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N° 1170

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 novembre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE (1), SUR LA GESTION DE L'EAU SUR LE TERRITOIRE

PAR M. Jean LAUNAY

Député

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

Equipement - Aménagement du territoire - Environnement.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Emile Blessig, président ; MM. Nicolas Forissier, Jean Launay, Serge Poignant, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Folliot, secrétaires ; MM. Joël Beaugendre, Jean Diébold, Jacques Le Nay, Alain Marleix, Mme Henriette Martinez, MM. Max Roustan, Jean-Pierre Dufau, Patrick Lemasle, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont.

INTRODUCTION 5

I - L'INFLUENCE DU DROIT COMMUNAUTAIRE SUR LE RÉGIME DE L'EAU 7

A. L'ORGANISATION DES SERVICES DE DISTRIBUTION ET D'ASSAINISSEMENT 7

1. Des modes d'organisation et de gestion très divers 8

2. Le paradoxe français du service public : des groupes d'envergure internationale 9

B. LA PROTECTION SANITAIRE DES USAGERS 10

1. Le prélèvement sur les eaux 10

2. La protection des masses d'eau : des normes difficiles à appliquer 12

C. L'INFLUENCE DU DROIT FRANÇAIS SUR LES PRINCIPES COMMUNAUTAIRES : LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU 12

1. La tarification des coûts 13

2. La ventilation par secteur d'activité 13

II - LES PROBLÈMES FINANCIERS 14

A. LE RENOUVELLEMENT DES CANALISATIONS : UN INVESTISSEMENT LOURD POUR LES COMMUNES RURALES 14

1. Des installations vieillissantes 15

2. Le problème financier du renouvellement des installations 16

B. LES INÉGALITÉS DU PRIX DE L'EAU SUR LE TERRITOIRE 19

1. Mode de gestion et prix de l'eau 19

2. La part croissante du recours au secteur privé 21

3. Les conséquences sociales des nouvelles normes européennes 23

C. LA QUALITÉ DE L'EAU ET LA POLITIQUE DE DÉPOLLUTION 23

1. Les difficultés de la politique de protection 31

2. Le cas particulier des pollutions agricoles 32

III - GESTION DE L'EAU ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE 33

A. L'ENCHEVÊTREMENT DES COMPÉTENCES 34

1. Faut-il encore décentraliser la politique de l'eau ? 35

2. Traduire dans le droit l'action des départements 36

a) Les secteurs d'intervention privilégiés 37

b) Vers de nouvelles compétences 38

3. Vers de nouveaux financements 39

a) Instituer des Fonds départementaux pour l'eau 39

b) Affecter aux départements la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés 40

B. L'ÉMERGENCE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS TERRITORIAUX DE BASSIN 41

1. Le bassin versant, espace d'aménagement du territoire 43

a) Une réalité physique 43

b) ...qui s'accomode mal des circonscriptions administratives 43

2. Renforcer le rôle des établissements publics territoriaux de bassin 44

a) L'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau 45

b) La prévention des inondations 47

CONCLUSION 49

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION 51

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION 53

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 55

ANNEXE 57

AUDITIONS 59

MESDAMES, MESSIEURS,

Alors que les deux tiers des départements doivent leur nom à une rivière ou un fleuve, les politiques d'aménagement du territoire s'intéressent rarement à l'eau. Celle-ci a fait pourtant l'objet de nombreuses attentions de la part des pouvoirs publics : annonce du dépôt d'un projet de loi par Mme la ministre de l'écologie et du développement durable, commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les inondations, rapport de M. Yves Tavernier, au nom de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le prix de l'eau et plus récemment, rapport de M. Gérard Miquel, sénateur du Lot, sur la qualité de l'eau et de l'assainissement en France.

Les remarquables rapports de MM. Yves Tavernier et Gérard Miquel ont mis en lumière des thèmes qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Ils ne peuvent être indifférents à des hausses de prix et à la dégradation de la qualité de la principale source de vie.

L'eau est un enjeu pour des politiques aussi diverses que le tourisme, la santé, l'agriculture ou les transports. Mais elle constitue également un élément d'aménagement du territoire. En effet, le législateur, en votant la loi du 16 décembre 1964, s'est fondé sur un dispositif permettant à une collectivité locale ou à un établissement public de se porter maître d'ouvrage d'opérations sur un bassin versant ou un sous-bassin, afin de coordonner les activités humaines sur lesdits bassins. Quarante ans après son vote, la loi du 16 décembre 1964 peut être qualifiée de succès. Elle a même inspiré la Commission européenne lorsque celle-ci a élaboré sa directive cadre sur l'eau.

Une série de problèmes vient pourtant tempérer le bilan de la loi de 1964. La notion de collectivité chef de file laisse place au constat d'un enchevêtrement de compétences, notamment sur la police de l'eau. Les collectivités locales ne protègent que partiellement les sources de captage. L'évolution des technologies contraint des communes qui ne le souhaitent pas à recourir à la délégation de service public. Certaines communes n'ont pu assurer l'approvisionnement en eau pendant la période de sécheresse. Les départements, qui n'ont que peu de compétences en matière d'eau, se retrouvent en position de principaux investisseurs sur le territoire. Cette liste n'est pas limitative et explique l'intérêt que les collectivités locales, les syndicats et les associations ont porté aux récentes assises de l'eau, qui constituent la phase préalable au dépôt d'un projet de loi en 2004.

Les enjeux de la future loi sont multiples, mais quatre thèmes se dégagent au regard de l'aménagement du territoire : assurer une bonne qualité de l'eau dans tous les départements, maintenir un prix accessible pour l'ensemble des citoyens, permettre aux communes d'assurer le renouvellement de leurs installations et l'interconnexion de leurs réseaux et mettre le droit au diapason de la réalité en redéfinissant les compétences des collectivités locales et des établissements publics. D'autres thèmes, comme les pollutions d'origine agricole, concernent moins l'aménagement du territoire que la protection d'espaces bien délimités, mais ils participent d'une réflexion sur la place de l'eau dans nos sociétés.

Le présent rapport n'a ni la prétention, ni la vocation de dresser un tableau d'ensemble de la politique de l'eau en France. Les rapports parlementaires précités ont déjà mis en lumière les principales questions en la matière : inondations, prix, qualité. Il s'interroge en revanche sur l'émiettement des compétences relatives à la gestion de l'eau au moment même où notre pays s'engage sur une nouvelle phase de décentralisation. La clarification des rapports entre les acteurs qui régissent l'eau ainsi que le recours à de nouvelles sources de financement sont autant de questions que la nouvelle loi se devra de traiter.Votre délégation propose quelques pistes de réforme qui ne préjugent évidemment pas de la rédaction en cours du projet de loi, mais il ne fait aucun doute qu'elles seront au cœur du débat que le Parlement animera en 2004.

I - L'INFLUENCE DU DROIT COMMUNAUTAIRE SUR LE RÉGIME DE L'EAU

S'il existe un régime juridique français de l'eau, caractérisé par son ancienneté (loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964), le droit communautaire prend de plus en plus d'influence. Or, les dispositions des différentes directives ne sont pas neutres au regard de l'aménagement du territoire lorsqu'elles ont pour effet de contraindre les collectivités locales à lancer de nouveaux investissements.

A. L'ORGANISATION DES SERVICES DE DISTRIBUTION ET D'ASSAINISSEMENT

L'article 295 du Traité de l'Union européenne prévoit que les Etats membres ont la liberté de choix pour la création, l'organisation et le financement de leurs services publics. La philosophie de l'Union européenne est de considérer que les Etats ont toute faculté pour déterminer les domaines qui doivent être exercés sous service public, au nom de la souveraineté des Etats quant à leur organisation administrative.

Corollaire de la liberté des Etats, les collectivités territoriales disposent du libre choix dans l'organisation de leur administration. En France, l'article 72 de la Constitution prévoit que les collectivités locales s'administrent librement. Ce principe implique une libre gestion par les collectivités de leurs compétences. Les conditions d'exercice de ce principe renvoient à une certaine liberté dans l'organisation et le choix du mode de gestion de leurs services publics. La mise en oeuvre du principe doit se faire dans les conditions prévues par la loi. Lors de l'adoption des lois de décentralisation, le Parlement a confirmé, par le rappel de la clause générale de compétences reconnues aux collectivités locales, l'existence d'une liberté de création et d'organisation des services publics et par-là même, d'une liberté de choix de leur mode de gestion. Du principe de la libre administration des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel (1) a dégagé le principe de la liberté contractuelle applicable dans l'exécution des services publics locaux.

La liberté d'organisation des Etats et des collectivités doit toutefois être compatible avec les règles de libre concurrence telles qu'énoncées par le préambule du Traité de Rome et prévues par l'article 86 du traité précité. On observe à cet égard une évolution qui préserve la notion de service public. Alors que les autorités européennes marquaient leur vif souci de protéger la libre concurrence dès l'entrée en vigueur du Traité de Rome, elles ont progressivement admis que ce principe trouvait ses limites dans le bon fonctionnement des services publics, ces derniers étant considérés comme les instruments de la cohésion économique et sociale de l'Union européenne.

1. Des modes d'organisation et de gestion très divers

En raison de la liberté laissée aux Etats et aux collectivités locales, les modes d'organisation et de gestion sont extrêmement divers, allant de la régie directe jusqu'à la dévolution pure et simple au secteur privé, la France ayant développé un système qui concilie service public et compétitivité économique.

La privatisation de l'eau : Ce système est celui qui a été adopté par la Grande-Bretagne. Le Water Act de 1989 a privatisé les Regional Water Authorities, qui sont peu ou prou assimilables aux Agences de l'eau françaises. La distribution et l'assainissement sont du ressort de sociétés privées, l'Etat assurant la police des eaux (contrôle sanitaire, lutte contre la pollution) et la régulation économique du système. Les sociétés privées disposent en effet d'un monopole sur leur territoire. En l'absence de concurrence, l'Etat britannique publie annuellement un rapport sur la qualité des services et sur les prix pratiqués par les sociétés précitées.

Depuis 1989, la nécessité d'investir pour moderniser le réseau a induit des hausses tarifaires variant de 5 % à 20 %, supérieures à l'inflation. Compte tenu des profits enregistrés par les sociétés, la tendance est à la stabilisation tarifaire même si les règles sanitaires européennes engendreront prochainement de nouveaux investissements, donc de nouvelles hausses.

La gestion municipale : également appelée "municipalisme", elle prédomine dans les pays scandinaves, en Allemagne, en Italie, en Irlande et en Grèce. Organisatrice du service de distribution, la collectivité locale (commune, district...) en assure également la gestion. Ainsi, en Allemagne, la gestion directe se traduit par l'intégration des activités de distribution et d'assainissement dans le budget municipal, sans autonomie financière ou juridique.

Il existe aussi des formes de gestion directe avec recours à des personnalités juridiques distinctes de celle de la commune. En Allemagne, les Eigengesellschaft sont des sociétés de droit privé constituées sous forme de SA ou de SARL, dont les collectivités détiennent 100 % du capital. La loi italienne 142 du 8 juin 1990 portant organisation des autonomies locales a autorisé la gestion des services publics locaux par des sociétés par actions qui, jusqu'en 1992, devaient être majoritairement détenues par les communes. Aux Pays-Bas et en Grèce, le secteur public prédomine. Aux Pays-Bas, la distribution d'eau potable s'est progressivement déplacée des communes aux Waterleidingbredrijven, sociétés intercommunales dont le capital appartient entièrementaux communes. L'assainissement et l'épuration sont le plus souvent dévolus aux Wateringues, communautés d'usagers apparues au Moyen Âge et devenues, en 1989 des collectivités locales à part entière.

Dans l'ensemble de ces pays, la gestion municipale donne de bons résultats, tant pour les finances locales que pour la qualité des eaux offertes aux consommateurs et pour la protection de la ressource. La limitation des sociétés locales à des aires géographiques communales a en revanche empêché l'émergence de grandes sociétés de distribution et de traitement, comme en France.

Régie ou délégation de service public, le système français : la gestion de l'eau et de l'assainissement relève de la responsabilité des communes ou des structures intercommunales. Elles peuvent recourir à la régie directe ou à des sociétés d'économie mixte, ou déléguer la gestion au secteur privé. Cette formule est largement utilisée puisque plus de 80 % de la population est desservie par des sociétés privées. Dans le secteur de l'assainissement, cette proportion atteint 55 %.

2. Le paradoxe français du service public : des groupes d'envergure internationale

Le recours croissant à la délégation de service public a conduit en France à un paradoxe. En raison des objectifs de qualité exigés par les communes, inscrits dans le cahier des charges, les sociétés privées ont acquis une excellence qui a été renforcée par le recours à des technologies sophistiquées, mises en place pour répondre à des normes sanitaires européennes de plus en plus strictes. Ce savoir-faire, doublé d'une longue tradition de négociation avec les collectivités locales, a permis à l'industrie française de l'eau d'occuper la première place dans le monde tout en assurant en France ses obligations de service public. Cette solide assise sur le marché national a favorisé la conquête de marchés à l'étranger.

L'industrie française se répartit principalement sur trois groupes. Véolia dessert environ 40 % des abonnés, Suez-Lyonnaise des Eaux 22 %, SAUR-CISE 16 %. Le pôle eau de Véolia résulte de l'intégration de la Compagnie Générale des Eaux et de l'Américain Usefilter et réalise un chiffre d'affaires de près de 13 milliards d'euros dont 61 % en Europe. Avec 70 000 salariés, il dessert plus de 100 millions d'habitants dans une centaine de pays. Il occupe la première place dans la production d'équipements de traitement d'eau et dans la gestion déléguée des services liés à l'eau. En France, Véolia est le principal partenaire des collectivités locales dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, avec 55 % des parts de marché et quelques 14 000 salariés. Elle génère un chiffre d'affaires de 4,4 milliards d'euros réparti entre l'eau potable et l'assainissement (3 milliards d'euros), les travaux hydrauliques (0,9 milliard d'euros), l'ingénierie (0,5 milliard d'euros), les prestations annexes (0,3 milliard d'euros) ; elle dessert 25 millions de personnes en eau potable et 19 millions en assainissement à travers 48 centres opérationnels et 134 agences. De son côté, le chiffre d'affaires du pôle eau de la Lyonnaise des Eaux s'élevait à 53 milliards de francs en 1999. Suez-Lyonnaise des Eaux dessert 107 millions d'habitants en eau potable et en assainissement à travers le monde. Elle est présente dans des métropoles telles que Casablanca, Buenos Aires ou Sydney et se trouve à la première place pour l'ingénierie de traitement de l'eau et le traitement chimique de l'eau. La Lyonnaise des Eaux génère en France 2,13 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie 8 000 salariés. L'extension des entreprises françaises s'est réalisée principalement par l'obtention de contrats internationaux et par croissance externe (acquisition de sociétés, alliances entre groupes concrétisées par l'instauration de filiales communes, prise de participation dans les entreprises...).

B. LA PROTECTION SANITAIRE DES USAGERS

La lutte contre la pollution et la protection des usagers contre diverses bactéries ont conduit l'Union européenne dans une action à deux volets : protéger la ressource en veillant au prélèvement sur les eaux et mettre en place des normes de qualité en fixant les quantités admissibles de produits (plomb, chlore, nitrates, etc..) dans une masse d'eau déterminée.

1. Le prélèvement sur les eaux

Le prélèvement sur les eaux obéit au principe de subsidiarité. S'il existe des règles européennes, le droit est essentiellement d'origine nationale, l'Union européenne fixant les objectifs.

La directive cadre 2000/60/CE du 23 octobre 2000 vise essentiellement à protéger l'environnement à l'occasion des activités de captage. Le droit communautaire se limite à la prévention des pollutions. Les Etats membres doivent prendre dans chaque bassin hydrographique "des mesures de contrôle des captage d'eau douce dans les eaux de surface et les eaux souterraines, notamment l'établissement d'un ou de plusieurs registres des captages d'eau et l'institution d'une autorisation préalable pour le captage et l'endiguement". Les Etats peuvent exempter de ces contrôles les installations de captage n'ayant aucune incidence significative sur l'état des eaux. En conséquence, dans le cas où les eaux sont de bonne qualité, l'Etat membre n'est pas obligé d'adopter des mesures similaires à celles des articles L. 214-1 et suivants du code français de l'environnement relatifs aux régimes d'autorisation ou de déclaration des ouvrages prélevant des eaux superficielles ou souterraines. Mais inversement, le principe de subsidiarité n'interdit nullement de fixer des objectifs plus ambitieux.

Le droit communautaire met l'accent, par ailleurs, sur le renforcement de la protection des eaux souterraines et sur la diminution spécifique de la pollution de ces eaux. L'Union européenne reconnaît l'importance de préserver de grandes quantités d'eaux souterraines. "L'état quantitatif d'une masse d'eau souterraine peut avoir une incidence sur la qualité écologique des eaux de surface et des écosystèmes terrestres associés à cette masse d'eau souterraine. La définition de l'état quantitatif est donnée par la directive-cadre à savoir l'expression du degré d'incidence des captages directs et indirects sur une masse d'eau souterraine. Une certaine quantité d'eau permet, chaque année, de recharger les nappes d'eaux souterraines et une partie de cette recharge est nécessaire pour soutenir le niveau et le débit des écosystèmes liés à ces nappes. Dans une gestion saine, seule la partie de la recharge qui n'est pas nécessaire à ce soutien écologique peut être prélevée et la directive-cadre limite les prélèvements à cette quantité. Les Etats membres doivent protéger, améliorer et restaurer toutes les masses d'eau souterraines, assurer un équilibre entre les captages et le renouvellement des eaux souterraines afin d'obtenir un bon état des masses d'eau souterraine, ... quinze ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive".

Initialement, le droit communautaire comportait simplement l'obligation de mettre en place des périmètres de protection autour des points de prélèvement de l'eau. En pratique, il s'agit le plus souvent de captage d'eaux souterraines (65 % des captages). La France satisfaisait théroriquement depuis longtemps à cette obligation en vertu de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964, mais ce dispositif est mal appliqué en raison de son coût financier, notamment pour les communes rurales. L'initiative du périmètre de protection revient à la collectivité locale responsable du service de distribution de l'eau.

Dans une seconde étape, la directive 80/68/CEE du Conseil du 17 décembre 1979 visait à rapprocher les législations des Etats membres relatives au rejet de certaines substances dangereuses dans les eaux souterraines, en établissant un contrôle systématique de la qualité de ces eaux. A l'exception des rejets directs de certaines substances, tout rejet devait être soumis à un régime d'autorisation délivrée après enquête portant sur le milieu aquatique. La directive imposait pour la première fois aux entreprises industrielles une zone de protection des captages d'eau destinée à l'alimentation humaine. Les rejets étaient autorisés sous réserve du respect de toutes les précautions techniques permettant d'éviter la pollution des eaux souterraines par les rejets. L'autorisation devait tenir compte de la proximité des captages d'eau, en particulier d'eau potable. Mais comme la directive était axée sur le contrôle des rejets provenant de sources industrielles et urbaines, elle souffrait de l'absence d'instruments spécifiques permettant une action concertée dans l'ensemble de la Communauté européenne.

En 1996, la Commission européenne a présenté un programme d'action relatif aux eaux souterraines, qui a préconisé le maintien quantitatif des ressources en eaux douces. La directive n° 2000/60/CE précitée a en conséquence prévu le renforcement de la protection des eaux de captage dans des zones sensibles, les Etats devant agir avant le 22 décembre 2004. Les Etats doivent également surveiller que les masses d'eau répondent à des critères de qualité. Ils doivent enfin prévenir toute aggravation des pollutions.

2. La protection des masses d'eau : des normes difficiles à appliquer

La directive 2000/60/CE impose aux Etats l'obligation de garantir la qualité des masses d'eau au plus tard en 2015. Ils doivent mettre en oeuvre un programme de surveillance des eaux de surface et des réserves souterraines.

Ces nouvelles normes seront sans doute difficiles à appliquer. Ainsi, la plupart des entreprises du secteur s'interrogent sur la notion de masse d'eau. En outre, notre pays n'a pas complètement appliqué les dispositions de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau. En 2000, 30 % seulement des captages étaient protégés des pollutions. La circulaire n° 97-2 du 2 janvier 1997 relative à la mise en place des périmètres de protection des points de prélèvement d'eau destinée à la consommation humaine a pourtant rappelé que les maires engageaient leur responsabilité pénale en cas d'inapplication de la loi.

En l'an 2000, 40 % seulement des captages bénéficiaient d'un périmètre de protection effectif ou en cours de constitution. La France doit donc accomplir d'importants efforts pour appliquer sa propre législation et se conformer aux règles communautaires. Le Commissariat général du Plan, via le Conseil national de l'évaluation, a estimé, dans un rapport publié en septembre 2001, que les pouvoirs publics ne conduisaient pas pour l'heure une politique cohérente. La directive européenne comble cette lacune, en contraignant notre pays à respecter des objectifs quantifiés.

C. L'INFLUENCE DU DROIT FRANCAIS SUR LES PRINCIPES COMMUNAUTAIRES : LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DE L'EAU

Si le droit français a enregistré ces dernières années de nombreuses dispositions issues du droit communautaire, il a en contrepartie largement influencé ce dernier sur la question du financement de la politique de l'eau. La conception française du service public n'a pas empêché - loin s'en faut - de mettre en place un système de financement économiquement réaliste. L'eau paye l'eau est un principe qui trouve sa traduction dans une tarification dont l'objectif est de développer et d'entretenir les infrastructures. L'apparition, ces dernières années, de taxes sur les activités polluantes incite les utilisateurs à une utilisation de l'eau plus respectueuse de l'environnement. Ces principes ont été repris par la directive cadre précitée, qui a introduit en droit communautaire la notion de récupération des coûts au travers d'une tarification économique. Toutefois, la portée de la directive est affaiblie par les larges dérogations qu'elle accorde aux Etats.

1. La tarification des coûts

La tarification du prix de l'eau doit normalement prendre en compte l'ensemble des services dont bénéficient les usagers ainsi que les conséquences des prélèvements et des rejets d'eau sur l'environnement. Il s'agit de services tels que le captage, l'endiguement, le stockage, le traitement et la distribution d'eau de surface ou d'eau souterraine ainsi que les installations de collecte et de traitement des eaux usées qui effectuent ensuite des rejets dans les eaux de surface. L'objectif de la directive est d'individualiser comptablement chaque élément de la politique de l'eau.

Comme certains Etats européens, à l'instar de l'Irlande, n'ont pas recours à la tarification mais à la couverture de cette politique par l'impôt, la directive n° 2000/60/CE précitée laisse une latitude d'appréciation importante aux Etats, y compris de déroger au principe du lien entre le prix et le service rendu, dès lors qu'une pratique nationale permet d'arriver au même résultat.

Pour sa part, le droit français reconnaît déjà le principe posé par la directive communautaire, visant à ce que le prix payé par l'usager corresponde à la valeur réelle du service qu'il reçoit. Les services français de distribution d'eau et d'assainissement, financièrement gérés comme des services publics industriels et commerciaux, donnent lieu à la perception de redevances dues par les usagers et affectées au financement des charges des services, quel que soit le mode de gestion choisi.

2. La ventilation par secteur d'activité

L'objectif de la directive 2000/60/CE est d'inciter au recouvrement des coûts des services pour chacun des types d'usages. A compter de 2010, les Etats devront veiller à ce que les secteurs industriels et agricoles, ainsi que les ménages, contribuent à la récupération des coûts des services de l'eau. Toutefois, l'opposition marquée de certains Etats membres, parmi lesquels la France, a conduit la Commission européenne à réduire l'obligation imposée aux Etats. Ceux-ci souhaitaient conserver certains mécanismes de péréquation qui permettent de tenir compte de la capacité contributive des secteurs économiques et sociaux. La France est pour l'heure loin de satisfaire l'objectif de la directive. Il est vrai qu'elle dispose de temps d'ici à 2010. Notre pays a mis en place des mécanismes de péréquation et de solidarité permettant des financements croisés entre secteurs. Le système français autorise des transferts entre catégories d'usagers, en particulier vers les communes rurales et les exploitants agricoles. A l'échelle du bassin hydrographique, une première péréquation s'exerce entre les ménages et l'industrie d'une part, les agriculteurs d'autre part. Ces derniers ne paient qu'une partie des coûts réels d'usage et d'assainissement de l'eau, ce qui les place au centre d'un débat politique, au sens le plus noble du terme puisqu'il s'agit de concilier le coût des usages agricoles avec la protection de l'environnement. La péréquation est également mise en oeuvre au sein des structures intercommunales, entre communes centrales et périphériques.

