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N° 1091

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 septembre 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule

et prÉsentÉ

par M. Denis JACQUAT,

Député.

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TOME I

(2ème partie : auditions)

Santé et protection sociale.

DEBUT DES AUDITIONS

I - Audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

II. Audition de M. Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières

III. Audition du Dr Patrick Brasseur, président de SOS Médecins Paris, du Dr Patrick Guérin, secrétaire général de SOS Médecins Nantes, du Dr Pierre Maurice, secrétaire général de SOS Médecins France, et du Dr Serge Smadja, vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris

V.  Audition de M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et de M. Claude Périnel, directeur national de l'action sociale

VIII. Audition de M. Jean-Pierre Besancenot, faculté de médecine de Dijon et de M. Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de Marseille

SUITE DES AUDITIONS

IX. Audition de M. William Livingstone, président de Convergence infirmières, M. François Izard, président de la Coordination nationale des infirmiers, M. Pierre Bertaud, membre de la Coordination nationale des infirmiers, Président de la coordination locale pour la région Poitou-Charentes, Mme Nadine Hesnard, présidente de la Fédération nationale des infirmiers, Mme Marie-Noëlle Decalf et M. Thierry Betin, membres du bureau national de la Fédération nationale des infirmiers 55

xi. Audition de Mme Danièle Dumas, présidente nationale de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR), de Mme Chantal Meyer, secrétaire générale de l'UNADMR, et de Mme Frédérique Dechers, directrice des ressources humaines et de la communication à l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD). 2525

xii. Audition de M. Jean-Louis Segura, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Bourgogne et de M. Philippe Ritter, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France 3535

XIII. Audition de M. William Dab, directeur général de la santé 4343

XIV Audition de M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière, de Mme Annie Msellati, membre du Syndicat des psychiatres de secteur et de M. Alec Bizien, secrétaire national du Syndicat de gérontologie clinique 5151

XV. Audition du Pr Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé 5959

XVI. Audition de M. Gilbert Gentilini, président de la Croix-Rouge, et de M. Gilbert Abergel, directeur délégué à la direction des établissements et de la formation de la Croix-Rouge 7373

XVII. Audition de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, de M. Bernard Rousset, secrétaire général des Hospices civils de Lyon, et de M. Guy Vallet, directeur de l'Assistance publique de Marseille. 8181

XVIII. Audition de M. Pascal Champvert (ADEHPA), de Mme Françoise Toursière (FNADEPA), de MM. Luc Broussy et Théodore Amarantinis (SYNERPA), de M. David Causse (FHF), de M. Georges Riffard et Mme Isabelle Desgoute (FEHAP) et de M. Alain Villez (UNIOPSS) 9393

XX. Audition de M. Édouard Couty, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. 123123

suite des auditions

XXI. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, VICE- PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE

XXII. AUDITION DE M. CLAUDE RÉGI, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES MÉDECINS DE FRANCE (FMF), DE M. MICHEL CHASSANG, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS MÉDICAUX FRANÇAIS (CSMF), DE M. PIERRE COSTES, PRÉSIDENT DE MÉDECINS GÉNÉRALISTES DE FRANCE (MG FRANCE) ET DE M. MARTIAL OLIVIER-KOEHRET, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE MG FRANCE

XXXIII. Audition de M. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civils, de M. Régis Guyot, adjoint pour la défense civile, et de M. Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises 257257

 

 

 

 

IX. Audition de M. William Livingstone, président de Convergence infirmières, M. François Izard, président de la Coordination nationale des infirmiers, M. Pierre Bertaud, membre de la Coordination nationale des infirmiers, Président de la coordination locale pour la région Poitou-Charentes, Mme Nadine Hesnard, présidente de la Fédération nationale des infirmiers, Mme Marie-Noëlle Decalf et M. Thierry Betin, membres du bureau national de la Fédération nationale des infirmiers

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Mesdames et messieurs, merci d'être venus. Je tiens à vous indiquer que, dans le cadre de cette mission, qui comprend onze parlementaires, le but est d'écouter un maximum de personnes. Elle sera très probablement suivie par une commission d'enquête, je plaiderai pour. D'une part, l'objectif est qu'il y ait pendant les vacances et avant la session parlementaire, quelque chose à l'Assemblée nationale. Il aurait été indécent qu'il n'y eût rien. D'autre part, nous voulons aussi profiter de deux projet de lois : celui sur la santé publique qui doit être discuté au début du mois d'octobre, et celui sur le financement de la sécurité sociale qui sera débattu en séance publique fin octobre. Il serait utile, à l'occasion de cette mission d'information, de parvenir à dégager déjà des pistes susceptibles d'aboutir à des amendements que l'on puisse discuter à ce moment-là. Il ne faut pas aller trop vite, mais il ne faut pas non plus ne rien faire.

M. François Izard - Voilà. On ne touche donc pas au secteur libéral.

M. William Livingstone, président de Convergence infirmière - Je suis le président de Convergence infirmière qui représente les infirmières libérales, syndicat représentatif et signataire des conventions. Donc exclusivement le secteur libéral.

Mme Nadine Hesnard, présidente de la Fédération nationale des infirmiers - Je suis la présidente de la Fédération nationale des infirmiers, syndicat représentatif non signataire de la convention. Nous ne représentons que les infirmières libérales.

M. Thierry Betin, membre de la Fédération nationale des infirmiers - Je suis infirmier et représentant de la Fédération nationale des infirmiers.

Mme Marie-Noëlle Decalf, membre de la Fédération nationale des infirmiers - Infirmière libérale, du même syndicat.

M. Pierre Bertaud, membre de la Coordination nationale des infirmiers - Je suis membre de la Coordination nationale des infirmiers. Je travaille à Poitiers.

M. le président de la mission d'information - Avez une fonction particulière au sein de la coordination ?

M. Pierre Bertaud - Représentant de la région Poitou-Charentes.

M. le président de la mission d'information - J'ai quatre questions à vous poser.

Premièrement : comment avez-vous vécu cette crise, et à quel moment avez-vous pris conscience de sa gravité ?

Deuxièmement : avez-vous dû faire face à un problème de moyens humains ? Vous semble-t-il y avoir eu des défaillances dans l'organisation ?

Troisièmement : quel est le profil des victimes que vous avez pu rencontrer ? Sont-elles mortes alors qu'elles étaient à leur domicile ou en maison de retraite ? Chacun peut répondre en fonction de son domaine de compétences.

Quatrièmement : que doit-on faire selon vous pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

Je vous rappelle qu'on fait de la politique sociale et de la politique tout court ; vous avez le droit de critiquer le système en place. Nous sommes là justement pour écouter, analyser et tirer des conclusions.

M. Jean-Marie Rolland - Je pensais demander notamment aux représentants des syndicats d'infirmiers libéraux s'ils avaient ressenti une absence inhabituelle du secteur libéral cett patients et faire tomber ainsi leur température. On demandait beaucoup de boissons, de l'eau minérale, etc., pour les faire boire. Enfin on demandait pas mal de choses. Et on n'a pas du tout été écoutés.

Ensuite, il y a eu la crise au mois d'août. Là, en revanche, tout le monde s'est réveillé pour acheter les ventilateurs. Le problème, c'est qu'il y avait rupture de stock partout et qu'une grosse partie de nos hôpitaux n'ont pas pu s'approvisionner. Les décès ont continué.

M. le président de la mission d'information - Ce que vous nous indiquez est-il valable pour les trois secteurs que vous représentez ?

M. François Izard - C'est valable pour les établissements sanitaires, les maisons de retraite, les hôpitaux publics dotés de services de long séjour et de gériatrie.

Quant au manque d'effectifs, c'est une réalité. A ce sujet, c'est vrai qu'on a beaucoup entendu parler dans la presse de l'effet 35 heures. Nous ne sommes pas d'accord sur cette accusation. Parce qu'en fait les 35 heures n'ont pas d'effet pendant les périodes estivales. Aux mois de juillet et août, nous n'avons pas le droit de prendre des journées de récupération des 35 heures, donc ce n'est absolument pas les 35 heures qui ont fait diminuer les effectifs dans les hôpitaux. Le problème, c'est que les hôpitaux fonctionnent déjà en flux tendu toute l'année, donc du 1er janvier au 31 décembre, pas spécialement l'été. Actuellement on fonctionne dans les services à minima, c'est-à-dire sans prise en compte du taux d'absentéisme, ni des congés maternité, ni des congés annuels, ni de rien du tout. C'est vrai qu'en été il y a les congés annuels, ce qui a provoqué une pénurie de personnel. En plus, beaucoup de services sont fermés l'été, parce que les professeurs prennent aussi leurs congés. Il y a aussi un manque de lits, c'est un fait, mais il ne faut pas le mettre sur le dos des 35 heures.

M. le président - Dans une maison de retraite comme dans un hôpital, il y a toujours un taux élevé de mortalité, on le sait bien. Mais est-ce qu'il y a eu, à cause de la canicule, une surmortalité ?

M. François Izard - Tout à fait. On peut donner l'exemple du CHU de Poitiers, où il y a eu dix-huit décès. Plus on montait dans les étages, plus il y avait de décès. En bas, en fermant les volets, il y avait beaucoup plus d'isolation. Il faisait moins chaud dans les chambres, les patients arrivaient donc à mieux supporter la température. Et plus on montait dans les étages, plus il y avait de décès. Au troisième étage, on en a compté neuf.

M. le président de la mission d'information - Je suis également médecin-ORL et j'ai travaillé en milieu hospitalier. Si le personnel adéquat avait été en nombre suffisant, ou bien s'il y avait eu assez de lits y aurait-il eu moins de décès ?Je rappelle, pour mes collègues, les questions que j'ai posées : comment avez-vous vécu cette crise, à quel moment avez-vous pris conscience de sa gravité ? Avez-vous dû faire face à un problème de moyens humains, vous semble-t-il y avoir eu des défaillances dans l'organisation ? Quel est le profil des victimes que vous avez pu rencontrer, sont-elles mortes alors qu'elles étaient à leur domicile ou en maison de retraite ? Dernière question : que doit-on faire selon vous pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

M. William Livingstone - Pour ce qui est de la prise de conscience, je pense que les infirmières libérales l'ont eue dès le mois de juillet, puisque leurs patients souffraient de la chaleur. La canicule c'était en août, mais la chaleur c'était aussi en juillet. S'imaginer qu'il y aurait tant de victimes de la canicule, certes non. Mais je vous rappelle que les infirmières libérales assurent des soins personnalisés et que pour le secteur libéral, la prise en charge par une infirmière n'a pas donné lieu à conséquence gravissime. C'est-à-dire qu'on n'a pas eu dans nos clientèles un surcroît de décès. A partir du moment où un professionnel libéral, avec son diplôme, sa compétence, son expérience acquise, arrive à prendre les problèmes en amont, avant que ce soit trop tard, les risques de surmortalité sont diminués. Ceci pose le problème de la compétence des professionnels qui prennent en charge les personnes âgées.

En étudiant la cartographie, on s'aperçoit que là où il y a beaucoup d'infirmières, il y a eu moins de décès ; là où il y a moins d'infirmières, il y en a eu beaucoup plus, à savoir en région parisienne. En termes de démographie professionnelle, la région parisienne est la plus carencée, je crois qu'on est à trente-huit pour 100 000 habitants, alors que dans les régions du sud le ratio est beaucoup plus important. Il y a vraiment un problème d'accès aux soins pour la population parisienne s'agissant des infirmières libérales. Je crois que c'est également vrai pour les autres professions de santé. La région parisienne pose un problème spécifique, même quand la démographie professionnelle est supérieure, il y a quand même des carences en matière d'accès aux soins.

Défaillances en termes d'organisation ? Certes oui. Nous assurons la réponse à une demande individuelle, et c'est vrai qu'on entend de plus en plus parler de difficultés d'accès aux soins infirmiers de la population, notamment pour les grosses pathologies, les pathologies les plus lourdes, les personnes handicapées. La profession infirmière est une profession individuelle, on a besoin de réorganiser l'offre en soins. L'organisation de plate-formes libérales départementales d'accès aux soins serait certes embryonnaire au départ, mais susceptible de s'articuler avec toutes les autres structures de prise en charge de la personne âgée. Les relais de proximité devraient être aujourd'hui organisés pour que le secteur libéral soit beaucoup plus efficient.

En établissement, vous sa ce que l'on constate, dans les établissements signataires des conventions tripartites, c'est qu'ils signent leur convention en termes de projection de formation, alors que les personnels ne sont pas qualifiés. Les prises en charge jusque-là effectuées par des infirmières, libérales en particulier, sont alors accomplies par des personnels vraiment beaucoup moins qualifiés.

M. le président de la mission d'information - On en revient à ce problème de la qualité. Je comprends très bien. Le problème pour nous est de savoir si, à domicile ou en établissement, et ce quel que soit le type d'établissement, il y a eu des carences ou des défaillances en membres du personnel, et si ceci a joué sur les effets de la canicule dans le cadre d'une relation causes - conséquences sanitaires et sociales. Votre prédécesseur a exprimé là-dessus des idées des plus carrées. La mission d'information se doit de faire l'analyse de ce qui s'est passé.

M. William Livingstone. Bien sûr.

M. le président de la mission d'information - Quel est l'avis la troisième délégation, si je puis dire ?

Mme Nadine Hesnard - Nous n'avons pas la même analyse que Convergence infirmières, puisque nous avons des chiffres qui sont quand même assez parlants . Quand on lit les rapports de l'Institut national de veille sanitaire et le rapport de l'IGAS qui est sorti la semaine dernière, il apparaît que trois types de régions ont été définies en termes de surmortalité. Or les régions où il y a carence d'infirmières, à savoir Poitiers, Strasbourg, Rennes et Lille, avec moins de soixante infirmières pour 100 000 habitants, il n'y a pas eu de surmortalité.

Ce que nous disons, nous, depuis des années - ça fait dix ans qu'on le dit -, c'est qu'il y a un manque d'accompagnement des personnes âgées et handicapées - pas seulement âgées d'ailleurs - et un manque d'accompagnement aussi en services d'auxiliaires de vie et d'aide à la vie. Il ne suffit pas que les infirmières fassent des visites matin et soir, puisque même si elles y passent une heure chaque fois, il reste vingt-deux heures dans la journée, et si quelqu'un est dépendant et qu'il n'y a pas de service de coordination, bien évidemment cette personne sera toute seule pendant vingt-deux heures.

Nous n'avons pas eu de remontées très importantes de nos représentants départementaux et éventuellement de nos adhérents quant à une surmortalité en libéral. Sur la seule ville de Douai, celle de Mme Decalf, nous avons fait relever des chiffres - parce qu'elle avait lu dans les journaux tout et n'importe quoi sur la surmortalité de 19 % à 66 %. Il y a 43 000 habitants, et le Nord est quand même très peu pourvu en infirmières libérales puisqu'on n'y trouve que cinquante-cinq infirmières pour 100 000 habitants. Or, les décès en 2002 étaient de dix-neuf, et les décès en 2003 de vingt-et-un. On a aussi fait ressortir les chiffres sur l'âge des personnes décédées, et la moitié seu

M. le président - Le problème de pénurie a déjà été abordé.

M. François Izard - C'est important.

M. le président - Je suis médecin moi-même et d'origine hospitalière, ce sont des problèmes que je connais assez bien. Et puis avec certains députés, tel Georges Colombier ça fait dix-huit ans que nous sommes députés - nous nous intéressons à ces questions -. Ce qui est très important pour nous c'est de savoir si, pour vous, organisations, la pénurie, donc le manque dénoncé par tout le monde, que ce soit dans certains établissements en personnel, dont infirmier, ou à domicile, donc en libéral, a été responsable, en tout ou en partie, de cette surmortalité.

Mme Nadine Hesnard - Nous, nous disons non. La surmortalité, pour notre organisation, puisqu'on en a quand même discuté...

M. François Izard - Pour le libéral.

Mme Nadine Hesnard - Oui, pour le libéral.

M. le président de la mission d'information - Madame ne peut parler que pour le libéral ou du libéral qui travaille en établissement, c'est tout.

Mme Nadine Hesnard - Voilà. Nous disons qu'il faut aussi prendre en compte l'isolement des personnes âgées. Ce n'est pas seulement une pénurie d'infirmières. C'est une pénurie de l'ensemble des acteurs, y compris des services sociaux.

M. François Izard - Je suis d'accord.

M. William Livingstone - Et là on se rejoint. On se rejoint complètement.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Depuis que j'écoute avec mes collègues l'ensemble des gens qui sont auditionnés, je me pose une question qui est vraiment pour moi très importante. Quel était le niveau d'information global des infirmières et infirmiers libéraux sur les risques de danger de mort liés à la canicule ? C'est une question qui me tient à cœur. Tout le monde était conscient des risques de déshydratation mais pour les risques liés à l'hyperthermie, à la chaleur, on a bien le sentiment qu'un certain nombre de personnes étaient insuffisamment au fait des gestes nécessaires à faire et n'envisageaient pas forcément ce risque de danger de mort. C'est ma première question.

Ma deuxième question ne surprendra pas certains. La démarche de soins infirmiers est un outil qui vous permet, infirmiers de secteur, de coordonner l'ensemble des intervenants et des soins. Pensez-vous que cela aurait pu vous aider, pour faire notamment de la prévention en informant les familles, avec les intervenants auxiliaires de vie sociale ?

Mme Nadine Hesnard. Sur les risques de danger de mort, nous ne sommes bien évidemment nous-mêmes pas assez informées. Nous n'avons pas fait l'information, très certainement, - mais est-ce à nous de le faire ?- de façon globale et générale, sur les risques de danger de mort. Sur les risques de coups de chaleur et de déshydratation, bien évidemment que oui, mais sur le risque de danger de mort réel dû à la chaleur : non. Nous n'avons pas les outils, c'est clair. Et je ne suis même pas sûre que la formation initiale évoque la question. De même les risques de dangers de froid, de grand froid... On aura peut-être la question à se poser aussi cet hiver. Parce que si on a aussi froid cet hiver qu'on a eu chaud cet été, on a des soucis à se faire !

Sur les aides-soignantes en libéral, nous, nous sommes contre. Nous avions fait une conférence de consensus il y a une dizaine d'années, juste avant le PSI -, qui préconisait que les aides-soignantes travaillent en collaboration avec les infirmières, et non par délégation. Donc en collaboration ça veut dire : à côté, au même moment, le même jour, à la même heure ! On ne se chevauche pas. Les soins doivent être faits par des infirmières, et l'aide à la vie sociale doit être faite par d'autres personnes que des infirmières, mais pas systématiquement des aides-soignantes. Les aides-soignantes travaillent en collaboration avec les infirmières. Il n'y a pas de délégation ! Vous le savez très bien, madame la députée, nous avons eu de grandes discussions, vous les avez eues avec quelqu'un d'autre que moi à ce sujet ... On n'a pas changé d'opinion, bien évidemment. Des aides-soignantes en libéral, ça veut dire des soins et des sous-soins. La population ne peut pas être soignée par le biais de sous-soins ! On ne peut pas imaginer ça. Les soins infirmiers doivent être faits par des infirmières.

M. le président de la mission d'information - J'ai bien compris. Restons sur la canicule. Pouvez-vous préciser à nouveau, puisque les membres de la mission ne sont pas tous médecins, ce que peut faire une aide-soignante, soit dans un service de soins infirmiers à domicile, soit dans une structure associative évoluant à domicile ? Même si vous êtes contre, c'est une question importante pour mes collègues et en tant que président je me dois de vous la poser.

Mme Nadine Hesnard - Non, une aide-soignante dans une structure associative, ça ne peut pas exister. Elle travaille en collaboration avec les infirmières. S'il n'y a pas d'infirmières, ce n'est pas la peine !

Quant à l'aide-soignante, je vais avoir la même position que ma collègue : il est hors de question pour nous d'avoir un statut libéral de l'aide-soignante. Par contre, on peut étudier des formes d'organisation qui permettraient une complémentarité des interventions, toujours avec une infirmière. Si c'est une aide-soignante, c'est une collaboration, c'est un binôme. S'il s'agit de personnels sociaux type auxiliaires de vie, il faut voir suivant quelle complémentarité et dans quelle structure ça pourrait se faire. Mais ceci repose le problème de l'organisation que j'exposais tout à l'heure : pourquoi pas des services polyvalents et libéraux qui seraient potentiellement aptes à salarier du personnel, qu'il soit aide-soignant ou auxiliaire de vie ?

M. le président de la mission d'information - Ils peuvent passer par une association ou toute structure idoine.

Mme Nadine Hesnard - Cela existe déjà pour les groupements d'intérêt économique.

M. le président de la mission d'information - C'est très juste.

M. William Livingstone - Absolument.

M. François Izard - En ce qui concerne l'information infirmière sur le niveau de danger de mort, tout dépend où travaille l'infirmière. Pour les infirmières qui travaillent dans les urgences, la réponse est oui, parce qu'elles avaient les moyens de constater s'il y avait danger de mort ou pas, elles avaient tout sur place pour pouvoir le voir. Et elles étaient bien conscientes du danger de mort des patients qui arrivaient aux urgences. Pour les infirmières qui travaillent dans les maisons de retraite, en établissement sanitaire ou autres, la réponse est non.

M. le président de la mission d'information - D'accord.

M. François Izard - Il y a donc une différence selon le lieu de travail. Pour la DSI, nous proposons que les infirmiers hospitaliers publics et privés aient plus de relations avec les infirmiers libéraux, comme les relations qu'a un médecin libéral quand par exemple il envoie un patient à l'hôpital avec une lettre d'accomp 10pt">M. François Izard - D'après les chiffres que j'ai vus, il y a moins eu de décès dans le Midi que dans le Nord, ça c'est un fait. Alors pourquoi ? Nous nous sommes aussi posé la question. On en a conclu que peut-être dans le Midi les gens sont plus habitués à la canicule qu'ailleurs. Je ne sais pas. Par contre, ce que je peux dire, c'est qu'on nous a répété depuis des années et des années qu'il y avait une surpopulation, une surmédicalisation dans certains départements. Et dans ceux-là, il y a eu moins de décès. Alors est-ce qu'il y a une relation entre beaucoup plus de personnels et moins de décès ? Chacun se fera son propre jugement. Je peux vous dire qu'au CHU de Montpellier il n'y a pratiquement pas eu de décès, alors qu'ils ont augmenté de 30 % sur la ville, pour les établissements sanitaires.

M. Jean-Marie Rolland - Avez-vous eu à signaler des départements où l'on a appliqué des protocoles particuliers liés à une expérience antérieure, et pas dans d'autres ?

M. François Izard - Je peux vous parler de mon département, celui des Bouches-du-Rhône. C'est un fait que dès le mois de juillet on a commencé à distribuer de l'eau minérale, des ventilateurs et à prendre beaucoup de précautions pour se protéger de la canicule. C'est un fait.

M. Jean-Marie Rolland - A domicile ?

M. François Izard - Non, dans les services hospitaliers.

M. Jean-Marie Rolland - C'est ce que vous aviez dit au départ.

M. François Izard - Voilà. Moi je ne parle que de l'hospitalier. Je ne parle pas du domicile.

M. Jean-Marie Rolland - Parce qu'il y a les deux, n'est-ce pas ?

M. François Izard - Tout à fait. Pour ma part, je ne parle que de l'hospitalier. Dans certains départements, des directeurs d'hôpitaux ont réagi très vite à la canicule. Mais dans d'autres, ils n'ont pas du tout réagi et ont attendu qu'il y ait un appel, une déclaration faite d'en haut, du ministère. C'est pourquoi nous reprochons un peu aux médias d'avoir dit : « C'est la faute du ministère, c'est la faute du ministère, c'est la faute du ministère ». Car c'est aussi : « la faute du directeur, la faute du directeur ». On n'est pas non plus obligé d'attendre que le ministère donne un ordre pour prendre des mesures adéquates dans un établissement.

M. le président de la mission d'information - Ce que vous dites est très vrai. J'ai vu un certain nombre de responsables d'établissement, surtout dans les maisons de retraite, qui avaient pris des mesures d'anticipation.

Un certain nombre de personnes d'un certain âge ne peuvent pas boire de l'eau. Ils leur donnaient donc des gels, ou autres prod problème a été sans doute majoré par la non réactivité de directions qui ont temporisé, parce qu'on est constamment à l'hôpital dans l'idée qu'il faut toujours un peu reporter les dépenses. Par exemple, les ventilateurs, ma foi ça pouvait attendre. Et puis on a invoqué les problèmes d'hygiène que ça pouvait entraîner parce qu'ils auraient brassé l'air. Quand chacun a vu que la catastrophe montait, il était trop tard pour avoir des ventilateurs. On a commandé des brumisateurs qu'on n'a jamais eus.

M. le président de la mission d'information - Oui, c'est ce que disait votre président, M. Izard, tout à l'heure.

M. Pierre Bertaud - Voilà. Je pense qu'effectivement il y avait des régions qui étaient plus proches que d'autres, si je puis dire, des aides-soignants.

M. le président de la mission d'information - Question pour ceux qui sont dans l'hospitalier ou dans l'institutionnel ou du moins qui fréquentent l'institutionnel : avez-vous constaté des différences d'approches entre l'hospitalisation publique, l'hospitalisation privée, les maisons de retraite à but lucratif et les maisons de retraite à but non lucratif ?

Je vais raisonner à l'envers : si votre père et votre mère, qui ont un certain âge, avaient dû être hospitalisés à cause de la canicule - a posteriori, c'est plus facile -, vers quel type d'établissement les auriez-vous orienté - en dehors des principes de chacun d'entre vous - ?

M. François Izard - Déjà, il aurait fallu trouver des places...

M. le président de la mission d'information - Mais vous avez raison en disant ça, ce n'est pas un reproche ! Il y a des listes d'attente, on le sait bien.

M. François Izard - En effet, il y a aussi un problème de places. Alors, que vous dire ? Ce que nous avons constaté déjà, c'est que les CHU se sont complètement désintéressés de toute cette partie-là, de tout ce qui est gériatrie et gérontologie, étant donné qu'ils n'ont presque plus ni maisons de retraite, ni services de long séjour. Ces problèmes ont été laissés à des établissements spécialisés à but lucratif ou non lucratif. Les petits CHR, eux, en ont encore. Enfin moi, je suis très public, donc je dirai que j'aurais aimé...

M. le président de la mission d'information - Oui c'est pour ça que j'ai posé la question en ces termes.

M. François Izard - En tous cas, je ne peux pas vous dire si on a constaté plus de décès dans le privé ou dans le public.

M. Jean-Marie Rolland - Je n'ai pas eu la réponse à ma première question, et je la repose à Mme Hesnard e dernière, deux médecins sur la ville de Boulogne la semaine du 15 août, c'était peut être quand même un peu court ! Sur le canton où j'exerce - et je me suis quand même renseignée sur les autres cantons, ce n'est pas si grand -...

M. le président de la mission d'information - Dites-nous où ?

Mme Nadine Hesnard - C'est dans l'Eure.

M. le président de la mission d'information - Merci.

Mme Nadine Hesnard - C'est tout près d'Evreux. Nous sommes un cabinet de six infirmières, donc systématiquement pendant les vacances, la rotation est faite, la continuité des soins assurée, depuis toujours on fonctionne comme ça. Et les médecins libéraux, étaient présents. S'ils n'étaient pas là, c'était leurs remplaçants, et en nombre normal. Je pense donc que le monde rural n'a pas vécu la même chose, la même épidémie que le monde urbain.

M. le président de la mission d'information - La même catastrophe, le même drame.

Mme Nadine Hesnard - Puisqu'il y avait réponse et prescription des médecins. Nous avons eu des perfusions en même nombre que l'année dernière. Peut-être même un peu moins.

M. le président de la mission d'information - Monsieur Livingstone, vous êtes aussi représentant des libéraux. Avez-vous constaté justement une différence rural / urbain ?

M. William Livingstone - Oui certes, et ce n'est pas non plus lié spécifiquement à la canicule.

M. le président de la mission d'information - Restons sur la canicule. Si vous avez un petit message, vous pouvez le glisser, on vous le pardonnera. Mais restons sur la canicule ? Vous m'excuserez de mon obstination.

M. William Livingstone - Pendant la canicule, les demandes n'ont pas augmenté de façon exponentielle. Comme le secteur libéral assure un service permanent continu - les infirmières libérales, c'est sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre -, on est tout le temps en continuité de soins, sans défaut de prise en charge. Mais il y a une différence entre l'urbain et le rural. C'est vrai que on a plus facilement tendance à refuser une demande en soins dans telle grosse agglomération, où l'infirmière est plus anonyme par rapport à sa clientèle que dans le rural.

M. le président de la mission d'information - On peut donc déduire de ce que vous avez dit, pour vos deux organisations, que ces personnes très âgées, qui étaient déjà en situation pathologique ou polypathologique, sont passées directement du domicile vers de l'institutionnel, de l'hospitalier, voire malheureusement sont décédés avant. Il tout. Vraiment.

M. Pierre Bertaud - Je vais parler de ce que je connais aussi, le CHU de Poitiers. C'est clair qu'il y a eu des retours sur institution, les services d'urgence notamment ont été submergés, et plus particulièrement des cas d'hyperthermie. Il y a eu des augmentations de plus 40 % d'appels ou de sollicitations vers le SAMU, sur une ou deux journées fortes dans la période concernée.

Quant au chiffre qu'on a pu avancer tout à l'heure sur les dix-huit décès recensés, notamment à Poitiers, pour la canicule, il rentre dans l'enquête de l'Institut national de veille sanitaire, qui était assez restrictive . Si on fait le comparatif, sur la même période, de nombre de décès au CHU de Poitiers, on en compte 113 en 2003, et on était à cinquante-huit en 2002.

M. le président de la mission d'information - Nous ferons nos conclusions. Ce qu'il faut, c'est comparer les taux de mortalité des années précédentes avec celui de cette année. Car la définition de l'hyperthermie maligne, je suis d'accord avec vous, c'est différent. Je vous remercie pour les messages que vous nous avez fait passer.

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X. Audition de M. Denis Hémon, directeur de recherche à l'unité 170 de l'Inserm, et de M. Eric Jougla, directeur de recherche de l'unité CEPI DC Inserm.

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Pour commencer, messieurs, je désirerais vous poser trois questions.

Première question : pourriez-vous rappeler le cadre précis de la mission qui vous a été confiée et nous faire part de vos premiers résultats ? Deuxième question : êtes-vous en mesure de nous dire si le nombre des victimes en France est, rapporté à la population, plus ou moins important que chez nos voisins ou par rapport à des canicules antérieures, comme celle d'Athènes ? Troisième question : quelles difficultés rencontrez-vous éventuellement dans la collecte et l'analyse des informations ? Faut-il revoir la procédure des transmissions des certificats de décès à l'INSERM ?

Mme Catherine Génisson - Par-delà la question de la transmission des certificats de décès, je désirerais savoir si vous pensez opportun de modifier la rédaction du certificat de décès en tant que tel.

M. Denis Hémon, directeur de recherche à l'unité 170 de l'INSERM - Nous avons été désignés ensemble pour cette mission. Je proposerai une réponse, mais mon collègue aura peut-être une façon différente de présenter les choses.

Je rappellerai tout d'abord le cadre dans lequel nous avons été chargés de cette mission : au début du mois d'août, de façon progressive, tant sur le plan météorologique que sur le plan hospitalier, et compte tenu des interventions des urgentistes - SOS médecins, SAMU, brigades de sapeurs-pompiers - des alertes de plus en plus sérieuses indiquaient aux pouvoirs publics qu'une mortalité importante associée à la canicule se développait depuis le 4 août environ. Mais les estimations sur le nombre total de personnes décédées étaient encore fluctuantes parce qu'elles étaient fondées soit sur des sources partielles du point de vue de l'étendue territoriale - par exemple, sur les statistiques des décès en hôpital, à l'AP-HP ou aux hospices civils de Lyon - soit sur des sources portant certes sur l'ensemble du territoire métropolitain mais demeurant partielles - par exemple, les inhumations mises en œuvre par les pompes funèbres générales de France. C'est la raison pour laquelle on nous a demandé, dans le délai d'un mois, de proposer une estimation fondée à la fois sur l'ensemble du territoire et sur l'ensemble des sources possibles. C'est dans un tel cadre que M. Mattéi nous a demandé d'accepter cette mission afin non seulement d'établir une estimation du nombre de décès mais aussi de rechercher tous les facteurs ayant pu concourir à ce que ce nombre soit - ou ne soit pas - particulièrement éle des propositions qui y sont faites. En outre, depuis juin dernier, c'est-à-dire avant la période de canicule, dans le projet de loi sur la santé publique, était proposé un nouveau traitement. A moins que mes collègues ne le désirent, un tel rappel n'est donc pas nécessaire. Nous désirons votre avis. D'une façon générale, certains prétendent qu'un traitement quotidien du certificat de décès aurait permis d'envisager plus facilement les conséquences néfastes de la canicule.

M. Eric Jougla - Le contexte actuel de l'utilisation des certificats de décès, c'est la surveillance de la santé de la population. On fournit de nombreuses analyses sur les évolutions dans le temps, sur les disparités géographiques ou sur les différences entre pays. Nous avons ainsi mis en évidence l'importance de la mortalité prématurée en France, qui est la plus importante d'Europe, alors que notre pays est très bien placé, passé l'âge de soixante-cinq ans

Le contexte actuel n'est pas celui d'une utilisation des certificats de décès en vue d'une alerte, c'est-à-dire reposant sur une information au jour le jour. Dans le projet que je défends depuis trois ans, je demande une certification électronique des certificats de décès : le médecin indiquerait les causes de décès, informations qui seraient transmises par voie électronique à l'INSERM. Dans ce cadre, on pourrait aller vers un véritable système d'alerte. Le système ne concernerait pas nécessairement, dans un premier temps, l'ensemble des décès survenant un jour donné, mais au moins un échantillonnage de ces décès. N'oublions pas qu'environ 70 % des décès surviennent actuellement à l'hôpital et que la plupart des hôpitaux sont très bien équipés. En outre, les médecins disposent, en France, de la carte professionnelle qui est également un excellent moyen pour transmettre de manière électronique des informations.

Je voudrais préciser que la mise en œuvre d'un tel système, qui me paraît très moderne et qui pourrait répondre aux problèmes d'alerte, n'éliminerait pas les DDASS - Directions départementales de l'action sanitaire et sociale - puisque l'on pourrait très bien imaginer que la transmission électronique des informations sur la mortalité régionale ou départementale soit faite de la même manière et en temps réel.

M. Jean-Marie Rolland - Un tel système est-il déjà mis en place dans d'autres pays au monde et le gain de rapidité entre la connaissance de la cause des décès et le signalement à une autorité permet-il d'affirmer qu'il s'agit d'une voie à encourager ?

M. Eric Jougla - Il existe des expériences pilotes dans certains pays. Je dois ajouter que, dans le cadre d'Eurostat, depuis deux ans et demi, les pays européens doivent appliquer toute une série de recommandations et que l'une d'entre elles concerne l'évolution vers un système de certification électronique pour tous les pays.

M. Eric Jougla -L'aide à la certification est une de mes priorités et, dans le cadre européen, existe actuellement un projet d'élaboration d'un manuel de certification pour les médecins qui sera didacticiel. C'est un très gros projet Eurostat. Il faut bien comprendre aussi que ce que l'on demande principalement au médecin, en certification, c'est la cause initiale, c'est-à-dire celle qui a démarré le processus morbide conduisant au décès, ce n'est pas la cause terminale. La cause initiale, ce sera, par exemple, un cancer du poumon ou un suicide. Il s'agit, finalement, d'informations relativement globales mais qui sont extrêmement utiles en terme de santé publique puisque l'on ne dispose pas d'autres indicateurs de santé, même si, évidemment, un tel indicateur reste à améliorer. Mais si l'on veut comparer la santé des régions françaises ou des pays entre eux, l'indicateur, sur lequel on se fonde, est fourni par les causes de décès. Cela n'empêche pas l'existence de problèmes concernant la qualité de cet indicateur. L'on dit souvent que ces certificats sont mal remplis. Ce n'est pas l'impression que nous retirons de leur examen. Ils nous semblent au contraire de mieux en mieux remplis. Nous n'avons, par exemple, que très peu d' « arrêts cardiaques ». Nos statistiques sont très stables et nous n'avons pas de phénomènes aléatoires. Je pense que tout dépend aussi du niveau de précision que vous voulez atteindre par vos analyses. Mais en ce qui concerne la répartition des causes de décès en une centaine de postes, qui représentent une base énorme pour la décision en santé publique, notre fiabilité, qui peut toujours être améliorée, est néanmoins suffisante.

M. le président de la mission d'information - J'essaie de me représenter un certificat de décès délivré cette année au mois d'août par un hôpital dans les conditions qu'a indiquées à l'instant Mme Catherine Génisson. Elle a décrit le contexte habituel. Vous pouvez avoir aussi bien une « insuffisance cardio-respiratoire » qu'une « insuffisance respiratoire » ou quelques cas d'« hyperthermie », mais aussi un grand nombre de causes, d'étiologies, totalement différentes. La question concerne les méthodes de travail qui sont les vôtres. Pourrait-on dire que, dans le cadre du système que vous préconisez, le certificat portant : « décès dû à l'hyperthermie », on aurait pu aussitôt donner l'alerte, si c'est très disséminé - il y a eu, il est vrai, un très grand nombre de personnes décédées - et que l'appréhension de la crise aurait pu être différente ? Comment pourriez-vous décrypter rapidement des étiologies décrit canicule, nous n'analyserons pas tous les certificats sur l'ensemble du territoire, parce que nous avons très peu de temps, mais sur une région particulièrement touchée. L'analyse sera très poussée puisque non seulement nous prenons en compte tout le travail sur la cause initiale, mais nous regardons aussi toutes les informations. Or, Denis Hémon et moi-même nous sommes aperçus que, depuis que la crise de canicule est survenue, nous avons un très grand nombre de mentions de « déshydratation » ou d' « hyperthermie ». Nous aurons un grand nombre d'informations à analyser.

