix : le groupe ne ferait que répercuter les hausses intervenues chez ses sous-traitants. Cela signifierait-il que Giat ne maîtrise pas suffisamment ses sous-traitants et n'est pas en mesure de faire jouer la concurrence entre eux ? Les contrats passés entre l'industriel et ses sous-traitants ne comprendraient-ils pas de clause relative à la maîtrise des tarifs ?

Quoi qu'il en soit, en raison du monopole de fait qu'exerce Giat en matière d'armement terrestre, l'armée de terre, qui est de plus un client quasi unique, a le sentiment d'être l'otage de son fournisseur et d'être considérée comme une « vache à lait ». Elle est obligée de payer au prix fort ses pièces de rechange sous peine de voir la disponibilité de ses matériels s'effondrer.

III. - DES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES

Le bilan économique et financier de l'entreprise Giat Industries depuis sa création en 1990 est sans nul doute catastrophique, mais on ne peut lui imputer la totalité de la responsabilité de cet échec. La direction de l'entreprise a, certes, commis de nombreuses erreurs, qui ont été détaillées plus haut, mais les pouvoirs publics sont également responsables de la situation présente. D'une part, l'Etat a piloté la transformation du Giat en société nationale en 1990 et a participé à la gestion de l'entreprise en tant qu'actionnaire unique. D'autre part, il demeure le principal client de l'entreprise et a contribué, par ses tergiversations, aux difficultés du groupe.

Sans vouloir minorer les responsabilités de la direction de l'entreprise, les rapporteurs souhaitent souligner les graves ambiguïtés présidant à la gestion d'une entreprise dont l'Etat est à la fois l'unique actionnaire, le principal client et le prescripteur en matière de politique sociale et d'aménagement du territoire.

A. UN ACTIONNAIRE UNIQUE PEU AVISÉ

Le Groupement industriel des armements terrestres (GIAT), service du ministère de la défense, a été transformé en 1990 en une société nationale dont le capital est détenu à 100 % par l'Etat, à l'exception d'une action appartenant au président de la société. L'Etat a mis en _uvre le changement de statut de Giat, puis a joué un rôle décisif dans la conduite de l'entreprise au titre d'actionnaire unique.

Or, passé le cap du changement de statut, les pouvoirs publics ont donné l'impression de négliger le transformation.

a) Des conditions initiales discutables

La création de la société, envisagée dès 1981, mais longtemps repoussée, fut réalisée dans un contexte de plan de charge totalement bouleversé par la fin de la guerre froide, qui fit diminuer drastiquement les marchés prévus. Le dimensionnement de la société n'était dès lors plus adapté, mais le format de l'ancien GIAT, qui comportait douze sites, fut conservé. L'absence de prise en compte des bouleversements du marché de l'armement terrestre a abouti à la constitution d'une société surdimensionnée dès l'origine. En outre, l'éparpillement des différents sites de l'ancien GIAT, qui résulte d'une longue tradition industrielle, n'est pas sans incidence sur l'organisation productive de l'entreprise.

Lors de la création de la société, la possibilité fut offerte à tous les ouvriers d'Etat d'être intégrés en conservant leur statut, ce qui correspond à une décision politique dont l'opportunité n'a pas à être mise en cause, mais qui eut des conséquences indéniables sur la compétitivité de l'entreprise.

En outre, le montant de capitalisation initiale de l'entreprise, qui s'élevait à 283 millions d'euros, était relativement faible ; il a ensuite été complété par une dotation en capital de 163 millions d'euros l'année suivante, mais ces capitalisations ne permirent pas à la société de se développer de façon autonome.

b) La préparation insuffisante de la transformation en société

Le défaut de préparation de l'entreprise lors de sa mise en place explique également une partie de ses errements. Il s'agissait de transformer dix établissements d'Etat en une entreprise cohérente, ce qui exigeait d'importants efforts. L'organisation de l'entreprise et ses modalités de management devaient être définies, des réformes comptables et de contrôle de gestion devaient être mises en _uvre afin d'harmoniser et de centraliser la comptabilité et la gestion économique de la société.

La tâche était complexe et ardue, et sans doute les travaux réalisés en amont de la création de la société furent-ils insuffisants. Ce manque de préparation explique en partie les difficultés rencontrées lors des premières années. L'organisation du groupe dut ensuite être rationalisée et réformée entre 1995 et 1998 par étapes successives, par la réunion en deux entités des activités de véhicules blindés d'une part, d'armes et munitions d'autre part, et par la création de véritables directions fonctionnelles compétentes pour l'ensemble des établissements.

c) Les difficultés associées au changement de culture

La transformation en société constitua un véritable changement de culture. Les établissements du Giat étaient pour l'essentiel d'anciens arsenaux, dont l'organisation et le fonctionnement étaient bien spécifiques et se distinguaient de ceux d'une entreprise privée. Une évolutio surcapacités dès l'origine aggravées par l'effondrement continu des marchés de l'armement terrestre, des rigidités de fonctionnement liées au statut des personnels et à la dispersion des sites, une sous-capitalisation initiale et une préparation insuffisante du changement de statut. Autant de handicaps initiaux largement imputables à l'Etat actionnaire, qui a mis en _uvre le changement de statut.

2. Des décisions qui ne correspondent pas à une logique industrielle

La direction de l'entreprise définit son organisation et sa stratégie. Cependant, en tant qu'actionnaire unique, l'Etat a pris part aux décisions prises par l'entreprise depuis 1990, en imposant des orientations et des objectifs dépourvus de logique économique.

a) Des impératifs d'aménagement du territoire lui sont imposés

Depuis 1990, la société a dû assumer des responsabilités qui ne devraient pas relever d'une entreprise industrielle : des contraintes sociales et d'aménagement du territoire lui ont été imposées, ne lui permettant pas de développer une logique industrielle et économique cohérente.

La préservation de l'emploi dans des régions en difficulté est indispensable, mais elle doit être assurée et financée par les pouvoirs publics sur des crédits spécifiques relevant de l'aménagement du territoire. On ne peut en faire porter la responsabilité à une entreprise qui connaît de surcroît des difficultés en raison de la contraction de ses débouchés. Or, Giat a été amené à supporter les surcoûts résultant de la préservation d'établissements structurellement surdimensionnés, ce qui a lourdement pesé sur sa compétitivité.

A titre d'exemple, le plan stratégique, économique et social (PSES) décidé en 1998 a imposé à l'entreprise de conserver un format qui n'était pas adapté à son plan de charge. Les hypothèses d'activité sur lesquelles le plan était fondé étaient trop favorables, intégrant la perspective incertaine d'un contrat de vente de chars Leclerc à l'Arabie Saoudite qui, cinq ans après, ne s'est pas encore concrétisé. L'évolution des effectifs prévue par le PSES, établissement par établissement, réduisait considérablement les marges de man_uvre des directeurs de site, en ne permettant pas une adaptation des effectifs à la baisse d'activité.

Giat n'a jamais réellement eu le choix de ses implantations industrielles, de ses effectifs ni même des activités qu'il développe dans ses différents sites. Certes, l'Etat a compensé les pertes récurrentes de l'entreprise, mais ces recapitalisations successives ont nui à l'image de la société et participent d'un mélange des genres et des logiques qui peut sembler désespérant pour Giat.

b) Des décisions qui ne sont pas fondées sur des critères économiques

Certains contrats à l'exportation passés par l'entreprise n'ont pas été décidés selon une logique économique et industrielle. Les dispositions du contrat de vente a) Une manière originale de déterminer les prix de vente

La détermination du prix de vente d'un produit industriel est habituellement du ressort de l'entrepreneur qui tient généralement compte du coût de revient et de différents paramètres économiques. Ce n'est pas tout à fait le cas chez Giat, du moins pour les plus gros marchés à l'exportation.

Lorsqu'un prix doit être proposé par l'entreprise dans le cadre d'un appel d'offres international ou lorsqu'un client potentiel mène une négociation serrée, Giat n'est pas toujours libre de ses tarifs. La détermination des dispositions des contrats de vente d'équipements fait l'objet d'une négociation entre le service commercial de Giat Industries, des structures intermédiaires et les instances Etatiques concernées.

b) Des démarches administratives propres au domaine de l'armement

En raison des spécificités des produits d'armement, les modalités d'exportation diffèrent de celles classiquement requises sur les autres marchés. Avant même de commencer à démarcher, une autorisation de négocier doit être obtenue de la part de l'administration française.

Si les discussions prennent une tournure favorable, l'entrepreneur doit ensuite obtenir une autorisation d'exporter l'équipement en question auprès de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Toutes ces formalités, bien compréhensibles s'agissant d'un matériel de guerre, exigent beaucoup de patience et d'énergie pour leur obtention. Dans certains cas, l'industriel a pu être empêché de soumissionner parce qu'il n'avait pas reçu dans les délais les autorisations nécessaires.

On peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y aurait à alléger cette procédure s'agissant de matériel non offensif comme les tenues de protection NBC fabriquées à Saint-Chamond par l'unité industrielle de Giat dénommée NBC-Sys.

Les autorisations de négociation délivrées par le Gouvernement ont une validité limitée dans le temps, ce qui est de nature à perturber des négociations qui s'étalent sur une longue durée.

B. LES TERGIVERSATIONS DU CLIENT PRINCIPAL

Actionnaire unique, l'Etat est également le client principal du groupe Giat Industries, avec lequel il entretient des relations ambiguës. La complexité de ce jeu à trois - Giat, délégation générale pour l'armement (DGA), armée de terre - tient à la trop longue durée des programmes qui favorise une inflation de versions et des changements de spécifications sans doute justifiés, mais trop fréquents et difficiles à maîtriser. Les militaires semblent parfois vouloir satisfaire des exigences nouvelles sans nécessairement tenir compte des contraintes de l'industriel. Il est vrai aussi que les spécificités d'emploi du matériel terrestre semblent parfois à l'origine de malentendus fâcheux entre Giat et la DCMAT.

1. Des relations compliquées avec la DGA et l'armée de terr le seront jamais. Il en va de même de la seconde tranche dite T2 qui compte treize engins. Les trente-quatre blindés de la tranche T3 ne seront pas mis au standard des tranches les plus modernes en service dans l'armée de terre et serviront soit pour l'instruction, soit pour le soutien, soit de réservoir de pièces de rechange.

L'industriel, en l'occurrence, n'a fait que suivre les prescriptions de la DGA, maître d'_uvre, qui n'a pas souhaité, pour des raisons budgétaires, la construction de plus d'un prototype ; la DGA n'a pas jugé utile de passer par la procédure des préséries. En conséquence de quoi, ce sont les chars des premières tranches qui ont fait office de prototypes et de préséries et il n'est guère surprenant, dans ces conditions, que la plupart d'entre eux n'aient pas été jugés aptes au service.

Le nombre de tranches différentes pour ce char a de quoi surprendre. Nous en sommes actuellement à la tranche T11, alors même que seulement 300 chars ont été livrés aux forces terrestres, pour un nombre total de 406 chars à l'horizon 2005.

Ce programme a par ailleurs souffert d'un surcoût lié à son étalement dans le temps. Le premier char a été livré en 1991, tandis que le 406ème le sera en principe en 2005. L'étalement d'un programme sur quatorze ans conduit d'ailleurs à intégrer en cours de production de nouveaux équipements en raison des évolutions technologiques intervenues, ce qui explique le nombre élevé de tranches. Ces livraisons au compte-goutte, décidées par le ministère de la défense pour des raisons budgétaires, ne sauraient être imputées à l'industriel qui en a lui-même particulièrement souffert.

b) Les hésitations et revirements relatifs au VBCI

La très longue gestation du futur VBCI a longtemps été reprochée à Giat. C'est oublier là aussi que, si la coopération envisagée à l'origine entre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les Pays-Bas a échoué, c'est principalement parce que les doctrines militaires diffèrent selon les pays. Alors que les Etats-majors anglo-saxons utilisent un tel engin pour projeter les fantassins à proximité immédiate de leur objectif, l'Etat-major français prône le débarquement des troupes à défilement des tirs ennemis et une progression finale à pied vers l'objectif avec l'appui de l'armement de bord de l'engin de transport de troupes. Cette divergence a conduit à l'abandon d'un modèle unique de transport de troupes et à la réalisation d'un engin purement national par Giat et Renault Trucks, ce qui a retardé le programme de plus d'un an.

Par ailleurs, les désaccords entre les forces terrestres et la DGA, voire les tergiversations purement internes à l'armée de terre sur le choix entre une tourelle dite « un homme » ou une tourelle dite « deux hommes », ainsi que sur le nombre de fantassins à transporter et l'endroit où doit se positionner le chef d'engin, conduisent aujourd'hui encore à accroître des retards qui ne sauraient être imputés à Giat. L'Etat-major de l'armée de terre reconnaît d'ailleurs à mots couverts qu'il a peut-être manqué une « approche système » pour cet engin DGA et de l'armée de terre ne se tenaient que depuis quatre ans, alors que Giat existe sous sa forme actuelle depuis douze ans.

2. L'armée de terre, un partenaire exigeant

La définition d'un nouvel équipement est nécessairement complexe. Sa mise au point ne l'est pas moins. L'industrie d'armement française jouit d'une excellente réputation. Mais n'a-t-on pas trop souvent sacrifié à la recherche de la prouesse technologique ? L'armée de terre a-t-elle suffisamment pris en compte le fait que pour être produit, un matériel doit aussi pouvoir se vendre ?

a) L'exemple édifiant du FAMAS

Un autre exemple révélateur des conséquences fâcheuses que peuvent avoir des spécifications maximalistes est fourni par le FAMAS (Fusil d'Assaut de la Manufacture d'Armes de Saint-Étienne). Lorsque, au début des années 70, le ministère de la défense a envisagé de renouveler le fusil de base des soldats français, l'Etat-major de l'armée de terre a imposé des prescriptions telles que le fusil retenu, le FAMAS, est devenu le plus cher du marché et n'a jamais été exporté.

Grâce à ses compétences, Giat a réussi le tour de force de remplir le cahier des charges et a produit une arme qui, de l'avis général, est probablement la meilleure au monde, mais aussi certainement la plus coûteuse de sa catégorie. Ne faudrait-il pas se donner pour règle de ne pas rechercher une trop grande sophistication pour rester dans les limites d'un matériel financièrement accessible et susceptible d'être exporté ?

Tous les acteurs y gagneraient : l'industriel en premier lieu, mais aussi les militaires, qui pourraient bénéficier de matériels moins complexes, tant dans leur mise en _uvre que dans leur entretien, et de prix sans doute moins élevés grâce aux économies d'échelle résultant de séries plus importantes.

b) Les spécificités du matériel terrestre

La direction centrale du matériel a reconnu que les lenteurs de réaction qu'elle impute parfois à Giat n'étaient pas de la seule responsabilité de l'industriel. Les restrictions budgétaires conduisent l'armée de terre à ne commander les pièces de rechange que lorsque l'engin est victime d'une panne, dans l'urgence et parfois en opérations extérieures.

Il est vrai que la nature même du matériel terrestre permet ce genre d'économies inenvisageables dans le domaine aéronautique. Pour des raisons évidentes de sécurité, les responsables de parcs aériens sont tenus de remplacer certaines pièces, même en bon Etat apparent, au bout d'un certain nombre d'heures de vol. Cette pratique conduit à passer les commandes nécessaires à l'avance et fournit une certaine lisibilité aux industriels du secteur. A l'inverse, parce que les conséquences ne sont pas comparables entre un engin du génie qui tombe en panne et un avion dont le moteur cesse de fonctionner, les militaires de l'armée de terre peuvent se permettre d'attendre que les pièces cassent avant de commander les rechanges. N'ayant pas la même visibilité que leurs homologues du secteur aéronaut matériels terrestres conduit Giat à fabriquer lui-même, dans son établissement de Toulouse, des équipements électroniques embarqués dotés d'une fiabilité et d'une solidité leur permettant de résister aux plus fortes variations de température et aux chocs physiques.

3. Des malentendus regrettables entre Giat et la DCMAT

Les relations entre la DCMAT, organisme militaire chargé d'entretenir les matériels des forces terrestres, et Giat Industries laissent une impression de malentendus parfois inexplicables. La DCMAT reproche essentiellement à Giat de se désintéresser du devenir des matériels sitôt leur construction et leur garantie d'un an achevées. Ce à quoi Giat réplique que toute prestation mérite rémunération et que le suivi des matériels n'étant ni prévu contractuellement ni rétribué, l'industriel n'a pas à s'y intéresser, d'autant plus qu'il n'est pas maître d'ouvrage des engins qu'il construit, ce rôle étant dévolu à la DGA.

