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N° 1289

_____________

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 décembre 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

en application de l'article 29 du Règlement

au nom des délégués de l'Assemblée nationale à l'Assemblée

parlementaire du Conseil de l'Europe (1) sur l'activité de cette Assemblée

au cours de la quatrième partie de sa session ordinaire de 2003

par M. Bernard SCHREINER

Député

ET PRÉSENTÉ A LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

(1) La composition de cette délégation figure au verso de la présente page.

Relations internationales.

S O M M A I R E

Pages

INTRODUCTION 5

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE 7

DÉROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des avis, recommandations et résolutions 7

adoptés

B. Interventions des parlementaires français 9

II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION 13

A. Le débat central sur l'immigration 13

1. La réunion conjointe du 25 septembre 2003 13

2. L'examen des rapports sur les questions liées aux 15

politiques de l'immigration

B. La lutte contre l'extrémisme et le racisme 20

C. Le rôle des Nations Unies en Irak 27

III.  LES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE 31

Mesdames, Messieurs,

La quatrième partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a présenté une physionomie particulière ; elle a été précédée, le jeudi 25 septembre, d'une réunion conjointe avec le Parlement européen sur le thème de la politique de l'immigration. Le rythme des travaux propre à l'Assemblée parlementaire en a été quelque peu affecté. Il serait sans doute excessif de porter un jugement péremptoire sur une formule qui a permis des débats utiles ; force est cependant de constater qu'elle a été accueillie avec une inégale faveur par les membres du Parlement européen et par ceux de l'Assemblée parlementaire.

Au cours de la session proprement dit, l'Assemblée a examiné une série de questions qui montrent une nouvelle fois la variété de ses préoccupations.

En dépit de contraintes particulières liées à l'ouverture de la session annuelle du Parlement, la délégation française a, comme à l'accoutumée, participé activement aux débats ainsi que le montre le tableau ci-après.

I. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE DEROULEMENT DE LA SESSION

A. Liste des recommandations et résolutions adoptées

N° Titre Doc

-------------------------------------------------------------------------------------

Recommandation 1622 Respect des obligations et engagements de 9852

l'Ukraine

Recommandation 1623 Droits des minorités nationales 9862

Recommandation 1624 Politique commune en matière de migration 9889

et d'asile

Recommandation 1625 Politiques d'intégration des immigrés dans 9888

les Etats membres du Conseil de l'Europe

Recommandation 1626 La réforme des systèmes de santé en 9903

Europe : concilier équité, qualité et

efficacité

Recommandation 1627 Abolition de la peine de mort dans les Etats 9908

ayant le statut d'observateur auprès du

Conseil de l'Europe

Recommandation 1628 Rôle des Nations Unies en Irak 9943

Résolution 1344 Menaces des partis et mouvements 9890

extrémistes pour la démocratie en Europe

Résolution 1345 Discours raciste, xénophobe et intolérant 9904

en politique

Résolution 1346 Respect des obligations et engagements de 9852

l'Ukraine

Résolution 1347 Incidences de la « politique de Mexico » 9901

sur le libre choix d'une contraception en

Europe

Résolution 1348 Représentation paritaire au sein de 9870

l'Assemblée parlementaire

Résolution 1349 Abolition de la peine de mort dans les Etats 9908

ayant le statut d'observateur auprès du

Conseil de l'Europe

Résolution 1350 L'OCDE et l'économie mondiale 9851

Résolution 1351 Rôle des Nations Unies en Irak 9943

Résolution 1352 Recherche sur les cellules souches humaines 9902

Avis n° 246 Relations entre le Conseil de l'Europe et 9909

les organisations non gouvernementales

B.  Interventions des parlementaires français

Séance du vendredi 25 septembre 2003, après-midi :

Réunion conjointe avec le Parlement européen

Interventions de :

M. Jean-Claude Mignon, sur les principes directeurs d'une politique d'asile et d'immigration dans la « grande Europe »

Mme Josette Durrieu, sur la promotion des valeurs démocratiques dans le nouvel espace européen.

