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N° 1097

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 septembre 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

sur le bioterrorisme

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Pierre LANG,

Député.

--

Défense.

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I.  - L'ÉTAT DE LA MENACE 7

A. LE SPECTRE D'UNE ARME INVISIBLE HAUTEMENT LÉTALE 7

1. Une arme insidieuse 7

2. Une arme hautement létale et comparativement peu onéreuse 7

3. Un traitement retardé par l'absence de détection en temps réel 8

B. LA DIFFICULTÉ DES ÉTAPES À FRANCHIR LORS DE LA MISE AU POINT ET DE L'UTILISATION DES ARMES BIOLOGIQUES LIMITE LEUR PROBABILITÉ D'EMPLOI PAR DES GROUPES TERRORISTES 9

1. L'acquisition des souches pathogènes ou toxines reste relativement aisée 9

1. Une menace avérée, liée à l'évolution des objectifs du terrorisme 13

2. Terrorisme et programmes biologiques étatiques : « l'équation de tous les dangers » ? 15

3. Le défi majeur de l'agroterrorisme 15

II.  - LA MISE EN œUVRE PROGRESSIVE D'UNE RÉPONSE NÉCESSAIREMENT MULTIFORME 17

A. LA PRÉVENTION 17

1. L'impasse diplomatique du désarmement sans vérification : la politique de non-prolifération est-elle encore un préalable à la lutte contre le bioterrorisme ? 17

2. Contrôle des exportations et réglementation des biens à double usage : un instrument indispensable en mal d'universalité 19

a) Régime international de fournisseurs et réglementation européenne 19

b) Une réglementation nationale récente sur la détention et les transferts internes de souches 20

3. Le cas russe 21

4. Sécurisation des sites sensibles et sensibilisation de la communauté scientifique 23

5. La protection des réseaux d'eau 24

6. Le réseau de surveillance épidémiologique, clé de voûte du dispositif 27

7. La formation des professionnels de santé, préalable à la veille sanitaire et à la gestion de crise 29

B. PLANIFICATION ET INTERVENTION 30

1. Une planification complexe 30

a) Le plan Biotox 30

b) Le plan variole : une organisation sans précédent 32

2. Une réponse nécessairement coordonnée 36

3. L'indispensable coopé align: justify">2. Une capacité en laboratoires de sécurité encore restreinte 44

B. A VIGILANCE CONSTANTE, FINANCEMENT DURABLE 45

C. FORMATION ET ENTRAÎNEMENT OU LE PASSAGE DE LA PLANIFICATION À LA CAPACITÉ OPÉRATIONNELLE 48

D. UNE POLITIQUE DE COMMUNICATION QUI RESTE À REDÉFINIR ET DÉVELOPPER 50

E. LE DÉFI DE LA DÉTECTION ET L'IMPORTANCE DE LA RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT 50

IV.  - LA PERTINENCE D'UNE PRISE EN COMPTE DU BIOTERRORISME AU NIVEAU INTERNATIONAL 53

A. ENJEUX ET LIMITES D'UNE RÉPONSE EUROPÉENNE : RENFORCEMENT DE LA COORDINATION DES ETATS MEMBRES OU BALBUTIEMENTS D'UNE RÉPONSE COMMUNE ? 53

1. Le programme d'action visant à renforcer la sécurité sanitaire 54

2. Le mécanisme communautaire de protection civile 56

3. PESD et lutte contre le terrorisme NRBC 57

B. L'INITIATIVE D'OTTAWA POUR LA SÉCURITÉ SANITAIRE MONDIALE 58

C. L'ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS) 58

CONCLUSION 61

TRAVAUX DE LA COMMISSION 63

ANNEXE 65

INTRODUCTION

Le 5 octobre 2001, le bioterrorisme faisait sa première victime en la personne de Robert Stevens, journaliste décédé des suites de la maladie du charbon (anthrax) en Floride. Si l'arme biologique avait déjà fait l'objet d'utilisations anecdotiques sur des champs de bataille (cadavres de pestiférés catapultés lors du siège de Kaffa en 1346, inoculation du bacille de la morve aux chevaux des troupes alliées pendant la première guerre mondiale, utilisation d'agents infectieux par l'Unité 731 des forces japonaises pendant l'occupation de la Mandchourie entre 1932 et 1942), la boîte de Pandore a été ouverte en matière de terrorisme biologique.

L'épisode américai que dans le nombre de victimes ? Quels facteurs permettent d'expliquer ce changement de mode opératoire des terroristes ?

À ces interrogations sur l'étendue du risque et la réalité de la menace, s'ajoutent celles sur notre capacité de réaction et notre degré de vulnérabilité. La préparation au terrorisme biologique constitue un dilemme pour les autorités publiques. Comment, dans l'incertitude, dimensionner la réponse à une menace virtuelle, sans tomber dans le gaspillage de fonds publics ? Quel budget y consacrer ? Comment intégrer la menace bioterroriste dans l'ordre des priorités alors qu'elle est classée à un niveau très bas dans l'échelle des probabilités ? Au prix d'un véritable effort de guerre, les Etats-Unis ont choisi de consacrer depuis plusieurs années des sommes considérables à leur politique de lutte contre le bioterrorisme (5 milliards de dollars entre 1998 et 2001, 3,5 milliards de dollars pour la seule année 2003), qui peuvent paraître décalées au regard de la dégradation actuelle de leur système de santé publique.

Après un état des lieux de la menace, le présent rapport d'information s'interrogera sur la pertinence du dispositif français de lutte contre le bioterrorisme et son état d'avancement. Enfin, il évaluera la plus-value d'une coordination internationale dans ce domaine. Tout au long de ce rapport, le bioterrorisme sera pris dans son acception la plus large : utilisation à des fins idéologiques d'agents biologiques (virus, bactéries), mais aussi de toxines (substances toxiques sécrétées par des organismes vivants) afin d'infliger des dommages aux êtres humains, aux animaux ou aux végétaux dans un but d'intimidation et de terreur.

I.  - L'ÉTAT DE LA MENACE

A. LE SPECTRE D'UNE ARME INVISIBLE HAUTEMENT LÉTALE

1. Une arme insidieuse

Déterminant pour des groupes terroristes à la recherche d'un effet de terreur, l'impact psychologique majeur des armes biologiques renvoie à des peurs ancestrales (grande peste noire du Moyen âge). Il est également lié à leur caractère insidieux et à l'angoisse de l'incertitude pendant la période d'incubation. Contrairement aux armes chimiques, l'arme biologique est indétectable par nos sens : elle est inodore et invisible.

De plus, alors que les armes chimiques provoquent une atteinte massive et immédiate, les effets d'un acte de bioterrorisme ne seront pas immédiatement quantifiables et s'étaleront dans le temps, en raison du délai d'incubation, qui peut aller de quelques heures pour les toxines à plusieurs semaines pour certaines bactéries (brucellose). Le temps de latence entre la dissémination et les premiers effets permet en outre aux auteurs de l'attentat de prendre la fuite sans être inquiétés.


Agent

Aire de
dissémination (km2)


Décès

Action incapacitante
(en nombre de personnes infectées)

Fièvre de la Vallée du Rift

1

400

35 000

Encéphalite à tiques

1

9 500

35 000

Typhus

5

19 000

85 000

Brucellose

10

500

100 000

Fièvre Q

> 20

150

125 000

Tularémie

> 20

30 000

125 000

Charbon

>> 20

95 000

125 000

Source : Santé publique et Armes chimiques et biologiques, OMS, 1970.

Le rapport volume/létalité de ces substances est très élevé, ce qui permet des résultats significatifs à l'aide de quantités limitées. De plus, les micro-organismes pathogènes étant capables de se reproduire dans un milieu adéquat, on peut en obtenir des quantités importantes à partir d'une modeste culture initiale. Les coûts de production sont donc réduits et il est possible de se dispenser d'une infrastructure scientifique et industrielle trop importante, en évitant ainsi les risques de découverte lors de la phase de synthèse. Avec une efficacité supérieure, le coût de revient des armes biologiques est faible. Par comparaison, à efficacité analogue, le coût de revient d'une arme biologique est 600 fois inférieur à celui d'une arme chimique, 800 fois inférieur à celui d'une arme nucléaire et 2 000 fois inférieur à celui des armes conventionnelles. Le volume et le poids réduit des agents pathogènes utilisés facilitent également leur transport, notamment lors des passages de frontières. Contrairement aux explosifs ou armes conventionnelles, ces produits sont aisément dissimulables. Le caractère dual des agents et équipements biologiques rend tout contrôle extrêmement difficile.

L'attrait de certaines armes biologiques est lié en outre à leur capacité épidémique. Une épidémie de variole non contrôlée aurait une évolution exponentielle, un cas de variole non pris en charge en créant 2 000.

3. Un traitement retardé par l'absence de détection en temps réel

Par ailleurs, aucun moyen de détection d'alerte et de contrôle n'est opérationnel à l'heure actuelle, seuls des dispositifs militaires étant en cours de développement. Si l'attentat n'a pas été revendiqué, il est probable que seule une augmentation anormale du nombre de cas d'une maladie attirera l'attention des services de santé publique. Faire alors la preuve que les cas observés n'ont pas une origine naturelle, mais relèvent d'une agression bioterroriste, risque de s'avérer délicat. En 1984, il a fallu plus d'un an pour découvrir l'origine provoquée de l'intoxication alimentaire de 750 habitants de la petite ville de Dalles dans l'Oregon. Des adeptes de la secte Rajneesh avaient contaminé avec des salmonelles les « salad-bars » de la ville, afin d'agir sur les résultats des élections locales. Outre une quarantaine d'hospitalisations, cette affaire avait provoqué des réactions hystériques de la population, alors même que l'origine provoquée de cette contamination n'avait pas été confirmée. Le diagnostic lui-même peut être source de difficultés et retarder toute réaction adéquate. Les symptômes ne sont souvent pas spécifiques en début de maladie. Or, le traitement contre la peste ou le charbon doit être mis en œuvre dans des délais très courts pour être effica family: 'Arial'; font-size: 10pt; color: Black">1. L'acquisition des souches pathogènes ou toxines reste relativement aisée

L'accessibilité à des souches pathogènes semble relativement plus aisée qu'à des précurseurs d'agents chimiques de guerre, en raison de la variété de leurs origines possibles : sources naturelles, collections de culture (commerciales, de recherche ou de santé publique), produits issus de programmes biologiques étatiques offensifs ou défensifs. Certains agents pathogènes peuvent se trouver facilement dans la nature (cadavres d'animaux ou spores présentes dans le sol), dans des régions où se produisent des épidémies. C'est le cas notamment du charbon, responsable dans nos campagnes des « champs maudits », et qui reste endémique. Plusieurs dizaines de cas sont répertoriés en France presque chaque année (une quinzaine dans le Jura en juin 2003 par exemple). Responsable d'intoxications alimentaires (botulisme) en raison de la toxine qu'elle produit, Clostridium botulinum est également une bactérie qui se retrouve partout, notamment dans les conserves artisanales mal stérilisées et bombées, qui laissent échapper du gaz à leur ouverture. L'incidence mondiale de la peste a également augmenté dans les années 90 avec des cas de souches particulièrement résistantes à Madagascar. Autre exemple, en 1992, des membres de la secte Aum avaient tenté de se procurer des souches du virus Ebola lors d'une mission au Zaïre.

Le problème de ce type d'approvisionnement vient toutefois de la multiplicité des sous-espèces d'un même agent dont certaines souches sont extrêmement virulentes pour la cible choisie (homme, animal ou végétal) alors que d'autres le sont beaucoup moins. Plus de 600 variantes de Clostridium botulinum ont ainsi été identifiées, avec chacune des aptitudes à produire plus ou moins facilement de la toxine botulinique. Sélectionner à partir de l'environnement un agent très pathogène demande donc du temps et le test de plusieurs souches, sans résultat garanti. Une des raisons avancées pour expliquer l'échec des tentatives d'utilisation du bacille du charbon et de la toxine botulinique par la secte Aum est l'erreur faite lors du choix de la souche : la souche de Clostridium botulinum utilisée aurait très peu produit de toxine et celle de charbon aurait été en fait la souche vaccinale.

Autre mode d'accès aux souches d'agents pathogènes, les collections de culture sont conservées dans des hôpitaux, laboratoires, universités ou dans certains sites industriels. Ces souches servent notamment de référence pour le diagnostic des maladies et l'identification précise des agents qui en sont responsables. La toxine botulinique est par ailleurs de plus en plus utilisée comme composant de produit pharmaceutique. Il est aussi possible de se procurer des souches auprès d'organismes qui en font le commerce tel l'American Type Culture Collection (ATCC). S'il était très facile il y a quelques années de se procurer n'importe quel agent pathogène, le cas de Harry Larris a entraîné un renforcement de la législation aux Etats-Unis. Ce membre d'une organisation raciste avait essayé de se procurer des souches de peste auprès de cet organis 'Arial'; font-size: 10pt; color: Black">2. L'acquisition des capacités de production, de stabilisation et de purification : une difficulté variable selon les agents

Comme l'a montré notamment la polémique sur la découverte de camions suspectés d'abriter des laboratoires mobiles en Irak, la production d'agents biologiques ne demande pas d'installations très importantes. Contrairement aux armes chimiques ou nucléaires, une production artisanale à petite échelle est possible. Ce critère n'est pas anodin pour une organisation terroriste qui recherche avant tout la clandestinité.

Les équipements nécessaires à la production d'agents biologiques ne sont pas spécifiques. Un fermenteur utilisable pour la production de yaourts, d'antibiotiques ou de vaccins peut tout à fait convenir. Ce caractère dual rend d'autant plus difficile tout contrôle en la matière. L'acquisition de milieux de culture dans le commerce est aisée et il est également possible de fabriquer son propre milieu à partir de bouillon de poule ou de bœuf.

La facilité de production est variable selon les agents. Les virus sont plus difficiles à cultiver que les bactéries et survivent peu longtemps en dehors de l'organisme hôte. Leur stockage sous forme infectieuse nécessite une chaîne de froid stricte.

Les risques liés à la manipulation des agents font intervenir la notion de confinement. Le niveau 4 (sécurité maximum), qui n'est pas à la portée de tous les terroristes, pourrait notamment être requis pour la manipulation des virus très pathogènes tels que la variole. Toutefois, le travail à petite échelle permet de minimiser les risques. De plus, les Britanniques ont produit de grandes quantités de charbon durant la seconde guerre mondiale dans de simples laboratoires de classe 2, technologie aujourd'hui facilement accessible.

La formation universitaire de techniciens pour l'industrie pharmaceutique et les biotechnologies a crû de façon exponentielle et le nombre de personnes à même de produire des agents est considérable. Le rôle d'Internet en tant que vecteur de vulgarisation des connaissances doit être souligné.

3. La délicate maîtrise des multiples paramètres de dispersion, facteur limitant du risque bioterroriste

Une arme biologique n'est pas seulement constituée par un agent pathogène. Ce dernier doit être associé à un vecteur, c'est-à-dire à un moyen de dispersion. Condition essentielle de l'efficacité d'une arme biologique, ce vecteur doit permettre de préserver la virulence de l'agent pathogène au moment de la dispersion.

La destruction de certains agents biologiques par le choc thermique engendré par l'explosion d'une bombe est une des limites de ce mode de dissémination. Seuls 1 à 2 % des agents demeureraient viables, ce qui ne veut pas dire au demeurant qu'ils atteindraient leur cible.