M. Denis Hémon - Je voudrais revenir sur une chose que mon collègue ne peut pas dire, parce qu'il s'agit de son service. Qu'un jour, on puisse disposer sous vingt-quatre heures des causes médicales de l'ensemble des décès du territoire national, est certes une perspective intéressante, mais en vérité, ce n'est pas, de loin, le seul problème en cause dans la question de la gestion de cette alerte, puisque la température précède de trois à dix jours les décès. Il est très important de les surveiller mais la façon dont le système de recherche, auquel j'appartiens, ou le système de veille, sont interpellés par le fait qu'ils n'ont peut-être pas assez mobilisé la réflexion sur les risques liés à la chaleur, et du coup interpellé Météo-France afin de construire des plans de prévision de la chaleur. C'est un point extrêmement important. En effet, si l'on prend en marche arrière, à son pic, la courbe de mortalité qu'Eric Jougla et moi-même établissons actuellement il est certain que des signaux peuvent être donnés par les hôpitaux quand ils sont débordés. Trois à dix jours auparavant - l'on rejoint la question sur la comparaison avec la canicule d'Athènes - des signaux peuvent parfaitement être donnés par Météo-France, qui prédisent quantitativement que ce sera la mortalité la plus importante, pas plus importante que celle d'Athènes à température constante, mais comme la température a été plus élevée plus longtemps, elle est plus importante. Dans le système d'alerte, la façon d'articuler recherche et veille sanitaire est importante pour savoir quels sont les problèmes émergents qui sont sérieux : par exemple modification climatique, possibilité de voir survenir des événements de ce type-là, comparaison avec les autres pays.

Vous avez, je crois, auditionné M. Besancenot : il avait bien clarifié les idées sur le sujet. C'est un chercheur qui a bien dit quel était l'état de la littérature sur le sujet et pourquoi l'on savait. On peut évidemment envisager la question de l'alerte sous l'angle de la statistique nationale des décès : ce sera une occasion très sérieuse de moderniser un service, mais - c'est la question très importante que vous avez posée, madame - oui, il existe des erreurs dans la codification des certificats de décès. Cependant, le nombre de découvertes de facteurs de risques des maladies cardio-vasculaires, des cancers, des mortalités dues aux complications du diabète, ou par suicide, qui ont été faites grâce à l'étude de la réponse statistique par ce certificat dans des populations déterminées me paraî décès habituellement enregistré dans des mois d'août de référence et de voir dans quelle mesure l'un est manifestement plus élevé que l'autre et si une telle augmentation est liée ou non à la température. Il ne s'agira donc pas d'une attribution individuelle d'une causalité à la canicule mais d'une comparaison de populations.

M. le président de la mission d'information - Il me semble de mémoire avoir lu dans le rapport Lalande la transmission directe des certificats des médecins et des hôpitaux vers l'INSERM ne pourrait fonctionner que moyennant l'embauche de dix personnes au moins. Derrière ce que vous nous avez décrit d'un point de vue technique, se pose-t-il un problème humain ?

Mme Guinchard-Kunstler - C'est-à-dire un manque de personnel...

M. le président de la mission d'information -Pour l'instant, il ne s'agit pas d'un manque de personnel, mais si l'on devait adopter le système que vous avez indiqué - c'est écrit noir sur blanc dans le rapport Lalande - faudrait-il recruter des personnels ? Je vous pose la question à titre d'information.

M. Eric Jougla - Oui.

M. le président de la mission d'information - Le système de l'alerte immédiate ne fonctionnera donc parfaitement que si les moyens humains sont mis en conséquence ?

M. Eric Jougla - Effectivement, car on aura besoin de personnels pour examiner les statistiques en temps réel et constituer une cellule d'alerte.

M. le président de la mission d'information - Cela signifie tous les jours, les samedis et dimanches inclus.

M. Eric Jougla -Tout à fait.

Je désirerais ajouter un mot sur la qualité des certificats et de leur transmission : l'autre grand intérêt d'une certification électronique avec le médecin en ligne, c'est que nous entrerons en interaction avec le médecin. Nous avons conçu un système didacticiel qui permettra de guider le médecin dans sa certification.

M. Jean-Marie Rolland - C'est de l'ordre décisionnel.

M. Eric Jougla - Oui. Cela permettrait de lui dire par exemple que sa cause est trop imprécise ou que le processus morbide qu'il a décrit est incohérent. En contre-partie, nous lui fournirions des informations épidémiologiques puisque nous avons développé des serveurs en ligne pouvant lui donner une information de santé publique sur sa région.

M. le président de la mission d'information - Madame Génisson, vous désirez intervenir.

Mme Catherine G& style="text-align: justify">M. le président de la mission d'information - J'aurai une autre question à poser : ce matin, nous avons reçu des personnalités médicales s'intéressant à la canicule. Si j'ai bien compris ce qu'elles nous ont dit - je parle sous le contrôle de mes collègues - la canicule, ordinairement, a lieu, puis les décès se produisent à court terme. Dans le cas présent, au contraire, les décès ont été quasi immédiats. Il n'y a pas eu de temps de latence, de décalage.

Avec le système que vous nous proposez, qu'en aurait-il été de la réactivité ? Le premier jour, il aurait été évidemment difficile de réagir, mais comme la canicule a duré plusieurs jours en France cette année, après le temps d'observation du premier jour, en fonction évidemment de la météorologie - les informations doivent être transversales - aurait-il été possible de dire dès le deuxième jour : « Attention ! nous avons une augmentation extrêmement importante. Il faut prendre des mesures .» ? Monsieur Hémon ...

M. Denis Hémon - Pour répondre à votre question, il est vrai que la courbe indique que la montée est extrêmement soudaine. Pour l'instant, pour la France métropolitaine en son ensemble, nous avons les informations que nous a données Météo-France sur les courbes de température et le nombre de décès par jour. Nous n'avons pas encore regardé de façon un peu détaillée - on nous le demande, nous le ferons après le 22 septembre - la dynamique à la fois spatiale et temporelle du changement de la température et de l'évolution de la mortalité. Il nous semble que l'observation d' une telle dynamique dans les trois premiers jours est très importante par rapport à l'alerte. 

Je voudrais, non pas pour accuser qui que ce soit mais afin d'en prendre conscience, à nouveau insister sur le fait qu'on savait : Météo-France nous a montré de façon totalement convaincante qu'elle sait prédire « de façon déterministe » la température à trois jours, voire à dix jours pour une canicule largement installée sur l'Europe. La prévision est plus compliquée en hiver à cause des turbulences, mais se simplifie quand un phénomène s'installe sur l'Europe. Autant un système auquel on demanderait dans l'immédiat de surveiller les décès pour nous avertir qu'il s'est produit un grand nombre de décès ce jour est un système qui nous pose problème parce que les décès ont eu lieu, autant un système permettant de prévoir trois jours, voire cinq jours à l'avance, qu'il fera plus de 21° la nuit et plus de 35° le jour et que par rapport à cette configuration, d'après ce que l'on a déjà constaté en Mexique, en Grèce, à Paris, l'on peut s'attendre à une augmentation de 21 % de la mortalité, est un système très important. Le système doit évidemment inclure la surveillance des décès, mais également la surveillance de la température et la modélisation des décès qu'elle induit. font-size: 10pt">M. Denis Hémon - Notre mission comporte trois parties : la première partie, qui doit être rendue lundi prochain, le 22 septembre, est consacrée à l'estimation de la surmortalité liée à la canicule. On en donnera une estimation globale. Elle sera de l'ordre de grandeur qui a déjà été donné. Elle ne sera donc pas une découverte. Mais elle sera déclinée par région en fonction des jours de canicule, et selon différents critères : l'âge, le sexe, pour qu'on y voie plus clair, ...

M. Eric Jougla - Et peut-être aussi selon les lieux où se sont produits les décès.

M. Denis Hémon - ... et par répartition des causes médicales.

Une deuxième phase doit consister dans des recherches visant à déterminer de manière approfondie les facteurs de vulnérabilité afin de définir la mise en œuvre de systèmes d'alertes ou précoces (température-mortalité) ou plus tardives : les sonnettes à faire retentir dans le système hospitalier ou chez les urgentistes, en attendant que l'on ait le certificat de décès à 24 heures qui puisse également servir à donner l'alarme. Cette deuxième phase n'est pas datée.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Vous incluez également les travailleurs sociaux ?

M. Denis Hémon - Tout à fait.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Quand rendrez-vous ce travail ?

M. Denis Hémon - On ne nous a pas donné de délai pour l'instant, mais je suis certain que l'on nous en parlera dès le lundi 22 septembre.

M. le président de la mission d'information - S'il n'y a pas d'autres questions, il me reste, messieurs, à vous remercier, et à vous assurer que nous sommes dans l'attente de votre rapport.

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XI. Audition de Mme Danièle Dumas, présidente nationale de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR), de Mme Chantal Meyer, secrétaire générale de l'UNADMR, et de Mme Frédérique Dechers, directrice des ressources humaines et de la communication à l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD).

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Pour commencer, j'aurais cinq questions à vous poser.

Quelle a été votre perception de la crise pendant son déroulement ?

Avez-vous été confrontées à des demandes de services supplémentaires ? Avez-vous eu les moyens d'y faire face ? Y a-t-il eu, selon vous, des ruptures dans la chaîne humaine autour des personnes âgées ?

Quelles sont les mesures prises pour faciliter le retour chez elles des personnes hospitalisées pendant la canicule ? Devez-vous faire face aujourd'hui - je dis bien aujourd'hui - à une montée des demandes ? à une multiplication des types de services demandés ? Et surtout, avez-vous les moyens d'y répondre ?

Il existe des propositions et un débat sur l' « ordonnance sociale » dont certaines organisations de médecins souhaiteraient disposer et, corrélativement, du développement d'un statut libéral des prestataires de services à domicile. Quelle est votre position ?

Quels enseignements tirez-vous de ce drame ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'ai deux questions. Pensez-vous que les aides à domicile ou que les personnels qui travaillent dans les services de soins à domicile - puisque vous gérez également des services de soins à domicile - étaient suffisamment au fait des risques et des dangers, y compris de mort, que pouvait comporter la canicule ? Je vous pose cette question parce que si l'on sent bien que les risques de déshydratation étaient connus, il n'en était pas de même des risques d'hyperthermie, de « coups de chaleurs ».

Deuxième question : Vos associations ont-elles des exemples de collectivités locales, mairies ou conseils généraux - j'en ai entendu parler dans certains départements - qui aient très rapidement mobilisé les maisons de retraite et les associations de maintien à domicile ?

Mme Danièle Dumas, secrétaire générale de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR) - En ce qui concerne la crise, les associations ADMR ont bien organisé leur service. Nous l'organisons en effet depuis de nombreuses années en vue de la prise en charge des r style="text-align: justify">M. le président de la mission d'information - Vous avez bien dit qu'il s'agit d'un défaut du gré à gré.

Mme Danièle Dumas - Oui. C'est un défaut de l'encadrement. Quand les associations d'aide à domicile sont structurées, elles offrent un encadrement. La spécificité de l'ADMR pour l'aide à domicile réside dans ses 100 000 bénévoles qui sont aux côtés de nos professionnels. Ces bénévoles se sont mobilisés pendant la crise pour faire plusieurs passages, aller ouvrir et fermer les volets, donner des conseils, en plus de notre personnel qualifié. Telle a été la valeur ajoutée de nos associations.

M. le président de la mission d'information - Quand vous parlez du « gré à gré », il s'agit du « gré à gré » hors service mandataire organisé par une association.

Mme Danièle Dumas - Tout à fait.

M. le président de la mission d'information - Donc, ce qui a été préconisé à un certain moment, qu'une personne souhaitant employer quelqu'un ne passe pas par une association mandataire ne vous semble pas positif ? Georges Colombier et moi-même - nous étions ici même à l'époque - étions pour la facilité de paiement, mais contre le système totalement indépendant, car se posait déjà la question de l'isolement de la personne âgée.

Mme Danièle Dumas - Je désire soulever un autre point, concernant la crise : nous gérons des personnes dépendantes, mais nous gérons également des personnes qui ne sont pas dépendantes, mais qui ont un grand âge. Pour elles, il n'y a pas de prévention possible étant donné le manque de prise en charge de cette catégorie de personnes, manque de prise en charge qui a soulevé des difficultés. Nos associations, en effet, ont été obligées de prendre elles-mêmes en charge des heures supplémentaires, car le quota d'heures fixé par l'action sociale des caisses de retraite est insuffisant. Cette crise a révélé le manque de prévention envers les personnes qui ne sont pas dépendantes mais très âgées et isolées.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - C'est un point très important.

M. le président de la mission d'information - Ces personnes ne dépendent pas de votre association.

Mme Danièle Dumas - Elles dépendent tout de même de nos associations. Nous continuons à les aider grâce à ce que nous appelons nos « réalisations locales ». Tout un ensemble de personnes ne sont pas correctement prises en charge ou ne le sont que par l'action sociale des caisses de retraite, qui ne suffit plus aujourd'hui. Car nous avons des personnes de 90, 92 ou 95 ans qui sont à domicile sans pour cela & personnes  pour compenser ce manque d'attribution d'heures ?

Mme Danièle Dumas - Bien sûr : nos bénévoles sont passés, nous avons revu nos plannings à la hausse. Nous nous sommes réorganisés, ce qui a demandé une vigilance supplémentaire, durant quelques jours.

M. le président de la mission d'information - Avez-vous demandé aux caisses de retraite, avec lesquelles vous travaillez et qui vous donnent des crédits, des crédits supplémentaires en raison de la canicule et si oui, les avez-vous obtenus ?

Mme Danièle Dumas - C'est un peu récent. Nous n'avons pas fait encore la demande mais pensons la faire. On nous a promis que l'on pourrait y répondre.

M. le président de la mission d'information - Mais pendant la canicule ?

Mme Danièle Dumas - Pendant la canicule, non. Nous nous sommes débrouillés devant l'urgence, sans rien demander.

M. le président de la mission d'information - D'accord. Vous êtes des professionnels, et vous aviez peut-être peur d'un temps de réactivité trop long entre l'urgence de la réponse que vous deviez apportée et la réponse des caisses ?

Mme Danièle Dumas - Nous connaissons leur réponse depuis des années.

M. le président de la mission d'information - J'ai donc fait la question et la réponse.

Mme Paulette Ginchard-Kunstler - En fonction de la situation que vivaient toutes les associations, quelle alerte ont-elles donnée et qui ont-elles alerté sur ce qu'elles étaient en train de vivre : surcharge de travail, situation de grande faiblesse et de risques pour les personnes âgées ? Ont-elles alerté quelqu'un ou, globalement, ont-elles supporté seules toute cette charge ?

Mme Danièle Dumas - Dans un premier temps, nous l'avons supportée seules. Il fallait répondre, et pendant les vacances, surtout aux alentours du 15 août, tout était fermé. Nous étions les seuls sur place. De plus, nous ne nous sommes peut-être pas rendu compte de l'ampleur du phénomène. Nous en entendions parler dans les media mais, sur le terrain, pour nous il s'agissait d'une prise en charge plus pointue, mais sans véritables déclarations de maladies.

Mme Catherine Génisson - Ma question vaudra également pour l'UNASSAD. Ma collègue Paulette Guinchard-Kunstler vous a demandé si vous aviez alerté. Je vous demande si, cet été, on vous a alerté et demandé, dans l'urgence, des services supplémentaires, qu'il s'agisse ou non de votre public habituel.

Mme Danièle Dumas -Je vous répondrai en temps que personne de te organisés dès le printemps. Les structures ont donc mis en place l'ensemble de l'organisation nécessaire pour faire face aux interventions de l'été. Comme chaque année, les choses se sont globalement bien déroulées. En revanche, il est vrai que dès les premiers jours de la canicule, il y a eu, sur Paris en particulier, une réorganisation de l'ensemble des plannings. Les directeurs et responsables de secteurs ont souhaité privilégier les interventions auprès des publics les plus isolés : parmi les populations que nous aidons, nous avons privilégié les cas isolés par rapport à ceux qui bénéficiaient d'une présence familiale afin de venir deux, trois, voire quatre fois par jour donner des douches, hydrater les personnes, acheter les brumisateurs, etc. Des mouvements de ce type-là, très importants, ont eu lieu, mais ils sont restés complètement internes. A la question de savoir si nous nous sommes organisés à l'intérieur de nos structures ou si nous avons alerté l'extérieur, je réponds que nous nous sommes centrés sur l'efficacité de nos interventions auprès des populations les plus isolées.

M. le président de la mission d'information - Ce qui signifie que, lorsque vous vous organisez dès janvier pour les vacances des personnels, on sait déjà qu'on ne couvrira pas à 100 %, durant ces vacances, la demande des personnes habituellement aidées.

Mme Frédérique Dechers - Tout à fait.

M. le président de la mission d'information - Vous avez donc restructuré votre organisation, ce qui est parfait. Mais cela signifie que pendant l'été, si l'on a pu mieux s'occuper des personnes qui semblaient les plus fragiles, un certain nombre de personnes, apparemment moins ou pas du tout fragilisées, n'ont pas pu avoir l'aide dont elles auraient bien voulu bénéficier. Chaque année des personnes âgées trouvent anormal de ne pas avoir d'aide en juillet ou en août.

Mme Frédérique Dechers - Oui .

M. le président de la mission d'information - Je vous dis cela parce que je sais qu'en Allemagne, dans le cadre des textes, il existe un paiement des remplaçants durant l'été. En France, un tel système n'existe pas, c'est bien cela.

Mme Frédérique Dechers - Oui.

Je voudrais aussi souligner que nous nous sommes rendu compte que la population prise en charge à domicile ne représente que 50 % des personnes âgées dépendantes. Qu'en a-t-il été des autres, de ces personnes que nous avons découvertes complètement isolées sur le plan social, perdues à leur quatrième étage ? C'est une situation qui nous a beaucoup choqués : nous l'avons en effet découverte lorsque l'APA s'est mise en place, révélant des personnes bénéficiaires qui, auparavant, n'étaient suivies nulle part. Ainsi, tout un pan de la population âgée ne bénéficiait d'aucun suivi. L'épisode de cet été indique suivie, alors que nous aurions eu besoin de quelques heures pour intervenir auprès d'elles. Vous nous avez demandé comment nous aurions pu intervenir auprès de ces populations : il aurait tout d'abord fallu les repérer, puis avoir la faculté de les visiter ne serait-ce que deux fois par semaine pour voir si la situation demeurait stable et si les conditions minimales de maintien à domicile étaient encore préservées. La prévention pose toujours des problèmes importants, d'autant plus que les media ont assez peu relayé l'ensemble des préconisations qui avaient pu être faites concernant l'hydratation, par exemple. On aurait pu par un lien direct avec la personne empêcher que des situations ne se dégradent très vite, en l'espace de quelques semaines.

M. le président de la mission d'information - Je m'adresse aux deux associations : avez-vous, au plan national, lors de la canicule, passé des informations à vos responsables de secteurs, à vos personnels, sur des mesures supplémentaires à prendre, ou bien les femmes qui y travaillent ont-elles suffisamment de bon sens et sont-elles suffisamment proches de leurs personnels ? De vous-mêmes vous saviez peut-être qu'il n'y avait pas de problèmes. Mme la présidente de l'ADMR nous a tout à l'heure indiqué que la qualité du service était suffisante pour assumer la situation.

Mme Danièle Dumas - C'est vrai que nous avons aujourd'hui des auxiliaires de vie sociale qui sont responsables et qui ont essayé de faire le maximum. C'est vrai que toutes ne sont pas formées mais, dans la plupart des cas, elles ont eu du bon sens, comme vous dites, et elles ont été alertées par les media, un petit peu par nous aussi, puisque nous leur avions demandé de faire plus spécialement attention. Elles se sont également rendu compte que nous modifiions les plannings pour des raisons précises. Chacun s'est efforcé de bien faire. En revanche, nous n'avons pas donné d'instructions en masse, mais nos responsables ont l'habitude de le faire en fonction des prises en charge de notre association.

M. le président de la mission d'information - Il y a encore vingt ans de cela, lorsqu'une personne âgée avait besoin d'être aidée, l'on s'adressait à une association et l'on obtenait par les caisses l'aide souhaitée. Ensuite, les forfaits, les quotas, ont été mis en place et vous ne pouvez plus accorder aux personnes âgées le nombre d'heures que vous voudriez. Pensez-vous que le système limitatif des quotas a été préjudiciable aux personnes âgées durant la canicule et qu'indirectement des décès se sont produits par manque de personnels ou d'une meilleure couverture ? Il y a vingt ans, les besoins étaient mieux couverts qu'aujourd'hui.

Mme Danièle Dumas - Je dirai que le système est préjudiciable depuis de nombreuses années, puisque cela fait longtemps que les prises en charge dépassent les quotas.

M. le président de la mission d'information - Vous voulez parler des demandes de prises en charge. 

Mme Danièle Dumas - Non, les heures réalisé président - L'UNASSAD a-t-elle connu le même problème ?

Mme Frédérique Dechers - Tout à fait. Nous avons des structures qui sont globalement en déficit chronique depuis de nombreuses années et ces déficits s'aggravent. Pour 2003, une enquête a révélé que la moitié de nos structures ne savent pas comment elles vont terminer l'année. Les raisons sont nombreuses, je les développerai plus tard, mais elles tiennent en particulier à des délais de paiement extrêmement importants. En outre, au mois d'août, des heures supplémentaires ont été réalisées, qui dépassent les quotas des caisses régionales d'assurance-maladie (CRAM). Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous allions obtenir les financements. Nous avons simplement fait ce que nous pensions devoir faire. 

M. le président de la mission d'information - Madame Paulette Guinchard-Kunstler désire poser une question.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Ma question traverse les travaux de la mission depuis le début : on se rend bien compte que dans une période de crise dramatique comme celle que nous avons vécue cet été, l'enjeu de l'accompagnement des gens très fragiles que sont les grands vieillards, dépendants ou non, réside dans la capacité de faire le lien entre le sanitaire et le social. Avez-vous l'impression d'avoir connu des difficultés pour entrer en relation avec les médecins généralistes, les infirmières libérales ? Ou, lorsque s'effectuaient conjointement les services à domicile et les services de soins à domicile, avez-vous eu l'impression que vous étiez mieux organisés et plus efficaces, y compris dans la mobilisation des professionnels ? Vous devez avoir des réseaux gérontologiques.

Mme Danièle Dumas - Pour le milieu rural que je représente, la chaîne fonctionne, du médecin à l'infirmière libérale. Nous sommes vite interpellés en cas de nécessité. En revanche nos services de soins à domicile et nos associations d'aide à domicile ont dû, étant donné notre manque d'aides-soignantes, recadrer ces dernières sur les personnes les plus dépendantes qui demandaient des soins appropriés, tandis que les personnels d'aide à domicile ont pris en charge le travail non médicalisé qu'ils pouvaient effectuer, comme la toilette. Les charges ont été réparties en fonction des malades, ce qui nous a permis d'assumer nos responsabilités dans la prise en charge aussi bien des personnes très dépendantes que des personnes moyennement dépendantes.

Mme Frédérique Dechers - Je partage totalement cette analyse. Un grand nombre d'expériences locales indiquent que lorsqu'un lien très précis est établi entre le service de soins et le service d'aide à la vie quotidienne, la situation est moins critique. Je voudrais ajouter que les textes sur la réforme des services de soins, qui sont encore en attente, nous aideraient beaucoup pour améliorer la coordination de ces services. La nécessité d'avoir un lien permanent entre ces deux types de structures est chaque jour plus & essaient donc dès le départ de cadrer les choses. Vous savez que nous avons repris une association sur Grenoble : cela s'est très bien passé. Nous faisons 300 000 heures et agissons dans le même esprit.

Mme Paulette Ginchard-Kunstler - Pour continuer sur la question de M. Colombier, j'aimerais savoir si vous avez ressenti ou non, de façon très concrète, l'importance des conditions d'habitat des personnes âgées, face à la canicule ? Celles qui étaient le plus en souffrance, celles que l'on ne repère pas, ne sont-elles pas surtout celles qui sont dans une situation d'isolement profond liée à leurs conditions d'habitat ?

M. le président de la mission d'information - Mesdames, vous avez d'ailleurs précédemment remarqué que les souffrances étaient fonction de certains types d'habitat. En milieu urbain particulièrement ...

Mme Danièle Dumas - L'habitat ne pose aucun problème en milieu rural profond, compte tenu de l'épaisseur des murs et du mode de vie des personnes âgées, qui les préserve. En revanche, en milieu urbain, ou dans des habitations plus récentes, avec de grandes baies vitrées par exemple, les personnes souffrent davantage. Nous sommes beaucoup plus intervenus dans ce type d'habitat, en faisant très attention à la réhydratation ou aux facteurs de préservation.

M. le président de la mission d'information - Il en est de même pour l'UNASSAD ?

Mme Frédérique Dechers - Le rapport de M. Besancenot contient des éléments précis indiquant nettement la corrélation entre la situation des grandes villes, la pollution atmosphérique et les conditions de vie des personnes âgées. Il est vrai que des départements très ruraux, comme le Lot-et-Garonne, où existent un grand nombre de structures, n'ont pas connu de difficultés particulières, alors que des grandes villes comme Lyon, Bordeaux ou Paris ont grandement souffert de cet épisode.

M. Georges Colombier - On a donc raison d'affirmer que l'habitat joue un rôle primordial : l'épisode de la canicule l'a encore vérifié. On ne doit pas laisser chez elle une personne âgée si son habitat ne le permet pas.

Mme Frédérique Dechers - Je voudrais préciser que lorsqu'une évaluation de la personne est faite dans des conditions optimales, on prend également en compte l'organisation de son habitat, ce qui permet de faire des préconisations très concrètes de type « aide technique », permettant par exemple de changer tout simplement une baignoire en douche. Mais il s'agit d'un dispositif de préconisations un peu compliqué.

Mme Catherine Génisson - Je voulais, mesdames, vous remercier de votre audition. Nous en retirons l'impression que vous n'avez pas vécu la même situation de crise que les autres personnes que nous avons déjà auditionnées, les médecins ou les spécialistes qui ont é Mme Catherine Génisson, monsieur le président : cette tranquillité et cette certitude d'avoir rendu service avec efficacité m'ont également frappé. Premièrement, avez-vous une telle tranquillité parce que vous avez conscience d'avoir bien pris en charge les personnes identifiées ? Deuxièmement, le problème qui demeure ne touche-t-il pas les personnes qui n'ont jamais été signalées faute d'avoir été identifiées ? Votre discours me semble en contradiction avec les déclarations des différents représentants des caisses de sécurité sociale qui disent accorder toutes les heures demandées - on a entendu cela la semaine dernière, monsieur le président - et ajoutent qu'on ne leur en demande pas davantage ! Je voudrais tout simplement vous remercier de tout le travail effectué par vos services.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Une remarque, tout d'abord : j'ai reçu la responsable du centre local d'information de coordination gérontologique (CLIC) du département du Doubs, laquelle anime en même temps un centre de soins gérontologiques travaillant en coordination avec un hôpital local. Toutes ces structures sont véritablement au cœur d'un dispositif conjoint où travaillent ensemble les libéraux, l'hôpital local, les services de maintien à domicile. Elle me disait que la force d'un CLIC ou d'un réseau de soins gérontologiques par rapport aux équipes médico-sociales qui évaluent les demandes de l'allocation personnalisée d'autonomie est d'agir d'une manière profondément différente :  les services de l'APA ne se rendent qu'une seule fois chez la personne et leurs agents ne sont pas, le plus souvent, formés à la gérontologie, c'est-à-dire à l'analyse réelle des besoins de la personne âgée. Elle me disait clairement que tout ce qui touche à l'habitat n'est pas du tout pris en compte par leur secteur. Mais surtout, l'absence de suivi met les gens en difficulté, car la mise en place de l'APA n'est pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'un suivi. Elle se rendait compte combien le CLIC ou le réseau de soins gérontologiques est un dispositif qui soutient les personnes âgées.

Il s'agit-là d'une des questions que nous aurons à approfondir lorsque nous formulerons nos intentions : la nécessité, dans le maintien à domicile, de suivre la personne qui demande de l'aide. On sait que les associations de maintien à domicile ont demandé depuis des années à devenir responsables du suivi de la partie sociale, ce que les conseils généraux ont toujours refusé, prétextant qu'ils doivent décider, puisqu'ils paient. Nous est renvoyé là l'enjeu véritable, qui réside dans le suivi de la personne âgée. Peut-être des personnes auraient-elles pu être mieux repérées si confiance avait été faite aux gens qui sont sur le terrain.

M. le président de la mission d'information - Je voudrais dire que je suis entièrement d'accord avec Mme Guinchard-Kunstler. Je préside une association qui a un CLIC associatif - il fait partie des vingt-cinq CLIC expérimentaux - et la coordination fonctionne de façon remarquable. L'expérience est positive. En revanche, j'ai été pendant vingt-trois ans conseiller gé bonnes. J'ai été un peu gêné d'entendre des responsables syndicales nationales d'infirmières très crispées sur les relations existant entre les personnels de santé et ceux qui n'en sont pas.

Mme Frédérique Dechers - Vous trouvez que nous avons une approche dédramatisée de la situation. Je voudrais néanmoins préciser que les structures ont eu à faire face à des situations humaines extrêmement difficiles. J'ai ainsi eu au téléphone le 18 août une directrice d'une grosse structure parisienne qui avait connu quarante décès la semaine précédente. Elle a dû faire face à la situation en faisant appel à un psychologue pour tenir des réunions de régulation, parce que les aides à domiciles qui étaient venues pour des remplacements d'été n'avaient pas imaginé qu'elles auraient dès le deuxième jour à trouver une personne âgée décédée chez elle. Sur le plan humain, les services qui ont connu une surmortalité importante ont connu des situations très difficiles.

Sur la place des bénévoles dans notre dispositif, je voudrais donner l'avis de l'UNASSAD : les bénévoles dans les structures que nous pilotons sont cantonnés aux conseils d'administration et aux bureaux. Nous considérons que l'intervention à domicile doit être réalisée par des professionnels et encadrée par des professionnels. Tel est notre schéma d'action. Il est important pour nous de travailler sur la professionnalisation et des intervenants et des encadrants. En revanche, toutes les solutions que l'on peut imaginer grâce à des passages de bénévoles - je pense à la médiatisation actuelle autour des Petits frères des pauvres - comportent des éléments de médiation qui, pour nous, institution UNASSAD, viennent en supplément de l'intervention professionnelle.

Mme Guinchard-Kunstler a donné un éclairage important concernant le suivi de la personne âgée. Il nous semble qu'un maillage est effectivement nécessaire entre la partie sanitaire et la partie « vie quotidienne à domicile ». Mais nous avons aussi besoin de travailler avec les autres acteurs que sont les établissements pour personnes âgées et les hôpitaux, ce que nous avons davantage de mal à faire. C'est surtout sur ce lien-là qu'il faut travailler, avec par exemple la création de structures temporaires d'hébergement ou de petites unités de vie, des sas, destinés aussi bien aux personnes aidées qu'aux familles. Nous croyons très fortement en ce type de structures liées au domicile et non seulement à l'institution. Les choix, aujourd'hui, non sans une certaine dérive, semblent s'orienter plutôt vers l'institution. Nous pensons que le domicile peut travailler sur la mise en place de telles structures.

Quant aux relations avec les infirmières libérales, nous avons un grand nombre de services de soins qui fonctionnent avec deux types d'infirmières soignantes : des infirmières soignantes salariées du service de soin, et des infirmières libérales, avec une système de convention. Nous ne connaissons pas de difficultés particulières, vu de notre institution.

d'aide, en étant le regard du tiers sur les aidants, mais aussi en assurant le lien social et une fonction d'accompagnement, ce qui n'entrave en rien le nécessaire besoin de professionnalisation du personnel d'intervention.

La question des enveloppes « CRAM » renvoie, quant à elle, au mode de financement de ce secteur et aux difficultés propres à la logique d'enveloppes financières. A l'ADMR, nous tenons beaucoup aux valeurs inhérentes à l'APA, aux droits de la personne, aux plans d'aide construits à partir des besoins de la personne et non en terme d'enveloppes données à des services, dans lesquelles nous nous retrouvons enfermés et qui empêchent nos associations d'avoir la réactivité dont nous avons fait preuve cet été. Le respect du droit de la personne aidée nous paraît fondamental : les formes de financement doivent, en amont, se fonder sur lui.

Nous avons une vision plus mesurée du travail de coordination que peut faire le CLIC qui, quelquefois, par son rayonnement sur des territoires beaucoup trop vastes, englobant des populations trop importantes, ne nous paraît pas suffisamment pertinent. La meilleure coordination possible s'effectue autour du lit de la personne aidée, et sur un maillage territorial qui doit être plus affiné que n'est celui du CLIC. Des moyens importants sont donnés aux CLIC alors qu'il serait plus pertinent de les affecter directement aux services d'aide situés près de la personne.

Nous ne vivons pas au quotidien de difficultés particulières dans nos relations avec les infirmières libérales.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - On ne peut que constater le grand écart existant entre ce que disent les responsables syndicaux et la réalité.

Mme Danièle Dumas - Je voudrais pour conclure revenir sur le bénévolat. Nous sommes pour une véritable professionnalisation mais le « professionnel » n'exclut pas le « bénévole ». Ce que nous souhaitons, c'est une reconnaissance du bénévolat et des crédits pour la formation de nos bénévoles. Nous nous trouvons un petit peu « ringards » avec notre bénévolat, mais je m'aperçois que nous sommes aujourd'hui dans l'air du temps et indispensables au fonctionnement de la société. Notre revendication est bien celle de la reconnaissance du bénévolat, ce qui nécessite des moyens pour le former. Nous avons donc besoin d'un encadrement professionnalisé qui aide ce bénévolat en place.

La coordination, quant à elle, doit se trouver au plus près possible du malade. Quand nous avons des CLIC qui rayonnent sur 100 000 habitants ...

M. le président de la mission d'information - Ils ne devraient pas. Normalement, le chiffre est de 12 000 personnes âgées.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Ce n'est pas normal, en effet. C'est grave, car les financements ne devraient pas être accordés dans un tel cadre.

au répit. Nous avons été le relais durant ce répit. Mais œuvrant au quotidien en tant que bénévoles, nous nous apercevons que nous ne pourrions pas faire du maintien à domicile si les familles n'étaient pas présentes. Il faut de l'aide aux aidants, des solutions de répit : accueil de jour, accueil temporaire, solutions qui manquent dans toute la chaîne.

En outre, l'optique d'une coordination, ne privilégions pas les établissements. Dans les réunions auxquelles nous participons, nous avons perçu l'arrivée en masse des maisons de retraite et du service hospitalier ayant pour objectif de s'occuper de l'aide à domicile. Or ils ne réagissent pas du tout de la même façon que nous. Nous construisons, quant à nous, des services sur mesure.

Mme Paulette Ginchard-Kunstler - Je serai brève. Ce que dit Mme Dumas est essentiel : le positionnement entre le monde sanitaire et le monde social, les associations du handicap l'ont mené il y a trente ou quarante ans. Il a permis de porter un regard totalement différent sur les exigences du monde du handicap. Le même problème se pose actuellement pour le maintien à domicile des personnes âgées. Il nous appartient à nous, élus, de relayer ce que disent les associations de maintien à domicile.

M. le président de la mission d'information  - Mesdames, je vous remercie beaucoup pour le travail que vous effectuez. Tous les membres de la mission ici présents sont également membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale : nous connaissons l'importance du maintien à domicile dans notre pays. C'est ce que souhaitent toutes les personnes âgées : vivre le plus longtemps possible, dans de bonnes conditions, à leur domicile.

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XII. Audition de M. Jean-Louis Segura, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Bourgogne et de M. Philippe Ritter, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France

(séance du lundi 15 septembre 2003)

Monsieur le président de la mission d'information - Tout d'abord, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule. Pour lancer le débat, je souhaite vous poser quatre séries de questions.

Premièrement, quel a été le rôle des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) pendant la crise ? Pouvez-vous préciser, l'un et l'autre, à quelle date vous avez perçu qu'il se passait quelque chose d'anormal ? Qui avez-vous alerté ? Qui vous a alertés ? Comment, au niveau régional, a été gérée la crise ?

Deuxièmement, la canicule a-t-elle, selon vous, révélé une crise de l'hôpital, des urgences ? Faut-il les réformer ? Y a t-il eu un manque de personnel ?

Troisièmement, s'agissant des fermetures de lits, la réalité a-t-elle été conforme aux prévisions ? Certains critiquent la notion de taux de remplissage, qui selon eux, empêche l'hôpital de disposer d'un volant de lits suffisant en cas de crise. Qu'en pensez-vous ?

Quatrièmement, quels enseignements tirez-vous de ce drame ?

M. Jean-Marie Rolland - Je souhaiterais demander à M. le directeur de l'ARH de Bourgogne et à M. le directeur de l'ARH d'Ile-de-France pourquoi, dans leurs régions respectives, les taux de surmortalité ont été supérieurs, voire très supérieurs dans l'une d'elles, à la moyenne nationale ?

M. Jean-Louis Segura, directeur de l'agence régionale d'hospitalisation de Bourgogne - Pour répondre à votre première question, monsieur le président, le 8 août dernier, nous avons envoyé à la direction des hôpitaux un rapport concernant la gestion des lits. En effet, suivant en cela les recommandations du ministre, nous avons mis en place, depuis le mois de février, un dispositif de suivi de la gestion des lits qui regroupe les services des urgences, les SAMU, ainsi que l'ensemble des hôpitaux publics et privés. Ce dispositif nous permet de disposer chaque jour, matin et soir, d'un état de la situation des lits qui est notamment communiqué aux services d'urgences. Tous ces services savaient donc à tout moment quel était le nombre des lits utilisables en cas de difficultés.

On s'aperçoit rétrospectivement qu'à cette date, le 8 août, le nombre des décès était déjà le double du taux moyen constaté pour les l'inspectrice de la DDASS de permanence, non pas pour lui signaler le phénomène de canicule, mais pour lui faire part d'un problème de gestion des corps et lui demander - faute d'être parvenu à disposer, avec l'aide d'autres hôpitaux, de chambres froides en nombre suffisant - la liste des pompes funèbres réquisitionnables. L'inspectrice de la DDASS, qui n'a pas cette liste sous la main, estime cependant que la situation est révélatrice d'un phénomène antérieur au dimanche 10, l'engorgement ne pouvant dater de la matinée. Le chef du service des urgences indique que, depuis plusieurs jours, son service enregistre, par transfert de personnes âgées, un nombre de décès considérable auxquels ils se sont employés à faire face, selon la tradition hospitalière, en utilisant le fonctionnement en réseau de l'ensemble des établissements de Côte d'Or, sans que cette situation ait pour autant été signalée aux présidents des conseils d'administration, au préfet, à la DDASS, à la DRASS ou à l'ARH.

Le lendemain matin, lundi 11 août, l'inspectrice de la DDASS appelle l'agence et, ce même jour, nous déclenchons un processus créant une cellule de crise qui couvre les quatre départements et à aller chercher l'information dans les établissements pour tenter de mesurer le phénomène, car nous fonctionnions en quelque sorte comme un sous-marin en plongée sans sonar ni périscope. Nous ne disposions d'aucune information avant l'appel du Centre hospitalier universitaire de Dijon.