Séance du lundi 29 septembre 2003, matin :

Extrémisme et racisme

Interventions de :

M. Jean-Claude Mignon, sur les principes directeurs de la législation antiraciste française ;

M. Jean-Pierre Kucheida, sur la laïcité républicaine, garantie contre l'extrémisme religieux.

Séance du lundi 29 septembre, après-midi :

Respect des obligations et engagements de l'Ukraine

Intervention de Mme Josette Durrieu, sur les nouveaux progrès attendus de l'Ukraine dans le domaine des libertés publiques.

Droit des minorités nationales

Intervention de Mme Josette Durrieu, sur la conception française de la protection des droits de l'homme.

Relations entre le Conseil de l'Europe et les ONG

Intervention de M. François Rochebloine, sur la nécessité d'une évaluation claire de la coopération avec les ONG.

Séance du mardi 30 septembre 2003, matin :

Libre choix d'une contraception en Europe

Intervention de M. Jean-Pierre Masseret, sur les risques inhérents à la ligne restrictive de la politique américaine en la matière.

Discours de M. Adrian Nastase, Premier ministre de Roumanie

Questions de :

Mme Josette Durrieu, sur la vision roumaine de la politique européenne de sécurité commune ;

M Jean-Claude Mignon, sur les coopérations bilatérales ou multi-latérales en matière d'immigration.

Séance du mardi 30 septembre 2003, après-midi :

Représentation paritaire au sein de l'Assemblée

Intervention de M. Bernard Schreiner, sur les conditions d'une application efficace du principe de parité par les délégations nationales ;

Immigration et asile

Interventions de :

M. Jean-Claude Mignon, sur les choix politiques inhérents à la réglemen-tation commune du droit d'asile.

M. Jean-Pierre Kucheida, sur les dangers d'une approche communau-tariste de l'accueil des immigrés ;

M. François Rochebloine, sur la coopération entre Etats d'origine et Etats d'accueil pour une approche concertée de l'immigration.

Séance du mercredi 1er octobre 2003, matin :

Réforme des systèmes de santé en Europe : concilier équité, qualité et efficacité

Interventions de :

M. Claude Evin, sur les causes d'une adaptation nécessaire des systèmes de santé ;

M. Jean-Pierre Kucheida, sur l'application de l'idée de solidarité à la politique de santé.

Abolition de la peine de mort dans les Etats ayant le statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe

Intervention de M. Jean-Pierre Kucheida, sur l'incompatibilité de la pratique pénale américaine avec les principes du Conseil de l'Europe.

Séance du jeudi 2 octobre 2003, matin :

Rôle des Nations Unies en Irak

Interventions de :

M. Bernard Schreiner, sur les conditions politiques préalables à la réussite de la mission de l'ONU ;

M. Daniel Goulet, sur le progrès de la dérégulation dans l'ordre juridique international public.

Séance du jeudi 2 octobre 2003, après-midi :

Recherche sur les cellules humaines

Intervention de M. Bernard Schreiner, pour une conception non mercantile et respectueuse de la personne de la recherche en biologie.

L'ensemble des documents et des débats de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est consultable sur le site :

http://assembly.coe.int/

II.    LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Le thème de l'immigration, retenu pour la réunion conjointe de l'Assemblée parlementaire avec le Parlement européen, repris à l'occasion de la discussion du rapport de M. Hancock sur l'immigration et l'asile, a constitué l'essentiel de la session. Pour les relations extérieures, l'attention s'est également portée sur le suivi de la situation en Irak. Par ailleurs, le débat sur extrémisme et racisme a donné une nouvelle occasion de confronter les valeurs du Conseil de l'Europe aux tendances politiques dans les Etats membres.

On trouvera dans les pages qui suivent les interventions prononcées sur ces sujets.