La qualité est également mise en cause. Les rapporteurs ont pu constater, dans l'établissement du matériel de Gien, que des kits de blindage très simples livrés par Giat et destinés à être montés sur l'AMX 10 RC étaient inadaptés et pouvaient même, dans certains cas, présenter un danger pour l'équipage de l'engin. La direction logistique de Giat a répondu que les pièces avaient été dimensionnées selon les cotes fournies par l'utilisateur, en l'occurrence l'armée de terre... Comprenne qui pourra !

Giat Industries rappelle opportunément que le taux de retour du client au constructeur est inférieur à 0,5 %, soit moins de 40 cas sur 8 000 à 10 000 produits livrés chaque année.

Assurer la maintenance d'un matériel signifie balayer à longueur d'année la totalité du catalogue de chaque engin pour vérifier que les pièces de rechange sont toujours fabriquées. Il est difficile de reprocher à Giat ne pas assurer ce suivi dans la mesure où, justement, le maintien en condition opérationnelle (MCO) ne lui a pas été attribué.

Davantage de concertation entre les deux parties permettrait sans doute d'éviter le gaspillage de matériel et d'énergie dont les rapporteurs ont été témoins dans les ateliers de Gien, d'autant plus que la norme ISO-9001-2000 qui a été décernée à Giat Industries impose au récipiendaire d'aller au-devant des besoins du client et d'essayer de les satisfaire au mieux. Toutefois, le ministère de la défense, tenu par les contraintes budgétaires, n'a pas encore intégré dans sa gestion une approche prévisionnelle du financement de l'entretien sur le long terme des matériels dont il se dote.

Heureusement, comme les rapporteurs ont pu le constater, la coordination semble s'améliorer entre Giat et la DCMAT, mais des efforts restent à accomplir. Une nécessaire clarification à l'initiative du ministère de la défense y contribuerait certainement.

DEUXIÈME PARTIE :
GIAT INDUSTRIES, TEL QU'IL EXISTE, EST-IL ENCORE ADAPTÉ ?

I. -  UN AVENIR COMPROMIS

Giat Industries possède des compétences indéniables, internationalement reconnues, et produit des matériels particulièrement performants. Toutefois, un carnet de commandes peu rempli et des effectifs sans rapport avec la production semblent conduire le groupe vers une remodélisation inévitable, sous peine de voir disparaître le principal industriel de l'armement terrestre français, solution que les rapporteurs ne peuvent juger compatible avec les intérêts majeurs de notre pays.

A. UN PLAN DE CHARGE EN CONSTANTE DÉCROISSANCE ET CONDITIONNÉ À LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES

Giat Industries doit faire face à la diminution constante des commandes de matériel militaire depuis la chute du mur de Berlin. L'évolution des menaces a relégué au second plan le char lourd et l'artillerie lourde au profit de la mobilité et de la frappe en profondeur. L'hyper-terrorisme commande également une adaptation des moyens militaires. La fabrication des chars Leclerc va donc bientôt s'achever, alors que celle du VBCI n'a pas encore commencé. Dans le domaine des véhicules militaires, c'est essentiellement un marché d'entretien qui, à court terme, s'ouvre pour Giat Industries.

1. Vers la fin des livraisons du char Leclerc

Principale production de la société Giat Industries, le char lourd Leclerc devait être commandé à l'origine en 1 400 exemplaires par l'armée de terre française, lorsque les études furent lancées au cours des années 80. La menace que faisaient planer les nombreux blindés des pays du pacte de Varsovie justifiait alors l'acquisition d'un nombre important de ce blindé. La chute du mur de Berlin fit, dans un premier temps, tomber ce chiffre à 650, puis à 406 unités. Simultanément, il fut décidé d'étaler le programme. C'est ainsi que le premier char de série fut produit en décembre 1991, tandis que les premières séries furent admises au service opérationnel entre 1992 et 1995 (76 chars en quatre ans, soit 1,5 char par mois en moyenne).

Malgré cet étalement considérable, 320 chars Leclerc auront été livrés à l'armée de terre au 31 décembre 2002 et il n'en restera plus que 86 à produire selon l'échéancier suivant : 44 en 2003, 36 en 2004 et seulement 6 en 2005. Les 390 chars destinés aux Emirats Arabes Unis auront été livrés dans un délai plus restreint, puisque les derniers sortent des chaînes d'assemblage de Roanne en ce moment même.

La production du Leclerc est donc sur une pente déclinante, d'autant plus que la commande éventuelle de 150 exemplaires par l'Arabie Saoudite ne s'est pas encore concrétisée en dépit des efforts déployés à tous les niveaux de l'Etat pour s'adapter aux exigences de l'Etat client. Or, ce char représentait la plus importante charge de travail du groupe, ainsi qu'un produit de qualité emblématique.

2. Le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) : face="Arial" size="+0">Malheureusement pour Giat, le plan de charge du VBCI, dont la construction ferait largement appel à la sous-traitance, représente à peine 20 % de celui du char Leclerc.

Des perspectives à l'exportation semblent se dessiner, mais risquent d'être assorties de compensations industrielles.

3. Des programmes de rénovation

Les autres programmes majeurs susceptibles de fournir de l'ouvrage à Giat Industries concernent avant tout la rénovation de matériel ancien, principalement l'AMX 10 RC, la valorisation de l'AUF1 et la probable rénovation de l'AMX 10 P.

L'AMX 10 RC est un engin blindé à roues équipé d'un canon de 105 millimètres utilisé comme char léger et engin de reconnaissance. Le parc actuel de l'armée de terre s'élève à 337 véhicules, dont le retrait progressif est prévu vers 2020, avec l'entrée en service progressive du futur Engin Blindé Roues-Canon (EBRC). L'objectif de l'armée de terre est de rénover 300 engins entre 2001 et 2009. Giat fournit des kits de rénovation du châssis, d'intégration des équipements et de valorisation de la tourelle, ainsi que le système de navigation SIT (système d'information terminale).

L'AUF1 est un canon automoteur qui subit actuellement un programme de rénovation après quinze années d'utilisation, afin de prolonger son utilisation jusqu'aux années 2020, voire au-delà. 174 engins sont concernés par cette rénovation qui se fera en deux tranches : 104 canons seront transformés en automoteurs AUF1 TA (39 calibres) et 70 en AUF2 (52 calibres), qui disposeront d'un système de navigation de nouvelle génération, ainsi que des équipements qui donnent au Caesar ses exceptionnelles capacités. Giat contribue à la rénovation de la tourelle et des systèmes d'armes, tandis que la caisse est remise à niveau par la DCMAT.

L'AMX 10 P est un engin de transport de troupes qui devra rester en service jusqu'à l'arrivée du VBCI. Malheureusement, un certain nombre de ces blindés présente des fissures d'usure qui devront être réparées sous peine de risquer la destruction de l'engin, voire de mettre en cause la sécurité des équipages. Il est d'ailleurs probable que la remise à niveau sera plus générale. Toutefois, le projet de loi de programmation militaire n'a pas prévu les 150 à 200 millions d'euros qui seront nécessaires pour une rénovation complète de l'AMX 10 P, et d'aucuns craignent que le financement du programme VBCI ne soit amputé d'autant.

Au demeurant, ce projet de loi de programmation pour les années 2003 à 2008 comprend peu de programmes d'envergure destinés à l'armement terrestre : si des efforts sont consentis dans le domaine maritime, notamment avec le programme emblématique du deuxième porte-avions, de l'aviation ou de la dissuasion nucléaire, la programmation n'est pas très généreuse pour ce qui concerne le matériel terrestre. Aucune autre commande de canon Caesar n'est envisagée au-delà des cinq exemplaires déjà commandés ; aucun matériel terrestre léger n'apparaît sur le projet de loi ; la rénovation de l'AMX 10 RC ne con

Environ 50 % du personnel de Giat Industries est composé d'« ouvriers sous décret » (OSD). Il s'agit d'anciens ouvriers d'Etat des établissements du GIAT ayant conservé l'ensemble des droits et garanties associés à leur statut antérieur par le décret n° 90-582 du 9 juillet 1990. Les OSD ont été recrutés au titre d'un établissement.

Près de 40 % du personnel de Giat est constitué d'employés régis par la convention collective du secteur de la métallurgie et qui ressortissent au droit commun des salariés du secteur privé, avec des rémunérations plus faibles et un statut moins protecteur que les ouvriers sous décret.

Le reste du personnel, soit environ 10 %, est composé de fonctionnaires détachés et occupe plutôt des fonctions administratives ou techniques, mais pas exclusivement.

Le statut d'ouvrier sous décret passe pour plus favorable que les autres, notamment au regard des rémunérations, par rapport aux salariés embauchés dans le cadre de la convention collective ou aux fonctionnaires détachés. A titre d'exemple, et selon les chiffres fournis par la direction, le salaire annuel moyen d'un OSD (base + ancienneté + rendement) s'élève à 24 348 euros, contre 20 460 euros pour un salarié embauché dans le cadre de la convention collective. Dans le cadre d'un travail en deux équipes de huit heures, le salaire moyen de l'ouvrier sous décret atteint 25 884 euros, contre 21 996 euros pour son collègue sous convention collective. Par ailleurs, les OSD peuvent habituellement jouir de leur pension de retraite dès 55 ans, contre 60 ans pour les autres membres du personnel.

Dans le cas particulier du PSES en application depuis 1999 chez Giat Industries, les ouvriers sous décret peuvent quitter leur emploi et bénéficier d'un dispositif de retraite dès 52 ans, contre 55 ans pour les fonctionnaires détachés et 56 ou 57 ans pour les salariés embauchés dans le cadre de la convention collective.

2. La mise en place du PSES

Le plan stratégique, économique et social (PSES) a atteint ses objectifs en matière de réductions d'effectifs, puisque Giat devrait compter moins de 6 400 salariés au 31 décembre 2002.

AVANCEMENT DES MESURES DU PLAN STRATÉGIQUE, ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE GIAT INDUSTRIES AU 31 OCTOBRE 2002

Catégories

Départs indemnisés

Mesures d'âge

Mobilité défense

Mobilité hors défense

TOTAL

Ouvriers sous décret

307

1 583

662

116

2 668

Fonctionnaires

0

179

185

27

391

Conventions collectives

112

306

95

513

TOTAL

419

2 068

942

143

3 572

PSES

413

2 535

784

3 732

Taux de réalisation du PSES

101 %

82 %

138 %

96 %

La mobilité semble avoir mieux fonctionné que prévu même si, de l'avis du secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense, les mesures ont sans doute atteint leurs limites. Certaines tensions ont pu naître en raison de l'inadéquation entre le niveau de qualification des ouvriers redéployés et la nature des nouvelles tâches qui leur sont assignées.

Le ministère de la défense a proposé de mettre à disposition gratuitement des ouvriers de Giat dans des lycées professionnels techniques. Malheureusement, la plus grande partie de ces personnels a été cantonnée à des métiers peu valorisants comme le gardiennage, alors que leurs connaissances techniques auraient pu être mieux mises à profit. Beaucoup ont abandonné et sont revenus vers Giat.

Le PSES avait prévu un retour à l'équilibre en 2002, qui ne s'est pas produit. C'est à ce problème que doit aujourd'hui faire face l'entreprise.

3. Des mesures d'âge coûteuses érigées en système

Les mesures d'âge ont permis de réduire de façon importante les effectifs de la société de la manière la moins douloureuse et la moins contraignante possible. Toutefois, cette politique a un coût élevé : le volet social du PSES s'élèvera au 31 décembre 2002 à 429,8 millions d'euros.

Une culture de la mesure d'âge semble s'être instaurée depuis quelques années, ce qui tend à susciter une démobilisation et une certaine résignation de la part des personnels qui finissent par attendre presque comme un dû leur départ anticipé de l'entreprise. Ces mesures ont également pour conséquence d'accélérer la disparition des compétences, dans la mesure où ce sont les employés les plus anciens, donc les plus expérimentés, qui quittent l'entreprise parmi les premiers.

Le très faible nombre d'embauches a contribué à relever la moyenne d'âge de la société aux alentours de 44-49 ans selon les établissements. L'idée selon laquelle la réduction des effectifs se poursuivra au travers de nouveaux plans sociaux n'a pas contribué à dynamiser la société, dans la mesure où certains employés commencent à attendre la retraite de plus en plus tôt. La reconversion hors de l'entreprise n'est pas une idée très répandue. Il est vrai que les situations des bassins d'emploi ne sont pas particulièrement propices.

4. Des usines au ralenti

Tous les établissements du groupe Giat Industries connaissent des situations de sous-emploi plus ou moins marquées. La situation de Manurhin à Cusset (Allier), spécialisée dans la fabrication de munitions de petit et moyen calibres, n'est qu'un exemple parmi d'autres.

ÉVOLUTION DE LA CHARGE DE TRAVAIL ET DES EFFECTIFS
DE L'ÉTABLISSEMENT MANURHIN DE CUSSET

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003(1)

Heures de travail

355 000

314 000

282 000

324 000

238 000

155 000

104 000

dont munitions moyen calibre

180 000

160 000

105 000

154 000

133 000

93 000

50 000

Effectifs

648

598

539

514

481

396

362

(1) prévisions.

Ainsi que le montre le tableau ci-dessus, la charge totale de travail de l'établissement risque d'être divisée par plus de trois entre 2000 et 2003. Au sein de cette masse, les munitions de moyen calibre ont subi une baisse continue de 72 % en sept ans, tandis que les effectifs ont subi dans la même période une importante réduction : - 286 personnes, soit - 44 %.

Jusqu'à présent, Manurhin a démontré sa viabilité et peut se flatter, au sein du groupe, d'un bilan économique relativement équilibré. Toutefois, avec 50 000 heures de travail seulement prévues pour l'année 2003, dont environ 35 000 pour les armées françaises et 15 000 pour l'exportation, l'établissement sera très loin de son point d'équilibre qui est estimé à 90 000 heures de travail annuelles dans le domaine des munitions de moyen calibre. L'année prochaine, les charges de fonctionnement ne seront pas amorties, les coûts augmenteront et, pour cette raison, la compétitivité de l'entreprise sur les marchés extérieurs s'en trouvera encore réduite. La capacité du site de Cusset est de l'ordre de 240 000 heures de travail annuelles, chiffre qui atteste l'ampleur de son surdimensionnement.

Malgré les tentatives de diversification vers le secteur civil, qui représente désormais 23 % des activités du centre de Cusset, l'ensemble du site a déjà été fermé, pour un total de 12 000 heures en 2002, en raison du manque de commandes. Soixante-quinze salariés, qui se seraient retrouvés inemployés, ont été prêtés à l'établissement Giat de Roanne et sont transportés quotidiennement sur leur nouveau lieu de travail (120 km par jour) aux frais de l'entreprise. Au regard du plan de charge, on estime à 180 sur 400 le nombre de salariés en sureffectif. De nouvelles périodes de chômage partiel pourraient s'imposer au cours du premier trimestre 2003. Si rien n'est fait, les salariés du site pourraient perdre, selon les délégués du personnel, jusqu'à l'équivalent d'un mois de salaire en 2003.

La gestion du chômage partiel a longtemps été rendue difficile par les statuts particuliers de certaines catégories de personnel. Le centre de Cusset, qui ne compte pas d'ouvrier sous décret, a pu normalement utiliser cette possibilité, mais un récent arrêt du Conseil d'Etat autoriserait la possibilité de mise au chômage technique des OSD et des fonctionnaires en service détaché.

II. -  DES COMPÉTENCES INDÉNIABLES, MAIS FRAGILES

C'est en visitant les ateliers de Giat que les rapporteurs ont pu constater à quel point l'image de l'entreprise n'était pas conforme à la réalité. Giat dispose d'un savoir-faire internationalement reconnu en matière de matériel militaire terrestre ; de sérieux efforts de productivité et de formation ont visiblement porté leurs fruits, même s'il est toujours possible de progresser. Néanmoins, certaines habitudes de travail, parfois jugées encore insuffisamment professionnelles, montrent la fragilité de l'ensem protégé, est doté d'un canon de 120 mm capable de détruire les blindés adverses les plus modernes, fixes ou mobiles, de jour comme de nuit, en menant un combat continu. Servi par un équipage de trois personnes, il est équipé pour mener un combat mobile antichar et il est doté d'un armement secondaire capable de prendre à partie des objectifs semi-protégés et d'assurer son autodéfense.