Enfin, jusqu'à sa prochaine disparition, le Fonds national pour le développement des adductions d'eau aura établi une solidarité entre les communes urbaines disposant d'une large base fiscale et les communes rurales dépourvues de ressources.

II - LES PROBLÈMES FINANCIERS

A. LE RENOUVELLEMENT DES CANALISATIONS : UN INVESTISSEMENT LOURD POUR LES COMMUNES RURALES

Si l'approvisionnement en eau potable est achevé sur l'ensemble du territoire français, de nouveaux investissements sont nécessaires à court et moyen termes. Diverses analyses montrent l'état perfectible des réseaux de distribution d'eau potable : le rendement primaire moyen des réseaux français, de l'ordre de 70 %, signifie qu'il y a 30 % de pertes et fuites, ce qui ne constitue guère une politique respectueuse de l'environnement. La dégradation des eaux distribuées tient certes plus à la nature de la ressource même, touchée par des pollutions de toutes natures, qu'à la dégradation des réseaux. Cependant, la présence de plomb dans les branchements ou les joints entre canalisations oblige la France à envisager des mesures de dépose des tronçons incriminés, d'une part par souci de santé publique, d'autre part pour respecter les nouvelles normes communautaires.

M. Jean-Michel Cador, dans une étude conduite au sein de l'université de Caen, constate que "les dysfonctionnements en matière de gestion de l'eau potable amènent à se poser la question plus simple de l'inventaire du patrimoine : il est possible de constater que même des ordres de grandeur grossiers manquent quant aux linéaires desservant notre territoire, aux matériaux utilisés et à l'état de ce patrimoine. Les enquêtes locales menées indiquent qu'en de nombreux endroits les éléments de base de connaissance des réseaux sont manquants : de nombreuses communes ne possèdent pas de plan de leurs infrastructures digne de ce nom".

L'ensemble des collectivités locales devront donc procéder à un inventaire de leur patrimoine avant de procéder au renouvellement de leurs canalisations.

1. Des installations vieillissantes

Le réseau de canalisations d'eau est évalué, hors branchements, à 830 000 km. La valeur de ce réseau est estimé à 85 milliards d'euros par Canalisateurs de France, qui est le syndicat regroupant les entreprises de ce secteur.

La longueur des réseaux varie à l'évidence selon les régions. Elle dépend de l'effectif de la population à desservir, de la surface du département mais surtout de la dispersion de l'habitat. Selon les hypothèses de l'université de Caen, l'Ouest de la France apparaît comme la région aux canalisations les plus longues.

D'après les entreprises du secteur, 50 % du réseau serait antérieur à 1972. 20 % des canalisations, posées avant 1960, sont en fonte grise ou en acier, soit des matières cassantes qui favorisent les fuites.

Estimation de l'âge des canalisations

année

kilomètres posés cumulés

% posés avant

1940

25370

3,1 %

1950

64130

7,7 %

1960

159000

19,1 %

1970

367250

44,2 %

1980

633470

76,3 %

1990

781620

94,1 %

2000

830750

100 %

Source : GEOPHEN

La répartition des canalisations par matériau fait pour sa part l'objet de l'estimation suivante :

Estimation des canalisations par matériau

Matériau

%

linéaire (km)

Valeurs milliards d'euros

acier

2,0

16800

1,7

amiante-ciment

4,2

36000

3,6

fonte ductile

19,6

166000

16,6

fonte grise

21,7

185000

18,5

fontes indifférenciées

(50 % fontes grises)

12,5

106000

10,6

PVC

39,7

329000

32,9

Source : GEOPHEN

Trois matériaux - l'acier, la fonte grise et le PVC (particulièrement le PVC collé) - sont à l'origine de casse et de fuites et forment 60 % de la valeur du patrimoine à remplacer, soit 51 milliards d'euros. L'amiante pose un problème de santé publique et il semblerait que ce matériau représente une proportion certes résiduelle, mais non négligeable, sur notre territoire.

2. Le problème financier du renouvellement des installations

La plupart des matériaux ont une durée de vie oscillant entre 50 et 100 ans. Au rythme actuel des remplacements, il faudrait près de deux siècles pour moderniser le réseau, alors qu'une durée de 75 à 125 ans permettrait de maintenir l'efficience technique des installations. L'investissement annuel, en ce cas, s'établirait entre 600 millions d'euros et un milliard d'euros. Si l'on retient ce dernier chiffre, la dépense est environ de 10 millions d'euros par département et par an.

Toutefois, la dépose et le remplacement des canalisations n'est pas linéaire. L'usure des matériaux, combinée au respect de règles sanitaires, obligera les collectivités locales à concentrer leurs investissements à certaines périodes.

Hypothèses de travail pour le renouvellement des canalisations

Matériau

Périodes de pose

Critères de dépose

Durée de vie

vieux PVC

1960-1975

joints collés, matériaux fragiles, mauvais état constaté

50 ans

PVC

après 1975

âge

75 ans

amiante-ciment

1950-1985

mauvais état généralisé en particulier en environnement acide

dépose avant 2015

fonte grise

1900-1960

présence généralisée de branchements en plomb, matériau fragile

dépose avant 2015

fonte grise

1960-1970

âge

75 ans

vieil acier

1930-1960

présence généralisée de branchements en plomb, matériau fragile

dépose avant 2015

acier

après 1960

âge

75 ans

PEHD

actuelle

âge

100 ans

Fonte ductible

actuelle

âge

100 ans

Source : GEOPHEN

D'après M. Jean-Michel Cador, les hypothèses de travail montrent "la présence de pics traduisant l'arrivée à terme de matériaux posés eux-mêmes par pics il y a 50 ou 75 ans, voire 100 ans. Quelles que soient les durées de vie ou périodes de dépose appliquées, ces pics sont inévitables et sont seulement plus ou moins prononcés en valeur ou décalés dans le temps."

Ainsi, il sera nécessaire de remplacer les canalisations d'acier et d'amiante, ainsi que leurs branchements en plomb, avant 2015, soit 15 000 kms par an pour un investissement annuel de 1,5 milliard d'euros. Le PVC doit également être changé à court terme. A plus long terme, la dépose de la fonte grise et d'une partie de l'acier devra être entreprise entre 2035 et 2050.

Les investissements annuels auxquels devront consentir les collectivités locales sont donc importants. Or, l'outil qui finançait partiellement ces investissements - le Fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE) - va être supprimé.

Créé en 1954, le FNDAE a pour objet le financement des réseaux d'eau potable et d'assainissement en zone rurale. Jusqu'à la fin de 2002, ses recettes provenaient d'un prélèvement de 0,02 euros par mètre cube d'eau consommé et d'un prélèvement sur le pari mutuel urbain (PMU). Il disposait ainsi de 145 millions d'euros en 2002.

Cinquante ans après sa création, le FNDAE a rempli ses objectifs, mais la nécessité de renouveler les réseaux justifie à l'évidence sa prolongation. Toutefois, la loi de finances pour 2003 a transféré aux départements la part de ressources provenant du PMU. De ce fait, la baisse des crédits alloués par le fonds est de l'ordre de 50 à 75 % dans 64 départements et de l'ordre de 75 % dans 25 départements. Le risque est que les programmes d'investissement subissent un recul mettant en péril la modernisation du réseau.

Par ailleurs, le FNDAE a été créé pour financer de nouveaux investissements. Il ne constitue pas juridiquement une source de financement pour le renouvellement des adductions, ce qui réduit encore la marge de manœuvre des communes.

Au problème du renouvellement s'ajoute celui de l'interconnexion des réseaux, afin de mieux optimiser les ressources en eau et d'améliorer le rendement desdits réseaux. Il s'agit également d'éviter les prélèvements excessifs sur les nappes phréatiques, comme cela s'est produit pendant la période de sécheresse. Ainsi, dans le département du Lot, l'absence d'interconnexions suffisantes a conduit à prélever des eaux de qualité médiocre et a altéré la perméabilité de certaines nappes.

La mise en place de réseaux interconnectés est un véritable enjeu de solidarité entre territoires. La sécheresse, comme les inondations des dernières années, ont révélé les inégalités entre communes au regard de la ressource en eau. L'interconnexion garantirait la sécurité des approvisionnements. Toutefois, cette priorité se heurte à la difficulté de trouver un maître d'ouvrage unique pour la réalisation des grandes interconnexions. Certains départements envisageraient des fusions de syndicats de distribution d'eau.

Or le monde rural connaît des besoins spécifiques en matière d'eau et d'assainissement. La dispersion de l'habitat entraîne des linéaires de réseaux quatre fois plus importants en milieu rural qu'en zone urbaine pour l'adduction d'eau. Ce problème est aggravé par la nécessité de combattre les pollutions. La contamination des eaux brutes par les pollutions diffuses d'origine agricole imposerait le recours à des technologies de traitement sophistiquées et coûteuses pour respecter les normes de potabilité. En termes bactériologiques, les taux de non-conformité de l'eau distribuée en zone rurale sont actuellement deux fois supérieures à ceux qui sont observés en milieu urbain. Or la sévérité des normes de qualité à atteindre va encore s'accroître avec la directive européenne 98/83/CE du 3 novembre 1998, transposée par décret en décembre 2001. Certes, le transfert des moyens du FNDAE aux départements a été envisagé pour améliorer la qualité de l'eau, notamment pour respecter les normes communautaires. Mais ce transfert a pour effet immédiat de diminuer les investissements.

En répondant à une question orale de M. le Sénateur Jacques Oudin, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, a précisé que les modalités de transfert du FNDAE aux départements seraient arrêtées en fin d'année, dans le cadre de la réforme de la politique de l'eau.

B. LES INÉGALITÉS DU PRIX DE L'EAU SUR LE TERRITOIRE

La dépense annuelle de consommation d'eau d'un ménage est évaluée à 306 € (2002). Ce prix est raisonnable. Ramené à une dépense journalière, il équivaut à une baguette de pain.

Pour autant, le prix de l'eau a enregistré de fortes augmentations. Les statistiques de la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, de l'INSEE et du syndicat professionnel des distributeurs d'eau se conjuguent pour établir que le prix de l'eau a augmenté de 5 % par an entre 1985 et 1990, soit un rythme supérieur à l'inflation (moyenne annuelle de 3,2 %). Entre 1991 et 1994, la hausse a atteint 11 % par an. Depuis 1995, elle s'est régulièrement réduite (2 % en 1999).

Le prix n'est pas - et ne peut être - uniforme sur l'ensemble du territoire. Pour 120 m3 d'eau, une famille paie 215 € dans le Puy-de-Dôme et 394 euros en Seine-et-Marne. Des différences peuvent également apparaître entre communes, au sein d'un même département. Le relief ou la densité de l'habitat constituent des facteurs aisément compréhensibles. Mais la coexistence de systèmes de gestion -régie directe et délégation de service public- conduisent les élus et les citoyens à s'interroger sur la relation pouvant exister entre prix et mode de gestion.

Le remarquable rapport d'information (n° 3081) de M. Yves Tavernier, présenté au nom de la Commission des Finances sous la XIème législature sur le financement et la gestion de l'eau a analysé la plupart des aspects du prix de l'eau. Il n'est donc pas nécessaire d'y revenir, sinon pour souligner quelques points concernant l'aménagement du territoire.

1. Mode de gestion et prix de l'eau

La France compte près de 16 000 services d'eau et d'assainissement. Cette atomisation apparente est la conséquence logique de notre droit, qui rend les communes responsables de l'adduction d'eau et de l'assainissement.

Modes de gestion de la distribution d'eau et de l'assainissement collectif

Mode de gestion

Part des communes

(en %)

Part de la population

(en %)

▪ Service de distribution d'eau

- Régie

48

20

- délégation de service public

52

80

dont affermage

88

(n.c.)

dont concession, régie intéressée, gérance ou autre

12

(n.c.)

▪ Service de l'assainissement collectif

- régie

62

47

- délégation de service public

38

53

dont affermage

85

(n.c.)

dont concession, régie intéressée, gérance ou autre

15

(n.c.)

Source : Ministère de l'Ecologie et du développement durable

La plupart des petites communes ont choisi la régie tandis que les grandes communes ont généralement recours à la délégation de service public. De ce fait, les services d'eau et d'assainissement gèrent quelques centaines de personnes comme plusieurs millions d'habitants.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRF) a constaté une différence de prix d'environ 13 % entre régies et services délégués. Cette différence est logique car la nature des prestations varie. Si le recours à la régie est moins cher pour le consommateur, c'est entre autre parce qu'une partie du travail administratif est prise en charge par le budget communal. Par ailleurs, l'effort de recherche et de développement est essentiellement assuré par le secteur privé. La compétitivité technologique est une condition pour s'imposer sur les marchés internationaux.

Certains postes clefs (coût du capital, amortissement des investissements) sont en outre comptabilisés différemment. La comptabilisation de l'amortissement des réseaux est très inégalement pratiquée par les communes qui privilégient rarement la logique patrimoniale et l'analyse d'un résultat d'exploitation. Les collectivités locales calculent plutôt les provisions pour renouvellement sans tenir compte du risque d'usure qui augmente avec l'âge de l'équipement. Enfin, les opérateurs privés et publics ne sont pas assujettis aux mêmes charges d'exploitation (impôts et taxes, charges sociales). Les salaires des fonctionnaires sont ainsi exonérés d'assurance chômage et de retraite complémentaire, ce qui représente une économie de 10 % sur la masse salariale.

En l'absence d'indicateurs de performance intégrant les coûts économiques et sociaux, admis à la fois par les pouvoirs publics et les opérateurs privés, il est prudent d'arrêter l'analyse. Un écart de prix peut se justifier parce que les investissements de protection contre les pollutions sont plus onéreux sur certains points du territoire. 16 000 services d'assainissement forment chacun une situation spécifique.

2. La part croissante du recours au secteur privé

Si les régies concernent principalement les petites communes, de grandes villes comme Strasbourg, Limoges, Nantes ou Tours y ont encore recours. Plus récemment, les villes de Grenoble et d'Alès y sont revenues. La régie est néanmoins un mode en recul constant. En 1980, 40 % des volumes d'eau étaient distribués par des régies, cette part étant tombée à 20 % en 2002. Ce déclin est dû à plusieurs facteurs :

- le renforcement des normes de qualité de l'eau a rendu nécessaire le recours à des technologies de plus en plus difficiles à maîtriser par les communes ;

- l'utilisation de ressources d'eau plus éloignées et la généralisation de l'assainissement ont entraîné d'importants investissements que les petites communes n'ont pas les moyens de financer directement ;

- les élus sont souvent réticents à prendre en charge la responsabilité directe de fortes hausses de prix.

De ce fait, le marché privé de la distribution et de l'assainissement est considérable, avec près de 4,80 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Les compétences techniques acquises par les trois principaux opérateurs leur ont permis de remporter de grands contrats à l'étranger, et cet aspect - positif pour la balance des paiements comme pour la création d'emplois qualifiés - ne doit jamais être oublié dès lors que sont examinées les relations entre ces opérateurs et la puissance publique.

Marché privé de la distribution de l'eau et de l'assainissement (1)

Nom de la société

Groupe

Part des abonnés desservis

Type de collectivités concédantes

Générale des eaux

Veolia Environnement

51 %

Grandes villes, en particulier en Ile-de-France

Lyonnaise des eaux

Suez

24 %

Communes rurales, quelques villes importantes

Société d'aménagement urbain et rural (SAUR)

Bouygues

13 %

Communes rurales, villes petites et moyennes

Filiales communes

Générale et Lyonnaise

Lyonnaise et SAUR

10 %

Grandes villes et agglomérations

Une dizaine de sociétés indépendantes

2 %

Communes rurales, petites villes

(1) Chiffres 2000

Source : Conseil de la concurrence, avis n° 00-A.12 du 31 mai 2000.

La commission des Finances de l'Assemblée avait analysé en 2001 (rapport de M. Yves Tavernier précité) les effets de la prédominance de trois grands groupes : "La concentration particulièrement forte qui règne sur ce marché est de nature à entretenir des doutes quant à l'exercice de la concurrence. Elle met les collectivités désireuses de déléguer leur service public de l'eau et de l'assainissement dans une situation particulièrement inconfortable : d'une part, ces dernières ne disposent pas d'une expertise technique comparable à la spécialisation et à l'expérience de ces grands groupes ; d'autre part, faute d'une réelle situation de concurrence, elles ne sont jamais sûres que l'offre qu'elles acceptent est effectivement la meilleure, qu'il s'agisse de la qualité du service ou du coût. Comme ce coût est payé in fine par l'usager, il est essentiel de veiller à ce que les contrats de délégation ne soient pas déséquilibrés au profits du groupe délégataire et au détriment des usagers. C'est ce à quoi le législateur s'est employé lors de la dernière décennie, sans parvenir encore à combler parfaitement le déséquilibre structurel entre les acteurs."

Citant la Cour des comptes, la Commission des Finances rappelait également l'existence de pratiques contestables, comme le versement par l'entreprise délégataire d'un droit d'entrée à la collectivité déléguante, droit que l'entreprise répercutait sur l'usager lors de la facturation. La même Cour des comptes, il est vrai, stigmatisait le rendement médiocre de certaines régies, leur personnel parfois pléthorique et l'opacité de leur tarification.

Les lois n° 93-122 du 29 janvier 1993, n° 95-101 du 2 février 1995 et n° 95-127 du 8 février 1995 ont marqué la volonté du législateur d'orienter les procédures de délégation vers plus de transparence. Elles ont représenté un progrès indéniable mais les difficultés d'application persistent.

Statistiquement, la Cour des comptes comme le Haut Conseil du secteur public considèrent que le passage de la régie vers la délégation de service public entraîne une hausse de prix pour l'usager. Dans un rapport de décembre 1999, le Haut Conseil analysait dix recours à la délégation de service public, pour constater de fortes augmentations de prix dans six cas.

3. Les conséquences sociales des nouvelles normes européennes

Les normes européennes prévues par la directive 2000/60/CE renforcent la protection sanitaire et le bon état écologique de l'eau. Mais elles obligent nombre de communes à recourir à la délégation de service public compte tenu du coût des investissements et de leur insuffisante maîtrise technologique. Les normes communautaires portent ainsi atteinte, indirectement, à la liberté des communes. Dès lors que la technologie est contraignante, le choix des élus devient illusoire.

Or ces derniers, par attachement à une doctrine, peuvent vouloir marquer leur préférence pour la régie directe, plutôt que d'accepter les services du secteur privé. Des considérations sociales sont susceptibles de renforcer ce choix dans le cas où la commune est habitée par des ménages ayant des revenus modestes.

Le problème est évidemment plus aigu dans certaines zones rurales, où le coût des investissements est d'autant plus élevé que la densité de population est faible. De ce fait, la facture d'eau peut augmenter brutalement (entre 10 % et 30 %) pour des usagers qui disposent de revenus modestes, notamment les salariés et les retraités agricoles.

C. LA QUALITÉ DE L'EAU ET LA POLITIQUE DE DÉPOLLUTION

La qualité de l'eau et sa perception par les citoyens est graduellement devenue une question de société. La distribution d'eau courante est généralisée mais de nombreuses enquêtes publiques (directions régionales des affaires sanitaires et sociales, institut national de la consommation...) et privées (presse régionale) ont progressivement dissuadé nos concitoyens de recourir à l'eau du robinet, comme en témoigne la nette progression de la consommation d'eaux minérales et de source.

Consommation d'eaux minérales et de source

Production

(millions de litres)

Consommation par habitant (litres)

1992

2001

1992

2001

Eaux de source

1450

2500

27

38

Eaux minérales

5200

6500

70

94

Total

6650

9000

97

132

Source : office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Cette désaffection n'est pas uniquement un phénomène urbain. Elle est perceptible dans les zones rurales, où les pollutions agricoles sont sensibles. Les Agences de l'eau et les directions régionales de l'environnement ont mis en lumière de sérieuses dégradations des cours d'eau.

Dégradation des cours d'eau en France

Qualité des eaux

Origine des pollutions

Nitrates

Phosphates

Pesticides

Moyenne

Alsace, Champagne Ardennes, Picardie, Bourgogne, Aquitaine

Bretagne, Lorraine, Pays de Loire, Normandie, Midi-Pyrénées

vallée de la Seine, embouchure de la Loire

Médiocre

Nord-Pas-de-Calais, nord de la Lorraine, Normandie

Ile de France, Picardie

Ile de France

Mauvaise

Ile de France, Bretagne

Nord - Pas-de-Calais, vallée de la Seine

Embouchure de la Seine, Alpes maritimes, Bretagne sud

Source : Agences de l'eau, DIREN (1997-1999)

Les zones géographiques incriminées correspondent en règle générale à des aires d'agriculture intensive. Les pollutions sont également présentes à des échelles plus petites (bassin versant de rivières, cours d'eau, sources de captage, ce qui fait de cette question un problème de gestion d'espace.

LES MATIÈRES PHOSPHORÉES

DANS LES COURS D'EAU

(classes de qualité)

graphique

LES PESTICIDES

DANS LES COURS

D'EAU

graphique

LES NITRATES DANS LES COURS D'EAU

(classes de qualité)

graphique

1. Les difficultés de la politique de protection

La politique de gestion de la qualité des eaux comporte deux volets : la protection de la ressource et le traitement des eaux usées. Dans le premier cas, il s'agit d'un dispositif de prévention, tandis que le second cas exige des investissements publics et/ou privés.

La protection de la ressource est soumise à une réglementation sur les prélèvements d'eau, ainsi qu'à la définition de périmètres de protection. Le rapport du Conseil national d'évaluation du Commissariat général du Plan (2001) a recensé l'ensemble des dispositifs juridiques applicables en ce domaine. Dans la pratique, les autorités de l'Etat et les collectivités locales admettent qu'elles ne disposent pas d'un recensement exhaustif des forages, notamment familiaux. Les procédures d'autorisation des forages sont en outre longues et complexes et l'administration n'est pas en mesure de procéder sur place à des évaluations. Elle accorde par commodité les autorisations, mais en réalité, des milliers de forage échappent à tout contrôle.

La réglementation sur les périmètres de protection, visant à prévenir la contamination de l'eau par des produits polluants, souffre de lacunes similaires dans son application. Sur 35 171 points de prélèvements, seuls 35,3 % bénéficiaient de périmètres de protection en 2001, avec de grandes variations selon les départements. Si 72 % des points de captage sont protégés en Alsace, ce taux tombe à moins de 10 % dans une douzaine de départements.

Dans les cas les plus graves, les autorités sanitaires ont fermé des points de captage, notamment dans les bassins Loire-Bretagne et Artois-Picardie.

Causes de fermeture des captages

(bassin Loire-Bretagne - 1997 - 55 fermetures)

Qualité :

Qualité bactériologique

Teneur excessive en nitrates

Teneur excessive en pesticides

Turbidité excessive

(%)

34

27

11

5

Captage difficile ou impossible à protéger

27

Débit insuffisant

16

Autres (proximité de rejets, agressivité de l'eau, etc...)