Les autres interventions figurent dans les comptes rendus officiels mis à la disposition de nos collègues par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

A.  Le débat central sur l'immigration

Les questions d'immigration, d'asile et de circulation des étrangers dans l'espace européen ont occupé une grande part des travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe :

- le jeudi 25 septembre, à l'issue de la session ordinaire du Parlement européen, s'est tenue une réunion conjointe Assemblée parlementaire/Parlement européen, dont le thème était l'incidence du futur Traité constitutionnel sur la coopération entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe et le concept d'une grande Europe, ainsi que la liberté de circulation, la migration et le contrôle aux frontières ;

- le mardi 30 septembre, l'Assemblée a examiné deux rapports sur la politique de l'immigration et de l'asile.

1. La réunion conjointe du 25 septembre 2003

Le choix du thème de la libre circulation comme vecteur d'un débat commun entre l'Assemblée parlementaire et le Parlement européen présente une certaine logique : il est à la fois significatif des avancées et des difficultés des procédures visant à l'établissement d'un ordre juridique commun dans l'Union européenne, et de l'application que fait le Conseil de l'Europe, à des politiques particulières, de sa conception des droits de l'homme.

Dans son intervention, M. Jean-Claude Mignon, s'exprimant au nom de la délégation française, devait d'ailleurs insister sur la complémentarité des points de vue des deux institutions et de leurs assemblées :

En prenant la parole pour cette réunion conjointe de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et du Parlement européen, je mesure à travers le rassemblement des 45 nations ici représentées, la force d'attraction de l'idée européenne et, aussi, la force d'attraction qu'exerce sur les peuples du monde la concrétisation chaque jour plus réelle de l'unité européenne.

Cette attractivité de l'Europe a transformé (sans peut-être que ses promoteurs en prennent tout de suite conscience) la création d'un système de contrôle intégré aux frontières en un puissant facteur de visibilité de l'unité de l'espace européen. Au-delà de son aspect strictement technique, l'insertion d'un nouvel Etat dans l'espace Schengen signifie son incorporation dans cet espace unique.

Il en résulte deux conséquences à l'intérieur, comme à l'extérieur de l'Europe.

A l'intérieur de l'ensemble européen, et plus particulièrement de l'Europe telle que vont la dessiner les processus d'élargissement de 2004 à 2007, l'application, même tempérée et maîtrisée, du principe de libre circulation va conduire à des mouvements de population, liés au différences encore perceptibles de niveaux de vie, et aussi à l'existence d'une importante population de gens du voyage, qu'il faut savoir accompagner et canaliser. La coopération entre Etats pour assurer le contrôle, dans l'intérêt commun, de flux migratoires, à l'intérieur de l'Union européenne est une première mesure ; mais combien plus efficace sera le développement des nouveaux Etats membres de l'Union européenne à travers le recours à des mécanismes communautaires rééquilibrés.

Pour résoudre cette question particulièrement délicate, où il faut encourager le désir de coopération bilatérale et multilatérale sans brimer la souveraineté des nations, il importe aux Européens de prendre du champ. Nous n'en avons pas terminé, loin s'en faut, avec la redécouverte mutuelle dont la chute du système soviétique a permis le début. C'est là que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et le Conseil de l'Europe dans son ensemble, peuvent jouer un rôle utile parce qu'ils permettent une discussion très large sans soumettre les échanges de vues à la contrainte des procédures intégrées, nécessaires dans la vie interne de l'Union européenne.

J'ai tout à l'heure parlé de l'extérieur de l'Union.

En effet, le Conseil de l'Europe permet aussi de prendre du champ en offrant un cadre européen au débat politique et juridique avec les Etats qui restent extérieurs au processus d'élargissement.

Ces Etats observent, avec intérêt, parfois avec inquiétude, ce qui se passe dans l'Union européenne. Le contrôle de la circulation des personnes, en ce qu'il fait apparaître des barrières nouvelles, quelquefois contraires à des traditions très anciennes, est l'un des sujets de préoccupation les plus cruciaux des voisins de l'Union européenne.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe permet, comme nous allons pouvoir le vérifier la semaine prochaine, un utile échange de points de vue entre Etats du dehors et Etats du dedans, qui sont tous Etats de la grande Europe, par exemple sur les équilibres à trouver pour préserver des usages de circulation transfrontière, remontant parfois à un temps fort ancien sans porter préjudice à l'adhésion recherchée par l'Union européenne. Il faut définir un territoire cohérent, sans en faire une chasse gardée.