C'est donc le 11 août que l'ARH prend en main le dispositif. A neuf heures trente, nous signalons aux différentes DDASS la saturation des chambres mortuaires constatée dans un établissement et nous leur demandons de collecter les informations auprès des différents établissements. A neuf heures cinquante, les hôpitaux du département de Saône-et-Loire nous signalent qu'ils ont constaté un nombre important de décès survenus en maisons de retraite le week-end précédent.

Le 11 août, toujours, l'un de mes collaborateurs se souvient que, l'été précédent, M. Hubert Falco avait diffusé une circulaire, que nous retrouvons et que nous transmettons aux établissements afin qu'ils prennent connaissance des recommandations qui figurent dans ce texte. A onze heures, nous prenons contact avec la préfecture pour l'informer de l'état de la situation connu. Encore une fois, nous savions très peu de choses : les informations remontaient au compte-gouttes et il fallait les réclamer.

Le dispositif de crise est donc mis en place dans la matinée entre les quatre DDASS et l'agence. A dix heures, nous avons un contact avec la direction des hôpitaux, la DHOS, pour échanger nos informations. Celle-ci nous apprend que des phénomènes similaires sont constatés dans d'autres régions. A onze heures quarante-sept, nous envoyons à la DHOS la circulaire Falco, laquelle nous est revenue à quatorze heures cinq, avec l'instruction DHOS, mais nous l'avions déjà diffusée auprès des établissements.

Vers treize heures, j'appelle le cabinet du ministre. A l'époque, mon des lits de médecine. Il ne s'agissait pas encore de la fin du phénomène, mais nous n'en étions pas loin, puisque, en Bourgogne, le nombre des décès commence à chuter le 13 et, plus sensiblement, le 14 août, pour revenir à la normale autour du 17 août.

Nous avons également mobilisé les médias. J'ai en effet fait publier par la presse quotidienne régionale et France 3 un communiqué qui reprenait les recommandations de la circulaire Falco et mentionnait le numéro vert qui avait été mis en place au début de la semaine.

M. Philippe Ritter, directeur de l'agence régionale d'hospitalisation d'Ile-de-France - Nous avons perçu très tardivement la gravité de la situation, en Ile-de-France comme ailleurs, bien que la crise ait été plus sensible dans cette région.

Monsieur le président de la mission d'information - Quand avez-vous été alerté ?

M. Philippe Ritter - Nous avons été alertés le 8 août, non pas par des établissements relevant directement de l'agence, ni par les DDASS, mais par l'Assistance publique, qui nous a signalé qu'il se passait des choses inhabituelles dans leurs établissements. Nous avons donc demandé à la DRASS de dresser un état de la situation régionale pour le lundi matin, 11 août, date à laquelle nous avons envoyé aux établissements une circulaire leur demandant de prendre des dispositions spécifiques telles que la déprogrammation d'activités chirurgicales, l'adaptation des capacités d'accueil, la communication d'informations, etc.

Je n'entre pas dans la chronologie des événements, mais il faut être très conscient que les établissements n'ont pas attendu de recevoir des instructions pour se mettre en situation de répondre à la crise. Chacun l'a fait « le nez dans le guidon », sans même avoir l'idée d'en rendre compte directement aux DDASS ou à l'agence, bien que nous ayons donné une instruction permanente demandant aux établissements de rendre compte de tout problème de santé publique sérieux.

A cet égard, je voudrais vous citer une anecdote très significative. Le chef du service des urgences de l'hôpital d'Argenteuil, qui accueille plus de cinquante mille personnes par an, m'a dit, il y a quelques jours, ne pas avoir pris conscience qu'il se passait quelque chose d'exceptionnel avant le 8 août, date à laquelle il a alerté sa direction pour lui faire part, non pas d'un phénomène exceptionnel, mais de la très forte chaleur qui régnait dans le service des urgences. Je rappelle que le premier pic a eu lieu les 7 et 8 août. Ensuite, les choses se sont calmées pendant le week-end et le pic principal a eu lieu les 11 et 12 août. Durant le week-end, on a donc estimé, dans de nombreux services, que le plus dur était passé alors qu'il était à venir.

Nous n'avons reçu des établissements relevant directement de l'agence aucune information ponctuelle, assez nouveau.

La perception de la situation en Ile-de-France est comparable à celle qui a eu lieu en Bourgogne. Globalement, les établissements ont faire preuve d'une grande réactivité : ils ont su faire face en supprimant d'emblée des activités programmées, en mettant des lits chirurgicaux à la disposition des services de médecine, en demandant à leur personnel de ne pas partir en vacances ou d'interrompre leurs congés et en embauchant des intérimaires.

En Ile-de-France, un seul établissement avait spontanément mis en place le « plan blanc » et un seul préfet en avait ordonné la mise en œuvre dans son département. L'alerte nationale et l'annonce de la mise en œuvre généralisée du « plan blanc » ont eu un effet psychologique, car elles ont permis de dégager des lits supplémentaires, qui, jusque là, étaient peut-être restés cachés au niveau de chaque service, et de mobiliser davantage le personnel, qui n'a pas hésité à faire des heures supplémentaires, voire à retarder son départ en congés.

M. Claude Evin - Ma question s'adresse plutôt à M. Philippe Ritter, car M. Segura y a répondu par avance. Du reste, il semble que les problèmes se soient davantage posés en région Ile-de-France. Dans le rapport Lalande, il est indiqué qu'il semble que sur le terrain, établissement par établissement, les prévisions de fermetures de lits d'aval - qui sont le véritable problème - n'aient pas toujours été respectées. Certains établissements en auraient fermé davantage que prévu. Pouvez-vous nous faire part de votre appréciation ?

M. Philippe Ritter - J'ai été un peu surpris par le chiffre qui figure dans le rapport Lalande, car ce n'est pas celui que nous avions indiqué, qui est de 20 à 22 % de fermetures.

M. Claude Evin - Le chiffre que vous mentionnez correspond-il à la réalité ou à ce qui avait été décidé ?

M. Philippe Ritter - C'est ce qui avait été prévu, et la réalité était de cet ordre-là. Je précise tout de même que nous n'avons qu'une connaissance très approximative des choses et que ces chiffres ne sont pas validés : ce sont ceux qui sont déclarés par les établissements, lesquels - l'expérience le montre - n'ont pas toujours une bonne connaissance de la réalité. J'y faisais allusion tout à l'heure à propos de la généralisation du « plan blanc ». Lorsque celui-ci a été déclenché, certains chefs de service qui, jusqu'alors, prétendaient ne plus avoir de lits se sont dit que cette fois, ils devaient les mettre à disposition. J'ajoute que souvent, les établissements n'avaient pas conscience de ce qui se déroulait en leur sein. Les urgentistes faisaient face à une situation de crise, mais, malheureusement, ils ont l'habitude d'avoir, dans leurs couloirs, des personnes sur des brancards. L'é car, actuellement, beaucoup d'établissements ferment des lits à longueur d'année. Cette année, d'ailleurs, compte tenu de ce qui s'est passé au mois d'août, les personnels prennent leurs congés au mois de septembre et les lits rouvrent moins vite que les années précédentes.

Compte tenu des tensions qui existent, notamment en région Ile-de-France, en matière de personnels infirmiers - on considère qu'il manque pas loin de 10 % des effectifs théoriques -, il n'existe quasiment plus de période où tous les lits sont ouverts. C'est pourquoi notre suivi doit être étendu à l'ensemble de l'année et ne plus être concentré sur Noël ou les vacances d'été.

M. Jean-Marie Rolland - J'aimerais connaître votre sentiment sur les raisons pour lesquelles certaines régions ont été plus touchées que d'autres.

M. Jean-Louis Segura - Vous savez, monsieur le député, qu'en Bourgogne, la population connaît un vieillissement accéléré : 74,4 % contre 59,5 % au niveau national. Par ailleurs, cette région compte 25 000 personnes âgées résidant dans 330 établissements.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'avais le sentiment qu'en Bourgogne, certains départements avaient développé, notamment pour des raisons liées à l'emploi, des politiques d'accueil importantes, que ce soit dans le champ du handicap ou dans celui de la vieillesse. Pour bien connaître ce secteur, je sais que certains hôpitaux généraux de villes moyennes se sont transformés en hôpitaux locaux ou en structures d'accueil de long séjour. C'est un phénomène propre à la Bourgogne : le dispositif d'accueil en établissements y est relativement important.

M. Jean-Louis Segura - En Bourgogne, la densité en hôpitaux locaux est quatre fois supérieure à la moyenne nationale. Et ce sont, pour partie, des établissements pour personnes âgées.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Peut-être est-ce la raison pour laquelle le taux de mortalité et le taux de vieillissement de la population sont importants, car certaines personnes originaires d'Ile-de-France sont prises en charge en Bourgogne.

Par ailleurs, je souhaiterais vous poser deux questions. On s'aperçoit, au fur et à mesure des auditions, que l'anticipation est un véritable enjeu. En effet, quand les gens sont arrivés à l'hôpital, il était déjà trop tard. Or, cette anticipation nécessite un lien entre les secteurs sanitaire et social. Comment concevez-vous l'évolution des structures, notamment de leur gestion,  à cet égard ?

Ensuite, comment le plan de gériatrie qui a été lancé l'année dernière est-il mis en place ? Y a-t-il eu une réponse globale des hôpitaux ? De quelle manière les ARH ont-elles animé ce dispositif ?

Il me semble surtout que l'on ne peut plus traiter les problèmes hospitaliers en ignorant l'amont - c'est-à-dire la médecine de ville, le milieu familial, voire les maisons de retraite qui ne sont pas ou insuffisamment médicalisées - et l'aval, c'est-à-dire les lits d'aval des urgences, au sein ou en dehors de l'hôpital, dans les services de soins de suite et de réadaptation.

En ce qui concerne la région Ile-de-France, l'ARH a arrêté des schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) « personnes âgées à l'hôpital » au début de l'année 2003, avec notamment pour objectif de développer des équipes mobiles de gériatrie. Actuellement, la région compte vingt-cinq services de courts séjours gériatriques, mais seuls cinq d'entre eux sont dans les services d'accueil et de traitement des urgences (SAU). Notre objectif est de mettre en place une équipe mobile de gériatrie et des lits de courts séjours gériatriques dans chacun des trente-cinq établissements sièges de SAU. Nous avons engagé cette démarche, mais d'autres pistes existent. S'agissant, par exemple, des lits d'aval, il existait un déficit de 5 000 lits de soins de suite en Ile-de-France ; 4 000 ont été autorisés ces trois dernières années, dont 2 500 sont installés ou en cours d'installation. Cela signifie qu'à très court terme, les lits des services de médecine dans les établissements hospitaliers pourront être dégagés plus facilement, puisqu'un cinquième de ces lits sont actuellement occupés par des patients en attente d'une autre structure. C'est donc, me semble-t-il, davantage par ce type d'actions que par des renforts de moyens dans les services d'urgence que nous parviendrons à régler le problème. Certes, ces services ont toujours besoin de moyens supplémentaires, mais il faut traiter le problème plus globalement.

M. Jean-Louis Segura - Je précise qu'outre le nombre important de personnes âgées et d'établissements les accueillant en région Bourgogne, il faut tenir compte du fait que cette région a connu une première canicule en juin et que celle-ci s'est prolongée au mois de juillet, durant lequel on s'aperçoit, avec le recul, qu'il y a déjà un pic de décès. J'ajoute que le 15 juillet, France 3 Bourgogne a consacré un reportage à la pollution par l'ozone. En effet, dans la région de Dijon, la concentration d'ozone a atteint 240 micro grammes par litre d'air, c'est-à-dire un taux extrêmement élevé qui a dû utilisé un « booster budgétaire » qui a permis d'augmenter, par rapport à la dotation normale d'un établissement, le budget des unités de proximité d'accueil de traitement et d'évaluation des urgences (UPATOU) de 0,3 % en dotation budgétaire théorique et celui des SAU de 0,5 %. Autrement dit, tous les établissements sièges d'UPATOU et de SAU ont vu leurs dotations théoriques, sur le taux de reconduction, valorisées à ce niveau-là.

Par ailleurs, nous avons accompagné un grand nombre d'établissements - Mâcon, Sens, Paray-le-Monial, Decize, Châtillon, Montbard - sur le plan budgétaire et tous les contrats d'objectifs et de moyens de la région comprennent un volet « urgences ». Nous avons également achevé la rénovation des services des urgences de Dijon et de Chalon et nous allons, au titre du plan « Hôpital 2007 », rénover un grand nombre de sites hospitaliers dotés d'un service d'urgences.

Il me semble donc qu'il ne s'agit pas d'un problème de moyens. Le système sanitaire apparaît en fait, au regard d'autres univers administratifs, comme un extraordinaire patchwork dont tous les éléments sont censés se compléter mais peuvent aussi s'opposer. On se demande qui est le pilote de ce système sanitaire, social et médico-social. Quand il s'agit, lors d'une crise du type de celle que nous avons connue au mois d'août, de coordonner l'action des maisons de retraite, du secteur médico-social, des services d'urgence, des hôpitaux et des cliniques, il faut que quelqu'un prenne les rênes. C'est ce que nous avons fait, la nature ayant horreur du vide. Je constate d'ailleurs que nous avons été à peu près les seuls à être en ligne sur ce sujet durant l'été. Encore faudrait-il que l'on précise pour l'avenir quelles sont les responsabilités et qui fait quoi.

M. Claude Evin -Vous avez dit, tout à l'heure, monsieur Philippe Ritter, que le déclenchement du « plan blanc » avait permis de mobiliser les personnels. Mais j'aimerais savoir si l'organisation administrative de l'hospitalisation spécifique à l'Ile-de-France vous a posé problème ou, en tout cas, s'il ne vous est pas apparu à cette occasion qu'elle pouvait poser problème. Ma question est un peu malicieuse : elle concerne votre responsabilité - ou plutôt votre non-responsabilité sur l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.

M. Claude Leteurtre - Comme vient de le dire M. Segura, il faut un pilote, et un seul. Globalement, il faut créer des s régionales de santé, et non plus des s régionales d'hospitalisation. Il faut, sinon supprimer les ARH, du moins les transformer.

M. Philippe Ritter - En effet, les s ont fait ce qu'elles pouvaient, mais il faut bien être conscients que leurs compétences recouvrent la planification et l'allocation de ressources, en aucun cas la gestion des crises : elles ne sont pas équipées pour cela. Nous avons tenté de faire face, mais si l'on souhaite confier de manière pérenne cette compétence aux ARH, il faut leur en attribuer les moyens juridiques et pratiques. Pour ma part, je considère - été satisfaisante tout au long de cette crise. L'ARH était invitée à participer aux réunions de crise à l'AP-HP. Nous avons donc pu échanger des informations. Cependant, il est vrai que se pose de manière récurrente le problème de la responsabilité juridique de l'ARH face à l'AP-HP. On n'a jamais souhaité remettre en cause l'organisation actuelle des responsabilités. Depuis que je suis en poste à la région Ile-de-France, je constate que l'ARH et l'AP-HP peuvent travailler ensemble sur des sujets concrets. Cette dernière est d'ailleurs placée sous la responsabilité de l'agence en matière de planification, mais elle ne l'est pas en ce qui concerne l'allocation de moyens et la contractualisation.

Il me semble en tout cas qu'une meilleure articulation entre les ministères de tutelle et l'agence, d'une part, et l'AP-HP, d'autre part, est nécessaire. Il est évident que les ministères ne se sont pas donné les moyens d'un suivi efficace de l'AP-HP. Peut-être pourrait-on, sans toucher à l'organisation juridique, créer une cellule conjointe au ministère et à l'agence qui assurerait un meilleur suivi. Par ailleurs, les relations personnelles tiennent une place importante, et les crises récentes nous ont permis de mieux nous connaître et de travailler ensemble.

Ma conclusion générale serait la suivante : il faut absolument savoir qui fait quoi dans le cadre d'une gestion de crise. C'est ce qui a manqué le plus au mois d'août.

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XIII. Audition de M. William Dab, directeur général de la santé

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule et souhaite, pour commencer, vous poser quatre séries de questions préalables. Premièrement, quel jugement peut-on porter sur l'action de la DGS pendant la crise ? Quelles en ont été les insuffisances ? Votre nomination a-t-elle été accompagnée d'une lettre de mission ? Deuxièmement, sur un plan concret, la répartition des tâches entre la DGS et l'InVS est-elle claire et efficace ? Troisièmement, la DGS a-t-elle joué son rôle d'alerte ? A-t-elle, par exemple, relayé avec suffisamment de force l'alerte qui lui a été signifiée par l'InVS ? J'avoue que, au fil des auditions, c'est une question que je me pose de plus en plus. Quatrièmement, comment peut-on expliquer que la DGS n'ait apparemment pas eu d'informations sur l'ampleur de la crise avant le 7 ou le 8 août ?

M. William Dab, directeur général de la santé - Il me semble important que je vous relate ce qui s'est passé au cours de la semaine du 4 au 8 août, époque à laquelle j'étais conseiller technique de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé. Je rappelle que je suis moi-même médecin et épidémiologiste.

Le mercredi 6 août, à quatorze heures trente, j'ai tenu, au cabinet du ministre, avec le sous-directeur de la DGS chargé de la gestion des risques des milieux, une réunion qui avait pour but de faire le point sur les mesures prises pour contrôler l'épidémie de légionellose qui sévissait à l'époque à Montpellier - vingt cas, deux décès et une source non identifiée - et me souciait énormément. A cette occasion, le sous-directeur me fait part de son intention d'informer par communiqué de presse des effets possibles de la pollution atmosphérique. Les dangers de l'ozone sont connus - il se trouve que j'ai personnellement travaillé sur ce sujet - et je lui donne mon accord pour cette action d'information, en lui demandant que l'impact de la chaleur soit également développé dans le texte du communiqué.

Après la réunion, j'ai réfléchi à ce sujet, sur lequel, sans y avoir directement travaillé, j'ai une culture épidémiologique, car lorsque j'étais en poste à l'Observatoire régional de santé en Ile-de-France, j'avais étudié l'impact de la vague de froid de janvier 1985 sur la mortalité dans cette région. J'avais donc la notion épidémiologique que les vagues de chaleur présentaient également des risques élevés. Aussi ai-je adressé à Yves Coquin, qui est le directeur adjoint, responsable de la DGS en l'absence du directeur, le mercredi 6 août à seize heures était d'accord avec moi. Le communiqué sur la chaleur est donc publié le 8 août à seize heures et, le 9 août, je quitte la France pour mes congés prévus pour deux semaines.

Je tiens à dire que tout au long de cette semaine, j'ai parlé au ministre à plusieurs reprises. Notre principal sujet de discussion était la préparation de la révision de la loi de 1970. Nous devions finaliser notre position pour la transmettre à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies, ce que nous avons fait. Je l'ai tenu informé de la situation concernant la légionellose à Montpellier et je lui ai indiqué que nous préparions un communiqué de presse sur la chaleur.

Le 11 août, j'ai appelé, depuis mon lieu de vacances, Mme Bolot-Gitler qui, elle-même, revenait de congés et prenait les fonctions de directrice de cabinet. Je voulais l'informer des problèmes de sécurité sanitaire qu'elle pouvait rencontrer et au premier rang desquels j'ai placé ma principale inquiétude, c'est-à-dire l'épidémie de légionellose à Montpellier. Je lui ai également mentionné le communiqué de presse du 8 août dont elle était parfaitement au courant. Elle me signale alors, tout d'abord, que le docteur Pelloux a lancé un cri d'alarme la veille à la télévision en critiquant la Direction générale de la santé, ensuite que le ministre interviendra le soir même à la télévision et qu'enfin, Bernard Kouchner avait déclaré que l'on ne pouvait pas reprocher la canicule au Gouvernement. En fin de matinée, le directeur général de la santé me téléphone et je lui communique les mêmes informations.

Mardi 12 août, j'ai rappelé Mme Bolot-Gitler pour savoir comment la situation évoluait. Elle m'a indiqué que la situation était tendue dans les hôpitaux et que le ministre avait décidé de se rendre sur le terrain.

Le mercredi 13 août, j'ai une conversation téléphonique avec le directeur général de la santé qui m'apprend sa première estimation, fondée sur les informations des Pompes funèbres générales, qui est de 3 000 décès. Il m'indique que l'Institut de veille sanitaire n'est pas en mesure de lui fournir des informations.

C'est le dimanche 17 août que le ministre me téléphone et me demande de refaire avec lui le point sur les informations qui étaient en ma possession avant mon départ en congés. Il m'informe que la situation est très grave et qu'il va vraisemblablement me demander d'interrompre mes vacances. Le lundi 18, je prends mes dispositions pour rentrer à Paris, où je suis arrivé mardi matin.

Je vais maintenant tenter de répondre aux questions précises que vous m'avez posées.

Je veux d'abord souligner qu'au cours de la première semaine du mois d'août, je n'ai reçu aucun signal d'alerte sur le retentissement de la canicule, ni du terrain, ni des urgentistes, ni des administrations, première question, je crois très franchement que le pays n'était pas prêt, la DGS ni plus ni moins qu'un autre, à faire face à cette agression environnementale majeure. J'ai étudié les choses avec attention et je suis persuadé aujourd'hui que la DGS n'a fait aucune rétention d'informations. Je crois qu'à chaque étape, elle a transmis, notamment au cabinet du ministre, les informations qui étaient en sa possession. Le problème qui se pose tient au fait que de nombreuses personnes ont eu connaissance de bribes d'information, mais que personne n'a été en situation, au cours de la première semaine du mois d'août et jusqu'au 12 août, d'avoir une vision globale de la situation. Bien entendu, si quelqu'un avait mis bout à bout les signaux des pompiers, de SOS médecins, des urgences hospitalières, il se serait aperçu que quelque chose se dessinait. La DGS a reçu, le 7 et le 8 août, un ou deux appels de DDASS lui signalant des décès par hyperthermie mais elle n'a reçu aucune autre information - j'ai commandé un dossier sur ce sujet. La DHOS en a reçu certaines, mais, là encore, elles étaient fragmentaires. A l'évidence, ni le système d'alerte ni le dispositif de réponse n'avaient été préparés pour faire face à un événement d'une telle ampleur.

Oui, j'ai reçu une lettre de mission dans laquelle il m'est demandé de proposer, dans un délai de trois mois, une réorganisation permettant à la direction générale de la santé de gérer les situations exceptionnelles.

Mon travail ne consiste pas à tirer les enseignements de ce drame, mais à tenter de traduire les différentes recommandations qui me seront adressées, notamment les vôtres, dans l'action de la Direction générale de la santé. Toutefois, je veux vous livrer un élément d'analyse. Depuis dix ans - et nombre d'entre vous ont participé à ce travail -, nous avons accompli d`importants progrès en matière de sécurité sanitaire. Nous avons créé des agences, redistribué les rôles entre celles-ci et l'administration, séparé l'expertise de la décision, de sorte que nous disposons d'une expertise de haut niveau en matière de sécurité sanitaire. Lorsque l'on étudie cela de près, on a l'impression que la manière dont on a tiré les leçons du passé peut se formuler de la manière suivante : quand les données scientifiques sont incertaines et font l'objet de controverses, il nous faut une expertise de haut niveau et indépendante. Le prototype de cette démarche est ce qui s'est passé lors de l'apparition du prion pathogène. L'idée selon laquelle, dans des situations incertaines, il faut protéger la santé a alors émergé et s'est incarnée dans ce que l'on appelle désormais le principe de précaution, dont j'ai moi-même été un ardent défenseur.

Or, j'ai le sentiment, aujourd'hui, lorsque je regarde le travail de la DGS et des agences, que la garde a été baissée vis-à-vis de situations dont les conséquences sont certaines. Je pense aux tempêtes, aux catastrophes naturelles et aux vagues de chaleur.

Dans la lettre de mission informations ?

Par ailleurs, la canicule a souligné la nécessité de prendre des décisions concernant les problématiques climatologiques. Mais lorsque l'on est en charge de la santé de la population et que l'on est amené à réfléchir à d'autres crises éventuelles, quelles sont les hypothèses que l'on peut formuler ? Comment peut-on prévoir l'imprévisible ? Certes, nous devons tirer les leçons des effets de la canicule. Mais demain, nous pouvons être confrontés à je ne sais quel phénomène que nous n'imaginons pas aujourd'hui.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Tout d'abord, j'aimerais connaître le nombre des personnes qui, au sein de la Direction générale de la santé, se consacrent à la problématique des personnes âgées et du grand vieillissement. Ensuite, je m'interroge sur les problèmes de transfert d'informations en direction des personnes qui, sur le terrain, sont en charge des personnes âgées. Le contenu de la formation de ces professionnels est-il satisfaisant ? Est-il possible d'y inclure notamment ces situations de risque extrême ?

M. Georges Colombier - Vous avez dit que l'on avait baissé la garde et qu'il vous était demandé de réorganiser la Direction générale de la santé. Or, contrairement à ce que dit Claude Evin, même si ce n'est pas contradictoire, il me semble qu'il est urgent d'agir. Je pense notamment au risque d'épidémie de grippe, l'hiver prochain, qui est prévisible.

M. Jean-Marie Rolland - Pourra-t-on expliquer un jour de telles inégalités de surmortalité selon les départements ? Par ailleurs, Il y a environ 5 000 cantons en France. La moyenne des décès est donc de trois par canton. Or, il est fort probable que si la mortalité avait touché une autre classe d'âge, nous aurions été alertés bien plus tôt. Autrement dit, le fait que ce soient les personnes très âgées qui aient été victimes de la canicule n'a pas été favorable à l'alerte. Ma question est donc à la fois philosophique et scientifique : comment éviter qu'une affection touchant cette classe d'âge reste longtemps inaperçue ?

M. le président de la mission d'information - Je voudrais quant à moi vous rappeler deux de mes questions, monsieur le directeur. La répartition des tâches entre la DGS et l'InVS est-elle claire et efficace ? Et la DGS a-t-elle reçu des informations de l'InVS ? A quelle date et de quelle nature ? Nous avons en effet la version de l'InVS. J'aimerais connaître celle de la DGS. Par ailleurs, vous aviez demandé à M. Coquin un DGS-Urgent. Qu'est devenue votre demande ?

M. Wiliam Dab - Il me semble que la répartition des tâches entre l'InVS et la DGS est relativement claire. La loi du 1er janvier 1998 confie clairement la mission d'alerte à l'Institut de veille sanitaire, et c'est bien. Elle précise par ailleurs que cette mission consiste à alerter les pouvoirs publics des menaces pour la santé de la population, quelle qu'en soit l'origine rédigé à partir de capteurs d'informations qu'il aura lui-même mis en place, de la littérature scientifique, des journaux, de l'OMS, des Centers for diseases control et du LCDC britannique. Ce bulletin devra nous être adressé quotidiennement - selon un système de cotation sur lequel nous pourrons travailler avec lui - et comprendre non seulement une liste des alertes mais aussi un jugement scientifique sur le degré d'urgence, de probabilité, de gravité potentielle, afin que la DGS puisse travailler sur les systèmes de réponse. Certes, nous ne pourrons pas être opérationnels du jour au lendemain mais je demande à cet institut, qui est placé sous ma tutelle, de réaliser ce travail, que je crois faisable.

Par ailleurs, les menaces sur la santé de la population sont nombreuses mais elles ne sont pas infinies. On peut donc les anticiper. Aussi l'InVS devra-t-il mettre en place - il a quelques mois pour le faire - un tableau de bord stratégique d'identification des menaces susceptibles de peser, à moyen terme, sur la population. Cette tâche relève de la veille scientifique et technique. Lorsque j'étais en charge des études médicales d'Electricité et Gaz de France, un tel travail faisait partie des missions que le président d'EDF-GDF avait confiées à cette structure.

Vous avez tout à fait raison de dire qu'il ne faut pas s'enfermer dans des listes. C'est pourquoi ma préoccupation est de mettre en place un dispositif qui soit précisément capable de réagir à ce que l'on n'a pas prévu. Par exemple, au mois de janvier, on ne pouvait certes pas prévoir l'apparition du SRAS. Mais le scénario d'un nouveau virus à fort potentiel létal transmissible par voie atmosphérique peut, du point de vue de la santé publique, être envisagé. Je souhaite donc travailler sous forme de scénarios. Il me semble que, de ce point de vue, le partage des rôles entre la DGS et l'InVS est clair. J'ai un émetteur d'informations scientifiques, d'un côté. De l'autre, la Direction générale de la santé doit mettre en oeuvre des systèmes de réponse.

Plus qu'un « Plan canicule », je souhaiterais mettre en place un système de briques élémentaires de réponse. Par exemple, de nombreuses menaces qui pèsent sur la santé justifient que l'on prenne contact individuellement avec des personnes âgées fragiles, en raison soit de leur état de santé, soit de leur situation sociale. Du reste, aux Etats-Unis, les différents plans reposent fondamentalement sur la possibilité de rentrer en contact individuellement avec des personnes fragiles. Je n'imagine pas que ce repérage se fasse à une autre échelle que celle de la commune mais nous pouvons l'encadrer en mettant en place une procédure de repérage des personnes concernées. Je précise à cet égard, pour répondre à votre question, qu'il ne s'agit pas forcément de personnes âgées, car le problème est moins lié à l'âge qu'à l'isolement. Il nous faut donc développer une brique élémentaire de réponse « Lutte contre l'isolement ».

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je ne suis pas tout à fait d'accord.

L'InVS va donc dresser la liste des problèmes et la Direction générale de la santé celle des solutions. Nous disposerons ainsi d'une matrice qui nous permettra de nous assurer qu'à chaque problème correspond un ensemble de solutions. Cela prendra certes un peu de temps mais nous définirons des priorités, l'épidémie de grippe étant pour moi le problème le plus urgent.

Combien de personnes s'occupent des personnes âgées à la DGS ? Le bureau des maladies chroniques comprend sept personnes, dont un médecin gériatre, praticien hospitalier, qui connaît les problèmes de gériatrie et qui était d'ailleurs en vacances au mois d'août. A cet égard, je veux souligner que la DGS n'emploie que 339 personnes, soit - je vous invite à y réfléchir - à peu près autant que la Direction générale de l'alimentation, qui ne gère que les problèmes liés à l'alimentation, et moins que la Direction de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, qui ne gère que le domaine nucléaire. Or on demande à la Direction générale de la santé de gérer toute la santé publique avec 339 personnes. Je dois, dans le cadre de ma mission, établir l'adéquation entre la mission de la DGS et ses moyens et je vous assure que je ne ferai pas semblant : je dirai au ministre ce que je suis capable de faire en l'état actuel des choses et les moyens supplémentaires qui seront nécessaires s'il souhaite que l'on fasse davantage dans le cadre de certains scénarios.

A quoi sont dues les inégalités de surmortalité ? Les explications sont nombreuses mais le programme d'études lancé par l'Institut de veille sanitaire devrait nous apporter la réponse. Nous l'attendons pour affiner le plan que nous allons mettre en œuvre. A l'évidence, il n'y a pas eu trois décès par canton : il s'agit véritablement d'une mortalité des grands centres urbains. Des phénomènes d'îlots de chaleurs, les caractéristiques des habitats sont des facteurs d'explication mais certaines données sont nécessaires pour répondre à cette question. Hémon et Jougla sont parmi les meilleurs épidémiologistes en France, ils vont travailler avec l'Institut de veille sanitaire et ils nous fourniront ces données. En tout cas, le phénomène est à ce point unique que les Américains viennent de nous proposer de nous envoyer, à leurs frais, des épidémiologistes des Centers for diseases control pour accélérer l'analyse des données disponibles. Car, comme ils viennent de nous l'écrire, « Paris 2003 » est un événement princeps, c'est-à-dire qu'il n'a pas d'équivalent dans l'histoire. Outre l'analyse de la variabilité de la mortalité, qui est du ressort des épidémiologistes, la quantité d'études à mener et d'enseignements à tirer est considérable. Certaines études nécessitent que l'on interroge l'entourage familial des victimes. Il ne faut donc pas tarder à les mener et nous les mènerons. J'ai de très bons rapports avec très bon de rédiger un DGS-Urgent n'a pas été suivi d'effet ?

M. William Dab - Non. J'ai demandé par la suite pourquoi le DGS-Urgent n'avait pas été envoyé. On m'a répondu qu'il s'agit d'une procédure d'information des médecins, que ceux-ci connaissaient les précautions de base à prendre en période de canicule contenues dans le communiqué de presse du 8 août et que, par conséquent, il aurait été un peu insultant de les leur rappeler. Ils n'ont donc pas souhaité diffuser cette information par DGS-Urgent, estimant que la cible devait être la population générale et non les médecins qui sont censés savoir comment agir pour prendre en charge l'hyperthermie.

M. Claude Evin - S'agissant des DGS-Urgents, tous les médecins sont-ils actuellement connectés ou seulement les volontaires ?

M. William Dab - N'y sont connectés que les médecins volontaires, soit à peu près 10 % des médecins libéraux. Il se trouve que j'ai reçu une proposition de Cégétel, qui gère le RSS, de devenir un relais systématique des messages de DGS-Urgent, lesquels pourraient, dès lors, être distribués à tous les abonnés du RSS, c'est-à-dire à tous les médecins qui transfèrent les feuilles de soins, soit presque tous les médecins libéraux. Cette proposition me semble très intéressante, mais je veux m'assurer que cette procédure ne pourra pas être détournée à des fins commerciales. Une convention sera donc conclue entre la DGS et Cégétel. En tout état de cause, nous sommes favorables à l'utilisation de ce relais. S'agissant des médecins hospitaliers, je suis en train d'étudier avec Edouard Couty la manière dont on peut les avertir. Dès que j'ai pris mes fonctions, Cégétel m'a contacté. Je suis immédiatement entré dans une phase de négociation avec eux, avec l'intention d'aboutir dans la semaine qui vient. Le dispositif peut donc être opérationnel très rapidement.

M. le président de la mission d'information - Monsieur le directeur général, je vous remercie beaucoup de votre contribution.

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XIV Audition de M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière, de Mme Annie Msellati, membre du Syndicat des psychiatres de secteur et de M. Alec Bizien, secrétaire national du Syndicat de gérontologie clinique

(séance du lundi 15 septembre 2003)

Monsieur le président de la mission d'information - J'ai, pour commencer, quatre séries de questions à vous poser.

Comment, vous et vos confrères, avez-vous vécu la crise ?

A votre première question, monsieur le président, je répondrai que l'hôpital a mal vécu la crise parce que nous demeurons incrédules face à cette hécatombe sans précédent. Je souhaite insister sur cette incrédulité qui, dans le milieu hospitalier, est me semble-t-il culturelle, dans la mesure où la gestion des risques, la politique de déclaration d'événements imprévus ou non anticipés ne fait pas partie de sa culture. A ce titre, je regrette, comme bon nombre de mes collègues, de ne peut-être pas avoir déclaré ou fait déclarer un certain nombre d'événements dès le mois de juillet ou dès le début du mois d'août. En effet, à Lyon, certains collègues ont constaté, dès les tout premiers jours d'août, une mortalité accrue. Or, en l'absence de « clone » de Patrick Pelloux, celle-ci n'a pas été déclarée. C'est un regret.

La canicule a-t-elle révélé une crise de l'hôpital ? Cette hécatombe a indéniablement révélé à la fois le dévouement des personnels hospitaliers et leur engagement dans la gestion de la crise, et les terribles difficultés que nous rencontrons. Je vous les cite pêle-mêle.

On peut tout d'abord mentionner les dysfonctionnements de l'hôpital lorsqu'il a affaire à un afflux de patients pouvant donner lieu au déclenchement du « plan blanc ». Nous en avons vu, certes, son intérêt symbolique et sa valeur opérationnelle, mais aussi ses limites, puisque ce plan ne mobilise que des acteurs hospitaliers - il ne concerne ni les institutions privées ni les médecins libéraux. Or, nous avons vécu, nous, médecins hospitaliers, la carence de la médecine de proximité. Il ne s'agit pas de mener des attaques personnelles contre mes collègues généralistes qui, individuellement, ont souvent adopté des comportements parfaitement rationnels, mais le dispositif de permanence des soins dans le cadre de la médecine de proximité n'a pas fonctionné. Cette situation a été d'autant plus difficile à prendre en compte pour l'hôpital que le « plan blanc » ne possède pas de volet institutionnel liant l'hôpital et la ville.

Quant aux services des urgences, dire qu'en tant que maillon, ils ont été débordés, c'est une réalité. Ils l'ont été non seulement par le manque de compétences en termes quantitatifs, mais aussi et surtout par l'incapacité du système à leur offrir un aval et un « aval de l'aval ». Si les services d'urgence ont été capables d'assurer une permanence et d'apporter une réponse adéquate au « plan blanc », il n'en a pas été de même de l'aval de l'hospitalisation ou, plus exactement, les réponses ont été insuffisantes. Certains établissements, notamment le Centre hospitalier intercommunal de Créteil, ont anticipé des réponses formalisées et institutionnelles en rouvrant des lits d'aval, mais pour beaucoup d'autres, le « plan blanc » a été déclenché un peu tard.

œuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail qu'à la difficulté de pourvoir les postes de base en raison des problèmes de recrutement, et cela dans tous les services.

Lors de cette crise, la machine s'est donc grippée en raison de l'insuffisance de lits d'aval et de « l'aval de l'aval ». En effet, tout ce qui concerne l'entrée à l'hôpital - les SAMU, les SMUR, les consultations, les urgences - est bien organisé. En revanche, la sortie de l'hôpital ne fait l'objet d'aucune politique structurée. Dès lors, comme nous fonctionnons à flux tendu, lorsque l'afflux de patients est massif, nous nous retrouvons dans l'incapacité d'organiser les choses de façon rationnelle.

Par ailleurs, je signalerai deux éléments plus spécifiques à la canicule. La CMH comprend la Fédération nationale des pharmaciens hospitaliers, lesquels ont recensé les difficultés posées par les normes applicables aux perfusions et par la gestion des médicaments lorsque les températures dépassent les normes fixées par l'AFSSAP. Comment refroidir des patients en toute sécurité lorsque les perfusions font 38 ou 39 degrés ? C'est un problème auquel nous n'avons pas su faire face.

S'agissant de la fermeture des lits, vous avez évoqué l'existence de ratios ou de taux opérationnels ou supposés tels. Votre question est, me semble-t-il, volontairement provocatrice. En tout cas, nous estimons que nous sommes passés, depuis plusieurs années, pour les fermetures de lits estivales, en dessous de la ligne de flottaison. C'est vrai notamment dans les filières et spécialités médicales et dans la filière gériatrique.