L'épandage de type agricole est toujours possible, mais requiert pour être efficace des études sophistiquées sur la dynamique des aérosols (la vitesse de l'avion influe notamment sur la taille des aérosols). Les conditions climatiques lors de la dissémination des agents vont aussi influer sur leur viabilité et la répartition du nuage d'aérosol. Les terroristes doivent connaître ces facteurs, qui sont variables selon les agents, pour obtenir une arme efficace. Sans protection, la perte de virulence des bactéries dans l'environnement est de 10 % par minute alors que pour les virus elle avoisine les 30 %, ceux-ci étant très sensibles aux UV. Seules les spores de bactéries comme celles du charbon ont une durée de vie beaucoup plus longue. Le cas du Dark Harvest en 1981 est très intéressant à cet égard. Ce groupe terroriste avait prélevé des échantillons de terre dans l'île de Gruinard, qui avait été contaminée avec le bacille du charbon en 1941 dans le cadre du programme biologique offensif du Royaume-Uni. Le groupe déposa ces échantillons près du laboratoire militaire de Porton Down, en indiquant les raisons de son acte : si rien n'était fait, Gruinard serait inhabitable pour les deux à dix siècles à venir. Les échantillons examinés montrèrent effectivement la présence à haute concentration de bacille du charbon. L'île fut finalement décontaminée, le gouvernement britannique expliquant que la décision, déjà prise auparavant, ne devait rien à la publicité engendrée par l'acte terroriste.

La contamination de la chaîne alimentaire de manière artisanale est plus discrète, mais la cible reste plus limitée. Elle pose néanmoins des problèmes de traçabilité, en raison notamment de l'industrialisation de la préparation des aliments. Comme l'a indiqué le directeur général de la santé au rapporteur, il est déjà très difficile de retirer un colorant cancérigène du réseau de distribution alimentaire en temps normal, car celui-ci se retrouve dans toutes sortes de préparations culinaires et produits dérivés. De plus, chaque suspicion portant sur les aliments se traduit par une baisse très significative de la consommation avec des conséquences économiques considérables.

La contamination par voie cutanée peut être la source de l'infection pour le charbon, la tularémie ou la variole. Cette contamination peut se faire par l'intermédiaire d'un vecteur : poudre contenue ou non dans des enveloppes, pointe de parapluie enduite de ricine (assassinat de Georgi Markhov en 1978 par les services secrets bulgares). Ce vecteur n'est pas indispensable dans le cas d'une forte contagion inter-humaine (variole, fièvres hémorragiques).

Le dernier paramètre à prendre en compte pour une utilisation terroriste est la connaissance préalable du niveau immunitaire de la population cible. La variole représente un danger dans la mesure où cette maladie ayant été déclarée comme éradiquée de la surface de la planète par l'OMS (derni biologiques lié à leur sensibilité aux facteurs environnementaux et la difficulté de maîtriser dans la durée et l'espace les effets lors de leur diffusion qui ont restreint leur utilisation tactique sur les champs de bataille. Cependant, la probabilité d'emploi d'agents pathogènes ou de toxines, produits de façon plus artisanale et en quantité plus réduite par des groupes non étatiques est sans doute plus forte, compte tenu de la différence des finalités poursuivies : impact psychologique, panique et désorganisation majeure de la société.

L'expert américain David Franz constatait en 1998 que l'éventail des agents pouvant être employés par des terroristes était beaucoup plus large que pour un usage militaire. Mettant en rapport la probabilité d'occurrence d'événements terroristes et le nombre de victimes, il estimait que le terrorisme par des individus ou petits groupes développant des armes artisanales est le plus probable, mais que dans ces conditions le nombre de victimes serait peu important. Le degré d'occurrence de canulars serait encore supérieur. Les pourcentages de succès de « biocrimes » de personnalités semblent également plus élevés.

4. Les progrès des biotechnologies et du génie génétique, facteur aggravant à moyen ou long terme ?

Au début de 2001, dans un article du Journal of Virology, des scientifiques australiens indiquaient que l'insertion d'un gène dans le virus mousepox (provoquant chez les rongeurs une pathologie ressemblant fortement à la variole) avait de façon inattendue rendu ce virus mortel chez les souris, qui y étaient auparavant résistantes. Destinée à l'origine uniquement à rendre les souris stériles, l'expérience pourrait indiquer la voie à suivre pour produire des virus humains capables de contourner le système immunitaire. De même, en juillet 2002, un microbiologiste de l'université de New York décrivait dans Science la façon d'assembler un poliovirus à partir de simples produits chimiques vendus dans le commerce et de machines à synthétiser l'ADN. Les perspectives entrouvertes par le génie génétique sont illimitées et inquiétantes : le virus camelpox ne diffère de celui de la variole que de trois gènes. Mais s'il est aujourd'hui facile d'introduire un plasmide de résistance (aux antibiotiques) dans une souche du bacille du charbon, la modification génétique du virus de la variole est beaucoup plus difficile et nécessiterait une infrastructure lourde et coûteuse, difficilement accessible à des organisations terroristes. On entrerait dès lors dans une logique de terrorisme d'Etat. De plus, une autorégulation et un mécanisme de concurrence s'exercent dans le milieu naturel et il n'est pas certain que de tels organismes génétiquement modifiés ou hybrides survivent très longtemps une fois disséminés dans l'environnement.

C. L'ARME BIOLOGIQUE, ARME DE DÉSORGANISATION MASSIVE

1. Une menace av&e

Cette menace d'attentat, si elle s'inscrit dans la continuité de tentatives déjà explorées par des sectes à visée apocalyptique telle Aum, est liée à l'idéologie et aux buts poursuivis par la nouvelle génération de terroristes apparue dans les années 90. L'utilisation de moyens non conventionnels par des mouvements contestataires internes ou irrédentistes n'est pas envisageable, car elle implique une barrière psychologique difficilement franchissable. Le caractère aveuglément meurtrier de ce type d'attentat serait en contradiction avec leurs visées politiques et les décrédibiliserait par rapport à l'opinion publique. En revanche, sectes apocalyptiques et organisations terroristes relevant du fanatisme religieux partagent une idéologie fondée sur la destruction d'autrui ou le cas échéant l'éradication des « ennemis d'Allah ». Leur but n'est pas de négocier ou de rallier l'opinion publique à leur cause, mais d'anéantir les « impies » avec un effet létal maximum.

De nombreux rapports de services de renseignement indiquent qu'Oussama Ben Laden a effectué de multiples tentatives de fabrication de poisons, gaz, toxines, agents biologiques et substances radioactives. Al Qaïda disposait en Afghanistan de cinq camps de formation spécialisés dans le domaine chimique et biologique, dont celui de Derounta. Des notes sur des recherches d'informations sur l'acquisition de micro-organismes et équipements scientifiques témoignent de l'existence d'un programme d'arme biologique. Les interrogatoires de Khaled Sheikh Mohamed ont confirmé son existence, tout en révélant que son développement avait été freiné par des difficultés à se procurer la souche de l'anthrax. Toutefois, les spécialistes scientifiques de l'organisation n'ayant pas été arrêtés, ces recherches semblent s'être redéployées en Iraq du Nord, en Géorgie et Tchétchénie, conduisant à la formation du réseau Zarqawi, spécialisé dans les opérations terroristes non conventionnelles. Ainsi, les premiers renseignements recueillis font état d'un laboratoire de fabrication de poisons (cyanure, ricine) qui auraient été testés sur des animaux et qui auraient pu être contenus sous différentes formes (liquide, gaz, pommades pouvant enduire des poignées de portes...), dans le camp de Kurmal, situé dans le Kurdistan irakien et détruit par les bombardements américains.

Des arrestations ont étayé ces craintes. Le 5 janvier 2003, la police britannique a découvert dans un appartement londonien un laboratoire artisanal dans lequel des traces de ricine, de résine de nicotine et des graines de ricin ont été relevées, ainsi qu'un document sur la recette de fabrication de la ricine. De plus, l'organisation de Ben Laden s'était intéressée aux techniques d'épandage aérien agricole. En effet, Zacarias Moussaoui avait suivi des cours de pilotage et conduit des recherches sur les techniques d'épandage.

L'intérêt d'Al Qaïda porte essentiellement sur des substances chimiques et biologiques simples (charbon, toxine botulinique, ricine) fabriquées de façon artisanale, limitées en quantité et en qualit&eacut family: 'Arial'; font-size: 10pt; color: Black">2. Terrorisme et programmes biologiques étatiques : « l'équation de tous les dangers » ?

Le risque de voir des groupes terroristes armés par des « Etats-voyous » ne peut être exclu, même s'il ne peut selon toute vraisemblance concerner que des Etats considérablement affaiblis. La plus-value politique d'un tel soutien reste néanmoins très incertaine, alors que les risques de représailles très lourdes ne sont plus virtuels, comme l'ont montré les opérations en Afghanistan.

Il convient également de considérer l'acte isolé d'un chercheur ayant accès aux agents pathogènes mis en œuvre dans le cadre d'un programme étatique offensif, voire défensif (piste envisagée aux Etats-Unis pour l'envoi des plis piégés avec la souche d'anthrax Ames issue des laboratoires militaires américains). Si l'on en croit les Etats-Unis, au moins 13 Etats poursuivraient actuellement un programme d'armes biologiques, dont la Syrie, l'Iran, l'Iraq, la Corée du nord et la Libye. Aucun renseignement fiable n'a permis à ce jour de confirmer les thèses véhiculées par certaines analyses américaines sur les liens entre les programmes biologiques officieux d'« Etats-voyous » et des mouvements radicaux.

La désintégration du bloc soviétique a pu être l'occasion pour de nombreux chercheurs brutalement démobilisés de vendre leur savoir-faire ou des matières premières vers les « Etats-voyous », voire, avec la complicité de la mafia russe, vers des groupes terroristes tels que ceux de la nébuleuse salafiste. Le complexe Biopreparat, qui servait de couverture civile au programme militaire biologique de l'ex-URSS, employait plus de 40 000 personnes à la fin des années 80. Si l'on ajoute les installations qui dépendaient directement du ministère de la défense et du ministère de l'agriculture, ce chiffre atteint les 70 000 personnes. Or, le salaire actuel d'un biologiste russe ne dépasse pas la centaine de dollars par mois. En outre, la fin des financements consacrés aux programmes militaires biologiques et les difficultés économiques liées à la chute du régime soviétique n'ont pas permis de maintenir la sécurité de tous les sites détenant des souches de pathogènes dangereux, installations qui pour certaines sont de très grande dimension (le centre de Vektor comporte par exemple 6 étages sur 2 000 m2, le centre d'Obolensk 30 000 m2). L'état de délabrement de certains sites peut donc conduire à des détournements de matériels et d'agents biologiques. Aucun élément avéré ne vient cependant étayer ces hypothèses à l'heure actuelle.

3. Le défi majeur de l'agroterrorisme

La menace d'un terrorisme dirigé contre les plantes et les animaux est aggravée par la vulnérabilité des sites agricoles (abattoirs, élevages), d'accès aisé et non protégés, et par la facilité de se procurer des matières infectieus des résultats des analyses. Les services vétérinaires disposent déjà d'une planification aux niveaux national et local avec des fiches réflexes, leur permettant d'agir en cas de signalement d'un cas suspect par un agriculteur. Assurant un maillage du territoire, ils fonctionnent par systèmes d'astreinte et sont rapidement mobilisables. Il est donc possible de contenir par des mesures extrêmement lourdes (abattage du troupeau) une épizootie qui répond à une évolution naturelle ; il n'est cependant pas certain qu'il en serait de même lors d'une épidémie provoquée, déplacée et alimentée par des foyers multiples choisis par les terroristes.

Même si aucun exemple de terrorisme sur les plantes n'est connu, il convient de rappeler que les Etats-Unis et l'URSS dans les années 50, et plus récemment l'Iraq, avaient développé des agents biologiques contre les cultures vivrières (rouille du riz et du blé). Là encore, l'appauvrissement actuel des races de céréales plantées les rend plus vulnérables à des actions ciblées.

II.  - LA MISE EN œUVRE PROGRESSIVE D'UNE RÉPONSE NÉCESSAIREMENT MULTIFORME

A. LA PRÉVENTION

1. L'impasse diplomatique du désarmement sans vérification : la politique de non-prolifération est-elle encore un préalable à la lutte contre le bioterrorisme ?

Les traités de désarmement ne lient pas les organisations terroristes, mais, comme il a déjà été indiqué, une partie de la menace bioterroriste pourrait venir de produits liés à des programmes étatiques offensifs. On peut donc penser qu'une convention d'interdiction des armes biologiques peut avoir un impact indirect en rendant le terrorisme biologique plus complexe, donc moins attractif. Après la première guerre mondiale, le protocole de Genève, dont la France est dépositaire, a prohibé dès 1925 l'emploi des armes biologiques en cas de conflit armé. Il n'a cependant pas permis d'éviter l'atrocité des expérimentations faites sur 3 000 prisonniers chinois par l'unité 731 des forces japonaises au cours de l'occupation de la Mandchourie entre 1932 et la fin de la seconde guerre mondiale.

Ce protocole a été complété par la convention du 10 avril 1972 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes biologiques ou à toxines et sur leur destruction. Cette convention, entrée en vigueur en 1975, interdit l'acquisition, la production et le stockage des agents biologiques et toxines « de nature et en quantité telles qu'elles n'ont pas de justification prophylactique, protectrice ou pacifique » ou encore d'armes, d'équipements ou de vecteurs propres à permettre une utilisation hostile ou militaire de ces agents et toxines. De plus, il est interdit à tout Etat de favoriser le développement de ces produits.

Ce constitué entre 1972 et 1990 l'arsenal d'armes biologiques le plus important jamais réalisé, sans jamais être inquiétée malgré l'incident de Sverdlovsk en 1979 (fuite de spores de charbon d'un laboratoire ayant entraîné une centaine de morts). Seules les défections de Vladimir Pasechnik, puis de Ken Alibek en 1992 ont permis de mettre à jour l'étendue du programme biologique soviétique.

C'est en raison de ces faiblesses liées à l'absence d'un régime de vérification que la France avait à juste titre tardé à ratifier ce texte (loi n° 84-547 du 4 juillet 1984), tout en reprenant les principes posés par la convention dans la loi n° 72-467 du 9 juin 1972 interdisant la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l'acquisition et la cession d'armes biologiques ou à base de toxines.

Conscients des limites de la convention, les Etats parties ont tenté de mettre à profit les conférences d'examen quinquennales pour en améliorer le fonctionnement. En 1986 et 1991, les négociations aboutirent à l'adoption de mesures de confiance, destinées à accroître la transparence sur les activités biologiques, sans toutefois les rendre obligatoires. Le bilan décevant de ces mesures facultatives ne se fit pas attendre : seuls 13 Etats avaient fait ces déclarations en 1987, 36 en 1990. De 1987 à 1997, 50 % des Etats parties avaient fourni des données et seulement 9 % d'entre eux l'avaient fait de façon systématique. Un comité d'experts techniques et scientifiques, le groupe VEREX, fut chargé de 1991 à 1994 d'évaluer les mesures de vérification qu'il était possible de mettre en œuvre (déclarations obligatoires de programmes et d'installations, visites de ces installations, possibilités de demandes de clarification) et, à l'issue de ses conclusions, un groupe ad hoc prépara un projet de protocole juridiquement contraignant.

Les négociations d'un protocole de vérification additionnel à la convention de 1972 ont finalement abouti à un échec en novembre 2001, sous la pression des Etats-Unis. Les difficultés de la négociation s'expliquent par plusieurs facteurs mettant en cause la faisabilité même d'un régime de surveillance dans le domaine biologique :

- le souci des Etats-Unis de réduire l'impact du futur protocole sur l'industrie biotechnologique et leur infrastructure de biodéfense (conséquences en terme de vulnérabilité, caractère flou de la frontière entre programmes défensif et offensif). Le secteur des biotechnologies, soumis à une concurrence très rude, redoute de se voir soumis à des inspections, qui mettraient à mal le secret industriel (problème de propriété intellectuelle) ;

- un protocole qui ne serait appliqué qu'aux pays possédant une recherche et une industrie biotechnologique développée s'apparente à de l'autoflagellation. De plus, l'absence de signature de la convention par Israël et ses conséquences sur l'attitude des pays arabes posent le problème de l'universalité de cette norme. Contrairement au TNP, devenu q style="font-family: 'Arial'; font-size: 10pt">- les pays non-alignés se sont appuyés sur l'article X de la convention pour réclamer la libre circulation des matières et savoir-faire en biotechnologie.