Un des points forts du Leclerc est d'être le seul char de combat au monde doté d'un chargement de munitions automatique, alors que ses concurrents doivent mettre à contribution les équipages pour recharger leur canon. Cela permet au Leclerc de tirer à une cadence élevée, même lors d'évolutions rapides sur un terrain difficile. A l'arrêt, la probabilité pour le Leclerc d'atteindre une cible à 2 000 mètres est de 80 %. En mouvement, la probabilité d'atteindre une cible à 1 500 mètres reste de 60 %.

Ce char s'est malheureusement peu vendu pour des raisons multiples, tenant à la fois aux spécificités des marchés de l'armement, qui laissent une large place aux pressions d'ordre politique, et peut-être au manque d'agressivité commerciale. Aucun argument sérieux d'ordre qualitatif n'a été avancé pour écarter un engin qui, dès le départ, constituait un véritable pari technologique.

Le déploiement d'une quinzaine d'exemplaires, parfaitement opérationnels, au Kosovo, a permis de mettre en valeur les qualités du Leclerc. Les militaires qui le servent confirment son efficacité et sa fiabilité.

b) Le VBCI : un engin prometteur doté d'un fort potentiel à l'exportation

Le VBCI sera, aux dires de la DGA, un excellent produit doté d'un fort potentiel à l'exportation. Malgré les tergiversations de l'armée de terre, qui a longtemps hésité sur les spécificités de la tourelle, ainsi que sur la capacité d'emport en personnel, l'engin semble désormais proche de sa version définitive.

Comme la DGA souhaitait un engin peu onéreux et fiable, Giat et Renault Trucks se sont associés afin de bénéficier du meilleur prix pour le châssis, qui sera dérivé d'une plateforme civile semblable à celle qui équipe de nombreux camions.

Les différents responsables que les rapporteurs ont rencontrés ont confirmé l'excellence de la qualité future du VBCI, qui repose sur un concept nouveau et qui peut constituer le début d'une famille. Cette polyvalence ouvre des perspectives prometteuses d'exportation.

2. Une palette de produits performants

a) Un canon novateur et d'une précision inégalée : le Caesar

Le Caesar (CAmion Équipé d'un Système d'ARtillerie) est un canon de 155 mm, conforme au standard international, audacieusement développé par Giat sur ses fonds propres. A la différence des autres matériels majeurs, Giat n'a pas obtenu le soutien de la DGA, qui a jugé que cette arme n'était pas indispensable à l'armée de terre. Toutefois, les forces terrestres, qui ont commandé le Caesar à titre expérimental en c Ainsi, lors d'une récente démonstration aux Etats-Unis, un canon Caesar a tiré seize obus à huit kilomètres de distance d'une cible représentant un char. Six de ces obus ont directement atteint l'objectif, les autres étant tombés à quelques mètres seulement de la cible.

L'armée de terre française, dans une première approche, a déjà commandé cinq de ces engins, dont les performances ont impressionné les militaires américains. D'autres pays ont manifesté un très réel intérêt pour le Caesar.

b) D'autres matériels militaires moins connus

Le système d'information terminale (SIT) a été mis au point à la demande des Emirats Arabes Unis, qui souhaitaient disposer d'une sorte de système de navigation amélioré à intégrer dans leurs chars. Sur un fond de carte informatique apparaissent les autres engins, amis ou ennemis identifiés sur le champ de bataille. Le chef de char peut donc visualiser avec facilité les cibles potentielles, tout en communiquant aux autres chars les informations dont il dispose.

Le logiciel SIT mis au point par Giat est une première mondiale susceptible d'équiper la plupart des engins militaires en activité. D'abord installé sur les chars Leclerc émiriens, le système a été ensuite intégré à d'autres engins acquis par les forces armées de ce pays, et notamment au BMP3 d'origine russe et au Hummer de construction américaine.

Le marché qui s'ouvre à Giat pour ce logiciel est vaste. Des essais ont eu lieu sur les Léopard II qui équipent l'armée suisse. En France, environ un millier d'engins pourraient être dotés de ce système si l'Etat-major de l'armée de terre le décidait.

Outre les systèmes d'armes emblématiques qui équipent les forces terrestres de plusieurs pays, Giat fournit également des équipement aériens et maritimes moins connus :

- le canon qui équipe le Mirage, le Rafale et l'hélicoptère Tigre ;

- la nacelle d'arme qui équipera l'hélicoptère américain Comanche ;

- la tête des torpilles Murène, des Exocets, ainsi que le système de sécurité du missile Mistral.

Giat fabrique également, même si cela est moins connu, de nombreux produits civils qui seront présentés dans la troisième partie du rapport.

3. Un pôle d'excellence en matière de pyrotechnie

a) Un savoir-faire unique en Europe

Giat Industries est le dernier lieu de formation en matière de pyrotechnie en France. Alors que l'Etat entretenait il y a encore quelques années des écoles pyrotechniques pour ses arsenaux et ses armées, aucune école publique ou privée n'existe plus dans ce domaine. L'Etat, qui est devenu acheteur d'un produit fini, a renoncé à former et a abandonné cette fonction à ses fournisseurs, c'est-à-dire à Giat.

Giat forme donc, dans son établissement de Bourges, les derniers pyrotechniciens de Fra compatible avec les exigences de sécurité dont le coût fixe reste très élevé.

Il a été indiqué aux rapporteurs que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, aucune « bouche à feu », c'est-à-dire aucun fusil, pistolet, canon ou mortier fabriqué par Giat ou ses prédécesseurs n'a explosé. Ce résultat, dû à une expérience transmise de génération en génération, rend à juste titre les salariés fiers de leur savoir-faire. De la même manière, aucune des munitions fabriquées par Manurhin n'a jamais blessé de manière accidentelle un de nos soldats.

Sans doute, le couplage historique arme-munition au sein de l'entreprise a-t-il contribué à ce résultat.

4. Une reconnaissance objective

a) Giat Industries s'est vu décerner la norme ISO 9001 - 2000

La société Giat Industries a reçu la certificat d'approbation de la norme ISO 9001 - 2000 le 13 décembre 2001. Giat a été la deuxième société d'armement française à recevoir cette certification convoitée, après Dassault, mais avant EADS, Thales, Panhard...

Cette reconnaissance, qui remplit d'une fierté légitime les salariés de l'entreprise, concerne la maîtrise d'_uvre, la conception, l'industrialisation, la production, la commercialisation, le support et le service aux clients pour :

- les systèmes et sous-systèmes d'armes terrestres (véhicules blindés de combat et de transport, artillerie, armes et munitions, systèmes d'information terminaux) ;

- les sous-systèmes d'armes navals et aériens ;

- les équipements et composants mécaniques, hydrauliques, électroniques et pyrotechniques pour l'industrie civile et militaire.

b) Giat Industries a reçu deux fois le prix Zernow

Giat Industries a été distingué à deux reprises, en 1998 et en 2002, par le prix Zernow, distinction relativement confidentielle pour le grand public, mais ayant une réelle signification auprès des professionnels de l'armement.

En 1998, deux salariés de Giat avaient obtenu un premier prix pour des travaux de recherche sur la balistique intermédiaire. Le prix obtenu en 2002, parmi deux cents travaux issus de trente pays différents, récompense cette fois les recherches relatives au vol gyrostabilisé planant. L'accroissement de portée et de précision des projectiles classiques est l'un des défis majeurs de l'artillerie future. Capable d'atteindre une portée de 80 kilomètres avec une précision de quelques mètres, le projectile étudié par les lauréats déploie, au sommet de sa trajectoire, une série d'ailes portantes permettant d'augmenter sa portée et une série d'ailettes rétractables à l'avant assurant son pilotage. Les travaux ont également porté sur le développement d'une stratégie de calcul de vols optimisant les lois mathématiques du pilotage.

méthodes de travail ont été repensées

L'entreprise a réalisé ces dernières années de réels efforts pour se transformer et a mis en évidence les marges de productivité qui pouvaient être dégagées, qu'il s'agisse de la réorganisation de la production en équipes ou de l'amélioration de la formation.

a) La mise en place des équipes opérationnelles de production (EOP)

L'instauration des équipes opérationnelles de production (EOP) a correspondu à une réorganisation profonde de la production. Le nombre d'échelons hiérarchiques a été réduit de cinq à trois, ce qui permet à la fois une meilleure diffusion de l'information et une responsabilisation des ouvriers. Des réunions hebdomadaires de chaque EOP favorisent la concertation et garantissent une meilleure organisation du travail.

Cette réforme a rendu possible le recrutement de quelques techniciens, ce qui a apporté un peu de sang neuf à l'entreprise.

A Bourges, par exemple, la mise en place de six équipes opérationnelles de production au 1er janvier 1999 a permis une réduction de 54 % des surfaces nécessaires à la production, le regroupement sur un seul site de ce qui était fait auparavant sur trois, ainsi qu'une réduction de 74 % du nombre de machines.

b) L'accent a été mis sur la formation

Par ailleurs, la formation des personnels a été développée, même si elle a parfois pu servir à occuper certains personnels dés_uvrés. Pour le seul centre de Bourges, le plan de formation a représenté 7,5 % de la masse salariale.

Si une grande partie de l'apprentissage se fait à l'extérieur de l'entreprise, Giat assure la formation interne d'un certain nombre de ses salariés dans des secteurs comme la pyrotechnie, où il n'existe plus de formation autre que celle dispensée par le groupe.

Giat va même au-delà de la formation de ses propres employés puisque, grâce à ses écoles des compétences industrielles et des technologies (ÉCIT) qu'il entretient dans six sites et qui emploient plusieurs dizaines de formateurs, il forme des salariés issus d'autres entreprises, qu'il s'agisse de formation initiale ou continue. Un tiers des contrats des ÉCIT sont passés avec des sociétés extérieures à Giat Industries.

2. Coûts et délais de production s'en sont trouvés réduits

La mise en place de la nouvelle organisation en EOP a permis de réduire les délais de production. Ainsi, la fabrication d'un char Leclerc ne nécessite plus que neuf mois, contre dix-sept précédemment. Le temps de fabrication d'un canon de 120 mm a été réduit de 223 jours en 1999 à 137 jours en 2002, même si l'objectif de 97 jours n'a pas encore été atteint.

Alors qu'en 1996, la division des systèmes d'armes et de munitions (DSAM) connaissait des pertes équivalentes à 40 % de son chiffre d'affaires, elle devrait être proche de l'équilibre en 2002.

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L'établissement de Tarbes a également amélioré sa productivité et a consenti un effort notable pour réduire ses délais. Fin novembre 2002, le centre n'a que deux lignes, c'est-à-dire deux références de produits à livrer, en retard, alors qu'un an auparavant, il comptait une centaine de références en retard. Parallèlement, le coût horaire de la production a été ramené de 120 à 104 euros, ce qui constitue un effort significatif, même si l'objectif de 97 euros n'est pas encore atteint. Le centre de Tarbes s'est vu attribuer par la DGA la note de 16,6 sur 20.

Sur une échelle de 100, la productivité de l'établissement de Bourges, mesurée selon des critères objectifs, est passée de 60 à 83,7. A Cusset, elle a atteint 86,4, ce qui est considéré comme une très bonne performance. La note de satisfaction du client DGA accordée au centre de Cusset s'élève à 17,6 sur 20. Dans cet établissement, le taux de service atteint 100 %, tandis que la productivité a progressé de 3,2 % en 2002. Enfin, l'établissement de Tulle a réduit le coût horaire de sa main-d'_uvre de 122 euros en 1998 à 91 euros en 2002.

C. DES HABITUDES DE TRAVAIL PARFOIS JUGÉES INSUFFISAMMENT PROFESSIONNELLES PAR LES CLIENTS

Le savoir-faire de Giat ne doit pas dissimuler des lacunes qui sont apparues criantes aux yeux de clients, comme la DGA, ou même des rapporteurs. Ainsi, le suivi et la veille industrielle peuvent apparaître insuffisants à certains égards, même si Giat s'en défend. Le professionnalisme de l'industriel peut être mis à rude épreuve, notamment en ce qui concerne une réactivité parfois moyenne et un manque de coordination entre les établissements que les rapporteurs ont relevé. En dépit de ses compétences, Giat a par exemple essuyé un échec incontestable dans la mise au point du dépanneur Leclerc.

1. Un suivi jugé insuffisant

a) Des lourdeurs liées au grand nombre de sous-traitants

L'armée de terre, en particulier sa direction centrale du matériel (DCMAT), se trouve face à la nécessité d'entretenir et de faire durer le matériel dont 70 % à 80 % a été construit par Giat Industries.

Certains de ces matériels ont vu leur durée de vie prolongée au-delà de ce qui était prévu à l'origine. Il n'est pas rare de trouver dans les unités des engins ayant trente ou trente-cinq ans d'âge. Se pose pour ces matériels le problème des rechanges, dont beaucoup ne sont plus fabriquées. Le service du matériel de l'armée de terre constate ainsi qu'en raison du mauvais entretien des dossiers de définition, il est de plus en plus difficile pour Giat de fournir les pièces de rechange nécessaires.

En raison des différentes restructurations que le groupe a subies et de la chute des effectifs qui en a découlé, Giat semble avoir perdu, aux dires de l'armée de terre, un certain nombre de ses compétences, ce qui a conduit l'industriel à sous-traiter de plus en plus. Ainsi, Giat ne fabriquerait plus que 20 % des 3000 composants du char Leclerc et il parfois contraints de traiter directement avec les sous-traitants concernés, ce qui leur permet d'ailleurs de réaliser, au passage, des économies substantielles. La difficulté est de déterminer l'industriel compétent, en l'absence des dossiers de fabrication, dont la gestion par les différents intervenants que sont la DGA, la DCMAT et Giat, apparaît singulièrement confuse. Sans parler des pertes de documents.

Est-il normal que la DCMAT ait dû passer un marché directement avec un sous-traitant de Giat Industries pour la réparation du moteur du Leclerc, un engin qui, par ailleurs, est toujours en cours de production ?

Lorsque l'armée de terre se dirige directement vers un sous-traitant, la question de la qualification de la pièce concernée se pose. Il est arrivé que Giat, qui conserve une compétence dans ce domaine, refuse des pièces que la direction du matériel avait achetées par le biais d'un appel d'offres européen.

2. Un professionnalisme qui peut être pris en défaut

a) Une réactivité parfois faible

L'armée de terre reproche aussi au groupe un certain manque de réactivité lorsque des problèmes techniques imprévus surgissent. Ainsi, il y a quelques années, l'AMX 10 RC a été victime d'un dysfonctionnement du système de direction du cylindre de frein qui a causé un accident mortel. Si une solution provisoire a été trouvée afin d'éviter une immobilisation totale du parc, la DCMAT attend toujours que Giat lui indique une solution définitive.

L'AMX 10 P est, quant à lui, victime de fissures sur sa coque. C'est la DCMAT qui effectuera les réparations, l'industriel se contentant de valider la solution technique proposée par l'armée.

b) Un manque de coordination interne

Le caractère parfois inorganisé de certaines méthodes de travail ne se retrouve pas seulement dans les relations entre l'entreprise et ses clients, mais parfois aussi dans les relations ou l'absence de coordination entre établissements du groupe. Ainsi, au cours de leurs visites, les rapporteurs se sont rendu compte que l'usine de Saint-Chamond avait accepté, pour le compte d'un client étranger, d'usiner des culasses d'artillerie. Le travail demandé sur ces pièces est tellement spécifique et difficile que l'établissement de Bourges, pourtant spécialisé dans ce domaine, avait dans un premier temps refusé le marché, qui a été finalement accepté par celui de Saint-Chamond, sans que les deux sites se soient concertés et coordonnés. Compte tenu de la difficulté de la tâche, largement sous-estimée, et du manque d'expérience, la direction de l'établissement de Saint-Chamond a reconnu travailler pour le moment à perte.

Ce manque de coordination entre les différents sites, qui va d'ailleurs à l'encontre de la critique syndicale relative à la trop grande centralisation de l'entreprise, est révélateur d'un dysfonctionnement organisationnel évident.

Au total, la DGA, qui décerne une note de satisfaction à ses fournisseurs, a attribué 9,1 sur 20 au groupe Giat Industries.

À la décharge de l'entreprise, il faut souligner qu'il s'agit là d'un matériel innovant et produit en très petites séries. Par ailleurs, la DGA a reconnu être particulièrement exigeante à l'égard d'un matériel qui doit être capable de fonctionner sur un terrain non sécurisé, voire à proximité immédiate des combats. Aux dernières nouvelles, Giat annonce que les problèmes du dépanneur... en panne sont sur le point d'être résolus.