Par ailleurs, les fermetures de lits varient d'une région à l'autre. Elles sont sous-tendues par deux éléments : le personnel et l'état financier des hôpitaux. Certes, aucune région ne dispose réellement de marge de manœuvre. Mais certaines d'entre elles en ont encore moins que d'autres. Je pense notamment à la région Bourgogne, que je connais bien, qui est sans doute l'une des plus mal servies. Il est certain que, dans ce cas, les fermetures de lits sont fonction des disponibilités financières et en personnels. Nous sommes loin d'une politique de risque dans les hôpitaux, donc d'une capacité de réaction.

Pour ce qui est des enseignements à tirer de cette crise, vous me permettrez de sortir du champ de l'hôpital.

Le premier enseignement est de nature psychologique, puisque j'ai commencé en mentionnant l'incrédulité collective, notamment hospitalière, face à ce type d'événements. Il y a certainement un déni collectif dans la population. Quant au milieu médical, il souffre d'un retard cu justify">M. François Aubart - Je ne souhaite pas me faire donneur de leçons ni sortir des compétences qui sont les miennes, mais si les hospitaliers, les services d'urgence notamment, doivent s'inscrire dans la politique de veille sanitaire et si l'on veut mener jusqu'au bout la politique déclarative de gestion du risque, encore faut-il qu'un lieu consacré à cette mission existe. Par ailleurs, dans la mesure où l'hôpital fabrique du savoir dans ce champ-là, il est tout à fait logique qu'un lien nouveau soit institué entre les éléments de veille et l'hôpital.

Un mot sur la médecine de proximité. Là encore, il ne s'agit pas de désigner un bouc émissaire, mais se pose indéniablement le problème de la permanence des soins. L'hôpital ne peut pas accueillir, jour et nuit et tout au long de l'année, les patients qui ont besoin d'être pris en charge d'un point de vue médical et sanitaire. Ce n'est pas possible. Cette prise en charge doit être partagée entre la médecine libérale et l'hôpital, selon des règles explicites qui doivent être établies aussi bien pour les périodes d'afflux massifs - les plans blancs partagés - qu'en temps normal.

Quant à l'hôpital, il a, selon nous, besoin de changements organisationnels profonds, tant internes qu'externes, et d'une politique très volontariste de recrutement des personnels soignants, en veillant au fait que la crise démographique est aggravée par une crise de la répartition - je crois que Mme Lalande l'a souligné et nous partageons son point de vue. Il convient donc évidemment d'être très vigilant aux campagnes que certaines régions mènent pour souligner leur attractivité, car elles se font au détriment d'autres régions, dans des conditions qui ne sont parfois ni équitables ni satisfaisantes.

Nous souhaitons donc que priorité soit donnée au recrutement de personnel soignant et, puisque la CMH est une organisation de médecins hospitaliers, que soit menée une politique différente en ce qui concerne la démographie des personnels médicaux, notamment dans les spécialités émergentes : gériatrie aiguë, médecine d'urgence. La solution aux problèmes de l'hôpital à court terme ne réside pas dans la création de bataillons de postes de médecins urgentistes, qui ne seraient d'ailleurs pas forcément pourvus dans des conditions de qualité satisfaisantes. Il convient surtout de résoudre les problèmes de prise en charge en aval, afin d'éviter l'engorgement de l'hôpital. Les services des urgences doivent être un lieu de passage parmi d'autres, organisés pour que l'on y séjourne de façon temporaire, les structures d'aval, hospitalières et extra hospitalières, devant pouvoir prendre le relais.

M. Alec Bizien, secrétaire national du Syndicat de gérontologie clinique - Je représente le syndicat des gériatres, responsables des 90 000 lits de court, moyen et long séjours gériatriques et des 600 000 lits des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes.

La canicule n d'étayer les dires des uns et des autres.

M. Georges Colombier - Je ne mets pas en cause ce que dit M. Bizien, mais j'aimerais savoir si toutes ces informations ont bien été transmises. Malheureusement, les faits que vous évoquez ont sans doute eu lieu, mais a-t-on fait passer le message ?

Monsieur le président de la mission d'information - Nous constatons en effet des dysfonctionnements importants. Vous n'êtes pas les seuls à affirmer que la crise a débuté avant le mois d'août, nous souhaitons donc savoir qui a été prévenu. L'information est-elle restée au niveau des maisons de retraite ou a-t-elle été transmise à la DDASS, à l'ARH, bref à d'autres structures ?

M. Alec Bizien - Je ne pense pas que l'on ait, dans une maison de retraite, suffisamment de recul pour s'apercevoir qu'il se passe quelque chose d'anormal. Une reconstitution à l'échelle départementale serait nécessaire. J'ai été, durant dix-huit ans, en charge de l'état civil dans une commune, et on ne me fera pas croire que les décès ne sont pas comptabilisés quotidiennement dans les préfectures. Il était donc tout à fait possible de repérer l'augmentation de la mortalité dès le mois de juillet.

Monsieur le président de la mission d'information - En tant que député je peux vous indiquer que, malheureusement, certaines mairies conservent les certificats de décès pendant plusieurs jours avant de les communiquer à la DDASS qui, elle-même, les transmet à l'INSERM.

M. François Aubart - Si l'on compare les courbes de mortalité des rapports de l'InVS et du rapport de Mme Lalande, on constate qu'elles augmentent souvent à partir du mois de juillet. Or, les commentaires n'analysent pas cette période. C'est notamment le cas à Lyon.

M. Alec Bizien - Je ne vous fais pas part de mon opinion personnelle, mais de la position du syndicat que je représente, appuyé par la société française de gérontologie et le collège national professionnel de gériatrie.

Selon nous, il est évident que tout repose sur un problème de personnel. Dans les services de gériatrie suffisamment équipés en personnel, il n'y a pas eu de surmortalité, contrairement à ce qui s'est passé dans les maisons de retraite. Cela s'explique par la présence d'un personnel trois fois plus nombreux dans les premiers que dans les secondes. Il ne faut pas chercher plus loin.

S'agissant du taux de remplissage, il est évident que les urgences ont été engorgées, non pas tant par un afflux très important de personnes âgées que par l'absence de lits d'aval. Dès le mois de juillet, certains services étaient vides parce que les taux de décès augmentant, toutes les personnes qui étaient en attente de placement les ont quittés pour être hébergées en maisons de retraite. Ces services ont donc pu tripler leur activité e élus portent plus d'intérêt aux vieux qui sont capables de se rendre à pied au bureau de vote qu'à ceux qui restent dans leurs lits.

Par ailleurs, il faut développer les structures d'hospitalisation à domicile gériatriques entre l'HAD que nous connaissons et les services de soins infirmiers à domicile. Il convient également de revaloriser les hôpitaux locaux et de réévaluer leur utilité.

Enfin, en ce qui concerne la gériatrie, il est évidemment nécessaire d'augmenter le nombre de lits de court séjour, qui sont remplis à 150 %, là où ils existent, et d'en créer d'autres, pour pouvoir encaisser ces à-coups sanitaires et augmenter la fluidité des courts séjours. Mais si l'on crée de tels lits de court séjour, il faut absolument du personnel et de la qualité. Sinon l'on créera des ghettos mouroirs.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre intervention, M. Bizien, et je comprends la passion avec laquelle vous réagissez. Mais c'est à M. Aubart que je souhaite poser une question. J'ai été très intéressée par ce que vous avez dit de l'incrédulité face à cette crise. Vous évoquez l'inexistence d'une culture de l'alerte. Ne pensez-vous pas que s'il s'était agi d'enfants, tout le monde aurait donné l'alerte ? Autrement dit, ce drame est-il dû à l'inexistence d'une telle culture ou au fait que, s'agissant de personnes âgées, chacun s'est dit qu'au fond, c'était tout simplement la fin qui arrivait ?

Monsieur le président de la mission d'information - Je voudrais compléter la question de Mme Guinchard-Kunstler. Quand on évoque les risques liés à la canicule, on pense bien sûr aux enfants et aux personnes âgées, mais aussi aux SDF. Or il s'avère que les fortes chaleurs de cet été ont touché des personnes d'un certain âge qui étaient déjà fragilisées. Deux catégories de personnes qui auraient dû être touchées ne l'ont pas été.

Mme Annie Msellati, membre du Syndicat des psychiatres de secteur - Dans le secteur psychiatrique, nous n'avons pas constaté de surmortalité chez les patients hospitalisés, le personnel ayant fait preuve d'un grand dévouement. Cependant, les lits ont été très rapidement remplis et nous avons eu du mal à faire sortir les gens en période de canicule.

Par ailleurs, vous savez que la psychiatrie prend notamment en charge des schizophrènes. Or, ceux-ci n'ont pas le réflexe de s'occuper d'eux-mêmes, de s'hydrater et, dans le cadre de mon activité professionnelle - j'exerce dans un hôpital situé dans le 18è arrondissement de Paris -, j'ai constaté une surmortalité des patients en ville. Des personnes âgées d'une cinquantaine d'années, donc relativement jeunes, qui n'avaient pas de raison de mourir, sont décédées. Nous n'avons pas pu faire face à ce problème sanitaire.

Cela dit, je ne crois pas que l'approche psychologique ait été différente parce qu'il s'agissait de personnes âgées - en tout cas dans le milieu hospitalier, car la prise en charge du troisième et du quatrième âges représente notre pain quotidien, si je puis dire. Cependant, pour avoir participé à la rédaction de « plans blancs », je peux dire que ceux-ci sont toujours conçus pour des afflux massifs de patients souffrant de pathologies accidentelles relativement bien connues et jamais pour la population générale souffrant de pathologies définies selon des critères émergents.

Monsieur le président de la mission d'information - A priori, on aurait pu estimer qu'en cas de canicule, il fallait prendre garde non seulement aux personnes âgées, mais aussi aux enfants et aux SDF. A posteriori, on observe que les enfants ne restent pas seuls dans une chambre mal aérée, ce qui souligne le rôle qu'à joué l'isolement dans la crise. Quant aux SDF, en dépit de la misère dont ils souffrent, ils ont peut-être eu la vie sauve parce qu'ils vivent dehors. Certes, ils sont rarement très âgés, mais n'oublions pas que ce sont également des personnes fragiles et que les trois premiers décès identifiés, dus à des hyperthermies malignes, concernent des personnes d'une cinquantaine d'années. Cela dit, nous sommes face à un phénomène de surmortalité général que nous devons aborder de manière globale.

M. François Aubart - Je vais vous citer un exemple. L'une des toutes premières personnes décédées dans mon établissement était effectivement un homme jeune, âgé de cinquante-huit ans, qui a subi un coup de chaleur alors qu'il jouait à la pétanque et dont le premier réflexe a été de s'abriter dans sa voiture. Il me semble, là encore, qu'il s'agit d'une forme d'incrédulité collective face à la prise en charge de ce risque nouveau qui n'est absolument pas appréhendé par la population. Il est vrai cependant que la population que nous avons vue dans les services d'urgence était caractérisée par des défaillances socio-familiales évidentes, notamment dans les zones urbaines. Il existe donc un lien fort entre la décompensation physique et le mode socio-familial de vie au quotidien.

M. Georges Colombier - Vous avez répondu à la question de Mme Guinchard-Kunstler en tant que professionnel. Pour ma part, je suis persuadé - mais peut-être ai-je tort - que si ce phénomène avait touché des enfants, l'opinion publique n'aurait pas réagi de la même façon et aurait donné l'alerte. Qu'en pensez-vous ?

M. François Aubart - C'est une question difficile, qui renvoie à l'image collective de l'hécatombe. Mê notamment à Marseille - même si des programmes spécifiques y avaient été mis en place -, est due à une approche et à un vécu collectifs différents de cette chaleur.

Monsieur le président de la mission d'information - Madame, messieurs, merci pour vos réponses extrêmement précises.

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XV. Audition du Pr Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé

(séance du mardi 16 septembre 2003)

Pr Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé - Je vais vous fournir ma perspective sur les événements dramatiques de cet été. Plusieurs personnes ont dû vous le dire, je fais partie de ceux qui continuent à être particulièrement touchés, en tout cas hantés par le drame qui s'est déroulé cet été.

J'ai consacré ma carrière à essayer de mettre la science au service des victimes d'accidents du travail, d'attentats, de médicaments, de coupe-faim ... Evidemment, je n'ai jamais vu, durant mes vingt-cinq ans de carrière d'épidémiologiste, de situation aussi grave. Je ne peux être que particulièrement préoccupé. Bien entendu, nous avons déjà vu des drames bien plus importants en termes de nombre de personnes concernées. Mais des drames qui s'étendent sur une période aussi courte et qui concernent des personnes particulièrement fragiles, des personnes âgées - je pense notamment à celles qui sont décédées seules chez elles - continuent à me toucher.

Bien entendu, il est un peu tôt pour apporter l'ensemble des réponses aux multiples questions que l'on peut se poser : pourquoi l'épidémie, pourquoi à Paris plus qu'ailleurs, pourquoi en France plus particulièrement même si d'autres pays ont été touchés, pourquoi cet événement n'a-t-il pas été anticipé, pourquoi l'alerte n'a-t-elle pas fonctionné, qu'est-ce qui aurait pu être fait pour diminuer les conséquences du fléau, etc ?

Toutefois, je répondrai évidemment à l'ensemble de vos questions s'agissant du déroulement des événements. Je ne vous exposerai pas ici ce que j'ai fait ou ce qu'ont fait les services de la direction générale de la santé jour par jour. Le rapport de la mission Lalande expose ces faits de façon assez précise. Je me contenterai d'identifier un ou deux points.

La première question que je ne peux pas ne pas m'être posée et qui l'a été par la mission Lalande est de savoir pourquoi il n'y a pas eu anticipation de ce phénomène en amont. La question est importante. La mission indique que le défaut d'anticipation, en particulier de l'Institut de veille sanitai d'un groupe technique national de définition des objectifs de santé publique dans le pays, dont les rapports sont à votre disposition. Cette consultation essayait de faire le tour de l'ensemble des problèmes sur lesquels nous devions nous pencher. J'ai repris ces documents depuis cette affaire et je n'y ai pas trouvé une seule fois le mot « chaleur », alors qu'il y avait là une centaine d'experts, toutes les sociétés savantes de gériatrie, de pédiatrie, de cardiologie, de pneumologie, des spécialistes de l'environnement bien entendu, bref des spécialistes dans tous les domaines.

Toutes les agences de sécurité sanitaire ont été concernées : l'Institut de veille sanitaire, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE). Dans aucun de leurs rapports, qui sont parfois très épais, nous n'avons retrouvé de référence à la chaleur. Cela faisait suite à une consultation dans toutes les régions de France. Des milliers de personnes y ont participé - professionnels, usagers, médecins - et pas seulement des experts. Dans aucune de ces régions, même dans celles du sud, la chaleur n'a été mentionnée comme un objectif ou une priorité, voire simplement comme un problème de santé publique. Depuis qu'il existe, le Haut comité de la santé publique n'a jamais mentionné la chaleur comme un problème de santé publique sur lequel se pencher. Le Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF), institution vénérable et plus que centenaire, n'a jamais mentionné la chaleur comme un problème de santé publique sur lequel il faudrait se pencher.

Dans les trente plans qui avaient été mis en place par le précédent ministre délégué à la santé et qui avaient été confiés à des missions d'experts, ni la chaleur, ni même les problèmes associés pour les personnes âgées ne sont mentionnés dans les priorités de santé publique, ni même simplement mentionnés. Ce n'est pas une excuse, mais cela permet d'élargir le débat sur l'anticipation par rapport à la question de la responsabilité d'une agence ou d'une institution. Dans notre pays, personne ne considérait que la chaleur était un problème.

Un ou deux experts connaissent ce sujet en France. Le Dr Besancenot, de la faculté de médecine de Dijon, avait fait une revue sur cette question. Il avait étudié les travaux américains, mais dans son travail, comme l'indique la mission Lalande, il n'a identifié que deux publications scientifiques originales françaises sur ce sujet.

Effectivement, nous faisions face à une situation qui n'avait pas été prévue dans notre pays, qui était difficilement prévisible dans la mesure où c'est une situation centenaire et où nous n'avions pas de plan de prévention.

En l'absence donc de plan de prévention, nous avons essayé de réagir avec l'ensemble des structures et des moyens dont nous disposons habituellement. L'alerte m&eacu conséquences de cette catastrophe ? La mission Lalande a identifié de nombreux facteurs, et j'en ai identifié une vingtaine pour ma part, facteurs sociaux, de gestion, locaux. Il nous faudra beaucoup de temps pour analyser de façon approfondie cette question. Je pense que votre travail est très important pour identifier, à ce stade-ci, l'ensemble des questions qu'il faut se poser et je suis à votre disposition.

Je crois que le plus important dans ce domaine, c'est la vérité. Après le drame que nous avons vécu, le moins que nous devons aux victimes, c'est la vérité. Et cette vérité sera scientifique, mais pas simplement. Elle dépassera très largement ce cadre.

M. le président de la mission d'information - La répartition des tâches entre la DGS et l'InVS est-elle claire, efficace ?

La DGS a-t-elle joué son rôle d'alerte ? A-t-elle, par exemple, relayé avec suffisamment de force l'alerte qui, selon M. Brücker, lui a été signifiée par l'InVS ? Pourquoi la demande du cabinet du ministre de la santé, en date du 6 août, d'envoyer un DGS urgent n'a-t-elle pas été suivie d'effet ?

Certains acteurs indiquent que la chaleur a entraîné une surmortalité dès le mois de juillet. Avez-vous des éléments sur ce point ? Si c'est vrai, cela n'aurait-il pas dû induire une réaction de la DGS ?

Comment peut-on expliquer que la DGS n'ait apparemment pas eu d'information sur l'ampleur de la crise avant le 7 ou le 8 août ?

Dans votre exposé liminaire, vous avez fait état de deux études, mais vous n'avez cité que celle de M. Besancenot. Je pense que l'autre est celle de M. San Marco, qui a parlé de la chaleur.

Météo France a une commission « santé et biométéorologie » qui travaillerait, semble-t-il, sur le problème de la canicule. Météo France a-t-elle des contacts avec la DGS ? Vous a-t-elle prévenu du risque chaleur ?

Enfin, pourquoi avez-vous démissionné, alors que la DGS n'était pas ou ne semble pas être la seule structure mise en cause ?

M. Claude Evin - Je veux poser une série de questions dont certaines viennent d'être évoquées par Denis Jacquat, et sur lesquelles il nous faudra revenir au cours de la commission d'enquête. Dans ce cadre, il sera important de vous entendre à nouveau, pour dérouler le fil des événements au début du mois d'août. Vous avez parlé de transparence à la fin de votre intervention, et nous partageons cette préoccupation. Aujourd'hui, je m'en tiendrai à quelques questions de caractère général dans la perspective que s'est fixée la mission, à savoir la préparation de la loi relative à la politique de santé publique et l'éventualité d'avoir à l'amender.

Mon deuxième type de problématique a trait à l'alerte. Il faudra obtenir des éclaircissements car on se rend compte que différentes dates sont données. Certains disent même que dès le mois de juin on commençait à identifier un certain nombre de problèmes, notamment dans les maisons de retraite. Cela pose des questions institutionnelles, indépendamment de celle qui consiste à savoir quels messages de santé publique il aurait été possible de diffuser et sous quelle forme si une alerte avait été exprimée un peu plus tôt. On a parlé d'un « DGS Urgent ». Quelles autres formes auriez-vous pu utiliser ?

Cela pose aussi un problème en amont concernant la collecte des événements qui peuvent effectivement être révélateurs qu'il est en train de se produire quelque chose qui va porter atteinte à la santé de la population. Manifestement, chaque interlocuteur nous dit : moi j'avais bien perçu, même si je n'avais pas bien identifié, que c'était de cela qu'il s'agissait. Comment voyez-vous la possibilité de collecter l'ensemble des informations et de sortir de ce cloisonnement dans lequel, manifestement, notre système s'est trouvé ? Ce cloisonnement s'est retrouvé, en ce qui concerne les informations, à l'intérieur du système de santé, sans même parler des informations qui étaient à la disposition, par exemple, des services de la sécurité civile et qui ne sont pas non plus remontées. Comment peut-on imaginer un mécanisme dans lequel des situations de ce type, dans la mesure où ce sont des indicateurs, remonteraient de manière efficace ? Que faut-il faire pour décloisonner cette information ? Est-ce en la fixant uniquement sur une institution ? Y a-t-il d'autres formes ? S'il y a une réponse, il n'est peut-être pas inintéressant d'essayer de l'introduire dans la loi, si c'est du ressort de la loi.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Dans ce dossier, on voit bien que plusieurs grandes directions des ministères des affaires sociales et de la santé étaient concernées à divers titres, principalement liés à leur responsabilité en termes de prise en charge des personnes âgées. C'est l'une des difficultés de la gestion de ce dossier, et globalement de celui des personnes âgées. Le champ de responsabilités de la DGS est non négligeable s'agissant des personnes âgées. J'aimerais savoir s'il y a eu des contacts entre la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) et la direction générale de l'action sociale (DGAS).

M. Maxime Gremetz - J'ai l'impression qu'on tourne autour du pot. M. Evin n'a pas posé la question. Car la question qui me vient à l'esprit est la suivante : pourquoi avez-vous démissionné, monsieur Abenhaïm ? Cela permettrait d'éclairer les choses.

M. Claude Evin - J'ai dit, par ailleurs, que nous ne sommes pas en commission d'enquête.

M. Dominique Paillé - Monsieur Abenhaïm, mes questions sont simples. Elles rejoignent celles de Mme Guinch gérer l'imprévisible ? Au-delà de ce que vous avez répertorié, il est clair qu'il existe d'autres risques, et nous en avons eu la démonstration cette année. Avez-vous une idée de ce qu'il faudrait mettre en place pour sensibiliser les décideurs et ceux qui ont pour mission de mettre en œuvre la réponse sanitaire à ces événements, pour les éveiller sur les difficultés sanitaires que nous ne pouvons pas imaginer aujourd'hui ?

M. Maxime Gremetz - Monsieur Abenhaïm, je vous repose la question : pourquoi avez-vous démissionné ?

Lors de sa prestation télévisée, M. le ministre a annoncé qu'il y avait eu 3 000 morts et que la situation était maîtrisée. Il nous a expliqué qu'un quart d'heure avant son interview, il avait consulté son ministère qui lui a donné ces chiffres. Quelles sont alors vos relations avec le ministère ? Informez-vous ou non le ministère ?

Dans le rapport de la mission dirigée par Mme Lalande, il est dit que tout le monde a eu les informations, mais que personne ne les a fait remonter au ministère. Comment peut-on imaginer que les pompiers, que la DGS, que tout le monde ait les éléments, mais que l'information ne remonte jamais ? J'aimerais savoir ce qu'il ne faut pas refaire demain. Comment doit-on faire la prévention ? J'appelle votre attention sur le fait que, dès le mois de juin et au mois de juillet, la météo annonçait des risques de fortes chaleurs. Comment prévenir et prendre les mesures nécessaires pour que de telles drames ne se produisent plus ?

M. Jacques Domergue - Le seul exemple de canicule que l'on ait en France remonte à 1983, même si cela n'a aucune commune mesure avec ce qui s'est passé cette année. Cela avait surtout touché les villes du sud de la France. Des mesures avaient été prises au niveau de Marseille. D'ailleurs, le nom du Professeur San Marco est souvent revenu.

Sur Marseille, visiblement, des mesures ont été prises préventivement pour éviter que la canicule, qui avait déjà été vécue de manière mortelle en 1983, ne produise les mêmes effets. Comment se fait-il que, alors que, sur une ville, en rapport avec les services et le secteur hospitalier, des mesures ont été prises, il n'y ait eu aucune alerte, courant juillet, au niveau central.

M. Jean-Marc Roubaud - Pouvez-vous nous dire si l'on peut imputer une partie de ce drame à la multiplicité des structures en charge de tout et peut-être de rien, ministère, DGS, InVS, DHOS, DDASS, ARH, direction des hôpitaux, préfets ? Pensez-vous que ce drame soit plus social que sanitaire ?

Mme Catherine Génisson - Face au constat qui a été fait et sur lequel je ne reviendrai pas, pouvez-vous nous faire des propositions sur la façon dont l'alerte de la base -et je pense que l'alerte ne peut partir que de la base - pourrait arriver de façon simple au plus haut niveau et surtout entraîner très rapidement un plan d'action  du Morbihan rapporte trois décès le 6 août, la DDASS de Paris un décès le 7 août. La DGS a transmis dès le 6 août ces données à l'Institut de veille sanitaire. A ma connaissance, la seule fois où l'Institut a prévenu la DGS, c'est le 8 août en rapportant une intervention du professeur Carlet. C'est le 8 août que la DGS a demandé à l'Institut de veille sanitaire de mettre sur pied un système de surveillance. Je crois donc que la DGS, s'agissant de l'ensemble des événements qu'elle a reçus, a réagi comme elle devait le faire, c'est-à-dire en mobilisant l'institut d'expertise prévu par la loi du 1er juillet 1998 pour effectuer l'alerte et la surveillance. C'est son travail.

A mon avis, la répartition des rôles est bonne. On a voulu séparer l'évaluation du risque, la capacité d'identifier les problèmes de santé de la gestion des risques. C'est ce que la loi du 1er juillet a voulu mettre en place. J'estime que c'est une bonne organisation et je crois qu'elle doit fonctionner comme cela. Elle a fonctionné souvent très bien, sur le SRAS, sur les méningites, sur de nombreuses situations. Je ne crois pas qu'il y ait un problème de structure.

Il faut se demander pourquoi un certain nombre d'informations ne sont pas remontées. C'est vrai, la première fois que l'Institut de veille sanitaire a fourni des données, c'est le 13 août. Mais il ne faut pas simplement se focaliser sur cette question. On a un système - et ça aurait pu être pour d'autres raisons que la canicule - qui n'a pas été en mesure de réagir. La mission Lalande a identifié des problèmes, des faiblesses sur ce sujet. Je n'ai rien à ajouter sur ce point.

Doit-on changer le système ? Y a-t-il trop de structures ? Y a-t-il trop de personnes ? L'Institut de veille sanitaire tirera très certainement les conclusions de cette expérience dramatique, en réfléchissant aux moyens d'obtenir les données, et je sais que la loi du 1er juillet 1998 lui donne le droit d'avoir accès à l'ensemble des données. De ce point de vue, la loi est bonne. Le rapport Lalande estime qu'il n'est pas si compliqué d'obtenir ces moyens à partir du moment où on a identifié cela comme un problème.

Donc, je ne crois du tout pas qu'il s'agisse d'un problème de structure. Sur ce sujet, il n'y a pas eu de réaction parce que l'Institut de veille sanitaire ne disposait pas d'un système de lien avec les urgentistes, les médecins généralistes. Ce système doit être très spécifique. Il ne faut pas croire trop rapidement qu'il suffit de disposer du nombre d'interventions des pompiers ou des uns et des autres pour réagir. Si on avait réagi juste par rapport au nombre d'interventions des pompiers le 11 août, c'est-à-dire au plus fort moment de la canicule, on aurait réagi une demi-douzaine de fois depuis le début mai. Les systèmes doivent donc être à la fois sensibles mais aussi très spécifiques. Et ce n'est pas étonnant que les urgentistes, qui voient les malades et qui, je le rappelle, font partie du service public, donnent l'alerte. Ils sont les premiers à voir les vrais problèmes. Il faut trouver un système pou été parmi les plus favorables qui aient été connues. Elles ont été bien plus favorables que celles de Toulouse ou de Grenoble. Marseille n'a jamais dépassé 37,7° le jour ; elle n'a connu que trois journées à plus de 37°, et pas trois journées consécutives. Toulouse a connu dix journées consécutives à plus de 37° et atteint jusqu'à 40,5°. Malgré tout, le taux de mortalité est sensiblement le même à Marseille qu'à Toulouse. Ce sont les données préliminaires dont nous disposons. Je ne dis pas que c'est exact et il faut être très prudent avant de tirer des conclusions. Il va falloir analyser cela dans le détail, faire des études, envoyer des équipes, voir ce qui s'est vraiment fait, travailler de façon approfondie.

Le Professeur San Marco n'a jamais prévenu la direction générale de la santé, contrairement à ce qui a pu avoir été dit dans la presse. Il est président de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé et a informé le directeur de son institut. Et l'attaché de presse de l'INPES a contacté la DGS seulement le 7 ou le 8 août. Je ne jette pas la pierre. Mais des propos inexacts ont été rapportés ici ou là. Au cours de la consultation à laquelle a participé le Professeur San Marco, celui-ci n'a pas signalé la chaleur comme devant faire l'objet d'une priorité. Cela veut dire que, même ceux qui, au moment où la catastrophe est arrivée, se sont rendus compte qu'il y avait un problème grave, n'avaient pas identifié ce fait à l'avance. Aucune équipe administrative, depuis vingt ans, ne l'avait fait.

Nous avons connu une catastrophe unique dans l'histoire du pays, qui s'est manifestée sur deux ou trois jours. Il est inexact de dire que le 8 août on avait connaissance de milliers de décès. On n'en avait pas connaissance et il n'est pas non plus certain que, le 8 août, il y avait déjà eu des milliers de décès. Je vais vous montrer la courbe épidémique : 80 % des cas sont survenus après le 10 août.

Mme Catherine Génisson - Ce n'est pas tout à fait ce qu'a dit M. Mattei.

Pr Lucien Abenhaïm - Selon les données dont nous disposons actuellement, il y avait, le 8 août, peut-être de l'ordre d'un millier de décès dans le pays, beaucoup plus que de l'ordre de 8 000. On n'est donc pas du tout dans la même configuration. Mais cela devra être confirmé. Je ne vous dis pas que c'est 1 000 ou 2 000. Il est possible que ce soit plus que 1 000, mais en tout cas, le 8 août, on n'en était pas à 8 000.

M. le président de la mission d'information - Cela figure dans le rapport de l'InVS.

Pr Lucien Abenhaïm - Quand on parle de milliers de morts, il s'agit, bien étendu, de morts supplémentaires. Je signale que, chaque jour, malheureusement, de 1 500 à 2 000 personnes décèdent.

Les dates sont important de personnes âgées est perceptible mais il n'existe pas d'engorgement massif des urgences. Les difficultés rencontrées sont comparables aux années antérieures, en dehors de cas ponctuels de certains établissements et d'un ou deux départements d'Ile-de-France ». Ce communiqué a été envoyé dans l'après-midi du 11 août, sans connaissance à la DGS, par le cabinet du ministre, à partir des données de la direction de l'hospitalisation. Je ne montre pas du doigt, je dis simplement que la vision que les acteurs avaient de la situation, dans l'après-midi du 11 août, n'était pas une vision de la catastrophe que l'on a comprise par la suite. Néanmoins, dans l'après-midi du 11 août, sont arrivées à la direction générale de la santé l'ensemble des données sur les funérariums. A dix-sept heures, le Dr Yves Coquin me dit avoir informé l'adjointe du directeur de cabinet du ministre de la santé avant de se rendre à la conférence de presse du ministre de l'environnement qui était à dix-sept heures. Elle a préparé un communiqué qui a été transmis au cabinet du ministre.

M. Claude Evin - Et qui n'a pas été publié le lundi 11.

Pr Lucien Abenhaïm - Il a été publié le lendemain. On savait déjà que la canicule ferait plusieurs centaines de décès. Cela avait été dit les 8, 9 et 10 août.

M. Claude Evin - Quand la DGS envoie, à dix heures une, le 11 août, un email qui se termine en disant que la situation a été maîtrisée, que veut-elle dire par là ?

Pr Lucien Abenhaïm - Le Dr Yves Coquin ne dit pas que la situation était maîtrisée. Il rapporte, le 11 août, à Anne Bolot-Gittler, qui revient de vacances, ce qu'il a fait jusqu'au 8 août - c'est un rapport administratif. Il écrit que : « La DGS a reçu vendredi dernier - pour la première fois depuis le début de la vague de chaleur - des appels de DDASS signalant des décès par coup de chaleur chez des personnes hospitalisées, ou en institution. Nous avons essayé de faire le point rapidement avec le SAMU de Paris, les pompiers, ... ce qui nous a confirmé que les 48 dernières heures avaient constitué un tournant mais que la situation était maîtrisée ». M. Coquin emploie deux fois l'imparfait. On parle bien du 8 août. Cet email prouve que la DGS a appelé immédiatement le SAMU, les pompiers et l'AP-HP. Il est encore indiqué dans l'email : « J'ai également discuté avec un journaliste du Parisien et une journaliste de l'AFP ce week-end (le numéro du Parisien de ce matin est très correct) et mes propos à l'AFP retransmis par plusieurs radios ce matin m'ont paru correctement relatés ». Dans ses propos du matin, il précisait qu'il allait y avoir plusieurs centaines de décès.

Mais il ne faut pas confondre. Les 8, 9 et 10 août, on savait qu'il y avait des décès en nombre associés à la canicule, mais personne ne savait qu'il y en avait des milliers. Pers basé sur les médecins qui, eux, peuvent faire la différence entre un coup de chaleur ou non. Il n'y a pas une statistique qui le donnera uniquement sur la base des interventions.

Mme Catherine Génisson - Cela me permet d'aller un peu plus loin dans ma question : il faut que l'alerte soit un minimum.

Pr Lucien Abenhaïm - Il faut effectivement que l'alerte soit argumentée. Il existe des moyens et des systèmes de surveillance qui permettent de le faire, mais il faut qu'ils soient en temps réel. Nous avons les moyens, aujourd'hui, grâce à l'informatique, d'avoir des retours en temps réel. Mais ce n'est pas si facile que cela à faire.

Mme Catherine Génisson - Surtout s'il s'agit d'une alerte par rapport à un sujet qu'on ne connaît pas.

Pr Lucien Abenhaïm - On a réagi au SRAS, évidemment, mais la crise du SRAS ne s'est pas passée en 48 heures. Elle a commencé par un premier cas en février. L'alerte a été lancée par l'OMS le 12 mars. Cela prend donc du temps. C'est vrai qu'il n'est pas si évident d'avoir l'ensemble des informations. Il faut un bon système. Je pense qu'avec un système qui vous indique qu'il y a des problèmes, on peut le faire, mais cela ne peut pas être mis en place en 48 heures. Il faut que le système soit présent depuis un certain temps pour réagir.

M. Maxime Gremetz - Vous dites que vous devez vérifier six ou sept alertes.

Pr Lucien Abenhaïm - Je précise que ce n'est pas à la DGS de vérifier. C'est le rôle de l'Institut de veille sanitaire.

M. Maxime Gremetz - Mais certains doivent vérifier. Qui doit vérifier ?

Pr Lucien Abenhaïm - Dès le 8 août, quand nous avons eu une alerte, nous avons demandé à notre directeur de vérifier.

M. Maxime Gremetz - Comment cela marche, concrètement, quand il y a une alerte ? Qui est chargé de vérifier si l'alerte est motivée, justifiée ?

Pr Lucien Abenhaïm - C'est le rôle de l'Institut de veille sanitaire.

M. Maxime Gremetz - Il était endormi.

Mme Catherine Génisson - Non, il n'a pas eu l'information.

M. Jacques Domergue - Pensez-vous réellement que la surmortalité se joue à quelques heures près ?

Pr Lucien Abenhaïm - J'attends d'abord les résultats des analyses statistiques qui vont être faites. Paris a connu des températures nocturnes de 25,5°, taux qui n'avait jamais été atteint. Si nous avi température est plutôt de -40° que de 35°, il y a l'air conditionné l'été. C'est un facteur majeur ; ce n'est certainement pas le seul. Les Américains proposent d'aller chercher les personnes isolées, c'est un point fondamental. Mais il faudra analyser - ce sera long et compliqué - quelle est la part de la température dans cet événement et ce qu'on aurait pu faire par ailleurs.

M. le président de la mission d'information - Monsieur Abenhaïm, je souhaiterais que vous nous parliez de « DGS Urgent ».

Mme Catherine Génisson - Pour ma part, je souhaite vous interroger sur l'appréciation de la situation de nos personnes âgées. Peut-être sont-elles plus âgées qu'aux Etats-Unis et ont des pathologies associées plus lourdes.

Pr Lucien Abenhaïm - « DGS Urgent » est en rodage. C'est un système que j'ai mis en place spontanément, au mois de mai, après le SRAS et les épidémies de méningite. Pour le moment, seuls 10 % des médecins y sont inscrits. Le système présente encore des problèmes techniques. Sur la légionellose, par exemple, les jours précédents on avait connu un problème technique important.

L'idée consiste à prévenir les médecins à l'avance en cas de phénomène épidémique, afin qu'ils n'apprennent pas les informations par le biais de la presse. Or, les 8, 9, 10 et 11 août, la presse était extraordinairement mobilisée. On dit que la DGS n'a pas mobilisé. Pour ma part, j'étais en vacances jusqu'au 12 août, mais je me tenais au courant au jour le jour. Nous avons répondu à des dizaines et des dizaines d'appels de journalistes sur cette question. Il y a eu un communiqué le 8 août, un autre du cabinet du ministre le 11 août. Le 11 août, j'ai appelé le conseiller technique du ministre, le professeur Dab, pour lui indiquer que la DGS avait reçu tant d'appels de journalistes qu'il fallait sans doute faire une communication organisée. Il m'a répondu que le ministre parlait le soir même en direct à la télévision. Je ne vois pas comment la DGS aurait pu passer devant le ministre. Nous avons fait un communiqué le 12 août sur les funérariums et un autre le 14. J'ai donné de très nombreuses interviews à la télévision, à la radio, à partir du 13 août. Je ne pense pas que nous ayons insuffisamment communiqué. Evidemment, énormément d'informations sont sorties à ce moment-là et on a surtout vu, le 10 août, dans le même journal où Patrick Pelloux tirait, à raison, la sonnette d'alarme, Yves Coquin déclarer qu'il allait y avoir plusieurs centaines de décès. Evidemment, quand j'ai vu à la télévision les images de ces personnes attendre aux urgences dans des situations dramatiques, j'ai été sidéré, comme chacun. Ces images étaient beaucoup plus fortes, mais la DGS avait, le même jour, annoncé plusieurs centaines de décès. Je ne crois donc pas que ce soit une question d'alerte à ce niveau-là.

Est-ce une question de personnes ? Vous avez raison justify">M. Dominique Paillé - Pouvez-vous nous parler de votre démission ? Nous sommes un certain nombre à vous avoir posé la question.

Pr Lucien Abenhaïm - Avant de parler de ma démission qui est un épiphénomène par rapport au drame ...

M. Dominique Paillé - Certes, mais vous avez indiqué que vous démissionniez pour pouvoir parler librement.

Pr Lucien Abenhaïm - Tout à fait. Je crois que je parle librement ici et j'essaie de répondre à l'ensemble de vos questions.