Pour la bonne fin de cet exercice, la tradition des droits de l'homme, chère au Conseil de l'Europe, peut apporter une contribution utile, voire décisive. La réflexion en cours sur la politique de migration et d'asile, l'attention portée aux Roms, le partenariat avec les pays du Sud de la Méditerranée (qui appelle, de notre point de vue, le développement d'initiatives nouvelles), sont autant de champs d'élaboration concrets d'une politique fondée sur la liberté et la promotion des droits de l'homme.

Les débats se sont achevés par l'adoption d'une déclaration commune.

2. L'examen des rapports sur les questions liées aux politiques de l'immigration

Le débat sur les politiques communes de l'immigration et sur l'intégration des immigrés dans les Etats membres du Conseil de l'Europe a montré la volonté des rapporteurs, Mme Zwerver (Pays-Bas) et M. Hancock (Grande-Bretagne) de susciter une approche élargie et généreuse de la politique de l'immigration et de l'accueil des étrangers, au-delà des arbitrages complexes auxquels conduisent les négociations communautaires.

Dans leurs interventions, les membres de la délégation française ont insisté sur l'exigence de réalisme qui commandait le succès d'une telle démarche.

M. Jean-Claude Mignon a appelé l'attention sur les causes qui expliquent la difficulté de définition de normes européennes communes dans le cadre de l'Union, notamment en matière d'asile :

L'ambition de ce débat, comme en témoignent les rapports, est vaste. Il ne s'agit pas moins que de bâtir une politique commune de la migration et de l'asile pour les Etats membre du Conseil de l'Europe.

Je partage les valeurs de liberté et démocratie qui fondent le Conseil de l'Europe. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors de la réunion conjointe de jeudi, je crois que le Conseil de l'Europe, son Assemblée parlementaire en particulier, est un lieu de débat nécessaire pour une compréhension réciproque des positions de chaque Etat dans ce domaine. Il faut cependant mener ce débat en ayant présentes à l'esprit les réalités de la construction de toute l'Europe, la grande comme la petite.

Du côté de la petite Europe, ou, pour mieux dire, de l'Union européenne, on voit un contraste certain entre l'état d'avancement formel des propositions de la Commission, fondées sur le principe de la communautarisation des règles relatives au statut des étrangers et à l'asile, et la difficulté qu'éprouvent les Etats membres à parvenir à des positions communes sur ce point.

Seuls ceux pour qui l'Europe est une idée abstraite peuvent s'en offusquer. L'accueil des immigrés, la stabilisation de leur situation juridique, économique, sociale ne sont pas des concepts; ils exigent des décisions qui affectent la vie quotidienne des populations, imposent aux élus locaux des efforts d'adaptation, d'imagination, de conciliation considérables. Il s'agit de préventions qu'il ne suffit de blâmer pour dissiper. Ce sont des situations concrètes d'immigration clandestine - nos amis italiens le savent bien - qui appellent des décisions parfois bien dures à prendre.

La politique de l'immigration de la grande Europe, autrement dit la définition d'une politique de l'immigration et de l'asile dans le cadre du Conseil de l'Europe, doit être envisagée en tenant compte de ces limites et de ces réactions.

Par exemple, s'il est essentiel de respecter et de mettre en œuvre le droit d'asile, on ne peut pas faire comme si cette procédure n'était pas détournée de son objet par des milliers de personnes attirées par la prospérité européenne. On ne saurait soumettre aux mêmes impératifs les mouvements de population internes à l'Europe élargie, même s'il est indispensable de prendre des mesures transitoires pour l'application de la libre circulation, et ceux qui impliquent les Etats membres ou non membres du Conseil de l'Europe, mais, en tout cas, extérieurs au processus d'élargissement.