13

Source : SDAGE Loire-Bretagne 2000

Situation des captages en Artois-Picardie (2002)

Département

Captages abandonnés

Projets d'abandon

Captages actifs

Captages en projet

Aisne

23

5

58

2

Nord

133

34

354

27

Pas-de-Calais

230

90

371

28

Somme

128

52

242

10

Total

514

181

1025

67

Source : Agence de l'eau Artois-Picardie

2. Le cas particulier des pollutions agricoles

Les pollutions d'origine agricoles sont les plus connues par nos concitoyens. Leur répartition correspond aux zones d'agriculture intensive, touchant particulièrement la Bretagne, l'Ile-de-France, la Picardie et l'Alsace

La sévérité accrue des normes communautaires et l'action des élus - sous la pression des citoyens, réunis en associations de défense - permettent de poser les bases d'une nouvelle politique. Il est inutile de stigmatiser les agriculteurs auxquels les pouvoirs publics (Union européenne, ministère de l'agriculture) et le secteur de la grande distribution ont demandé de pratiquer une agriculture intensive. Des nitrates d'Alsace au lisier de porc en Bretagne, en passant par le lisier de canard dans les Landes, les exemples sont multiples. Les agriculteurs ne peuvent pour autant se considérer comme exonérés de toute responsabilité, dès lors que d'autres pratiques culturales existent.

Les pouvoirs publics et les organisations professionnelles agricoles agissent actuellement sur une base contractuelle, dans le cadre du plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) et des contrats territoriaux d'exploitation (CTE). De nombreuses imprécisions juridiques et le manque de financement ont fortement freiné la mise en œuvre de cette politique En outre, il n'est pas facile de limiter les rejets dans l'eau alors que la plupart des semences sont vendues avec des produits phytosanitaires intégrés Ces produits permettent d'améliorer la protection des cultures mais leur effet sur l'environnement oblige les collectivités locales et les agriculteurs à prendre de nouvelles précautions, comme l'enherbement des rives.

Le financement de la politique de l'eau reposant sur le principe « l'eau paie l'eau », il est logique que le Gouvernement mette à l'étude une redevance servant à financer la dépollution, assise sur les activités agricoles Actuellement, les usagers paient 84 % des redevances de dépollution, les industriels 14 % et les agriculteurs 2 %, alors qu'ils sont les principaux responsables des pollutions des eaux. En tenant compte du type de culture pratiquée, le montant prélevé sur les agriculteurs pourrait s'élever à 65 millions d'euros, à comparer à 8,5 millions d'euros actuellement. En contrepartie, le Gouvernement doit poursuivre une politique d'aide aux agriculteurs afin de traiter les effluents d'élevage et la réduction des pesticides. Le coût des aides est évalué par le ministère de l'agriculture à 150 millions d'euros pendant cinq ans.

III - GESTION DE L'EAU ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Les auditions conduites par votre Rapporteur montrent que l'eau est au cœur de nombreuses politiques : protection de la santé, activités agricoles et industrielles, tourisme, transports, préservation des milieux naturels. Toute politique d'aménagement du territoire est, à un moment donné, concernée par l'eau.

L'aménagement du territoire s'effectue dans le cadre de circonscriptions administratives qui coïncident rarement avec les bassins hydrographiques. De multiples lois sur l'eau ont été adoptées entre 1804 (code civil) et 1995, en vue de préoccupations spécifiques. Ces lois ont, à chaque fois, créé des espaces de gestion de l'eau. Il en est ainsi de la loi du 16 septembre 1807 sur l'assèchement des marais, la loi du 15 avril 1829 sur la pêche, la loi du 28 mars 1858 sur les inondations, la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux, la loi du 16 octobre 1919 sur l'hydroélectricité, la loi du 16 décembre 1964 sur le régime et la répartition des eaux et la lutte contre la pollution, la loi du 29 juin 1984 sur la pêche, la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau et la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement.

L'articulation des politiques de l'eau et d'aménagement du territoire s'avère difficile au regard de cet empilement législatif. Une clarification est d'autant plus souhaitable que la directive communautaire précitée du 22 octobre 2000 conforte la loi de 1964, qui avait institué six grands bassins, en définissant la politique européenne de l'eau à partir d'une réalité physique : les bassins versants. Il s'agit de territoires sur lesquels toutes les gouttes de pluie qui tombent s'écoulent, puis se rejoignent en un même endroit pour former une rivière qui débouche sur un fleuve ou dans la mer.

La loi de 1992 précitée s'est fondée sur une démarche de planification à long terme au niveau local. Elle a institué les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). A l'échelle des sous-bassins, il s'agit des schémas d'aménagement et de la gestion des eaux (SAGE). Il en existe actuellement une quarantaine en France, la plupart ayant été créés entre 2000 et 2003.

En outre, la loi prévoyait que des commissions locales de l'eau élaboreraient le projet de gestion intégrée de l'eau dans le sous-bassin. Composées des représentants de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics locaux, des usagers, des propriétaires riverains, des organisations professionnelles et des associations, ces commissions n'ont guère tenu un rôle actif. Leur absence de personnalité juridique n'a pas encouragé les collectivités locales à les mettre en place.

Les SDAGE et les SAGE sont théoriquement mis en œuvre par les communautés locales de l'eau. Ces dernières ont la qualité de maître d'ouvrage. Cependant, les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, préfèrent se limiter au travail de coordination des commissions locales précitées plutôt que de créer un nouveau maître d'ouvrage dont les compétences chevaucheraient celles des syndicats intercommunaux.

A. L'ENCHEVÊTREMENT DES COMPÉTENCES

La politique de l'eau est mise en oeuvre à la fois par les collectivités locales et les instances de bassin. Les communes assurent l'approvisionnement et l'assainissement, en vertu de leur rôle d'échelon de proximité. Les instances de bassin sont compétentes pour la gestion de l'eau sur une aire géographique plus large

La gestion de l'eau obéit à une organisation tripartite, en application de la loi de 1964 qui a créé des instances de bassins. Ces trois instances ont un rôle bien déterminé :

- le comité de bassin, chargé de définir la politique de l'eau au niveau d'un grand bassin ;

- l'agence de l'eau, destinée à financer cette politique ;

- l'établissement public administratif de l'Etat, doté de la capacité de se constituer en maître d'ouvrage, pour mettre en œuvre la politique de l'eau à l'échelle des bassins hydrographiques.

Dans les faits, ce dernier type d'établissement n'a jamais été créé. Les collectivités locales n'ont pas souhaité être confrontées à un maître d'ouvrage concurrent. Pour remédier à ce problème, ont été institués, à l'initiative de l'Etat, des agences de l'eau et des collectivités territoriales, des Etablissements publics territoriaux de bassin (EPTB). Mais le problème est demeuré...

1. Faut-il encore décentraliser la politique de l'eau ?

La politique de l'eau est largement décentralisée en France. Elle est essentiellement assurée par les agences de l'eau et les collectivités locales.

Cette politique fait actuellement l'objet d'une réforme, en cours de préparation au sein du Gouvernement. Mme la ministre de l'Ecologie a soumis les principaux volets de cette réforme à un débat public, dans lequel sont intervenus les collectivités locales, les agences de l'eau, les syndicats professionnels ainsi que les associations d'usagers. S'il s'avère que le caractère décentralisé de la gestion de l'eau n'est pas remis en cause, la nécessité d'une meilleure coordination au niveau national se fait jour, ne serait-ce que pour clarifier les compétences des différents acteurs.

Le rôle des agences de l'eau ne fait pas, globalement, l'objet de critiques. Elles constituent à la fois un outil d'aménagement du territoire et une instance d'élaboration de la politique de l'eau.

La directive cadre communautaire précitée conforte la gestion des usages et des ressources au niveau des bassins. Cette directive, en cours de transposition, enjoint d'évaluer les impacts à moyen et long terme des autres politiques publiques sur celle de l'eau, obligeant ainsi les agences de l'eau à définir des normes de qualité d'ici à 2015. Les comités de bassin devront ainsi faire la synthèse des conséquences des politiques sectorielles et de l'aménagement du territoire sur la gestion de l'eau, en liaison étroite avec les Conseils régionaux et généraux.

Le rôle des agences dans les domaines de la solidarité territoriale et de la péréquation paraît insuffisamment affirmé au regard des intentions qui ont présidé à leur création. Aussi quelques voies de réforme mériteraient d'être étudiées, comme l'attribution des aides financières selon leur impact territorial, ou l'utilisation du Fonds national de solidarité pour l'eau comme outil d'aménagement du territoire.

A un niveau inférieur, le bassin semble être l'échelle pertinente de planification, via le SDAGE, ainsi que l'outil de mise en oeuvre de la directive cadre communautaire. Les comités de bassin, comme les agences de l'eau, sont déjà des organes décentralisés de gestion de l'eau. Aussi la question d'une décentralisation accrue de la politique de l'eau se pose au regard des collectivités locales, pour clarifier les compétences de chacune d'entre elles et inciter à plus de coopération, compte tenu du coût des investissements.

Il ne semble pas utile de modifier le triple postulat qui prévaut pour la politique de l'eau :

- la participation des citoyens, garantie par le rôle dévolu aux élus des collectivités locales, entités organisatrices ;

- la concurrence pour le service, la France étant le seul pays à organiser une concurrence entre prestataires pour la fourniture d'un service sur un territoire ;

- la diversité des formes de contrat qui favorise l'adaptation aux situations locales, y compris les régies directes, les structures départementales, les sociétés d'économie mixte, les établissements publics territoriaux de bassin...

L'échelon communal est généralement considéré comme le plus commode pour l'exercice de la maîtrise d'ouvrage. La gestion de l'eau dépassant les limites communales, la poursuite de la décentralisation passe par le recours croissant aux structures intercommunales, à la condition que les textes relatifs à l'intercommunalité soient mis en cohérence avec les exigences d'aménagement du territoire.

2. Traduire dans le droit l'action des départements

Juridiquement, les départements n'ont aucune compétence dans le domaine de l'eau. En pratique, la plupart financent la politique de l'eau. La moitié des dépenses annuelles des départements en faveur de l'environnement est consacrée à l'eau.

L'implication des départements dans la politique de l'eau est illustrée par l'importance de leurs dépenses d'investissement, évaluées à 750 millions d'euros en 2003, à raison de 70 % en subventions versées aux collectivités distributrices. 30 % des dépenses d'investissements des départements concernent leurs propres investissements.

S'agissant des subventions, les deux tiers sont consacrés à l'assainissement, le solde étant destiné à l'approvisionnement en eau potable. Selon les départements, la part octroyée aux communes oscille entre 26 % et 40 % des subventions. Dans plus de la moitié des cas, le versement de ces aides n'est pas conditionné par la mise en place d'un schéma directeur d'alimentation en eau ou en assainissement. Dans 72 % des cas, ces aides financières sont indépendantes du prix de l'eau pratiqué dans la commune. Par ailleurs, d'autres partenaires financiers aident les communes dans leur projet d'assainissement et d'eau potable, comme le montre le tableau ci-dessous.

Partenaires financiers

Taux moyen de subvention

Union européenne

eau potable : entre 19 et 21 %

assainissement : entre 22 et 24 %

Etat

eau potable : entre 23 et 29 %

assainissement : entre 23 et 29 %

Agences de l'eau

eau potable : entre 20 et 35 %

assainissement : entre 24 et 38 %

Régions

Eau potable : 2 %

Assainissement : entre 5 et 8 %

Source : Assemblée des départements de France

Enfin, il convient de rappeler que plusieurs départements font partie d'un syndicat mixte qui, en mutualisant les charges, offre des possibilités supplémentaires d'investissement, donnant ainsi une dimension supplémentaire à la politique de gestion de l'eau du département.

a) Les secteurs d'intervention privilégiés

La préservation des eaux brutes et l'alimentation en eau potable constituent incontestablement les domaines d'interventions privilégiés des départements. Ils participent très fortement au financement et au suivi des projets de ce secteur et en assurent parfois la maîtrise d'ouvrage.

Le renforcement, l'extension, l'interconnexion des réseaux, la recherche de nouvelles ressources et l'institution de périmètres de protection des captages destinés à la production d'eau potable figurent en tête des interventions que plus de 75 % des départements financent. Ils sont également maîtres d'ouvrage des études liées à ces opérations. Plus de la moitié d'entre eux prennent également en charge la maîtrise d'ouvrage du suivi des ressources en eau superficielles ou souterraines par des observatoires de l'eau, des réseaux de mesure et des laboratoires d'analyse. En revanche, ils sont moins présents dans les actions de suppression des branchements en plomb sur les réseaux d'eau potable.

Dans le cadre de la lutte contre les pollutions d'origine agricole, ils soutiennent financièrement la mise aux normes des bâtiments d'élevage. En revanche, moins de la moitié des départements participent au financement d'opérations agri-environnementales. Ils ne sont quasiment jamais maîtres d'ouvrage de ces opérations, même s'ils en assurent un suivi. Par ailleurs, les trois quarts des départements interviennent financièrement au titre de la lutte contre les inondations, même s'ils ne sont qu'un petit nombre (23 %) à être maîtres d'ouvrage.

L'implication des départements dans les différents secteurs du domaine de l'eau se traduit donc généralement par une participation au financement et au suivi des projets plutôt que par le portage direct d'opérations. Cela correspond à la volonté des Conseils généraux, soucieux de la préservation de la ressource comme de la qualité de l'eau de consommation, mais également respectueux de la liberté des communes.

b) Vers de nouvelles compétences

La plupart des départements disposent de services techniques qui relaient efficacement leur aide financière. Les effectifs varient selon la nature des travaux, allant de cinq agents en moyenne pour l'assainissement collectif à deux agents pour l'eau potable.

Près de 80 % des services techniques fonctionnent en régie directe. Seuls 13 % des départements sont organisés autour d'un syndicat départemental pour l'alimentation en eau potable et 7% autour d'un syndicat départemental d'assainissement.

Cette offre technique concerne à la fois les travaux pour le compte des départements et l'assistance aux communes. L'efficience de l'aide financière dépend en effet de l'appui technique apporté à la réalisation des projets.

Il est évident que les coûts croissants d'investissement pour l'approvisionnement et l'assainissement collectif et non collectif posera dans un proche avenir de véritables problèmes aux petits syndicats intercommunaux. Disposant de plus de moyens financiers, qu'ils utilisent déjà dans le secteur de l'eau, les départements souhaitent approfondir leur rôle auprès des communes. Entendu pour votre Délégation, M. Claude Albecq, vice-président du Conseil général de la Manche, a clairement appelé, au nom de l'Assemblée des départements de France, à l'élaboration de schémas départementaux pour l'alimentation en eau potable, et plus généralement à l'élargissement des compétences des départements dans le domaine de l'eau, pour des préoccupations d'aménagement du territoire.

L'adaptation des réseaux d'eau à la lutte
contre les incendies

La réglementation des installations d'eau affectées à la lutte contre les incendies est fixée par une circulaire ministérielle de 1951. Au plan opérationnel, les élus font part d'un désengagement grandissant des services d'incendie et de secours en ce qui concerne la vérification des bornes à incendie, au motif que celle-ci devrait relever des gestionnaires des réseaux d'eau.

Or, si le pouvoir de police des maires s'étend bien à la lutte contre les incendies, les réseaux d'eau sont souvent gérés par des ECPI ou en délégation. De ce fait, la marge de manœuvre des maires est réduite.

A l'évidence, le service d'incendie ne peut être imputé financièrement aux abonnés du service d'eau potable. Les maires, pour leur part, n'ont pas les moyens de pallier les refus de mise aux normes par les EPCI ou par les délégataires lorsque ceux-ci manquent de moyens financiers. Cette situation est préoccupante pour la sécurité de nos concitoyens, d'autant que les communes manquent de moyens financiers et que les élus voient leur responsabilité mise en cause. A ce jour, le ministère de l'Intérieur, saisi en 2001, et la direction de la sécurité civile, saisie en 2002, n'ont pas proposé de solution.

3. Vers de nouveaux financements

Si les départements bénéficiaient de compétences élargies, il serait nécessaire de leur accorder de nouvelles ressources financières. Deux voies pourraient être suivies : la création de fonds départementaux pour l'eau et la dévolution de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés.

a) Instituer des Fonds départementaux pour l'eau

Tous les cinq ans, l'Etat mène une enquête auprès des départements afin de faire l'inventaire des besoins en réseaux d'eau potable et d'assainissement. Cette enquête permet de mieux répartir les subventions que l'Etat verse aux départements au travers du FNDAE. Il ressort de cette enquête que les besoins dépassent de façon constante les possibilités de financement.

En outre, le paysage français de la gestion de l'eau est caractérisé par une multitude de services locaux, d'organisation et de taille extrêmement variées. 16 000 services d'eau et 12 000 services d'assainissement sont dénombrés. Pour n'avoir pas développé de politique globale et préventive de l'entretien du patrimoine existant, ces établissements, notamment lorsqu'ils sont situés en milieu rural, se trouvent confrontés à des infrastructures endommagées dont la rénovation est de plus en plus coûteuse.

Lors de son audition par votre Délégation, M. Claude Albecq a demandé, au nom de l'Assemblée des départements de France, que la politique de l'eau devienne une compétence des Conseils généraux. Si la loi de décentralisation, actuellement en examen au Parlement, accordait effectivement cette compétence aux départements, il faudrait modifier les modalités de financement de la politique de l'eau. Les départements devraient être directement bénéficiaires d'une part de la fiscalité sur l'eau. Des Fonds départementaux pour l'eau (FDE), fonds de mutualisation des ressources financières seraient mis en place pour contribuer à financer tous les travaux de développement, de renouvellement et d'entretien des infrastructures relatives à l'adduction en eau potable et à l'assainissement. Les collectivités gestionnaires seraient les Conseils généraux ou des syndicats mixtes regroupant les communes et les établissements publics du département.

Le financement des Fonds pourrait avoir une double origine :

- affecter le produit actuel de la redevance sur les consommations d'eau qui alimente le FNDAE, à ces Fonds. Les Fonds départementaux pourraient également être approvisionnés par des contributions financières des Conseils généraux et des agences de l'eau. Le législateur ne devrait toutefois pas écarter l'idée d'une péréquation nationale ;

- autoriser les Conseils généraux et les syndicats mixtes à contracter des emprunts à hauteur des capacités de remboursement que leur permet la perception de la redevance sur les consommations. Ainsi, les Fonds démultiplieraient les montants des aides pouvant être allouées aux services d'eau et d'assainissement.

En rendant les départements politiquement et financièrement responsables de la gestion de l'adduction d'eau et de l'assainissement, le transfert de compétence les obligerait à évaluer l'état de leur réseau. Il leur appartiendrait ensuite de déterminer à l'échelon local lesquels des priorités ils retiendraient.

b) Affecter aux départements la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés

La taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés a été instituée par la loi de finances pour 1995.

Elle constituait une ressource alimentant le compte spécial du trésor n° 902-24 "Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables" (FITTVN), censé financer de nouvelles infrastructures de transport.

Le FITTVN a été supprimé en 2001, sous la pression notamment des rapporteurs spéciaux de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale sur le budget des transports terrestres. Ces derniers avaient constaté, année par année, que le FITTVN ne respectait pas sa vocation première et qu'il se contentait de financer des opérations déjà prévues par le budget du ministère des transports, budget qui lui-même était amputé à due concurrence des dotations inscrites au FITTVN.

En d'autres termes, le FITTVN avait majoré la fiscalité par la création de la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés et la taxe sur les concessionnaires d'autoroutes, sans financer de nouveaux programmes.

Le fonds a été supprimé mais les taxes demeurent. Elles sont désormais versées au budget de l'Etat. Le rendement prévisionnel de la taxe sur les concessionnaires d'ouvrages hydroélectriques concédés est évalué à 170 millions d'euros par le projet de loi de finances pour 2004.

Dans la mesure où les départements, soit directement, soit par l'intermédiaire des EPTB, exercent graduellement la compétence sur la politique de l'eau, la dévolution de ressources financières nouvelles devient une priorité. Or, la taxe sur les concessionnaires d'ouvrages hydroélectriques concédés était à l'origine une ressource affectée. Il serait opportun de lui rendre ce caractère et de la transformer en recette au profit des départements, afin qu'ils renforcent leurs capacités opérationnelles dans le domaine de l'eau.

B. L'ÉMERGENCE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS TERRITORIAUX DE BASSIN

A la lecture des lois sur l'eau, comités de bassin et agences de l'eau définissent et mettent en œuvre la politique en ce domaine.

Comités de bassin et Agences de l'eau

Le comité de bassin est une assemblée composée, à parts égales, de représentants des collectivités territoriales, des usagers et de l'Etat. Souvent qualifié de "parlement de l'eau", le comité de bassin est consulté sur l'opportunité des travaux communs au bassin, sur les différends qui opposent les collectivités ou les groupements, ainsi que sur le taux et l'assiette des redevances perçues par l'agence de l'eau.

Etablissement public de l'Etat, l'agence de l'eau est chargée de susciter et de faciliter financièrement et techniquement des actions de lutte contre la pollution de l'eau, d'assurer entre les utilisateurs l'équilibre des ressources et des besoins en eau, et de promouvoir les études et la recherche. Ses ressources proviennent de la perception de redevances sur les prélèvements et la pollution des eaux.

La gestion de l'eau est en réalité dévolue aux collectivités locales. En effet, les élus siègent au sein des instances de bassin et représentent un tiers des comités de bassin et des conseils d'administration des agences de l'eau. Ils forment également la moitié des effectifs des commissions locales de l'eau, qui élaborent et suivent les SAGE. Enfin, les collectivités locales sont souvent maître d'ouvrage des travaux qui s'effectuent sur leur territoire ou à l'échelle interdépartementale et interrégionale.

Ce rôle majeur des collectivités locales est logique. Etant proches des besoins de leur population, elles sont mieux à même de déterminer les investissements pertinents. Mais l'existence de plusieurs instances avec des compétences propres empêche l'émergence d'une politique de l'eau qui prenne en compte l'ensemble des problèmes : protection de la ressource, approvisionnement, exploitation économique et prévention des risques. Les nappes, les bassins et les cours d'eau sont administrés avec compétence mais il manque une ligne directrice.

Les établissements publics territoriaux de bassin (ETPB) sont un élément de réponse à ce constat. Il s'agit de relier la réalité géographique - le bassin versant - à la réalité politique constituée par les collectivités locales. Les ETPB regroupent plusieurs collectivités locales. Actuellement, on compte 6 syndicats mixtes, 16 institutions interdépartementales. 71 départements sont membres d'un ou plusieurs EPTB, dont 26 sont membres d'au moins 2 EPTB, 5 sont membres de 3 EPTB. Enfin, 12 régions sont membres d'un EPTB.

Les EPTB travaillent dans le cadre du bassin versant, à l'échelle interdépartementale, interrégionale et internationale. Créés à l'origine pour des missions particulières (prévention des inondations, gestion des étiages), ils voient progressivement leurs domaines d'intervention s'étendre, compte tenu de leur capacité à définir, animer, coordonner et mettre en œuvre des stratégies et politiques de l'eau sur leurs bassins versants respectifs, et de leur capacité à exercer la maîtrise d'ouvrage des travaux d'aménagement nécessaires à cette échelle, en surmontant les cloisonnements administratifs. Ils sont par nature un outil d'aménagement du territoire.

1. Le bassin versant, espace d'aménagement du territoire

a) Une réalité physique

Le bassin versant constitue une réalité physique qui détermine nombre de politiques publiques : étiage, qualité des eaux, inondations, environnement... Il n'est pas un espace administratif abstrait ; il est au contraire lié au cheminement de l'eau. Il semble donc être l'espace idéal d'aménagement d'un territoire autour d'un fleuve ou d'un réseau de rivières.

Or le bassin versant n'a pas de réalité administrative, sinon au travers des politiques de coopération entre départements ou entre régions. Pour le reste, le découpage administratif des bassins a eu pour effet, jusqu'à une période récente, de rendre difficile toute gestion globale et cohérente. L'organisation administrative française a conduit de facto les collectivités territoriales à développer leur coopération au travers des EPTB. L'émergence, en droit, du bassin versant comme cadre de gestion a pourtant fait l'objet de tentatives législatives. La loi du 16 décembre 1964 précitée avait imaginé un dispositif déjà évoqué par votre Rapporteur. Mais les établissements publics administratifs dont le rôle était de se porter maître d'ouvrage d'opérations à l'échelle du bassin versant n'ont jamais été institués. Les collectivités locales ont substitué à ces établissements les ETPB, constitués soit sous forme de syndicat mixte, soit d'institution interdépartementale.