S'agissant de la question de Mme Guinchard-Kunstler sur les contacts avec les Affaires sociales, le communiqué de presse a été transmis à toutes les DDASS. La DGS a eu des relations quotidiennes avec la DHOS sur ces questions en relation avec les maisons de retraite. Nous avons transmis le communiqué de presse du 11 août, avec l'ensemble des informations, directement à la DGAS. A la DGAS, des procédures sont mises en place s'agissant de la chaleur, puisqu'elle avait déjà fait une circulaire sur le sujet en mai 2002.

J'ai démissionné le matin du 18 août parce que le ministre de la santé, citant la DGS et l'Institut de veille sanitaire, a dit qu'il n'avait pas été informé. Evidemment, il est très difficile pour un directeur général de la santé de travailler alors que son ministre met en cause le travail de ses services. C'est du travail de mes services qu'il s'agit, mais il n'y a pas une feuille de papier à cigarette entre mes services et moi sur ce sujet. Le 1er août, je partais en vacances pour trois semaines. J'ai interrompu mes vacances, contrairement à ce qui peut avoir été dit, puisque je suis revenu le 13 août. Avant de partir, j'ai laissé en place un directeur général-adjoint extrêmement compétent.

J'avais vérifié, avec le directeur de cabinet du ministre, qu'il y aurait bien un spécialiste en santé publique. Or, il n'y en avait pas les 11, 12 et 13 août. Le 13, j'étais d'ailleurs le premier directeur à rentrer, de l'administration centrale et même des agences en question. Au cabinet du ministre, il y avait une personne extrêmement motivée, Mme Anne Bolot-Gittler, mais elle n'est pas conseiller technique en santé publique. Quand je suis arrivé, le 13 août, je peux vous dire que j'ai eu très nettement le sentiment - et je l'avais déjà eu la veille, au téléphone - que le cabinet du ministre ne se rendait pas compte que nous étions dans une situation de crise, et pas simplement dans une situation de gestion d'urgence. Je suis d'ailleurs rentré en grande partie pour cela. Mme Anne Bolot-Gittler m'a indiqué que le ministre souhaitait que je rentre. Je lui ai répondu, et Yves Coquin peut en témoigner puisque je le lui avais dit quelques heures auparavant, que j'avais déjà pris cette décision. Lorsque je suis arrivé au cabinet du ministre, il n'y avait pas de conseiller technique en santé publique. Or, on m'avait dit qu'il devait y en avoir un. J'avais vérifié avant de partir, connaissant ces situations. On m soit oralement, soit par écrit. Il est vrai que, le 11 août, personne n'avait l'impression qu'on était au début d'un phénomène d'une telle importance puisque les températures les plus élevées ont été enregistrées les 11 et 12 août. Il y avait déjà eu, et chacun le sait, plusieurs centaines de décès.

J'ai démissionné parce que j'ai considéré que, pour pouvoir expliquer - et non défendre parce que je ne crois pas que nous ayons à nous défendre - l'action de mes services et la mienne, il valait mieux que je sois en dehors de la direction générale de la santé. Je n'aurais pas pu le faire avec un ministre au-dessus de moi puisque, comme vous le savez, nous sommes tenus à communiquer de manière organisée. Néanmoins, comme vous avez pu le remarquer, je ne me suis pas précipité dans tous les journaux depuis ma démission, parce que j'attends beaucoup des missions et des commissions en cours ou prévues pour comprendre ce qui s'est passé.

M. Georges Colombier - Monsieur Abenhaïm, objectivement, si vous étiez rentré plus tôt, croyez-vous que cela aurait pu changer quelque chose ?

Pr Lucien Abenhaïm - Rien, parce que je me suis tenu au courant de l'action de mon directeur adjoint, qui est une personne extrêmement compétente et qui a géré toutes les crises de sécurité sanitaire depuis de très nombreuses années. Je me suis tenu au courant avec lui le 11 août et pratiquement toute la journée du 12 août. Le communiqué de presse du cabinet du ministre indiquant que la situation était comparable à celle des années antérieures m'a été transmis le 11. Cela était basé sur le travail de la DHOS et non sur celui de la DGS, contrairement à ce qu'on a pu dire. L'information qui m'a été transmise, c'est que la situation était difficile, mais qu'Yves Coquin faisait tout ce qu'il fallait faire. Dans la journée du 12, nous avons pris un certain nombre de décisions au téléphone et je suis rentré le 13 au matin.

Mme Catherine Génisson - Et comment prévoir l'imprévisible ?

Pr Lucien Abenhaïm - C'est la question la plus large.

M. Maxime Gremetz - S'il n'y avait pas eu de panne prolongée de la messagerie et de l'informatique au ministère de la santé, cela aurait-il changé quelque chose ?

Pr Lucien Abenhaïm - Franchement, je ne crois pas. On ne m'a pas cité cela comme un problème majeur de travail. Cela dit, je sais que, par le passé, une panne du système informatique n'avait pas permis d'envoyer un « DGS Urgent » sur la légionellose, et que cela avait alors pris trois jours.

S'agissant de l'imprévisible, je crois que notre situation est très différente de celle des Américains. Il existe dans notre pays des structures. C'est la raison pour laquelle les Américains demandent événement uniquement festif, ainsi qu'elle a été vécue début août dans notre pays.

Comment prévoir l'imprévisible ? Il faut d'abord prévoir le fait qu'il existe des événements exceptionnels que l'on ne connaît pas, évidemment. Il faut définir des mécanismes généraux de réaction. Nous avons commencé à travailler en profondeur dans cette direction il y a assez peu de temps avec le bioterrorisme. Je crois qu'il faut continuer ce travail, à la fois bien entendu à la direction générale de la santé mais aussi dans tous les ministères. Il nous faut trouver des moyens de coordination interministérielle. La coordination interministérielle constitue de très loin, au cours de toutes les crises que j'ai vécues, ce que j'ai considéré comme étant le maillon le plus faible.

Vous savez, la DGS et la DHOS se parlent tous les jours. Honnêtement, je n'ai pas compris où les problèmes de coordination pourraient avoir eu lieu entre elles. Nous parlons avec l'Institut de veille sanitaire tous les jours, plusieurs fois par jour, même quand il n'y a pas de crise. En revanche, il est clair qu'il y a un problème de communication interministérielle. Il faudra trouver un moyen, peut-être un COGIC santé, ou une autre solution.

M. Claude Evin - Il ne faudrait pas qu'on recloisonne.

M. le président de la mission d'information - Je vous remercie.

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XVI. Audition de M. Gilbert Gentilini, président de la Croix-Rouge, et de M. Gilbert Abergel, directeur délégué à la direction des établissements et de la formation de la Croix-Rouge

(séance du mardi 16 septembre2003)

M. le président de la mission d'information - Monsieur Gentilini, j'ai quatre questions à vous poser.

Premièrement, comment avez-vous vécu cette crise et à quel moment avez-vous pris connaissance de sa gravité ? Quel a été votre rôle ?

Deuxièmement, quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? Quel rôle pourriez-vous jouer dans sa réforme ?

Troisièmement, quel est le profil des victimes que vous avez pu rencontrer ? Sont-elles plutôt mortes alors qu'elles étaient à leur domicile, en maisons de retraite, ou ailleurs ?

Quatrièmement, que doit-on faire, selon vous, pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

M. Georges Colombier - Monsieur Gentilini, dans le département de l'Isère - et sans doute est-ce le cas dans d'autres départements - nous avons apprécié la présence de bénévoles de la Croix-Rouge dans les maisons de long séjour notamment. Cela a permis de donner un coup de main aux personnels qui, pendant ces périodes estivales, n'étaient pas très nombreux. Je tenais à vous en remercier.

M. Gilbert Gentilini, président de la Croix-Rouge - Monsieur le président, nous connaissons bien ces sujets, avec Gilbert Abergel, qui est directeur par intérim des établissements de la Croix-Rouge et à qui j'ai demandé, avec votre autorisation, de venir devant vous.

Nous avons vécu cette période au milieu de bien d'autres préoccupations. Les premiers jours, alors qu'il faisait chaud pour tout le monde, nous ne nous sommes pas aperçus de ce qui se passait. Il faut d'abord faire preuve dans cette crise de beaucoup d'humilité. Ceux qui prétendent qu'on aurait dû faire autrement n'ont pas bien analysé la situation. Je recommande donc à chacun, aux décideurs comme aux acteurs, d'être humbles.

Lorsque, dès le 5 août, nous avons perçu, par notre président départemental de Seine-Saint-Denis, qu'il se passait quelque chose - c'est un homme du SAMU ; il était donc à l'écoute-, nous avons commencé à mobiliser le réseau sur la Seine-Saint-Denis. Dès les 8 et 9 août, tout le réseau a été mis en alerte. Nous avons plusieurs degrés d'alerte. C'est l'alerte rouge qui a été décidée, la plus haute. Partout, on s'est mis à rechercher des jeune leur disposition la plus grande association caritative de France sans toujours avoir le désir de s'adresser à elle. Or si je dis que c'est arrivé dans une série de catastrophes, c'est parce que nous avons eu aussi les incendies, nous sortions des inondations que les représentants du Gard connaissent bien. Nous avons eu ensuite, alors que nous ne l'attendions pas du tout, qu'on nous avait récusé, les jeux à Saint-Denis. C'est une autre affaire, due à une erreur d'ordre administratif qu'on pourrait analyser un jour. Cela a failli tourner mal parce que le service mobilisé ce jour-là a été défaillant et qu'on a mobilisé, en quelques heures, 100 secouristes de la Croix-Rouge.

Nous avons mis notre réseau en alerte quand j'ai su - je me trouvais alors à l'hôpital de Longjumeau - qu'il y avait eu neuf décès dans la maison de retraite Les Airelles, située dans le XXè arrondissement de Paris. Je m'y suis rendu le lendemain matin à la première heure en pensant qu'il y avait eu un scandale, qu'il y avait eu quelque chose d'anormal.

M. le président de la mission d'information - A quelle date ?

M. Gilbert Gentilini - C'était le 8 ou le 9 août.

Je n'avais pas été tenu au courant de l'accumulation des décès. La raison en était que la directrice était en vacances. La personne qui la remplaçait avait bien fait son travail, il n'y a eu aucune faute professionnelle, mais il y a eu peut-être un retard quant à la prise de conscience qu'il se passait quelque chose de tout à fait anormal.

Quand je suis arrivé, j'ai demandé l'âge des personnes décédées. Je vous le précise même s'il n'est pas de bon ton de le dire actuellement. Mais, il faut médicalement le rappeler, bien que cela ne justifie pas les retards dans la prise de conscience et dans l'action : la première avait 101 ans, la deuxième 98 ans et la troisième 97 ans. J'étais, je l'avoue très simplement, un peu rassuré.

J'analyse cette période de canicule en deux phases. Première phase : du 15 juin au 31 juillet. Il faisait très chaud. Les personnes, même vulnérables, ont bien toléré cette élévation thermique. Deuxième phase : brusquement, à partir du 1er août, quand il y a eu une élévation brutale de quelque dix degrés, il y a eu une décompensation irréversible pour les personnes atteintes de vrais coups de chaleur. Là aussi, il va de soi que je ne veux pas contester le nombre des morts, mais il faudra effectuer, plus tard, une analyse plus fine, plus rationnelle et qui explique pour une part les différences qu'on note entre les chiffres de la France et ceux des autres pays européens, l'Espagne, l'Allemagne, le Portugal. Qui est mort là-bas, qui a été comptabilisé comme étant mort de la canicule ? Nous ne savons pas comment ces décomptes ont été effectués.

A ce moment-là, nous nous sommes mobilisés. style="font-family: 'Arial'; font-size: 10pt">J'ai demandé à Gilbert Abergel d'examiner ce qui s'était passé en Ile-de-France. Je ferai quelques remarques qui permettent d'expliquer que jusqu'au dernier moment j'ai espéré, compte tenu de la mobilisation qui était la nôtre, que le chiffre des décès resterait inférieur à 10 000. Il est de 11 564. Je fais remarquer que nous n'avons pas attendu qu'il soit de 8 000, 9 000, 10 000 ou 11 000 pour nous mobiliser. Dès que les estimations ont fait état de 5 000 morts environ, tout le réseau de la Croix-Rouge était mobilisé.

Nous avons acquis la certitude, dans nos maisons d'Ile-de-France, que le niveau de médicalisation ne semblait pas avoir eu d'influence sur le taux de mortalité lié à la canicule. L'âge moyen des personnes décédées est globalement de 90 ans. Sur 13 décès, 9 personnes relevaient de ce qu'on appelle un GIR 1-2, c'est-à-dire un état de dépendance maximum. Cela tend à démontrer que le facteur le plus important à prendre en considération était non celui de l'âge mais celui de la dépendance. C'est la dépendance qui a été à l'origine de la mort de nombre de ces personnes.

En ce qui concerne les services de soins à domicile, nous avons effectué la même enquête. Elle porte sur 445 personnes qui vivent à domicile. Sept décès se sont produits pendant la période du 1er au 15 août. Trois seulement peuvent être considérés comme étant directement liés à la canicule. A chaque fois, il s'agissait de personnes fortement dépendantes.

Je voudrais faire devant vous une autre conclusion. Dans les établissements et services hors Ile-de-France de la Croix-Rouge, aucun décès ne peut être directement imputé à la canicule.

Voilà ce que je peux dire sur le rôle de la Croix-Rouge et quant au moment où nous avons pris conscience de sa gravité. Nous en avons perçu tôt la gravité. Ceci est important. Si nous l'avons perçue tôt, c'est qu'elle était perceptible tôt.

Vous me demandez quel jugement je porte sur le système d'alerte français. Sévère, monsieur le président. Je le dis d'autant plus facilement que son directeur actuel, Gilles Brucker, est un homme de qualité. Il fut un de mes collaborateurs pendant de nombreuses années. J'ai eu plusieurs entretiens avec lui sur cette affaire.

Gilles Brucker a été nommé par Bernard Kouchner, il n'y a pas très longtemps. Il a été nommé parce qu'il y avait des dissensions concernant d'autres nominations que vous connaissez.

M. Maxime Gremetz - Expliquez-nous !

M. Gilbert Gentilini - Je vous dirai tout, monsieur Gremetz.

M. le président de la mission d'information - M. Claude Evin - Ça n'aurait d'intérêt que si ça permettait d'expliquer ce qui s'est passé. Je ne suis pas sûr que cela ait eu une incidence.

M. Gilbert Gentilini - Je veux dire que Gilles Brücker a peut-être manqué d'un peu d'imagination ou de présence au moment des faits, mais il n'est pas responsable de la structure de l'Institut de veille sanitaire qui ne me paraît pas être un bon instrument. Voilà ce que je veux dire. Je trouve, pour répondre à la question que le président m'a posée, que la structure de veille sanitaire est une structure administrative qui procède plutôt à des analyses a posteriori et qu'elle n'est pas un bon système.

M. le président de la mission d'information - J'ai posé cette question à l'Institut de veille sanitaire.

M. Claude Evin - Quel pourrait être le bon système d'alerte ?

M. Gilbert Gentilini - Le système d'alerte a été donné par les urgentistes. Quand on attend que l'alerte soit donnée par une structure administrative, il y a peu de chances que cela se fasse en temps réel.

M. Claude Evin - Comment les urgentistes ont-ils fait ...

M. Gilbert Gentilini - Les urgentistes ont crié haut et fort ...

M. Claude Evin - Il faut donc qu'il y ait une relation directe avec le Journal du dimanche ou le Parisien dimanche !

M. Gilbert Gentilini - Non, vous êtes sévère !

M. Claude Evin - C'est comme cela que ça s'est passé, en l'occurrence !

M. Gilbert Gentilini - Non. Vous savez, j'ai été chef d'un service hospitalo-universitaire pendant 25 ans. Si je connais bien les tares du système, j'en connais aussi les qualités. Je connais bien les hommes et les options de chacun. Ce n'est pas cela que je veux discuter. Si les urgentistes n'avaient pas donné l'alerte, leur faute aurait été extrêmement grave. Ils sont aux premières loges. Cela a été pour eux un travail relativement facile. Ils ont tout de suite vu ce qui était à voir. Ils ont alerté. L'ont-ils fait dans la forme ? Je n'ai pas à en juger.

M. Claude Evin - Je reconnais que c'était un peu une boutade.

Je n'ai pas de vraie réponse au problème. Je crois qu'il faut qu'on écoute toutes les suggestions. Il est évident que, dès lors que quelque chose se produit sur le terrain, les urgentistes sont un élément important de captage d'informations. La question que l'on doit se poser est la suivante : comment l'information remonte-t-elle ?

Si les urgentistes avaient pour mission d'intervenir auprès de l'Institut de veille sanitaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, ils se seraient sans doute comportés différemment.

Je n'approuve pas qu'on aboie devant des micros ou qu'on écrive dans des journaux. Mais quand on n'a pas fixé la manière dont on doit faire, il arrive ce qui s'est passé, à savoir que l'information n'a pas été transmise en temps réel, qu'il y a eu un décalage avec ce que le ministre aurait dû savoir. Je suis convaincu qu'on n'a pas transmis au ministre, au décideur, les informations qu'il aurait dû recevoir, parfois avec plus d'autorité.

M. Maxime Gremetz - Ma conviction commence à se faire.

D'abord, il me paraît évident que le ministre n'a pas été informé. Mais, est-ce que son ministère l'a été ? Voilà une question à laquelle je commence à avoir une réponse. Je pense qu'il y a eu un dysfonctionnement, y compris au niveau d'un ministère.

M. le président de la mission d'information - La question de M. Evin rejoint une de celles que je vous ai posée, à savoir ce que l'on doit faire, selon vous, pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise.

Mme Catherine Génisson - Je crois qu'on est au coeur d'un des multiples problèmes que l'on doit se poser au sein de cette mission d'information. Qui donne l'alerte ? Comment chemine-t-elle ? Comment sert-elle de base à la mise en place d'un plan d'action ?

Vous avez signalé, à juste titre, l'importance des urgentistes. Je rappelle, et le ministre l'a dit lui-même, que, quand les urgentistes interviennent, 72 heures se sont déjà passées. Des personnes comme les pompiers sont alors déjà intervenues en amont en se rendant à domicile. L'alerte doit peut-être se faire au niveau de l'hôpital et des urgentistes mais aussi au niveau d'autres services de l'Etat.

Vous semblez remettre en cause les missions de l'InVS. Je crois que ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais de la façon dont il peut correctement assumer ses missions s'il reçoit l'information. L'InVS pouvait-il retransmettre l'alerte vers la base dès lors qu'il n'était pas correctement informé ? Manifestement, les informations de base ne sont pas remontées, ni au bon endroit, ni en temps réel. En tant qu'urgentiste de la base, c'est ainsi que je l'ai vécu. On avait l'impression de prêcher dans le désert. Cela a peut-être expliqué certains comportements qui n'étaient pas acceptables en tant que tels mais qui ont été la seule manière de tirer la sonnette d'alarme à un moment donné.

M. Gilbert Gentilini - Mes propos sont proches de vôtres, madame

M. Maxime Gremetz - Une question me taraude depuis un moment. On a déjà connu des catastrophes, même si elles n'étaient pas comparables - on n'a jamais eu ça en France - ni de même nature, je pense aux inondations dans la Somme. Je ne sais pas comment marche le système, j'aime bien l'efficacité et il y a quelque chose que je ne comprends pas. Ce qui m'a particulièrement étonné pendant cette période, c'est qu'on savait qu'il se passait quelque chose d'exceptionnel dans le pays, mais qu'on a jamais réuni de cellule de crise. D'habitude, par exemple au niveau départemental, le préfet mobilise tous les services et met tout le monde en branle. Or, il n'y a rien eu de tel nulle part. C'est tout de même très surprenant et je m'interroge. Ce constat nous ramène à la question de l'alerte, de l'information et de sa diffusion. Le rapport Lalande met en cause l'ensemble des administrations parallèles. En gros, tout le monde savait mais l'information ne remontait pas. Je schématise, mais à peine.

M. Jean-Marc Roubaud - Je voudrais faire appel à vous à un double titre, en tant que scientifique et en tant que président d'une association caritative.

Mon collègue a mis en cause l'éventuelle incapacité de la fonction publique à traiter des questions d'urgence. Dans le cas précis qui vient d'être évoqué, c'est par la presse que le problème s'est résolu. Je peux donner un autre exemple car j'ai vécu la même chose - je suis pharmacien - à l'époque du sang contaminé avec la commercialisation par les centres de transfusion sanguine de gammaglobulines infectées. J'avais alerté le conseil de l'ordre des pharmaciens, le ministère, etc. sur le risque de continuer à commercialiser les gammaglobulines et je n'ai reçu aucune réponse de la part de ces organismes publics. Il a fallu que je tienne en personne une conférence de presse pour que, dès le lendemain, le ministre de l'époque interdise la vente. C'est la capacité de la fonction publique à traiter de l'urgence qui me semble devoir être débattue.

M.Claude Evin - Je ne suis pas sûr de vous suivre sur ce terrain, cher collègue.

M. Claude Leteurtre - Quelque chose me frappe. Je vous trouve d'une certaine façon très accusateur. Vous dites qu'on a vu arriver la canicule et qu'il fallait l'anticiper. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

M. Gilbert Gentilini - J'ai écrit un éditorial pour le journal interne de la Croix Rouge qui avait été intitulé « Un été meurtrier ». J'ai remplacé le titre par « Un si bel été ». La catastrophe est arrivée en période festive, de détente et d'absence. Tout le monde était heureux d'être au soleil ... Au-delà du phénomène de société, de l'abandon des personnes âgées, il y a eu quelque chose d'un peu particulier. La France était heureuse, elle sortait d'une période de grèves, de tensions politiques. A part les intermittents du spectacle, il n'y avait plus de gros probl&egrav procès des uns et des autres. Il y avait cette évasion vers le soleil, c'est vrai, mais la France ne s'est pas arrêtée de vivre dans cette période très difficile. Et je voudrais tout de même souligner l'investissement de nombreuses personnes qui, là où elles étaient, se sont dépassées pour essayer de faire face.

M. Gilbert Gentilini - J'aimerais beaucoup être d'accord avec vous, madame, mais ce n'est pas le cas. Ce qui m'a frappé, pour ma part, c'est l'absence, la vacance. M. Evin sait très bien qu'à l'Assistance publique, 40 %, 45 %, 50 % des lits sont fermés au mois de juillet. S'il y avait eu des lits d'aval...

M. Claude Evin - Si vous m'appelez comme témoin, je ne peux pas valider !

M. Gilbert Gentilini - Vous m'avez demandé M. le président ce qu'il fallait faire. Je n'ai aucune solution miracle mais quand une personnalité du gouvernement a demandé à me voir, je lui ai dit tout simplement qu'il fallait, premièrement, réformer le système d'alerte. Je crois à l'alerte à partir de la base, en temps réel, et pas du tout à l'alerte donnée par des structures administratives trop lourdes.

Deuxièmement, il faut réformer les services de secours. Il y a concurrence et incohérence à ce niveau. Si on envoyait davantage les pompiers combattre les incendies, au lieu de les occuper au transport, il y aurait peut-être plus à mobiliser ailleurs. Il y a une réflexion à conduire sur la cohérence des services de secours.

Troisièmement, il faut un seuil minimum garanti pendant les vacances durant lesquelles il n'y a pas suffisamment de personnels soignant, médical, dentaire, présents. La première quinzaine d'août est extrêmement dangereuse, de même que la semaine entre Noël et le jour de l'an. C'est la raison pour laquelle je ne suis jamais parti en vacances à ce moment-là.

Quatrièmement, j'ai demandé des solutions pratiques et immédiates car je crains qu'on s'enlise vite dans des commissions, et qu'on prenne des décisions qui ne seront pas financées. J'ai demandé au Premier ministre qu'il y ait dans chaque institution, avant juin 2004, au moins une salle collective qui soit climatisée.

Enfin, je réclame un service, que j'ai baptisé « ilotage sanitaire », pour repérer en ville toutes les personnes isolées. Les vacances sont légitimes. Ce qui est illégitime, c'est d'abandonner des personnes qui, elles, ne peuvent pas partir. Beaucoup d'entre elles sont mortes dans leur appartement uniquement, vous le savez, parce que celui ou celle qui était le trait d'union entre la solitude et la vie collective était en vacances.

*

* *

XVII. Audition de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance publique - Hôpitaux de Par actuelle est-elle pertinente pour la gestion d'une telle crise ? Troisièmement, en ce qui concerne en particulier les fermetures de lits, l'écart qui existerait entre la réalité et la programmation a été relevé, notamment par la mission Lalande. Sachant que la difficulté de trouver des lits d'aval semble avoir été un des problèmes principaux des services d'urgence, comment parvenir à un dispositif mieux tenu sur ce point précis ? Quatrièmement, d'après les auditions précédentes, la mortalité a été apparemment très différente entre Paris et Lyon d'une part, où elle aurait été extrêmement élevée, et Marseille où elle aurait été plus faible. Comment expliquez-vous cet écart : par les mesures spécifiques prises à Marseille ou par le fait que la canicule aurait été relativement modérée dans cette ville et que l'habitude de la chaleur y est plus grande ?

M. Dominique Paillé - Une petite question de détail que j'ai posée à M. Jean-François Mattei et qui s'adresse à Mme la directrice générale de l'Assistance publique. Je voudrais comprendre comment le déclenchement d'un « plan blanc » le 11 août dans le département du Val-de-Marne, d'abord au centre hospitalier intercommunal de Créteil, puis par le préfet du Val-de-Marne - département dans lequel vous avez des établissements hospitaliers - n'a pas suscité, dans votre administration, un certain éveil qui aurait pu, dès le 12 au matin, entraîner la généralisation du dispositif à l'ensemble de vos structures. Je pense qu'on aurait pu ainsi réduire le temps de réponse à la problématique qui se posait à nous et que nous ne connaissions pas tout à fait. J'interrogerai M. Guy Vallet sur la réalité des chiffres de Marseille car, sur ce point, les sources divergent.

M. Claude Evin - Je prolonge, mais sous une autre forme, une des questions que vous a posée notre président. Au mois de juin, combien prévoyiez-vous concrètement de fermetures de lits ? Le 1er et le 15 août, combien étaient fermés ? Et quelle est l'appréciation que vous pouvez nous donner sur la véracité des chiffres qui vous ont été communiqués par vos chefs de service ? A la page 37 du rapport de Mme Lalande, il est indiqué que « si les hospitaliers ont su mobiliser toutes les énergies, ils n'ont pas une connaissance suffisante de la gestion des catastrophes sanitaire ». Quelle est votre appréciation sur ce constat ? Enfin, on a évoqué spécifiquement pour l'AP-HP un plan « chaleur extrême ».  Pourriez-vous nous dire quand il a été décidé et en quoi il consiste ?

Mme Catherine Génisson - Dans le même esprit que la question de M. Claude Evin, pourquoi avez-vous mis en place un plan « chaleur extrême » au lieu du « plan blanc » qui venait d'être activé dans d'autres hôpitaux ? Par ailleurs, pouvez-vous nous décrire les procédures qui président à la fermeture des lits ? Est-elle organisée d'après les difficultés de fonctionnement des diffé êtes responsable d'un grand secteur central, madame, et je pense que le repérage de ce qui se passait aurait dû se faire plus vite qu'ailleurs. Alors, cela a-t-il été le cas et, si oui, votre constat ne pouvait-il constituer une sorte de signal d'alarme ? Deuxième élément, pour ce qui est de l'hôpital public, combien y a-t-il de personnel soignant à Paris ? Combien en manque-t-il en temps normal et combien en manquait-il au moment du drame ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) - Votre première question concernait la façon dont nous avons vécu la crise. Elle est importante dans la mesure où elle éclaire d'autres questions.

Le 5 août - je venais de partir en vacances -, on a réuni à l'AP une cellule de veille des urgences en période de canicule qui est justement chargée du suivi des fermetures de lits - j'y reviendrai car la question que vous m'avez posée, Madame Génisson, est essentielle. Je m'en suis informée par téléphone. Le procès-verbal de réunion de cette cellule qui regroupe tous les médecins concernés - les urgentistes, les gériatres et toutes les autres disciplines - conclut que juillet ne s'était pas trop mal passé, mais l'ensemble des participants était très inquiet des fermetures, plus nombreuses, attendues pour le mois d'août. Des inquiétudes se sont manifestées sur les fermetures de lits mais il n'a été question ni de canicule, ni d'hyperthermie.

A ma connaissance, nous n'avons été alertés sur les premiers cas d'hyperthermie que le jeudi 7 août au soir. Et j'insiste sur le fait que c'était la première fois qu'on voyait arriver des cas d'hyperthermie qui n'était pas une maladie connue. D'ailleurs, dans certains cas, des antibiotiques avaient été prescrits par les médecins, désemparés de voir la température des malades monter !

Dès le vendredi matin, les médecins de l'AP, en particulier le professeur Carli, avaient fait l'analyse du phénomène et envoyé des consignes avec un protocole médical pour expliquer ce qu'il y avait à faire et éviter justement de prescrire des antibiotiques. Dès le 8 août, donc, le secrétaire général, qui assurait mon intérim, a envoyé une note qui est arrivée dans les établissements en fin de matinée, en demandant de prendre des mesures « type plan blanc ». J'ai préparé un dossier pour le conseil d'administration que je pourrai vous laisser et qui retrace l'historique, des notes en particulier.

J'étais en contact avec le professeur Carli et M. Deroubaix et, puisque vous demandez le vécu, je perçois à quel point il était difficile à ce moment-là de prendre complètement la mesure du phénomène. J'insiste vraiment là-dessus. Il y avait un problème, on était assez désespérés, on se demandait s'il ne fallait pas réquisitionner des salles de congrès climatisées parce qu'on pensait surtout à l'amont. On avait vu arriver des gens dans un tel état qu'on se disait que le problème se posait en amont les mesures avaient été prises. En gros, je n'étaiS pas indispensable. J'insiste pour éclairer votre commission.

Mme Catherine Génisson. Vous avez téléphoné au préfet de police ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Pas moi, j'ai demandé à mon chef de cabinet, M. Bonnin, de le faire.

M. le président de la mission d'information - Il l'a fait ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Tout à fait. Le préfet de police, j'ai eu l'information par la suite, était prêt à mobiliser des volontaires de la Croix-Rouge. Encore fallait-il trouver un local réfrigéré ! Le secrétaire général de l'AP a aussi tout de suite averti M. Lhostis, le président du conseil d'administration, pour mobiliser également la mairie de Paris sur ce sujet. Mais, à ce moment-là, on pensait surtout à l'amont.

Je suis remontée le dimanche et j'ai fait le tour de trois services d'urgences à Paris, avec le professeur Carli, qui m'a donc présenté un état de la situation : Hôpital européen Georges Pompidou, Cochin et la Pitié. Là encore, il s'agit de mon témoignage personnel, ça a été un choc affreux. Entre ce qu'on disait au téléphone - et pourtant, j'y avais passé du temps - et la réalité... Les couloirs étaient encombrés de brancards sur lesquels étaient couchées des personnes âgées dans un état de dénuement terrible, en état précomateux. C'était, je vous assure, quelque chose d'extrêmement difficile à vivre, pour nos équipes notamment, qui travaillaient dans la chaleur puisque nos hôpitaux ne sont pas climatisés. J'ai été personnellement bouleversée. Je remontais du Midi, je croyais avoir eu chaud dans le Midi, et j'ai trouvé qu'il faisait beaucoup plus chaud à Paris que dans le Midi !

M. Dominique Paillé - Je confirme.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Le lundi 11 août au matin, j'ai réuni la cellule de veille des urgences en présence donc des professeurs Carli et Pelloux. J'avais demandé à ce que le préfet de police vienne puisque je l'avais sensibilisé le vendredi précédent. Il y avait là un représentant de l'ARH et Mme Toupillier de la DHOS, dont je dois dire qu'elle m'a été très utile dans les décisions que nous avons dû prendre. Lors de cette réunion qui a duré toute la matinée, le professeur Carli a commencé par exposer une analyse très complète du phénomène d'hyperthermie en se référant aux précédents de Chicago (1995) - températures de plus de 32,2° pendant plusieurs jours - et une revue des populations à risque, à savoir les personnes âgées - et les enfants parmi lesquels aucun cas d'hyperthermie n'a été signalé - pour lesquelles l'isolement est un facteur aggravant. A partir de là, on a réfléchi sur les mesures à prendre. Je vous laisserai la no programmé mais qui n'est pas urgent. On fait sortir tous les malades qui peuvent sortir et on rouvre des lits. Pour répondre tout de suite à votre question, le 8 août, le secrétaire général a utilisé le terme « mesures type plan blanc ». Le lundi, on a annoncé la deuxième phase du plan « chaleur extrême ». C'est une question de sémantique : nous avons parlé avec le professeur Carli et nous avons considéré, j'ignore si on a eu raison ou tort, que nous n'étions pas dans un cas typique « plan blanc » qui s'applique en principe aux accidents, qui provoquent un afflux instantané aux urgences. Or, nous avions affaire à un processus particulier. Il y a d'ailleurs eu un débat à ce sujet entre M. Carli et M. Pelloux, le second parlant de catastrophe et le premier considérant qu'il s'agissait d'une épidémie. Vous pouvez juger, et je respecte votre opinion, que j'aurais dû déclencher le « plan blanc » avant ...

M. Dominique Paillé - Je ne juge pas, je m'interroge sur son déclenchement à Créteil par le préfet du Val-de-Marne, donc sur deux de vos établissements.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Non, je vous arrête, ils sont hors champ AP. J'y reviendrai mais ce sont des particularités de l'AP. Ainsi, au début du processus, on s'est dit qu'on n'était pas dans un schéma caractéristique du « plan blanc » mais on a pris des mesures du même type. Le 13 août on a déclenché le « plan blanc » mais...

M. le président de la mission d'information - Il était déjà en place.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Quasiment.

Mme Catherine Génisson - Il n'y avait pas de rappel de personnel ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Si, il y en a eu. Tout d'abord, beaucoup de personnel a appelé spontanément, c'est le sursaut hospitalier absolument extraordinaire qu'on voit dans ces moments-là. Les gens ont fait des heures supplémentaires, ont reporté leurs congés, sont rentrés. Le mercredi après-midi, après avoir accompagné M. Mattei à la Pitié-Salpêtrière, il m'a rappelé en me demandant s'il ne fallait pas réquisitionner du personnel. Je lui ai répondu que je ne considérais pas le moment opportun dans la mesure où une telle décision risquait d'être inefficace compte tenu du délai de mobilisation - le temps de rappeler les gens en vacances. De surcroît, j'éprouvais une angoisse terrible : je savais qu'à partir de la nuit du mercredi à jeudi, la température allait baisser mais, à l'époque, on craignait une nouvelle poussée de chaleur la semaine suivante. Avec M. Carli, nous étions terrorisés à l'idée de rappeler du personnel à un moment où, finalement, les choses allaient un peu moins mal. Je ne dis pas que j'ai eu raison mais voilà les choses telles que je les ai vécues jusqu'au lundi 11 août.

C style="text-align: justify">Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Je le savais par M. Carli et j'avais été instruite par ma visite aux urgences. J'ai appris beaucoup de choses dans le cadre de la formation tout au long de la vie...

M. le président de la mission d'information - Il faut dire que nous avons souvent reçu Mme la directrice ici-même en tant que déléguée à l'emploi et à la formation professionnelle.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - En réponse à M. Evin, je signale que, parmi les difficultés que j'avais perçues le matin, figurait celle de bien expliquer et de bien communiquer, y compris au sein de l'hôpital. On n'était pas dans le cas, bien connu des hospitaliers, de personnes âgées qui arrivent en urgence parce qu'elles sont démunies l'été. Pour obtenir la mobilisation de tout l'hôpital, y compris des chefs de service, qui ne sont pas habitués à travailler avec les urgences, il fallait leur faire comprendre qu'on était dans un autre schéma. Il fallait donc communiquer à la fois en interne et en externe parce qu'il fallait éviter que les malades arrivent dans un tel état. Encore une fois, quand ils arrivent avec une température de 41°, on n'a pas beaucoup de temps pour agir. Le sentiment que j'ai eu, c'est de ne pas arriver à intéresser l'auditoire, à capter son attention. La presse ne s'intéressait à ce moment-là qu'à la querelle entre M. Pelloux et M. Carli sur le nombre de décès. Je vous assure, j'étais encore sous l'émotion de ce que j'avais vu la nuit, et j'avais envie de faire passer quelque chose à la presse qui peut aider pour transmettre des messages de prévention. Mais le débat portait alors sur le nombre de décès. Là aussi, c'est intéressant de se souvenir, il s'agissait d'une cinquantaine !

M. Dominique Paillé - Avez-vous réussi à mobiliser les deux mille et quelques lits dont vous aviez besoin en aval ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Pour être honnête, on n'a pas mobilisé 2 000 lits parce que ça tourne, il s'agit d'un flux. Bien que ce soit, comme toujours, difficile à estimer, il y a 200 lits qui ont été rouverts - ils étaient fermés -, entre 200 et 300 lits qui ont été réaffectés mais ils sont plus difficiles à chiffrer, ...

M. Claude Evin - Combien de lits de fermés ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - J'en viens à la question sur la planification des fermetures de lits. La tradition de l'AP - et comme je viens d'arriver, je l'ai respectée - veut qu'au mois de février, on écrive aux différents établissements pour leur demander leurs prévisions de fermetures en été en leur donnant des indications et des orientations, en particulier de fermer le moins possible en réanimation et en gériatrie. D'ailleurs, en gériatrie, cette année, les fermetures avaient diminué de 2,5 %, contre 7 % l'année d'avant. On essayait donc de faire un effort particulier. Par exemple, à Bretonneau et Vaugirard, il n Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Oui, et d'une moyenne. J'ai été souvent interpellée par les journalistes à propos des fermetures de lits l'été. Ma réponse est simple : on ne peut pas demander à notre personnel, en majorité féminin, jeune, de prendre ses vacances au mois de novembre et au mois de mars, quand les enfants sont à l'école et les maris au travail ! Il faut tout de même réaliser que tout le monde a le droit à des vacances.