Le nécessaire respect de la personne humaine et des garanties élémentaires d'une procédure équitable, sur lequel la doctrine du Conseil de L'Europe insiste à bon droit, ne dispense pas les Etats et l'Union européenne, chacun dans son domaine de responsabilité, de prendre les mesures propres à assurer leur sécurité et une maîtrise équilibrée des flux migratoires, en particulier, de mettre en place les contrôles convenables à cette fin.

Toutefois la diversité des situations politiques et juridiques des Etats membres fait du Conseil de l'Europe, pourvu que les considérations réalistes que je viens de rappeler soient bien intégrées dans sa démarche, un lieu tout à fait adéquat pour la conduite de réflexions communes. La délégation française apportera volontiers son concours à la poursuite de ces réflexions.

M. Jean-Pierre Kucheida a donné plusieurs illustrations concrètes des difficultés d'intégration des immigrés dans la vie locale et dénoncé le risque du communautarisme.

Bravo à nos deux rapporteurs qui ont réussi à rassembler dans un nombre minimal de pages une réflexion nourrie sur les nombreux problèmes que pose l'élaboration d'une politique commune de la migration et du droit d'asile. Ils l'ont fait, bien entendu, dans la perspective qui est celle du Conseil de l'Europe : la définition de politiques démocratiques dans le respect des droits de l'homme et de sa dignité.

Les quelques réflexions que je vais vous proposer maintenant relèvent de la même inspiration, mais d'une manière légèrement différente. Je crois, en effet, qu'adopter une attitude réaliste dans un domaine qui met en jeu l'avenir de nos sociétés est la meilleure manière d'être fidèle à l'inspiration des droits de l'homme. Les problèmes d'accueil et d'insertion des immigrés dans chacun de nos pays posent des questions très concrètes. Je suis bien placé pour les mesurer car ils forment une bonne partie du quotidien de ma vie de maire. Je suis plus sensible qu'un autre à cette affaire car je représente la troisième génération de l'immigration polonaise d'après 1914-1918.

Mon expérience me permet d'avancer sur ce sujet les deux idées qui me paraissent devoir être prises en compte dans toute réflexion, sur une possible politique commune à l'échelle de la grande comme de la petite Europe.

Je suis bien d'accord pour considérer que les Etats d'accueil ont le devoir de favoriser autant que possible l'intégration des personnes qui viennent s'y installer. Les rapporteurs ont raison d'insister sur la diversité des problèmes que pose cet accueil, s'agissant des conditions d'accès à l'emploi, de l'éducation des enfants ou d'une vie de famille normale. S'il faut en définir le régime juridique, il convient aussi de faire face, - et c'est la source de difficultés quotidiennes pour les collectivités locales, - à des responsabilités accrues: équipements sociaux, écoles, activités culturelles. C'est donc la fierté de nombreux maires de mener cette politique de façon déterminée et humaine, avec le concours des travailleurs sociaux, des associations et des représentants des travailleurs immigrés eux-mêmes.

Cependant, - cette réflexion me séparera peut-être un peu des rapporteurs, - je ne crois pas possible de mener des politiques d'intégration reposant sur ce que M. Hancock appelle "des plans d'action visant à promouvoir l'égalité ethnique et la non-discrimination dans toute la société".

S'il est légitime que des personnes apportant avec elles des traditions culturelles et un certain art de vivre conservent la mémoire de ces traditions et les perpétuent, il ne peut y avoir d'intégration réussie lorsque des communautés étrangères ou des fractions de ces communautés recréent dans le pays d'accueil des sociétés ou des manières de vivre ensemble qui les coupent du reste de la collectivité, accentuent les fractures et suscitent des risques certains d'incompréhension. La protection légitime de l'égalité des droits et du respect de la personne va aux individus, avec tout ce qui constitue leur personnalité, et non aux collectivités. En disant cela, je ne fais qu'appliquer, dans le débat particulier qui nous occupe en cet instant, les principes constitutionnels qui fondent la démocratie française.

M. François Rochebloine a souligné que, même volontaire, la décision d'émigrer représentait toujours une rupture douloureuse.