III. - L'INÉVITABLE ADAPTATION DE L'ENTREPRISE

L'entreprise Giat Industries doit faire face à des difficultés récurrentes depuis sa création en 1990 et ses plans successifs ne lui ont pas permis de trouver un équilibre. D'aucuns ont pu en tirer la conclusion hâtive que l'entreprise n'étant pas viable, une fermeture pure et simple serait la meilleure solution.

Les rapporteurs entendent démontrer que la disparition de l'entreprise n'est pas une option envisageable. Giat constitue le pôle central de l'industrie française de l'armement terrestre et détient des compétences irremplaçables auxquelles la France ne peut renoncer. En revanche, il faut conduire à son terme la réforme de l'entreprise, afin de lui permettre de s'adapter aux conditions du marché de l'armement terrestre et, le cas échéant, de prendre part aux restructurations de grande ampleur mises en _uvre depuis quelques années dans ce secteur.

A. REFUSER LA DISPARITION DE GIAT

La disparition de Giat Industries n'est pas envisageable, car la préservation de l'indépendance stratégique de la France exige que le pays conserve une industrie d'armement terrestre, y compris dans la perspective d'une défense européenne. La ministre de la défense l'a affirmé à de multiples reprises. On ne peut que souscrire à ses déclarations. Le groupe détient des compétences, fruit d'une longue expérience, dont on ne peut se priver, ne serait-ce que pour le maintien en condition opérationnelle des matériels de nos forces armées.

1. Garantir la pérennité de l'industrie française d'armement terrestre

a) Giat Industries occupe une position centrale au sein de ce secteur

Le groupe Giat Industries est le principal industriel du secteur de l'armement terrestre français et ses productions couvrent tout le spectre du domaine terrestre.Le regroupement des activités de poids lourds des sociétés Renault Véhicules Industriels et Volvo réalisé en 2001 a abouti à la création de Renault Trucks. Cette entreprise produit des véhicules civils militarisés et des camions tactiques et participe à la rénovation des chars AMX 30 B2 et des véhicules blindés VAB. Elle est également associée à Giat Industries pour le programme VBCI.

Enfin, d'autres entreprises de taille plus réduite interviennent dans différents domaines. TDA Armement SAS, filiale de Thales et d'EADS, exerce ses activités dans le secteur des mortiers, des roquettes et des fusées d'artillerie, pour un chiffre d'affaires d'environ 80 millions d'euros.

Ce bref panorama de l'industrie terrestre française met en exergue la position centrale de l'entreprise Giat Industries et son poids dans un secteur relativement segmenté. Sa présence sur les marchés des blindés et des munitions fait d'elle une société d'armement terrestre intégrée, disposant d'une palette de produits étendue.

C'est pourquoi on ne peut accepter la disparition ou le démantèlement de l'entreprise Giat Industries, car elle supposerait la quasi-disparition de l'industrie d'armement terrestre française. Ne subsisteraient que des compétences dispersées et sans cohérence.

Les accords de coopération conclus entre Giat et de grands groupes internationaux d'armement confirment, s'il était besoin, la reconnaissance dont jouit l'entreprise.

b) La France doit conserver une industrie de l'armement terrestre conforme à ses ambitions internationales

La préservation d'une industrie française de défense terrestre est indispensable pour garantir notre indépendance nationale dans la décision et la conduite d'opérations militaires. L'équipement de l'armée de terre française par des entreprises étrangères supposerait une dépendance industrielle, donc une atteinte à la souveraineté du pays lors de la prise de décision, ce qui n'est pas conforme aux orientations de notre politique de défense.

La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies et pays fondateur de l'Union européenne. Sa contribution aux opérations de maintien de la paix et son rôle moteur dans la construction de l'Europe de la défense lui confèrent un statut international de premier plan. Elle a pour ambition de rester un acteur incontournable sur la scène internationale et d'assumer les responsabilités de « nation-cadre » dans des opérations conduites par l'Union européenne, comme elle s'y est engagée lors du Conseil européen d'Helsinki en 1999. A ce titre, elle ne peut accepter de perdre une partie de son autonomie stratégique, qui repose également sur des équipements militaires et donc sur des industries d'armement cohérentes.

Conserver notre indépendance industrielle dans le secteur terrestre est d'autant plus crucial que le rôle des forces terrestres est essentiel dans le traitement des crises. 80 % des forces françaises engagées dans des opérations extérieures au cours des cinq dernières années proviennent de l'armée de terre. Si la combinaison des ou quasi-homogènes tels que l'atmosphère, le milieu sous-marin ou le milieu maritime. La diversité des théâtres d'opérations conduit à intégrer des paramètres aussi nombreux que complexes.

Dès lors, la capitalisation de l'expérience acquise par les bureaux d'études de l'industrie d'armement terrestre revêt une importance particulière. Seul le savoir-faire accumulé permet d'assurer l'adaptation des matériels à la complexité de l'environnement terrestre. Giat Industries est présent dans ces domaines depuis des décennies et dispose d'un capital de compétences sans équivalent, que l'on ne peut abandonner.

Il entretient en outre des relations étroites avec l'armée de terre et a une bonne connaissance de ses besoins. Enfin, Giat Industries détient des compétences spécifiques et rares, notamment en matière de pyrotechnie, dont il serait très dommageable de se séparer.

b) Giat, principal producteur des matériels de l'armée de terre française

De plus, c'est l'entreprise Giat Industries qui a développé et fabriqué une part très importante de l'équipement de l'armée de terre française. Les chars AMX 30 B et B2, les blindés AMX 10 RC et AMX 10 P, le blindé à roues modulaire VAB ont été conçus et réalisés par Giat Industries ; les blindés AMX 10 RC et AMX 10 P sont d'ailleurs en cours de modernisation par l'entreprise afin d'améliorer leurs performances. Le char Leclerc, dont les dernières livraisons auront lieu en 2005, va équiper les forces françaises pour les trente années à venir. Le groupe produit également des canons de gros calibre, tels que le canon de 120 lisse du char Leclerc, des canons d'artillerie, comme les 155 AUF1 et 155 LG, des canons de moyen calibre et des munitions d'artillerie , autant de matériels qui sont utilisés par nos forces terrestres. S'il équipe l'armée de terre, le groupe Giat Industries réalise également des tourelles canons pour les bâtiments de la marine et les armes pour avion montées sur les Mirage F1 et 2000 et sur les Rafale en version monoplace.

Giat Industries a produit 70 à 80 % de l'équipement de l'armée de terre française. On ne peut donc se priver de son savoir-faire pour assurer le maintien en condition opérationnelle des matériels qu'il a conçus. Les compétences qu'il a accumulées font de lui un partenaire indispensable et incontournable.

B. L'ADAPTATION INDISPENSABLE À UN MARCHÉ QUI A PROFONDÉMENT ÉVOLUÉ

Si la disparition ou le démantèlement de Giat Industries n'est pas acceptable, il est nécessaire que l'entreprise s'adapte à un marché qui a connu de profonds bouleversements. Dès sa création en 1990, l'entreprise était déjà surdimensionnée compte tenu de l'évolution du contexte géostratégique ; comme il a déjà été souligné, les plans successifs ne lui ont pas permis de trouver un équilibre.

En revanche, le secteur de l'armement terrestre a connu depuis 1990 d'importantes restructuratio évolutions géostratégiques ont modifié les besoins opérationnels des forces armées.

La réduction des débouchés a fortement dégradé les équilibres comptables et financiers des industriels. Selon le groupement des industries concernées par les matériels de défense terrestre (GICAT), l'activité des industries françaises de défense terrestre a diminué de 44 % entre 1991 et 2001, en passant d'un chiffre d'affaires cumulé de 5,5 milliards d'euros en 1991 à 3,09 milliards d'euros en 2001.

ÉVOLUTION DE L'ACTIVITÉ FRANÇAISE DE DÉFENSE TERRESTRE DEPUIS 1995

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2001/95

Chiffre d'affaires de l'industrie de défense terrestre (en milliards d'euros courants)

3,70

3,64

3,38

3,41

3,22

2,74

3,09

- 16,6 %

Effectifs directs de l'industrie de défense terrestre

29 700

26 900

26 100

24 500

24 000

20 200

19 600

- 34,0 %

a) Les mutations du marché des véhicules blindés

Les restrictions budgétaires mises en _uvre au cours des années 1990 ont incité les Etats à rechercher des produits moins onéreux ou à rénover leurs parcs. Les contextes d'emploi des forces armées ont été modifiés par l'évolution de leurs missions. L'accent mis sur les capacités de projection n'est pas sans incidence sur les marchés de blindés.

A ce jour, le marché des chars de bataille est peu actif et les perspectives de reprise sont très hypothétiques. Les parcs existants, tels que les chars Léopard, Abrams ou Challenger, sont surabondants et les appels d'offres en cours sont très peu nombreux, à l'exception de ceux qui ont été lancés par la Turquie ou l'Arabie Saoudite. La durée de vie moyenne d'un char étant de vingt à trente ans, un renouvellement des parcs actuels ne pourrait intervenir qu'à l'horizon 2020.

En revanche, les perspectives sont plus favorables sur le marché de rénovation des chars et sur celui des véhicules blindés moyens et légers. De nombreuses unités d'infanterie mécanisée ont besoin de véhicules blindés légers mieux protégés et disposant de capacités de projection accrues. Plusieurs programmes ont été lancés ou sont en cours, tels que les véhicules blindés MRAV-GTK, Igel, Fennek, Pandur ou bien le VBCI.

Les entreprises d'armement terrestre doivent donc adapter leur offre à ces évolutions. Cependant, les marchés de rénovation des matériels et ceux des véhicules blindés moyens et légers ne dégagent pas nécessairement un chiffre d'affaires similaire à celui des blindés lourds.

b) Une concurrence accrue dans le domaine des munitions

Dans le domaine des munitions, la fin de la guerre froide a eu pour conséquence une forte diminution des commandes. Malgré une première vague de rationalisation entre 1990 et 1993, l'industrie des munitions est demeurée en situation de surcapacité et les restructurations ont dû être poursuivies. L'émergence de nouveaux pays producteurs, dont les coûts de production sont plus faibles, a rendu ces marchés beaucoup plus concurrentiels. Les zones industrielles traditionnelles, comme l'Europe et les Etats-Unis, doivent faire face à l'essor des industries d'Europe centrale et des anciennes républiques soviétiques et de celles des pays asiatiques, qui arrivent peu à peu à un niveau d'autosuffisance.

Les marchés de l'armement terrestre ont profondément évolué après la fin de la guerre froide et le contexte économique n'est guère favorable aux industries de ce secteur depuis 1990. De plus, ces marchés sont entièrement orientés vers le secteur militaire et la reconversion des moyens de développement et de production vers les besoins civils est aléatoire et peu rentable. Cette faible dualité rend ces industries beaucoup plus fragiles lorsque leur charge de travail décroît faute de programmes nationaux ou de contrats à l'exportation.

< dans les secteurs aéronautique et électronique, de grands pôles industriels, tels que EADS, BAe Systems ou Thales, ont été constitués.

Les mouvements de rationalisation et de consolidation ont été engagés dans un cadre essentiellement national. Un bref panorama des restructurations récentes permet de mieux comprendre les bouleversements qu'ont connus les groupes d'armement terrestre européens, mais aussi le chemin qui reste à parcourir pour renforcer ce secteur, afin notamment de résister à l'offensive des groupes américains engagée depuis la fin des années 1990.

a) La consolidation des industries allemande et britannique

Le secteur des armements terrestres est un des fleurons de l'industrie de défense allemande. Sa consolidation, encouragée par les autorités politiques allemandes, est en cours, autour de trois grands groupes : Krauss-Maffei Wegmann (KMW), Rheinmetall et Diehl. La société KMW, née d'une fusion en 1999, intervient sur le segment des blindés lourds, avec notamment la production du char Léopard. Le groupe Rheinmetall affiche clairement sa volonté de fédérer l'industrie allemande de l'armement terrestre et développe une stratégie de croissance externe en renforçant notamment son pôle de munitions et de systèmes d'armes, par des acquisitions et des prises de participations depuis 1999 dans les sociétés IWKA, Oerlikon Contraves Defense ou encore STN Atlas Electronik. Enfin, le groupe Diehl intervient dans le domaine des munitions conventionnelles de moyen et gros calibre.

L'industrie britannique connaît également de profondes transformations, qui ont abouti à l'émergence de trois groupes nationaux puissants, Alvis, GKN et Vickers. La société Alvis reste la principale entreprise britannique dans le domaine des véhicules blindés légers et moyens. Elle a acquis en 1997 le groupe suédois Hägglunds, ce qui lui a permis de renforcer sa gamme de véhicules blindés légers et son carnet de commandes. En 1998, Alvis a intégré les activités de défense dans les véhicules blindés de son rival britannique GKN. Enfin, en août 2002, Alvis a acheté à Rolls Royce la filiale Vickers Defense Systems, spécialisée dans les systèmes intégrés pour véhicules blindés. Dans le secteur des armes et munitions, l'industrie britannique compte deux sociétés, BAe Systems RO Defense (anciennement connue sous le nom de Royal Ordnance) et INSYS, qui résulte d'une restructuration réalisée en 2001.

b) Des groupes américains expansionnistes

Parallèlement aux restructurations des industries allemande et britannique, réalisées dans un cadre national, les autres industries européennes ont dû faire face à une offensive sans précédent des grands groupes américains.

En Espagne, le groupe Santa Barbara, qui était avant 1996 une entreprise publique, a été privatisé et a fait l'objet d'une profonde restructuration ; il a ensuite été cédé à l'américain General Dynamics en 2001. Cette opération a posé quelques difficultés, car Santa Barbara doit produire sous licence, pour l'armée espagnole, le légers de la famille Piranha.

Le groupe General Dynamics détient 25 % des parts de la société autrichienne Steyr, qui développe des véhicules blindés à roue de la famille Pandur.

Enfin, la modification de l'actionnariat de l'allemand KMW pourrait aboutir à l'arrivée de groupes américains dans son capital. Après l'OPA de Vodafone sur Mannesman, c'est finalement le groupe Siemens qui détient 49 % de KMW ; or Siemens ne souhaite pas conserver sa participation dans KMW et devrait la céder sous peu. Les américains United Defense ou General Dynamics pourraient être intéressés, tout comme le britannique Alvis.

Le paysage industriel européen de l'armement terrestre a profondément évolué au cours des cinq dernières années. Giat Industries ne doit pas s'isoler dans le paysage des restructurations européennes et internationales en cours, sous peine de disparaître inéluctablement.

Pour autant, cela ne doit pas exclure un adossement de Giat à tel ou tel groupe français d'industrie de défense, afin de muscler une entreprise un peu « légère » face à ses concurrents.

L'enjeu est d'autant plus crucial que les entreprises européennes doivent se renforcer face aux ambitions américaines. Les industries de défense terrestre restent trop éparpillées en Europe et sont, par conséquent, vulnérables. La construction de l'Europe de la défense est indissociable d'une industrie de défense européenne forte et cohérente et sa consolidation est indispensable dans le secteur terrestre. La réforme de Giat Industries doit s'inscrire également dans cette perspective.

TROISIÈME PARTIE : UN NOUVEAU GIAT DOIT NAÎTRE

I. -  DES SOLUTIONS À EXPLORER

Alors que les perspectives des marchés de l'armement terrestre restent peu favorables et que les groupes étrangers se consolident et s'allient, Giat Industries doit évoluer et se réformer en profondeur, afin de surmonter ses difficultés structurelles et demeurer un groupe de défense terrestre international majeur.

Des réformes de grande ampleur ont été mises en _uvre depuis 1990, mais elles n'ont pas permis à la société de trouver un équilibre et les salariés éprouvent le sentiment que l'entreprise se délite progressivement. De nouvelles réformes structurelles sont aujourd'hui indispensables, afin de donner des perspectives à l'entreprise et de lui assurer un avenir crédible et durable.

A. LA DÉFINITION D'UN PÉRIMÈTRE D'ACTIVITÉ MILITAIRE

L'entreprise est face à des évolutions considérables sur les marchés de défense terrestre, ce qui impose une adaptation de sa stratégie industrielle. Des réformes importantes sont actuellement mises en _uvre à cette fin.

S'il n'entre pas dans la mission des rapporteurs de définir la stratégie industrielle de la société, il leur a néanmoins paru utile de dégager quelques pistes de réflexion.

a) La préservation de l'entité des armes et des munitions

Les activités munitionnaires sont au c_ur du métier de l'armement terrestre et ne doivent pas être abandonnées. La pérennité de la production de munitions classiques est indispensable pour garantir l'autonomie stratégique de la France. L'Etat doit soutenir cette activité essentielle, comme le font des pays tels que le Royaume-Uni ou l'Allemagne, en garantissant aux industriels des commandes minimales et pluriannuelles.