La cinquième conférence des Etats parties s'est conclue le 14 novembre 2002 par un résultat a minima. Celui-ci préserve l'acceptation d'un nouveau processus multilatéral de suivi, en dépit de l'échec du protocole de vérification. Pour parvenir à l'accord des Etats-Unis, les Etats parties se sont limités à l'examen de cinq mesures :

- adoption de mesures nationales pour mettre en œuvre les interdictions édictées par la convention, y compris la promulgation de lois pénales ;

- adoption de mécanismes nationaux pour sécuriser les micro-organismes pathogènes et les toxines ;

- renforcement des moyens internationaux pour faire face aux effets des cas d'emploi allégué d'armes biologiques ;

- renforcement des efforts nationaux et internationaux de surveillance, de détection et de diagnostic des maladies infectieuses ;

- adoption de codes de conduite à l'intention des scientifiques.

Plus que le contenu de ces mesures, qui sont pour la plupart déjà en vigueur ou en passe de l'être dans les pays occidentaux, l'essentiel a été la poursuite d'un processus multilatéral sous la forme d'un cycle de trois réunions annuelles des Etats parties, d'une semaine chacune, d'ici la sixième conférence d'examen en 2006. Il ne faut pas s'y méprendre, une page du contrôle des armements a été tournée. On est passé d'une logique de désarmement multilatéral à une volonté de coordination entre Etats animés de bonnes intentions. La norme d'interdiction des armes biologiques est rendue inopérante, au moment où le monde s'accorde pour estimer que la menace issue d'Etats proliférants ou de groupes terroristes n'a jamais été aussi forte.

2. Contrôle des exportations et réglementation des biens à double usage : un instrument indispensable en mal d'universalité

a) Régime international de fournisseurs et réglementation européenne

À défaut d'une norme internationale réellement efficace et contraignante, des règles de contrôle des exportations de produits biologiques ou chimiques militarisables ont été fixées sur une base volontaire par des pays fournisseurs au sein du groupe Australie. La création de cette instance informelle est intervenue après la révélation en 1984, par la commission spéciale d'enquête des Nations Unies, du fait que l'Iraq avait acquis auprès des pays occidentaux des produits nécessaires à de la refuser sur la base de la clause dite attrape-tout (catch all). Le groupe Australie a adopté lors de sa séance plénière de juin 2002 des lignes directrices (guidelines) devant régir la délivrance des licences pour les produits chimiques et biologiques sensibles, à l'instar des directives du Missile Technology Control Regime (MTCR) dans le domaine des missiles. Il a également décidé à cette occasion d'exercer un contrôle plus sévère sur les fermenteurs, diminuant la limite de volume de 100 à 20 litres, afin de s'adapter aux nouveaux défis posés par le bioterrorisme.

Le groupe Australie, bien qu'il soit utile à la lutte contre la prolifération biologique, est fortement décrié par les Etats non alignés, qui le jugent discriminatoire et de nature à entraver les transferts de technologie nécessaires à leur développement.

Les décisions du groupe Australie, bien qu'elles émanent d'une instance informelle, créent du droit. En effet, si la France n'a pas, à l'instar de certains pays européens, une législation ou une réglementation de transcription des décisions du groupe, les aménagements de ses listes de contrôle sont repris par l'article 11 du règlement européen L159 1 334 du 30 juin 2000, directement applicable.

Ce règlement européen, modifié par le règlement 2432/2001 du 20 novembre 2001, établit la liste d'un certain nombre de biens pour lesquels toute exportation en dehors de la communauté européenne doit faire l'objet d'une demande de licence d'exportation, soumise à une consultation interministérielle. Un certificat d'usage final et une clause de non-réexportation constituent des assurances élémentaires de ce type de procédure dont le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie est le principal acteur.

b) Une réglementation nationale récente sur la détention et les transferts internes de souches

Au niveau national, l'arrêté du 22 septembre 2001 (J.O. du 26 septembre 2001 - page 15201) a instauré une traçabilité jusqu'alors inexistante dans le domaine biologique, en réglementant la mise en œuvre, l'importation, l'exportation, la détention, la cession à titre gratuit ou onéreux, l'acquisition et le transport de certains agents pathogènes et toxines. Cette réglementation prend la forme d'un système d'autorisations délivrées par l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), d'inscriptions sur un registre spécial et d'états annuels récapitulatifs, analogue à celui existant pour les stupéfiants. Les agents recensés de la menace bioterroriste ont été classés dans la liste I des substances vénéneuses par un arrêté du même jour. Ce renvoi au régime des stupéfiants doit permettre en outre la criminalisation de l'utilisation frauduleuse de ces agents pathogènes. Le bien-fondé de l'adoption de cette réglementation au niveau international a été mis en avant par le secrétariat gén&eac demandes émanant de l'industrie. Cependant, les effets pervers de cette réglementation ont été soulignés par les scientifiques rencontrés par le rapporteur, qui déplorent le rallongement des délais pour l'obtention des souches ainsi que le coût lié à la sécurisation de leur transport. Rebutés par une procédure lourde et complexe, de petits laboratoires n'enverraient même plus leurs souches au centre national de référence (CNR) compétent pour leur caractérisation. Or, l'activité des CNR, qui jouent un rôle majeur dans le diagnostic et l'identification des souches par micro-organisme, repose exclusivement sur ces envois. Un système aménagé pour les CNR, sur la base d'un régime déclaratif, permettrait de s'adapter au mieux aux besoins des utilisateurs. Il pourrait s'intégrer à la révision du dispositif actuellement en cours.

Le directeur général de l'AFSSAPS a néanmoins indiqué que le délai moyen de délivrance des autorisations était de huit jours et qu'il n'avait donc rien de comparable aux délais imposés par la réglementation européenne des biens à double usage, de l'ordre de 6 à 7 mois.

3. Le cas russe

La reconversion des scientifiques russes impliqués dans les programmes soviétiques d'armes de destruction massive est traitée dans le cadre du Centre international de science et de technologie (ISTC) de Moscou, créé en novembre 1992 par un accord signé par la Russie, le Japon, les Etats-Unis et la Commission européenne. Ce centre a pour objectif de donner aux scientifiques issus de l'ex-URSS la possibilité de mener des programmes de recherche à des fins pacifiques par un système de bourses. Entre 1994 et 2000, 2 200 anciens membres du programme biologique soviétique, dont 745 qui se trouvaient au cœur du système, ont reçu des fonds internationaux et 30 des 50 instituts civils ont été concernés.

Sur la base d'informations de l'ISTC, un rapport du General Accouting Office d'avril 2000 estime à 15 000 le nombre de scientifiques sous-payés susceptibles de présenter un risque de prolifération : 5 000 personnes représentent un risque direct dans le domaine biologique tandis que 10 000 autres possèdent des aptitudes pour adapter un agent biologique à un vecteur militaire.

Le sommet de Kananaskis du G8 en juin 2002 a donné un nouvel élan à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs en instaurant un partenariat mondial. 20 milliards devront être dégagés sur dix ans pour appuyer des projets de coopération à cet effet, dont la Russie devrait être le premier bénéficiaire.

Les mesures prises dans un cadre international pour apporter des financements aux entreprises de l'ancien complexe Biopreparat et développer des programmes en coopération présentent de multiples intérêts :

- p bioterrorisme. Un certain nombre d'agents de la menace bioterroriste (charbon, variole, botulisme, peste) étant commun aux agents de guerre biologique, l'acquis des recherches menées et l'accès aux pathogènes développés permettront la mise au point de moyens prophylactiques et thérapeutiques en conséquence. En particulier, ces actions offrent la possibilité de faire réaliser des expérimentations sur des souches de la variole (pour la mise au point d'un vaccin de troisième génération notamment) que la France et les autres pays européens ne sont pas autorisés à détenir.

L'intérêt de ces travaux est parfois sous-estimé dans notre pays et il fait l'objet d'une prise de conscience récente. Les Américains ont su mobiliser très tôt quelques-unes des meilleures équipes russes sur ces thématiques et tirer largement parti de leur savoir-faire. À titre d'exemple, ils collaborent déjà depuis une dizaine d'années avec le centre Vektor. 18 millions de dollars ont ainsi été dépensés depuis huit ans en sécurisation des laboratoires (système de vidéosurveillance) et projets de recherche communs. Les Etats-Unis ont souhaité pour les années 2000 à 2004 multiplier par dix leur engagement financier dans ce domaine en général. Ils viennent d'ailleurs d'annoncer le 15 septembre 2003 la signature d'un contrat de 1,7 million de dollars en vue de soutenir la coopération entre le Center for Integration of Medecine and Innovative Technology de Boston et l'ISTC de Moscou. Cette annonce intervient dans le cadre de la « Bio-Industry Initiative », lancée par George Bush et Vladimir Poutine en 2001 en vue de contrer la menace bioterroriste par des partenariats américano-russes de recherche. Si l'Europe ne se mobilise pas assez rapidement, son effort pourrait se trouver cantonné à une simple assistance à des équipes peu créatives.

Dans le cadre du partenariat mondial G8, la France a proposé à la Fédération de Russie un programme pluriannuel de biosécurité. Il s'agit du premier développement de relations bilatérales dans le domaine biologique entre la France et la Russie. Une première mission française a eu lieu du 13 au 17 avril 2003 à Novossibirsk pour identifier les besoins en la matière et procéder ensuite à une étude de faisabilité des différents projets. Les informations recueillies doivent être évaluées et validées dans le cadre du groupe présidé par le professeur Dormont, qui a été chargé par l'AFSSAPS de la définition des nouveaux axes de recherche et développement relatifs aux thérapeutiques contre les agents du bioterrorisme. Le montant des financements nationaux nécessaires devra être accru afin de mener à terme ces actions de longue durée.

D'une façon générale, au vu de l'ampleur de la tâche, ces actions, certes positives, ne seront pas suffisantes. Étant donné la réalité matérielle des installations et leur étendue, des choix devront nécessairement être faits. Tout ne pourra pas être réhabilité et la bonne réussite de ces projets dépendra de la volonté de la partie russe d'œuvrer en toute transparence dans l' établissements recevant du public (réseaux souterrains par exemple). Le premier objectif de ces groupes de travail, auxquels sont associés les opérateurs privés, est de sensibiliser les exploitants aux risques liés au bioterrorisme et de leur permettre d'appréhender leurs vulnérabilités. Dans un second temps, il s'agira d'élaborer des recommandations, voire des règles, en concertation avec ces professionnels.

Si la sécurisation des laboratoires de haute sécurité de type P3 ou P4 est dorénavant renforcée, la sécurité des autres établissements ou des laboratoires universitaires ne semble pas assurée. La menace d'ingérence ou d'intrusion étrangère (acquisition de connaissances et transferts de souches) n'est pas toujours suffisamment prise en compte. Les difficultés de collecte du renseignement dans la lutte contre la menace bioterroriste sont encore plus prégnantes pour les transferts de savoir-faire, très peu détectables, que pour les transferts de matériels ou d'agents biologiques. La bonne réussite de cette tâche est conditionnée à la collaboration de la communauté scientifique, qui, contrairement à la communauté nucléaire, n'a pas toujours conscience des implications de ses travaux en matière de prolifération.

Dans les faits, le contrôle des stagiaires s'avère délicat. La direction de la surveillance du territoire (DST) n'est finalement informée de la présence de stagiaires étrangers qu'a posteriori, les dossiers n'étant pas souvent remplis. Les moyens humains et financiers affectés au suivi animé par le SGDN et le réseau des hauts fonctionnaires de défense (à travers les fonctionnaires de sécurité et de défense affectés dans les établissements publics) restent insuffisants. Par ailleurs, l'accès à l'information scientifique et au savoir-faire est libre. Les thèses des bibliothèques du CNRS à Nancy sont par exemple en consultation directe.

Si certains scientifiques se sont montrés sensibles à la lutte contre le bioterrorisme, cela ne signifie pas pour autant que la majorité d'entre eux soit prête à accepter des mesures de précaution susceptibles d'entraver leurs pratiques, fondées sur des échanges de souches et une forte coopération internationale. La sensibilisation des acteurs doit être renforcée dans les prochaines années notamment au travers des colloques et congrès, mais aussi d'instructions interministérielles. Les conférences dispensées par la DST doivent être poursuivies. Cette sensibilisation pourrait également s'accompagner d'un rappel des interdictions posées par la convention d'interdiction des armes biologiques au cours du cursus universitaire.

Une polémique s'est fait jour aux Etats-Unis sur la liberté de publication des travaux scientifiques. Si l'article sur le virus mousepox déjà cité a été qualifié d'énorme erreur, huit membres républicains du Congrès critiquèrent celui sur le poliovirus comme étant « un document pouvant éventuellement permettre à des terroristes de produire à peu de frais des pathogènes humains » et appelèrent les éditeurs de travaux était déjà soumise au système du « pairs review » (relecture par les pairs).

5. La protection des réseaux d'eau

Face au risque de contamination des réseaux d'eau (par la toxine botulinique notamment), des dispositions spécifiques ont été prises. La circulaire n° 2001/87 de la direction générale de la santé du 11 octobre 2001 relative au renforcement des mesures de protection des installations de production et de distribution d'eau destinée à la consommation humaine prévoit plusieurs types de mesures s'inscrivant dans le cadre du plan Vigipirate renforcé (niveau d'alerte orange) :

- renforcement de la sécurité des sites et de la protection physique des réseaux de distribution d'eau : surveillance anti-intrusion, alarmes ;

- renforcement de la sécurité dans les entreprises d'embouteillage d'eau ;

- demande d'actualisation des plans de secours spécialisés « eau potable » pour tenir compte des contaminations chimique et biologique d'origine délibérée ;

- mise en place de tests de détection de la toxine botulinique ;

- renforcement préventif de la stérilisation des réseaux d'eau sous la forme d'une augmentation de la chloration : 0,3 mg/l en sortie de réservoirs et 0,1 mg/l en tout point du réseau. Le goût de l'eau a donc changé avec la prise en compte de la menace bioterroriste.

Les avis des personnes auditionnées sont néanmoins restés divergents sur l'efficacité des mesures de surchloration des réseaux d'eau. Le directeur général de la santé lui-même a ainsi indiqué qu'une chloration de l'eau à 0,3 mg par litre lui semblait nécessaire pour pouvoir détruire complètement la toxine botulinique. Or, actuellement, cette quantité ne dépasse pas 0,1 mg par litre à la sortie du robinet et 60 % du territoire hexagonal seulement serait couvert, certains endroits étant difficiles d'accès et tous les exploitants ne disposant pas de matériel automatique de chloration (la chloration manuelle est assez difficile à réaliser). Néanmoins, la toxicité serait atténuée et la chute brutale du taux de chlore (liée à sa consommation) à un endroit donné constitue un indicateur d'alerte. Tout dépendra du point d'injonction de la toxine. Les agressions de type biologique des réseaux d'eau potable peuvent être exécutées à différents endroits de la chaîne de l'eau, y compris à partir de branchements particuliers : la ressource (source superficielle, nappe souterraine), le traitement, l'adduction, le stockage (réservoirs et château d'eau), la distribution, l'installation de l'abonné. L'efficacité sera cependant maximale lorsque l'injection sera pratiquée entre le point de stérilisation et le consommateur d'eau potable. Les opérateurs privés ont été associés à ces travaux qui portent notamment sur les méthodes de recherche des vulnérabilités, la gestion des crises touchant l'eau potable, la surveillance de la qualité de l'eau, l'organisation des laboratoires et la recherche. La gestion des perturbations importantes ou significatives sur les réseaux publics de distribution d'eau devrait faire l'objet d'une circulaire d'ici la fin de l'année. Il serait souhaitable qu'à cette occasion, puissent être clarifiées dans les contrats d'affermage ou de délégation de service public de l'eau potable les responsabilités entre l'opérateur, le maire et le préfet en matière de gestion de crise et les obligations de moyens imposées à l'opérateur pour faire face à une défaillance (personnels, matériels, information du public). Aucune disposition ne prévoit actuellement les modalités d'une mise à disposition dans le cadre d'une mutualisation au niveau zonal des moyens d'intervention et de secours pour l'eau potable, qui pour l'essentiel appartiennent aux grands opérateurs privés. Au niveau départemental, les services opérationnels (préfecture, services départementaux d'incendie et de secours, services de police et de gendarmerie) doivent pouvoir instantanément identifier le réseau d'eau concerné par une agression, les populations concernées, et disposer de la liste d'astreinte des gestionnaires de réseaux sur une base partagée.