M. Dominique Paillé - De fait, la population à Paris est moins nombreuse l'été.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Absolument ! A ce propos, j'ai fait ce matin le point sur une mutualisation des urgences entre Saint-Vincent-de-Paul et Necker parce que les urgences pédiatriques dans ces deux établissements sont deux fois moindres l'été. Mais il ne faut pas s'arrêter là. Une réunion s'est tenue pour faire le bilan, le 2 septembre, avec tous les présidents de comités consultatifs médicaux et les directeurs d'établissement pour faire ensemble l'analyse et tirer les enseignements. Sans entrer dans le détail, on va créer quatre groupes de travail dont l'un portera là-dessus. Mon opinion personnelle est qu'il faudrait être plus volontariste sur les fermetures de lits. A quantité égale, il faudrait absolument donner la priorité à la réanimation, à l'aval des urgences, à la médecine interne. Or, ce n'est pas ce qui se passe aujourd'hui. Les personnels prennent leur congé par tiers, dans l'optique da la continuité du service public, mais il y a probablement des services où ce n'est pas indispensable. La meilleure preuve en est qu'on a pu mobiliser des lits à cette occasion, ce qui fait précisément dire à certains médecins qu'il ne faut surtout pas faire ce que je recommande parce que ça nous priverait de flexibilité. Je fais cette remarque pour vous montrer à quel point le sujet est sensible.

M. Guy Vallet, directeur de l'Assistance publique de Marseille - A Marseille, la canicule a commencé fin mai. N'ayant pas connu de pic réel, ni d'afflux massif aux urgences, on n'a donc pas eu à déclencher de « plan blanc », ni à rappeler du personnel, ni à rouvrir des lits. On a observé un accroissement des fréquentations des urgences de 7,35 % par rapport à 2002, en partant de ce que nous considérons comme le début de la canicule, c'est-à-dire le 25 mai, jusqu'au 26 août. Si ce chiffre n'est pas négligeable, il s'agit essentiellement de personnes de plus de 75 ans puisque nous enregistrons une hausse de 14,3 % pour cette catégorie de malades.

En ce qui concerne les décès à l'Assistance publique, l'augmentation au CHU est de 16,5 % sur cette période, 6,3 % pour les moins de 75 ans mais 31,5 % pour les personnes de plus de 75 ans. Ces chiffres sont rapportés à ceux de 2001, 2002 et 2003 - il faut prendre plusieurs années pour pouvoir comparer. On a déclaré cinq décès au titre d'un coup de chaleur, au sens de l'InVS. L'augmentation des passages aux urgences s'est produite surtout fin juin.

Nous avons pris à la fin du mois de juin, au moment o diffusés dans les pharmacies, un peu partout dans l'ensemble du département des Bouches-du-Rhône. Et je me souviens très bien m'être fait la remarque qu'il y avait très peu de journalistes, plutôt des stagiaires. Par contre, au début du mois d'août, quand ça a commencé à « chauffer », là, il y avait du monde ! D'ailleurs, il a beau être très urbain,...

M. le président de la mission d'information - En effet, nous avons pu nous en rendre compte par nous-mêmes, pas plus tard qu'hier.

M. Guy Vallet - ... il leur a dit leur fait !

A propos de la polémique sur les chiffres, ceux du CHU ne sont pas particulièrement élevés. Un interne a fait un diplôme universitaire ; le document n'est pas fini mais la courbe de corrélation entre la chaleur et les décès est probante.

M. le président de la mission d'information - M. San Marco a eu l'occasion de nous le dire hier.

M. Guy Vallet - On a également tracé une courbe des décès de patients de plus de 75 ans par rapport aux autres années. Vous pouvez constater qu'il y a une légère augmentation mais le pic s'est produit en février.

On a bien entendu suivi les choses de près. Je me suis rendu régulièrement aux urgences, avec les représentants de l'ARH, pour interroger les uns et les autres, pour savoir s'ils avaient besoin de renforts de personnel. Nous n'avons pas eu à prendre de mesures particulières au cours de l'été.

En ce qui concerne les fermetures de lits, on a tiré les enseignements des problèmes graves de l'année dernière. J'avais été obligé de rentrer de vacances à cause d'agressions survenues aux urgences du fait du manque de personnel. Dès le mois de février, les fermetures de lits ont été planifiées pour l'ensemble de l'année. Elles ont été décidées en collaboration avec les organisations professionnelles en tenant compte du fait que, dans un CHU, 70 % des opérations sont programmées. Quand les chirurgiens ou les anesthésistes prennent leurs congés, on peut légitimement fermer des lits puisque, de toute façon, les interventions sont reportées. Avec l'ARH, nous avons organisé les fermetures pour l'ensemble du bassin marseillais, en englobant les hôpitaux de Martigues, d'Aix-en-Provence, d'Allauch, d'Aubagne, etc. de sorte que toutes les services de réanimation ne soient pas fermés en même temps. On a pu ainsi passer cette période sans réouverture mais sans difficulté particulière. J'ai les chiffres exacts, mais vous intéressent-ils ?

M. le président de la mission d'information - Pas nécessairement. Ce qui nous importe, c'est de savoir s'il y a eu des décès par manque de lits.

M. Guy Vallet - Non. On a toujours eu des lits vacants, sur toute la p&eacu bien. D'ailleurs, lors d'une audition précédente, on a parlé de Toulouse. M. San Marco a parlé hier de Nice, Bordeaux, Toulouse et Marseille en disant qu'aux extrémités, il avait fait très chaud avec des pourcentages très importants mais, sur Marseille, il a parlé de 45%. Vous lui direz que nous avions bien entendu ses propos. J'avais d'ailleurs fait moi-même la rectification en lisant le journal.

M. Guy Vallet - Je voudrais ajouter que M. Gaudin, avec lequel je parlais hier de cette question, a précisé que Marseille était une ville très communautaire : il y a 103 villages à Marseille. C'est la première ville comorienne, la première ville corse et ainsi de suite. Les gens vivent en communauté. Par exemple, il n'y a eu aucun décès « oublié ». C'est aussi, sans doute un facteur explicatif de la problématique.

M. Bernard Rousset, secrétaire général des hospices civils de Lyon - Beaucoup des choses qui ont été dites sont communes à nos trois villes. Pour ce qui est de notre vécu, nous avons été pris par surprise. J'accompagnais le chef de service des urgences du plus gros service d'accueil des urgences de Lyon, à l'hôpital Edouard-Herriot, qui avouait son désarroi, pendant le week-end des 9 et 10 août face à l'arrivée massive de personnes dans un état catastrophique, avec une température de 41°C à 42°C et décédant peu de temps après, soit à l'accueil même, soit dans les deux unités d'hospitalisation du pavillon médical d'urgence.

C'est d'ailleurs ce qui a, dès le lundi matin, beaucoup intéressé les journalistes. Nous n'avons pas fait de conférence de presse, mais, en tout état de cause, des fuites ont été organisées dans des conditions toujours un peu surprenantes, les journalistes étaient très curieux de savoir si, vraiment, on confirmait les 17 décès au cours des vendredi, samedi, dimanche au sein du pavillon N, que ce soit à l'accueil, dans les deux unités d'hospitalisation, ou dans l'unité de réanimation. Il a fallu beaucoup de patience pour expliquer aux journalistes que les médecins avaient autre chose à faire que des interviews, et nous des statistiques. Voilà pour les relations avec la presse. En tout état de cause, les précautions, les informations préventives n'étaient franchement leur préoccupation.

Toujours est-il que, dès le lundi matin, j'ai « armé » le dispositif habituel. Nous savons que le pavillon médical de l'hôpital Edouard-Herriot est tout au long de l'année submergé par l'arrivée de malades. Nous redoutons toujours le mois d'août durant lequel Lyon se vide certes de sa population mais c'est une ville de transit si bien qu'il faut accueillir et hospitaliser des gens, et classiquement des personnes âgées. Nous - médecins et administratifs - n'avons donc pas été particulièrement surpris de cet afflux. Ce n'est que le cumul des décès et du nombre de personnes de plus de 75 ans hospitalisées pendant ce week-end qui a déclenché une prise de conscience du chef de service qui n'arrivait plus à s'en sortir. Le seul secteur climatisé est le service de réan congés du personnel, 36 % les prennent en juillet, 48 % en août, 16 % en septembre. Nous avions organisé les fermetures en liaison avec la DRASS qui effectue la coordination au niveau régional pour fermer moins que l'année précédente, en accordant la priorité aux urgences, à la réanimation, sauf quand il était impossible de trouver des infirmières de remplacement, soit par manque de personnel, soit faute de qualification appropriée. On ne s'improvise pas infirmière de réanimation avec son diplôme d'Etat dans la poche ou quand on vient d'une société d'intérim. La gériatrie était aussi prioritaire mais elle rencontre les mêmes difficultés pour pourvoir les postes, auxquelles s'ajoute une réticence des professionnels à travailler dans cette spécialité, tout comme en neurologie où l'âge moyen des patients est très élevé. Ce n'est pas nouveau. Nous savions que nous aurions des difficultés mais nous avons été un peu submergés.

Nous n'avons pas lancé de plan « chaleur extrême » comme à Paris, ni de « plan blanc » comme dans d'autres endroits, mais les mesures que nous avons prises dès le lundi 11 y ressemblaient étrangement. La différence avec ce qui a été dit tout à l'heure, c'est que lorsque le car d'Allemands tombe de l'autoroute le 17 mai, on sait réagir en une heure, et à tous les niveaux, pour libérer ne serait-ce que 30 lits de chirurgie grâce à des déplacements. Les seniors s'y mettent et il n'y a pas de problème. Ca dure très peu de temps, la mobilisation est très brutale et massive mais, cette fois-ci, il s'agissait d'un phénomène insidieux, d'où le problème de l'alerte : météo, signes pour porter le diagnostic, etc. La réflexion est en cours et ce n'est pas moi qui pourrai donner des solutions.

Dans la journée du lundi, nous avons pu évacuer les 36 malades qui avaient besoin d'un lit d'hospitalisation. La situation a été appréciée à huit heures du matin dans l'ensemble des établissements et des mesures à peu près identiques ont été arrêtées : déprogrammations, sorties accélérées, réouverture d'un lit par-ci, par-là, doublement d'une chambre, en réanimation, en médecine ou même en chirurgie, y compris dans des secteurs d'hospitalisation de jour sans que cela nuise à la programmation des séances d'hôpital de jour. La très forte mobilisation n'a produit son plein effet que le mercredi, dans la mesure où il existe un délai d'inertie pour parvenir à endiguer le flux qui s'est étalé tout au long de la semaine, du lundi 11 jusqu'aux 19 et 20 août. Au niveau régional, nous avions un autre souci, celui de nous préparer au fameux week-end du 15 août, avec les risques d'une poursuite de la canicule et d'accidents sur une voie que tout le monde connaît bien, ce qui, grâce au ciel, ne s'est pas produit.

M. le président a posé une question sur la coordination. Dès le lundi, la DDASS nous mobilisait pour diffuser et collecter des informations. Le mardi matin, le préfet délégué à la sécurité réunissait l'ensemble des acteurs, représentants de l'ARH, ce qui a surpris a posteriori, mais les passages nécessitant une hospitalisation ont été beaucoup plus nombreux. Ainsi, en 2002, pour la même période, on avait 669 besoins d'hospitalisation et nous en avons eu cette année 738. L'écart n'est pas énorme, mais ce qui est significatif, c'est la part des personnes âgées de 75 ans ou plus. L'année dernière, elles étaient 358, contre 490 en 2003. Autre caractéristique, le nombre de décès tant à l'accueil qu'en hospitalisation : sur la période considérée, de 7 on est passé à 25, essentiellement sur un laps de temps de 8 jours - du 7 au 13 août.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - Certains d'entre vous m'ont demandé si j'avais trouvé que cette crise était révélatrice de dysfonctionnements. A mon avis, l'hôpital a répondu présent. Il est vrai qu'on peut et qu'on doit améliorer les choses mais on ne peut pas non plus concevoir un dispositif qui puisse être durablement dimensionné pour recevoir en une semaine 2 000 personnes de plus.

De plus, l'intensité des soins infirmiers dont les personnes âgées ont besoin a été pour moi une révélation. Je m'explique. A Vaugirard et Bretonneau, aucun décès ne s'est produit mais à quel prix ! On prenait la température des personnes quatre fois par jour. Dès qu'elle dépassait 38°, on mettait une perfusion que seules les infirmières sont habilitées à poser. Or, dans la plupart des services, entre la moitié et les deux tiers des patients étaient concernés. Une perfusion implique aussi de procéder ensuite à des bilans. Dans cette optique, le vieillissement de la population suppose que l'hôpital s'adapte à ces patients qu'on ne reçoit pas qu'en gériatrie. On les retrouve dans tous les services, et c'est pour moi un sujet auquel il faut réfléchir.

M. Bernard Rousset - Nous avons envoyé 57 fiches de mémoire à l'InVS dans le cadre de la remontée d'information sur les hyperthermies, justifiées ou non sur le plan médical. Sur 54 qui mentionnait cette information, 22 personnes venaient d'institutions, maisons de retraite privées notamment, 32 venaient de leur domicile, dont 13 étaient seules et 19 accompagnées. L'échantillon est réduit mais il nous a frappé.

M. Maxime Gremetz - Mme la directrice nous a indiqué, et c'est la première fois que je l'entends aussi clairement, qu'elle avait senti venir le problème. Tout est relatif peut-être, mais c'est la première fois...

M. Claude Evin - On a déjà entendu des témoignages de ce type.

M. Maxime Gremetz - En tout cas, en ce qui me concerne, c'est la première fois et j'ai le droit de le dire !

M. le président de la mission d'information - Entendre M. Gremetz féliciter quelqu'un est suffisamment rare pour être noté !

M. Maxime Gremetz - Avec votre expé justify">M. Guy Vallet - Pour la première fois à Marseille, nous manquons de personnel infirmier cette année, de l'ordre de 70 postes cette année sur 4 500 environ. Le marché de l'emploi a été asséché par les embauches qui ont suivi les 35 heures. Nous attendons avec impatience la sortie des écoles d'infirmières. Une clinique va fermer ses portes et on espère récupérer une partie du personnel mais c'est la première fois que nous rencontrons des difficultés de recrutement à Marseille.

M. Bernard Rousset - Nous avons 4 400 postes d'infirmières diplômées d'Etat et spécialisées. A ce jour, on estime notre déficit entre 80 et 100. Nous aussi attendons avec impatience la sortie des promotions mais, à la différence de notre collègue de Marseille, ce n'est pas la première fois que nous peinons à trouver du personnel.

M. le président de la mission d'information - Et à Paris ?

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - J'ai déjà donné les chiffres.

On s'est en effet posé la question du repérage et on va mettre en place quatre groupes de travail très opérationnels pour tirer les conséquences. L'un portera sur la fermeture des lits et un autre sur le système d'alerte. Il ne s'agit pas de rebâtir un InVS à usage personnel mais il faut pouvoir déceler les signes avant-coureurs.

Je me suis demandé si le nombre de décès pouvait constituer un indicateur. La courbe des décès montre qu'ils ont commencé à augmenter dès le 4 août. Toutefois, c'est très compliqué parce que, quand les malades arrivent chez nous, il est déjà trop tard. Mais c'est une vraie question.

Comme je vous l'ai dit, notre secrétaire général a tout de suite prévenu M. Lhostis, le président du conseil d'administration, et la mairie de Paris. Le lundi, j'étais en contact avec le cabinet du maire qui a mis à disposition des panneaux pour communiquer sur les précautions prendre. Nous sommes l'AP, et l'un des enseignements que je tire, c'est qu'on a probablement trop géré par nous-mêmes. C'est aussi une force : en période de crise, la centralisation est plus efficace. Je suis plutôt décentralisatrice, mais pas dans le cas présent. Par exemple, on a pu redistribuer les lits de soins de suite et de réadaptation de long séjour qui se libéraient en fonction des difficultés relatives des établissements. Nous avons agi par nous-mêmes, de façon très centralisée. Il nous faut sans doute nous améliorer. C'est pourquoi j'ai décidé de planifier les fermetures de lits avec l'ARH et la démarche vient de commencer. Dans ce domaine aussi, il faut progresser.

Mme Catherine Génisson - Disposez-vous, dans vos différents établissements hospitaliers, de pools d'infirmières qui sont capables de faire des remplacements grâce à leur polyvalence ?

M. le président de la mission d'information - Et à Marseille ?

M. Guy Vallet - Pour la première fois depuis longtemps, on a pu reconstituer des pools grâce aux 35 heures parce que tous les effectifs que nous avons eus en plus ont été affectés au pool de remplacement.

Mme Rose-Marie Van Lerberghe - C'est une bonne idée !

M. Guy Vallet - C'est la première fois qu'on a des possibilités depuis le 1er janvier. Pour ce qui concerne les liaisons avec l'ARH, tous les matins à 8 heures 30, tous les soirs à 18 heures 30, on faisait le point ensemble et on a visité trois fois les urgences, toujours avec l'ARH. J'ai simplement indiqué au ministère, à Mme Toupillier, qu'il n'y avait pas de problème à Marseille le 14 août.

M. le président de la mission d'information - Et à Lyon ?

M. Bernard Rousset - Des pools ont été constitués et reconstitués pour les mêmes raisons que celles évoquées par M. Vallet : RTT, etc. Nous avons travaillé en liaison avec la cellule en préfecture que j'ai évoquée, avec des points pluriquotidiens pour suivre l'ensemble des éléments, des décès et l'hébergement des corps qui était aussi difficile à organiser.

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XVIII. Audition de M. Pascal Champvert (ADEHPA), de Mme Françoise Toursière (FNADEPA), de MM. Luc Broussy et Théodore Amarantinis (SYNERPA), de M. David Causse (FHF), de M. Georges Riffard et Mme Isabelle Desgoute (FEHAP) et de M. Alain Villez (UNIOPSS)

(séance du mardi 16 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Mesdames, Messieurs, pouvez-vous nous décrire comment vous avez vécu la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule ? Quand avez-vous été alertés ? Par qui ? Qui avez-vous, à votre tour, alerté ? Et quand ? En particulier, avez-vous eu des remontées sur l'existence d'une surmortalité en établissement dès le mois de juillet, évoquée par certains de nos interlocuteurs ?

Disposez-vous d'éléments sur la surmortalité comparée par type d'établissement, à but lucratif ou non, ayant ou non signé une convention tripartite ?

Quelle a été, selon vous, la principale cause de surmortalité dans les établissements ? Les particularités des ét Causse, adjoint au délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHP), responsable du pôle vieillesse, handicap et santé mentale - Notre fédération regroupe les établissements de santé publics, 1 200 établissements d'hébergement ainsi que des services de soins à domicile. Cet été, le président de la Fédération, M. Gérard Larcher, et M. Gérard Vincent ont été en contact permanent et l'alerte est venue des professionnels qui avaient une vision panoramique de la crise, c'est-à-dire de deux sources : d'une part les urgentistes, qui sont le point de passage privilégié pour accéder au système hospitalier, d'autre part les funérariums qui constataient la saturation de leur capacité.

Des premières remontées des établissements d'hébergement, il ressort que les décès dus à des hyperthermies au sens strict se comptent en unités. Sur 10 000 établissements répartis sur la France entière, ce sont les effets de sommation d'événements, en général isolés, qui font que les chiffres sont en fin de compte aussi élevés. En termes d'alerte, notre délégué général est intervenu publiquement par voie d'un communiqué de presse le 14 août, et auparavant, dans différents médias. Il a regretté que les pouvoirs publics n'aient pas développé un message d'alerte et de mobilisation destiné à l'ensemble de la population puisque, comme vous le savez, un des regrets exprimés porte sur l'absence de message de prévention concernant l'hydratation et le rafraîchissement des personnes. Le message a été diffusé auprès des professionnels qui connaissaient les précautions à prendre, et c'est souvent par manque de personnel qu'elles étaient difficiles à mettre en œuvre. Mais c'est plus largement vis-à-vis de l'opinion publique que l'information a sans doute fait défaut.

J'ajoute qu'il y a en France 300 000 personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer, auprès desquelles il est très difficile de faire passer un message. Il faut savoir que 25 % d'entre elles vivent seules, soit 75 000 personnes. Une des hypothèses émises par certains gériatres est que ce seraient les personnes à domicile et les Alzheimeriens plus ou moins détectés, donc plus ou moins traités, qui auraient été plus particulièrement affectées par la canicule. Par ailleurs, nous n'avons pas eu d'information sur une surmortalité qui aurait été constatée dès le mois de juillet. Selon les termes d'un communiqué de la Fédération hospitalière de France daté du 21 août, tous les étés sont difficiles pour les personnes âgées dans notre pays. C'est un moment délicat. L'épisode caniculaire a exacerbé les difficultés structurelles de prise en charge des personnes âgées qui sont connues de longue date.

Le magazine Science et Avenir a publié, en mars 2003, une enquête réalisée au mois de février, où aucune température élevée ne peut être observée, sur les temps d'attente aux urgences. L'attente de lits d'aval était en moyenne de huit à dix heures, ce qui at qu'une fois le coup de chaleur intervenu, on perdra, malgré des soins intensifs et adaptés, presqu'une personne déshydratée sur deux. Dans les établissements d'hébergement qui en disposaient, le personnel infirmier a pu poser des perfusions sur les personnes âgées qui étaient trop affaiblies pour boire.

Sur les causes de la surmortalité, vous avez évoqué plusieurs hypothèses : l'inadaptation des locaux, les bienfaits possibles de salles, sinon climatisées, du moins rafraîchies, la tension sur les effectifs en période estivale et le manque structurel de personnel dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées. S'y ajoutent les problèmes d'accompagnement des personnes à domicile avec l'insuffisance d'offre de soins infirmiers à domicile. Pour la Fédération hospitalière de France, l'ensemble de ces facteurs est intervenu dans la crise et nous sommes évidemment amenés à souligner la pénurie de personnel d'encadrement et de personnel soignant. De tendus, les plannings deviennent hypertendus en été, les mesures de rafraîchissement ne peuvent pas êtres mises en œuvre et l'inadaptation structurelle des locaux d'hébergement ne peut être palliée par des soins qui prennent du temps, je pense notamment au déplacement des personnes du dernier étage vers un lieu où les températures sont moins élevées.

Quant aux mesures à prendre, il me semble qu'il s'agit d'une crise systémique qui révèle des failles et des difficultés de différente nature. Elle a mis en évidence l'absence d'un dispositif d'alerte dans le champ médico-social. Je rappelle qu'il aura fallu plusieurs crises dans le domaine hospitalier et sanitaire pour que nous apprenions à gérer des alertes et des situations de crise avec des systèmes de pharmacovigilance et de matériovigilance. Ce sont des mécanismes très simples. Des échanges de télécopie entre un point central national et un certain nombre de points professionnels permettent de retirer un lot de médicaments ou un matériel inadapté. Dans le champ médico-social, il n'y a pas de dispositif qui permette une mobilisation systématique de l'ensemble des acteurs. A fortiori, il n'y a pas de message spécifique adapté à destination du grand public.

Il faut aussi travailler sur les carences qui sont apparues : les soins à domicile et les établissements d'hébergement dont le parc doit faire l'objet d'une adaptation ambitieuse. Nombreuses sont les places disponibles qui sont vétustes et une part substantielle d'entre elles est inadaptée aux nouvelles pathologies qui sont accueillies, à savoir les troubles cognitifs, type maladie d'Alzheimer, qui touchent aujourd'hui presqu'un résident sur deux.

Il est nécessaire de parvenir, dans l'ensemble des établissements d'hébergement, à des taux d'encadrement convenables. C'est la raison pour laquelle la Fédération hospitalière de France a proposé de porter rapidement, dans un premier temps, les ratios d'encadrement à un niveau minimum : une infirmière pour neuf résidents et une aide soignante pour cinq résidents. Il s'agit d'un niveau minimum qui doit nous permettre d'avancer, pour atteindre l'objecti et de disposer de solutions adaptées en aval des urgences. De ce point de vue, on ne peut que regretter que le plan Hôpital 2007, dont le contenu précis a été rendu public vendredi, ne fasse mention à aucun moment du mot « gériatrie ».

M. Georges Riffard, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers de l'assistance privée (FEHAP) - Notre fédération, qui regroupe 2 700 établissements dont 950 établissements d'hébergement pour personnes âgées et services de soins à domicile, a été saisie par un certain nombre d'établissements, tant les établissements sanitaires que ceux qui accueillent les personnes âgées. Dans les jours qui ont suivi, le 18 août précisément, le secrétaire d'Etat aux personnes âgées nous a contactés pour organiser une réunion en urgence. Pendant quarante-huit heures, nous avons sollicité un peu plus d'une centaine de nos établissements et services pour entendre leurs responsables et savoir quelle était leur situation réelle. Nous avons donc effectué un mini Tour de France dans une douzaine de régions différentes, au terme duquel il nous a semblé qu'il y avait, comme l'a dit M. David Causse, une réelle répartition de la mortalité dans un nombre relativement élevé d'établissement. Nous vous communiquerons les statistiques dont nous disposons : sur 309 établissements, on constate 298 décès supplémentaires, ce qui représente, par rapport à la situation antérieure, une majoration de 50 %, le phénomène étant concentré dans trois régions. Mais comme la mortalité était relativement répartie, cela ne nous a pas inquiétés outre mesure.

Nous n'avons toujours pas d'éléments nous permettant d'établir un distinguo entre les établissements qui ont signé une convention tripartite et ceux qui ne l'ont pas fait. Mais nous pourrons en obtenir relativement facilement dans les jours qui viennent, puisque les conventions signées sont en nombre très réduit. Il apparaît cependant que les établissements où l'on a déploré le plus grand nombre de décès, outre le fait qu'ils se concentrent en Ile-de-France, en Lorraine et en Champagne-Ardennes, sont souvent ceux où le GIR moyen pondéré (GMP) est le plus élevé. Cet aspect nous semble important.

Nous n'avons guère de certitudes sur les causes de la mortalité. Manifestement, dans certains établissements mieux équipés en personnel soignant et disposant de locaux plus frais, le niveau de satisfaction des personnes a été réel. La mortalité en a-t-elle été réduite pour autant ? Nous n'avons pas d'éléments permettant de le dire, mais c'est, en termes de confort de vie, une amélioration considérable.

Le taux d'encadrement des 309 établissements précités est de 0,46, dont un peu moins de la moitié, environ 0,22, en personnel soignant. Cette situation pose des problèmes majeurs, d'autant que ce chiffre de 0,22 représente l'effectif complet, qui n'est quasiment jamais présent simultanément dans l'établissement. S style="text-align: justify">Si l'on veut hiérarchiser les mesures à prendre, il faut commencer par évoquer le déficit en personnels d'encadrement, qui est manifeste et que nous dénonçons depuis des années. Cela tient au fait que, depuis vingt-cinq ans, nous n'avons pas été capables dans ce pays de prendre des décisions claires sur la répartition des charges entre l'Etat, l'assurance-maladie, les collectivités territoriales et les résidents eux-mêmes ainsi que leurs familles. La loi du 4 janvier 1978 a institué pour la première fois une ventilation entre les soins et l'hébergement, mais elle renvoyait la répartition des charges à un décret qui n'a jamais été publié. Nous sommes donc dans une situation où, selon nous, personne ne veut véritablement prendre une décision structurelle permettant de préserver les finances de l'Etat, de l'assurance-maladie et des collectivités territoriales, en faisant payer aux résidents ce qui les concerne, c'est-à-dire la partie hébergement que tout le monde est capable d'identifier aisément.

Aussi, s'il ne fallait prendre qu'une décision, ce serait à notre avis de replacer dans le cadre de la solidarité nationale - en d'autres termes, dans le système de sécurité sociale qui existe depuis soixante ans - la prise en charge et la création d'un cinquième risque qui, réparti grâce à cette instance de solidarité, permettrait de faire face à la montée de la dépendance. Après vingt-cinq ans d'échec - au rythme, pour ainsi dire, des échecs successifs, tous les trois ou quatre ans, des décisions prises dans ce domaine, y compris par le législateur - il me semble que le moment est venu de prendre une décision qui intègre véritablement la situation démographique qui nous attend et dont les conséquences, si nous n'y prenons garde, seront catastrophiques.

M. Luc Broussy, délégué général du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA) - Vous nous avez demandé en premier lieu, Monsieur le président, comment nous avions vécu ce mois d'août. La réponse est : mal... Il faut aussi reconnaître que l'alerte, dans nos organismes syndicaux comme ailleurs, a eu lieu à un moment où le gros de la crise était déjà passé. J'ignore au demeurant quels sont les chiffres et aimerais bien savoir comment ont été calculés ceux qui ont été rendus publics.

On nous a expliqué que 50 % des décès ont eu lieu dans les maisons de retraite : c'est somme toute possible, puisque ce sont ces établissements qui abritent une grande partie des personnes âgées dépendantes. Si l'on s'en tient à ce chiffre, cela fait 5 à 6 000 victimes, soit, je le rappelle, 0,5 décès par établissement. C'est un point important. Si, en juillet 2002, un établissement a enregistré deux décès et qu'il passe cette année à quatre, il ne s'en trouve pas pour autant à feu et à sang, vous en conviendrez. Nous disposons de beaucoup de témoignages qui montrent que les établissements ont vécu de manière isolée la situation en juillet, puis se sont rendu c 9 et 10 août que nous avons eu des remontées qui nous ont inquiétés.

Intervient un deuxième phénomène : les maisons de retraite ont appris, depuis des décennies, à ne pas se plaindre.

Mme Catherine Génisson - C'est tout à fait exact !

M. Luc Broussy - Peut-être vont-elle désormais réfléchir autrement, mais le personnel a l'habitude de ne pas se plaindre. Il doit en effet remplir des missions qui vont parfois bien au-delà de ses propres possibilités et de ses horaires. Il existe donc une sorte de culture du dos courbé qui, dans ces circonstances, a fait que le personnel a essayé de coller des rustines, de trouver des moyens locaux - bénévoles, intérimaires, retours de vacances -, toutes les « astuces » auxquelles on peut recourir au tout dernier moment. Pendant ce temps, il n'avait pas vocation à se plaindre, ni aux syndicats, ni aux DDASS ou à d'autres organismes. Il n'a commencé à formaliser ses craintes que lorsqu'il s'est rendu compte que le cas n'était pas isolé.

Vous nous demandez en second lieu qui nous avons alerté. La réponse découle en grande partie de la précédente : quand nous avons été alertés, tout le monde commençait à l'être un peu. M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, expliquait hier que le ministère n'a pas été alerté par les DDASS, les conseils généraux ou les maisons de retraite : c'est un fait. Les maisons de retraites n'allaient pas appeler le ministère pour lui signaler qu'elles avaient quatre décès à déplorer au lieu de deux... Aussi devons-nous nous interroger, comme nous le faisons tous en ce moment, sur les procédures d'alerte. Le système doit être plus efficient, tant dans le sens ascendant que dans le sens descendant.

Le troisième point porte sur les causes de la surmortalité. Nous n'avons pas encore d'éléments précis, mais nous allons lancer une enquête. Le SYNERPA n'a pas souhaité, dans la deuxième quinzaine d'août, en rajouter avec le décompte des décès. Nos adhérents nous téléphonaient pour nous signaler des situations que vous pouvez imaginer : manque de personnel, tension du personnel qui, dans la première quinzaine d'août, avait déjà vécu la crise et dont la fatigue et le stress se sont encore accumulés dans la deuxième quinzaine. Or, pendant ce temps, on recevait un questionnaire par jour, à remplir dans les vingt-quatre heures. Sans doute était-ce utile pour faire remonter l'information, mais comprenez qu'un directeur, qui doit déjà gérer une crise avec les familles, les personnels et la gestion des décès, n'est pas vraiment dans l'ambiance pour se concentrer sur des documents tels qu'un questionnaire sur le nombre de morts en 2001, 2002, 2003, puis, le lendemain, un questionnaire de la DDASS sur le nombre d'heures supplémentaires. Cela explique que la remontée, au niveau national, a été partielle.

D'autres plus savants que moi, et notamment l'InVS, ont déj& établissements ne disposant pas de protocole, y compris en Ile-de-France, ont bien assumé la crise, alors que d'autres qui en avaient ont pu se trouver parfois débordés. Il faut donc toujours prendre en compte la somme de plusieurs facteurs.

Pour ce qui concerne le taux d'encadrement en France et dans les pays européens, j'imagine que des services bien plus compétents que nos fédérations sont actuellement à la recherche des chiffres précis.

M. le président de la mission d'information - Nous les connaissons, mais plusieurs personnes se sont déjà exprimées sur le sujet : il faut que nous soyons tous d'accord.

M. Luc Broussy - Certes, mais à un moment donné on ne sait plus quelle est la source. Chacun répète ce que le dernier intervenant a dit, si bien que les chiffres finissent par avoir force de loi.

M. le président de la mission d'information - C'est une bonne analyse !

M. Luc Broussy - Il n'est même pas besoin, au demeurant, d'aller voir hors de nos frontières. Je reprends ce qu'a dit M. David Causse sur les personnes handicapées : pourquoi aller chercher ce qui se passe en Suède ou en Turquie quand on peut observer un établissement pour personnes handicapées en France ? On en déjà a fait le constat : dans ces établissements, il n'y a pas eu autant de décès que dans les établissements pour personnes âgées. Même chose pour les crèches. S'il est vrai qu'il ne faut pas comparer ce qui n'est pas comparable, convenez tout de même qu'un adulte handicapé et une personne âgée dépendante sont autrement comparables que des systèmes où, comme on l'a souligné à juste titre, les bénévoles sont plus nombreux qu'en France. Il est en outre inutile de rappeler la différence entre les ratios d'encadrement dans les établissements pour adultes handicapés et dans ceux qui accueillent les personnes âgées.

Je réponds enfin à votre question sur la hiérarchie dans les priorités. Vous le savez aussi bien que nous : la matière première, dans une maison de retraite, c'est le personnel. La qualité du bâti est certes importante, mais le critère majeur reste le personnel. Aussi notre priorité est-elle que le personnel soignant, le personnel formé, soit en nombre plus important à l'avenir. Nous nous battons pour cela depuis des années, avec l'aide d'un certain nombre d'entre vous. Ce n'est en effet pas aujourd'hui que les spécialistes, qu'ils soient professionnels ou parlementaires, découvrent qu'il manque du personnel soignant dans les maisons de retraite.

M. Théodore Amarantinis, deuxième délégué général du SYNERPA - Je souhaite vous donner quelques nouvelles du terrain. Les premiers signes nous ont été fournis par des établissements de petite ou de moyenne taille, ceux que nous représentons. Ils nous ont appelés dès le mois de juillet pour nous signaler qu'il n'y avait plus de ventilateurs ni de climatiseurs et que les brumisateurs n'&ea une chose qu'il faudra retenir : il y a des gestes préventifs qui relèvent de la routine et sont utilisés en période estivale par le personnel d'accompagnement. Mais nous manquons de bras.

Il y a ensuite les gestes curatifs et techniques, ceux de la crise que nous avons connue. Ils nécessitent du personnel soignant. Or nous nous heurtons aux problèmes de pénurie et à la désaffection des intervenants libéraux, puisque notre secteur n'est médicalisé qu'à hauteur de 20 % ou 22 %. Ces intervenants sont en effet quelque peu rebutés par les conséquences de la réforme tarifaire. Viennent ensuite quelques obstacles qu'il serait facile de lever. Il faudrait ainsi ouvrir la possibilité de recourir à des équivalences pour les médecins étrangers, qui pourraient faire de temps en temps office d'infirmiers ou d'aides-soignants en période de crise. Cela existe dans le secteur sanitaire et médico-social, mais par chez nous.

Nous rencontrons également des problèmes liés à la rigidité de la législation sociale. Le recours aux CDD ou aux remplacements est difficile. En période de crise, il faudrait peut-être essayer d'assouplir cette rigidité sociale.

M. Maxime Gremetz - C'est déjà bien simple !

M. Théodore Amarantinis - Nous sommes en train de procéder à une enquête sur les établissements qui sont climatisés - mais, chez nous, ce n'est pas le lot commun - et ceux qui ne le sont pas. La salle de vie climatisée est certainement une nécessité. Mais si l'on généralise la climatisation, le remède peut être pire que le mal : les soignants et les accompagnants vous le diront.

Sur le terrain, donc, il convient de remédier avant tout au manque structurel de personnel soignant. Il faut également penser à certaines adaptations simples de l'architecture, ainsi qu'aux gestes qui peuvent prévenir ou qui permettent de survivre.

M. Alain Villez, conseiller technique à l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), chargé du secteur des personnes âgées - Je voudrais tout d'abord souligner une particularité de la structuration de notre réseau : l'UNIOPSS est en effet à la tête d'un réseau qui regroupe 1 500 établissements d'hébergement de personnes âgées adhérant à 22 unions régionales. Cela permet de comprendre, pour répondre à votre première question, la façon dont nos réseaux se sont saisis de cette crise. Mon analyse rejoint celle de M. Théodore Amarantinis : nous sommes devant un phénomène dont les médias ont contribué à montrer la brutalité, alors que, de fait, nous étions installés dans une période de forte chaleur et de sécheresse depuis plusieurs semaines. Ainsi les établissements ont-ils dû, petit à petit, intégrer un certain nombre de mécanismes, de précautions, de gestes préventifs que les professionnels du secteur connaissent bien. Cela a démarré b résignation que l'on retrouve dans l'attitude qu'ils ont adoptée lorsque la canicule s'est emballée et qu'il a fallu se retrousser les manches. L'effort a concerné non seulement les professionnels, mais aussi, selon plusieurs témoignages recueillis grâce à notre enquête, les associations ou même les membres des conseils d'administration, qui sont venus participer à l'hydratation des résidents et assurer une présence auprès des plus dépendants.

Concernant les mesures d'alerte et la façon dont nos réseaux sont saisis, nous avons eu le sentiment que ce réflexe d'autosuffisance dans la difficulté a empêché nos adhérents de se tourner spontanément vers nous, tout comme ils ne sont pas tournés vers les administrations pour obtenir le secours, le soutien et les compléments de moyens indispensables. Ils ont tout simplement continué à retrousser leurs manches. En tant que tête de réseau, nous avons réagi collectivement dans la semaine du 18 août, après ce long pont du 15 août où le sentiment de solitude des établissements a été encore plus grand et plus net.

A partir de là, nous avons lancé une enquête auprès de nos unions régionales, en leur demandant de s'informer sur la façon dont la crise avait été vécue par leurs adhérents. Il en a résulté des données difficilement exploitables : statistiquement parlant, nous n'arrivons pas à constituer des échantillons suffisamment représentatifs pour appuyer notre analyse. De plus, la surmortalité est très complexe à analyser : si l'on se fonde sur les quelques cas de décès imputables spécifiquement à l'hyperthermie, il ressort que la surmortalité a été assez faible, malgré des disparités territoriales nettes - les deux extrêmes, septentrional et méridional se retrouvant de façon très claire. Etant, contrairement à M. Théodore Amarantinis, plutôt un homme du Nord, j'observe que nos régions ont été relativement épargnées. Encore faut-il être très prudent : d'un sous-territoire à un autre, il peut y avoir des disparités importantes, et nous constatons par ailleurs que si la surmortalité a été a priori faible, en revanche le phénomène de fragilisation a été extrêmement important. Il faut donc craindre une série de décès dans les semaines ou les mois qui viennent. En tout état de cause, la surmortalité que nous avons pu constater a touché souvent des personnes qui étaient repérées comme étant en fin de vie et dont le terme a été indéniablement anticipé par les effets de la canicule. Tels sont les deux constats que nous pouvons faire.