La loi du 3 janvier 1992 prévoit pour sa part la mise en place de SAGE à l'échelle du bassin, du sous-bassin ou du cours d'eau. Ces schémas n'ont pas vraiment reçu leur pleine application. Seuls quelques-uns ont été, à ce jour, approuvés. Or ils obligent à définir un projet commun à l'échelle du bassin. Le SAGE, en raison du lien qu'il impose entre bassin et circonscription administrative, est sans doute appelé à l'avenir à encadrer et à orienter toutes les actions de l'Etat et des collectivités locales dans le domaine de l'eau.

b) ...qui s'accomode mal des circonscriptions administratives

Le bassin versant est une réalité physique dépourvue de traduction juridique. Cette situation de non-reconnaissance s'explique par la multiplicité des circonscriptions administratives et des zonages qui caractérisent notre pays.

Traditionnellement, la mise en oeuvre des politiques publiques, notamment celles liées à l'aménagement du territoire, s'est appuyée sur la délimitation d'espaces géographiques particuliers en fonction de critères propres à chacun des objectifs poursuivis. Les cours d'eau et leurs bassins font partie de diverses zones qui ont complexifié les interventions en matière d'aménagement du territoire sur les bassins versants. A côté des régions, des départements et des communes, se trouvent des zonages résultant de la réglementation organisant ou protégeant l'espace. Il en est ainsi des zonages urbains (SCOT, PLU, plans de prévention des risques naturels) ou environnementaux (ZNIEFF, ZICO, réserves naturelles, zones spéciales de conservation des espèces ou des habitats en vertu de la directive européenne Natura 2000). Les zonages dits de "projets" se superposent aux précédents. Il s'agit des pays, des agglomérations, des parcs naturels régionaux.

En outre, les zonages issus des SDAGE (comme les zones prioritaires dans le SDAGE Adour-Garonne) se superposent aux zonages réglementaires spécifiques à l'eau (zones vulnérables, zones sensibles à l'eutrophisation, zones de réparation des eaux) ainsi qu'aux zonages issus de la directive cadre communautaire sur l'eau.

Chacun de ces zonages permet d'individualiser une action politique. Mais il n'existe plus de politique globale sur les cours d'eau. La DATAR, dans son étude "Aménager la France de 2020" invite à une politique de territoires articulée autour des fleuves et rivières. Il s'agit notamment de favoriser le retour des villes vers les cours d'eau et d'insister sur leur dimension environnementale. En effet, si les cours d'eau constituent des espaces économiques (hydroélectricité, électronucléaire, navigation, pêche, irrigation, tourisme...), ils sont aussi et surtout des espaces sensibles qu'il convient de préserver. La gestion équilibrée des cours d'eau impose, à terme, une réflexion d'ensemble sur la place de l'eau dans notre société.

2. Renforcer le rôle des établissements publics territoriaux de bassin

Les différents zonages montrent les spécificités des interventions des collectivités publiques sur l'eau, et parallèlement l'absence de politique globale. La juxtaposition des compétences est théoriquement lisible. Aux communes, l'eau potable et l'assainissement ; les départements disposent des espaces naturels et de la politique du tourisme. Les régions et l'Etat ont la compétence en matière d'aménagement du territoire et d'environnement. Enfin, certains établissements publics conduisent des politiques d'aménagement, comme la Compagnie nationale du Rhône (CNR).

Cette répartition des rôles n'empêche pas de multiples chevauchements. Ainsi, en raison de leurs obligations générales en matière de salubrité et de santé publique les communes sont souvent conduites à intervenir contre la pollution des rivières par les pesticides agricoles.

A l'heure où la décentralisation va confier de nouvelles compétences aux collectivités locales, il apparaît logique de reconnaître aux EPTB des compétences générales en matière d'observation, d'animation, de coordination et de mise en oeuvre de la politique de l'eau à l'échelle des bassins versants. Les EPTB émanent en effet des collectivités locales et prolongent leur action dans le domaine de l'eau. A ce titre, ils pourraient préparer avec l'Etat et les agences de l'eau les documents de planification sur l'eau, principalement lors de la rédaction des contrats de plan entre l'Etat et les régions, ou à l'occasion de la mise en place de zonages comme les chartes de pays.

a) L'élaboration des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau

Les SAGE ont pour objectif de coordonner les actions de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics et d'associer les usagers à la gestion de l'eau. L'entrée en vigueur de la directive cadre sur l'eau va rendre nécessaire le renforcement de la planification à l'échelle des bassins versants.

Prévus par la loi du 3 janvier 1992 précitée, les SAGE fixent les objectifs d'utilisation de l'eau ainsi que les moyens de la protéger. Les Commissions locales de l'eau (CLE) rassemblent pour leur part les collectivités territoriales, les usagers et les représentants de l'Etat et suivent l'application du SAGE. Les CLE s'appuient sur des maîtres d'ouvrages locaux existants, dont le territoire ne recouvre que rarement l'ensemble de celui du SAGE.

Lorsque le schéma a été approuvé, les décisions prises dans le domaine de l'eau par les autorités administratives et applicables dans le périmètre qu'il définit, doivent être compatibles ou rendues compatibles avec ce schéma. Plus d'une centaine de SAGE sont actuellement en cours d'élaboration en France, et une dizaine ont été approuvés et sont mis en oeuvre.

Les collectivités territoriales intéressées peuvent également s'associer dans une Communauté locale de l'eau, prévue par la loi de 1992 pour faciliter la réalisation des objectifs arrêtés dans le SAGE. Toutefois, aucune Communauté n'a vu le jour. En effet, peu de SAGE sont actuellement approuvés, et par ailleurs les collectivités locales et l'Etat ont préféré s'appuyer sur des structures existantes (syndicats mixtes, EPTB, collectivités locales...). En conséquence, seule une quinzaine d'EPTB travaille actuellement à l'élaboration de SAGE.

EPTB contribuant à l'élaboration d'un SAGE

EPTB

Nom du SAGE

Etat d'avancement

Emergence

Périmètre

déterminé

CLE

constituée

Elaboration

Approbation

Adour

Adour Amont

Midouze

X

X

Aude

Basse vallée de l'Aude

X

Authie

Authie

X

Bresle

Bresle

X

Garonne

Garonne

X

Gironde

Estuaire

X

Loire

Cher

Allier Aval

X

X

Saône

Doubs

Haut Doubs / Haute Loue

X

Sèvre

Nantaise

Sèvre nantaise

X

Sèvre niortaise

X

Sèvre

niortaise

Sèvre niortaise et marais poitevin

X

Vilaine

Vilaine

X

TOTAL

14

6

2

1

3

2

Source : Association française des EPTB

Le renforcement des EPTB passe par la reconnaissance juridique des SAGE, sous réserve que quatre conditions soient réunies :

- Renforcer le cadre du bassin versant comme unité géographique pertinente de la gestion de l'eau ;

- Renforcer les outils réglementaires permettant une gestion concertée à cette échelle ;

- Clarifier l'organisation des collectivités territoriales et des services de l'Etat dans le cadre du bassin versant ;

- Renforcer la participation du public.

La clarification des compétences des collectivités publiques constitue également un préalable, dans la mesure où les services de l'Etat participent peu à l'élaboration des SAGE dès lors que ces derniers concernent plusieurs entités administratives. La difficulté réside en ce que les collectivités locales hésitent à choisir l'une d'entre elles comme chef de file d'un projet. Les EPTB, qui réunissent plusieurs collectivités locales, apparaissent là encore mieux placés pour coordonner l'ensemble des actions constitutives d'un SAGE.

b) La prévention des inondations

Les inondations constituent désormais un phénomène régulier susceptible d'affecter chaque partie du territoire. Les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais également la Cour des comptes, ont mis en lumière les responsabilités respectives de l'Etat et des communes en matière d'inondation, tout en déplorant le manque de coordination des collectivités publiques dans la conduite des travaux.

On rappellera que l'Etat :

- informe du risque en faisant connaître les cartes des zones inondables ;

- assure le contrôle de la sécurité des grands ouvrages ;

- aide et facilite les actions des collectivités en apportant des financements ;

- assure l'alerte dans le cadre de la procédure de vigilance de Météo France et de la prévision des crues ;

- organise les secours dès que les phénomènes dépassent par leur ampleur le territoire d'une commune ;

- est responsable du libre écoulement des eaux dans les cours d'eau domaniaux non transférés ;

- établit les plans de prévention des risques d'inondations.

Pour leur part, les communes :

- prennent en compte le risque dans les documents d'urbanisme ;

- informent leurs administrés des risques ;

- effectuent des travaux de protection et d'entretien ;

- organisent les dispositifs de secours.

De nombreux EPTB agissent actuellement en matière de prévention des inondations (Seine, Loire, Rhône, Garonne, Meuse, Oise-Aisne, Saône-Doubs, Durance, Vilaine, Vidourle, Charente, Dordogne, Adour, Sèvre nantaise) en assurant la maîtrise d'ouvrage d'études et de travaux. Ils interviennent en partenariat avec l'Etat et les agences de l'eau et servent, par l'intermédiaire de leurs élus, de relais d'information auprès de leurs collectivités locales membres de l'EPTB.

Cette fonction d'information et de coordination pourrait être élargie à la détermination de la prévention des inondations. Il existe plusieurs types d'inondations, mais toutes sont liées à un relief. Dans le cas de crues fluviales, lentes, qui affectent les cours d'eau des plaines (Seine, Saône,...), le territoire influençant le risque est l'aire géographique d'alimentation du fleuve ou de la grande rivière, c'est-à-dire son bassin versant. Dans le cas de crues torrentielles, rapides, que l'on rencontre dans les zones montagneuses, mais aussi sur des rivières alimentées par des pluies de grande intensité (pluies cévenoles ayant provoqué l'inondation de Vaison-la-Romaine, inondations de septembre 2002 dans le Gard), le territoire soumis au risque est également le bassin versant. En effet, les modifications des conditions d'occupation des sols sur tout le bassin versant (déforestation, urbanisation), peuvent aggraver fortement ces crues.

Il est donc indispensable de définir dans les meilleurs délais des politiques de prévention des inondations à l'échelle la plus pertinente, qui est, pour les crues fluviales et torrentielles, celle des bassins versants des fleuves et des grandes rivières. Or, les ETPB agissent à l'échelle des bassins versants et sont à même de fédérer l'ensemble des collectivités locales vers un même objectif. L'Etat a d'ailleurs reconnu la nécessité d'une stratégie de prévention par bassin versant dans le cadre de la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques naturels et technologiques. Cette logique, dans laquelle s'inscrit la circulaire d'appel à projets de Mme la ministre de l'écologie du 1er octobre 2002, est conforme à l'esprit de la loi du 16 décembre 1964 qui avait organisé un dispositif institutionnel cohérent fondé sur trois entités : un comité de bassin, une agence financière de bassin et des établissements publics à vocation de maîtrise d'ouvrage. Ces derniers n'ayant jamais été formalisés, l'Etat et les agences de l'eau ont donc poussé les collectivités territoriales à se constituer en établissements publics pour se substituer de fait aux établissements publics de l'Etat.

Il reste à l'Etat à reconnaître formellement le rôle des EPTB en matière d'inondation. Il lui faut veiller à la parution rapide des décrets d'application de la loi du 30 juillet 2003 précitée. Ainsi serait rétabli l'équilibre institutionnel de la loi de 1964.

CONCLUSION

La politique de l'eau est largement décentralisée et l'ensemble des personnalités entendues par votre Délégation a confirmé son attachement à ce principe. Elles ont néanmoins toutes marqué leur préférence pour le renforcement du rôle des départements. Ces derniers sont considérés comme les plus aptes à aider des communes en situation financière difficile et à coordonner et relier les réseaux d'adduction et d'assainissement.

Si la politique de l'eau devait être orientée vers la départementalisation, la logique exige que des transferts de ressources financières soient opérés au profit des départements. Votre rapporteur propose d'affecter à leur profit la taxe sur les titulaires d'ouvrages hydroélectriques concédés, dans la mesure où cette taxe avait été instituée pour financer de nouveaux équipements. Son rendement actuel ne suffira pas à financer l'ensemble des besoins d'investissements constatés sur notre territoire ; aussi faut-il envisager de dégager pour les départements une partie de la fiscalité assise sur l'eau.

Le renforcement du rôle des établissements publics territoriaux de bassin, qui sont devenus au fil du temps un échelon essentiel de la gestion de l'eau, est une proposition visant à mieux coordonner les aménagements des bassins versants. Il s'agit de substituer à la simple logique de travaux sur des cours d'eau une politique d'aménagement du territoire autour des cours d'eau. Dans la mesure où ils émanent des collectivités locales et qu'ils sont porteurs d'une légitimité démocratique, les établissements publics précités sont les plus aptes à fédérer les acteurs politiques et économiques (2). La directive-cadre communautaire conduit en effet à territorialiser la politique de l'eau, en exigeant la protection de l'eau à une échelle relativement restreinte, celle de la masse d'eau. Dès lors qu'une politique d'aménagement s'exerce à cette échelle, elle nécessite des négociations et des accords qui ne peuvent être portés que par des élus. La réforme de la politique de l'eau passe par le renforcement de la démocratie locale.

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Au cours de sa séance du mercredi 29 octobre 2003, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport d'information de M. Jean Launay, sur la gestion de l'eau sur le territoire.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Emile Blessig, président, a constaté que l'eau, à l'instar de nombre de domaines techniques, souffrait d'un éparpillement des intervenants.

M. Jean Launay, rapporteur, a estimé que le projet de loi, dont le dépôt est annoncé pour 2004, devrait procéder à des transferts de blocs de compétences, et sans doute mettre en avant les départements et les EPTB. On constate actuellement que le dialogue est difficile entre les agences de l'eau et les EPTB.

M. Serge Poignant a souligné l'importance d'un maître d'ouvrage à l'échelle du bassin. Il s'est ensuite interrogé sur les différences du prix de l'eau dans les communes regroupées en communautés urbaines, qui mutualisent les coûts, et dans les communes rurales.

M. Jean Launay, rapporteur, a indiqué que cette question n'était pas évoqué par le rapport, qui a été axé sur les besoins d'investissement : garantir et sécuriser l'accès à la ressource, interconnecter les réseaux. Mais il ne fait pas de doute que si le département jouait un rôle de chef de file, ses investissements permettraient l'égalisation du prix de l'eau en fonction de critères de solidarité.

M. Jean-Pierre Dufau a rappelé que le débat de fond consistait en l'accessibilité des citoyens au service de l'eau. Doit-on laisser agir librement chaque collectivité, ce qui induira des écarts, ou mettre au point un meilleur système de péréquation ? L'enjeu est de maintenir un prix accessible sur l'ensemble du territoire. Il faut également garder à l'esprit que les collectivités locales raisonnent en séparant l'approvisionnement en eau de l'assainissement alors que les usagers globalisent déjà ces deux missions.

M. André Chassaigne a souligné que les problèmes de l'eau étaient aggravés en milieu rural. L'occupation des sols exige en effet des captages nombreux et la mise en place de périmètres de protection augmente le coût de fonctionnement des régies. Les nouvelles normes communautaires créent des problèmes financiers pour les communes, obligées de procéder à des enquêtes et à des acquisitions foncières, ainsi qu'à des clôturages et des analyses sanitaires. Nombreuses sont celles qui ne peuvent trouver de solution technique, comme la diminution du taux d'arsenic, ce qui laisse à penser que les préfectures et les DASS les poussent vers la privatisation du service de l'eau. Sans doute faudrait-il limiter ou moduler l'application du droit européen dans les zones peu peuplées. Par ailleurs, la législation européenne impose également le contrôle des installations individuelles d'assainissement, qui concernent les deux tiers des foyers en milieu rural. Ce contrôle entraînera des répercussions à la hausse sur les factures des usagers.

M. Jean Launay, rapporteur, a suggéré de renforcer la solidarité entre territoires, en désignant une collectivité chef de file pour porter la réflexion politique et conduire les travaux. Il n'est en revanche pas souhaitable de déroger au droit communautaire. Le problème de notre pays est qu'il n'a pas anticipé la nécessaire connexion des réseaux alors que des événements comme la récente sécheresse en montrent l'utilité.

M. Philippe Folliot a souligné l'intérêt de l'interconnexion des réseaux et a évoqué la question de l'acidité de l'eau en zone de montagne. Cette acidité empêche certaines eaux, saines au demeurant, de répondre aux normes de potabilité, et renchérit les coûts d'exploitation des gîtes ruraux.

La Délégation a autorisé la publication du rapport d'information sur la gestion de l'eau sur le territoire.

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR

LA DÉLÉGATION

9 avril 2003 :

- M. Philippe BODARD, vice-président de l'Association des petites villes de France.

14 mai 2003 :

- M. Jacques PELISSARD, premier vice-président de l'Association des maires de France.

28 mai 2003 :

- M. Claude ALBECQ, vice-président du Conseil général de la Manche, membre de l'Assemblée des départements de France.

4 juin :

- Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, ministre de l'écologie et du développement durable.

16 juillet :

- MM. Alexandre COLIN, René-François BIZEC et Mme Sophie LIGER-TESSIER, membres du MEDEF.

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES

PAR LE RAPPORTEUR

13 mai 2003 :

- M. Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'Union des industries de protection des plantes (UIPP) et M. Jeremy Macklin, directeur général de Syngenta Agro SAS.

14 mai 2003 :

- M. Pascal Ferey, Mme Eugénia Pommaret et M. Louis Cayeux, membres de la commission Environnement de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

17 juin 2003 :

- M. Benoît Rossignol, chargé de mission à l'Association française des établissements publics territoriaux de bassin.

8 juillet 2003 :

- M. Michel Sanfaute, délégué général de Canalisateurs de France.

- Mlle Stéphanie Mozer, chargée de mission de Canalisateurs de France.

25 septembre 2003 :

- M. Pascal Terrasse, député de l'Ardèche, président de l'établissement public territorial de bassin Territoire Rhône.

3 octobre 2003 :

- M. Guy Pustelnik, directeur de l'établissement public territorial de bassin Epidaure (Dordogne).

27 octobre 2003 :

- M. François Sançon, directeur du service aménagement du Conseil général du Lot.

ANNEXE

CHIFFRES-CLÉS DE L'EAU

Quantité d'eau dispo-nible par habitant
(moyenne mondiale)

1950 : 17 000 m3
2000 : 7 000 m3

Utilisations de l'eau

Agriculture : 80 %

Industrie : 14 %

Usages domestiques et divers : 6 %

Accès à l'eau

1 milliard d'habitants n'ont pas accès à l'eau potable. 2 milliards d'habitants sont privés d'assainissement.
Ils se situent principalement dans l'hémisphère Sud.

Union européenne

Ressources annuelles en eau douce, par habitant :

Suède  20 000 m3
Irlande 14 600 m3
Autriche 10 400 m3
Portugal 7 300 m3
Grèce 6 900 m3
Pays-Bas 5 800 m3
France 3 200 m3
Italie 3 000 m3
Espagne 2 800 m3
Grande-Bretagne 2 700 m3
Allemagne 2 200 m3

20 % des eaux superficielles sont atteintes par les pollutions agricoles et industrielles.

France

Précipitations annuelles........ 440 milliards de m3

Stock mobilisable d'eaux
souterraines..................... 2000 milliards de m3

Débit annuel des cours d'eau.. 170 milliards de m3

600 000 km de canalisations pour l'eau potable

12 000 km de branchements

3 500 installations de traitement

30 000 réservoirs et châteaux d'eau

10 000 ouvrages de captage.

(en milliards d'euros) :

Valeur patrimoniale des ouvrages

et installations 198,47

Investissements annuels   4,58

Dépenses de fonctionnement annuelles

(eau et assainissement) 15

Chiffres d'affaires annuels des services

d'eau et d'assainissement 10,68

AUDITIONS

Audition de M. Philippe BODART,

Vice-Président de l'Association des petites villes de France

Réunion du mercredi 9 avril 2003

Présidence de M. Emile Blessig, Président

M. Emile Blessig, président : M. Bodart, je vous souhaite la bienvenue au sein de notre délégation. Je passe directement à deux questions : Quelle appréciation l'Association des petites villes de France fait-elle des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ? En second lieu, à l'échelle des communes que vous représentez, estimez-vous que la répartition des compétences en matière de gestion des eaux est satisfaisante ou qu'elle nécessite d'être réformée ? Dans l'affirmative, dans quel sens ?

M. Philippe Bodard : Ce sujet est complexe, et je commence à peine à en prendre la mesure depuis que je suis président d'un syndicat de rivière et que j'appartiens à un syndicat d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE).

La gestion de l'eau s'avère de plus en plus difficile. J'étais conseiller régional des Pays de la Loire entre 1992 et 1998. A l'époque, un certain nombre de SAGE et de commissions locales de l'eau ont été créés. Dans ma région par exemple, cela touche deux départements et trois syndicats de rivière. En outre, le SAGE peut définir un certain nombre d'orientations, mais celles-ci ne sont pas obligatoires.

En la matière, les discussions peuvent être longues : il y a les études, l'analyse de la situation, les préconisations, les enquêtes et les réunions publiques. Il faudrait peut-être inventer une compétence nouvelle octroyée au département ou à une autre entité afin d'obtenir un effet de levier.

Deuxièmement, il y a une grosse problématique liée à l'eau. En 2001, en tant que président d'un syndicat de rivière, je suis arrivé sur une rivière privée, comme la plupart des rivières, qui appartient aux riverains jusqu'à "mi-temps de vie". Les syndicats de rivière ont été institués pour gérer les étiages, créer des barrages, pour lutter avant tout contre les crues et permettre aux agriculteurs de pouvoir se servir de l'eau correctement.

Nous sommes treize communes à travailler sur le cours de l'Aubance, et il est très difficile de faire comprendre que l'on met de l'argent public sur une rivière privée uniquement pour l'étiage, et non pour la qualité de l'eau. Je pense qu'il faut définir l'eau comme un bien commun, un bien public qui permette à la puissance publique d'intervenir plus facilement sur les rivières privées, ou bien permettre aux collectivités publiques, comme c'est le cas sur le littoral, de s'approprier les rivières s'il faut en passer par là, pour avoir un droit de regard sur la qualité des eaux des rivières.

La loi devrait confier aux syndicats de rivière l'obligation de s'occuper de la qualité de l'eau afin qu'ils puissent, y compris sur des enquêtes publiques, intervenir pour donner leur position. Par exemple, dans ma région qui est viticole, avec les traitements des effluents viticoles, les traitements et rejets d'une distillerie, la puissance publique devrait pouvoir intervenir sur l'ensemble du bassin versant pour assurer la protection et la qualité de l'eau sur l'ensemble des rivières. Cela me paraît primordial.

Sur le reste, nous rencontrons de grosses difficultés avec la pollution agricole. C'est le cas de toutes les rivières aujourd'hui. Je viens de signer un contrat de restauration et d'entretien avec l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Jusqu'à présent, le département du Maine-et-Loire, comme les autres départements d'ailleurs, a un point d'analyse de l'eau sur chacune des rivières. En ce qui nous concerne, nous en avons mis un en amont et un en aval. On s'aperçoit que sur tous les points, les nitrates et les produits phytosanitaires sont bien trop importants et nous mettent en danger. Chez nous, cela conforte la notion de mauvaise qualité de l'eau puisque cela fait un moment que cela dure sur cette rivière.

On sait que l'ancien projet de loi sur l'eau, qui n'a pas été présenté devant le Parlement, prévoyait de taxer l'utilisation des produits phytosanitaires ou autres. Je ne sais pas s'il faut y revenir. On n'en a pas parlé au sein de l'Association des petites villes de France, mais en tout cas, il faut prendre des mesures assez fortes.