Les réseaux d'eau relèvent en effet d'un service public vital pour la Nation, mais dont l'Etat n'est pas le principal opérateur. Cet éclatement entre de multiples acteurs, qui fait la particularité de ce service public, n'est pas sans conséquence. Un programme de sensibilisation devra être mis en place pour convaincre les responsables des 30 000 réseaux d'eau publics d'accepter les efforts budgétaires nécessaires. La mise en place des mesures demandées par la circulaire d'octobre 2001 a révélé que certaines collectivités étaient réticentes à investir dans la sécurisation de l'eau potable, les pires difficultés étant rencontrées dans certaines petites régies municipales. Ces mesures ont été chiffrées à environ 80 millions d'euros pour les seuls réseaux d'eau de la zone de défense Est, soit 10 euros en moyenne par habitant (dont 50 % pour la mise en sécurité des sites et 35 % pour l'augmentation de la chloration). Si aucune mesure spécifique d'accompagnement des maîtres d'ouvrage (maires, présidents de syndicats) n'était prévue, certaines agences de l'eau, telles l'agence Rhin-Meuse en zone de défense Est, ont néanmoins accepté de verser à titre exceptionnel des subventions pour les travaux de mise en conformité vis-à-vis de la circulaire. À l'heure actuelle, tous les réseaux d'eau potable ne sont pas encore sécurisés, ni même conformes aux exigences de la circulaire d'octobre 2001. Le groupe de travail du SGDN aboutit à un programme souhaitable avoisinant les 2 milliards d'euros, dont il suggère de répercuter le coût sur la facture d'eau dans la limite d'une augmentation de 2 à 3 % du prix de l'eau. Cette contrainte va obliger à étaler sur plusieurs dizaines d'années la mise en œuvre de mesures pourtant jugées indispensables.

6. Le réseau de surveillance épidémiologique, clé de voûte du dispositif

Contrairement aux risques chimiques, nucléaires et pyrotechniques, la réponse au bioterrorisme ne se limite pas à l'organisation de la sécurité et des secours. En effet, le risque biologique pose le problème fondamental du diagnostic, qui non seulement s'avérera délicat (premiers signes cliniques non spécifiques), mais se décomposera en deux étapes : identification de l'agent, imputation à une action criminelle. En l'absence de moyens de détection, il faut pouvoir reconnaître le plus vite possible les cas suspects, grâce à un niveau de connaissance suffisant, et activer un réseau d'information performant permettant de prendre les mesures qui s'imposent. A fortiori lorsqu'il s'agit d'agents pathogènes extrêmement contagieux pour lesquels une stratégie doit être mise en place pour isoler les patients suspects.

Aux Etats-Unis, le Center for Disease Control d'Atlanta a été mis en place dès les années 50 en raison de la menace d'une attaque biologique soviétique. Il a établi notamment un recensement et une classification des agents de la menace selon le tableau ci-dessous. La catégorie A comprend les micro-organismes les plus dangereux, car ils peuvent être disséminés facilement ou transmis entre patients ; ils sont associés à un taux de mortalité élevé et sont susceptibles d'aboutir à des réactions de panique. La catégorie B inclut des micro-organismes plus difficiles à disséminer qui provoquent des maladies moins graves ou qui demandent des conditions de culture plus complexes. Ils nécessitent cependant une surveillance spécifique. Enfin, la catégorie C renvoie aux maladies émergentes et aux micro-organismes génétiquement modifiés.

Liste CDC des principaux agents du bioterrorisme

Classe A

Variola major (variole)

Bacillus anthracis (charbon)

Clostridium botulinum toxin (toxine botulinique)

Yersinia pestis (peste)

Virus des fièvres hémorragiques Marburg-Lassa-Ebola

Francisella tularensis (tularémie)

Classe B

Brucella species (brucellose)

Burkholderia mallei et B. Pseudomallei (morve)

Chlamydia psittacii

Clostridium perfringens toxin

Salmonella, shigella, Escherichia Coli

Coxiella burnetii (fièvre Q)

Ricine

Richettsia prowazekii (typhus) et R. rickettsii

Encéphalites virales

Menaces pour la sécurité de l'eau (par exemple l'agent du choléra)

Classe C

Maladies infectieuses émergentes (par exemple, Hantavirus)

En France, la surveillance épidémiologique correspond à une préoccupation plus récente, remontant aux années 1990. La surveillance de l'état sanitaire de la population relève de l'institut national de veille sanitaire (INVS), chargé de détecter la menace en coordonnant l'ensemble des données sur les maladies infectieuses, de donner l'alerte, de procéder aux enquêtes nécessaires et de donner les recommandations adéquates à la direction générale de la santé. Cette surveillance s'exerce d'abord par le système de déclaration obligatoire et immédiate de toute maladie pouvant nécessiter une intervention sanitaire à l'échelon national ou local.

La liste des maladies à déclaration obligatoire figurant dans le décret n° 99-363 du 6 mai 1999 a ainsi été complétée par des infections causées par les agents pathogènes ou toxines susceptibles d'être utilisés dans le cas d'un acte terroriste : botulisme, fièvres hémorragiques, peste, brucellose et surtout charbon. Tout médecin ou responsable de service de biologie ou de laboratoire d'analyses de biologie médicale, public ou privé, est tenu de signaler sans délai un cas avéré ou suspecté d'une maladie énumérée à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Dans un second temps, la DDASS transmet une fiche de notification à l'institut de veille sanitaire aux fins d'analyse épidémiologique.

De plus, la surveillance épidémiologique ne se limite pas à cette liste. Cette procédure de signalement obligatoire et sans délai s'applique également aux syndromes infectieux ou toxique aigu associé à des phénomènes inhabituels : symptômes inhabituels, origine difficilement explicable, survenue groupée de maladies non répertoriées, mais liées à des agents infectieux ou toxiques peu fréquents, en particulier lorsqu'elles surviendraient dans des conditions inhabituelles d'exposition (tularémie dans une population n'ayant pas consommé de viande de rongeurs par exemple). Néanmoins, si la détection de phénomènes anormaux est un élément essentiel de la surveillance (elle a permis par exemple de repérer aux Etats-Unis l'émergence d'une épidémie du virus West Nile), il serait souhaitable de généraliser la déclaration obligatoire à tous les agents du bioterrorisme recensés.

L'INVS est actuellement en train de développer ses équipes locales à travers les cellules interrégionales d'épidémiologie (CIRE). Dans le cadre des moyens affectés au plan Biotox, l'INVS a bénéficié de 26 nouveaux postes, qui permettront notamment de renforcer l'accueil en région et de former de nouveaux épidémiologistes de terrain. Au niveau national, l'INVS est actuellement en train de développer, en collaboration avec le CNRS, un logiciel de modélisation d'une épidémie de type variole. La veille sanitaire doit é géographiquement. En effet, la souche identifiée était commune et provenait d'un même stock de saucisse à tartiner. Le rôle des CNR est donc primordial dans l'organisation du diagnostic et l'identification des souches utilisées, ainsi que dans l'évaluation à la sensibilité aux antibiotiques de micro-organismes dont l'étude ne peut être réalisée par les laboratoires hospitaliers. Il importe de créer des CNR pour chaque risque identifié. À cet égard, des centres consacrés spécifiquement à la tularémie, la brucellose et la toxine du ricin (classées comme agents A et B du bioterrorisme par le CDC d'Atlanta) devraient être créés.

En cas d'alerte sanitaire, la direction générale de la santé a mis en place une liste de diffusion à destination des professionnels de santé, afin de pouvoir les avertir en temps réel par message électronique et de les mobiliser. Il s'agit du service DGS-urgent. Cependant, il est peu probable que l'ensemble des médecins généralistes soit sensibilisé par ce biais, car, outre la nécessité de disposer d'une adresse électronique, il appartient aux médecins de faire la démarche de s'inscrire préalablement. Moins de 15 000 médecins l'ont accomplie actuellement. Ce rapport d'information contribuera peut-être à faire connaître plus largement ce système.

7. La formation des professionnels de santé, préalable à la veille sanitaire et à la gestion de crise

L'efficacité de la surveillance épidémiologique dépendra de la bonne formation des professionnels de santé. En l'absence de détection, le premier diagnostic sera assuré par un médecin généraliste, qui risque fort d'assimiler un cas de variole à une varicelle grave, en l'absence de sensibilisation. La formation des cliniciens est également fondamentale, car une personne contaminée risque de se présenter finalement au service des urgences d'un hôpital, le premier diagnostic du médecin généraliste n'étant pas le bon.

Outre la formation des agents recrutés sur des missions Biotox (ingénieurs d'études sanitaires et médecins inspecteurs de santé publique) dans les services déconcentrés, le ministère de la santé a prévu d'intégrer dès la rentrée 2003/2004 un module bioterrorisme pour les médecins inspecteurs et les professionnels de santé publique formés à l'école nationale de la santé publique. Il est envisagé d'inscrire prochainement un tel module dans le cursus des études médicales et le programme des instituts de formation aux soins infirmiers. Une réflexion sur une formation post-universitaire se met en outre en place en Rhône-Alpes, à Nancy et à Bordeaux.

En revanche, des fiches et protocoles thérapeutiques diffusés sur le site Internet du ministère de la Santé et de l'AFSSAPS ont seuls été prévus à destination de l'ensemble des professionnels de santé libéraux en activité. Aucun contact n'a été pris avec les conseils d&e cinq jours, qui s'adresse, outre des personnels militaires, à une vingtaine de médecins civils, urgentistes le plus souvent, mais également à des responsables de la sécurité publique (sapeurs-pompiers). Un rythme de trois formations par an est prévu. En raison du public nécessairement restreint de ce programme, la priorité est donnée à la formation de formateurs capables de transmettre une information simple et pratique.

Sur ce modèle, l'INVS met actuellement en place un module de formation au plan Biotox à destination des personnels des CIRE et de tous les professionnels de santé volontaires. Dans le cadre du plan variole, une formation de formateurs à la vaccination a été réalisée en mars 2003, en vue d'être déclinée au niveau des zones.

Enfin, un plan de formation à destination des cliniciens se met progressivement en place en plusieurs étapes. Au niveau national, 42 personnes ont déjà reçu une formation de deux jours, qu'elles devront répercuter auprès d'une quarantaine de personnes au niveau de chacune des zones de défense. Cette étape, qui vient de débuter à Rennes, devrait s'étaler sur sept mois. Puis, ce plan de formation sera décliné au niveau des établissements de santé, publics et privés. Les établissements de référence, qui auront bénéficié en premier de cette formation, serviront aussi de relais au niveau de chaque zone.

B. PLANIFICATION ET INTERVENTION

1. Une planification complexe

a) Le plan Biotox

Aboutissement d'un travail interministériel engagé depuis 1999, le plan Biotox définit les responsabilités de chaque ministère concerné en cas d'acte de terrorisme de nature biologique. Adopté le 26 septembre 2001, il s'agit du dernier né du triptyque des plans gouvernementaux « Pirate » décrivant les conduites à tenir en cas d'acte terroriste non conventionnel. La spécificité du risque biologique n'était en effet pas prise en compte jusqu'à l'automne 2001, cette menace étant alors traitée de façon globale avec le risque chimique dans le cadre du plan Piratox. Le plan d'intervention Biotox prévoit différents types de scénarios (attentat revendiqué ou menace précise, objet suspect ou enveloppe susceptibles de contenir un agent biologique, découverte d'une souche de nature biologique dans un endroit anormal, cas de malade avéré) et peut être déclenché en totalité ou en partie indépendamment du niveau d'alerte du plan Vigipirate. En l'absence de revendication, l'apparition de cas cliniques sera gérée comme une épidémie sous l'égide du ministère de la santé. Cependant, si des mesures renforcées d'ordre public s'avéraient nécessaires, le ministère de l'intérieur assumerait un rôle central. Ce plan gouvernemental est ensuite précisé par des plans ministériels, puis décliné aux niveaux z même certaines zones de défense n'ont pas encore décliné le plan Biotox à leur niveau. Les retards pris sont le plus souvent imputables à la charge de travail importante des services concernés des préfectures et des services déconcentrés, ces travaux de planification ayant été engagés dans la plupart des cas à personnel constant. À ce titre, le ministère de la santé a néanmoins obtenu en loi de finances pour 2002 la création de 76 postes en services déconcentrés répartis de la façon suivante : 10 postes de contractuels en zones de défense (contrats de trois ans renouvelables), 30 postes de médecins inspecteurs de santé publique, 36 postes d'ingénieurs d'études sanitaires. Ces retards tiennent vraisemblablement aussi aux spécificités du risque biologique par rapport aux risques traditionnellement pris en compte dans la planification de défense et de sécurité.

Le dispositif sanitaire d'intervention est organisé de manière géographique, des hôpitaux de référence et laboratoires ayant été désignés pour chacune des zones de défense. Ces hôpitaux accueilleront notamment des unités de décontamination et les SAMU qui leur sont rattachés ont été invités à compléter le cas échéant leurs protocoles d'intervention. Un accroissement des équipements et du matériel de première urgence est prévu afin de renforcer les capacités d'intervention en réanimation. 2 100 respirateurs ont ainsi été commandés à cette occasion, mais le recrutement de médecins réanimateurs reste problématique. De plus, la circulaire du ministère de la santé DHOS/HFD n° 2002/284 du 3 mai 2002 traite de l'organisation du système hospitalier en cas d'afflux de victimes. Elle prévoit l'adaptation des plans blancs des établissements de santé aux risques NRBC, par l'ajout d'annexes spécifiques, déclinées par pathologie (agents contagieux ou non). La procédure d'alerte ainsi définie doit permettre aux établissements de connaître les mesures de protection à prendre pour le personnel, le matériel et les locaux et les protocoles à suivre, de définir leur rôle, notamment par rapport à la prise en charge de patients ou leur transfert sur d'autres établissements, de préciser les services et catégories de personnel à réquisitionner et de connaître la disponibilité des moyens thérapeutiques pouvant être mis à leur disposition et les modes d'acheminement. La circulaire prévoit également la mise en place de plans de formation et attribue aux centres hospitaliers de référence un rôle de coordination technique, conformément à l'organisation zonale retenue pour les risques NRBC. Mais cette circulaire ne résout pas un problème préalable à la capacité de prise en charge d'un afflux de victimes : l'engorgement chronique des services d'urgence, renforcé par l'application conjuguée des 35 heures et d'une directive européenne sur l'intégration des gardes dans le temps de travail des médecins. Par ailleurs, si les cliniques ne sont pas visées par cette circulaire, il faudra les inclure dans le dispositif, car elles constituent la seconde ligne nécessaire. Les victimes potentielles s'adresseront indifféremment aux établissements privés et publics et les CHU de sécurité extrêmement strictes ;

- il peut y avoir un problème combiné de risques chimique, nucléaire, voire pyrotechnique dans le cas d'un colis fermé ;

- il est difficile d'immobiliser ces laboratoires, sans perturber le fonctionnement global d'un hôpital.

Pour ces raisons, il est raisonnable de penser que ces objets suspects doivent être pris en compte par un certain nombre de laboratoires « dédiés ». Au cours de l'automne 2001, il a été fait appel à des laboratoires environnementaux, c'est-à-dire situés hors ministère de la santé : centre d'études du Bouchet de la délégation générale pour l'armement, centre de recherches du service de santé des armées, laboratoires vétérinaires de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFFSA).