En outre, il faut affirmer que la production des armes et celle des munitions ne peuvent être dissociées. Alors que des munitions spécifiques, telles que les munitions télescopées, sont en cours de développement avec l'inévitable évolution des armes qui en découle, la société doit maintenir sa production d'armes et de munitions au sein de la même entité industrielle. D'autres avancées techniques se dessinent : canons électriques, obus à guidage laser, par exemple, que seul un couplage arme-munition permettra de dominer.

Les compétences dans le domaine des armes et munitions, qui résultent des synergies associées à cette organisation, permettent à Giat de disposer d'une reconnaissance mondiale, que l'entreprise a soulignée en rappelant qu'aucune pièce d'artillerie sortie de ses chaînes n'a jamais explosé depuis cinquante ans.

Isoler la production de munitions au sein du groupe reviendrait à la rendre plus vulnérable aux appétits extérieurs, sauf à ce que ce soit le but recherché, hypothèse à laquelle les rapporteurs ne peuvent souscrire.

b) Vers un avenir de systémier-intégrateur de ses propres produits

Dans le domaine des systèmes blindés, Giat Industries assure une activité d'intégration d'armement et d'électronique sur des systèmes. Il a pour vocation de se concentrer sur son c_ur de métier, pour lequel il dispose de compétences reconnues et uniques : déterminer l'architecture d'un produit, assurer sa maîtrise d'_uvre en réalisant le montage et l'intégration de ses composants et assumer le maintien en condition opérationnelle du produit achevé. Dans cette perspective, il doit intégrer les produits qu'il réalise, pour lesquels il dispose d'un véritable savoir-faire, notamment dans le domaine de la mobilité et de la protection, et recourir à la sous-traitance de façon raisonnée pour les composants qui ne relèvent pas de ses compétences.

Le métier de systémier-intégrateur de ses propres produits suppose le développement de l'activité de maintien en condition opérationnelle des matériels. La maintenance a vocation à être assurée par l'industriel qui a produit les équipements. Le renforcement de cette activité permettrait à Giat Industries d'améliorer le service aux clients en réalisant un retour d'expérience et de compenser une partie de la baisse de son plan de charge.

Afin de garantir son avenir et d'assumer cette double vocation de systémi d'exportation.

a) Choisir des créneaux à forte valeur ajoutée...

Les marchés d'armement terrestre étant de plus en plus concurrentiels, il apparaît rationnel de miser sur des créneaux spécifiques, requérant des compétences technologiques bien maîtrisées par la société.

La fabrication de produits innovants, reposant sur de nouveaux concepts, s'inscrit dans cette logique. Le canon Caesar constitue à cet égard un bon exemple : plus facilement projetable et beaucoup moins cher qu'un automoteur chenillé, moins vulnérable qu'un matériel tracté, il est adapté aux modalités d'engagement actuelles et il bénéficie de perspectives d'exportation prometteuses. L'obus Bonus, le système du combattant du futur FELIN s'inscrivent dans cette démarche.

Le développement de produits de haute technologie tels que SIT-Finders, système d'aide au commandement pour les unités de combat, relève du même raisonnement. Un tel produit, susceptible d'être intégré sur la plupart des blindés, dispose également d'excellentes perspectives commerciales. Les munitions télescopées et les armes pour les tirer ouvrent d'autres perspectives.

Cette approche peut s'appliquer aux équipements électroniques embarqués, particulièrement sophistiqués et à haute valeur ajoutée, qui sont produits par le site de Toulouse. Cet établissement excelle dans la fabrication de composants susceptibles de résister aux rudes contraintes physiques auxquelles sont confrontés les matériels de l'armée de terre. Ainsi, des équipements de pointe, tels que des écrans plats durcis ou des claviers sécurisés reconfigurables ont été mis au point par l'établissement de Toulouse, qui a déjà déposé de nombreux brevets.

L'entreprise doit adapter son offre aux évolutions du marché. Le marché des blindés lourds étant durablement sinistré, une réorientation sur les blindés moyens et légers ainsi que sur le marché de la rénovation s'impose. L'engin blindé à roues de contact (EBRC) constitue un objectif essentiel.

b) ...Ce qui suppose un effort vigoureux en matière de recherche et développement

Le positionnement sur des marchés de haute technologie implique de consacrer des ressources significatives à la recherche et au développement (R&D). L'armement terrestre s'appuie sur des capacités technologiques et scientifiques très larges, qui sont coûteuses à financer et difficiles à amortir en raison de leur faible possibilité d'utilisation dans le domaine civil.

L'effort en matière de recherche est d'autant plus nécessaire qu'une baisse continue des moyens qui lui sont alloués se traduit à terme par des pertes de compétences dans des domaines essentiels. Nos interlocuteurs ont souligné qu'un tel risque existait au sein de Giat Industries, notamment dans le domaine des munitions.

C'est pourquoi les dépenses de R&D consenties par l'entreprise doivent être maintenues, voire revalorisées, afin de garantir le développement de produits innovants. Une telle politique peut être me marchés a cependant conduit Giat Industries à engager une politique de diversification de ses activités.

Le c_ur de métier de la société restant la production d'armement, les incursions dans d'autres activités doivent être fondées sur une logique industrielle cohérente et non sur une logique d'occupation à n'importe quel prix des salariés. Les activités civiles ne peuvent être qu'un complément permettant d'exploiter les capacités industrielles de la société de façon rentable.

1. Le bilan contrasté des tentatives passées de diversification

Dès 1990, la société Gitech SA, filiale de Giat Industries, a été créée afin de lancer une politique de diversification vers des activités civiles. De grandes ambitions avaient été placées dans cette politique et l'objectif était de créer autour de la société un pôle français de mécanique.

De 1990 à 1994, Gitech a pris des participations minoritaires dans douze sociétés en création ou en développement. Le bilan réalisé en 1995 s'est révélé peu probant, si bien que la direction a décidé de ralentir cette politique de diversification et s'est progressivement désengagée de ces participations, du moins pour les sociétés qui n'avaient pas déposé leur bilan. Les synergies supposées réalisables entre Giat Industries et ces sociétés n'avaient que partiellement fonctionné. En tout état de cause, le pari de prendre des participations minoritaires ne conférant pas de rôle décisionnel à Gitech dans des sociétés installées le plus souvent sur des sites de Giat Industries, employant partiellement du personnel de l'entreprise et dépendant de surcroît pour partie des commandes de Giat Industries, était pour le moins hasardeux.

Au total, la politique de diversification menée par la filiale Gitech SA entre 1990 et 1996 a conduit à des pertes estimées à 7,93 millions d'euros par la Cour des comptes. D'aucuns ont parlé d'utopie... dès lors que l'on a quelque peu confondu la pratique industrielle et l'activité d'artisan d'art !

D'autres incursions de l'entreprise dans des activités civiles se sont soldées par de véritables échecs. L'exemple de la vente de composants du télescope de l'observatoire européen de l'hémisphère sud au Chili en 1995 est significatif : l'entreprise n'était pas en situation de réaliser ce contrat dans des conditions économiques acceptables et les pertes ont finalement été équivalentes au chiffre d'affaires. Un tel contrat avait pour objectif d'assurer un plan de charge, mais il n'a pas été conclu selon une logique industrielle et économique rigoureuse.

2. Vers une stratégie de développement maîtrisée

a) Des ambitions revues à la baisse

Le succès mitigé des diversifications passées a conduit l'entreprise à adopter une approche plus modeste. La notion de diversification a cédé la place au concept de développement, qui consiste à Cette activité utilise les compétences pyrotechniques très spécifiques du site de Tarbes et bénéficie donc de synergies industrielles fortes.

Parmi les exemples de développement, on peut citer l'unité industrielle Dual Tech mise en place à Tarbes en 2000. Spécialisée dans l'ingénierie, elle produit des bancs d'essais, des positionneurs et des outillages industriels ; sa réussite lui donne vocation à être filialisée. L'établissement de Tarbes a conclu un contrat avec Alstom pour la construction de pièces pour TGV et réalise des têtes de forage pour la recherche pétrolière. Enfin, son niveau élevé de savoir-faire a permis à Giat de se lancer dans la grande aventure technologique de l'Airbus A 380, pour le compte duquel elle fabrique la matrice de l'éclisse reliant l'aile au fuselage, pièce essentielle.

b) Des résultats encore modestes

Ces activités permettent d'utiliser des compétences détenues par l'entreprise. Cependant, elles représentent un chiffre d'affaires relativement modeste et leurs effectifs sont réduits. A titre d'exemple, Dual Tech réalisera un chiffre d'affaires d'approximativement 7,2 millions d'euros en 2002, avec un effectif de 40 salariés ; le chiffre d'affaires de SPRIA, qui constitue la plus importante activité de développement, s'élève à 8 millions d'euros en 2002, mais devrait croître rapidement, et la filiale compte 180 salariés.

Ces chiffres ne sont certes pas négligeables, mais il convient de souligner que l'essentiel des effectifs employés dans ces unités ne provient pas de l'entreprise Giat Industries, pour des raisons qui tiennent à la fois aux différences de qualification, au niveau de salaire ou au choix personnel des salariés. Sur 180 personnes travaillant à SPRIA, seules quinze travaillaient à Giat Industries auparavant. Le développement d'activités civiles ne résout pas réellement les problèmes d'emploi liés aux surcapacités de l'entreprise.

Les activités de développement sont en général d'une rentabilité incertaine et parfois contestée. Cependant, certaines parviennent à un équilibre précaire en utilisant les savoir-faire et les investissements de Giat Industries, souvent déjà amortis. Quel sera leur avenir lorsqu'il sera nécessaire de remplacer les machines existantes ? Parviendront-elles à conserver cet équilibre ?

c) A Tulle, la production civile supplante déjà le moyen calibre

De tous les sites de Giat, Tulle est probablement celui qui s'est le plus investi dans une diversification qui lui permet de conforter la production liée à l'armement terrestre. Celle-ci ne représente plus que la moitié de son chiffre d'affaires. Selon la direction, 30 % seulement de la production du centre est désormais consacrée à la fabrication d'armes de moyen calibre, qui fut jadis la spécialité du site. 20 % de la production concerne d'autres matériels militaires que Tulle fabrique pour le compte des autres établissements de Giat. Les 50 % restants relèvent d'activités de production purement civiles que Giat a enlevées sur un marché concurrentiel.

à celle du site, même si l'avis du directeur industriel du groupe reste indispensable avant toute décision définitive.

C. DES ALLIANCES INDUSTRIELLES INDISPENSABLES

Le tissu industriel international de l'armement terrestre est relativement éparpillé ; il reste fragile en raison de perspectives de commandes peu favorables en Europe et dans le monde. D'importantes restructurations ont déjà eu lieu et on peut penser qu'elles vont se poursuivre. Giat Industries, en tant qu'acteur majeur du secteur de défense terrestre, doit y prendre part.

Le groupe a déjà conclu des alliances ponctuelles sur des produits donnés, mais sa situation économique et financière ainsi que son statut ne lui ont pas permis de participer activement aux mouvements en cours. L'entreprise doit mettre en _uvre la rationalisation de son organisation et de son outil industriel, afin de conclure dans de bonnes conditions les alliances industrielles qui lui permettront de se renforcer et de participer à la consolidation du secteur de l'armement terrestre européen.

1. Des coopérations ponctuelles en cours

a) Des coopérations avec des partenaires essentiellement européens

Des alliances européennes ont été nouées, notamment dans le domaine des systèmes d'armes et de munitions. Une coopération avec la société suédoise Bofors a été mise en _uvre avec succès à partir de 1993, afin de développer, de produire et de commercialiser la munition d'artillerie Bonus. En 1994, Giat Industries a créé avec Royal Ordnance une filiale commune, qui a pour objet le développement d'un système d'armes de moyen calibre à munitions télescopées, dont les perspectives d'exportation sont favorables.

Des études concernant le renouvellement de la gamme des systèmes antichars sont également menées avec le Britannique Hunting Engineering et l'Allemand Dynamit Nobel. Un accord a été conclu en 1993 avec le groupe suisse Oerlikon, aujourd'hui filiale de Rheinmetall, pour la conception de munitions intelligentes, ainsi qu'avec l'Allemand Diehl, en 1998, dans le domaine les munitions de moyen calibre.

b) Des alliances a minima aux résultats incertains

Il existe par ailleurs un accord avec la société suédoise Hägglunds Vehicle, aujourd'hui filiale du groupe britannique Alvis, pour la commercialisation du châssis de son véhicule blindé CV 90 équipé d'une tourelle produite par Giat Industries.

En matière de tourelles, notamment celles équipées de canons de moyen calibre, la société s'est engagée à promouvoir les produits de la filiale de défense Oto Melara du groupe italien Finmeccanica (tourelle Hitfist), avec une clause de réciprocité pour la tourelle Dragar de Giat Industries. La société a également conclu en 2001 un accord avec EADS pour le développement et la commercialisation du système de conduite des feux d'artillerie Fast-Hit. Les résultats tangibles de ces accords restent mal connus.

c) Deux affaires à équiper l'hélicoptère RAH-66 Comanche de l'armée de terre américaine. Cette affaire est la première remportée par Giat sur le marché américain en partenariat avec un industriel majeur outre-Atlantique et elle conforte sa position sur le segment des tourelles armées pour hélicoptères.

La modernisation des gammes de produits des deux divisions de Giat Industries fait donc une large place à la coopération, mais ces alliances restent ponctuelles, limitées à des produits spécifiques.

Elles illustrent néanmoins la forte notoriété de Giat sur le marché international, ce qui démontre une fois encore qu'il est difficile d'être prophète en son pays...

2. Des alliances structurelles sont nécessaires

a) Renforcer la taille et l'offre du groupe

Giat Industries, on le sait, n'a pas participé aux importantes restructurations du secteur de l'armement terrestre au cours des dix dernières années. Une réelle opportunité a d'ailleurs été gaspillée avec le programme de véhicule blindé de combat d'infanterie, qui aurait pu jouer un rôle structurant et fédérateur avec des partenaires européens.

Le groupe doit mettre en _uvre une politique de rapprochement structurel avec des partenaires nationaux ou étrangers pour renforcer sa position et ne pas être marginalisé. La plupart des entreprises américaines ou européennes ont déjà rationalisé leurs outils de production et conclu des alliances. Elles ont atteint une taille critique, qui leur donne un poids considérable au cours de négociations. Leur offre de produits est augmentée en conséquence.

Des partenaires possibles de Giat se sont déclarés intéressés par le savoir-faire de la société, mais ont été découragés par le manque de rentabilité de l'entreprise et par son statut public. L'entreprise doit préalablement se réformer, afin de disposer d'un outil industriel performant et recentré. C'est à ce prix qu'elle pourra négocier avec d'autres partenaires sans être en position de faiblesse.

Cette perspective s'inscrit dans la volonté de renforcer le tissu industriel européen, qui est aujourd'hui face à une offensive américaine sans précédent. L'industrie de l'armement terrestre européenne, encore trop dispersée à l'heure actuelle, doit être restructurée et consolidée à l'image des secteurs aéronautique et d'électronique de défense. Même s'il connaît des difficultés chroniques, Giat Industries n'en demeure pas moins un acteur majeur de l'armement terrestre et doit jouer un rôle dans ces évolutions.

b) Créer des synergies et s'ouvrir de nouveaux marchés

Les alliances structurelles sont nécessaires pour développer des synergies. De tels accords permettent de réaliser des économies d'échelle sur la plupart des matières premières et fournitures achetées par les entreprises ; ils permettent aussi de mettre en commun les bureaux d'études et de mutualiser les dépenses dans des secteurs d'alliances, qui conditionne sa survie.

D. CHANGER LE NOM DE GIAT ?

Que ce soit à l'occasion d'une restructuration importante, d'un changement de politique ou tout simplement pour modifier une image, de grands groupes industriels choisissent de changer de nom. Si certains observateurs considèrent qu'il ne s'agit là que d'un détail, un changement d'appellation peut avoir une signification qui va bien au-delà.

La question se pose pour Giat Industries. Faut-il conserver cette appellation, à laquelle de nombreux salariés sont certainement attachés pour des raisons historiques et sentimentales, mais qui reste néanmoins connotée plutôt péjorativement en raison des résultats financiers peu glorieux qui jalonnent l'histoire du groupe ?

Les rapporteurs sont tentés de répondre par la négative à cette question, considérant qu'une nouvelle appellation permettrait de dissocier la société de son image actuelle, qui reste celle d'une entreprise « en difficulté ».