La taxation est une piste, mais il y a aussi, à mon avis, des mesures à prendre du fait de l'intensification des méthodes agricoles aujourd'hui. En effet, l'entretien des haies et des fossés a disparu ; or, tout cela filtrait un minimum les eaux de ruissellement avant qu'elles n'arrivent à la rivière. Dans ce domaine, il y a des mesures importantes à prendre qui ne seraient pas forcément très coûteuses, mais qui permettraient déjà d'opérer un filtrage maximum avant que cela n'aille à la rivière. Cela devient urgent.

M. Jacques Le Nay : Concernant le filtrage des eaux avant qu'elles n'arrivent à la rivière, une mesure simple est déjà appliquée là où il y a des contrats de rivière : c'est la mise en herbe, de chaque côté des cours d'eau sur une distance de cinq à dix mètres, pour filtrer, plutôt que d'avoir des cultures qui vont jusqu'à la berge de la rivière. Il est évident que la généralisation de telles mesures sur les grands cours d'eau et les zones sensibles serait intéressante.

M. Philippe Bodard : Cela rejoint la première préoccupation. La collectivité publique n'aurait-elle pas intérêt à avoir cette bande tout le long pour assurer un minimum d'enherbage et de filtration ?

M. Serge Poignant : Etes-vous plutôt pour la taxation ou pour des mesures incitatives financières ?

M. Philippe Bodard : Pour ma part, je suis toujours pour la pédagogie, et donc pour des mesures incitatives. J'ai dit par exemple que montrer les gens du doigt faisait rarement avancer les dossiers.

Par exemple, chez nous, nous avons un prédateur qui est le ragondin. Aujourd'hui, la plupart des syndicats qui luttent contre ce prédateur des berges font des empoisonnements par carottage sur des radeaux tout le long de la Loire, souvent financés par les conseils généraux ou autres.

En 1995, j'ai été le premier maire en Maine-et-Loire, avec la fédération de chasse, à mettre en place des piégeages. J'ai créé des emplois-jeunes "forestier-piégeage" que j'ai désormais fait entrer dans mes espaces verts. Actuellement, je suis en train de lancer tout au long de l'Aubance une mutualisation des moyens. Sur treize communes - au grand maximum vingt trois mille habitants dont certaines ont trois cents habitants - l'important est d'avancer sur la qualité de l'eau. Quand j'ai amené tous les nouveaux élus voir l'Aubance, des ragondins pourrissaient dans l'eau dans une puanteur indescriptible. Il faut lutter contre cela. J'ai fait passer de façon pédagogique l'idée que l'empoisonnement n'était pas bon et on a aidé ceux qui n'avaient pas les moyens de se mettre à niveau. Il faut peut-être voir avec des structures intercommunales, qui permettent de mutualiser des moyens ou d'obtenir des aides, ou à la limite avec les fédérations de chasse. On a donc d'autres moyens pour lutter contre ce genre de chose.

Quand j'ai intégré dans nos statuts la qualité de l'eau et non plus uniquement la gestion des barrages dont il était question dans l'arrêté préfectoral de janvier dernier, j'ai dit qu'il fallait permettre des financements d'agriculteurs. La chambre d'agriculture était prête à suivre tous les dossiers pour aider à la mise aux normes des installations. Certains agriculteurs ne demandent pas mieux mais n'ont pas les moyens. Il y a donc des choses à voir.

Avant tout, il faut faire passer l'idée que l'eau est un bien commun qui se raréfie. Le colloque de Montpellier de la semaine dernière est très alarmant sur l'ensemble du bassin européen et surtout méditerranéen. Quand il est question d'un pipe-line du Languedoc vers l'Espagne pour fournir l'eau, je crois qu'il y a urgence à être très pédagogue pour faire en sorte d'améliorer la ressource globalement.

M. Patrick Lemasle : Ne pensez-vous pas qu'il y ait une mauvaise utilisation par certains agriculteurs des engrais, des nitrates, des produits phytosanitaires ? Et plutôt que de traiter le problème de la pollution, ne faut-il pas essayer de le résoudre par une réflexion en amont ?

De ce point de vue, ne pensez-vous pas que le projet de loi sur l'eau - qui était passé en première lecture à l'Assemblée nationale et qui est maintenant abandonné, mais qui sera certainement repris - est un bon projet ?

M. Philippe Bodard : Je ne le connais pas. Je ne répondrai donc pas sur ce que je ne connais pas. Vous avez en face de vous le deuxième maire de France qui a pris un arrêté contre le "Gaucho" pour protéger les abeilles. Je suis très sensibilisé à ces questions.

Cela dit, je n'ai pas les moyens, en tant que maire ou président d'un syndicat, de former les agriculteurs ou d'avoir des moyens de pression face à des groupes comme Bayer pour leur expliquer qu'il y a d'autres moyens que le "Gaucho", le "Régent" ou certains produits phytosanitaires.

Je suis actuellement en train de mettre au point une table ronde avec les apiculteurs du département pour jeudi prochain. Il y aura un intervenant du CNRS de Montpellier. Une étude du CNRS sur le "Gaucho" montre qu'il y a une rémanence de trois ans et que l'on en retrouve des traces dans les rivières.

Il y a là de toute évidence une législation à mettre sur pied. Sur la pédagogie, comme on l'a vu pour le plan d'élimination des déchets avec la loi de 1992, et comme je l'ai demandé pour les producteurs de déchets, il peut y avoir une forme d'avertissement : "Vous avez dix ans pour améliorer les choses, sinon on se fâche". Il peut y avoir aussi des formules intermédiaires. Cela étant, il est clair que les produits phytosanitaires ruinent la ressource en eau. On est en train de mettre en place sur l'agglomération d'Angers une usine des eaux qui doit coûter dans les 200 à 300 millions de francs. Le plus gros problème à gérer est le résidu des produits phytosanitaires. Cela coûte extrêmement cher.

M. Patrick Lemasle : En 2001, nous avions trouvé un point d'accord avec la profession agricole qui est consciente du problème. Il faut avoir une pédagogie et les moyens de contrôle. L'agriculteur - cela se comprend - a une vision économique de son exploitation mais il a également la nécessité d'être respectueux de son environnement. Dans la majorité des cas, il l'est.

Cela étant dit, nous arrivons aujourd'hui à une situation de saturation des sols avec des doses en nitrates très nettement supérieures à la norme. Si l'on n'arrive pas à reprendre objectivement les données actuelles et à les confronter à une telle évolution et si nous ne prenons pas des mesures, nous aurons une accélération des pollutions.

Parlant des rivières, vous disiez que le problème est que l'on n'est pas propriétaire du lit de la rivière. Les riverains ne sont pas propriétaires de l'eau. L'eau est un bien public. Nous avons donc la nécessité d'agir. (Assentiment de M. Bodard)

M. Serge Poignant : Je pose la question de la taxation par rapport à l'incitation. Incitation va avec pédagogie. Il y a, je crois, une prise de conscience qu'il convient de mettre en avant chez l'ensemble des agriculteurs.

Ma circonscription comprend des cultures spécialisées avec le maraîchage et la viticulture. Le traitement des effluents viticoles se fait de plus en plus, mais cela date simplement de quelques années. C'est assez nouveau. Chez les maraîchers en particulier, avec des syndicats organisés pour inciter, avec forcément un peu d'aide financière, on arrive à diminuer le nombre de traitements, la quantité de produits, à aller vers la recherche de produits mieux adaptés. Il est certain qu'il faut aller plus loin.

Je suis d'accord avec vous : la pédagogie est importante, l'incitation est importante, mais le regroupement de l'ensemble des acteurs, élus et professionnels, est aussi important à l'échelle d'un bassin. Le problème est que si l'on prend des mesures ponctuelles, on n'arrive pas à avoir un regard global. Il faut raisonner par bassin versant. C'est pourquoi je vous posais la question. Quand il y a une taxation dans l'air, la crainte est d'entendre que si l'on paie la taxe, le reste leur est égal.

M. Philippe Bodard : Je suis assez d'accord avec vous sur les limites du raisonnement pollueur-payeur. A la limite, les riches peuvent payer. D'ailleurs, on voit qu'au niveau de la planète, certains sont prêts à prendre les droits des pays sous-développés pour continuer à se moquer de l'effet de serre.

Cela dit, il faut également faire attention à vos argumentations. A la suite de mon arrêté contre le "Gaucho", j'ai eu la chance de recevoir une demande du groupe Bayer de me rencontrer. Entre autres, ils m'ont expliqué que grâce au "Gaucho", ils ne mettent plus que sept cents grammes à l'hectare. Cela dit, ils traitent la semence, il y a une rémanence de trois ans et ce faisant - ils le font remarquer et cela a trait au mode de développement - ils libèrent l'agriculteur d'un traitement du sol et d'un traitement aérien puisque le "Gaucho" fait les deux.

Je leur ai rétorqué que dans ces cas-là, avec du cyanure, on n'a pas besoin de grand-chose pour mourir. Les poisons ne sont pas un argument pour moins traiter. Il faut également voir le produit que l'on met dans ces traitements.

Il y a la pédagogie, mais vous aurez aussi à affronter, si vous voulez prendre des mesures importantes, des groupes comme Bayer qui exerceront un lobbying assez fort.

Quand j'ai pris les mesures sur le "Gaucho" pour l'apiculture, j'ai réuni les apiculteurs du département. Certains agriculteurs disaient qu'ils étaient prêts à marcher dans notre sens, - les apiculteurs se considèrent tous du monde agricole - mais que, lorsqu'ils appellent la coopérative pour avoir des semences, ils ont à peine le choix. La semence qui leur est livrée est traitée d'office avec du "Gaucho", et personne ne leur dit quels peuvent être les produits de substitution corrects. Ces groupes derrière vendent aussi à des gens intéressés : certains disaient carrément qu'à la coopérative, si tel produit était vendu, il y avait un voyage dans quelques semaines. Voilà comment cela fonctionne.

Beaucoup d'agriculteurs respectent leur terre. Ils sont souvent agriculteurs de père en fils et ont l'amour de la terre, de la nature, mais ils sont complètement pris dans ce type de schéma.

Le législateur peut peut-être leur rendre service en étant très sensible à des listes de produits et en interdisant un certain nombre de produits. Pour le "Gaucho" et le "Régent", il faudra bien à terme, prendre des décisions car la polémique dure et, pour l'instant, il n'y a pas d'aboutissement, excepté que les cheptels d'abeilles sont en train de mourir !

M. Emile Blessig, président :  De ce point de vue, grâce à Internet, aux banques de données et autres, on devrait pouvoir mettre à disposition de tous ces opérateurs de base, des tableaux ou des informations. Cela pourrait peut-être mieux circuler. Il est vrai que par rapport à la force de persuasion d'un bon vendeur, cela ne va pas très loin.

Monsieur Bodard : Je vous remercie.

Audition de M. Jacques PELISSARD, premier vice-président de l'Association des maires de France

Séance du mercredi 14 mai 2003

Présidence de M. Serge POIGNANT, vice-président

M. Serge Poignant, président : M. Pélissard, je vous remercie d'avoir accepté de venir devant notre Délégation, pour nous donner la position de l'Association des maires de France (AMF) sur les questions de l'eau. Je commencerai par vous poser trois questions.

Premièrement, jugez-vous que le prix de l'eau dépende du mode de gestion retenu par les communes ?

Deuxièmement, estimez-vous pertinente l'actuelle organisation de gestion de l'eau ? Quelles réformes faudrait-il y apporter ?

Troisièmement, les communes sont-elles juridiquement armées pour lutter contre les pollutions d'origine agricole ou liées au jardinage ? Le rapport du sénateur Miquel a montré une nette dégradation de la qualité de l'eau en raison de telles pollutions.

M. Jacques Pélissard, premier vice-président de l'Association des maires de France : S'agissant de votre première question, l'AMF considère que chaque commune utilise la gestion de son choix : la régie ou la délégation de service public (DSP). Des statistiques font apparaître que le prix de l'eau en régie est en général inférieur au prix dans le cadre d'une DSP. Mais tout est sujet à critique dès lors que l'on ne connaît pas les bases des comparaisons. Ces comparaisons ne font apparaître ni les investissements, ni les paramètres relatifs à la qualité de l'eau et à la qualité du service aux habitants. Nous sommes donc très prudents. Les communes disposent d'une liberté de choix : elles peuvent faire appel au public ou au privé.

En ce qui concerne la gestion privée, nous considérons que la loi Sapin est une loi intéressante, dont l'ensemble de la première phase permet une vraie mise en concurrence. En revanche dans la seconde phase, la concurrence est un peu voilée. Dans le cadre d'une délégation de service public, une négociation est obligatoire avec les candidats délégataires. Il peut y avoir amodiation du cahier des charges sans délibération du conseil municipal, mais cela repasse in fine devant le conseil pour le choix du délégataire sans qu'il y ait, dans cette dernière phase, une transparence et une égalité totale de traitement des candidats.

M. Serge Poignant, président : En termes de bilan, dispose-t-on de chiffres du prix de l'eau correspondant à tel ou tel mode de gestion ?

M. Jacques Pélissard : Non, car nous ne pourrions faire une comparaison valable que si nous disposions de l'ensemble des paramètres : investissements, qualité de l'eau, qualité du service, etc...

L'AMF souhaite que les choses se passent dans la transparence la plus complète, et, lorsqu'il y a une délégation, que le rapport du délégataire au délégant soit rédigé dans des conditions permettant le meilleur contrôle technique et financier possible. A ce sujet, nous avons été consultés par le ministère de l'intérieur sur le projet de décret qui va régir le rapport du délégataire au délégant. Nous avons donc insisté sur la culture du contrôle que nous ne maîtrisons pas suffisamment.

S'agissant de votre deuxième question - la pertinence actuelle de la gestion de l'eau - une directive européenne prescrit la gestion de l'eau par bassin hydrographique. Or depuis 1964, nous avons mis en place des agences de bassin, avec un système très décentralisé, qui a fonctionné dans des conditions intéressantes. J'évoquerai tout de même une réserve : ces agences de bassin étaient financées par des redevances, considérées par le Conseil constitutionnel, en 1964, comme des impositions de toutes natures, relevant en principe du Parlement.

Cette situation avait à l'époque inspiré la loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale en janvier 2002, consistant à faire remonter au niveau du Parlement la fixation des taux de redevance. Nous considérons que ce serait une recentralisation dommageable et qu'il conviendrait de trouver d'autres solutions, telles que les services publics industriels et commerciaux, ou des solutions ouvertes par la charte de l'environnement lorsqu'elle sera intégrée à la Constitution, qui permettraient d'avoir un système de redevance restant dans la zone géographique correspondant à chaque agence de bassin.

Actuellement, les taux de redevance varient de 1 à 4, en fonction des agences. Ce qui prouve que les réalités sont différentes, que les pollutions sont différentes, que les cultures sont différentes, ainsi que les territoires. Il nous paraît donc important que chaque agence de bassin reste maîtresse des calculs de la redevance qui finance ses programmes.

La loi votée en première lecture en 2002 avait prévu des taux pivots votés par le Parlement avec une marge de manœuvre de 25 % par rapport au taux pivot. 25 %, c'est très peu par rapport à cette différence, aujourd'hui, qui peut aller de 1 à 4. En Lot-et-Garonne, on ne rencontre pas les mêmes problèmes de pollution ou de culture qu'en Picardie, par exemple.

L'idée de conserver cette approche par agence de bassin nous paraît intéressante. Il convient peut-être de rénover le système des redevances qui pénalise aujourd'hui les collectivités locales, dans la mesure où elles sont calculées sur une estimation forfaitaire, avec un déséquilibre de la participation financière au profit des industriels et des agriculteurs qui, par rapport aux habitants, sont trop favorisés. La part par habitant est surévaluée par rapport à celle des agriculteurs et des industriels. Je rappelle en effet que le système de calcul de l'assiette des redevances de pollution s'appuie sur des estimations de la pollution rejetée par habitant. Ces valeurs n'ont pas été révisées depuis plus de trente ans et sont largement surestimées. Elles mériteraient donc d'être revues, dans la mesure où les industriels bénéficient de la possibilité de calculer les redevances avec une mesure de la pollution directe qu'ils rejettent, alors que cette possibilité n'est pas accordée aux collectivités pour lesquelles elle est estimée sur la base du nombre d'habitants raccordés.

M. Serge Poignant, président : Vous dites donc que l'habitant est pénalisé par rapport à l'agriculteur.

M. Jacques Pélissard : Sur la somme totale des redevances de pollution, les habitants contribuent à hauteur de 80 %, les industriels pour 14 %, et les agriculteurs à hauteur de 6 %. Il y a donc, par rapport à la consommation d'eau et à la pollution émise, un problème dans l'application principe pollueur/payeur. L'AMF a une proposition qui consisterait à scinder la redevance de pollution domestique en deux, à budget constant, ce qui ne serait pas une source de baisse des recettes des agences de bassin : une partie pollueur/payeur conforme à la réalité de la pollution résiduelle émise, et une autre partie qui serait en quelque sorte mutualiste, reflétant la solidarité entre les collectivités et dont le niveau ne tiendrait pas compte de leur degré d'équipements en assainissement ou du degré de performance des stations, de l'état des réseaux, qui est pris en compte dans la première partie.

M. Serge Poignant, président : Cela ne doit pas être compliqué à mettre en place.

M. Jacques Pélissard : Si cela est possible en sortie d'industrie, cela doit également l'être en sortie d'épuration. Ce qui nous préoccupe, pour les collectivités locales, c'est que le projet de loi de 2002, voté en première lecture, ne prenait pas plus en compte ce souhait de déterminer la pollution réelle ; il est resté à une pollution forfaitaire, alors que les industriels sont traités de façon plus réaliste.

M. Jean Launay, rapporteur : L'AMF sait-elle combien de communes continuent d'assumer la gestion de leur service en régie directe ?

M. Jacques Pélissard : Je n'ai pas le chiffre ici, mais de mémoire, 20 % des communes doivent être en gestion directe. Le groupe Véolia doit faire 33 % du marché, la Lyonnaise Suez 25 %, les régies 20 %, et le groupe Saur 22 %.

Mme Claude Darciaux : Je gère un syndicat dans lequel l'on trouve trois modes de gestion - délégation de service public, concession en affermage et régie. Or je constate qu'en régie, le prix de l'eau n'est pas plus bas qu'en DSP. Mais, comme vous le disiez tout à l'heure, les investissements réalisés n'ont pas été pris en compte.

M. Jacques Pélissard : J'en viens maintenant à votre dernière question relative à la pollution agricole. Les pollutions agricoles sont une réalité, que ce soit pour les eaux de source ou pour les eaux de pompage dans la nappe phréatique. Bien entendu il ne s'agit pas des mêmes pollutions : une pollution bactériologique pour les eaux qui viennent des plateaux du Jura, et une pollution par des intrants de type pesticide ou nitrate dans les plaines où il y a une nappe en sous-sol.

Nous avons mis en place - et de nombreuses communes ont suivi - un système totalement partenarial, par contractualisation avec les agriculteurs, sur une agriculture raisonnée. Par exemple, la ville de Lons-le-Saunier gère son eau en régie directe. Nous avons donc passé, dans le cadre du budget du service de l'eau - lors d'une délibération en bonne et due forme du conseil municipal - des conventions avec les agriculteurs sur des zones où nous ne sommes pas propriétaires. Plusieurs zones ont été définies : la zone de périmètre immédiat, la zone de périmètre rapproché et une zone plus vaste, le tout faisant environ 300 hectares. Sur ces zones, les agriculteurs s'interdisent, par exemple, l'épandage de lisier, le maïs, s'obligent à une fertilisation raisonnée... La chambre d'agriculture a détaché un ingénieur pour conseiller les agriculteurs sur l'utilisation de nitrate et de pesticides. Des analyses sont réalisées tous les mois et nous nous sommes aperçus, depuis dix ans, que les pics de nitrate ont quasiment disparu. Les pesticides baissent moins vite, mais le bassin versant était bien au-delà des 300 hectares. Et nous nous sommes aperçus que le cours d'eau qui passait par là collectait des eaux de ruissellement de vignes pour lesquelles on utilise beaucoup de pesticides.

A ma connaissance, mais je n'ai pas le texte sous les yeux, il me semble qu'un décret permet aujourd'hui, pour le périmètre rapproché ou pour le périmètre immédiat, une procédure d'expropriation.

M. Serge Poignant, président : Le maire peut toujours, à partir du moment où une pollution a été constatée, user de son pouvoir de police. Mais ma question est la suivante : faut-il aller plus loin avec une loi ? Pour ma part, je suis favorable à l'incitation et aux conventions de partenariats qui donnent de bons résultats.

M. Jacques Pélissard : Je suis également favorable à une formule juridique souple du contrat de partenariat, avec une incitation financière contractuellement fixée par le bail, afin de compenser leur moindre productivité sur les zones considérées. Une autre incitation intéressante serait un accompagnement par les agences de l'eau.

M. Serge Poignant, président : Par qui est passé le contrat ?

M. Jacques Pélissard : Par la ville - quand il s'agit d'une régie directe, sinon par le syndicat - les agriculteurs et la chambre d'agriculture. S'agissant des sources, l'eau descend des montagnes du Jura avec une charge bactériologique préoccupante. Nous avons donc cofinancé des plans d'épandage qui évitent les zones à risque. Il s'agissait, là aussi, pour des montants plus modestes, d'une incitation financière mise en œuvre par la chambre d'agriculture et la ville.

L'approche partenariale, contractuelle, avec une incitation financière est plus efficace qu'une approche plus dure, telle qu'un texte permettant l'expropriation.

M. Jean Launay, rapporteur : En ce qui concerne la gestion quantitative de la ressource, l'AMF a-t-elle des retours ou éventuellement des inquiétudes sur les difficultés que peuvent rencontrer certaines régions ou certains bassins dans la gestion de la ressource ?

M. Jacques Pélissard : Nous avons en général des échos lors des périodes de sécheresse, avec des problèmes d'approvisionnement ou de qualité liés au manque d'eau.

M. Jean Launay, rapporteur : Avez-vous des retours sur l'organisation des réseaux de seconde génération, qui permettent l'interconnexion des réseaux de première génération ?

M. Jacques Pélissard : Nous n'avons pas d'informations chiffrées, mais quand une commune se retrouve dans l'impossibilité de fournir de l'eau à ses administrés pendant une longue période d'été, il n'est pas rare que les habitants se retournent contre la commune. Mais il est rare que des réseaux intercommunaux de substitution ne soient pas mis en place rapidement.

M. Jean Launay, rapporteur : Et cela fonctionne même si les réseaux sont en gestion déléguée ou affermée ?

M. Jacques Pélissard : Il existe des normes de service auxquelles nous avons participé et qui traitent de cette possibilité de passer des conventions pour le maintien du service. Cela fait donc partie du service. Même pour la délégation en charge d'assurer un service public qui est censé délivrer une eau de manière continue. Cela ne se passe donc pas particulièrement mal, en tout cas, je n'ai pas d'écho à ce sujet. L'obligation d'un service continu s'impose quel que soit le gestionnaire.

M. Serge Poignant, président : Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Claude Albecq
vice-président du Conseil général de la Manche,
membre de l'Assemblée des départements de France

Réunion du mercredi 28 mai 2003

Présidence de M. Emile Blessig, président

M. Emile Blessig, président : Je vous souhaite la bienvenue devant la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire. Nous nous sommes saisis de deux thèmes : celui des déchets ménagers et de l'évaluation de la loi du 13 juillet 1992 et celui de la question de l'eau que nous estimons être des problématiques majeures de l'aménagement du territoire.

J'aimerais vous poser une première question : Quelle est la position de l'ADF sur l'organisation générale de la gestion de l'eau en France ?