Dans le cadre du plan Biotox, des protocoles thérapeutiques ont été également élaborés par l'AFSSAPS et le service de santé des armées. L'AFSSAPS a dressé un bilan de la disponibilité en médicaments et vaccins nécessaires. Un dispositif est mis en place avec le concours des fabricants pour permettre la constitution et la mobilisation si nécessaire de stocks des principaux antibiotiques utiles face au risque bioterroriste. Les antibiotiques de type fluoroquinolones ont été choisis pour leur capacité à couvrir un éventail maximum des risques possibles. Le stock disponible correspond à la quantité permettant d'assurer le traitement préventif à une population exposée d'un million de personnes pour une durée de huit semaines. Par ailleurs, chaque zone de défense dispose de 80 000 jours de traitement. Deux laboratoires sont chargés au plan national de stocker ces médicaments. La distribution auprès de la population se fera directement des stockages intermédiaires vers les lieux de distribution qui pourront être les bureaux de vote. En effet, le retour d'expérience dans le domaine du nucléaire avait montré la défaillance des pharmaciens d'officine en cas d'incident.

b) Le plan variole : une organisation sans précédent

Des plans détaillés ont par ailleurs été mis au point pour certains agents (charbon, variole) ou sont en cours de rédaction (peste pulmonaire, toxine botulinique, tularémie). Contrairement au domaine chimique ou radiologique, il n'est pas possible de faire une seule circulaire. Le plan national de réponse à une menace de variole, défini par le décret n° 2003-313 du 3 avril 2003, détermine les mesures à mettre en œuvre en prévision d'une réapparition de cette maladie, désormais inconnue des médecins. En cas d'agression avérée et de cas confirmé sur le territoire, une stratégie de vaccination de masse a été préparée, avec constitution d'un stock de vaccins et de matériels d'injection et planification de leur emploi sur l'ensemble de la population en deux semaines dans des endroits réquisitionn&ea risquée. D'autres vaccins antivarioleux existent, mais ne sont pas immédiatement disponibles. Les vaccins sur culture cellulaire de deuxième génération sont susceptibles d'avoir les mêmes types de complications, mais sont préparés d'une manière répondant aux normes actuelles de qualité. Ils ne bénéficient pas encore d'autorisation de mise sur le marché en France, mais, aux Etats-Unis, un stock de 210 millions de doses a déjà été commandé et est en cours de fabrication. Les vaccins de troisième génération, obtenus à partir du génie génétique et donc a priori moins toxiques, ne devraient pas être disponibles avant sept à dix ans.

La France a été le premier pays européen avec le Royaume-Uni et le troisième pays dans le monde après les Etats-Unis et Israël à adopter une stratégie de vaccination contre la variole. Il s'agit d'une stratégie graduée, articulée autour de cinq niveaux d'alerte :

aucun cas dans le monde

Vaccination d'une équipe nationale d'intervention pluridisciplinaire capable de mener toutes les actions nécessaires en cas d'acte bioterroriste : enquête épidémiologique, prise en charge médicale, investigations judiciaires, vaccination des sujets contacts, mise en place de mesures de sécurité et de confinement ;

menace avérée (en l'absence de cas avéré dans le monde)

Ce niveau serait atteint par exemple en fonction des informations obtenues par les services de renseignement ou lors de l'arrestation en France ou à l'étranger d'une personne en possession d'échantillons du virus. La vaccination des équipes zonales serait alors mise en œuvre ;

survenue d'un cas de variole dans le monde

L'ensemble des intervenants de première ligne (sapeurs-pompiers, police, gendarmerie, SAMU, personnels hospitaliers) serait alors vacciné, soit environ 4 millions de personnes, dont 2 millions pour les professionnels de santé ;

apparition d'un cas sur le territoire national

À la vaccination des équipes « dédiées » et des intervenants de première ligne, s'ajoute celle des « sujets contacts » du cas et des personnes exposées ;

survenue sur le territoire français de nombreux cas simultanés

La vaccination en anneaux, qui s'est avérée efficace lors des dernières épidémies dans le monde, et le confinement des cas de variole seraient maintenus autant que possible. Le recours à la vaccination de l'ensemble de la population, planifié en quatorze jours, ne serait envisagé qu'en cas d'impossibilit&eacu risques de complications encourus. Une vaccination de masse en urgence serait prévue en cas avéré de variole dans le monde. Cette stratégie s'inscrit dans la culture américaine de liberté de choix individuel en matière de santé : la vaccination de la population générale n'est pas recommandée, mais sera ouverte à ceux qui insistent pour être vaccinés. Si la disponibilité du vaccin ne pose plus de problème aux Etats-Unis (360 millions de doses), le programme de vaccination se met cependant en place plus lentement que prévu. Si les objectifs de la vaccination obligatoire chez les militaires étaient en voie d'être atteints en avril 2003, il n'en est pas de même en matière de vaccination civile volontaire. Seuls 25 000 professionnels de santé avaient accepté de se faire vacciner. De fortes réticences liées aux effets nocifs du vaccin, à l'absence de dispositions législatives compensatoires ainsi qu'à une perception incertaine du risque d'exposition au virus de la variole constituent les raisons principales de cet échec.

Créée par un décret du 12 février 2003, l'équipe nationale française n'était cependant pas encore non plus complètement constituée en juin 2003. Seules 120 personnes sur les 150 attendues avaient été vaccinées. Les mêmes difficultés ont été rencontrées au niveau local, où des volontaires se sont désistés. Parmi les arguments avancés pour expliquer ce retard, on peut citer la mobilisation des équipes du SAMU avec l'épisode du SRAS, mais aussi l'accumulation de critères cumulatifs à respecter : être volontaire, avoir déjà été vacciné contre la variole sans être trop âgé pour autant, pas de femme enceinte dans le foyer, pas de maladie de peau... En zone de défense Est, sur les 24 premiers examens médicaux, seules 15 personnes ont été retenues.

Si les problèmes de livraison des moyens prophylactiques semblent avoir été anticipés au niveau local, le représentant de la DRASS de Lorraine a évoqué ses craintes liées aux formalités administratives prévues également par la circulaire nationale lors de la vaccination de masse. Ces craintes s'ajoutent aux interrogations sur la capacité de pouvoir mobiliser en cas de vaccination de masse 60 000 médecins et paramédicaux et 54 000 auxiliaires (forces de l'ordre, bénévoles) sur l'ensemble de la zone de défense Est. Il faut pouvoir ratisser large pour ne pas être à la merci des défections de dernière minute ; les ressources en personnel pour constituer les équipes doivent être sûres. Au niveau national, indépendamment des autres professionnels de santé, 80 000 médecins devront être mobilisés au total.

Il n'existe pas d'antécédent d'organisation à cette échelle et il n'est pas possible de se satisfaire d'un schéma théorique. Le moindre détail doit être prévu et anticipé. Des sites adaptés et accessibles, pourvus d'un parking, doivent être recensés pour la vaccination. La mise à disposition de ces locaux doit faire l'objet de conventions très détaillées, qui précisent par exemple la personne & à la prise en compte des grandes épidémies qu'elle ne le fut il y a cinquante ans. En effet, les structures pavillonnaires ayant été abandonnées au profit d'installations modernes, les services des maladies infectieuses sont intégrés dans le bâtiment même de l'hôpital. Le cas de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) découvert à Tourcoing avait ainsi entraîné la fermeture de la moitié d'un service. Un programme est donc mené par le ministère de la santé en vue de doter les centres hospitaliers de référence, puis les centres hospitaliers universitaires (CHU) dans un second temps, de pavillons isolés avec un couloir de décontamination, des circuits isolés pour les fluides, la réanimation et la radiologie (appareils mobiles) et un service pédiatrique spécifique. Cet isolement des malades hautement contagieux doit permettre à l'hôpital de continuer à fonctionner par ailleurs. Ce programme devrait par exemple permettre de réhabiliter un pavillon du CHU de Lille, qui était voué à la destruction. Dans l'attente de la mise en œuvre de ce programme, les services de maladies infectieuses existants se verront imposer le respect d'un cahier des charges relatif au nombre de chambres d'isolement et à l'organisation du service. La France compte au total aujourd'hui 100 à 150 chambres isolées dans les services de maladies infectieuses et seulement 30 chambres en pression négative. Ce nombre de lits d'isolement sera renforcé dans les prochaines années. Le système hospitalier français a aujourd'hui les moyens pour répondre à un nombre limité de cas hautement contagieux ; il ne pourra pas faire face à l'afflux de milliers de victimes d'un acte de terrorisme massif employant un agent contagieux. Dans ce cas, le déploiement d'hôpitaux de campagne sera une nécessité pour circonscrire la contagion.

Le projet de loi (n° 877) relatif à la politique de santé publique déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale viendra renforcer ce dispositif en accroissant les pouvoirs du ministre de la santé et du préfet en cas de crise sanitaire (en obligeant par exemple un malade contaminé à rester dans des structures d'isolement), en facilitant le travail des centres nationaux de référence et en sanctionnant la détention non autorisée des germes et produits biologiques.

En effet, il n'existe actuellement pas de moyen juridique de contraindre une personne réticente à se faire vacciner ou à rester dans une structure d'isolement, en l'absence de son accord ou d'une décision psychiatrique. Ainsi, si une personne potentiellement suspecte se promenait dans un aéroport ou dans le métro, rien ne permettrait de l'obliger à consulter en vue de la confirmation du diagnostic, ni à se soigner ou s'isoler. De même, l'éventuelle mise en quarantaine des sujets contacts pourrait poser problème.

2. Une réponse nécessairement coordonnée

La réponse au bioterrorisme doit être une réponse coordonnée, car elle mobilise des moyens humains et matériels très diversifiés et implique de multiples ministères : ministère de la santé au premier chef, Department of Homeland Security, ministère qui regroupe tous les services de la défense civile, les douanes, l'immigration. Une des critiques les plus virulentes des experts concernant le dispositif avant l'automne 2001 était l'absence de communication cohérente dans la chaîne de commandement et de responsabilité. En dépit de l'efficacité du système de protection biologique élaboré avant le 11 septembre 2001, la structure du pouvoir aux Etats-Unis donnait à l'ensemble du dispositif une forme éclatée et mal coordonnée. Des moyens, pourtant considérables, ont été essaimés entre des dizaines d'opérateurs d'agences ou de services différents. Et aux multiples facettes du pouvoir fédéral s'ajoutent les compétences des Etats fédérés et, au niveau local, les autorités municipales policières et judiciaires, sans hiérarchie entre ces différentes strates. Cependant, en dépit de la création du Department of Homeland Security, la décision a été prise par le Congrès après un débat animé de maintenir la mise en œuvre du volet sanitaire de la sécurité intérieure et les financements afférents sous l'autorité du département de la santé. Néanmoins, en situation de crise, des mécanismes de coordination des actions de ces deux départements sont prévus.

En France, au niveau local, le décret n° 2002/84 du 19 janvier 2002 relatif aux nouveaux pouvoirs des préfets de zone répond au souci de rendre plus efficace le système français de gestion des crises, en reconnaissant l'échelon zonal comme le plus pertinent pour coordonner et mutualiser les moyens des services concourant à la défense civile. La zone de défense permet d'atteindre la masse critique dont ne disposent ni les régions, ni les départements pour la mutualisation et la mise en œuvre rapide de moyens d'intervention conséquents ou spécialisés lors des crises de grande ampleur. La création d'un état-major de zone vise à fournir au préfet de zone les moyens d'assumer ses nouvelles prérogatives dans un esprit affiché d'interministérialité. Instrument de veille opérationnelle, cet état-major est composé de personnes d'origines très différentes : militaires, sapeurs-pompiers, officiers de la gendarmerie ou de la police nationale, voire personnels du ministère de l'environnement. La modernisation des salles opérationnelles des zones de défense actuellement entreprise par le ministère de l'intérieur devrait permettre d'améliorer la gestion de crises, en facilitant l'échange d'informations avec les services déconcentrés ou les opérateurs privés.

Autre implication concrète de ce caractère interministériel, la multiplicité et la variété des premiers intervenants nécessitent une interconnexion des systèmes de communication, outils indispensables à la gestion de crise. Or, des systèmes hétérogènes sont actuellement utilisés par la police (ACROPOL), la gendarmerie (réseau numérique RUBIS), le SAMU ou les SDIS (réseaux analogiques), qui ne peuvent s'interconnecter. Cette disparité aurait pu être accentuée par la réforme institutionnelle des SDIS, dans le cas où le choix des réseaux et leur prise en s'agir que d'un renfort ultérieur destiné à s'imbriquer dans un dispositif déjà organisé. Les forces armées n'apportent leur contribution que si les moyens civils sont insuffisants, inadaptés ou indisponibles. Elles ne sont pas dimensionnées pour pouvoir faire face à la multiplication d'interventions simultanées sur le territoire national et hors des frontières. Fortes de leur professionnalisme, elles sont en revanche à même de mettre en exergue leurs capacités techniques spécifiques. Les capacités d'expertise et d'analyse du centre d'études du Bouchet de la délégation générale pour l'armement et du centre de recherche du service de santé des armées (SSA) sont ainsi clairement identifiées dans le plan Biotox. Ces laboratoires assurent la prise en charge de l'analyse de prélèvements suspects dans la limite de leur classification. Le SSA assume en outre un rôle important dans la formation des personnels et apporte son concours dans le système de surveillance épidémiologique (base de données de l'institut de médecine tropicale de Marseille) et le stockage des vaccins antivarioliques.

En dehors du plan Biotox, un protocole a été signé le 22 octobre 2001 entre le ministère de l'intérieur et celui de la défense en vue de la mise à disposition de moyens de lutte adaptés aux risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique dans le cadre d'interventions de secours aux populations. À ce titre, ont été prévus :

- pour les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile (UIISC) et les zones de défense : 2 500 tenues, masques et cartouches ;

- pour la police nationale : 30 000 tenues, masques et cartouches. 20 000 tenues et 5 000 masques et cartouches avaient déjà été livrés en novembre 2002 et affectés aux directions départementales de la sécurité publique situées dans les zones sensibles ;

- pour les zones de défense : 100 détecteurs de la contamination chimique.

Cette coopération est facilitée par l'organisation géographique des sept zones militaires de défense, en lieu et place des neufs circonscriptions militaires précédentes. Celle-ci recoupe désormais l'organisation zonale de l'Etat pour la défense et la sécurité civiles, définie par le décret 2000-555 du 21 juin 2000. Le dialogue civilo-militaire et la mise à disposition de ressources en cas de crise sont facilités, car le préfet de zone n'a qu'un seul interlocuteur : l'officier général de zone de défense. Ce dernier est assisté d'un état-major interarmées. Dans chaque département, le délégué militaire départemental, conseiller militaire du préfet, représente l'officier général de zone de défense.

Le rôle traditionnel de la gendarmerie pour la sécurité intérieure vaut plus que jamais en cas d'attaque terroriste non conventionnelle. À ce titre, une cellule NRBC a été formation spécifique aux risques NRBC auprès d'organismes civils (laboratoire P4 Jean Mérieux) ou militaires (centre de recherche du service de santé des armées, brigade des sapeurs-pompiers de Paris). Constitué au sein du groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory, le SGO/NRBC est issu quant à lui de la volonté de doter la gendarmerie d'une force spécialisée susceptible d'être engagée dans des délais très courts en atmosphère contaminée (en régime d'alerte renforcé, un escadron à une heure, renforcé par un second à trois heures). Basé en région parisienne, mais projetable à tout endroit du territoire, il a vocation à assurer toutes les missions traditionnelles de la gendarmerie en ambiance contaminée. Il peut contrôler les périmètres de sécurité d'une zone contaminée lors d'un attentat, assurer la sécurité des organes gouvernementaux majeurs, maîtriser les phénomènes de violence individuels ou collectifs en atmosphère contaminée. Une dotation de 8,08 millions d'euros inscrite dans la loi de finances rectificative pour 2001 (1) a permis d'équiper la cellule nationale et le SGC/NRBC, ainsi que deux escadrons de gendarmerie mobile par région de gendarmerie, les unités territoriales en charge des sites Seveso et les unités de recherches en charge des actes d'enquête en ambiance contaminée. Au total, 30 000 tenues (22 000 tenues légères de décontamination TLD et 8 000 tenues filtrantes NBC gendarmerie), 23 230 masques et 51 700 cartouches doivent être livrés en 2003. Le détail des dotations en équipements de protection NBC par légion de gendarmerie départementale ou région de gendarmerie est indiqué dans le tableau ci-dessous.

les équipements de protection de la gendarmerie

TLD

Tenues NBC gendarmerie

Masques

Cartouches spectre large

Réserve nationale

1 000

600

1 880

5 800

Région de gendarmerie

300

300

300

900

Légion de gendarmerie départementale

200 à 1 900

50 à 700

200 à 1 900

340 à 2 800

Gendarmerie mobile d'Ile-de-France (Satory)

600

600

600

2 500

* Stock équivalent à 2 escadrons de gendarmerie mobile par zone de défense.