Une autre raison plus pragmatique milite pour un changement d'appellation : Giat signifie à l'origine « Groupement des Industriels de l'Armement Terrestre », appellation dont nous avons pu mesurer le caractère réducteur dans la mesure où l'entreprise diversifie de plus en plus sa production et intervient dans des domaines aussi éloignés de l'armement terrestre que l'aéronautique, l'automobile, la machine-outil... Même si le nom, désormais écrit exclusivement en minuscules, n'est plus considéré comme un acronyme, pourquoi ne pas attribuer à la société une appellation plus ouverte qui ne la cantonne pas, pour les observateurs extérieurs, dans un domaine unique et dont on sait qu'il renvoie à un marché insuffisamment porteur ?

II. - L'ETAT DOIT ASSUMER SES RESPONSABILITÉS

Si l'on ne doit pas exonérer l'entreprise des erreurs parfois lourdes de stratégie et de gestion qu'elle a commises, les pouvoirs publics détiennent d'indéniables responsabilités dans la situation économique et financière dans laquelle se trouve aujourd'hui Giat Industries.

L'Etat doit désormais clarifier ses relations avec le groupe et lui donner véritablement sa chance, en le considérant comme une véritable société, et non comme une pseudo-entreprise, placée dans une dépendance étouffante. Il doit responsabiliser Giat Industries, d'une part en lui confiant une partie plus importante du maintien en condition opérationnelle des matériels de l'armée de terre, d'autre part en établissant des relations contractuelles avec la société, qui déterminent leurs obligations respectives et fournissent un socle minimal d'activité.

A. VERS UN NOUVEAU PARTAGE DE LA MAINTENANCE

A la différence de DCN, Giat Industries a été créé avec pour vocation quasi exclusive la fabrication de matériels neufs, l'entretien des matériels restant confié à la direction centrale des matériels de l'armée de terre (DCMAT). Dans un contexte de baisse de la charge de travail de l'entreprise, une répartition des tâches de maintenance plus équilibr&eacu de Giat Industries se limite à la fourniture et à la réparation de pièces de rechange ; la société est également partie prenante dans les processus de valorisation de certains matériels.

Le maintien en condition opérationnelle des équipements terrestres est donc assuré à titre principal par la DCMAT et Giat Industries n'intervient que de façon complémentaire.

Pour mémoire, les opérations de maintenance sont classées en trois niveaux techniques d'intervention (NTI), en fonction des délais d'intervention et des moyens techniques à mettre en _uvre. Le NTI 1 concerne le petit entretien et les petites réparations et s'effectue directement dans les régiments des forces. Le NTI 2 correspond aux réparations plus importantes et est effectué dans les organismes de soutien direct, tels que les bases de soutien du matériel de l'armée de terre (BSMAT). Le NTI 3 inclut les opérations de réparation lourde, nécessitant des techniciens, un outillage et des infrastructures spécifiques.

C'est donc cette dernière catégorie qui est le plus susceptible d'être confiée aux industriels. Par exemple, la maintenance d'ordre NTI 3 des aéronefs est pour une part importante confiée aux entreprises, l'armée de l'air recourant largement à l'externalisation. En revanche, les armées doivent conserver les compétences nécessaires à la réalisation de l'entretien indispensable au maintien des capacités opérationnelles des forces engagées lors d'opérations extérieures.

b) Des confusions très dommageables associées au partage de la maintenance

Des incertitudes et des confusions affectent la répartition des tâches entre la DCMAT et Giat Industries. Les marchés de maintenance leur sont notifiés par la DGA et on retrouve ici les complexités et les ambiguïtés associées à une organisation tripartite, que l'on a évoquées plus haut. La détermination des missions de chacun des acteurs n'est pas suffisamment claire et la circulation de l'information est défaillante.

A titre d'exemple, la fourniture de pièces de rechange s'appuie sur des dossiers de définition des matériels dont la gestion est pour le moins chaotique. Ces documents circulent entre la DGA, la DCMAT et Giat, ce qui aboutit à une certaine dispersion des informations : certains dossiers sont égarés, d'autres sont détenus par des intervenants qui n'en ont pas besoin. Cette situation est aggravée par l'ancienneté des équipements à entretenir. Il n'était pas prévu de conserver certains matériels en activité aussi longtemps ; les dossiers sont anciens, non informatisés et leur gestion dans le temps n'a pas été anticipée.

Pour les opérations de revalorisation, la DCMAT et Giat se voient chacun confier des missions partielles. À titre d'exemple, lors de la notification des opérations de revalorisation sur l'AMX 10 RC, la DGA a confié la rénovation des tourelles à Giat et celle des châssis à la DCMAT. La parcellisation des contrats entre la DCMAT et l'industriel ne permet pas une bonne organisation industrielle de la maintenance.

La passation de certains contrats est défaillante, ce qui aboutit à des très positive, ne suffit pas ; elle doit impérativement être accompagnée d'une meilleure organisation fonctionnelle. Le ministère de la défense doit à cet égard prendre ses responsabilités.

2. Giat a vocation à assumer une part plus importante de la maintenance

a) Un apport de charge bienvenu

La fabrication de matériels et leur maintenance constituent les deux piliers de l'activité de très nombreuses entreprises. Les industriels savent que c'est le service après-vente qui est le plus rémunérateur. Confier une part accrue de la maintenance à Giat correspond à une logique industrielle, comme l'illustre l'exemple de DCN.

Il ne s'agit pas de mettre en cause les missions de la DCMAT, qui dispose de compétences et d'infrastructures reconnues. Si la présence de personnel civil sous statut au sein de la DCMAT ne permet pas une prise de décision rapide, néanmoins une répartition plus équilibrée des tâches entre ces deux acteurs est souhaitable, comme l'établissement d'un calendrier précis du transfert de responsabilité de DCMAT vers Giat.

Par ailleurs, réaliser l'entretien des matériels produits permet de bénéficier d'un retour d'expérience, qui s'avère très utile pour un industriel. Ce dernier dispose des données sur le comportement en utilisation opérationnelle des équipements fabriqués, qu'il peut ensuite exploiter. S'il sait qu'il peut être retenu pour entretenir ses matériels, le fabricant prendra en compte dès la conception de ses engins les contraintes liées au MCO, notamment au regard de la sous-traitance.

Sur le plan économique, le développement de l'activité de maintien en condition opérationnelle est susceptible de compenser en partie la décroissance du plan de charge de l'entreprise. Dans un contexte général défavorable, le MCO permet de fournir des flux financiers, qui sont certes moindres que ceux associés à la production en série de matériels neufs, mais qui sont loin d'être négligeables et qui constituent une garantie minimale d'activité sur laquelle l'industriel sait pouvoir compter de manière régulière.

Le maintien en condition opérationnelle du Leclerc, pour lequel la maîtrise d'_uvre devrait prochainement être confiée à Giat, constituera à cet égard une phase déterminante. L'Etat-major de l'armée de terre a reconnu qu'une expérience réussie en matière de MCO sur cet engin ouvrirait sans doute des perspectives pour les autres matériels. A Giat de savoir saisir sa chance.

b) Une difficulté : la TVA

Une difficulté matérielle ne manquera pas de surgir si le MCO est transféré progressivement de la DCMAT vers Giat, c'est le paiement de la TVA. Lorsque les travaux d'entretien sont effectués en interne par l'armée de terre, ils sont évidemment exempts de cette imposition. En revanche, si ces travaux sont confiés à un industriel extérieur, les forces terrestres devront acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui amputera d'environ un cinquième un budget d'entretien déjà très contraint. On admet dans ces conditions les r&ea name="P1115_173609">3. Une évolution qui impose une véritable adaptation de l'entreprise

a) Un changement de culture indispensable

Le maintien en condition opérationnelle constituant une activité spécifique, un véritable changement d'organisation industrielle est nécessaire, ce qui implique notamment des investissements et la mise en place de structures adaptées et réactives.

Giat doit également réaliser des efforts considérables pour améliorer ses prestations en matière de MCO. La DCMAT a souligné l'insuffisante réactivité de l'entreprise lors des phases de passation et d'exécution des marchés pour la fourniture de pièces de rechange. Les délais sont considérables tant en phase de négociation que de fabrication et de livraison des pièces, ce qui entraîne des retards importants dans l'entretien des matériels, voire des ruptures d'approvisionnement des forces. De plus, les prix des pièces de rechange connaissent des augmentations brutales sans que des justifications crédibles soient toujours apportées.

Certes, les rechanges nécessaires concernent parfois des matériels très anciens, pour lesquels les chaînes de production n'existent plus ou les entreprises sous-traitantes qui les fabriquaient ont changé de production, voire disparu. Il est alors très difficile et coûteux de se les procurer. Les retards et les augmentations de prix affectent également des pièces de matériels en cours de production par l'entreprise : par exemple, le délai moyen au catalogue de la livraison de pièces du char Leclerc peut atteindre dans certains cas 422 jours !

Confier une part plus importante du MCO à Giat implique donc une véritable révolution culturelle de l'entreprise, concernant l'organisation industrielle, le suivi de la sous-traitance, mais aussi la qualité des prestations.

b) Vers une approche en termes de coût de possession

L'évolution du partage de la maintenance devra s'accompagner d'une réflexion sur le coût réel des matériels, associant l'achat et l'entretien. Il y a quelques années, la durée d'utilisation envisageable d'un engin blindé était d'environ trente ans. Désormais, les industriels sont capables de fournir des caisses d'engin susceptibles de durer quarante à cinquante ans. Les systèmes d'armes qui prendront place sur ces châssis devront évidemment être entretenus en permanence et modernisés, voire renouvelés à intervalle régulier.

Le temps n'est plus aux engins robustes et bon marché achetés en grandes quantités. Les matériels, moins nombreux, mais plus sophistiqués et plus onéreux, qui sortent aujourd'hui des chaînes de production et, il faut le craindre, ceux qui en sortiront demain devront être gérés en intégrant, en plus de leur prix d'acquisition, un véritable coût de possession sur le long terme.

Ce concept nécessitera des contrats de MCO établis sur de longues durées, prévoyant un suivi rigoureux des fournisseurs et une actualisation complète des descriptifs techniques des engins. Une adaptation du code des marchés publics s'avèrera sans doute nécessaire.

1. Giat et son actionnaire doivent s'engager contractuellement

Suivant la voie tracée par DCN, Giat doit obtenir la contractualisation de ses relations avec l'Etat. Il serait bon qu'un contrat d'entreprise pluriannuel soit conclu entre les deux partenaires, de manière à préciser les obligations réciproques entre la société nationale et sa tutelle. Le contrat d'entreprise pourrait fixer les relations financières entre Giat et les pouvoirs publics, ainsi que les objectifs économiques (retour à l'équilibre, investissement, productivité...) et sociaux (recrutement, formation, négociation sociale...) assignés à l'entreprise.

En contrepartie, comme cela est prévu pour DCN, l'Etat devra s'engager à accorder une garantie d'activité sur la période d'exécution du contrat d'entreprise, qu'il s'agisse de la fabrication de matériels neufs ou de contrats d'entretien ou de modernisation.

Si l'Etat exige de l'entreprise qu'elle conserve certains sites ouverts pour des raisons d'aménagement du territoire dissociées de toute logique industrielle ou s'il ne l'autorise pas à adapter ses effectifs à son plan de charge et à ses besoins, le contrat d'entreprise devra en tenir compte et prévoir des compensations financières.

La signature d'un tel contrat, couvrant au minimum la période pendant laquelle l'entreprise ne sera pas encore en situation de nouer les alliances industrielles indispensables, serait de nature à donner à la direction de Giat la visibilité qui lui est nécessaire et qui lui fait actuellement défaut. Il revigorerait les salariés en les rassurant sur le devenir à long terme de l'entreprise, fournissant la preuve que l'Etat, loin de se désintéresser de Giat et de l'abandonner, lui offre un traitement comparable à celui des constructions navales.

Enfin, ce contrat constituerait un signe fort à l'égard des sous-traitants, partenaires et clients potentiels du groupe.

2. Des commandes pluriannuelles

En matière de munitions, Giat a également besoin de visibilité. Dans ce domaine, sauf événement exceptionnel, la commande peut être prévue avec un peu d'avance et les fluctuations sont assez minimes d'une année sur l'autre. La plupart des pays passent d'ailleurs des commandes sur plusieurs années, ce qui permet à leurs entrepreneurs nationaux d'organiser sereinement la production, dans les meilleures conditions économiques, avec le souci d'obtenir les coûts les plus faibles et de se positionner sur des créneaux à l'exportation.

De cette manière, de nombreux Etats (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Israël...) disposent d'une industrie de petits et moyens calibres qu'ils protègent sans vraiment faire jouer la concurrence sur des produits considérés comme stratégiques. L'Allemagne passe des commandes pluriannuelles sur dix ans, l'Australie sur vingt ans. En France, non seul progressivement du marché des petits calibres. Sur le long terme, notre pays se retrouve avec une société mise en difficulté par son principal client et unique actionnaire, qui lui demande par ailleurs de conserver un savoir-faire irréprochable sur le créneau des munitions spécifiques, comme celles qui arment le Rafale. La conservation des compétences est essentielle pour ces dernières, car elles sont plus difficiles à acquérir à l'étranger.

Confier à Giat le soin de développer les munitions les plus spécifiques, fabriquées en petites séries, tout en lui retirant certains marchés qui constituaient la base de sa production, est le plus sûr moyen de mettre en difficulté une entreprise à laquelle on ne peut pas demander de conserver un certain savoir-faire sur les technologies les plus pointues, de baisser ses prix, d'être financièrement équilibrée, tout en la privant d'une production qui lui permette de se rapprocher de son point d'équilibre.

Il faut évidemment demander à Giat de continuer à réduire ses coûts. Beaucoup a déjà été fait. En contrepartie, le ministère de la défense doit accepter de fournir une charge de travail stable et suffisante à l'entreprise pour que celle-ci conserve ses compétences sur les secteurs les plus techniques, et doit payer un peu plus cher les munitions de base.

Des commandes pluriannuelles, donnant une plus grande visibilité à la direction de l'entreprise, mais aussi aux Etats-majors des armées, doivent donc être envisagées, à l'instar de ce qui est pratiqué dans beaucoup de pays étrangers. L'Etat ne doit pas s'abriter derrière des arguties juridiques et derrière le principe d'annualité budgétaire, puisque des commandes groupées ou semi groupées existent déjà pour d'autres programmes.

3. Giat aurait besoin d'un plan d'investissement

Comme les précédentes, la recapitalisation que le Gouvernement s'apprête à effectuer ne servira qu'à remettre les fonds propres de l'entreprise au niveau de la moitié du capital social tel qu'il a été enregistré au 31 décembre 2000, ce qui laisse pendante la situation des finances de l'entreprise pour la période postérieure à cette date.

Pourtant, Giat aurait bien besoin d'investir dans de nouveaux outils industriels. Le manque d'investissements productifs, ces dernières années, est flagrant pour ceux qui ont visité les sites industriels et il résulte de la baisse inexorable du plan de charge et des perspectives de production. Par conséquent, de nombreux outils industriels n'ont pas été suffisamment renouvelés et certains sont désormais devenus obsolètes, même si les rapporteurs ont constaté que les outils nécessaires à la fabrication de produits phares comme le Leclerc sont à la pointe de la technique.

Deux autres plans nécessitent également de nouveaux investissements. D'une part, le volet humain implique le recrutement de nouveaux ingénieurs et techniciens susceptibles d'apporter un peu de « sang neuf ». En raison de l'inadéquation entre le plan de charge et les effectifs, le nombre des embauches a fortement été réduit ces dernières années, à l'exception de personnels intérimaires.

A. DES BASSINS D'EMPLOI TRÈS ÉPROUVÉS

Les bassins d'emploi des établissements de Giat Industries ont perdu au total plusieurs milliers d'emplois en une quinzaine d'années. Néanmoins, l'entreprise représente encore une part non négligeable de l'emploi industriel et des ressources fiscales des communes ou groupements de communes concernés.

1. Les précédents plans sociaux ont été douloureux

a) Plus de 11 000 emplois perdus sur 18 000 en douze ans

Le premier plan de baisse des effectifs a été mis en _uvre par l'ancienne direction des armements terrestres d'octobre 1987 à décembre 1990. Il visait à résorber un sureffectif évalué alors à 2 850 personnes. Il a ensuite été complété par un second plan relatif aux années 1991 et 1992, concernant un sureffectif de 1 200 agents. Le nombre total des départs enregistrés en application des mesures prises entre octobre 1987 et décembre 1992 est de 4 914 personnes, dont 2 746 au titre du premier plan et 2 168 au titre du second. Les conditions offertes aux salariés acceptant de partir expliquent que les résultats aient dépassé les prévisions.