Le débat qui nous réunit en cet instant est affecté par les passions. Il l'est en France, mais il l'est aussi, je crois, dans chacun des Etats membres du Conseil de l'Europe. Et s'il est passionnel, c'est parce que, delà du problème de la différence, souvent mis en avant, il réveille dans l'opinion publique la question de l'avenir global de nos sociétés.

Dans ce débat, de surcroît, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe jouent, si je puis dire, chacun sa partition. L'Union, qui a pourtant inscrit le problème dans l'agenda de ses travaux depuis plusieurs années, peine à trouver une solution significative tenant compte des différences d'approche, de système juridique et de situations concrètes. Le Conseil de l'Europe, comme le rappellent les rapporteurs, ne peut aborder la question qu'à la lumière des droits fondamentaux de l'homme et de l'interprétation qui leur en est donnée par la pratique de ses institutions.

Alors que l'approche de l'Union européenne est inévitablement laborieuse, celle du Conseil de l'Europe est nécessairement généreuse. Les deux sont indispensables, mais il serait bon qu'elles ne paraissent pas trop dissociables. C'est une question de crédibilité et d'efficacité.

La réflexion sur les droits des immigrés à laquelle nous invitent les rapporteurs devrait à mon sens partir de deux observations complémentaires.

La première est qu'il n'y a pas de bonnes et de mauvaises immigrations. Souvent, dans le débat politique, on fait une sorte de tri entre communautés étrangères: celles qui seraient susceptibles de bien s'intégrer et qui apporteraient une contribution positive aux pays d'accueil, et les autres. Il peut y avoir des problèmes spécifiques liés aux traditions nationales, mais il y a aussi des personnes dont le comportement individuel pose des problèmes plus aigus que d'autres. Or on ne peut prétendre raisonner a priori dans un tel cas.

La seconde est une évidence souvent oubliée: même en partance pour l'Eldorado que représenterait l'Occident pour de nombreux immigrés, l'exil est toujours une blessure, une mutilation de l'être. On n'émigre pas par plaisir, mais par nécessité: nécessité économique, nécessité politique.

Dans les années 60, en France, nombreux étaient ceux qui pensaient que la main d'oeuvre immigrée que l'on faisait venir pour les besoins de la grande industrie n'était là que pour peu de temps et que son retour pourrait être envisagé dès qu'ils auraient répondu à la demande immédiate qui avait provoqué leur venue. En dépit de toutes les déclarations, l'évidence s'est vite imposée: un tel schéma était une vue de l'esprit. Je ne suis pas sûr, pour autant, que cette vue ait disparu de tous les esprits, même d'esprits peu portés à l'extrémisme.

Parce que l'exil est toujours une blessure, il est bon de réfléchir aux moyens de développement qui permettraient aux personnes, envisageant d'émigrer, de rester dans leur pays et de contribuer à son essor. Il est bon de déterminer, en liaison avec les Etats d'origine, des méthodes de nature à assurer le retour chez eux des immigrés qui le souhaitent, mais qui se trouvent trop souvent, de fait, au bout de quelques années, étrangers dans leur propre pays où n'existe pour eux aucun débouché. En tout cas il faut agir en considération des personnes.

A cette condition, les politiques de maîtrise des flux migratoires et de contrôle des étrangers que l'Union peine tant à mettre en œuvre, trouveront leur justification au-delà des considérations de simple police.

A l'issue de ses délibérations, l'Assemblée a adopté deux propositions de recommandation.

La première (n° 9889), relative à la politique commune en matière d'immigration et d'asile, affirme la nécessité de définir, entre les Etats membres du Conseil de l'Europe, des normes minimales d'accueil dont elle détaille le contenu par rubriques : contrôle aux frontières, détention liée à l'immigration ou à l'asile, conditions de conformité des procédures d'admission aux normes de la convention européenne des droits de l'homme (équité, assistance d'un conseil, assistance d'un interprète, durée de la procédure), expulsion; situation des mineurs, répression des trafics.

La seconde (n° 9888), définit en termes larges les actions propres à assurer une véritable intégration des immigrés.