S'agissant des raisons qui ont conduit à cette catastrophe, en prenant en compte les effets cumulés à l'échelle nationale, je retiendrai d'abord l'hypothèse du déficit structurel en postes de personnel soignant. A l'évidence, c'est le premier facteur qui a tué. Bien que nos sources statistiques ne soient pas très fiables et qu'il faille se garder de tenir des propos définitifs, nous avons quand même pu constater que ce sont les établissements et les services les mieux dotés en équipes soignantes q étages -, et où l'isolation thermique est souvent à revoir. Nous avions fait une étude qui démontrait que 20 % des capacités d'accueil étaient inadaptées. A l'époque, seules les maisons de retraite avaient été étudiées ; si l'on intègre la question des logements-foyers, qui sont également concernés, ce chiffre peut être maintenu sans difficulté.

C'est de ce côté qu'il faut aussi chercher. Je comprends bien la tentation de se précipiter sur la climatisation d'une pièce : c'est moins onéreux que de rénover la totalité d'un établissement. Mais il ne faut pas que le climatiseur soit l'arbre qui cache la forêt. Le problème réside aussi dans l'inadaptation du bâti. J'en veux pour preuve tous les « systèmes D » qui ont été inventés par les personnels. Par exemple, on est allé chercher des panneaux de bois pour les mettre sur les baies vitrées et faire ainsi tomber un peu la température et créer de l'ombre à l'intérieur des bâtiments.

J'insiste vraiment sur ce point, car avec ces « systèmes D » et ces petits équipements, les établissements ont d'ores et déjà été confrontés à des dépenses qu'ils ont engagées sans trop compter, mais qui ne font par partie des types de dépense retenus pour l'estimation des crédits d'urgence qui viennent d'être débloqués. Or les petits équipements font aussi partie des surcoûts qu'ont subis les établissements, et cela bien avant le 1er août.

Les solutions résident donc prioritairement, selon nous, dans le renforcement des taux d'encadrement en personnel. Les établissements associatifs sont historiquement sous-médicalisés : lorsqu'on parlait encore de places de section de cure médicale, nous en étions restés à 25 % de places médicalisées alors que le besoin s'élevait déjà, à l'époque, à 50 %. De toute évidence, ce n'est pas l'avancée foudroyante de la réforme de la tarification qui aurait pu infléchir sensiblement cette tendance, et un rattrapage structurel dans ce domaine s'avère tout à fait prioritaire, en insistant sur la présence de personnels soignants qualifiés. La présence infirmière dans nos établissements est en effet notoirement insuffisante : la plupart du temps, elle n'est même pas assurée journellement, et la situation est encore pire la nuit. Dans les périodes que nous venons de traverser, ce fut un énorme problème.

C'est au personnel soignant qu'il faut penser en premier lieu, avec en parallèle un plan de rénovation des établissements. Nous avons des divergences d'appréciation avec le ministère des affaires sociales sur la notion de crédits d'urgence, mais pour nous ce rattrapage en termes de taux d'encadrement fait partie des urgences. Il faut donc absolument que le plan « vieillissement et solidarité » nous apporte dès le 1er octobre des réponses opérationnelles. Les pouvoirs publics doivent prendre conscience de l'urgence. Il ne faut pas laisser retomber la pression, comme cela a été malheureusement le cas en 2003 avec ce choses ont déjà été dites. Nos adhérents, eux non plus, ne nous ont pas particulièrement alertés avant l'alerte lancée par les urgentistes : nos directeurs, comme l'a dit M. Alain Villez, sont habitués à faire face seuls. Ainsi, dans l'enquête lancée actuellement pour savoir combien d'heures supplémentaires ils vont avoir à payer et combien de personnel de remplacement ils ont utilisé, les réponses vont être négatives : les directeurs ne se sont pas permis de payer des heures supplémentaires tout en sachant que les DDASS les refusaient, ou de recruter du personnel supplémentaire pour s'occuper des personnes âgées au moment de la canicule.

Ils ont en revanche signalé qu'il fallait du temps pour faire boire une personne âgée, car bien souvent elle refuse de le faire. Il ne s'agit pas de passer simplement pour donner un verre d'eau. Il faut donc davantage de personnel d'accompagnement pour accomplir ces tâches.

En ce qui concerne les ratios, la FNADEPA souhaiterait un ratio identique à celui déployé en double tarification, c'est-à-dire 0,8, mais pas seulement en personnel soignant : nous avons aussi besoin de personnel d'accompagnement. Nous souhaitons que la prise en charge reste sociale et ne devienne pas entièrement sanitaire.

Quant aux mesures à prendre en urgence, nous rejoignons ce qui a déjà été dit : un encadrement plus important, une signature rapide des conventions et, pour que les établissements qui mettront plus de temps à signer puissent bénéficier quand même d'un petit ballon d'oxygène, on pourrait accorder immédiatement à tous les établissements les plafonds des forfaits soins courants et section de cure médicale. On sait bien que quand les établissements demandent un tel montant, on ne leur en accorde souvent que les trois quarts.

La FNADEPA demande également la création rapide d'un cinquième risque ou, à tout le moins, son étude approfondie. Ce serait une nouvelle branche de la sécurité sociale pour la prise en charge du handicap et de la dépendance de tous les Français, quel que soit leur âge.

Je souhaite insister également sur l'importance des besoins en formation dans les établissements, notamment par la validation des acquis, mais aussi par l'homologation du CAPDES. Sur ce dernier sujet, nous avons écrit au ministre en juillet, car le CAPDES fait référence à un cahier des charges qui n'est toujours pas homologué, si bien que nous n'avons pas d'équivalence pour les directeurs.

M. Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées (ADEHPA) - « Dos courbé », « sous-développé », « personnel résigné » : telle est la réalité des établissements qu'ont dite mes collègues. Pour ma part, je suis dans ce secteur depuis dix-sept ans, et cela fait dix-sept ans qu'on m'explique qu'il faut être responsable. Or, être responsable, au fond, c'est faire toujours plus avec pas beaucoup plus.

Les personnels ont été débordés pendant ce mois d'août établissement par établissement. Ils n'ont pris conscience de la situation qu'en en parlant entre eux, mais il est vrai qu'ils ne pouvaient pas se rendre compte de la globalité du phénomène. C'est normal dans les établissements, où de toute façon tous les étés sont difficiles. Quand j'ai vu le temps qu'il faisait début juillet, je me suis dit que ce serait difficile et qu'il y aurait des décès parmi les résidents. Evidemment, on n'imaginait pas un tel degré d'horreur. Ce sont donc les sommations faites aux urgences et dans les établissements de pompes funèbres qui ont permis la prise de conscience globale.

Il existe un deuxième élément d'explication : chez les médecins urgentistes, on n'a pas cette culture du dos courbé. On réagit, on dit non face à l'inacceptable. Mais quand on est plongé depuis vingt ans dans quelque chose qui est assez proche de l'inacceptable, on ne repère même plus ce qui l'est encore plus.

Qui les établissements ont-ils alerté ? Les familles, souvent. Ils n'ont pas alerté les pouvoirs publics pour deux raisons : d'abord, il n'y avait pas de prise de conscience globale ; ensuite, il existe un sentiment de défiance très fort des établissements à l'égard des pouvoirs publics. Dans le cadre d'une enquête menée auprès des directeurs avec la FHF et la FNADEPA, nous leur avons demandé s'ils se sentaient appuyés par les pouvoirs publics. La réponse est positive à 25 % pour les DDASS et à 40% pour les départements, ce qui signifie que 60 % des directeurs ne se sentent pas soutenus par les conseils généraux et que 75 % ne se sentent pas soutenus par les DDASS. Ce sont des éléments sociologiques, il ne s'agit pas de juger les responsables de DDASS ou de conseils généraux.

On nous dit : « Que n'avons-nous eu des appels, au secrétariat d'Etat, pendant cette période ? » Chiche ! Si, à chaque fois que dans une maison de retraite de soixante personnes il n'y a que deux professionnels, il faut appeler le secrétariat d'Etat, je crains que le standard n'explose rapidement !

Autre occasion de dire « Chiche ! » : qu'allons-nous faire avec les propositions de budget pour 2004 ? Va-t-on continuer à faire les budgets dans ce secteur comme on les fait jusqu'à présent, c'est-à-dire en demandant 3 % de plus dans l'espoir d'avoir 2 %, ou allons-nous les préparer en partant de ce que nous croyons utile pour les personnes âgées ? L'expertise des directeurs et des équipes soignantes n'est pas reconnue dans ce pays. Quand des sommités qui sont à l'origine de la grille AGGIR expliquent par exemple qu'il faut 3 heures 30 pour l'aide au handicap ou à la dépendance, pour aider une personne en GIR 1, cette expertise n'est pas reconnue. Quand les professionnels disent qu'il leur faudrait probablement des ratios auto République disaient qu'il y avait des besoins dans tel établissement ou dans tel département, après avis d'un CROS comprenant des représentants de la sécurité sociale, de l'Etat et des professionnels, mais on indiquait qu'on ne les financerait pas. Certes, il ne faut pas penser qu'il suffit, dans une société comme la nôtre, d'évoquer un besoin pour qu'il soit financé. Qu'il y ait des arbitrages à faire, c'est entendu. Mais qu'un pays comme le nôtre considère comme normal et habituel qu'il y ait des places dont on sait collectivement et publiquement qu'elles répondent à un besoin, mais qu'on ne les financera pas, cela devient extrêmement dangereux !

Pis encore : aujourd'hui, il n'y a plus de places autorisées et non financées, non pas, malheureusement, parce qu'on a financé toutes les places, mais parce qu'on a dit que désormais on n'autoriserait que ce que l'on pourrait financer, ce qui revient à casser une deuxième fois le thermomètre.

Il est inutile de s'étendre sur le manque structurel de personnel, ni sur la solvabilisation des personnes âgées et la nécessité d'une grande prestation : cela a déjà été développé.

Pour ce qui concerne la comparaison avec les pays européens, nous devons constater que nous manquons de statistiques. Je parie qu'on en sait plus sur l'état des vaches laitières françaises que sur la situation de l'aide aux personnes âgées à domicile ou en établissement.

M. Maxime Gremetz - Vous avez parfaitement raison !

M. Pascal Champvert - Et nous en savons plus sur la vache laitière danoise que sur les taux dans les établissements étrangers. Vous avez fait allusion à des statistiques utilisées par l'ADEHPA : en effet, dans le cadre de l'Association européenne des directeurs, qui va tenir son congrès à Paris la semaine prochaine à l'initiative de la FNADEPA et de l'ADEHPA, nous rencontrons les directeurs des pays voisins et nous nous rendons compte que les Suisses, les Allemands, les Autrichiens, les Luxembourgeois, les Suédois, les Danois, les Norvégiens, les Hollandais et les Anglais ont des ratios supérieurs aux nôtres.

M. Dominique Paillé - Et les Espagnols et les Italiens ?

M. Pascal Champvert - En effet, je ne les ai pas cités. Pour ces populations, il faudrait que de bons sociologues réfléchissent sur la culture des pays latins. Mais le discours, longtemps rebattu dans notre pays, selon lequel il faut que les personnes âgées restent à domicile le plus longtemps possible, a été à mon sens le moyen de renvoyer ces questions vers la sphère privée. En les excluant ainsi de la sphère publique, on s'affranchissait du besoin de mettre en place une grande politique.

Un troisième élément caractérise notre secteur : parallèlement à des moyens bas, la République ne s'est pas privée de fixer des objectifs hauts. Cela est p fallait-il faire dans cette période du 10 au 15 août en l'absence d'une infirmière la nuit ? Quand des personnes doivent être perfusées, il faut évidemment les envoyer aux urgences. Mais la personne âgée est refusée et attend six à sept heures dans un couloir. Dès lors, beaucoup d'établissements ont gardé la personne âgée. C'est une aide-soignante, au mieux - mais parfois un personnel de ménage ou une auxiliaire de vie -, qui surveillait la perfusion, ce qui est totalement interdit par la législation.

Quelles mesures, enfin ? Du personnel, du personnel, du personnel ! Il faut que notre pays annonce, même si c'est à terme - car nous avons conscience que les efforts budgétaires sont importants -, le cap, la direction. Un ratio de 0,8 est essentiel. Il faut annoncer cette mesure et peut-être l'inscrire dans la loi afin de lui donner plus de force, pour paraphraser M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Il faudrait également pérenniser les 5 000 emplois jeunes dans le secteur.

A court terme, de grâce, Mesdames et Messieurs les parlementaires, évitez aux établissements une avalanche d'enquêtes tatillonnes des DDASS et des conseils généraux nous demandant par le détail ce que nous n'avons pas fait avec les crédits que nous n'avions pas. Vous souhaiterez sans doute, et c'est normal, que l'on fasse la transparence dans les établissements pour personnes âgées, mais il faut alors des organismes d'évaluation extérieurs. L'un des problèmes est que ceux qui contrôlent sont juges et parties. Ceux qui contrôlent la qualité sont ceux qui financent, ce qui est d'ailleurs naturel quand on n'a pas trop d'argent. On peut être tatillon sur beaucoup de choses dont on a le sentiment qu'elles ne coûteront rien, mais parfois on fait preuve d'une grande largesse sur ce qui pourrait coûter. L'ADEHPA ne verrait que des avantages à ce que les organisations de retraités et de consommateurs soient associées à des évaluations par des organismes extérieurs. C'est effectivement un moyen de garantir la transparence par des mouvements citoyens - ceux que vous voudrez, mais pas les financeurs.

Je terminerai en soulignant que la question des climatiseurs mérite beaucoup de réflexion. Ne nous lançons pas dans une opération rapidement annoncée, expertisons-la et expertisons son financement. Vous avez les moyens de le faire. Aujourd'hui, si l'on impose des climatiseurs dans tous les établissements, ce sont les résidents qui vont les payer.

Mme Catherine Génisson - La première chose qui nous frappe est le problème de la politique du « dos rond ». Vous vous êtes débrouillés avec ce que vous aviez et n'avez pas ressenti le besoin d'alerter. J'aurais des questions à poser sur la suite de la crise, car je pense que nous n'en avons pas encore fini avec ses conséquences. Vous avez également tous insisté sur la nécessité de revaloriser l'encadrement et les structures. Toutefois, ces demandes très fortes et tout à fait légitimes ne vont-elle pas entraîner la publication, par les institutions publiques, de normes très exigeantes qui pourraient aboutir à la fermeture d'un certain nombre d'établissements, e style="font-family: 'Arial'; font-size: 10pt">En second lieu, le manque de personnel est évident. La crise ne date pas d'hier, en particulier dans le secteur hospitalier public. J'ai toujours considéré que la situation est explosive, parce qu'on demande l'impossible à des personnes qui ne sont même pas reconnues. C'est déjà difficile en temps normal, alors on voit bien ce que cela donne dans une situation de crise comme celle-là. M. Pascal Champvert a conclu son propos en réclamant du personnel. J'ajouterai : du personnel qualifié et reconnu, car nous allons à la pénurie. Bientôt, même si on dispose des moyens pour embaucher, on ne trouvera plus de personnel formé.

Ensuite, le cinquième risque dont on parle doit être bien distingué d'une cinquième branche. Ce n'est pas du tout la même chose, car cela pose le problème du financement. Avec une cinquième branche, on peut aboutir par exemple à un jour férié en moins, ou à l'augmentation de la CSG que propose M. Claude Evin et à laquelle je m'oppose.

Tout ce qui a été dit sur la modernisation et la rénovation de l'urbanisme est fort juste. Je souscris également à la dénonciation que le ministre a faite de la « folie des grandeurs », c'est-à-dire la concentration dans de grands plateaux techniques. Je peux prendre l'exemple du regroupement des hôpitaux d'Amiens Nord et Amiens Sud en un établissement gigantesque, provoquant la suppression d'un hôpital de proximité pour 30 000 habitants des quartiers nord de la ville.

Enfin, si je ne suis pas d'accord pour que l'on climatise tout, je crois qu'il faut au minimum, dans chaque hôpital et chaque établissement pour personnes âgées, une salle pour que les gens puissent récupérer deux ou trois heures. Cela ne remplace pas le reste, mais c'est nécessaire. M. Jean-François Mattei nous l'a dit et j'ai pu le vérifier moi-même : dans les pays soumis à de telles canicules, c'est un des moyens utilisés pour mieux soigner les gens. J'ajoute que tous les climatiseurs disponibles en France sont importés. Il faudrait qu'une grande entreprise publique soit capable de les fabriquer en France. Vous le voyez, santé et emploi ne vont pas mal ensemble !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Ma première question concerne l'actualité immédiate : j'aimerais savoir quelle est votre réaction à l'annonce des 40 millions d'euros proposés en urgence par M. François Fillon ce matin, et si vous jugez que l'estimation des besoins nécessaires à 40 millions est fiable et réaliste.

Je suis en second lieu très surprise de la façon dont cette crise nous renvoie au problème du lien entre le sanitaire et le social. Comment avez-vous ressenti cette question dans les établissements ? J'ai rencontré des responsables de maisons de retraite qui m'ont dit que, pour la première fois, les familles ont senti qu'elles avaient leur place dans les structures, et que les personnels, qui souvent avaient du mal à les accepter, les ont cette fois-ci largement acceptées. Avez-vous eu des remontées sur ce phénomène ? Ce pourrait être l'occasion d'un vrai changement dans l'accompagnement et la prise en mais la non-affectation des crédits et la mise en cause de l'APA étaient de nature à la casser. N'auriez vous pas un effort à faire pour revaloriser le système, son image, les formations qu'il offre ou la recherche qui s'y effectue ? Sur le terrain en effet, les gens font bien leur travail, avec un cœur extraordinaire, mais ils sont confrontés à une non-reconnaissance de la part des pouvoirs publics et de la société en général. Avez vous travaillé sur ce sujet ? Vous paraît-il important ?

M. Claude Evin - Je souhaiterais connaître l'appréciation des intervenants sur la dotation annoncée ce matin. C'est une question d'actualité.

M. Pascal Champvert - Deux mots me suffiront : notoirement insuffisant !

M. Alain Villez - Cette dotation est très mal évaluée, car fondée sur des questionnaires diffusés dans un ensemble d'établissements par forcément homogène - si bien qu'on ne sait plus quelle catégorie était véritablement destinataire -, avec des questions beaucoup trop restrictives, qui ne portaient que sur les remplacements de personnel et les heures supplémentaires.

M. Luc Broussy - Nous savons que ces 40 millions d'euros sont insuffisants, mais nous sommes incapables de vous dire, me semble-t-il, quel est aujourd'hui le chiffre convenable pour les seules mesures de remplacement. Le Premier ministre, quand il nous a reçus le 26 août, nous a indiqué qu'il donnait consigne à tous les préfets de réunir, dans les départements, les partenaires professionnels que nous sommes. Il a fallu attendre quinze jours pour que la direction générale de l'action sociale envoie aux préfets un courrier leur demandant des remontées pour le 15 septembre. Or, entre le 9 et le 15, il n'y a eu quasiment aucune réunion départementale, si bien qu'il ne peut y avoir aucune évaluation précise de ces crédits pour le remplacement. Que ce soit 20, 30 ou 40 millions : on n'en sait rien. L'urgence, pour nous, concerne moins les remplacements que le personnel supplémentaire. Nous ne cessons de le répéter depuis le 15 août.

M. David Causse - Pour la Fédération hospitalière de France, ce déblocage de crédits ne peut être compris que comme un premier train de mesures. En effet, M. François Fillon a indiqué, au cours d'une réunion à laquelle nous assistions tous, qu'il donnait consigne à tous les préfets de réunir, sous l'égide conjointe des présidents de conseils généraux, l'ensemble des acteurs pour faire un point département par département. Malheureusement, ce message n'est parvenu aux préfectures que le 9 septembre, si bien que pour tenir l'objectif d'une annonce de crédits le 15, on s'en est tenu à une information très lacunaire.

Pour conclure, j'attire votre attention sur la question, abordée par Mme Paulette Guinchard-Kunstler, de la valorisation et de l'attractivité des métiers dans notre secteur. Il faut que des infirmiers, des aides-soignants et des aides médico-psychologiques veuillent venir travailler auprès des personnes âg Georges Riffard - 40 millions, nous sommes preneurs, pour peu que ce soit le premier versement. Il reste 143 millions, sur les 183 qui ont été retenus et qui représentent 50 000 emplois. Dès lors que ces emplois concerneraient des personnels soignants et seraient pris en charge par l'assurance-maladie, ils constitueraient une réponse importante. Reste que si l'on crée 50 000 emplois pour du personnel qualifié, on ne dispose pas des personnes pour les occuper. Nous plaidons donc pour un vaste plan de formation et d'adaptation. La formation peut être raccourcie par la validation des acquis - ce n'est pas une grossièreté que d'en parler, même pour des professions réglementées. Or nous buttons, en la matière, sur un blocage du ministère, alors que nous pouvons former des gens qui ont le mérite d'être en place, fortement motivés, et qui, pour beaucoup, font en partie fonction d'infirmier ou d'aide-soignant. A ceux-là, il faut renvoyer l'ascenseur, et « mettre le paquet » pour les former massivement.

M. Théodore Amarantinis - Le chiffre de 50 000 emplois me laisse perplexe. A mon sens, il faudrait enlever un zéro... Quant à l'attractivité du secteur, elle passe par la reconnaissance, mais aussi par des effectifs suffisants.

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XIX. Audition de M. Marc Giroud, président du SAMU de France, et de M. Pierre Carli, président du SAMU de Paris.

(séance du mardi 16 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre mission. Nous nous permettrons tout d'abord de vous poser une série de questions.

Comment avez-vous vécu cette crise ? À quel moment avez-vous pris conscience de sa gravité ? Quel a été votre rôle ?

Quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? Quel rôle pourriez-vous jouer dans sa réforme ?

Quel est le profil des victimes que vous avez pu rencontrer ? Sont-elles plutôt décédées alors qu'elles étaient à leur domicile ou en maison de retraite ?

Que doit-on faire, selon vous, pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

M. Jean-Marie Rolland - Je souhaite également demander à MM. Giroud et Carli leur appréciation sur la présence de la médecine libérale pendant cette période difficile.

M. Pierre Carli, président du SAMU de Paris - Je vais répondre aux questions qui concernent directement les faits : comment avons-nous été impliqués, quelle était la gravité de la situation, à quel moment s'en est-on rendu compte, quelle est la succession des événements ?

Je suis le chef de service du SAMU de Paris, qui est un service de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), au département d'anesthésie dont je suis également le chef de service. Au début de la canicule, je suis à Paris. Il s'agit là, pour moi, d'une période normale de travail. Je peux donc dire que je suis directement en première ligne, puisque je vais prendre trois gardes. Je m'occupe des affaires courantes, c'est-à-dire des soins à apporter aux malades, de la gestion du service, qui est ma deuxième fonction. Par la suite, je serai aussi conseiller de la direction générale de l'Assistance publique : la médecine d'urgence et l'anesthésie-réanimation, c'est mon travail, et, me trouvant aux avant-postes, j'ai une vision directe des problèmes.

Le mois d'août commence tranquillement. Il fait chaud à Paris. Le 4 août, je prends un tour qui va m'amener, je l'espère, jusqu'au 15. En réalité, cela va durer plus longtemps que prévu.

Au cours de ma garde du 4 août, je ne rencontre pas de problème particulier, mais je constate que nous manquons de lits dans les hôpitaux de Paris, et ce dans tous les secteurs : lits de réanimation et lits d'hospitalisation est déjà alertée. C'est un élément que nous garderons en mémoire par la suite, et qui explique pourquoi nous allons réagir assez vite et assez fort : nous savons que notre marge de manœuvre est faible en termes de prise en charge des patients, que ce soit pour les coups de chaleur et l'hyperthermie ou pour d'autres pathologies.

Ma prise de conscience peut être datée du 7 août. Elle tient à un événement très précis : ce jour-là, j'interviens sur une autre urgence, une intoxication collective à la piscine Montparnasse, juste à côté du SAMU. Une cinquantaine d'enfants et de parents ont respiré une vapeur de chlore à la suite d'un dysfonctionnement du système de purification de l'air. Ceci n'a aucun rapport avec la situation, me direz-vous. Cela m'occupe deux heures à l'extérieur de l'hôpital et, à mon retour, nous effectuons un debriefing avec nos collègues sur ce qui s'est passé. Je parle de mon intervention. Un collègue me dit qu'hier, à la gare Montparnasse, un thermomètre ne fonctionnait pas et qu'aujourd'hui il est intervenu pour un vrai coup de chaleur chez un homme jeune. C'est une chose qui n'est pas fréquente. Au cours du debriefing d'une autre intervention, nous avons clairement l'impression que des personnes jeunes sont victimes de coups de chaleur. Ce ne sont pas les personnes âgées, j'y insiste, qui ont attiré notre attention à ce moment-là, mais un homme jeune pris de convulsions sur un quai de gare. Ce n'est pas habituel, et lorsque nous apprenons que sa température s'élevait à 43°, nous nous disons que quelque chose est en train de se passer. Voilà un premier élément clair, avec en toile de fond, je le rappelle, peu de place dans les hôpitaux.

J'ai un contact informel, ce même jour, avec la direction de l'Assistance publique. Je dis que je suis ennuyé pour les places, que la situation ne me plaît guère et que la chaleur va nous attirer des ennuis. Pour être honnête je pensais plus, à ce moment-là, à la pollution qu'à la chaleur elle-même.

Les choses commencent clairement à s'accélérer tôt dans la matinée du vendredi 8 août. C'est alors que nous avons l'impression qu'un phénomène apparaît. Toujours inquiétés par ce qui s'est passé la veille, nous faisons le bilan de la situation. En particulier, nous avons l'idée de comparer, grâce à une recherche informatique, notre activité de l'année dernière à la même époque et notre activité du moment. Nous nous apercevons que le nombre d'appels au SAMU, en cette matinée du 8, est un peu élevé, mais pas encore beaucoup, et que l'activité est globalement la même par rapport aux sept premiers jours d'août de l'année 2002. Mais nous creusons un peu. Comme nous pensions à la pollution et aux personnes âgées, je demande que l'on regarde l'âge des personnes secourues. Nous sommes alors frappés par un phénomène très net : la proportion de personnes âgées est beaucoup plus importante que l'année dernière à la même époque. Depuis quelques jours, on voyait beaucoup de personnes âgées souvent très malades. Le 8, une relation apparaît entre la chaleur, les personnes âg&eacu à côté, sont en train de se multiplier. M. Deroubaix convient que la situation est préoccupante, et je lui suggère la mise en place d'un dispositif qui nous permette de mobiliser des lits rapidement. Nous en manquons depuis le début de la semaine. Si des personnes âgées malades commencent à arriver de partout, nous allons être confrontés à beaucoup d'ennuis. Je demande donc à M. Deroubaix de dégager des lits. Celui-ci suggère une procédure de type « plan blanc » - le mot est prononcé à ce moment-là. J'approuve son idée, et il rédige une note, que vous devez avoir dans le dossier technique qui vous a été fourni. Cette note, que j'ai vue avant qu'elle soit envoyée, part en tout début d'après-midi. M. Deroubaix l'annote de sa main. La transmission des informations à ma tutelle administrative et opérationnelle ne pose pas de problème. Le message est instantanément reçu et se traduit, en termes opérationnels, par la prise de décision qui me paraît adaptée à ce moment précis. Ce jour-là, l'assistance publique commence à se mettre en ordre de bataille.

Ensuite, mon action consiste à regarder ce qu'il en est dans la littérature internationale. Nous connaissons bien le coup de chaleur chez le sportif. On en a constaté, par exemple, lors du marathon de Paris. C'est une pathologie sur laquelle nous avons travaillé. J'ai pu observer aussi plusieurs cas lorsque j'étais militaire. Je sais donc que la chaleur peut tuer, mais je n'ai pas encore une notion bien claire de l'impact que peut avoir ce phénomène sur la population civile. Vendredi après-midi, je collecte donc une bibliographie sur Internet - nous disposons depuis quelque temps, grâce à l'Assistance publique, d'un accès gratuit à toutes les banques de données. Je sors une vingtaine d'articles publiés sur le sujet et suis un peu surpris, je ne vous le cache pas, de constater l'ampleur que peut prendre un tel phénomène. Je découvre notamment l'article du New England sur Chicago. Il y a eu aux Etats-Unis une énorme polémique, relative notamment à la prise en charge des patients. On a alors dénombré les victimes par centaines. C'est donc là une éventualité, même si je ne suis pas, à ce moment-là, persuadé que cela va nous arriver. Nous sommes cependant confortés dans l'idée que la situation « peut tourner au vinaigre ».

On m'a interrogé à plusieurs reprises - l'IGAS, notamment - sur le fait que j'avais affirmé que la situation était sous contrôle. Je maintiens ce point : le vendredi, à 14 ou 15 heures, la situation est sous contrôle. Il y a de nombreux patients dans les services d'urgences, les équipes du SAMU et du SMUR sont en train de travailler, mais nous ne sommes pas dans une situation telle que nos moyens seraient totalement dépassés. Ce n'est pas le cas.

Je quitte mon poste en fin d'après-midi. Les gens sont au courant. Nous mettons en place un codage informatique spécial pour l'item hyperthermie de façon à retrouver les patients. Bref, nous nous mettons en ordre de bataille, et tout le monde est très alerté. Je n'ai de problème de compréhension ni avec mes troupes, ni avec l'administration.

Je téléphone également à des collègues de province et suis très étonné qu'il ne se passe pas grand-chose dans les autres villes. À Lille, par exemple, on constate bien une augmentation, mais elle n'est pas importante. Le SAMU de Montpellier, dont je connais bien le chef de service, m'affirme que les coups de chaleur chez les personnes âgées, c'est un « truc de Parisiens ». On m'explique un procédé que nous allons utiliser très largement dans les 48 heures qui suivent : comment fabriquer du froid quand on n'a pas de climatiseur, en mouillant les linges, en utilisant un ventilateur courant pour évaporer de l'eau, en prenant des glaçons pour rendre cette eau fraîche, ce qui crée encore plus de dépression calorique. Je note l'information avec beaucoup d'intérêt et la diffuse dans mon hôpital.

Pendant ce temps, tous les SAMU de la région parisienne nous disent tous la même chose : le nombre des appels augmente nettement. Le phénomène me paraît donc concerner très spécifiquement notre région.

La garde du samedi se déroule de manière très active. Nous effectuons beaucoup d'interventions. Nous sommes en contact avec l'Assistance publique, qui nous demande ce qui se passe.

La nuit du samedi au dimanche, où je suis toujours de garde, ne se passe pas bien. Nous comprenons que ce sont maintenant les maisons de retraite qui vont nous causer le plus de soucis. Plusieurs fois nos équipes, intervenant dans un de ces établissements pour secourir un malade, s'aperçoivent qu'il y en a dix ou plus derrière qui, dans les heures qui suivent, peuvent devenir des patients potentiels. Les médecins s'investissent donc pour conseiller les infirmières et les aides-soignantes et leur demander de tout faire pour mettre les malades dans un endroit frais. Cette nuit-là, nous constatons de nombreux décès au cours des interventions du SAMU - alors que jusqu'à présent nous n'en avions pas vu beaucoup. Pour répondre à l'une de vos questions, nous savions auparavant qu'il y avait des morts parce que la police et les p family: 'Arial'; font-size: 10pt">Le dimanche 10 au matin, nous sommes vraiment loin d'être tranquilles, je ne vous le cache pas. J'ai de nouveau des contacts téléphoniques administratifs avec l'Assistance publique, et ce à tous les niveaux. Vers midi, je parle à la directrice générale de l'AP, qui est en vacances mais se tient depuis vendredi en contact soit avec nous, soit avec son cabinet. Elle m'annonce son retour à Paris.

Au cours de cette matinée, j'ai outrepassé mes droits sur certains points. Dans un cas, je n'en suis pas mécontent : comme nous n'arrivons pas à établir un contact avec les maisons de retraite, nous recherchons une instance qui pourrait le faire de manière plus globale. C'est ainsi que j'appelle la DDASS pour expliquer qu'il faut absolument trouver un contact avec ces établissements, car c'est là, le plus en amont possible de l'hôpital, qu'il va falloir se battre si la situation perdure. Un phénomène qui nous avait été décrit dans le midi lors des inondations nous inquiète particulièrement : l'évacuation massive des maisons de retraite. Dans le Gard, par exemple, mon collègue chef de service m'a rapporté que les personnes en sortaient dans des états épouvantables, car le fait de les arracher à leur milieu constitue une catastrophe dans la catastrophe.

Essayant d'anticiper, je demande à la DDASS de trouver le moyen de joindre les responsables des maisons de retraite pour les avertir de ce qui risque de se produire dans leurs établissements et pour s'assurer qu'ils ont reçu des consignes d'ordre pratique pour agir en amont de l'hospitalisation en refroidissant les victimes potentielles. La personne qui est de permanence à la DDASS comprend bien la situation, établit une liste téléphonique ; nous lui communiquons les éléments dont nous disposons - tant les protocoles qui viennent des Etats-Unis qu'un document de la direction centrale transmis par la DGS pour expliquer comment refroidir les personnes. Dans la journée du dimanche, nous avons un échange assez prolongé avec les maisons de retraite et avec les personnes qui sont sur place. La mairie de Paris, où une organisation s'occupe des maisons de retraite, nous rappelle. Nous essayons d'établir un dispositif un tant soit peu cohérent en amont de l'hospitalisation. J'ai largement dépassé les horaires syndicaux, mais je suis toujours à mon poste.

Au terme de notre discussion avec l'Assistance publique, la direction générale, tenant compte du caractère inédit de ce phénomène, décide une réunion, le lendemain matin, de toutes les personnes travaillant dans les urgences, afin de déterminer l'action à mener et les moyens pour passer à un niveau supérieur dans les hôpitaux. La situation que nous avons constatée vendredi semble en effet quelque peu dépassée le dimanche matin.

Dimanche soir, il fait vraiment très chaud. La directrice générale de l'assistance publique arrive en avion à 23 heures. Sa première réaction est de me demander de lui montrer les services d'urgences des hôpitaux. À 23 heures 15, nous sautons dans une voiture du SAMU et nous nous rendons à l'hôpital Georges Pompidou, à Cochin, aux urgences de la Pitié. Elle souhaite avoir une notion claire de la réa c'est le cerveau « qui se met à cuire », et les conséquences en sont irréversibles. Nous préparons donc la présentation, les protocoles de prise en charge.

Je précise également que j'ai appelé la zone de défense de Paris - ce que l'IGAS m'a reproché de ne pas avoir fait. Il faut savoir que pour nous, la zone de défense de Paris, c'est la préfecture de police, à laquelle j'ai demandé s'il y avait beaucoup de morts, etc. On m'a répondu que je n'étais pas le premier à les informer d'un phénomène tout à fait anormal, et que la préfecture serait présente à la réunion de l'Assistance publique, de façon à assurer une coopération étroite. Le colonel de garde à la zone de défense prend cette affaire tout à fait au sérieux. À ce stade, il s'inquiète déjà de la question de l'entreposage des corps, au cas où il y aurait beaucoup de morts.

Durant cette période, nous étions quatre ou cinq médecins de garde au SAMU, ce qui est notre nombre habituel. L'effectif était donc parfaitement réglementaire. Par la suite, la mobilisation fut beaucoup plus importante. La réunion du lundi nous fait passer à un cran nettement supérieur dans la prise en charge. Décision est prise d'arrêter tout ce qui peut l'être - or, même au mois d'août, l'Assistance opère et admet des patients. Dans l'après-midi se tient une conférence de presse, à laquelle la direction générale de l'assistance publique me demande d'assister. Les choses ne se passent pas bien. L'atmosphère est extrêmement polémique, les journalistes sont très agressifs envers l'hôpital public. Je leur expose ce que nous avons fait, leur passe les diapositives préparées pour les équipes soignantes. Cela ne les intéresse absolument pas. De toute évidence, leur problème est tout autre. Lorsque nous leur disons que la situation risque de durer, qu'on ne sait pas où l'on va, qu'il faudrait nous aider à sauver les gens en les faisant descendre des étages, en demandant aux familles de revenir si elles ont laissé quelqu'un à Paris, le message n'est pas relayé. Cela n'intéresse vraiment personne à ce moment-là. Tout est filmé et enregistré, pourtant. Mais on n'en entendra pas parler.

Le plus dur nous attend pour le reste de la semaine, mais nous sommes maintenant prévenus. Il ne fait pas de doute que la situation est comparable à celle de Chicago, et nous savons que l'affaire va de toute façon mal tourner. On assiste dès lors à une grosse mobilisation pour trouver aussi bien des lits dans les hôpitaux que des personnels. Je devais partir en vacances : les vacances sont repoussées sine die. Tout le monde reste à son poste. Nous sentons que nous allons affronter une période très dure, et incertaine - on nous dit alors que cela peut durer encore quinze jours. Toutes ces rumeurs météorologiques nous inquiètent beaucoup.

La journée du 11 est la plus difficile. Le nombre de nos interventions explose. Nos équipes sont partout. La coopération entre le SAMU, les pompiers et les urgences fonctionne bien. On se parle, mais les personnels commencent à vraiment souffrir. Mardi soir, un gran les services d'urgences est en passe de se résorber. Parallèlement, le nombre de nos interventions diminue.

Dans les jours qui suivent, à notre grande surprise, le phénomène s'arrête d'un seul coup. La journée du 15 et les jours qui suivent sont pour nous tout à fait étonnants. Est-ce l'effet du plan blanc, est-ce celui de la température ? Toujours est-il qu'on se rapproche d'une situation normale.

Tel est le récit des événements que mes collègues et moi-même avons vécus au SAMU de Paris.

À la question de savoir si j'avais compris qu'il se passait quelque chose avant le 8 au matin, ma réponse est très claire : non. Quelques cas particuliers éveillent nos soupçons le 7, date à laquelle nous sommes déjà prudents car nous savons que les hôpitaux travaillent à flux tendus. Mais ce n'est que dans la matinée du 8 que nous prenons vraiment nos responsabilités et passons à un dispositif particulier.

M. Marc Giroud, président du SAMU de France - Monsieur Carli vous a relaté ce qui a été vécu dans l'œil du cyclone. Je vous parle, quant à moi, en tant que président du SAMU de France, et non en tant qu'acteur direct.