L'absence de tenues d'instruction pouvant être lavées a cependant été regrettée par le commandant du groupement de Satory lors de son audition par le rapporteur. Par ailleurs, la cellule nationale et le SGO/NRBC devraient recevoir d'ici la fin de 2004 un camion Biotox, actuellement en cours de développement à la DGA, qui devrait permettre de réaliser des prélèvements et les premières analyses. La question du financement de la maintenance (maintien en condition opérationnelle) de ce camion n'est cependant pas résolue à ce jour.

Dans un souci de maillage national, le dispositif mis en place par la gendarmerie devrait s'élargir d'ici les six prochains mois à des correspondants régionaux NRBC et des SGO/NRBC zonaux (deux escadrons par zone), afin de faciliter l'intervention dès la première heure. La formation des huit escadrons du groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory par la cellule nationale NRBC est terminée et la formation des formateurs relais, choisis au sein des pelotons d'intervention de la gendarmerie mobile et parmi des techniciens en investigations criminelles de la gendarmerie départementale, est en cours. De plus, les gendarmes des escadrons du groupement de Satory qui poursuivront leur carrière en gendarmerie départementale pourront également transmettre leurs connaissances dans leurs nouvelles fonctions.

La coopération civilo-militaire ne peut cependant aller au-delà des moyens disponibles des armées. Le groupement de défense NBC de Draguignan ne deviendra un véritable régiment qu'en 2006. Si la loi de programmation militaire pour les années 2003-2008 consacre un effort particulier à la défense biologique, c'est pour répondre à une lacune... partagée tant au niveau européen (c'est un des points du plan d'action européen sur les capacités) qu'au niveau de l'OTAN (initiatives NBC de Prague, dites « initiatives Bronson »). L'Alliance a ainsi lancé un programme de mise à niveau de son dispositif entre 2002 et 2004, autour de cinq points : surveillance épidémiologique, équipe de réaction aux événements NBC, laboratoire déployable d'analyse, stock pharmaceutique et de matériels médicaux et formation spécifique NBC. Un premier exercice à Liberec (République tchèque) a permis d'évaluer les capacités de matériels en cours de mise au point comme le laboratoire M2IB (module interarmées d'identification biologique).

4. La France a-t-elle besoin d'une législation pénale spécifique ?

La France dispose-t-elle d'un arsenal juridique suffisant pour réprimer le bioterrorisme ou une législation spécifique doit-elle être élaborée ? Reprenant les principes posés par la convention de 1972, la loi n° 72-467 du 9 juin 1972 punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende « la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l' terreur ». L'article 421-2 complète la définition de l'acte terroriste par la mention d'un acte consistant à « introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol ou dans les eaux une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieux naturel ». De plus, l'article 2 ter du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (n° 784), adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 23 mai dernier, ajoute à cette énumération la contamination de la chaîne alimentaire. L'acte de terrorisme biologique, tel qu'il est défini dans l'article 421-2 est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 350 000 euros d'amende. Ces peines sont aggravées à 750 000 euros d'amende et à la réclusion criminelle à perpétuité, lorsque cet acte a entraîné la mort d'une ou plusieurs personnes.

L'article 221-5 du code pénal, qui incrimine l'empoisonnement, pourrait également être retenu dans le cas d'utilisation d'une toxine. Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité insère par ailleurs un nouvel article 322-6-1 dans le code pénal, afin de punir d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la diffusion de procédés de fabrication « d'engins de destruction élaborés à partir de [...] substances biologiques », la peine étant aggravée en cas de diffusion de tels procédés par Internet.

Enfin, il ne faut pas oublier le renvoi de l'arrêté de septembre 2001 aux dispositions du code de la santé publique relatives au régime des stupéfiants. Comme les représentants des services policiers et judiciaires auditionnés par le rapporteur, il faut donc répondre par la négative à la question de la nécessité d'élaborer une législation spécifique au bioterrorisme. L'arsenal pénal existant est suffisant pour réprimer à la fois la détention frauduleuse d'agents biologiques et leur utilisation dans le cadre d'un acte terroriste. Le mieux ne peut être que l'ennemi du bien.

III.  - UN DISPOSITIF ENCORE PERFECTIBLE, RÉSULTAT D'UNE PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE

A. LE RETOUR D'EXPÉRIENCE DE LA VAGUE DE CANULARS DE L'AUTOMNE 2001

1. Des effets pervers d'une application trop large du principe de précaution érigé en mode de gestion de crise

Lors des alertes à l'anthrax d'octobre 2001, le principe de précaution a été mis en avant de façon systématique. Lors de la découverte d'un pli suspect, celui-ci était immédiatement envoyé aux laboratoires d'analyse, sans aucun tri à la source. Dans ces conditions, ces laboratoires ont été très vite saturés. Le centre d'études du Bouchet avait reçu fin novembre 2001 plus de 1 500 c mobilisés (CEB, centre de recherche du service de santé des armées) ont dû arrêter leurs activités de recherche pendant cette période.

Seul le Royaume-Uni a réagi différemment en Europe pendant la crise de l'automne 2001. Les Britanniques ont mis en place un dispositif impliquant seulement deux laboratoires d'analyse, avec un tri très strict à la source, visant à ne prendre en compte que les alertes accompagnées d'indices tangibles d'action terroriste. Ont été ainsi écartées des poudres normalement présentes dans le contexte de la découverte ou trouvées en quantité trop importante. Le profil du destinataire des courriers faisait également partie des critères de choix. Moins de 10 % des alertes ont donné lieu à un traitement complet jusqu'au laboratoire et 70 % des cas ont été traités par téléphone sans l'envoi d'une équipe d'intervention. Les échantillons non sélectionnés n'ont jamais été analysés et les personnes concernées n'ont pas fait l'objet de surveillance médicale. En revanche, tous les risques ont été analysés sur les échantillons parvenus au laboratoire militaire de Porton Down. Contrairement à ce qui s'est passé en France, les analyses ne se sont pas limitées au seul agent du charbon. Le choix avait été fait d'un tri à la source sur la plausibilité de l'événement avec des équipes de Scotland Yard qui associaient à la fois des enquêteurs et des médecins. Le dispositif reposait sur cette cellule nationale de référence et des équipes locales de policiers formés.

À partir des résultats d'un groupe de travail sur le tri des échantillons mis en place en juin 2002, le SGDN a proposé un nouveau dispositif fondé sur une cellule nationale de référence. Conformément à la circulaire interministérielle 750 du 7 février 2003, la cellule nationale de conseil, composée de deux gendarmes et de deux policiers, apportera une expertise au profit des acteurs de terrain au travers de référents NRBC et d'une banque de données nationale (fréquence des alertes, typologie des événements, statistiques diverses). Le nouveau dispositif, opérationnel depuis le 28 avril 2003, prévoit une information permanente en temps réel à destination des autorités gouvernementales pour des cas spécifiques (signalements liés à des autorités politiques ou susceptibles d'avoir un retentissement médiatique) et une synthèse dont le rythme est fonction des niveaux d'alerte prévus par le nouveau plan Vigipirate. La nuit et le week-end, la cellule nationale NRBC de la gendarmerie et le détachement central d'intervention prendront le relais.

2. Une capacité en laboratoires de sécurité encore restreinte

Une des lacunes généralement évoquée au cours des auditions du rapporteur a été le manque de laboratoires de sécurité en France. Le bon fonctionnement du plan Biotox repose sur un réseau hiérarchisé de laboratoires. Or, la crise de l'automne 2001 s'est traduite par une saturation des laboratoires mobilis&eac à certaines normes d'assurance qualité. Ce réseau de laboratoires labellisés sera créé d'ici la fin de l'année. Au ministère de la défense, l'une des conséquences de cette mission aura été la décision de création d'un nouveau laboratoire « dédié » P3 au centre d'études du Bouchet, ainsi que la mise à niveau de cellules de niveau de sécurité 3 dans chaque laboratoire des hôpitaux d'instruction des armées.

En ce qui concerne la prise en charge des prélèvements humains, il est prévu d'ici six à neuf mois d'adosser aux centres hospitaliers de référence qui en sont encore dépourvus un laboratoire P3 mobile ou dépendant d'une unité INSERM située à proximité. Ces laboratoires devront eux aussi répondre à un cahier des charges et être soumis à une évaluation permanente (notamment pour les pathogènes rarement recherchés en routine). Enfin, l'épisode du SRAS a montré qu'une hiérarchisation dans l'envoi des prélèvements devait pouvoir être effectuée par les médecins en cas de besoin.

Enfin, il faut saluer l'ouverture prochaine aux équipes françaises du laboratoire P4 de la fondation Jean Mérieux, permise par son changement de statut. En effet, ce laboratoire, qui est le seul laboratoire de confinement maximal en France adapté à la manipulation des virus extrêmement pathogènes, tels les fièvres hémorragiques ou le virus de la variole, doit devenir un établissement public sous tutelle de l'INSERM en 2004. L'équipe de l'institut Pasteur sur place aura bien sûr un accès prioritaire, mais d'autres équipes françaises pourront y travailler gratuitement en cas de besoin. Tous les Etats membres de l'Union européenne ne disposant pas de laboratoires P4, des équipes européennes pourront également y avoir accès sur une base payante. Par ailleurs, le P4 peut être réquisitionné par le ministère de la défense en cas de besoin, un protocole existant avec le SSA depuis 2002.

B. A VIGILANCE CONSTANTE, FINANCEMENT DURABLE

L'effort financier consacré à la lutte contre le terrorisme NRBC depuis l'automne 2001 représente 300 à 350 millions d'euros. Chaque ministère finance sur son budget les actions du plan Biotox relevant de ses responsabilités propres. Les crédits du programme civil de défense gérés par le SGDN n'apportent qu'un complément limité, essentiellement orienté vers des actions visant à rendre le dispositif interministériel plus homogène et efficace et vers certaines actions spécifiques de recherche et développement. L'efficacité de ce dispositif tiendra donc à la capacité des ministères à poursuivre un effort financier soutenu et régulier en ce domaine, en dépit des contraintes d'un contexte économique défavorable et de l'absence d'une ligne budgétaire spécifique clairement identifiée.

Outre le protocole Intérieur-Défense, l'essentiel des actions et programmes a été financé dans l'

Origine

Chapitre

Article

Objet

Montant
en M€

Décret de virement

47-12

20

Astreintes centres antipoisons et laboratoires d'eau (3 mois)

0,213

47-18

40

Renforcement des CNR et astreintes de l'Institut Pasteur (3 mois)

0,913

Loi de finances recti-ficative

34-98

20

Communication : (CD-Rom Biotox, plaquette variole pour médecins)

1,524

34-98

90

Fonctionnement des services déconcentrés : (matériel pour contrôle eau, matériel de protection des personnels, matériel pour l'organisation d'astreintes, formation)

3,049

47-12

20

Astreintes centres antipoisons et laboratoires d'eau

0,915

47-18

40

Renforcement des CNR et astreintes de l'Institut Pasteur

3,658

TOTAL

10,272

Source : ministère de la santé

À ces crédits s'ajoutent ceux imputés sur l'article 82 du chapitre 57-93 intitulé « programme civil de défense » : 7,6 millions d'euros pour le renforcement des neuf centres hospitaliers référents, 0,2 million au titre d'opérations de défense sanitaire.

Dans la loi de finances initiale pour 2003, un renforcement du programme d'investissement en faveur du dispositif de défense sanitaire civil (protection des personnels et couloirs de décontamination pour les SAMU par exemple) a également été prévu sur les crédits du « programme civil de défense », pour un montant de 3 millions d'euros de crédits de paiement et de 7 millions d'autorisations de programme. Ce programme, qui a fait l'objet d'un gel de crédits, ne devrait pas s'achever avant 2005. Aucune mesure spécifique au titre du plan Biotox n'ayant par ailleurs été obtenue en dehors de ces dépenses en capital, le ministère de la santé a demandé en fin d'année des mesures dans la loi de finances rectificative pour 2002. Là encore aucune mesure n'a été accordée. En conséquence, le financement des actions en 2003 sera assuré par la majeure partie des mesures nouvelles obtenues sur le chapitre 47-12 (gestion des risques liés à l'environnement et aux milieux de vie) pour 6,06 millions d'euros et par des crédits du chapitre 47-11 (programmes de santé publique, dispositifs de prévention et de promotion de la santé) pour 1,4 million d'euros. Les opérations financées sont les suivantes :

- astreintes des centres antipoisons et des laboratoires d'eau : 1,9 million d'euros ;

- renforcement et astreintes des CNR : 3,66 millions d'euros ;

- fonctionnement du P4 : 0,5 million d'euros ;

- recherche (peste, charbon, botulisme) : 1,4 million d'euros par an sur trois ans.

À titre exceptionnel, un fonds de concours de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 pour 198,18 millions d'euros a permis l'acquisition, le stockage et la livraison de traitements et matériels associés aux pathologies résultant d'actes terroristes. En avril 2003, ce fonds a été de nouveau abondé de 16 millions d'euros pour poursuivre le financement des contre-mesures médicales du plan. Ces crédits serviront à financer le solde du marché variole et les matériels connexes, ainsi que d'autres produits (rifampicine, bleu de Prusse). 145,38 millions d'euros ont par ailleurs été demandés par le ministère de la santé pour 2004.

Par ailleurs, les équipements, les matériels et produits doivent être renouvelés &agrav protocole avec le ministère de la défense qui a permis un renforcement immédiat en moyens spécifiques, le financement du programme d'équipement du ministère de l'intérieur repose principalement sur les mesures spécifiques votées en loi de finances rectificative pour 2001 :

- 9,15 millions d'euros affectés à l'équipement des zones de défense en moyens de protection pour les intervenants, de détection (5 spectromètres de masse pour le risque chimique) et de décontamination ;

- 3 millions d'euros affectés au renforcement des capacités d'intervention des moyens de renforts nationaux (UIISC, pilotes d'hélicoptères, déminage) et à la constitution d'une réserve nationale de tenues de protection réparties dans les établissements de soutien logistique de la sécurité civile (9 000 tenues et 10 000 masques ont été livrés en 2003) ;

- 7,6 millions d'euros ont été affectés à la police nationale pour l'acquisition de tenues, masques et cartouches pour les policiers.

Les équipements mis en place (tenues de protection, modules de décontamination) sont ceux des risques radiologiques et chimiques. S'ils restent efficaces pour protéger contre le risque biologique, ils sont assez lourds. Des crédits d'un montant de 1,7 million d'euros ont permis en 2003 l'acquisition de tenues plus légères (5 600 TLD pour 14 agglomérations).

Le financement de l'équipement des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) s'avère de loin le plus problématique. En effet, en raison de l'évolution institutionnelle des SDIS et de leur départementalisation, l'équipement des sapeurs-pompiers, qui sont les premiers intervenants sur le site d'un attentat, est à la charge des établissements publics. Or, les collectivités territoriales qui les financent sont peu enclines à faire de tels investissements. Le déficit d'équipement NRBC est important, les tenues de protection étant limitées aux unités spécialisées (cellules mobiles d'intervention chimique). Le fonds d'aide à l'investissement des SDIS, prévu à l'article 129 de la loi de finances pour 2003 pour un montant de 45 millions d'euros, doit permettre notamment de combler ces lacunes en équipement NBC et en télécommunications.