Le plan de charge de l'entreprise ayant continué à baisser, un troisième plan a dû être mis en place. Ce fut le plan d'adaptation industrielle et sociale (PAIS), qui devait réduire les effectifs de 2 300 emplois supplémentaires entre 1993 et 1995. De 18 000 employés au cours des années 1990-1992, l'effectif de la société avait déjà été réduit à environ 12 000 salariés entre 1993 et 1996.

C'est en 1996 qu'a été mis en place le quatrième plan social, le plan de retour à l'équilibre (PRE), bien mal nommé au regard des résultats obtenus, qui a fait chuter les effectifs de 2 700 emplois supplémentaires en trois ans. Fin 1998, Giat ne comptait plus que 10 500 salariés environ.

Le cinquième plan social, le plan stratégique, économique et social (PSES) est mis en _uvre depuis 1998 et s'achèvera au 31 décembre 2002. Il avait pour objectif de faire diminuer les effectifs de 3 800 emplois, ces derniers passant de 10 500 à 6 700 en quatre ans. L'objectif sera légèrement dépassé, puisque le nombre de salariés de Giat Industries sera probablement inférieur à 6 400 à l'échéance prévue.

Depuis 1992, les plans sociaux qui se sont succédé ont été d'une intensité croissante : le PAIS a réduit les effectifs de 5 % en trois ans (1993-1995), le PRE de 15 % sur une même durée (1996-1998) et le PSES de 37 % sur quatre ans (1999-2002).

Le bassin d'emploi de Cusset-Vichy, d'essence industrielle, a été particulièrement affecté par les restructurations industrielles en général, et celles de Giat en particulier. Après le centre hospitalier (1 120 emplois) et la mairie de Vichy (720), Manurhin est la plus grande entreprise du bassin. En quelques années, cette filiale de Giat est passée de 2 500 à 400 salariés. Désormais, la moyenne d'âge des 300 ouvriers de l'établissement de Cusset atteint 49 ans et, dans cette catégorie, seuls 18 sont âgés de moins de 40 ans. Dans la catégorie intermédiaire des employés (44 personnes), un seul est âgé de moins de quarante ans...

2. Ce que représente Giat Industries aujourd'hui

Malgré la diminution constante de ses effectifs, Giat Industries, auquel il convient d'ajouter les sous-traitants, représente encore entre 3 % et 4 % de l'emploi total dans les bassins d'emploi de Bourges, Tulle et Roanne. Si on considère la part des emplois directs et induits liés à la présence de Giat sur l'ensemble de l'emploi industriel, la proportion est encore plus importante : 9,5 % à Tulle, 8,1 % à Tarbes, 7,8 % à Bourges-La Chapelle, 7 % à Cusset. Avec le site de Tarbes, Giat est le deuxième employeur du département des Hautes-Pyrénées.

Le poids de Giat dans les bassins d'emploi où le groupe est implanté

Bourges / La Chapelle

Cusset

Tulle

Roanne

Toulouse

Tarbes

Saint-Chamond

Effectifs au 30/06/2002

1 177

646

448

1 348

453

926

725

Emplois liés à la sous-traitance

81

55

50

90

140

55

52

Total des emplois directs induits

1 975

793

841

2 013

797

1 379

1 165

Part des emplois sur la population active

3,2 %

2,7 %

3,6 %

3,5 %

0,2 %

1,6 %

0,7 %

Part des emplois sur l'emploi industriel

7,8 %

7 %

9,5 %

6,6 %

0,8 %

8,1 %

1,7 %

Le poids de Giat Industries dans les ressources fiscales est également fondamental pour certaines villes, notamment pour celles qui n'appartiennent pas à une communauté d'agglomération. Giat représente ainsi près du tiers de la taxe professionnelle de la ville de Tulle et 7,7 % des recettes totales de cette cité. Le fait d'appartenir à une communauté de communes permet de relativiser l'apport de Giat dans les ressources locales. Malgré cela, le groupe représente encore 16,3 % de la taxe professionnelle de la communauté d'agglomération de Tarbes et 12,6 % des ressources totales de cette collectivité.

A Roanne, le poids de Giat est à peine plus faible : 13,4 % des ressources de la communauté en matière de taxe professionnelle et 7,7 % de la totalité des ressources. Le fait pour Saint-Chamond d'appartenir à la vaste communauté d'agglomération de Saint-Étienne permet de relativiser le poids local de Giat Industries en matière de ressources fiscales.

Le poids fiscal de Giat dans les collectivités où le groupe est implanté

(en milliers d'euros)

Bourges

Cusset

Tulle

Roanne

Toulouse

Tarbes

Saint-Chamond

Versailles

Taxe professionnelle (TP) compensée

dont perçue par la ville ou la communauté d'agglomération

3 942

2 367

2 856

1 502

3 364

1 771

5 729

3 327

2 125

1 113

6 603

3 212

3 270

1 903

4 004

1 935

TP Giat par rapport aux recettes de TP de la ville

12,3 %

-

30 %

-

-

-

-

20,6 %

TP Giat / par rapport aux recettes TP de la communauté d'agglomération

-

8,6 %

13,4 %

0,43 %

16,3 %

1,6 %

-

TP Giat par rapport aux recettes totales de la ville

2,6 %

-

7,7 %

-

-

-

-

2,1 %

TP Giat par rapport aux recettes totales de la communauté d'agglomération

-

5,4 %

7,7 %

0,3 %

12,6 %

1,4 %

-

La fermeture totale de certains sites, qui sont pour la plupart localisés dans des bassins d'emploi en difficulté, poserait des problèmes sociaux difficiles à surmonter. Le bassin d'emploi de Cusset, par exemple, a perdu 4 500 emplois industriels au cours de ces dernières années et compte près de 4 000 chômeurs, ce qui représente le plus fort taux du département de l'Allier. Aux 400 salariés encore employés par Manurhin, viennent s'ajouter près d'un millier d'emplois induits liés à la sous-traitance. Ces données devront être prises en compte si de nouvelles adaptations devaient être envisagées.

3. Le caractère irrémédiable de certaines mesures

Giat Industries est le dernier formateur de pyrotechniciens en France. Abandonner un tel créneau aboutirait à une perte de savoir-faire quasiment irréversible, dans la mesure où une telle formation, en raison de la nature même du domaine concerné et des questions de sécurité, peut s'étaler sur une dizaine d'années.

La fermeture d'une usine pyrotechnique ne serait pas irrémédiable seulement pour la formation. Une telle structure serait tout simplement impossible à rouvrir ultérieurement pour des raisons tenant à la réglementation en vigueur dans ce domaine et aux réactions des riverains qu'elle ne manquerait pas de susciter. Par ailleurs, pour des raisons techniques, le déménagement d'un site pyrotechnique est difficilement envisageable ; il devient impossible si les personnels compétents refusent de déménager pour suivre la production, ce à quoi personne ne peut les contraindre.

De plus, pour des raisons de sécurité, il est difficile de maintenir ouvert un site pyrotechnique en-deçà d'un certain seuil d'activité.

Toute compétence perdue dans le domaine pyrotechnique, plus encore que dans les autres, le sera définitivement pour le pays, car les professionnels dans ce domaine sont extrêmement rares sur le marché. Si certains établissements pyrotechniques doivent fermer, sommes-nous sûrs de pouvoir encore approvisionner le Rafale en munitions ? Quelles que soient les évolutions nécessaires ou souhaitables qui devront être mises en _uvre, il conviendra de veiller à ne pas dépasser certaines limites, sous peine de rendre toute réforme inopérante en raison des pertes de savoir-faire qui auront été engendrées et qui pourraient hypothéquer l'avenir de l'entreprise et mettre en cause l'autonomie de notre industrie de défense.

B. UN VÉRITABLE PROBLÈME HUMAIN

L'objet de ce rapport n'est pas de préconiser telle ou telle mesure de restructuration, mais il ne serait guère honnête de ne pas prendre en considération le fait que des mesures nouvelles sont à l'étude et ne font guère de doute. Dans le cas où, effectivement, de nouvelles restructurations viendraient à être décidées, les rapporteurs n'ont pas compétence pour les apprécier. En revanche, il leur appartient de mettre fortement l'accent sur la nécessité d'un traitement social adapté, prenant en compte les réalités de chacun des bassins d'emploi essentiellement composé de civils ? De la même façon, ne peut-on renforcer les brigades de gendarmerie en personnels formés aux tâches administratives, d'accueil ou de permanence, libérant ainsi les gendarmes pour leurs missions d'ordre public ? Même si l'arrivée de ces salariés suppose probablement une certaine réorganisation, la gendarmerie présente l'avantage d'être bien répartie sur l'ensemble du territoire national.

Ces mesures nécessiteront peut-être de la part du ministère des finances l'ouverture de quelques crédits supplémentaires, mais elles ne seront pas plus onéreuses que les mesures d'âge, qui peuvent coûter jusqu'à 200 000 euros pour un ouvrier sous décret.

Dans le même ordre d'idées, il doit être possible de redéployer un certain nombre d'employés qui pourraient servir au sein de certains corps de sapeurs-pompiers qui manquent de personnels professionnels pour assurer le soutien des matériels et les permanences opérationnelles ou auprès de la sécurité civile, ainsi que dans les services techniques des hôpitaux. Les collectivités locales devraient également apporter leur contribution et embaucher des « anciens » de Giat. Les éventuelles réductions d'effectifs nécessiteront un traitement souple et adapté, chaque cas devant être examiné avec attention.

Rester dans le giron de l'Etat, pour un ouvrier sous décret, signifie être recruté par une administration sur un poste budgétaire vacant. Le ministère de la défense ouvre certes quelques perspectives, mais elles ne seront certainement pas suffisantes. Certains accepteraient sans doute de quitter le domaine de la défense pour rester dans leur bassin d'emploi. Les préfectures, les directions départementales de l'équipement, le ministère de l'agriculture, les lycées professionnels peuvent présenter des possibilités pour un éventuel reclassement. Cependant, le niveau des rémunérations variant d'une administration à l'autre, les différences de salaires peuvent perturber les relations sociales au sein d'un service, notamment lorsqu'un ancien OSD de Giat est mieux rémunéré que son supérieur hiérarchique. Des cas ont déjà été observés.

b) Faut-il se priver des mesures d'âge ?

Enfin, il faut bien aborder la délicate question des mesures d'âge. Certes, les rapporteurs ont pu mesurer les inconvénients de ce dispositif en termes de démotivation, de pertes de compétences pour l'entreprise et de coût. Néanmoins, dans la mesure où une nouvelle diminution d'effectifs pourrait être envisagée, les mesures d'âge apparaissent comme un dispositif dont on ne pourra peut-être pas se priver, d'autant plus que de nombreux membres du personnel qui sont entrés dans l'entreprise vers l'âge de quatorze ans comptent pratiquement quarante années de travail effectif.

Convenons que les mesures d'âge figurent parmi les outils les moins douloureux. Elles peuvent être assouplies, en ciblant les bénéficiaires afin de mieux permettre le maintien ou la transmission de certaines compétences.

En tout Etat de cause, l'accompagnement social devra être à la hauteur des décisions de restructuration qui pourront ê 160;Industries : d'une part, recréer au moins autant d'emplois que le groupe est amené à en supprimer et, d'autre part, favoriser la reconversion de l'immobilier délaissé par le groupe dans une perspective de développement local.

Dans les dix bassins d'emploi concernés par les restructurations de Giat depuis 1994 (Bourges, Cusset, Le Mans, Rennes, Roanne, Saint-Chamond, Saint-Étienne, Salbris, Tarbes, Tulle), plus de 43 millions d'euros ont été investis dans les entreprises. 400 sociétés ont été aidées, dont une vingtaine dans le cadre de leur implantation. La SOFRED estime à plus de 6 800 le nombre d'emplois qu'elle a contribué à créer, précisant qu'une centaine de postes sont accessibles en permanence aux salariés de Giat Industries.

Synthèse de l'activité de la Sofred au titre du PSES (1999 - 2002)

Bourges

Cusset

Le Mans

Rennes

Roanne

Saint-Étienne

Salbris

Tarbes

Tulle

Satory

Total

ACTIVITÉ

Conventions entreprise

39

15

4

1

30

43

14

39

26

0

211

Conventions essaimage

8

2

1

5

15

9

1

6

10

7

64

EMPLOI

Emplois programmés au titre de 1999 à 2002

1 123

336

376

276

746

1 261

289

749

579

6

5 740

Emplois créés nets au titre de 1999 à 2002

302

214

303

18

213

625

145

386

283

5

2 494

Emplois restant à créer au titre de 1999 à 2002

771

93

100

65

341

387

94

403

279

0

2 533

FINANCIER

Engagements depuis le 01/01/99 (1) (Production nette cumulée)

4 906

2 040

808

233

5 134

4 717

1 453

3 982

2 756

103

26 133

Versements au titre de 1999 à 2002 (1)

2 982

1 786

808

172

3 068

3 712

1 181

2 127

1 905

103

17 844

Recouvrements au 31/08/02 (1) au titre de 1999 à 2002

607

367

305

42

660

1 247

331

677

586

30

4 853

(1) en milliers d'euros

Toutefois, créer autant d'emplois que Giat Industries en supprime ne signifie pas que les salariés de Giat sont repris sur les postes en question. L'expérience montre, en effet, qu'en raison des différences de métier et de qualification, seuls 10 % à 15 % des salariés quittant Giat intègrent ces nouveaux emplois. Mais l'action de la SOFRED contribue à redynamiser de façon globale les bassins d'emploi en difficulté.

Les rapporteurs ont été conduits à rencontrer les élus nationaux ou locaux qui en avaient exprimé le v_u dans chacun des sites de Giat qu'ils ont visité. La liste de ces auditions figure en fin de rapport.

Bien que les situations ne soient pas toujours comparables, il importe de souligner le souci commun exprimé par les élus concernés d'une pérennisation des activités industrielles dans tous les établissements de Giat.

Chacun des interlocuteurs s'est attaché à faire valoir les atouts de son bassin d'emploi, les savoir-faire des salariés, les perspectives de développement, l'importance du poids économique et social du site local de Giat et les conséquences d'une réduction de son format.

Il a unanimement été demandé aux rapporteurs de mettre en avant l'importance de mesure de compensation en cas de déflation des effectifs ou de contraction des activités.

Les mesures d'accompagnement social ont été considérées comme des priorités majeures compte tenu des difficultés de reclassement.

C. DES COMPENSATIONS EN MATIÈRE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Au-delà des problèmes individuels, les collectivités locales les plus atteintes par la réduction régulière des effectifs de Giat Industries attendent des mesures d'aménagement du territoire, notamment en matière de délocalisation. Dans cette perspective, certains ont évoqué le rapprochement, au moins partiel, du siège de Satory et des unités de production.

1. Les collectivités attendent des délocalisations

Attirer des entreprises, créer des emplois et réhabiliter des friches industrielles réclament beaucoup de moyens, difficiles à mobiliser, surtout pour des collectivités locales qui risquent de voir leur taxe professionnelle diminuer si les effectifs de Giat continuent à décroître.

Les élus que les rapporteurs ont rencontrés au cours de leurs déplacements ont tous évoqué la nécessité pour les collectivités concernées d'obtenir des compensations pouvant légitimement s'inscrire dans un souci d'aménagement du territoire.

Le département de la Loire, par exemple, est l'un des plus affectés, avec le site de Saint-Étienne, qui a déjà perdu beaucoup d'emplois et ceux de Roanne et Saint-Chamond, dont les effectifs ont régulièrement décru. Or, la Loire est déjà le département dont le potentiel fiscal est le plus faible au sein de la région Rhône-Alpes.

A l'opposé, certains bassins d'emploi risquent de souffrir cruellement, en raison notamment de la fin de la production du char Leclerc. Á un moment où il pourrait être demandé à certains salariés de faire preuve de mobilité professionnelle et géographique pour s'adapter à l'évolution de la société ou pour trouver un emploi dans une autre entreprise, les rapporteurs estiment qu'il serait souhaitable de proposer qu'une partie au moins des activités basées à Satory soit transférée dans le département de la Loire. Outre l'exemple en matière de mobilité qui serait donné à l'ensemble des salariés, ce déplacement permettrait à une direction trop souvent accusée de centralisation de se retrouver au plus près des centres de production.