Le phénomène s'est révélé très hétérogène. Il y a eu la situation décrite par M. Carli, mais, lorsqu'on interrogeait d'autres collègues, certains ne comprenaient même pas pourquoi on évoquait le problème. Cela a constitué une difficulté dans la compréhension d'ensemble.

Le SAMU de France est une société scientifique, qui organise des manifestations à caractère scientifique et participe à la formation de nos médecins et de nos infirmiers. En 2003, nous avons traité de trois thèmes qui concernent plus ou moins la question des personnes âgées. Tout d'abord, au cours notre congrès d'avril - grand rendez-vous de trois jours rassemblant 3 ou 4 000 personnes et traitant de sujets d'actualité -, les personnes âgées ont été au centre de nombreux thèmes, notamment celui des accidents vasculaires cérébraux. Mais il n'y a rien eu sur la chaleur. Les 13 et 14 juin 2003, à Montauban, se tient un congrès auquel M. Carli et moi-même assistons et qui est consacré au thème « Urgences et personnes âgées ». Là non plus, nous n'avons pas parlé de la chaleur, alors même que la température s'élevait à 39°...

Mme Catherine Génisson - Y avait-il beaucoup de gériatres à ce congrès ?

M. Marc Giroud - Oui. C'était une réunion multidisciplinaire. Je précise que la question de la chaleur n'a pas même été évoquée dans les questions.

Le 18 septembre enfin se tiendra une journée de la Société française d'a en permanence. En cela, nous n'avons pas fait mieux que quiconque.

Concernant notre rôle, il faut rappeler que tous les autres SAMU ont fait ce qu'a fait le SAMU de Paris, à proportion, bien entendu, des difficultés rencontrées. Nous n'avons pas eu besoin de le leur demander. Le plan blanc a certes été activé le mercredi, mais beaucoup de choses ont été accomplies sans qu'il ait été besoin de donner l'ordre de les faire : elles font partie du programme de travail des uns et des autres. Il y a eu des recommandations données par téléphone, des équipes envoyées, etc., puis, petit à petit, une mobilisation des secouristes de la Croix-Rouge sur le terrain - nous nous sommes en effet rendu compte que les procédures habituelles ne suffisaient pas - ainsi que des permanences de soin libérales, quand cela a été possible. Je reviendrai sur cette dernière question, qui est en effet importante.

Quel jugement portons-nous sur l'alerte ? Assurément, elle a été inefficace, puisqu'elle n'a pas permis de comprendre l'ampleur du phénomène. Nous-mêmes, les professionnels, nous avions peut-être le nez sur le guidon, mais nous n'avons pas bien compris, ou du moins pas avant les autres, ce qui était en train de se passer.

Vous nous demandez ensuite quel rôle nous pourrions jouer dans la réforme du système d'alerte. Nous sommes bien sûr mobilisés. L'InVS nous a associés à ses réflexions et le directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), qui réunit depuis longtemps des groupes de travail sur les urgences, a évidemment embrayé sur cette question. Quant à nous, pour apporter dès maintenant notre contribution, nous avons mis en place un réseau Internet réunissant tous les responsables de SAMU. Ce réseau interactif nous permet de faire descendre et remonter des informations. Un tel dispositif existait de manière informelle, mais nous n'avions pas bâti un système spécifique. Il s'agissait plutôt d'un réseau d'échanges entre professionnels, où l'on discutait des questions qui nous semblaient d'actualité. Il n'était pas destiné à être opérationnel, au contraire de celui qui vient d'être mis en place.

Que faire à l'avenir, demandez-vous. Je me référerai à la note que je vous ai communiquée. Pour ce qui concerne l'alerte, il convient sans doute de prévoir un relais avec les médias. Il ne suffit pas de comprendre et de dire : encore faut-il qu'il y ait un relais efficace. Or on peut aller jusqu'à affirmer que même quand les éléments d'information étaient disponibles, ce relais n'a pas été efficace. M. Carli a d'ailleurs évoqué cette question.

Les réunions dont j'ai parlé au début de mon propos montrent bien que la préoccupation des personnes âgées existe dans nos services. C'est une chose que nous avions bien vue. J'ai participé moi-même à une réflexion de la Cour des comptes pour préparer le rapport annuel qui sera publié jeudi et qui traite notamment des urgences pour les personnes âgées. On y trouve évoqués les éléments de la crise actu opérationnelle. Les urgentistes d'accueil vous le diront mieux que nous : il n'y a pas de débouché, en aval des urgences, vers des filières gériatriques efficaces.

Précisons que notre organisation fonctionne en permanence en flux tendus. Nous sommes si près de la ligne de flottaison qu'il ne faut pas grand-chose non pas pour nous rendre inefficaces - Pierre Carli a bien montré que nous arrivions à nous dédoubler -, mais pour nous mettre en difficulté. Il n'y a pas de réserve de fonctionnement : nous sommes en permanence à la limite. Ainsi, dans les SAMU et les SMUR, un grand nombre d'équipes fonctionnent sans infirmière au quotidien. Il y a des médecins, mais pas d'infirmières. Parfois, on manque même de conducteurs. Nous nous trouvons donc en dessous des normes établies. Or, si l'on veut être efficace dans une crise comme celle-ci, un des premiers plans d'action consisterait à mettre les structures à niveau en fonction desdites normes.

Ces aspects concernent les moyens mobiles, mais il en va de même pour la régulation médicale. Les appels au SAMU sont de plus en plus nombreux. Nous disposons d'auxiliaires, les permanenciers, qui sont en nombre insuffisant et dont le statut n'a jamais été vraiment défini et n'est pas du tout adapté. Il n'existe pas de formation bien organisée pour le travail que nous leur demandons. Ce sont des collaborateurs précieux et dévoués, mais dont le nombre et le niveau de formation sont insuffisants pour être efficaces dans une situation de crise. L'organisation de base doit donc être mise à niveau si nous voulons être mieux armés.

J'insisterai maintenant sur un point particulier : nous n'avons pas, en France, un système d'information d'urgence très performant. J'évoquais tout à l'heure les dossiers médicaux des personnes âgées : il est par exemple impossible de les transmettre d'un établissement de santé à un autre. C'est un problème de réglementation et de législation : la CNIL, comme vous le savez, verrouille les transferts d'informations médicales entre établissements. S'ajoutent à cela des considérations techniques, si bien qu'à l'heure actuelle un patient n'est pas traité par les urgentistes avec son dossier médical. Cette absence totale d'informations est la même pour le SAMU, ce qui est très préjudiciable, je le répète, pour les personnes âgées. La mise en place d'un système d'information serait un élément important de l'observatoire en temps réel dont nous avons besoin pour qu'une alerte puisse s'organiser.

Nous préconisons en outre, pour renforcer les centres de régulation, la mise en place de véritables plateformes non seulement médicales, mais aussi de soutien psychologique, psychiatrique, social, car tous ces éléments sont liés. Nous jugeons nécessaire ce nouveau dimensionnement des centres de régulation. Il convient également de les mettre en réseau : à l'heure actuelle, chaque département dispose d'un centre SAMU, mais l'interconnexion entre ces centres n'existe pas et n'est pas prévue. Nous demandons qu'elle le soit, et y travaillons, d'ailleurs, avec le ministère de la santé.

J'aborde pour conclure la question des permanences libérales. Le système français ne s'est pas remis de la grève des urgences libérales. On n'a pas bien vu, d'ailleurs, quand celle-ci s'est achevée. Un décret tout récent rappelle l'obligation de garde, mais en pratique cette obligation a disparu. Les syndicats médicaux nous disent qu'elle est « cliniquement morte ». On peut le constater sur le terrain, bien qu'il y ait de grandes disparités entre départements. Alors que les services d'urgences hospitaliers subissent ce désengagement, aucune politique n'a été mise en place soit pour aller véritablement dans le sens du réengagement des médecins libéraux, soit pour se donner les moyens de faire sans eux. Mais il ne faut pas s'en tenir aux intentions. Depuis un certain temps, le système se cherche, et nous ne savons pas ce qu'il va devenir. Nous avons lu dans le rapport de Mme Lalande qu'effectivement des médecins n'ont pas pris leur garde. Cela nous semble possible, il n'y a pas de raisons pour que les situations que nous rencontrons au quotidien ne se soient pas retrouvées au mois d'août.

M. le président de la mission d'information - Je vous remercie pour votre intervention, et précise que Mme Lalande s'appuie sur un document de l'Ordre des médecins qui figure en annexe de son rapport. Nous recevrons ici même l'Ordre des médecins.

M. Claude Évin - Je remercie les deux interlocuteurs, et tout particulièrement M. Carli, qui nous a décrit le déroulement des faits auxquels il a été confronté. Dans l'ensemble des coups de téléphone que vous passez, y compris à partir du vendredi 8 août au matin, jamais vous n'avez cité l'InVS. Il y a une remontée, manifestement, à l'intérieur de l'AP-HP. Vous participez à une réunion avec Mme Toupillet, ce qui signifie qu'un lien est établi avec la DHOS. Mais je constate - et cela ne saurait être un reproche - que vous n'avez jamais le sentiment qu'il y a peut-être quelque chose qui nécessite de prévenir l'institution qui, dans notre système sanitaire, a justement pour mission de recueillir les informations. Peut-être la procédure n'existe-t-elle pas. Toujours est-il que cela ne se fait pas.

Vous avez également dit à plusieurs reprises que le vendredi « on sait que cela va mal tourner ». Cette formule m'a frappé. La situation semble être maîtrisée, mais vous continuez à dire cela le dimanche et le lundi matin. Vous parlez également de la nécessité d'un relais avec les médias. Pensez-vous ne pas avoir trouvé là de relais suffisamment fort ? La conférence de presse du lundi n'a pas eu d'écho : y a-t-il eu, sur ce sujet, des contacts directs avec la DGS, sachant que votre inquiétude était très forte ? Vous dites que tout cela va mal tourner, et le message que l'on entend lundi, c'est qu'il n'y a pas de problème.

Mme Catherine Génisson - Vous évoquez, dans vos propositions, l'intérêt qu'il y aurait à disposer de relais avec les médias. J'aimerais que vous alliez pl adéquate.

M. Maxime Gremetz - Je suis en admiration devant l'action du Dr Carli et devant la manière dont il la raconte. Il faut saluer le sens de l'initiative dont a fait preuve le SAMU de Paris. C'est impressionnant, et l'on aimerait voir plus souvent un tel dynamisme et une telle imagination.

Vous avez sans doute lu le rapport du Dr Françoise Lalande, où l'on a tendance à présenter les choses à l'envers. À un moment donné, il est écrit que « la DGS prend contact avec le SAMU et lui demande de... », etc. J'avais bien l'impression que la réalité était tout autre, et que ce sont les gens de terrain - SAMU, pompiers, services d'urgences - qui ont détecté les problèmes. La DGS est-elle informée à ce moment-là ? Ce que vous avez dit est en parfaite adéquation avec les propos de la directrice de l'AP-HP, mais on ne distingue pas bien qui fait le lien avec la DGS.

Comment voyez-vous, vous qui êtes sur le terrain, un système d'alerte qui permette une remontée instantanée, sans perte de temps ? Dans une situation dramatique comme celle-là, il faut taper au plus haut : à la DGS et au ministère. Il y a en effet des mesures à prendre et des mobilisations à effectuer dans toutes les administrations.

M. Pierre Carli - Les compliments que vous m'avez adressés, et dont je vous remercie, ne s'adressent pas à moi, mais aux gens qui font leur travail sur le terrain. Je vais vous dire mon sentiment : si, quand il y a un coup dur, tout le monde fait son travail sur le terrain, cela simplifie déjà grandement l'action générale. C'est ce que nous avons fait. Nous n'avons pas pris, je pense, plus d'initiatives que d'autres. Dans les mêmes circonstances, ils ont fait exactement la même chose.

Je souhaite en revanche répondre à la question de M. Évin : non, je n'ai pas appelé la DGS. La raison en est simple : ce n'était pas mon travail. En revanche, ce point a été très clairement évoqué dans les discussions que nous avons eues avec l'Assistance publique, et je sais pertinemment - car nous l'avons vérifié - que l'Assistance publique a fait remonter l'information le plus vite possible au ministère. Je pense qu'on vous fournira les doubles des fax. Tout est remonté par la voie normale. Et la voie normale, ce n'est pas Pierre Carli appelant le patron de la DGS, dont je n'ai d'ailleurs pas le numéro de portable.

M. Claude Évin - Cela m'intéresserait de voir les documents que vous, sur le terrain, avez commencé à envoyer. J'aimerais qu'on puisse décrypter l'écart entre la manière dont vous décrivez la gravité de la situation telle que vous la ressentez et la manière dont, éventuellement, l'information passe par les cribles de l'AP-HP, de la DHOS, de la DGS, puis du cabinet du ministre et du ministre lui-même. Comment tout cela a-t-il été reformulé ?

M. le président de la mission d'information - Ayant la même question en tête, je viens de demander aux services de l'Assemblée de prévenir la direction de son hôpital.

M. le président de la mission d'information - On aurait pu vous reprocher de ne l'avoir pas fait.

M. Pierre Carli - En effet. Si je n'avais pas prévenu la direction de mon hôpital qu'il se passait quelque chose d'anormal, j'aurais été dans mon tort. Mais j'ai une parfaite confiance en M. Deroubaix, qui savait très bien que son travail était de prévenir tous ceux qui étaient en liaison avec les autorités de tutelle.

M. Claude Évin. Et l'InVS ?

M. Pierre Carli - Je n'ai pas de rapports fonctionnels avec l'InVS.

M. Claude Évin - Personne n'a ressenti, dans cette situation où vous ne compreniez pas totalement ce qui était en train de se passer, le besoin d'effectuer cette démarche ?

M. Pierre Carli - Je me permets de répondre très simplement : quand vous êtes au milieu des ennuis et qu'il y a des gens qui tombent partout, vous soignez les patients. C'est un réflexe de docteur. Nous avons donc organisé nos soins. C'est seulement le lundi que nous voyons beaucoup plus clair dans cette affaire. Je ne suis pas un devin. Comme je l'ai dit, j'ai senti que cela allait tourner au vinaigre. Je le comprends vendredi en fin de journée et je m'aperçois que cela se produit dans la nuit de samedi. Je ne sais rien de plus que cela. Au départ, mon angoisse est une angoisse bibliographique. C'est lorsque j'ai vu ce qui s'était passé chez les autres que je me suis demandé si nous n'allions pas subir la même chose. Les 700 morts de Chicago me sont apparus comme un chiffre colossal. La chaleur, à Chicago, était humide, il existait des conditions particulières, etc. : ce n'était pas la même chose à Paris. Je ne peux donc pas vous dire que le vendredi je savais tout et que les autres ne savaient rien. Ce serait faux.

M. Marc Giroud - Nous ne connaissions l'InVS que comme donneur d'informations, mais il ne nous serait pas venu à l'idée d'accéder directement à cet organisme. Nos interlocuteurs sont la DDAS ou la préfecture, selon l'organisation des gardes, et nous avons très largement l'habitude de prévenir nos autorités.

M. Claude Évin - Les autorités, en l'occurrence, sont prévenues par l'AP-HP.

M. Pierre Carli - Elles le sont aussi par moi, le dimanche, sur un problème encore plus spécifique. Ce jour-là, nous n'hésitons pas à leur parler directement.

M. Marc Giroud - Vous nous demandez ce qu'il faut faire en direction des médias : nous ne le savons pas. Mais nous développerions volontiers, comme nous avons l'habitude de le faire par ailleurs, des partenariats. Ces partenariats n'existent pas avec la presse. Nous n'avons pas de projet commun d'information de la population. C'est une grande lacune. Or nous voyons maintenant très bien comment les choses auraient pu tourner s'il y autres. Nous n'aurions pas pu identifier tel ou tel jour si on ne nous avait pas dit qu'il était spécifique. Certes, on finit par le voir, mais c'est assez compliqué. Ce sont des indicateurs mathématiques complexes.

L'expérience d'Arras, madame Génisson, est en effet une référence. Il y a un certain nombre de success stories, il y a des endroits en France où les personnes âgées sont magnifiquement prises en charge, où, comme à Arras, la coopération avec la médecine libérale fonctionne. Peut-être cela préfigure-t-il ce qui se fera demain - j'ai le même espoir que vous -, mais je dois dire que nous percevons plutôt un lent désengagement, malgré quelques améliorations ici ou là.

Mme Catherine Génisson - Si cela fonctionne bien à Arras, c'est que les gardes libérales ont été d'emblée intégrées à la mise en place du centre 15.

M. le président de la mission d'information - Messieurs, je vous remercie.

*

* *

XX. Audition de M. Édouard Couty, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

(séance du mardi 16 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Permettez-moi, pour commencer, de vous poser quelques questions. Quel a été le rôle de la DHOS pendant la crise ? Pouvez-vous préciser à quelle date vous avez perçu qu'il se passait quelque chose d'anormal ? Qui avez-vous alerté ? Qui vous a alerté ? Les urgences peuvent-elles jouer un rôle d'alerte ? Selon quelles modalités ? Il semble que les déclarations du ministre le 11 août reposent sur un bilan de la canicule élaboré par la DHOS. Est-ce exact ? D'où venaient les informations ? Ont-elles été transmises à la DGS ? Si non, est-ce normal ? La canicule a-t-elle, selon vous, révélé une crise de l'hôpital ? Des urgences ? Faut-il les réformer ? Y a-t-il eu un manque de personnel ? S'agissant des fermetures de lits, la réalité a-t-elle été conforme aux prévisions ? Certains critiquent la notion de taux de remplissage, estimant que ce concept empêche l'hôpital de disposer d'un volant de lits suffisant en cas de crise. Qu'en pensez-vous ? Quels enseignements tirez-vous de ce drame ?

M. Dominique Paillé - Je souhaite poser à M. Édouard Couty la question rituelle que j'ai posée à M. Jean-François Mattei, à M. Lucien Abenhaïm et à quelques autres, dont la directrice générale de l'AP de Paris : le 11 août, date à laquelle M. Jean-François Mattei fait son intervention télévisée et prend, de façon vraisemblablement délibérée, le parti de jouer l'apaisement - ou en tout c plutôt rassurante pour l'ensemble de la population ?

M. Claude Évin - Nous venons d'entendre M. Carli. Il nous a indiqué que, dès le vendredi, il a dit, à l'intérieur de l'Assistance publique de Paris : « on sait que cela va mal tourner ». Cette dramatisation, perçue apparemment par le SAMU 75, est-elle remontée à la DHOS, ou le phénomène n'a-t-il été rapporté qu'en termes de problématique de gestion des services d'urgences ? Dans ce qui a été transmis, quels sont les indices qui auraient pu laisser à penser, le cas échéant, qu'une situation dramatique était en train d'apparaître dans les services d'urgences de l'Assistance publique de Paris ? Ma deuxième question vous a déjà été posée par le président. Elle concerne la fermeture des lits. Le rapport de Mme Lalande indique que la réalité de cette fermeture ne correspond pas aux prévisions qui avaient été arrêtées au début de l'été. Le chiffre qu'elle donne étant assez global, je présume que la situation doit être différente d'une région à l'autre, voire d'un établissement à l'autre. Quelles est l'appréciation que la DHOS porte aujourd'hui sur cette donnée ?

M. Maxime Gremetz - Monsieur Couty, vous êtes directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins pour l'ensemble du pays. Je ne suis pas un spécialiste, mais j'essaie de comprendre comment les choses fonctionnent dans un domaine aussi important que celui de la santé. J'imagine qu'au sein du ministère les services de l'hospitalisation travaillent en coordination avec les autres services. Quel est le fonctionnement normal de ces services, tout au long de l'année mais aussi en période de vacances ? Je pensais que chacun avait une cellule d'alerte pour donner les informations et se faire une opinion sur telle ou telle situation. Comment cela s'est-il passé au mois d'août ? Quelle était la situation ? Comment et quand avez-vous été alerté ? Comment avez-vous vous-même alerté le secrétariat ou le cabinet du ministre ?

M. Édouard Couty, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins -La mission qui est confiée à la DHOS est précisément de veiller à la prise en charge des malades, à l'accès aux soins et à la bonne organisation de l'ensemble du dispositif d'hospitalisation publique et privée. C'est également sa mission en temps de crise, bien entendu.

Les choses se sont déclenchées pour nous le jeudi 7 août en fin de journée. J'étais pour ma part en congé depuis le 4 août et suis rentré le 13 au soir. Le 7 au soir, mon adjointe, qui assurait la permanence pendant le mois d'août, a été alertée par un appel téléphonique du docteur Pelloux, président du syndicat des urgentistes et lui-même urgentiste à l'hôpital Saint-Antoine. C'est, comme beaucoup de responsables syndicaux, un correspondant pour ainsi dire habituel, qui nous téléphone très fréquemment. Il fait également partie de nos groupes de travail. Le 7, il nous signale donc une affluence très importante aux urgences de Saint-Antoine. Quelque indications qu'il avait, prend une instruction pour l'ensemble des hôpitaux de l'AP. Par un certain nombre de mesures, cette instruction ressemble beaucoup, sans en porter le nom officiel, à un plan blanc. Si elle n'en a pas l'effet psychologique, reste qu'un certain nombre de demandes sont faites aux hôpitaux quant à l'activité programmée, à la libération de lits et au renforcement des urgences.

Le week-end des 9 et 10, nous n'enregistrons aucune alerte d'aucune sorte, alors que le 8 au soir, précisément, nous avons mis en place à la DHOS une cellule de veille pour relayer la personne qui est de garde habituellement le week-end. Nous mettons deux personnes de plus en réserve, au cas où il y aurait des alertes. Nous pensons donc que la dramatisation que M. Carli évoquait le vendredi 8 est remontée au moins jusqu'au secrétaire général de l'AP, puisqu'il a confirmé que le 8 il a parfaitement conscience qu'il y a une difficulté ; mais ce qui remonte à ce moment-là à la DHOS est un problème parisien, une difficulté, comme on en rencontre parfois dans l'année, dans les urgences de certains établissements, dont l'hôpital Saint-Antoine. Pour nous, le 8 au soir, le phénomène est strictement cantonné à Paris, et plus précisément à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Aucun signal ne nous parvient d'autre part. Le 9 et le 10, donc, il y a des contacts entre la DHOS et la DGS en interne, mais toujours pas de signaux venant des établissements ou des services déconcentrés.

C'est le lundi 11 au matin que nous mettons en place, après les échanges que nous avons eus avec l'AP les 8 et 9 août et avec la DGS, un dispositif de remontée systématique, un questionnaire sur l'état du fonctionnement des urgences et de la disponibilité des lits, que nous envoyons dans toutes les régions. C'est à ce moment que nous élaborons à la DHOS une cellule un peu plus organisée comportant une dizaine de personnes. Celles-ci, dans un premier temps, ont au minimum une communication téléphonique par jour avec chacun des directeurs d'ARH. C'est le 11, je crois, que nous avons commencé à voir que l'on avait des difficultés ailleurs qu'à Paris. D'abord, les difficultés de quelques établissements d'Île-de-France nous ont été signalées. Nous ne sommes toutefois pas informés, à ce moment-là, du déclenchement du plan blanc au CHIC de Créteil. Si j'ai bonne mémoire, le préfet du Val-de-Marne décide de généraliser le plan blanc le lendemain seulement, c'est-à-dire le 12.

Les informations qui nous parviennent concernent des difficultés liées à l'arrivée d'un grand nombre de personnes dans les services d'urgences de quelques hôpitaux de l'AP, de quelques hôpitaux d'Île-de-France, ainsi que des difficultés ponctuelles en Bourgogne et dans le Centre. Il existe quelques autres difficultés ponctuelles dans certaines villes, mais il ressort des déclarations des ARH, et donc des services d'urgences des hôpitaux, que la situation n'est pas dramatique. Elle est difficile, mais maîtrisée, et reste pour nous très ponctuelle.

Ainsi, jusqu'au 11, les remontées que nous avons ne constituent pas un faisceau qui nous permettra cabinet, a donc assisté à cette réunion et y a demandé, compte tenu de ce qu'elle avait entendu et du tableau de la situation à l'AP que l'on dressait alors, qu'un certain nombre de mesures contenues dans le plan blanc soient prises, ce qui a d'ailleurs conduit l'AP à déclencher le plan « chaleur extrême », qui ressemble à un mini plan blanc. Tout au long de ces jours, nos interlocuteurs sont les membres du cabinet, les conseillers techniques en charge de l'hôpital qui sont présents, à savoir, principalement, M. Grouchka, ainsi que le chargé de mission auprès du ministre, puis la directrice-adjointe du cabinet, qui rentre le 11. À partir du 11, compte tenu des remontées, nous avons mis en œuvre cette cellule qui formalise et intensifie les relations avec les ARH.

Le premier à nous avoir alertés, je le répète, sur la situation à l'hôpital Saint-Antoine est le docteur Pelloux. Nous avons tenu le cabinet informé au fur et à mesure que nous recevions les données. Pendant ces trois premiers jours, les 8, 9 et 10, il y a relativement peu de relations avec la DGS mais des relations intenses avec le cabinet.

Vous m'avez demandé si les urgences peuvent jouer un rôle d'alerte dans les situations de ce genre et selon quelles modalités. Si elles peuvent en effet souvent jouer ce rôle - et ce fut le cas ici -, les experts américains des CDC d'Atlanta, qui ont été confrontés à ce type de problème, notamment à la suite de la canicule à Chicago en 1995, nous ont dit que l'arrivée aux urgences se produit en fait avec un effet retard de l'ordre de 48 heures. Donc, si les urgences peuvent avoir ce rôle, ce n'est sans doute pas suffisamment tôt. Il faut peut-être organiser l'alerte par d'autres moyens.

M. le président de la mission d'information - Le cabinet du ministre parlait même de 72 heures. Le professeur Carli a évoqué tout à l'heure les études militaires sur les coups de chaleur. On constatait toujours un décalage. Or on a observé, au cours de la crise du mois d'août, que la surmortalité est intervenue tout de suite, alors que toutes les études antérieures, selon ce qu'on nous a indiqué, faisaient toujours mention de ce temps de décalage.

M. Édouard Couty - Les urgences peuvent avoir un rôle d'alerte pour le système d'hospitalisation, c'est-à-dire pour la prise en charge. Mais, en termes de santé publique, l'alerte doit se faire en amont. Face à des phénomènes catastrophiques comme celui que nous avons vécu, je ne suis pas certain que les urgences soient le meilleur clignotant. Il faut assurément étudier des dispositions d'alerte en amont.

Les informations que nous avons données le 11 reposaient, je le répète, sur la collecte que nous avions faite en interrogeant toutes les régions. Ce jour-là, nous n'avions qu'une situation très difficile et très tendue à Paris, ainsi que des tensions en Bourgogne et dans le Centre, auxquelles s'ajoutaient quelques autres tensions très ponctuelles. Mais on nous disait alors que la situation était maîtrisée. Ce sont ces informations qui sont remontées au ministre.

M. Édouard Couty - Non. Par contre, il y a des rencontres au cabinet, dans les bureaux de la directrice-adjointe et des conseillers techniques. De plus, les gens de la DGS et de la DHOS se croisent beaucoup dans les couloirs à ce moment-là.

M. le président de la mission d'information - Il y avait donc tout de même des réunions entre la DHOS, la DGS et le cabinet...

M. Édouard Couty - La DGS, c'était le docteur Coquin. La DHOS, c'était mon adjointe, Mme Toupillier, et à partir du 11 une équipe de dix personnes autour d'elle.

M. le président de la mission d'information - Y a-t-il eu des contacts téléphoniques réguliers ?

M. Édouard Couty - Il y a eu des contacts téléphoniques dans la journée avec le Dr Coquin, puis, le 12 au soir, je crois, M. Coquin et Mme Toupillier ont tous deux participé à une émission sur France Inter, « Le téléphone sonne ». On en avait discuté avec le cabinet dans la journée.

M. Dominique Paillé - Dans vos services, personne n'a eu l'idée de prendre le téléphone pour faire le tour des gros établissements ? Vous avez contacté les ARH, mais pas les établissements. Était-ce trop lourd ? Inhabituel ?

M. Édouard Couty - Il y a 1 000 établissements, dont 250 de grande taille. Il y a également 26 ARH, avec lesquelles nous avons eu une communication téléphonique de 20 minutes à chaque fois, en leur demandant de faire remonter les informations. Cela étant, dans l'autre sens, des hôpitaux nous ont téléphoné. Or, quand par exemple le Dr Pelloux téléphone, on le prend. Quand le Dr Carli, du SAMU, veut téléphoner en dehors des crises, on le prend toujours. Même chose pour le directeur d'un CHU. Nous avons également un système de communication par fax très rapide, qui nous permet d'envoyer des instructions à tous les établissements en trois minutes. C'est ce que nous avons fait pendant la crise.

Vous souhaitez savoir si cette canicule a révélé une crise de l'hôpital, des urgences et des moyens dont elles disposent. On parle beaucoup de la crise de l'hôpital. Pour moi, la canicule a plutôt révélé une très grande solidarité des hospitaliers vis-à-vis des services les plus chargés, et en particulier des urgences. Cette solidarité se manifeste en temps de crise. Elle n'est pas quotidienne. Si je pouvais formuler un vœu, ce serait qu'elle perdure un peu. Le problème des urgentistes est d'arriver à placer les malades qui ont besoin d'être hospitalisés, d align: justify">M. Édouard Couty - Mais c'est la vérité...

M. Maxime Gremetz - J'ai lu avec intérêt le rapport de l'ARH de la région PACA sur le bilan de la canicule. Je suppose que toutes les ARH vous ont fourni de tels bilans, qui nous seraient bien utiles.

M. Édouard Couty - Nous avons formulé cette demande a posteriori. Pendant la crise, nous étions en contact quotidien avec toutes les ARH, mais plus fréquemment encore avec celles qui avaient des problèmes - en particulier la Bourgogne, le Centre, un peu l'Aquitaine avec Bordeaux, et enfin la région Rhône-Alpes avec Lyon et Grenoble. Avec les autres, le contact quotidien permettait de vérifier qu'il n'y avait rien à signaler.

Nous avons également fait un relevé chronologique que je tiens à votre disposition. Il a été établi à partir du 11 août mais il remonte jusqu'au 7 et résume, région par région, la situation des ARH. Effectivement, pour beaucoup de régions, nous avons noté RAS. Mais nous avons demandé à tous de nous fournir a posteriori une analyse de cette période.

Pour revenir à la question des urgences, de leurs moyens et de leur réforme éventuelle, outre la question essentielle de l'organisation de l'hôpital et de la prise en charge des malades qui nécessitent une hospitalisation non programmée après passage aux urgences, il y a une seconde leçon à tirer de cette période de crise, c'est qu'un service d'urgence n'est aujourd'hui adossé qu'à un seul hôpital, alors qu'il dessert en réalité un territoire. Il faudrait donc qu'il soit plutôt adossé à l'ensemble des établissements de soin et, au-delà, des établissements médico-sociaux de ce territoire, et qu'un réseau soit de ce fait constitué autour de lui. Ainsi, il ne disposerait pas seulement, en aval, des lits de son hôpital, mais aussi des capacités de prise en charge des autres établissements du territoire qu'il dessert. C'est un enseignement important que l'on peut tirer.

M. Claude Évin - Cela impliquerait-il l'existence d'une autorité de régulation ? Quelle serait l'autorité qui gère l'aval, si la répartition se faisait sur plusieurs établissements ?

M. Édouard Couty - C'est une question qu'il ne faut pas éluder. Pour ma part, je pense qu'un service d'accueil des urgences, un SAU, qui est le service lourd - nous en avons 207 en France, sur plus de 600 services d'urgences - doit s'appuyer non seulement sur l'hôpital dans lequel il est situé, mais aussi sur un réseau. Il faut arriver à mettre en place, par un système d'information performant, un réseau d'établissements qu'il puisse solliciter autour de lui. Nous avons aujourd'hui les outils techniques pour le faire.

M. Dominique Paillé - Mais quelle est l'autorité qui, au sortir des urgences, va dégager des lits dans les différents établissements ?

Et c'est le chef du service des urgences qui pourrait en décider ?

M. Édouard Couty - Je pense que c'est à déterminer par consensus entre les acteurs du réseau.

M. Claude Évin - En tout cas, il y a là une piste à creuser.

M. Édouard Couty - Pour qu'un système marche, il faut, d'après mon expérience, que les différents acteurs se le soient bien approprié. Il est difficile d'imposer une autorité, surtout si elle est un peu lointaine, car cela ne marchera pas et les lits disponibles ne seront pas déclarés. Les acteurs doivent donc adhérer volontairement au réseau et reconnaître par consensus, au moment de la constitution de ce réseau, une autorité qui peut être le chef des urgences ou une autre personne.

En ce qui concerne les moyens, le grand sujet pour les services d'urgences est le traitement de l'aval : comment prendre en charge les malades qui nécessitent une hospitalisation ? Mais il y a aussi le traitement de l'amont : comment orienter les gens qui arrivent aux urgences alors qu'ils n'ont besoin que d'une consultation médicale ? Dans 80 % des cas, en effet, ce n'est pas une vraie urgence. Il y a donc une fonction de régulation à l'intérieur du service des urgences pour orienter le patient vers une consultation ou un conseil médical.

En amont se pose la question de la permanence des soins, c'est-à-dire la présence effective et efficace d'une garde médicale de ville. Cela a été le cas dans beaucoup d'endroits, mais pas partout. Là où nous avons constaté de grandes difficultés dans les urgences - à Paris en particulier, malgré SOS Médecins -, il y avait un déficit de prise en charge en ambulatoire, en particulier pendant les week-ends.

M. Dominique Paillé - Pour répondre à nos interrogations statistiques, quel est, selon la direction des hôpitaux, le nombre de postes budgétaires hospitaliers qui aujourd'hui ne sont pas pourvus, ou qui le sont, dans un certain nombre de cas, par des intérimaires ? Les trois directeurs généraux présents nous ont donné des informations concernant l'AP, les hospices civils et l'APM, mais le recensement global a-t-il été fait ?

M. Édouard Couty - Il est un peu difficile de répondre à cette question. Je pourrais vous fournir le nombre de postes vacants, sachant qu'administrativement un certain nombre de ces postes sont occupés par des contractuels transitoires qui sont recrutés librement par les hôpitaux. Le chiffre administratif dont je dispose ne reflète donc pas la vérité.

M. Dominique Paillé - Et peut-on connaître la vérité ?

M. Édouard Couty - C'est très difficile, car les établissements recrutent eux-mêmes. C'est très fluctuant...

M. Édouard Couty - Je vous fournirai les comparaisons dont nous disposons. Je n'avancerai pas de chiffres, mais me bornerai à un commentaire : dans les disciplines de médecine, de chirurgie et d'obstétrique, et même en soins de suite, le niveau de la France est tout à fait comparable à celui de tous nos voisins - l'Angleterre, la Hollande, la Belgique, la Suède, l'Italie, l'Espagne. Il existe une petite différence avec l'Allemagne, qui n'a pas encore terminé le reclassement des lits dans les nouveaux Länder, où il n'existait pas de différenciation entre court séjour, long séjour, personnes âgées, chirurgie, etc... Les chiffres sont de ce fait difficilement comparables.

M. le président de la mission d'information - Vous ferez parvenir ces chiffres à la mission.

M. Édouard Couty - Je vous les donnerai, monsieur le président, de même que les taux d'encadrement. J'aborderai pour finir la question des fermetures de lits. Depuis maintenant trois ans, nous avons mis en place un système d'interrogation des ARH au printemps sur le programme prévu des fermetures de lits en été. Nous avons une remontée en juin, qui nous permet de déterminer le pourcentage de lits maintenus ouverts discipline par discipline - médecine, chirurgie, obstétrique - dans chacune des régions et de consolider au niveau national. Ce système repose sur les déclarations des établissements, que nous n'avons jusqu'à présent jamais remises en cause.

Or, durant cette période de canicule, nous avons eu la surprise de constater qu'entre les déclarations qui avaient été faites ante par les établissements, les chiffres que les ARH nous avaient fait remonter, et la réalité des choses, notamment dans certaines grandes villes et dans certains grands établissements, il y avait des écarts parfois importants.

M. Claude Évin - Ils avaient fermé plus de lits qu'ils ne l'avaient dit ?

M. Édouard Couty - Exactement ! Ou qu'ils ne l'avaient programmé...

M. Dominique Paillé - Quel en était l'intérêt ?

M. Édouard Couty - Je l'ignore. J'imagine qu'ils ont eu des contraintes ou des difficultés plus importantes que ce qu'ils avaient prévu. En tout cas, j'ai constaté des écarts, et mon souci actuel est de monter pour l'année prochaine un système qui permette, par des sondages ou des contrôles inopinés, de bien s'assurer que les déclarations que font les établissements ne sont pas trop décalées par rapport à la réalité.

M. Dominique Paillé - A-t-on interrogé les établissements pour savoir pourquoi il y avait de tels écarts ?

< villes du centre de la France ou dans de grandes métropoles, on profite de l'été, où il y a beaucoup moins d'habitants, pour faire des travaux de maintenance, etc...

Nous devons pour notre part sécuriser notre système de remontée d'informations, qui reposait jusqu'à présent sur un mode déclaratif.

Sans revenir sur la question de l'alerte, qui a été longuement traitée, j'insisterai pour conclure sur le fait que la séparation très nette entre le secteur sanitaire et le secteur social n'est pas forcément, en matière de prise en charge des personnes âgées, un bonne chose. Nous avons pu, encore une fois, le vérifier. Nous devons absolument arriver à organiser une meilleure coordination entre le sanitaire et le social.

Concernant le fonctionnement des urgences, nous sommes à la tâche pour améliorer en amont et en aval la prise en charge des personnes à hospitaliser et organiser le plus de fluidité possible. Il convient également d'examiner les questions liées à la formation des personnels, qu'ils soient médicaux ou paramédicaux, à la prise en charge en cas d'afflux massif. Nous y travaillons également, comme sur les questions relatives à l'organisation. Le système du plan blanc a montré son efficacité mais nous devons perfectionner les mécanismes de son déclenchement et de la coordination avec les autres plans - plan ORSEC, etc.

Nous avons dû enfin traiter, parce que nous étions présents à ce moment-là et qu'il nous fallait répondre aux questions qu'on nous posait, une question qui concerne moins ma direction : celle de la prise en charge des corps des personnes décédées. Nous avons beaucoup de dispositions, et c'est légitime, pour traiter les vivants, blessés ou malades, mais nous n'avons aucune organisation particulière quand il s'agit des corps. Cela ne concerne sans doute pas le ministère de la santé, mais nous avons tous pu constater ce manque.

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