C. FORMATION ET ENTRAÎNEMENT OU LE PASSAGE DE LA PLANIFICATION À LA CAPACITÉ OPÉRATIONNELLE

La formation des acteurs de la sécurité civile et de la santé publique et leur entraînement sur différents types de scénarios sont un élément fondamental de l'efficacité de la mise en œuvre d'un plan de lutte contre les agressions biologiques. Des personnels bien formés et entraînés doivent pouvoir estimer les risques et les dangers, connaître les moyens dont ils disposent et les procédures à mettre en œuvre, savoir gérer la situation, éviter la pompiers et les personnels du ministère de la défense. En 2004, une formation de formateurs issus des différents ministères concernés par le risque NRBC (intérieur, santé, défense) sera mise en place sur le port de la tenue de protection, la décontamination, la gestion de crise.

Contrairement à la culture d'exercice développée dans le domaine nucléaire, il existe encore peu de retour d'expérience dans le domaine biologique.

En zone de défense Est, aucun exercice à caractère biologique n'avait encore été organisé début juin 2003. En effet, si une première dotation de l'Etat a permis d'équiper les services de police, tous les matériels n'étaient pas arrivés, notamment ceux relatifs aux deux centres hospitaliers de référence (une partie des tenues de protection de type 2 et l'unité de décontamination). La question de l'équipement des magistrats destinés à se rendre sur les lieux de l'attentat était encore en suspens. Et les formateurs, encore en cours de formation, n'avaient pu transmettre leurs connaissances aux intervenants de terrain. Deux exercices sur l'application du plan variole et l'emploi des équipements NBC doivent néanmoins être mis au point d'ici la fin de l'année 2003.

Un exercice de nature NRBC et à caractère national, EXINNAT (exercice interministériel national), s'est déroulé du 23 au 26 juin 2003 dans les différentes zones sous l'égide du SGDN. La zone de défense Est avait prévu des attentats, échelonnés dans le temps, de nature chimique dans le réseau d'eau et la chaîne alimentaire, en mettant l'accent sur les problèmes de gestion de la panique, de circulation et de communication. Un plan triennal pour les exercices déconcentrés aux niveaux zonal et départemental doit être préparé à compter de 2004. En effet, des directives relatives à l'entraînement interministériel à la défense globale ont rendu obligatoire l'organisation d'exercices selon un cycle triennal déterminé de la façon suivante : conception et préparation des exercices la première année, exercices aux niveaux zonal et départemental la seconde, exercice national qui clôt le cycle la troisième année. D'une façon générale, il est regrettable que les populations ne soient jamais associées à ces exercices.

Formation, exercices et retours d'expérience en matière d'incidents touchant à l'eau potable s'avèrent de façon générale également insuffisants chez la plupart des acteurs publics et privés. Le groupe de travail ad hoc du SGDN chiffre ces besoins à près de 2 millions d'euros sur trois ans.

Les Etats-Unis ont multiplié les exercices depuis quatre ans. Un exercice de simulation d'une épidémie de variole baptisé Dark Winter a été organisé en juillet 2001 pour tester les capacités de défense à une attaque bioterroriste et les réactions de l'ensemble de la chaîne de commandement (l'ex-sénateur Sam Nunn jouait le rôle du président des Etats-Unis dans cette programme des 120 cités, élargi ensuite à 255 selon les préconisations du GAO, a également permis à des experts militaires de participer à l'entraînement des services d'urgence dans 120 grandes villes des Etats-Unis.

D. UNE POLITIQUE DE COMMUNICATION QUI RESTE À REDÉFINIR ET DÉVELOPPER

Une population bien informée est capable de faire face à de graves catastrophes et une communication adaptée lors d'un attentat bioterroriste ne saurait être efficace sans une politique de communication pré-crise. Dans le cas du bioterrorisme, c'est le ministère de la santé qui assure cette communication, qui est sans doute un des volets les plus délicats à mettre en œuvre du dispositif de préparation à la menace. L'argument souvent avancé pour expliquer une politique de communication trop timide a été le suivant : il est difficile de communiquer sans révéler ses parades à l'adversaire et sans donner de mauvaises idées à des terroristes potentiels. Le plan Biotox reste un plan classé « confidentiel défense ». Or, le silence des responsables politiques ou plutôt leur minimisation du risque ne manquera pas de contribuer à l'affolement des populations en faisant le jeu des terroristes. On doit renoncer à se dire prêt à toute éventualité. L'état d'esprit de toutes les composantes de la société civile doit y être préparé et il appartient aux pouvoirs publics de tenir les citoyens informés. La décision de la commission de la défense de l'Assemblée Nationale de diffuser un rapport d'information sur le bioterrorisme va dans ce sens.

Par ailleurs, un effort de communication ciblée devra nécessairement être fait à destination des élus locaux, dont les responsabilités sont particulièrement importantes dans certains domaines : réseaux d'eau, restauration collective, établissements recevant du public... Il n'est pas souhaitable que ceux-ci ne soient informés des procédures mises en place qu'à l'occasion du recensement des salles à réquisitionner (écoles, gymnases) dans le cas d'une vaccination de masse.

Une communication ciblée à destination des professionnels de santé, à travers notamment la presse spécialisée, aurait pu également être mise en place. Au Royaume-Uni, le ministre de la santé a décidé d'organiser lors de la présentation du projet de plan d'alerte et de réaction à la variole une consultation d'un mois, afin d'inviter les médecins, scientifiques et responsables des collectivités locales à faire connaître leurs remarques et de procéder aux éventuels ajustements.

E. LE DÉFI DE LA DÉTECTION ET L'IMPORTANCE DE LA RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT

La détection des agents biologiques reste un défi technologique, en raison de la complexité du vivant par rapport à la molécule ou à l'atome. La sensibilité des systèmes de détection doit temps réel (délai de réponse de l'ordre de quelques secondes), mais il a un inconvénient de taille : il est très peu sélectif. Il permet au plus de déterminer que quelque chose se passe, de nature biologique, sans pouvoir déterminer s'il s'agit d'une souche pathogène. Dans le domaine chimique, ce type de détection est plus facile, car les interférants sont beaucoup plus faibles. Un détecteur biologique basé sur ces méthodes physiques, dénommé MAB (module d'analyse biologique), est en cours de développement et sera en dotation dans les armées à compter de 2004. D'un encombrement réduit (taille d'un jerricane), il évalue la concentration bactérienne et trie les particules par taille. Une première caractérisation de la menace est ensuite permise à travers la recherche de spectres d'émissions caractéristiques (spectrométrie de flamme).

Compte tenu de ce problème de sélectivité, la détection des agents biologiques requiert plusieurs méthodes complémentaires, afin de pouvoir distinguer les vraies des fausses alertes déclenchées par les systèmes d'analyse en continu.

La première génération d'équipements en matière de détection de contrôle mettra en œuvre un système fondé sur des réactions immunologiques du type antigènes-anticorps. Cette détection de type « ELISA » (Enzyme Linked Immuno Servant) nécessite une collection d'anticorps validée en vue de constituer des réactifs. Pour des raisons de vulnérabilité, les échanges de réactifs dans un cadre international sont actuellement très restreints. En effet, il s'agit d'une ressource critique : une fois les sondes connues, il peut être possible de trouver des variants naturels ou de créer des variants artificiels qui ne réagissent pas de la même façon et soient indétectables par ces sondes.

La deuxième piste de réflexion concerne la mise en œuvre de capteurs sous la forme de biopuces avec sondes ADN ou ARN, en cours de développement au commissariat à l'énergie atomique (LETI). La mise au point de ces sondes génétiques avec un délai de lecture rapide permettra de détecter des gènes de virulence, en s'affranchissant des exigences en réactifs (anticorps spécifiques) imposées par le système immunologique. Elle nécessite la réalisation du séquençage des gènes pour chaque souche choisie et la sélection des gènes cibles, qui doivent être responsables de la pathogénicité ou permettre à eux seuls d'identifier l'espèce. À cette fin, il doit être fait appel à l'ensemble des compétences nationales (institut Pasteur, INRA, « génopoles », laboratoires du ministère de la défense) pour la constitution d'une base de données la plus large possible.

Aux Etats-Unis, un effort budgétaire considérable est consenti pour la recherche dans le domaine du bioterrorisme, au travers du programme « Bioshield ». Il s'agit d'un fonds de recherche et développement, géré par les National Institutes of Health, doté de 6 milliards de dollars sur de Gand du 19 octobre 2001, un groupe d'experts R & D a élaboré un rapport comprenant un inventaire des activités de recherche sur la lutte contre les effets du terrorisme biologique et chimique entreprises dans les Etats membres, des recommandations sur leur coordination et des propositions sur les nouvelles voies à suivre.

IV.  - LA PERTINENCE D'UNE PRISE EN COMPTE DU BIOTERRORISME AU NIVEAU INTERNATIONAL

Très rapidement, la nécessité d'une coordination internationale des réponses au bioterrorisme s'est fait jour alors que l'absence de nouvelles alertes liées à l'anthrax faisait diminuer la mobilisation. Tout programme de lutte contre le terrorisme NRBC est coûteux et représente par ailleurs une dépense improductive. Il s'agit par exemple, dans le cas de la variole, de préserver un stock destiné à faire face à un événement hautement improbable sans aucune justification thérapeutique immédiate (maladie éradiquée de la surface de la planète). Outre son coût, la revaccination contre la variole poserait de surcroît le problème de l'indemnisation de ses graves effets secondaires sur une petite partie de la population. Par ailleurs, les industries pharmaceutiques sont peu enclines à développer des vaccins de nouvelle génération sans être assurées de commandes préalables fermes.

A. ENJEUX ET LIMITES D'UNE RÉPONSE EUROPÉENNE : RENFORCEMENT DE LA COORDINATION DES ETATS MEMBRES OU BALBUTIEMENTS D'UNE RÉPONSE COMMUNE ?

La liberté de circulation des produits et des personnes et l'absence de contrôle aux frontières au sein de l'espace Schengen nécessitent la mise en place d'un dispositif approprié garantissant :

- une notification et un échange d'informations rapides en cas de menaces et d'attaques ;

- une assistance mutuelle pour le diagnostic et la prise en charge des cas de contamination avérés, avec accès aux services de laboratoires spécialisés et à l'expertise nécessaire aux enquêtes épidémiologiques. Les pays européens ne disposent pas tous de laboratoires à confinement maximal permettant de travailler sur les agents pathogènes les plus dangereux (classe 4). Une bonne connaissance des infrastructures de laboratoires, du matériel et des produits, ainsi qu'un recensement des experts et du personnel d'intervention dans les Etats membres est donc indispensable ;

- une bonne coordination des plans de réaction permettant d'arrêter la propagation de la maladie.

Le 19 octobre 2001, le Conseil européen de Gand a ainsi invité le Conseil et la Commission à « préparer un programme visant à améliorer la coopération entre les Etats membres en matière d'évaluation des risques, d'alerte et d'intervention, de stockage des moyens, et dans le domaine de la recherche. Ce programme devra porter à l instrument de coopération dans la lutte contre le terrorisme biologique et chimique. En 2002, une « task force » composée d'experts nationaux et de fonctionnaires de la Commission fut chargée de mettre en œuvre un programme d'action visant à renforcer la sécurité sanitaire. Comme l'a souligné son responsable, M. Georgios Gouvras, lors de son audition par le rapporteur, l'action de l'Union européenne ne doit pas se substituer à celle des Etats membres ni la dupliquer à l'échelon européen. La réponse communautaire doit apporter une plus-value aux dispositifs nationaux, nécessairement spécifiques en raison des particularités de l'organisation de chaque Etat (plus ou moins grande décentralisation, organisation du système de santé). Elle doit donc être complémentaire et se limiter à certains aspects, la gestion des conséquences d'actes terroristes restant du ressort des Etats membres. Le programme de la « task force » comprend 25 actions autour des objectifs suivants :

- instauration d'un mécanisme d'échange d'informations et de coordination pour la gestion des crises sanitaires liées à un acte terroriste ;

- création de capacités de détection et de diagnostic rapides à l'échelle de l'Union européenne ;

- création d'une base de données relative aux stocks de médicaments ainsi que d'un système de secours permettant de disposer de médicaments et de personnel de soin spécialisé en cas d'attaque présumée ou avérée ;

- diffusion de conseils sur la gestion d'une crise sanitaire provoquée, sa coordination à l'échelon communautaire et les relations avec les pays tiers et les organisations internationales.

Ce programme est mis en oeuvre depuis mai 2002 et les résultats obtenus au 30 avril 2003 sont présentés dans le tableau ci-après.

TÂCHES

Situation au 30 avril 2003

_ Création et mise en service du réseau sur les menaces par des agents biologiques et chimiques

Terminées - amélioration en cours dans une seconde phase

_ Inventaires des agents

Agents biologiques : Matrice + groupe Australie travaux effectués

Agents chimiques : en cours

_ Classification des événements et des protocoles d'enquêtes

Classification : terminée - Protocoles : en cours
Planification et modélisation : en cours

_ Inventaires des laboratoires, exigences et normes

Réseau de laboratoires P4 en place - test interlaboratoires approuvé

Réseau de laboratoires nationaux à créer - Questionnaires envoyés le 15 janvier 2003 - résultats analysés

Accords à conclure

_ Répertoires d'experts et règles de fonctionnement des équipes d'enquête

Questionnaires envoyés le 31 janvier 2003

Les règles de fonctionnement des équipes sont en cours de rédaction.

_ Lignes directrices pour les professionnels de santé

10 projets préparés

Examen par les pairs et publication en cours

_ Inventaires des stocks de médicaments

Information collectée : tableau compilé sur les stocks des Etats membres

Stocks de vaccins et d'antibiotiques : travaux terminés

Immunoglobine antivaccinale, projet de dilution du vaccin antivariolique en cours

Autres travaux biologiques en cours

_ Inventaires des ressources et services sanitaires

Les chapitres de l'inventaire sont définis
Collecte des données coordonnée avec la DG ENV-Accords d'assistance à conclure

_ Règles sur la circulation des personnes, des animaux et des produits

Sécurité des denrées alimentaires, des animaux, des plantes : étude et rapport terminés

Sécurité de l'eau : étude terminée - suivi à assurer par la DG ENV

Personnes : analyse en cours avec la DG JAI

_ Lignes directrices sur la décontamination et le rétablissement des fonctions vitales

Travaux entamés

_ Modules de formation

Travaux entamés

_ Plans d'urgence et modélisation concernant la variole

Compilation et comparaison terminées

Les priorités relatives à la modélisation et les besoins en données ont été définis

_ Exercice UE Variole

Spécifications préparées - l'exercice aura lieu en 2004

_ Suivi des effets nocifs des vaccinations

Système de collecte de données en place et données à collecter

_ Extension et intégration des pays adhérents et des pays EEE au mécanisme de coopération et au système d'alerte RAS-BICHAT

Les négociations vont être entamées

_ Techniques d'isolement des patients

Les priorités sont définies et le groupe de travail doit être constitué

_ Installation d'un système Web d'information médicale pour alerte précoce et analyse de tendances

La collaboration avec le CCR a commencé et les liens avec les systèmes existants de la Commission ont été mis en place

_ Examen et analyse d'incidents impliquant des dégagements en chaîne

Le projet pilote a commencé avec plusieurs États membres

_ Libre circulation des personnes et règles concernant les transports touchés par des événements de bioterrorisme

Analyse en cours

Source : communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative à la coopération dans l'Union européenne concernant la préparation et la réaction aux attaques par des agents biologiques et chimiques (sécurité sanitaire).

Parmi les résultats significatifs obtenus, un système d'alerte rapide, dénommé « RAS-BICHAT » est opérationnel depuis juin 2002 et devrait bientôt intégrer les pays candidats à l'adhésion. Ce système relie les membres du comité de sécurité sanitaire et les points de contact désignés dans les Etats membres, une permanence étant assurée 24 heures sur 24. Si les Etats membres ont l'obligation de signaler tout incident, la mise en œuvre de mesures au niveau national n'est cependant pas conditionnée par la notification préalable de l'attaque bioterroriste présumée ou avérée. Ce dispositif est relié à d'autres systèmes de la Commission : le réseau pour la surveillance épidémiologique et le contrôle des maladies transmissibles, le système de notification pour la sécurité des végétaux ou le centre de suivi et d'information du mécanisme de protection civile. De plus, la « task force » tente de l'associer à un système de détection précoce des signes précurseurs, sorte de « medical intelligence » qui passe par la surveillance journalière des sites internet, en liaison avec le système de l'OMS ou du centre commun de recherche de l'Union européenne. Ces moyens seront étendus de manière à couvrir d'autres sources d'informations, l'objectif étant de disposer d'un système d'information intégré afin d'évaluer les menaces et de pouvoir lancer une pré-alerte.