M. Claude Albecq : La position de l'ADF est très favorable et positive car ce qui se passe en France est considéré comme un modèle européen et nous aurions mauvaise grâce à le remettre en cause. Le fonctionnement des collectivités en tant que maîtres d'ouvrage et responsables, les différents partenariats et, notamment le rôle des agences de l'eau, sont fondamentaux.

Aujourd'hui, l'équilibre entre tous ces partenaires a démontré son efficacité. Il n'y a pas de remise en cause du fonctionnement actuel de la gestion de l'eau sur le territoire.

Concernant les départements, de par la loi, ils n'ont aucune compétence sur la politique de l'eau car celle-ci est réservée aux communes. En revanche, nous l'avons vu lors des dernières enquêtes sur l'engagement des départements, il apparaît que 79 d'entre eux sont partenaires financiers de la politique de l'eau.

Sur 1,5 milliard d'euros d'investissements par an pour l'environnement, 750 millions concernaient la politique de l'eau. C'est un engagement très fort de la part des départements et nous aimerions, pour répondre aux vœux du Premier ministre, que le rôle des départements soit un peu plus reconnu.

Donc au-delà de l'expérimentation demandée par la Bretagne, nous voulons valider le rôle important joué par les départements car, comme vous l'avez évoqué en aparté, le problème c'est la gestion et l'optimisation de la ressource et nous ne pouvons l'effectuer qu'en partenariat avec l'ensemble des collectivités concernées, les syndicats et les communes, éventuellement, en régie directe.

Nous avons une ressource commune à gérer. Pour ce faire, nous sommes favorables à la mise en place de schémas départementaux pour l'alimentation en eau potable qui existent déjà dans un certain nombre de départements. Ceux-ci peuvent éventuellement être ouverts à l'assainissement car nous aurons de plus en plus à gérer l'assainissement collectif et non-collectif. Ce dernier va poser de véritables problèmes aux petits syndicats et aux communes.

L'eau peut être administrée par un syndicat. Toutefois, il arrive que les communes soient beaucoup plus isolées et celles qui jusqu'à présent n'ont rien le sont totalement en matière d'assainissement.

En conséquence, par rapport à la lourdeur des procédures et à la complexité pour mettre en place cette démarche, elles doivent être accompagnées. A ce niveau, nous voudrions que les départements jouent, via ces schémas départementaux, un rôle fondamental car la notion de territoire département est pertinente en matière de gestion de la ressource, d'optimisation et d'assainissement, notamment non collectif.

Les départements ont la volonté d'être des acteurs, ce qui nous permettrait de réaliser la programmation de l'eau et de l'assainissement dans le territoire départemental car ce point engage nos propres financements et ceux de l'agence.

Certes, la plupart du temps, nous travaillons sous forme de fonds de concours. Toutefois, cela nous permet de faire la programmation et de définir les priorités départementales car, au-delà de l'alimentation en eau potable, l'eau est un véritable acteur de l'aménagement du territoire et pour les départements, c'est un outil essentiel de leur stratégie, y compris sur le plan politique. Donc, par l'intermédiaire de l'eau, nous entrons dans une gestion politique du territoire.

M. Emile Blessig, président : Si nous définissons l'étendue de cette politique de l'eau il y a la production, la distribution et l'assainissement. Cependant, y incluez-vous celle des cours d'eau ? Etes-vous demandeur d'une vision globale de cette politique ?

Vous avez parlé de planification, par le fait des subventions et des concours financiers. D'une certaine manière le département n'a-t-il pas déjà le pouvoir de dire oui et, à vos yeux, qu'apporterait aux partenaires locaux une responsabilité dans la planification par rapport au poids déjà considérable des finances départementales dans la politique de l'eau ?

M. Claude Albecq : Par rapport à une gestion dans la durée, la notion de plan nous paraît fondamentale. C'est une projection à moyen et à long terme de la stratégie car nous nous lançons dans une politique de reconnaissance de la ressource souterraine.

Certes, pour chaque département ce sera très différent. Je pense à l'Alsace qui a pratiquement une ressource unique et à d'autres territoires au niveau desquels, en revanche, elle est multiple. La connaissance des ressources et le potentiel qu'elles représentent entre les eaux superficielles et souterraines permettent, dans cette programmation, d'avoir une vision à long terme d'une stratégie avec, en parallèle, une politique de recherche, de validation de ces ressources et une politique d'incitation à l'investissement.

Je pense à la politique de renouvellement des réseaux pour laquelle nous avons fait une étude sur un certain nombre de départements dont le vôtre. Nous savons que cela va impliquer plusieurs dizaines de millions par département et par an et, aujourd'hui, les collectivités ne l'ont pas prévu.

Donc, dans le cadre de cette programmation, nous avons besoin d'avoir une vision à long terme et seule une gestion coordonnée et cohérente de la politique au niveau départemental nous paraît envisageable.

M. Emile Blessig, président : Dans votre esprit, cette planification pourrait-elle aller jusqu'à une mutualisation des ressources qui, compte tenu de l'isolement des pouvoirs de décision respectifs serait, pour le moment, difficilement concevable ?

M. Claude Albecq : Sur ce point, nous pouvons passer d'un extrême à l'autre. Des départements comme la Vendée ont un syndicat unique. Cependant, les autres n'en ont pas exprimé le souhait ; ils préfèrent conserver une grande diversité en matière de gestion de la politique de l'eau sur le territoire car les collectivités et les syndicats sont très attachés à leurs prérogatives.

En revanche, nous aimerions qu'un projet de loi sur l'eau ou d'autres textes, permettent, au-delà du prix de l'eau lui-même, d'arriver à la possibilité de créer des fonds de péréquation afin, par la mise en place d'une redevance au niveau départemental, d'abonder ce fonds pour aider les collectivités. Cela reviendrait aux actions qu'effectuaient le FNDAE qui, désormais, n'en aura plus les moyens car il va quasiment disparaître.

Les départements pourraient en avoir la possibilité ou, du moins, ce pourrait être reconnu car quelques départements comme le Rhône le font. Nous avons déjà essayé mais le contrôle de légalité s'y est opposé en prétextant que nous n'avions ni le droit ni la possibilité de faire une péréquation départementale.

Nous devrions instaurer une redevance sur le mètre cube pour constituer un fonds départemental qui viendrait abonder les fonds propres du département et qui serait affecté aux collectivités dans le cadre de cette programmation pluriannuelle sur la politique de l'eau. Cet outil existe déjà dans certains départements comme le Rhône et la Saône-et-Loire.

M. Emile Blessig, président : Sur quel fondement ?

M. Claude Albecq : C'est un fondement syndical avec un fonds de roulement mis en place par le département et qui s'auto-alimente. Il est vrai que, sur le plan juridique, c'est à la limite de la légalité mais ils ont été autorisés dans certains départements et refusés dans d'autres. Cependant, j'estime que les départements devraient avoir le droit de développer de tels moyens.

M. Emile Blessig, président : Il est possible que sur un même département vous ayez un endroit au sein duquel il suffise de creuser à trois mètres pour avoir toute l'eau souhaitable et, toujours dans ce département, une région plus montagneuse au niveau de laquelle il faille conduire entre autre, des captages de sources ou des travaux extrêmement coûteux.

L'affectation de la ressource publique est inégale. C'est un peu dans ce sens que je vous posais cette question sur la mutualisation des ressources. Pour l'instant, les études n'ont pas été réalisées car les syndicats n'en avaient pas les moyens. Cependant, d'ores et déjà, nous savons que le coût de production du mètre cube d'eau sur un même département peut, entre certains territoires, varier de manière considérable.

M. Claude Albecq : Ce schéma a pour but de gérer la ressource au niveau départemental. L'intérêt est de pouvoir en privilégier certaines par rapport à d'autres.

Par ailleurs, quand les coûts de gestion des ressources faibles nécessitent des mesures de protection au travers de périmètres de captage importants, le coût du mètre cube devient insupportable et la solution consiste à favoriser les interconnexions. Ces choix se préparent avec les syndicats existants, dans la durée car nous ne devons pas supprimer brusquement une ressource. Donc, c'est également un problème de planification et d'organisation au niveau territorial.

Le problème de surcoût lié à certains territoires au niveau desquels les mesures financières de protection et de production deviennent exorbitantes peuvent également constituer une incitation pour trouver une autre alternative qui nous permette de gérer cette ressource.

M. Emile Blessig, président : C'est peut-être difficile d'aller au-delà d'un certain point en matière de mutualisation. Cependant, une responsabilité au niveau de l'interconnexion des réseaux pourrait-elle constituer une première étape dans cette mutualisation ?

M. Claude Albecq : C'est une sécurisation de l'alimentation. La notion d'interconnexion est une démarche fondamentale qui est appliquée dans tous les schémas départementaux. Elle donne d'excellentes réponses en termes de sécurisation de l'alimentation mais facilite également la levée d'hypothèques et de contraintes qui pèsent sur les territoires.

Nous en avons qui font maillage serré des habitations et, de ce fait, accueillent beaucoup de syndicats et de forages. Si nous réservions des périmètres très larges, cela deviendrait ingérable. Donc, nous abandonnons de manière raisonnée ce qui est difficilement exploitable ou qui représente un coût trop élevé au profit des interconnexions qui, de surcroît, permettent une péréquation du prix.

M. Emile Blessig, président : Nous venons de survoler la question de la production. Cependant, ce raisonnement est-il valable pour l'eau en général ? Quant à l'assainissement, cette réflexion s'applique-t-elle au niveau départemental sachant que les problèmes ne sont pas exactement les mêmes en fonction de la densité des habitats, des activités ou des territoires ?

M. Claude Albecq : Nous devons traiter le problème au même niveau dans la mesure où, quand nous avons une canalisation correcte et un assainissement, les deux sont dans la même tranchée.

Nous avons des problèmes car, quand nous nous attaquons à un réseau, la plupart du temps il est nécessaire de prendre l'autre en considération avec les endroits où se trouvent un assainissement collectif, semi-collectif ou autre.

Aujourd'hui, nous ne pouvons pas gérer indépendamment l'eau de l'assainissement car il existe des liens directs entre les deux. La grosse difficulté est que, structurellement, nous avons beaucoup de collectivités qui, si elles ont la compétence sur l'eau, n'ont pas forcément celle de l'assainissement avec, parfois, des syndicats différents ce qui, sur le terrain, est très difficile à harmoniser.

Nous devons effectuer un véritable travail de fond pour mettre en place cette politique avec l'obligation pour les maires, à l'horizon 2005, d'assurer le contrôle de l'assainissement collectif. Nous prenons cette orientation sur l'ensemble du territoire car les communes ou les cantons se lancent dans des schémas de zonage d'assainissement et nous aurons l'obligation de mettre en place les budgets d'assainissement non collectifs.

Dans les cinq ou dix ans à venir il y aura une prise en compte de ces problèmes au niveau départemental et nous n'aurons plus de territoire exempt de politique d'assainissement. Il est grand temps de s'y préparer et, au lieu de renouveler la dispersion que nous avons connue en terme d'assainissement collectif, il serait bon que nous puissions harmoniser la politique et la stratégie. En effet, financièrement, selon les agences, une aide à la rénovation des assainissements individuels relativement substantielle est consentie par les collectivités qui les accompagnent. Donc, les coûts résiduels ne sont pas très élevés pour l'usager et cela nous permettrait d'avoir une harmonisation de la répercussion de l'étude car c'est un aspect qui, par endroits, quand nous réalisons des simulations, s'avère catastrophique entre 5 et 7 euros par mètre cube, ce qui est totalement insupportable.

Donc, par la réflexion et l'harmonisation, notre action devrait être beaucoup plus acceptable car la péréquation pourrait se faire au niveau départemental et à la condition expresse de traiter cette question très en amont.

M. Emile Blessig, président : Une question sur l'eau et les déchets. Il s'agit des boues des stations d'épuration. Comment voyez-vous l'évolution de ce problème dans les années à venir ? Que pourrions-nous en faire ?

M. Claude Albecq : Nous n'en maîtrisons pas toute la démarche, sachant qu'en France l'essentiel est répandu sur les terres agricoles.

Le débat national est loin d'être tranché entre la profession et les gouvernements car cette fameuse caution, garantie que souhaitait avoir l'agriculture par rapport aux risques encourus en terme d'épandage, n'a pas été validée. Cependant, les négociations devraient reprendre.

Nous souhaitons maintenir au maximum l'épandage dans l'agriculture tout en sachant que nous sommes "sur le fil du rasoir" et qu'au moindre incident médiatisé nous risquons d'aboutir à l'abandon de cette pratique.

Nous savons tous que l'autre alternative c'est l'incinération ou la mise en décharge. Nous réfléchissons à un certain nombre de procédés au niveau des départements ruraux qui accueillent des élevages et au sein desquels nous avons des problèmes liés à leurs effluents comme l'épandage des lisiers qui, actuellement, est expérimenté.

C'est le cas en Bretagne et dans le département de la Manche où nous avons quatre cantons en zone d'excellence structurelle. Nous avons obtenu que l'agence de l'eau finance à hauteur de 30 % des unités de traitement du lisier regroupant quelques agriculteurs et les boues des stations d'épuration des collectivités moyennes.

Ce système permettrait un traitement à la fois des effluents d'élevage et des boues des stations d'épuration. Nous n'en avons pas d'importantes, elles sont prévues pour traiter entre 5 000 à 10 000 habitants, car, en dehors des lagunages qui génèrent peu de problèmes, tout ce qui concerne les bactéries ou les boues activées, pourrait être traité dans ce type de structure.

Nous essayons de trouver un compromis en terme de structure qui permette d'avoir une action variée et d'accueillir des effluents, qu'ils soient de stations ou de l'agriculture. Si un jour nous devions les incinérer en totalité, cela nous posera d'énormes difficultés car le coût sera multiplié par 5 ou 10.

M. Emile Blessig, président : Quelle est votre analyse du principe pollueur/payeur ?

M. Claude Albecq : Ce principe a fait ses preuves et il n'est pas question de le remettre en cause. Si nous reprenons les propos de M. Sibieude sur la politique des déchets, lors d'une réunion de la commission géographique de la Basse-Normandie, nous avons évoqué la nécessité de ne pas toujours rester sur un point négatif.

Le principe pollueur/payeur consiste à "laisser la bride sur le cou" des pollueurs dans la mesure où ils peuvent payer. Cependant, d'un point de vue éthique, ce n'est pas satisfaisant. A la place d'avoir la notion pollueur/payeur, nous préférons celle de bonus. Nous aimerions voir de quelle manière un industriel, un agriculteur ou une collectivité qui a engagé des actions pour se mettre en conformité avec la réglementation ou pour l'environnement pourrait être aidé sous des formes qui restent à définir. Nous aimerions introduire de façon incitative cette notion de bonus dans les politiques environnementales et notamment dans la politique de l'eau.

Cette idée n'est pas facile à mettre en place mais ce n'est pas plus difficile que la taxation de la TGAP sur le premier sac d'engrais ou l'excédent d'azote. Cette idée est intéressante et nous devons y réfléchir.

M. Emile Blessig, président : Concernant la ressource en eau de certains départements, l'ADF a-t-elle des inquiétudes ? A-t-elle procédé à des analyses sur les sécheresses récurrentes, la pression démographique, les usages ménagers, agricoles, industriels et touristiques ?

Nous avons parlé de péréquation au niveau départemental. A plus ou moins long terme, l'alimentation et la ressource d'eau en France pourra-t-elle poser problème ? Je pense au Sud-Ouest entre autre.

M. Claude Albecq : Quand nous écoutons les grands spécialistes nous parler de cette problématique, la France ne risque pas d'être véritablement confrontée à ce problème. En revanche, nous avons un souci entre l'inadéquation du lieu de la ressource et les besoins. En effet, l'eau est généralement présente là où nous n'en avons pas vraiment besoin. Nous devons donc la transporter pour l'amener dans des zones urbanisées ou autres.

C'est le problème des stations balnéaires et des collectivités qui ont des besoins ponctuels ou saisonniers. En agriculture, quand nous avons des étés un peu secs, l'irrigation des plantations peut devenir problématique. L'idée de les réserver est loin d'être toujours respectée. Toutefois, la mise en place des compteurs fait que la dépense est beaucoup moins importante que par le passé. Les personnes en ont une meilleure maîtrise car ils paient et sont plus responsables.

Les hydrogéologues nous disent que nos nappes phréatiques sont à peu près stables. Nous en avons une très importante dans le Cotentin au niveau de laquelle nous prélevons 7 000 m3/heure. En effet, grâce aux mesures mises en place et malgré des prélèvements importants, la nappe ne bouge pas. Nous disposons de moyens de mesure qui nous permettent de dire qu'à long terme il n'y a pas de risque majeur.

Si nous regardons l'évolution des incendies sur le territoire national et, notamment sur tout le Sud de la France et dans d'autres territoires comme la Basse-Normandie au printemps dernier, le plus inquiétant c'est cette sécheresse de surface qui, désormais, se produit tout au long de l'année.

Autre fait marquant, le problème de la fuite de l'eau vers la mer. Quand il pleut beaucoup, les rivières montent en quelques heures. Cependant, trois heures après il n'y a plus rien.

Ce que nous connaissions il y a 20 ou 30 ans en termes d'effet de rétention de la masse d'eau dans un certain nombre de lieux n'existe plus ou beaucoup moins. A terme, nous aurons un phénomène de mobilisation de la ressource dans le temps en France pour en favoriser l'utilisation optimale.

M. Emile Blessig, président : Nous parlions de péréquation au niveau départemental, nous venons de voir l'inégalité des ressources en eau selon les territoires et, surtout, selon les besoins de consommation. A votre connaissance, existe-t-il un réseau d'aqueducs ? Dans l'affirmative, si avec la décentralisation nous devions voir apparaître des problèmes de compensation entre les territoires, comment résoudrions-nous dans un tel contexte institutionnel ce type de problème ?

M. Claude Albecq : Je ne connais pas le fonctionnement de tous les grands réseaux. Cependant, nous avons un certain nombre de fleuves importants tels que le Rhin, le Rhône, etc... A partir de ces ressources, il y a des réseaux. D'ailleurs, nous parlons d'alimenter une partie du Nord de l'Espagne à partir de ces ressources du Sud de la France, ce qui paraît un peu paradoxal. Nous avons des fleuves avec des débits importants et nous pouvons espérer qu'ils ne se tariront pas du jour au lendemain. Mais à ce jour, aucune démarche spécifique pour sécuriser la ressource en eau, n'a été engagée.

En termes de véritable structuration et par rapport à une sécurisation de la problématique de l'eau sur le territoire national, à ce jour, aucune démarche n'a été engagée.

M. Emile Blessig, président : Quelle est la part de compétences que l'Etat devrait conserver pour pouvoir imposer, au nom de la solidarité nationale et de l'équilibre des territoires, certaines dispositions ?

M. Claude Albecq : Le maire demeure responsable de l'alimentation en eau potable. Dès qu'un problème local se pose, c'est à lui de trouver une réponse, soit via sa société concessionnaire, soit par l'intermédiaire de sa collectivité.

Nous mettons en place des canalisations et quand, malheureusement, nous avons des problèmes de pollution à certains endroits nous sommes chargés d'approvisionner en eau potable la population avec des citernes. Nous pouvons procéder de la sorte durant quelques jours. Toutefois, si une sécheresse durait plusieurs mois, cela poserait d'autres problèmes.

M. Emile Blessig, président : Merci beaucoup d'avoir bien voulu nous consacrer ce temps.

M. Claude Albecq : C'est moi qui vous remercie, au nom de l'ADF, de m'avoir accueilli et écouté.

Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,

ministre de l'écologie et du développement durable

Réunion du mercredi 4 juin  2003

Présidence de M. Emile Blessig, président

M. Emile Blessig, président : Comme Mme la Ministre est ponctuelle, nous allons immédiatement commencer en la remerciant d'avoir bien voulu venir aujourd'hui au sein de notre délégation.

L'aménagement du territoire est une notion relativement connue. La notion de développement durable est peut-être un peu plus complexe à mettre en œuvre, en tout cas dans le travail parlementaire. Dans cette perspective, nous nous sommes saisis de deux dossiers que nous considérons comme majeurs : celui de la loi de 1992 et de son évaluation en matière de déchets ménagers et celui de l'évaluation de la politique de l'eau. Nous souhaitons vous interroger sur l'eau.

Aujourd'hui, nous aimerions avoir un aperçu de vos priorités, des difficultés éventuelles que vous pouvez rencontrer et peut-être aussi de la manière dont, de votre point de vue, vous envisagez le travail, la collaboration qui peut exister entre la mise en œuvre de vos priorités et le travail de notre Délégation. Je vous rappelle que nous pouvons être saisis par le gouvernement sur les schémas de services collectifs. Mais nous pouvons aussi recourir à l'auto-saisine, ce qui est le cas pour les déchets et l'eau.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable : Merci, M. le Président. Je suis particulièrement heureuse d'être auditionnée aujourd'hui par votre Délégation, étant entendu que les problèmes d'écologie et de développement durable viennent sans arrêt "percuter" les politiques d'aménagement du territoire.

J'ai organisé mon travail ministériel durant cette première année sur trois chantiers prioritaires. Le premier est la charte de l'environnement, un grand objectif du Président de la République. J'ai souhaité que le travail d'élaboration de cette charte repose sur quatorze assises territoriales qui ont permis une large consultation des élus locaux. Le texte constitutionnel est en ce moment au Conseil d'Etat et je vais le présenter le 25 juin au Conseil des ministres. Vous aurez ainsi l'occasion de l'examiner lors du début de la session parlementaire, en automne.

Le deuxième chantier prioritaire, c'est la stratégie nationale du développement durable. Nous sommes en plein dans cette activité, M. le Président et MM. les Députés, puisque cette stratégie nationale a été développée devant mes collègues ministres hier et que, dans les six axes stratégiques qui ont été retenus, le deuxième axe stratégique est consacré au territoire. En effet, nous savons bien qu'il n'y aura pas de développement durable qui ne soit une politique strictement voulue et pilotée par l'Etat. Il convient donc que cette politique soit aussi celle des collectivités territoriales.

Nous aiderons de façon forte l'établissement de 500 agendas locaux et de toute opération qui sera pilotée par une collectivité territoriale qui souhaitera mettre ses politiques d'aménagement, ses politiques sociales ou ses politiques économiques sous le seul signe qui vaille maintenant, celui du développement durable.

Le troisième pilier, cette année, a été à n'en pas douter le projet de loi sur les risques. L'exigence de sécurité de nos concitoyens ne concerne pas uniquement la sécurité apportée par la police et la justice mais bien la prévention de risques naturels ou technologiques. Les événements nous amènent chaque jour notre lot de ces catastrophes et de ces violences naturelles ou techniques, comme nous l'avons vu il y a quelques jours en Haute et en Basse-Normandie (je viens d'être interpellé par M. Yves Boisseau lors des questions au gouvernement à ce sujet).

Cette structuration par le projet de loi et par le plan de prévention des risques naturels est en cours d'examen par le Parlement pour ce qui concerne le plan d'action par mes services et, bien entendu, je ne peux que me féliciter de l'écoute que j'ai eue auprès des élus et de l'aspect extrêmement constructif de la façon dont le texte a été amélioré par le travail parlementaire.

Voilà les trois chantiers de mon ministère.

Concurremment, j'ai mené, tout au long de cette année, un travail de restructuration du ministère, de professionnalisation et d'ascèse budgétaire. Le ministère de l'écologie et du développement durable avait une mauvaise réputation de gestion, justifiée pour certains, injustifiée pour d'autres, mais en tout cas, des améliorations étaient certainement les bienvenues.

Dans ce travail très important, j'ai toujours trouvé l'appui des parlementaires - je vous en remercie - et particulièrement des députés. Je tiens, sur des sujets extrêmement délicats, à saluer l'aide que j'ai trouvée, bien sûr, dans les commissions et dans les Délégations, mais aussi auprès des parlementaires à qui j'ai confié des travaux particuliers. Je citerai la commission d'enquête de Christian Estrosi sur le loup, le rapport de la Délégation européenne sur les dates de chasse aux oiseaux migrateurs de Daniel Garrigue ou l'étude sur les parcs nationaux que j'ai confiée à Jean-Pierre Giran, qui va bientôt me rendre son avis, pour faire en sorte que les parcs nationaux - cela vous ira droit au cœur, M. le Président - puissent mieux associer les élus locaux à la gestion de ces parcs qui sont parfois des sanctuaires dont les élus étaient exclus. J'attends également le travail de M. Flory sur l'eau.