On objectera probablement la nécessité, pour une partie de la direction, de conserver un contact étroit avec les services centraux du ministère de la défense et notamment la délégation générale pour l'armement. C'est pourquoi il n'est pas suggéré un transfert complet de la direction, mais l'expérience a montré que certains services pouvaient trouver de l'intérêt à se rapprocher de leur site de production. Ainsi, en 1996, la division des systèmes d'armes et de munitions (DSAM) s'est installée à Bourges. Si un certain nombre de cadres fut réticent à déménager lors de ce transfert, la DSAM a enregistré une amélioration de ses résultats. Celle-ci est certainement due à un ensemble de facteurs, mais le regroupement réalisé n'a pu qu'améliorer la cohérence de l'ensemble.

Pourquoi ne pas renouveler cette opération avec tout ou partie de la division des systèmes blindés qui est toujours installée à Satory, alors que le principal site de production de blindés est implanté à Roanne ? Il semble logique de faire une telle proposition de nature à permettre aux ingénieurs et techniciens d'être au contact des chaînes de fabrication et d'améliorer ainsi une réactivité qui, nous l'avons vu, est l'un des points faibles de Giat. Le site de Roanne, qui a paru particulièrement moderne aux rapporteurs, est suffisamment vaste pour accueillir les personnels de la direction en question et une telle délocalisation aurait en outre l'intérêt d'apporter au bassin d'emploi de la Loire une relative compensation si des postes devaient être supprimés sur les chaînes d'assemblage.

De telles délocalisations ne doivent pas se limiter à l'activité blindée. Les emplois de direction qui pourraient être rapprochés des sites de production contribueraient à réduire la centralisation tant décriée de l'entreprise et à améliorer la cohésion du groupe à un moment crucial. Giat dispose dans ses implantations de province de suffisamment de surface pour mettre en place une telle politique alors que, comme la récente vente de terrains à la société Bouygues Immobilier vient de le démontrer, la cession d'une partie des immenses parcelles sur lesquelles la direction est installée à Satory peut s'avérer financièrement intéressante.

CONCLUSION

L'histoire de Giat Industries est in rencontrés sur leurs sites par les rapporteurs, expriment un sentiment de relatif abandon suscité par l'attention prioritaire qui semble avoir été accordée à l'aéronautique et à l'espace, à l'électronique de défense et, enfin, aux industries navales, au détriment de l'industrie d'armement terrestre.

Cette impression de désintérêt, que certains interprètent comme une résignation face à un déclin fatal, est vécue comme d'autant plus injuste qu'à l'instar des armées, qui sont toujours citées en exemple pour la formidable mutation qu'elles ont accomplie en quelques années, Giat a également effectué une quasi révolution en une décennie : les effectifs ont chuté d'environ 18 000, au début des années 90 à un peu moins de 6 400 en décembre 2002. Parallèlement, grâce à des modifications dans les habitudes de travail, la productivité a augmenté, certains délais de fabrication ont été sensiblement réduits et le « pas de l'arsenal » s'est accéléré...

En même temps, l'entreprise a su conserver son savoir-faire, proposer des produits d'excellente qualité tels que le Leclerc ou le Caesar, et développer des activités civiles : éléments de trains d'atterrissage, protection NBC, airbags, pièces de TGV et d'automobiles... L'entreprise a continué à faire de la recherche et s'est vu décerner deux prix Zernow en quatre ans ; elle a réussi à améliorer la qualité de ses prestations, obtenant la norme ISO 9001-2000. Enfin, elle propose pour l'avenir des produits prometteurs comme le VBCI, le système de navigation SIT et des munitions très évoluées.

L'image déplorable et injuste de Giat auprès du public et de trop nombreux décideurs politiques provient du fait que, malgré cette évolution, le groupe est demeuré en sureffectif structurel sur son c_ur de métier et déficitaire au point de nécessiter des recapitalisations considérables et régulières. Si la société a indéniablement commis des erreurs de gestion condamnables, reconnaissons que les pouvoirs publics ont confié à Giat une mission quasiment impossible en lui fixant des objectifs industriels et financiers rigoureux tout en le privant de la liberté indispensable à un réel management entreprenarial. Dès lors, les plans sociaux, qui visaient un retour à l'équilibre, ne pouvaient aboutir au résultat escompté, dans la mesure où Giat n'avait pas une entière liberté d'action, mais était contraint de remplir à la fois un rôle social et d'aménagement du territoire qui ne correspondait pas à une logique industrielle. N'oublions pas l'exemple révélateur du canon du Leclerc, fabriqué à Bourges, intégré à la tourelle à Tarbes, monté sur le char à Roanne, retournant à Bourges effectuer un tir d'essai avant de revenir à Roanne...

Les rapporteurs réaffirment qu'il est primordial pour la France de conserver une industrie performante de l'armement terrestre qui corresponde au rôle qu'elle entend jouer sur la scène internationale. Les décisions qui ne manqueront pas d'être prises constitueront probablement la dernière chance en la matière.

La France doit sauvegarder Giat Industries entreprise publique. Si Giat n'a jamais pu s'allier à un autre partenaire industriel de manière durable et structurelle, c'est aussi parce qu'aucun n'a voulu prendre le risque de lier son destin à une entreprise en grande partie privée de sa liberté d'action et entravée par des exigences qu'il n'est pas excessif de qualifier de politiques.

La France a aussi le devoir de rendre Giat rentable et compétitif pour qu'il s'impose dans le jeu des alliances industrielles au plan national et en Europe, dont il ne pourra se tenir à l'écart. Giat a une vocation de « systémier-intégrateur » pour les matériels terrestres, ce qui doit le conduire à conserver sa cohérence structurelle ainsi que la diversité de ses savoir-faire et de ses expériences. Le périmètre et l'organisation interne de l'entreprise au terme de son évolution seront à cet égard décisifs pour l'avenir.

L'Etat, que l'on a identifié dans un triple rôle d'actionnaire négligent, de prescripteur incohérent et de client exigeant et parfois versatile, doit désormais clarifier sa position pour permettre une réelle définition des responsabilités et donner enfin sa chance au groupe.

Les salariés, légitimement fiers du savoir-faire technique de leur entreprise, ont désormais hâte d'être fixés sur l'avenir.

L'efficacité opérationnelle de nos forces armées, étroitement dépendante de l'outil de production industrielle, commande des décisions responsables.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de MM. Yves Fromion et Jean Diébold sur la situation de Giat Industries, au cours de sa réunion du mardi 17 décembre 2002.

Un débat a suivi l'exposé des rapporteurs.

Le président Guy Teissier a observé que les rapporteurs avaient abordé un problème délicat qui, au-delà de ses aspects techniques, comporte une dimension humaine importante. À l'occasion d'un déplacement à Bourges, le 5 décembre 2002, une délégation de la commission a pu découvrir l'excellence des compétences et des capacités de recherche de Giat Industries, par contraste avec l'image vieillotte qui est souvent associée aux entreprises publiques. Ce constat justifie les propositions des rapporteurs pour sortir cette société de l'ornière : conserver au groupe une vocation de généraliste est notamment important. En revanche, développer la stratégie de diversification est peut-être plus discutable. Chacun s'accorde sur l'existence de sureffectifs importants, mais la diversité et la rigidité des statuts des personnels rendent la détermination de solutions très difficile.

Tout en estimant que l'analyse des rapporteurs sur la situation de Giat Industries était remarquable, M. René Galy-Dejean a fait valoir qu'il en tirait des conclusions différentes. Le bilan de l'entreprise est aujourd'hui accablant. Dans la logique d'une coopération européenne plus étroite dans le domaine de la défense, ne pourrait-on pas envisager, par exemple, que la France fasse l'acquisition de chars allemands, qui ont récemment ét&eacu précisé que Krauss Maffei Wegmann n'avait pas encore obtenu le marché de renouvellement des chars lourds de l'armée turque. Quant au marché grec, il a certes été conclu grâce à un différentiel de prix de 15 %, à l'avantage de la société allemande, mais, depuis le mois de mars, des difficultés sont survenues en raison d'une majoration de 15 à 20 % de la facture par la partie allemande. Giat est tout à fait capable de s'aligner sur les conditions du marché.

Le bilan est effectivement accablant, mais surtout pour ceux qui n'ont pas assumé leurs responsabilités afin d'assurer la bonne marche de Giat Industries, ce qui met globalement en cause l'Etat, et ce dès la création de la société en 1990. La situation actuelle de l'entreprise résulte de la conjonction du bouleversement géostratégique qu'a représenté l'effondrement du bloc soviétique à la fin des années quatre-vingts avec l'immobilisme des pouvoirs publics : ceux-ci n'ont pas rationalisé les arsenaux de l'armement terrestre alors que, dans le même temps, les autres pays européens ont engagé les entreprises du secteur sur la voie des ajustements indispensables. Il faut donc assumer les conséquences du passé et esquisser des solutions permettant la pérennisation de l'entreprise dans les meilleures conditions possibles. En outre, une fermeture pure et simple des établissements de Giat Industries n'est pas envisageable, car la majorité des équipements de l'armée de terre a été produite par cette entreprise nationale et doit être entretenue au cours des vingt ou trente prochaines années. Il convient donc de préserver les savoir-faire nationaux en la matière. À cet égard, l'entretien des C 130 par la société portugaise Ogma constitue un contre-exemple révélateur, compte tenu de ses conséquences sur la disponibilité des matériels.

Giat représente une page de l'histoire industrielle et militaire de la France. Il n'est pas question de déposer le bilan.

M. Gérard Charasse a souligné le caractère mesuré et responsable des propositions des rapporteurs. Il s'agit de problèmes sociaux graves que l'on ne peut pas résoudre en recourant à des licenciements massifs, surtout dans des bassins d'emploi connaissant déjà une situation très difficile. Il faut également prendre en compte les nécessités de la défense nationale : la France ne peut pas décider de se passer d'une industrie indépendante d'armement terrestre. Ce serait contraire à son histoire, à ses traditions, à ses intérêts et à la volonté de construire une défense européenne, laquelle suppose que la France apporte ses compétences propres. Il est nécessaire de rationaliser le secteur industriel de l'armement terrestre. La situation actuelle résulte avant tout des atermoiements de l'Etat qui n'a pas su trancher entre ses fonctions d'Etat-employeur, d'Etat-client et d'Etat-providence. Des décisions politiques, financières et sociales importantes doivent intervenir prochainement et l'on ne peut pas se désintéresser du sort des salariés, qu'ils soient ouvriers d'Etat ou sous contrat. Il faut tenir compte des nécessités du maintien d'une activité importante sur les sites de Giat, pour répondre aux exigences de l'aménagement du territoire.

M. Yves Fromion, rapporteur responsabilité dans la situation actuelle, il faut cependant conserver une industrie nationale d'armement terrestre. A l'issue du plan stratégique, économique et social (PSES), les effectifs des établissements de Tarbes sont passés de 4 000 à 850 salariés et une réduction supplémentaire empêcherait l'établissement de fonctionner dans de bonnes conditions. Les mesures d'âge ont entraîné des pertes de compétences que l'externalisation de l'entretien des infrastructures et des machines ne permet pas de pallier.

M. François Rochebloine a estimé que la visite effectuée par les rapporteurs auprès du site de Saint-Chamond avait permis des échanges fructueux avec l'ensemble des acteurs. La situation des établissements de Giat constitue un véritable problème humain touchant des régions particulièrement affectées par le chômage, telles que celle de Saint-Chamond. Les difficultés actuelles trouvent leur source dans l'incohérence des décisions des gouvernements successifs, qui n'ont pas respecté les commandes et les autorisations de programme prévues. Dans le domaine du maintien en condition opérationnelle, l'accroissement de l'implication de Giat suppose une clarification des relations avec la DCMAT. Les retards concernant les spécifications du VBCI sont le fait de la délégation générale pour l'armement ainsi que de l'armée de terre, et pas seulement de Giat. Ce dernier détient de grandes capacités technologiques. Il est possible de s'interroger sur le refus de Giat de s'engager dans une diversification accrue, ainsi qu'avait pu le lui proposer la présidente de la région Rhône-Alpes dans le domaine de la fabrication de locomotives. La coexistence de trois statuts différents pour le personnel de Giat - fonctionnaires, ouvriers d'Etat et personnels sous convention collective - rend la politique de reclassement plus difficile.

M. Jean Diébold, rapporteur, a souligné que la question sociale était effectivement au c_ur du traitement de la situation de Giat Industries. Par ailleurs, assurer l'entretien des équipements qu'elle produit fait partie des compétences logiques de toute entreprise ; une clarification doit intervenir dans le domaine de la maintenance. Enfin, la confiance des rapporteurs dans l'avenir de Giat Industries se fonde sur la constatation qu'ils ont pu faire dans l'ensemble des sites qu'ils ont visités : lorsqu'une démarche industrielle a été mise en place, les sites ont acquis la capacité de concevoir, de fabriquer et d'entretenir des équipements à des coûts compétitifs avec ceux des sociétés concurrentes, dans le domaine militaire, mais aussi civil.

M. Axel Poniatowski a fait part de son pessimisme sur l'avenir de Giat Industries si les décisions à prendre pour ce groupe doivent se limiter au cadre dessiné par les conclusions présentées par les rapporteurs. Le marché sur lequel intervient Giat Industries, s'il est en décroissance, permet cependant la viabilité des sociétés du secteur ; en revanche, le mode de gestion actuel de Giat Industries rend cette société structurellement déficitaire. D'autres aspects doivent être abordés, notamment en matière de sites et d'alliances industrielles. Giat Industries doit-il conserver dix établissements de production ? L'entreprise ne pourrait-elle pas conclure des alliances, notamment avec des partenaires européens  ANNEXE

LISTE DES DÉPLACEMENTS ET DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA MISSION D'INFORMATION

5 novembre 2002 : audition de M. Jean-Pierre Aubert, délégué interministériel aux restructurations de défense ;

6 novembre 2002 : audition du général Renucci, directeur central du matériel de l'armée de terre ;

6 novembre 2002 : audition de M. Jacques Texier, président du Gicat ;

7 novembre 2002 : audition de M. Yves Gleizes, délégué général pour l'armement ;

12 novembre 2002 : déplacement à Satory et rencontre avec M. Luc Vigneron, PDG de Giat Industries ;

14 novembre 2002 : audition à l'Assemblée nationale des représentants nationaux du personnel de Giat Industries : secrétaire du comité central d'entreprise, président de la commission économique du comité central d'entreprise, représentants des syndicats CFDT, CFE/CGC, CGT, FO et CFTC (le 20 novembre pour ce dernier syndicat) ;

15 novembre 2002 : audition de Mme Evelyne Ratte, secrétaire générale pour l'administration du ministère de la défense ;

18 et 19 novembre 2002 : déplacement à Saint-Étienne et sur les sites Giat de Saint-Chamond et de Roanne. A Saint-Chamond et Roanne, visite des sites des établissements industriels, rencontres avec les équipes de direction, les salariés et les représentants locaux du personnel ;

21 novembre 2002 : déplacement sur les sites Giat de Bourges et de La Chapelle Saint-Ursin. Visite des établissements industriels, rencontre avec les équipes de direction, les salalriés et les représentants locaux du personnel.

22 novembre 2002 : déplacement à Gien auprès d'un établissement du matériel de l'armée de terre. Rencontre avec le colonel Ovaere et le lieutenant-colonel Gaulin, visite des ateliers ;

26 novembre 2002 : audition de M. Jean-Michel Demangeat, directeur de la SOFRED ;

26 novembre 2002 : audition de M. Luc Rémond, conseiller technique du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

27 novembre 2002 : audition du général Joly, chef de la division études, planification et finances de l'Etat-major de l'armée de terre ;

28 novembre 2002 : audition de M. Jean-Patrick Baillet, directeur du soutien logistique de Giat en présence du colonel Laroyenne et du lieutenant-colonel Gaulin de la direction centrale des matériels de l'armée de terre ;

29 novembre 2002 : déplacement auprès des sites Giat de Tarbes et Toulouse. Visite des établissements industriels, rencontre avec les équipes de direction, les salariés et les représentants locaux du personnel ;

4 décembre 2002 : déplacement auprès du site Giat de Cusset. Visite des établissements industriels (Cusset et Bellerive-sur-Allier), rencontre avec les équipes de direction, l député et président du conseil général de la Loire ; M. François Rochebloine, député de la Loire ; M. Yves Nicolin, député de la Loire ; M. Jean Glavany, député des Hautes-Pyrénées ; M. François-Xavier Brunet, premier adjoint au maire de Tarbes ; M. Gérard Charasse, député de l'Allier ; M. Jean-Pierre Dupont, député et président du conseil général de la Corrèze et M. Georges Mouly, sénateur de Corrèze.

 

N° 0474 - Rapport d'information sur la situation de Giat Industries (M. Yves Fromion)