En matière de formation, l'Union européenne a préféré donner la priorité à des actions ciblées plutôt qu'à des formations générales qui ne tiennent pas compte des conditions locales et des caractéristiques des différents systèmes de santé. Seize personnes par an sont formées à la surveillance épidémiologique. L'Union européenne a également élaboré des manuels d'orientations cliniques pour les diagnostics de cas, qui sont actuellement soumis à la relecture de pairs avant diffusion dans des revues scientifiques.

En consultation avec l'industrie pharmaceutique, un recensement des antibiotiques, antiviraux, antitoxines et vaccins a été effectué en vue d'examiner leur disponibilité et les capacités de production, de stockage et de distribution existantes. La création d'une réserve communautaire de médicaments, à l'instar des banques de vaccins contre la fièvre aphteuse, la peste porcine ou la peste aviaire existant pour les animaux, a également été évoquée. Les avantages en seraient les suivants : économies d'échelle (coûts dégressifs liés à l'importance de la commande) et pouvoir d'achat supérieur, poids dans les négociations accru par l'existence d'un interlocuteur central unique, sentiment coopération renforcée dans les interventions d'assistance à la protection civile. Un pays frappé par une catastrophe ne devra plus perdre de temps à chercher et à contacter diverses sources d'assistance. Il lui suffira de s'adresser au réseau de la Commission pour pouvoir obtenir en une seule démarche des effectifs spécialisés. Le mécanisme communautaire de protection civile repose sur les éléments suivants :

- un centre de suivi et d'information au sein de la Commission, accessible 24 heures sur 24 et en contact permanent avec les centres opérationnels des Etats membres, chargé de suivre le cours des événements et de fournir des informations ;

- un recensement préliminaire des équipes d'intervention et des moyens disponibles dans les Etats membres ;

- un programme de formation destiné à renforcer les capacités de réaction, à améliorer la coordination et la transmission d'expertise entre les équipes d'intervention ;

- la mobilisation d'une équipe d'experts en vue de l'évaluation et de la coordination des dispositifs, projetable dans les meilleurs délais en fonction des besoins. À partir de critères de sélection définis en commun, cette liste d'experts a été établie ;

- un système commun de communication d'urgence entre les autorités des Etats membres responsables de la protection civile et les services compétents de la Commission ;

- une base d'informations sur l'expertise dans les domaines NRBC disponible dans les Etats membres.

Le premier exercice de dimension européenne permettant la mise en application du mécanisme européen de protection civile s'est déroulé à Canjuers du 26 au 29 octobre 2002 avec la participation de l'Autriche, de l'Espagne, de la Grèce, de l'Italie et de la Suède. Seuls des scénarios basés sur des attentats radiologiques et chimiques ont été retenus à cette occasion. « Euratox 2002 » aura néanmoins permis de tester les chaînes de commandement des secours face aux conséquences d'un attentat terroriste majeur, avec une simulation de 2000 victimes dans le cadre d'une prise en charge au niveau européen.

Cependant, la Commission reste toujours orpheline d'un coordinateur pour les actions de protection civile, tel qu'il avait été envisagé par le Conseil européen de Gand, à même de rapprocher les différents réseaux communautaires (protection civile, santé, recherche). Cette coordination est pourtant essentielle : les recensements réalisés dans le domaine pharmaceutique vont permettre par exemple de doter le mécanisme de protection civile des ressources nécessaires dans la lutte contre le bioterrorisme.

3. PESD et lutte contre le terrorisme NRBC

B. L'INITIATIVE D'OTTAWA POUR LA SÉCURITÉ SANITAIRE MONDIALE

Constitué en 2001, le groupe Ottawa comprend les ministres de la santé des pays du G8 et du Mexique et se réunit tous les six mois pour suivre un programme d'action portant notamment sur la mutualisation des ressources dans le dispositif de réponse au bioterrorisme. L'OMS et la Commission européenne participent également à cette initiative. Ce programme comporte les groupes de travail suivants :

- coordination des laboratoires de haute sécurité P4 (travaux sous la direction du Canada - laboratoire de Winnipeg). Un réseau a été mis en place en vue de partager des protocoles et modes opératoires normalisés et d'échanger des réactifs et du matériel de contrôle ;

- harmonisation des stratégies nationales de vaccination contre la variole et bonnes pratiques en matière de production de vaccins ;

- préparation d'un exercice international dénommé « Global Mercury », dont le scénario est fondé sur une attaque terroriste suicide (terroristes auto-inoculés avec le virus de la variole déambulant dans plusieurs lieux publics). Cet exercice, qui a coûté 2 millions de dollars, vient de se dérouler en septembre 2003 sur une douzaine de jours. Il a permis de tester la rapidité de diffusion de l'information entre pays. Si l'épidémie fictive partait des Etats-Unis et de l'Italie, elle a néanmoins conduit à la décision de vacciner en France 20 millions de personnes ;

- techniques d'isolement viral ;

- échelle des risques et communication ;

- coordination des programmes nationaux.

C. L'ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (OMS)

Si l'intérêt de l'OMS pour les effets des armes biologiques n'est pas récent (publication de l'étude « Health aspects of biological and chemical weapons » en 1970), les Etats membres demandèrent au directeur général de renforcer les activités de l'organisation sur la préparation sanitaire globale à l'utilisation délibérée des agents biologiques ou chimiques dans la résolution WHA55.16 du 18 mai 2002. Ces activités couvrent trois domaines : un réseau mondial d'alerte et de réponse aux épidémies, l'assistance technique aux Etats membres dans leur préparation nationale à cette nouvelle menace, l'information sur les maladies associées aux agents du bioterrorisme.

Un réseau mondial d'alerte et de r&eacu SRAS n'ont pas eu à connaître d'épidémie) doit permettre à l'OMS d'acquérir la dimension dont elle a besoin pour répondre aux nouvelles menaces biologiques que sont le bioterrorisme ou l'apparition de menaces émergentes. L'action de l'OMS reste cependant strictement limitée à l'aspect sanitaire de la gestion de crise. Il n'appartient pas non plus à l'OMS de se prononcer sur le caractère délibéré ou non d'une épidémie, les investigations internationales en la matière devant être diligentées sous l'égide des Nations Unies. Le rôle de l'OMS se limite à une éventuelle assistance technique lors de ces investigations.

Dans son rôle d'assistance aux Etats membres, l'OMS a fait paraître une nouvelle édition de son guide sur la réponse sanitaire à l'utilisation d'armes biologiques et chimiques. Elle prépare en collaboration avec le programme des Nations Unies pour la gestion des catastrophes un module de formation sur l'élaboration de la réponse aux incidents de type NRBC à destination des responsables publics. La formation de microbiologistes et d'épidémiologistes issus de pays africains ou du bassin méditerranéen au pôle de l'OMS de Lyon permettra le renforcement de la surveillance épidémiologique à l'échelon mondial.

Enfin, s'appuyant sur son évaluation des agents du bioterrorisme et de ses compétences spécifiques, l'OMS contribue à la mise en place de réseaux d'experts et de laboratoires spécifiques à certains agents (anthrax, peste et variole notamment). Dans le cas de la variole, les archives disponibles sur la maladie et sur son éradication sont de nouveau accessibles et les supports de formation en vue de la reconnaissance des symptômes, de la vaccination et de la gestion de l'épidémie sont de nouveau en mesure d'être distribués. L'OMS a réalisé une enquête en vue de recenser les stocks de vaccins dans le monde et envisage d'acquérir 200 millions de doses de vaccin antivariolique.

CONCLUSION

La lutte contre le terrorisme biologique doit nous permettre de redécouvrir le principe de la défense globale, tel qu'il est défini par l'ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 : « La défense a pour objet d'assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agression, la sécurité et l'intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ». Si les intervenants sanitaires sont en première ligne, la prévention des menaces et la riposte à une éventuelle agression à caractère biologique supposent la mise en œuvre de mesures couvrant de multiples secteurs d'activité. L'interdépendance des différents aspects de la défense nécessite une organisation efficace à la fois sur le plan horizontal (interministérialité, coopération civilo-militaire et public/privé) et vertical, tous les niveaux de responsabilité se trouvant impliqués de l'échelon local (services déconcentrés, collectivités locales) à l'échelon international (Commission européenne).

Co menées pour la variole retiennent des protocoles qui ont fait leur preuve dans le cas du SRAS et le renforcement de la veille épidémiologique engagé dans le cadre du bioterrorisme doit permettre de contribuer à la prise en compte des maladies émergentes. Les investissements réalisés en matière de bioterrorisme auront nécessairement aussi des retombées positives sur les capacités de prise en charge des urgences sanitaires dans notre pays, que ce soit en matière d'organisation (plans blancs) ou de matériel (renforcement des capacités de réanimation par exemple).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de M. Pierre Lang sur le bioterrorisme, au cours de sa réunion du mardi 30 septembre 2003.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

Le président Guy Teissier a souligné l'opportunité d'un tel rapport, en raison de la persistance des menaces terroristes en Europe.

M. Michel Voisin a souhaité savoir s'il était réellement possible d'obtenir des effets massifs par l'emploi de substances biologiques. Il a interrogé le rapporteur sur les conséquences qu'aurait un attentat terroriste sur le laboratoire P4 de Lyon et la pertinence de son emplacement en centre ville d'une grande agglomération.

M. Pierre Lang, rapporteur, a indiqué que les risques étaient divers selon les substances utilisées. Le principal danger résulte de la variole, dont les souches ne sont conservées que dans deux laboratoires : le Center for disease control d'Atlanta et le centre Vektor de Novossibirsk en Sibérie. Ce dernier constitue la principale source d'inquiétude, compte tenu des tentations possibles des chercheurs de l'ancien programme biologique soviétique. C'est pourquoi leur reconversion est une des priorités retenues dans le cadre du partenariat mondial du G8 contre les armes de destruction massive. La variole est en quelque sorte l'arme thermonucléaire du bioterrorisme, car elle entraînerait des millions de morts, principalement dans les pays qui, contrairement à la France, n'ont pas les moyens de détenir des stocks de vaccins suffisants pour protéger leur population. D'autres virus sont dangereux, comme le virus Ebola, qui n'est toutefois pas adapté à notre climat et dont la capacité de diffusion est restreinte du fait du décès très rapide du malade. La dangerosité naturelle des virus pourrait cependant être accrue par l'utilisation de techniques biologiques visant à les modifier, par exemple pour les rendre plus résistants. Si les techniques existent aujourd'hui en raison des progrès accomplis en génétique, elles ne sont pas cependant du ressort de groupes terroristes. S'agissant des bactéries, le bacille du charbon créerait sans doute un affolement, mais ferait assez peu de morts. Il n'est pas contagieux et l'obtention d'un aérosol efficace n'est pas chose aisée. De plus, la France dispose d'un stock d'antibiotiques suffisant. La peste est plus difficile à cultiver et nécessite un vecteur naturel, le rat. risques bioterroristes. De surcroît, le laboratoire ne dispose que d'une faible quantité de virus et ne détient pas de souches de la variole. En conséquence, les dangers afférents au laboratoire P 4 sont faibles.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

· Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées :

- M. le professeur Lucien ABENHAÏM, directeur général de la santé (démissionnaire le 18 août 2003) ;

- M. Gérard DUMONT, coordinateur « Biotox », en compagnie de Mme Dominique PETON-KLEIN, directrice des projets à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

- M. le professeur Jean-François LACRONIQUE, président du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ancien coordinateur « Biotox ».

· Ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales :

- M. Christian GALLIARD de LAVERNEE, directeur de la défense et de la sécurité civiles et haut fonctionnaire de défense du ministère de l'intérieur, M. David JULLIARD, directeur de cabinet, M. Jean-François RAFFY, chef du bureau de coordination interministérielle de défense et de sécurité civiles et le médecin en chef Guy MALGRAS, conseiller médical à la sous direction de l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire.

- M. Pierre de BOUSQUET de FLORIAN, directeur de la surveillance du territoire, et M. Michel GUERIN, commissaire divisionnaire, sous-directeur « contre-terrorisme ».

· Ministère de la défense :

- M. le médecin général Michel MEYRAN, directeur central du service de santé des armées et le médecin chef des services Patrice BINDER, ancien chef du bureau recherche.

- M. le général François DEBOUT, sous-directeur du service des programmes nucléaires de la délégation générale pour l'armement, et M. Pierre-Yves RENARD, ingénieur principal de l'armement, coordinateur « Biotox » de la DGA.

- M. l'ingénieur en chef 160;Ministère des affaires étrangères :

- M. Paul DAHAN, sous-directeur du désarmement chimique et biologique, et M. Gabriel BERNIER.

· Secrétariat général de la défense nationale :

- M. Jean-Claude MALLET, secrétaire général de la défense nationale, Mme Isabelle DAOUST-MALEVAL, chargée de mission à la direction des technologies sensibles, M. Claude WACHTEL, chargé de mission à la direction de la protection et de la sécurité de l'Etat, et le contre-amiral Christian PENILLARD, conseiller pour le secrétariat des conseils de défense.

· Gendarmerie nationale :

- M. le colonel DUFLOT, commandant le groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory et le lieutenant Edwige BLANDIN, responsable de la cellule nationale NRBC.

· Institut national de veille sanitaire :

- M. le professeur Gilles BRÜCKER, directeur général.

· Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé :

- M. Philippe DUNETON, directeur général et M. Dominique MASSET, unité de veille toxicologique.

· Commission européenne :

- M. Georgios GOUVRAS, responsable de la « task-force bioterrorisme », direction générale « Santé et protection des consommateurs ».

· Déplacement en zone de défense Est à Metz (5 juin 2003)

Intervenants au niveau zonal :

- M. Philippe CHERVET, préfet délégué pour la sécurité et la défense.

- M. le général LITIQUE, adjoint au gouverneur militaire.

- M. le médecin général HUSSER, Hôpital d'Instruction des Armées Legouest.

- M. le colonel DEVORS, chef d'état-major interarmées de la zone de défense.

- M. le colonel François MAURER, chef d'état-major de zone.

- Commissaire colonel CASASSUS, adjoint au chef d'état-major de zone.

- M. Joël GUITTON, procureur de la République, Tribunal de grande instance de Metz.

- M. Thierry COUTURE, directeur départemental de la sécurité publique de la Moselle.

- M. le lieutenant-colonel GERARD, groupement de gendarmerie départe-mentale de la Moselle.

- M. le colonel Bernard FRANOZ, directeur départemental des services d'incendie et de secours.

- M. le docteur Michel AUSSEDAT, médecin chef du SAMU 57.

- Mme le docteur F. JUDES, direction départementale des services vétérinaires.

- M. le docteur Jean-Luc TERMIGNON et M. Benoît JAMES, direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

- Mme Sophie CUNY, directrice-adjointe du SIRACEDPC.

- M. Nicolas BARBE, Lyonnaise des eaux.

- M. Philippe KIENTZY, Compagnie générale des eaux.

· Autres personnalités :

- Mme Michèle MOCK, chef de l'Unité toxines et pathogénies bactériennes de l'Institut Pasteur.

- M. le docteur Vincent DEUBEL, directeur du laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon.

- M. Christian SOMMADE, secrétaire général du Haut comité français pour la défense civile.

- M. Olivier LEPICK, chercheur associé à la fondation pour la recherche stratégique.

- M. Olivier DARRASON, ancien député, président de la compagnie européenne d'intelligence stratégique, et Mme Virginie VACCA, directrice des études.

N° 1097 - Rapport d'information sur le bioterrorisme (M. Pierre Lang)

1 () Loi n° 2001-1276, du 28 décembre 2001.


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