J'ai souhaité mener ce travail avec les parlementaires, en particulier avec ceux qui sont les plus soucieux de l'action territoriale. A cet égard, mon audition prend aujourd'hui d'autant plus de sens qu'après avoir construit ce socle indispensable, méthodologique et juridique, j'ai souhaité me rapprocher des préoccupations des Français.

Ma deuxième année d'action ministérielle sera ainsi consacrée à quatre dossiers prioritaires : l'eau, les déchets, la lutte contre le bruit et enfin la voiture propre, mission qui m'a été confiée par le Premier ministre dans le cadre de la lutte contre les gaz à effet de serre.

Vous voyez donc, M. le Président, Mmes et MM. les députés, que vous tombez pile, si je puis dire, dans ce qui va constituer deux des quatre axes prioritaires de mon action ministérielle.

M. Emile Blessig, président : Merci. Si vous le voulez bien, nous allons maintenant aborder la question de l'eau et je vais passer la parole à mon collègue Jean Launay.

M. Jean Launay : En vous parlant ici, Mme la Ministre, de deux des quatre sujets qui vont être au cœur de votre deuxième année d'action ministérielle, en particulier sur l'eau, il ne s'agit pas pour nous de refaire le travail que mon collègue Gérard Miquel vient d'accomplir au sein de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, mais, précisément, d'aller sur la problématique des territoires.

La dégradation de la qualité de l'eau donne toujours lieu à des débats récurrents. Encore récemment, sur la région Bretagne, de récentes décisions judiciaires remettent cette question sur la table et la dégradation de la qualité de l'eau semble se confirmer dans plusieurs départements. J'ajoute que des questions comme le traitement des pollutions d'origine agricole restent pendantes.

Nous souhaiterions aussi réfléchir sur l'aspect de la gestion quantitative de la ressource et travailler sur la question de l'organisation administrative, dont il vient d'être fait état en ce qui concerne les déchets, mais nous pouvons aussi nous poser la question du niveau de compétences pertinent pour organiser la gestion de cette ressource.

On a noté par le passé que les départements avaient souvent accompagné les communes dans la mise en place de leur réseau. Pensez-vous qu'ils peuvent continuer de le faire dans des réseaux qu'on appellerait maintenant de "seconde génération" et qui peuvent aussi s'interconnecter entre eux ?

Autre question que nous nous posons et sur laquelle nous souhaitons avoir votre avis : celle qui est relative au prix de l'eau. Nos premières auditions laissent apparaître qu'il n'y a pas forcément de lien précis entre le prix de l'eau et le statut juridique du gestionnaire, que l'on soit en régie directe ou non, mais cela pose la question du prix unique de l'eau. Si on veut faire le parallèle avec le prix de l'électricité ou le prix du téléphone aujourd'hui, on peut aussi se poser la question du prix de l'eau.

Sur la loi, puisque le choix a été fait de reprendre la loi sur l'eau, j'aimerais avoir des précisions sur le calendrier législatif que vous envisagez. Vous avez mentionné la mission Flory en ce qui concerne les agences, puisque c'est l'essentiel de la mission qui a été confiée. Comme les missions confiées dans ce cadre durent généralement six mois...

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Tout à fait.

M. Jean Launay : ...M. Flory aura ses vacances occupées. Je sais ce que c'est : cela m'est arrivé plusieurs fois...

Au-delà de sa mission, envisagez-vous, dans le cadre de la loi sur l'eau, une réflexion relative au territoire et une intégration plus forte de la notion de bassin versant ? Il a déjà été démontré, même si la reconnaissance législative n'est pas complète, que les Etablissements publics territoriaux de bassin (EPTB) dont les limites ne sont pas forcément calquées sur celles des départements, sont les mieux placés pour organiser ce qu'on appelle la gestion intégrée.

Je voulais donc avoir votre sentiment sur l'appréciation des liens amont et aval et je me pose la question de savoir si, à l'instar de ce qui a pu se faire dans la montagne ou sur le littoral dans le passé, cette loi sur l'eau ne pourrait pas avoir un volet territorial plus poussé pour organiser précisément cette solidarité entre villes et campagnes, puisque, bien souvent, ce sont les fleuves et les rivières qui relient les territoires urbains à des territoires plus ruraux ?

Voilà les quelques questions que je souhaitais vous poser pour commencer.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Cher M. Launay, je reconnais bien là le spécialiste de l'eau que vous êtes et auquel je souhaite rendre hommage. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de constater votre compétence dans ce domaine aussi bien dans des colloques, où nous avons été compagnons de banc, qu'au cours de l'examen de la loi sur les risques et de son volet "risques naturels". Cela me permet de resituer devant vous ma politique de l'eau et la façon dont je l'ai structurée.

Premier point : le volet "risques naturels" de la loi sur les risques, avec, bien entendu, le volet majeur de la prévention des inondations, en écho avec le plan "inondations" que j'ai présenté dans le Gard en septembre dernier. L'appel à projet est concrétisé (j'ai reçu près de cent projets de gestion par bassin versant de la prévention des inondations) et, dans quelques jours, après l'analyse complète par mes services, je vais rendre publique la première volée des projets qui vont être réalisés pour permettre une vraie prévention écologique des inondations par le ralentissement du flux dynamique en amont.

Le deuxième point est la transposition de la directive cadre sur l'eau - j'y reviendrai dans un instant - c'est-à-dire la gestion par bassin, qui a fondé la loi de 1964 dans notre pays et qui est maintenant reprise par la Commission européenne.

Au cours de l'année 2004 (je ne prends pas d'engagement formel sur la date, bien entendu, mais ce sera sans doute au premier semestre), une loi sur l'eau va permettre de remettre en perspective une politique de l'eau qui a fait ses preuves mais qui a maintenant une quarantaine d'années et qui, malgré de nombreux points satisfaisants, rencontre quelques limites. On ne peut pas dire - cela est stigmatisé de façon continue par un certain nombre d'experts - que la qualité des eaux dans notre pays corresponde tout à fait à ce que nous souhaiterions.

Pour autant, j'ai souhaité que cette loi sur l'eau soit largement soumise à concertation. J'ai donc, au cours du premier trimestre, avec mes services et mon cabinet (en particulier Jacques Dedieu, que vous connaissez et qui s'occupe des questions d'eau et d'agriculture), interrogé un certain nombre de grands acteurs de l'eau. Puis nous allons organiser six assises, dont les préparations par commission géographique sont en cours, qui auront lieu dans les premières semaines de juillet et qui seront structurées autour des bassins. J'assisterai personnellement à ces six assises territoriales pour écouter les personnes qui travaillent sur le terrain. Enfin, aura lieu une interrogation des usagers de l'eau à la fin de l'été. Nous sommes en train de voir comment envoyer cela avec la facture d'eau. Nous allons procéder par sondage sur un échantillon de 2 000 à 3 000 personnes.

Nous avons fait appel à la Commission nationale du débat public (CNDP), qui nous a donné un certain nombre de conseils pour que cette consultation soit menée selon les règles de l'art, à la fois sur le plan méthodologique et sur le plan éthique. Par ailleurs, un site internet est déjà ouvert et nous permet de dialoguer avec les différents acteurs. Cela nous permettra de construire une vraie concertation à laquelle je tenais. Voilà ce que je peux dire pour répondre à cette première question qui porte sur le calendrier.

Je souligne aussi qu'un certain nombre de collectivités territoriales se sont saisies de cette problématique de l'eau, ont réuni qui un conseil général, qui une commission de l'environnement dans un conseil régional, et nous ont apporté des contributions à cette réflexion sur la politique de l'eau. De même, certaines collectivités territoriales se sont portées candidates pour des démarches expérimentales. Je pense par exemple à la région Bretagne, dont la caractéristique du bassin versant et le chevelu hydrographique permettent une démarche expérimentale qui ne serait pas possible dans d'autres conseils régionaux.

Pour en revenir au cœur de notre réflexion, cher M. Launay, je ne vais pas vous indiquer maintenant le résultat de cette concertation, car si je vous disais : "voilà ce que je pense et ce qu'on va faire", vous me répondriez à juste titre que c'est une concertation en trompe-l'oeil. En revanche, je peux vous indiquer les problématiques que je mets sur la table de cette concertation.

Il est vrai que les interférences entre l'eau et les politiques d'aménagement du territoire sont extrêmement nombreuses : politiques d'urbanisation, réseaux d'adduction d'eau potable, assainissement, inondations, politique agricole, développement rural, impacts sur la gestion quantitative et qualitative, l'irrigation, les nitrates et les pesticides.

Puisque vous m'en parlez, je tiens à dire que j'ai été assez horrifiée, dans la dernière affaire d'autorisation accordée à une installation en Bretagne, de me voir épinglée par un parti que je ne citerai pas, alors que c'était précisément mon prédécesseur, issu du même parti, qui avait donné cette autorisation. Dont acte... (Rires.) Je n'ai fait aucun commentaire ni aucun communiqué, mais puisque l'occasion m'en est donnée, je me défoule un peu.

L'ambition qui résulte de la directive cadre sur l'eau, que nous sommes en train de transposer, implique bien entendu de créer des synergies à l'intérieur des services de l'Etat et des agences de l'eau, ce qui implique de rapprocher l'eau et les thématiques d'aménagement les plus pertinentes pour les enjeux locaux. La réorganisation des services de l'Etat est une opportunité qu'il nous faut saisir. En particulier, je pense à la constitution d'un pôle environnement auprès du préfet de région. Je milite pour la création d'un tel pôle et j'ai bon espoir que les arbitrages aillent dans mon sens.

De même, il faut une coordination et une synergie entre les services de l'Etat et les collectivités territoriales en charge directement ou indirectement des politiques d'aménagement du territoire : on pense aux communautés de communes ou d'agglomération et aux régions, mais les départements, pour répondre à l'une de vos interrogations, par leur appui aux communes, constituent des acteurs essentiels pour certaines orientations (services de l'eau, assainissement, entretien des rivières).

Il convient aussi d'organiser la cohérence entre les différents textes réglementaires : SCOT, PLU, SDAGE, SAGE... Nous sommes dans un domaine assez touffu. Sur le plan organisationnel, il sera intéressant de faire des analyses et de procéder à des évolutions selon les grands niveaux de structures.

Sur le plan national, il convient de renforcer le rôle des élus (vous avez parlé des EPTB et constaté que j'ai profité de la loi sur les risques naturels pour leur donner enfin une assise juridique) dans tous les organismes et au sein, évidemment, du Conseil national de l'eau. Il s'agit également de renforcer les prérogatives des comités de bassin.

Dans les régions, le resserrement des liens entre les agences et les services en prévoyant que le délégué de l'agence de l'eau participe au pôle environnement auprès du préfet de région semble important, de même que la déclinaison systématique des SDAGE par région ou groupe de régions. De même, s'il existe un EPTB correspondant et si cela répond à une logique fonctionnelle (j'en parlais à l'instant pour la Bretagne), il convient d'étudier la possibilité de contractualisation des programmes entre les agences de l'eau et les régions.

Je mets tout cela sur la table, mais je ne dis pas que c'est imposé. Il s'agit de vous laisser réfléchir pour que vous nous disiez si cela vous paraît pertinent ou s'il y a telle difficulté ici ou là.

Pour les départements, je citerai l'appui aux petites communes rurales défavorisées, le fonds de solidarité au logement, la péréquation des tarifs des services de l'eau et de l'assainissement, les possibilités de contrats de service avec les agences de l'eau, les schémas départementaux d'élimination des déchets organiques, les schémas départementaux sport nature et les maîtrises d'ouvrage (j'en reviens aux EPTB).

Dans les grandes communautés de communes ou d'agglomération, il convient d'évoquer la possibilité de contrats de qualité avec les agences de l'eau ainsi que, pour les communes et groupements, les commissions consultatives des services publics locaux, le suivi des périmètres de protection de la ressource, la cohérence des PLU et les plans d'épandage des boues.

Enfin - c'est un sujet sur lequel vous avez insisté - je citerai la responsabilité et la péréquation financière. Effectivement, l'un des problèmes de fond concernant l'interface entre les politiques de l'eau et l'aménagement du territoire réside bien dans l'hétérogénéité des situations des communes à l'égard de l'eau, l'hétérogénéité des enjeux qualitatifs ou quantitatifs de la ressource en eau liée à la structure hydrographique et à l'occupation du sol, et l'hétérogénéité du prix de l'eau.

Je suis d'ailleurs toujours surprise ou amusée de voir que ce sont les plus farouches défenseurs de l'autonomie des collectivités territoriales, de leur responsabilité et de l'identité des agences et autres qui se refusent absolument à ce qu'il y ait une disparité dans les prix de l'eau. Nous pourrons y revenir de façon plus fine.

Dans ces conditions, il se pose clairement, outre le principe de la récupération des coûts de l'eau, la question du niveau de l'assiette géographique de péréquation : le rôle des agences de bassin avec la mutualisation et le rôle du Fonds national de l'eau. Ce sont des évolutions probables à court terme, à la suite de décisions budgétaires récentes du Parlement. Que reste-t-il du FNDAE, par exemple ?

Quelle autre péréquation organiser et à quel niveau géographique ? A ce sujet, je me réfère à l'excellent rapport Miquel qui contient une mine de propositions qu'il s'agit d'analyser de façon tout à fait complète. Comment arbitrer entre péréquation et responsabilité ? Bien entendu, je souhaite que cette réflexion sur l'eau et sur les territoires soit menée conjointement avec votre Délégation. Une fois que les consultations territoriales seront effectuées (je vous invite, Mmes et MM. les Députés, à y participer), je suis tout à fait disposée à revenir devant vous pour que nous étudiions ensemble toutes les pistes qui auront été validées ou invalidées par ces assises territoriales.

M. Joël Beaugendre : Je souhaiterais avoir une précision. Vous avez parlé de six assises territoriales. Les agences de l'eau en outre-mer n'existent pas encore ; elles vont être discutées, dans les 48 heures qui viennent. Je voudrais donc savoir si, dans les six assises en question, vous en prévoyez une régionale ou départementale en outre-mer, vu les structures mono-départementales des régions d'outre-mer.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Vous avez tout à fait raison d'insister sur ce sujet. Bien entendu, les départements d'outre-mer donneront lieu à une consultation spécifique. Comment la mènerons-nous ? Je crois qu'hélas, je ne pourrai pas me rendre dans tous les DOM pour faire cette concertation. J'avais tenu, dans le cadre des assises de la charte, à me rendre en Guyane et j'avais demandé à Mme la Secrétaire d'Etat de me représenter dans d'autres départements.

Je vous confirme en tout cas que nous mènerons cette concertation dans les départements d'outre-mer.

M. Emile Blessig, président : Mme la Ministre, j'aimerais vous poser une question à propos de l'eau. Je pense que l'approche ou les enjeux de la politique de l'eau se sont profondément modifiés, comme l'ensemble des enjeux de votre département ministériel.

Traditionnellement, dans le cycle de l'eau, il y a la production, la distribution et l'assainissement. Puisque nous parlons des rapports entre l'eau et le territoire, je pense qu'ils se caractérisent par une assez grande dispersion des centres de décision et, très souvent, par des incohérences entre ces trois étapes, à savoir le syndicat qui est chargé de la production et celui qui s'occupe de la distribution et l'assainissement, avec, en aval, le problème des boues.

Je sais bien que c'est une question assez théorique, mais vous semble-t-il que la manière de traiter séparément, sur un territoire, cette problématique liée au cycle de l'eau soit satisfaisante ou semblerait-il utile, sur la base de l'expérimentation d'arriver à un regroupement des unités de gestion territoriales du cycle de l'eau ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : A quoi pensez-vous, par exemple ?

M. Emile Blessig, président : Je vois que, très souvent, sur un territoire donné, les syndicats qui s'occupent de production ou de distribution d'eau (en général, production et distribution sont relativement intégrées), mais surtout d'assainissement, sont des structures publiques différentes. Il arrive qu'elles collaborent, évidemment, mais c'est toujours une collaboration a minima, et je constate surtout, dans l'organisation des travaux, une multiplication de la réunionnite au niveau local qui fait la part belle au petit nombre qui prend des décisions. Je me demande si, de ce point de vue, il ne pourrait pas être mené une réflexion. J'ajoute la problématique de l'aménagement des cours d'eau, parce que ce sont souvent les cours d'eau qui font les liens entre les trois.

Il y a aussi le problème des syndicats qui organisent la captation. Certes, il y a des agences de bassin, mais alors que vous parliez de transparence, je ne suis pas sûr que nos concitoyens y voient souvent bien clair.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Vous avez raison, M. le Président, d'indiquer que les profondes restructurations territoriales, qui ont résulté ces dernières années de lois comme la loi Chevènement ont brouillé un peu les cartes de la responsabilité décisionnelle.

J'ai les chiffres ici : en 1999, le mouvement de regroupement des communes au sein de communautés d'agglomération à fiscalité propre concernait 34 millions d'habitants alors qu'il en concernait 48 millions en 2002. J'ajoute que, selon les éléments qui ont été publiés par la direction générale des collectivités locales, 35 % des nouvelles entités reprendraient la gestion des services d'eau, ce qui est tout à fait considérable.

Cette modification des organisations est - on le comprend - à l'origine de difficultés pour des syndicats ruraux en périphérie d'agglomération qui ont vu une recomposition de leur secteur de desserte ou la diminution des achats d'eau en gros par les communes périphériques de l'agglomération.

Certaines de ces nouvelles communautés d'agglomération ont d'ailleurs engagé un processus d'harmonisation progressive du prix de l'eau sur plusieurs années. Je pense à deux villes qui me touchent de près : Nantes et Tours, ce qui m'amène à me tourner vers vous, M. le Député Poignant.

M. Serge Poignant : Cela concerne en particulier les communautés d'agglomération qui sont autour de ces deux villes.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Tout à fait. Les départements ont un rôle évident dans ce domaine de la péréquation du prix de l'eau. Plusieurs départements ont déjà mis en place des systèmes de péréquation, notamment la Loire-Atlantique, la Vendée ou la Charente-Maritime, ou des aides au financement (je pense au Rhône).

Les dispositions législatives ou réglementaires actuelles ne permettent pas aux départements de mettre en place une redevance sur la facture de l'eau qui assurerait la péréquation du prix de l'eau, et les règles comptables en vigueur constituent également un frein à l'intervention du département pour la péréquation du prix entre syndicats existants.

Voilà une piste de réflexion pour une rénovation législative. Pour répondre à votre question, c'est une évidence. Le développement du rôle des départements dans la péréquation du prix de l'eau avec la mise en place de cette redevance additionnelle volontaire accompagnant la décentralisation du FNDAE sera, bien entendu, une voie à explorer dans notre travail législatif.

M. André Chassaigne : Je voudrais faire quelques observations plus que poser des questions pour aider à la réflexion à venir sur de très grosses difficultés rencontrées par le monde rural, notamment dans les pays les plus isolés, et ce dans deux domaines.

Le premier domaine est celui de la qualité de l'eau. Cela paraît d'autant plus incroyable qu'il s'agit de secteurs ruraux qui ne sont pas touchés par des pollutions d'origine agricole, qui sont au contraire des secteurs ruraux extrêmement sauvegardés en termes de qualité de l'environnement et qui se trouvent dans une situation qui rend les élus très inquiets par rapport à des directives, notamment européennes, et des dispositifs législatifs dont on ne sait pas comment on va sortir.

Je ne citerai qu'un exemple : le cas de l'arsenic, qui paraît incroyable. Dans mon département, 136 communes sont concernées alors que ce sont souvent des communes qui sont en régie directe et qui ne savent pas comment elles vont sortir de ce problème tant le coût du traitement est important.

Le sentiment qui se généralise, c'est que ces petites communes qui sont en régie directe sont, en quelque sorte, poussées vers la privatisation pour trouver des solutions en termes de raccordement entre réseaux. Nous pensons qu'il peut y avoir d'autres solutions que celle-ci et nous avons le sentiment d'une très grande rigueur et d'une forme d'injustice très forte à l'encontre de ces communes.

Le deuxième problème qui est comparable à celui-ci, c'est celui de l'assainissement, avec des charges très élevées, des départements qui n'arrivent plus à suivre, des listes d'attente très importantes dans les départements pour accompagner les assainissements collectifs et avec le sentiment que la solution de l'assainissement individuel, qui a été trop souvent négligée mais qui revient fort heureusement au premier plan, devra s'accompagner d'un dispositif législatif prévoyant un contrôle qui sera assuré par les communes ou par les groupements de communes. Là aussi, nous nous demandons comment ce contrôle sera effectué, mais je pense que c'est à partir de 2005.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Vous avez raison de dire, M. le Député, mon cher André, que les chantiers qui nous attendent sont tout à fait considérables eu égard à la structuration de notre territoire où, comparé à d'autres pays européens, l'équilibre entre villes et campagnes fait que l'habitat est bien dispersé et bien réparti sur notre territoire et impose donc des infrastructures d'autant plus lourdes. N'oublions pas les départements d'outre-mer et leur spécificité, et l'exigence du consommateur de disposer d'une eau d'une qualité de plus en plus irréprochable.

Il est vrai qu'il y a des disparités importantes et des différences de prix. J'ai ici les prix de l'eau qui sont, en moyenne, de 2,8 €/m³, mais dont la fourchette va de 0,5 € à 6 €, c'est-à-dire que cela va de 1 à 10.

M. André Chassaigne : 0,5 €, c'est parfois cher : dans certaines communes, le prix est inférieur.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Je constate en tout cas que l'eau, finalement, n'est pas chère dans notre pays, que c'est un succès et que c'est un bien démocratiquement atteignable. J'ajoute que la gestion par bassin, qui est fortement décentralisée, même si elle a créé des disparités, a été un succès sur ce plan.

Il reste donc des marges de manoeuvre pour satisfaire aux exigences légitimes de la qualité d'un bien qui devient de plus en plus rare. On est bien dans une politique de développement durable visant à assurer une eau de qualité, facteur de développement économique, à respecter sa qualité et la qualité des milieux qui l'entourent et à en permettre l'accès aux plus défavorisés.

M. Joël Beaugendre : La moitié de la question a été posée. J'aimerais donc poursuivre sur l'aspect démocratique que soulignait M. le Président tout à l'heure. Souvent, des syndicats intercommunaux s'occupent des problèmes d'adduction plus que de distribution et on se retrouve la plupart du temps, aujourd'hui, à demander à chaque commune d'adopter un schéma d'assainissement. Or il s'avère que l'assainissement collectif pose un certain nombre de problèmes et de priorités par rapport à la structure géologique de certains bassins et à la densification de certains secteurs géographiques.

Je voudrais donc savoir s'il ne faudrait pas, à l'image du territoire lui-même, avoir un schéma de cohérence global au sein d'un même département ou d'une même région et le fédérer depuis la production de l'eau jusqu'à son épuration ultime.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Permettre aux élus qui le souhaitent de mettre en place des systèmes de péréquation pertinents sur la base de l'expérimentation me paraît une piste excellente. Cependant, l'intervention de syndicats ou de départements ayant comme seul rôle la péréquation du prix de l'eau serait de nature à entraîner une perte de lisibilité du prix de l'eau et de sa formation.

Par conséquent, la mise en place de telles structures que vous appelez de vos voeux - et je le comprends - en particulier dans les départements d'outre-mer, doit s'accompagner d'un renforcement de la transparence en veillant à la qualité et à la lisibilité des données sur le prix, ainsi qu'à la qualité du service. Les données sont publiées dans le rapport du maire, en application de la loi Barnier de 1992, en associant les usagers (nous en parlions tout à l'heure avec les exutoires des déchets) à la gestion des services avec les commissions consultatives des services publics locaux, au titre de la loi ATR de 1992 et de la loi sur la démocratie de proximité de 2001.

M. Serge Poignant : Puisque vous avez cité Nantes, Mme la Ministre, je souhaite revenir, à propos de l'assainissement, sur les plans de zonage qui doivent être faits au plus près du terrain, parce qu'ils déterminent, commune par commune, les lieux où on doit faire de l'assainissement collectif et ceux où il peut rester de l'assainissement autonome. Cela ne peut pas se faire sur un plan trop large parce que c'est vraiment une question de terrain.

Il reste par ailleurs les budgets autonomes de l'assainissement.

Quant à la péréquation, celle-ci est devenue automatique en communauté urbaine, puisque les réseaux, l'eau et l'assainissement sont des compétences obligatoires. Il y a donc maintenant un système, de la production jusqu'au traitement des eaux usées, qui fait que le prix de l'eau est le même pour toutes les communes de la communauté urbaine.

Cependant, pour avoir une péréquation globale, ne serait-ce que sur un plan départemental, on est pour l'instant dans le volontariat. Or la commune urbaine considère que, pour l'instant, cela lui coûte moins cher, ce qui est évident : quand on est dans une zone agglomérée, les réseaux d'eau sont plus denses que lorsqu'on est en milieu rural. Cela pose d'autant plus de problèmes, quand on est une communauté urbaine - j'en fais partie - pour les communes qui étaient dans des syndicats de communes rurales et qui doivent les quitter du fait de l'obligation de la loi sur les communautés urbaines, ces communes se retrouvant dans des syndicats où elles doivent payer plus.

Cela pose donc un problème de péréquation à l'intérieur d'un département dont le président pourra toujours dire que, tant qu'on ne l'y oblige pas, il ne bougera pas, à moins qu'il soit convaincu de la nécessité d'amener de l'argent.

Nous sommes placés devant une problématique que l'on ne peut pas régler uniquement sur la bonne volonté.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Il est certain que la réflexion porte sur les instruments financiers et sur le principe de solidarité entre villes et campagnes, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, qui justifiait le FNDAE. Comment peut-on le préserver ? Si ce n'est pas trop difficile dans des départements comme la Loire-Atlantique, qui compte plus d'un million d'habitants, comment le faire dans le Puy-de-Dôme ou en Guadeloupe, pour ne citer que les départements dont sont élus deux des membres de votre Délégation ?

La réflexion consiste à remplacer la solidarité nationale par une solidarité de bassin en dotant les agences de l'eau des ressources ad hoc pour financer les dépenses de l'eau et de l'assainissement dans l'espace rural. Il semble que la réponse soit contenue dans la question... (Rires.)

Quel peut être le niveau d'implication des conseils généraux dans le financement de l'eau et de l'assainissement alors que les autres dépenses explosent, en particulier l'allocation personnalisée d'autonomie, et qu'on ne va pas encore leur coller cela sur le dos ?

En tout cas, la réflexion politique sur les instruments financiers et les solidarités entre territoires est un élément tout à fait capital de cette réflexion que nous allons mener ensemble à travers les assises territoriales et la consultation des acteurs et quand je reviendrai devant votre Délégation.

M. Emile Blessig, président : Avant de nous quitter, j'aimerais vous poser une dernière question un peu plus générale.

Nous sortons du débat sur les infrastructures, dans lequel, au nom de la Délégation, j'ai eu un temps de parole dans la discussion générale et j'ai essayé d'axer mon propos sur le développement durable et la prise en compte des coûts indirects, dont parle tout le monde mais dont personne ne veut, sans doute parce qu'on manque d'outils ou d'agences d'évaluation qui puissent être reconnus et objectifs, en tout cas scientifiquement établis.

Cela étant, j'évoquerai un point moins ambitieux. J'ai eu l'occasion de visiter un certain nombre d'usines, notamment en agroalimentaire, qui investissent, dans le cadre de pratiques de normalisation et de normes ISO 9002, des sommes relativement importantes et qui sont en état de faire des bilans écologiques. Serait il possible d'avancer sur cette notion de bilan écologique ?

J'estime qu'à l'heure actuelle, il y a, de ce point de vue, une communication à faire avec les entreprises qui font véritablement des efforts (par exemple une entreprise de production de jus de fruits qui construit une station d'épuration de 18 millions de francs) et qui ont du mal à faire passer le message. A un moment donné, on parlait d'entreprises citoyennes et on peut en penser ce qu'on veut, mais s'agissant d'entreprises respectueuses de l'environnement, de bilan écologique des entreprises et de méthodologie quant à l'approche de cette notion, pouvez-vous nous dire si vous avez des réflexions en cours ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Je vous remercie, M. le Président, de me permettre de conclure mon audition par l'un des axes de la stratégie nationale de développement durable.

En effet, cette question du mieux disant écologique est au cœur du troisième axe fondamental de la stratégie nationale, et nous avons commencé la mise en œuvre d'une modification des règles des marchés publics pour intégrer le mieux disant écologique.

Il ne suffit pas de le décréter. Encore faut-il, comme vous l'avez souligné, s'en donner les outils. Nous savons que le mieux disant social, qui est acté dans les règles des marchés publics, s'est heurté à un certain nombre d'impossibilités : qu'est-ce que le mieux disant social ?

Le mieux disant écologique est quand même plus facile à mettre en œuvre, à condition de se donner des indicateurs pertinents et de faire un travail méthodologique, un travail de recherche, un travail de technologie environnementale qui est au cœur de cette stratégie.

Quand nous parlons d'infrastructures et que nous en répercutons les coûts en matière de bruit et de pollution de l'air, quand, dans la construction d'un programme d'habitation, nous tenons compte non seulement du coût de l'installation elle-même mais aussi de sa maintenance ou de l'émission des gaz à effet de serre par l'utilisation de combustibles fossiles, il s'agit d'items qui sont assez faciles à consacrer et à mesurer.

En tout cas, le mieux disant écologique est au cœur de la réflexion sur le développement durable et l'un des éléments forts de la stratégie.

Audition de MM. Alexandre Colin, René-François Bizec et Mme Sophie Liger-Tessier, membres du MEDEF

Réunion du 16 juillet 2003

Présidence de M. Emile Blessig, Président

M. Emile Blessig, président : En ma qualité de président de la délégation, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je vous souhaite la bienvenue dans le cadre de cette délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire.

Depuis plusieurs semaines, notre délégation, dans le cadre de ses réflexions sur le développement durable, essaye d'approfondir la question de l'eau dans la perspective d'un futur projet de loi. En effet, tant sur l'eau que sur les déchets ménagers de nouvelles dispositions sont en préparation. Il nous est apparu nécessaire de procéder à une évaluation des derniers textes et de la situation actuelle.

Il nous paraît tout à fait intéressant aujourd'hui de connaître l'avis du MEDEF dans la mesure où ce secteur met en jeu des processus industriels importants.

Pour ma part, je souhaite vous poser quatre questions :

- Comme pour les déchets, nous souhaitons connaître le poids des industries de l'eau dans l'économie française.

- Y a-t-il une croissance continue et inéluctable des usages industriels de l'eau ?

- Quelle est par ailleurs l'appréciation du MEDEF en tant qu'organisation professionnelle sur l'organisation administrative de l'eau en France ?

- Enfin, des directives européennes ne cessent de modifier les modalités d'usage de l'eau. Quelles sont à vos yeux les conséquences de ces interventions européennes pour les entreprises ?

M. Alexandre Colin : S'agissant de l'industrie française de l'eau, il est exact que le système français a donné lieu depuis 150 ans à des développements d'entreprises spécialisées dans la préparation, le traitement et la distribution de l'eau potable, voire l'assainissement. Il y a deux grands groupes principaux.

A l'inverse d'un certain nombre d'autres pays comparables au nôtre qui distribuent de l'eau tout à fait valable comme nous, nous disposons d'organes d'intervention à l'étranger. Nos entreprises trouvent par là des possibilités d'emplois supplémentaires, une valeur accrue et des possibilités de développement grâce au fait que des groupes peuvent centraliser une technologie et la développer. Une régie municipale ne peut pas le faire. En Allemagne, il y a précisément beaucoup de régies mais le système n'est pas valorisable. Ce ne sont pas elles qui mènent la danse mais ce sont essentiellement les entreprises françaises, les entreprises américaines et un peu les entreprises anglaises, encore qu'elles aient un système quelque peu hybride que je ne connais pas très bien.

Quel est le poids de l'eau ? On facture en France pour 80 milliards de francs par an. 60 à 70 % sont facturés par les concessionnaires et la part des régies doit être de l'ordre de 30 %.

Je le répète, il ne faut jamais perdre de vue l'intérêt d'avoir un système à la française, un peu spécifique à notre pays, la délégation de service public. Il a eu le mérite de développer les grandes entreprises qui représentent et valorisent le pays à l'international. Dans toute polémique sur cette question de l'eau, il ne faut pas perdre de vue cet élément et il convient de le mettre dans la balance.

Quid des usages industriels de l'eau ? Nous pouvons tous constater par notre expérience propre ou au vu des chiffres que l'industrie réduit ses consommations d'eau. En effet, depuis trente ou quarante ans, tous les processus de fabrication industrielle ont mis moins d'eau en œuvre, peut-être pas forcément du point de vue de la quantité mais par traitements internes, par les systèmes aéro-réfrigérants, etc... Les débits de fuite sont peu nombreux. Il y a donc une réduction de la captation. Au total, le prélèvement net d'eau par l'industrie est en diminution malgré la croissance industrielle.

M. René-François Bizec : L'industrie papetière par exemple consomme beaucoup d'eau. Sur les trente dernières années, la réduction de la pollution exprimée en matières oxydantes est une diminution par un facteur 15 ; le prélèvement est en réduction d'un facteur 5. La sidérurgie consomme également beaucoup d'eau. Si les chiffres sont un peu moindres, la réduction du prélèvement est d'un facteur 3 par unité de production.

En ce qui concerne la vision globale des flux d'eau, certains secteurs de production augmentent et d'autres diminuent.

Sous l'angle des usages de l'eau et de son évolution, il faut distinguer la grande industrie d'un certain nombre de plus petites industries qui n'ont pas eu la possibilité d'investir et qui ont des performances moindres. Si elles se faisaient imposer des performances brutalement, compte tenu de la concurrence, elles pourraient se trouver dans une mauvaise posture. Je pourrais vous citer l'exemple de ce qui s'est passé pour l'industrie des circuits intégrés : la diminution en nombre est de cinq ou six.

M. Alexandre Colin : Du point de vue quantitatif, une des principales raisons de la diminution de la consommation d'eau et des prélèvements nets tient au fait que lorsqu'il faut traiter un effluent, moins on en a à traiter, mieux on peut le traiter ! Ainsi, un des premiers soucis de l'industriel confronté à la nécessité de traiter ses effluents a été d'abord de réduire les flux. On ne peut pas traiter des torrents de boue ! On sait traiter des quantités limitées mais pas des quantités énormes. C'est là un acquis.

Le problème majeur sous cet angle est plutôt de savoir jusqu'à quel degré d'épuration on veut aller. C'est une autre problématique.

Que pensons-nous de l'organisation administrative ? Compte tenu de tous les aspects envisageables, pouvez-vous préciser votre question et les points sur lesquels vous souhaitez que nous nous exprimions ?

M. Emile Blessig, président : Sur les agences de bassin et sur ce qui en découle au niveau de l'organisation... Quid de la régie ?

M. Alexandre Colin : En ce qui concerne les agences, nous avons une vision plutôt positive de l'organisation par bassin qui a été mise en place par la loi de 1964 et du fonctionnement auquel elle a donné lieu.

Certes, il y a peut-être quelques petites retouches à faire, tant il est vrai qu'il faut constamment surveiller le système pour qu'il ne dérive pas et qu'il ne devienne pas foisonnant. Cela fait partie du quotidien. En tout cas, sur le fond, nous sommes attachés à ce système qui a fait ses preuves.

Ce système s'est appliqué en premier sur les industriels. C'est sur eux que l'on a fait d'abord porter l'action car l'industrie connaissait de gros problèmes de pollution et c'est bien dans ce secteur qu'il convenait d'aller dans le cadre d'un développement rationnel de l'allocation de ressources.

Ce sont les industries qui ont été les premières soumises au système des agences et ce avec le plus de résultats. Le « lancinant problème de la pollution de l'eau par les industriels » n'est pas actuellement le point noir dans le paysage environnemental et tout le monde se plaît à le reconnaître.

Les collectivités locales ont suivi, avec un décalage. Finalement, ceux qui n'ont pas été soumis à une logique de ce genre sont en fin de compte ceux qui posent problème aujourd'hui. Il est indéniable que le problème de la pollution aujourd'hui est celui de l'agriculture. Pourquoi ? Avec trente ans de retard, on s'est demandé comment soumettre éventuellement l'agriculture à des procédures analogues à celles des agences de bassin. Peut-on y arriver ? C'est une autre question !

En tout cas, ce secteur de production a commencé il y a quinze ans à poser des problèmes énormes, lesquels ne sont pas encore entièrement résolus. Ce sont donc eux qui, non soumis à la logique des agences de bassin, posent problème aujourd'hui. D'ailleurs, de ce fait, paradoxalement, ce sont eux qui font se poser des questions sur l'intérêt du système des agences de bassin. Or, ce système ne doit pas se juger en fonction de ceux qui posent problème aujourd'hui mais plutôt en fonction des résultats obtenus grâce à sa mise en place.

Nous ne faisons pas mystère de notre opinion sur le sujet. Pour ceux qui auraient éventuellement une sensibilité "verte", je rappelle que le précédent gouvernement, sous cette influence là, a porté des coups de boutoir non négligeables au dispositif, volontairement ou inconsciemment. En tout cas, le système a été fragilisé et des problèmes peuvent se poser quant à sa pérennité. Pour notre part, nous plaidons pour sa pérennité.

Peut-être que le Parlement voudra agir davantage que par le passé sur cette question, par exemple sous l'angle de la fixation des redevances. A lui de trouver si possible un système tel que les redevances conservent un statut spécifique, que les agences de l'eau puissent garder leur autonomie budgétaire, que puisse continuer à fonctionner ce système de gestion d'une ressource financière pour le développement de l'investissement. Si ce sont de purs impôts gérés par des agences, le dispositif tombera encore beaucoup plus sous le coup des recommandations de Bruxelles en matière d'aides pour la protection de l'environnement. Vous connaissez la communication du début 2001 et la limitation encore plus sévère de ce système d'aide à l'investissement, système de solidarité à l'intérieur du bassin qui a bien fonctionné jusqu'à présent. Il a quand même fait depuis longtemps l'objet d'analyses et de débats nombreux au sein du MEDEF, mais surtout ces dix dernières années. Nous en revenons toujours à la même conclusion : faisons le vivre et ne le laissons pas dériver.

Même si les sommes en cause sont marginales, j'ai apprécié pour ma part l'étude de la Cour des Comptes qui a dit qu'il fallait mettre un terme à certaines interventions des agences pour s'occuper de l'eau au Zimbabwe, si je puis m'exprimer ainsi. Il y a certainement des choses à faire à l'international sur le plan de l'eau mais ce n'est pas nécessairement avec le produit des redevances que ces actions doivent être menées. Il ne faut pas se tromper dans les sources de financement.

Quid de l'argent prélevé sur l'eau en France ? C'est là un thème développé par l'école française de l'eau, animée par le sénateur Oudin. Le système selon lequel "L'eau paye l'eau..." a bien fonctionné. Essayons de lui conserver son fonctionnement ! C'est ce que nous disons au MEDEF, M. le président.

Concernant l'organisation administrative, nous serions plutôt conservateurs ! (Sourires). Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des réformes à faire et nous sommes prêts à prêter la main.

M. René-François Bizec : M. Colin a évoqué à juste titre l'indépendance du système des agences. Les aides qu'elles fournissent sont désormais contrôlées par Bruxelles. Je précise qu'il s'agit bien d'aides à l'investissement. En effet, les agences de l'eau aident aussi aujourd'hui au bon fonctionnement de quelques stations d'épuration ainsi qu'à des études, et, pour caricaturer, ces aides vont jusqu'à la situation aquatique du Zimbabwe.

Que préconisons-nous au moment où la politique de l'eau fait l'objet d'une large concertation par le gouvernement ? C'est qu'on limite bien la bonne utilisation du produit de la redevance essentiellement à l'investissement. C'est bien à ce niveau que les progrès sont à faire.

M. Emile Blessig, président : On se rend compte aussi bien dans le domaine de l'eau que dans celui des déchets que la part de l'investissement devient lourde et prépondérante. D'où la question des modalités de financement entre d'une part l'usager et d'autre part la répartition dans le temps de l'amortissement de l'ensemble de ces équipements, qu'il s'agisse d'usines d'incinération, de grandes stations d'épuration, voire de réseaux. C'est là toute la question de l'équilibre de la charge financière entre la génération actuelle et les générations futures, le tout mâtiné de solidarité territoriale. L'approche est extrêmement complexe mais nous aurons l'occasion d'en reparler à de nombreuses reprises. Il est vraisemblable que dans les textes à venir, ces questions feront l'objet de débats incontournables.

La présidence de l'ADEME a dit que 8 milliards d'euros avaient été investis par l'Agence en matière de traitement de déchets et depuis le 30 juin 2002, il n'y a plus d'aides de l'ADEME pour les investissements. Or les besoins du pays en investissements en matière de centres de traitement sont énormes. Comment allons-nous les financer ? Qu'il s'agisse de l'eau ou des déchets, le financement des investissements est vraiment une question très importante.

M. Alexandre Colin : Ce propos m'inspire un commentaire : il faut aussi être très vigilant sur le choix des normes que l'on veut imposer. Je pense surtout à l'eau mais ce peut être aussi le cas pour les déchets. En tout cas, il y a des normes judicieuses qu'il faut fixer et faire respecter. Il en est d'autres sur lesquelles il conviendrait de réfléchir un peu plus, sachant que, même si l'on se fait plaisir parfois, certains payent toujours derrière. En fonction des normes, les coûts peuvent être non négligeables.

Par exemple, il serait possible de réfléchir davantage sur cette fameuse norme de plomb dans l'eau potable. Tous ceux qui ne traitent pas la question en termes passionnels savent très bien que s'ils maintiennent une conduite en plomb, à l'ouverture de l'eau il se produit un jet. On ne fera pas croire que les intéressés se précipitent pour recueillir cette eau et la consommer. Automatiquement, il y a purge et le problème du plomb n'est pas aussi dramatique que ce que l'on veut en dire. Ce sont pourtant des milliards d'euros qui sont en cause.

Il y a actuellement une norme qu'il n'a pas été possible de bouger : la teneur en pesticides dans l'eau. L'OMS - qui n'est pas laxiste en la matière - proposait de faire une norme globale et non plus une norme par produits. Cette proposition a suscité un tollé, notamment en Europe.

Il en va de même pour les nitrates et il convient de réfléchir en effet. Bien sûr, les quantités sont trop grandes et elles posent problème. Mais le niveau où l'on en est ne pose pas de problème en termes de potabilité. N'oublions pas que l'on paye derrière...

M. Emile Blessig, président : Si je vous comprends bien, vous vous inquiétez d'une certaine surenchère en matière de normes.

Mme Sophie Liger-Tessier : Principalement au niveau européen.

M. Emile Blessig, président : La France aurait donc tendance à "laver plus blanc"...

M. Alexandre Colin : L'Europe aussi ! La question des pesticides était en débat il y a trois ou quatre ans. L'OMS proposait elle-même un changement de normes. Cela a été un tollé alors que c'était judicieux !

La question des nitrates est un problème largement européen. Les Américains ne posent pas la même problématique sur cette question. La question de l'arsenic a suscité un tollé aux Etats-Unis lorsque, à son arrivée, le président Bush avait relevé le seuil. Il a reculé rapidement.

Il est toujours très délicat de parler de points particuliers. Mais lorsque l'on choisit une norme, il faudrait réfléchir davantage avant sur les coûts colossaux qui ne seront pas forcément en rapport avec les gains de santé publique que l'on croit rechercher. C'est là une réflexion de caractère général.

M. René-François Bizec : Nous sommes tout à fait à un point charnière sur cet aspect des choses, quitte à anticiper sur votre dernière question. La directive cadre sur l'eau qui est en cours de transposition dans les Etats membres change la perspective d'action, en tout cas pour nous en France. La directive impose une vision par objectifs de normes alors que précédemment les agences agissaient par une réflexion sur les moyens. Cela est maintenant acquis. Mais à Bruxelles et dans les Etats membres, nous sommes en train de décliner ces objectifs en termes de normes à suivre. Nous devons être très attentifs pour suivre la ligne que vient d'indiquer M. Colin.

S'agissant des pesticides, par exemple, il y a une querelle d'experts. Certains centres de recherche français sont extrêmement exigeants dans la volonté de normaliser des valeurs limites, substance par substance. L'OMS, dans une approche globale, examine l'impact sur la santé et sur l'environnement d'un ensemble de substances, ce qui permet de faire des analyses plus rapides mais qui prennent quand même plusieurs années pour aboutir à une norme. En revanche, si l'on étudie les "forêts" de substances - et cela est aussi vrai pour les matières en contact avec les produits alimentaires - ce sont des travaux pour les laboratoires analytiques qui s'étalent sur des dizaines d'années avec un marché qui représente pour eux des milliards. Vous voyez bien leur intérêt de rendre les choses complexes.

M. Emile Blessig, président : Je crains fort que ce débat ne soit incontournable dans la mesure où nous avons à l'heure actuelle un principe aux contours extrêmement vagues mais au nom duquel on peut dire beaucoup de choses : le principe de précaution.

A partir du moment où ce principe de précaution est invoqué, on sort d'une certaine manière de la rationalité et cela peut aller très loin. Je crois que ce dont nous aurions le plus besoin, parallèlement au principe de précaution, c'est d'une vraie réflexion sur le risque. Le principe de précaution semble induire au moins implicitement une société sans risque, ce qui n'existe pas. Ce sont là quelques fils conducteurs d'une réflexion nécessaire.

M. Alexandre Colin : S'agissant des développements de la politique européenne, il pourrait y avoir un débat très intéressant dans les trois années qui viennent : celui de la définition du bon état écologique de l'eau.

La directive européenne parle d'avoir pour les masses d'eau "un bon état écologique". Le problème est de savoir ce qu'est un bon état écologique ! La réflexion conduit à dire qu'il n'y a pas "un" bon état écologique mais qu'il y a "des" bons états écologiques. Ce sont des notions relatives et non pas absolues.

En outre, il convient de prendre en compte toute la recherche, toute la "chasse" à certaines substances qui ne font pas forcément bien dans "le bon état" mais qui ne sont pas nécessairement dangereuses. En tout cas, il y a plusieurs années de travail et il y aura sous cet angle des normes à fixer. Selon que l'on aura appliqué le principe de précaution, on économisera ou au contraire on gaspillera beaucoup d'argent. Economiser de l'argent n'est peut-être pas très bien mais en gaspiller n'est pas bien. L'important est de ne pas en gaspiller (Sourires).

M. Emile Blessig, président : Dernière question : comment définissez-vous une masse d'eau ?

M. Alexandre Colin : C'est une très bonne question... que nous retournons au ministère de l'environnement et du développement durable. Comment découper une masse en "masse d'eau" ? En tronçons ? C'est une question dont nous débattons avec ses représentants car la façon de procéder n'est pas neutre.

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N° 1170 - Rapport d'information de M. Jean Launay sur la gestion de l'eau

1 () Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 sur la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques

2 () Cette analyse n'est pas partagée par notre collègue Jean-Claude Flory, qui ne cite pas les EPTB parmi les pistes de réformes qu'il a proposées au Gouvernement dans son rapport sur la réforme des redevances des Agences de l'eau.