B. La lutte contre l'extrémisme et le racisme

Conformément à une tendance que l'on constate dans d'autres organisations internationales, et notamment à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'Assemblée parlementaire s'est préoccupée des risques que fait peser sur l'équilibre des sociétés qui acceptent les valeurs démocratiques la montée de l'extrémisme et du racisme.

Dans son rapport au nom de la commission des questions juridiques, Mme Feric-Vac, par ailleurs présidente de la délégation croate, s'efforce de recenser les mouvements et comportements qui, parmi les Etats membres du Conseil de l'Europe, révèlent une recrudescence des comportements racistes.

Au cours de la discussion, M. Jean-Claude Mignon a rappelé les principes directeurs et le développement de la législation antiraciste en France, soulignant qu'il avait traduit la réaction unanime des partis et responsables attachés aux droits de l'homme contre des attitudes dangereuses et toujours évolutives.

Je remercie les deux rapporteurs d'avoir apporté des éclairages convergents sur les menaces que l'extrémisme politique et les idéologies xénophobes font peser sur l'équilibre démocratique des sociétés européennes.

Je suis d'autant plus à l'aise pour le faire que la France figure certainement parmi les pays les plus vigilants pour lutter contre ces dangers. Le racisme et l'extrémisme politique entrent en effet en contradiction directe avec la conception française d'une société fondée sur les droits de l'homme.

L'égalité des individus devant la loi, qui interdit d'opérer entre eux des distinctions, des discriminations et des préférences fondées sur l'origine, le sexe, l'opinion, la religion, la race, est radicalement incompatible avec toute philosophie autoritaire qui confisque le pouvoir au bénéfice d'une minorité, et avec toute doctrine qui établit des différences de dignité et de droits entre les hommes. C'est d'ailleurs pourquoi le législateur a toujours été prompt à réagir aux atteintes portées par les courants extrémistes aux principes républicains de liberté, d'égalité et de fraternité.

La première législation en la matière, le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, qui réprime la discrimination selon la race et la religion, est une réaction contre la montée du nazisme. En 1972, la définition des infractions à caractère raciste fait l'objet d'une législation nouvelle, votée à l'unanimité, qui répond aux manifestations d'intolérance dont sont victimes les travailleurs immigrés et leurs familles. En 1990, la contestation de l'existence de crimes contre l'humanité est constituée en infraction à la suite du développement des publications révisionnistes niant la réalité ou l'ampleur du phénomène concentrationnaire. Récemment, pour répondre au regain d'actions antisémites fondées, non pas sur l'expression de doctrines fascisantes, mais sur l'existence de tensions intercommunautaires, la loi du 3 février 2003 a érigé en circonstance aggravante l'existence d'un mobile raciste à la source d'une infraction de droit commun.

La législation française est une législation de défense et de protection de la fraternité républicaine. Elle protège les personnes, et non les communautés. Législation de riposte, elle doit être adaptée régulièrement à l'évolution des comportements extrémistes. Elle repose sur le postulat que la défense intransigeante de la liberté de chaque homme l'emporte sur la libre expression de théories qui conduisent en pratique à faire bon marché de cette liberté. En cela il me semble qu'elle est parfaitement fidèle à la conception des droits de l'homme que se fait le Conseil de l'Europe, qui apprécie la valeur de toute doctrine philosophique, politique ou religieuse en fonction du degré de tolérance qu'elle est capable de manifester envers les autres conceptions de la vie et de la société.

La délégation française approuve donc l'esprit de la démarche proposée par les deux commissions.

M. Jean-Pierre Kucheida a expliqué en quoi la promotion de la conception française de la laïcité pouvait aider à lutter contre les phénomènes dénoncés par le rapport.

Je remercie nos collègues Mme Feric-Vać et M. Mac Namara de nous avoir aidés à prendre la mesure de la montée du péril des extrêmes dans nos sociétés européennes.

A propos de l'extrémisme en politique, je la rejoins tout à fait lorsqu'elle rappelle que "c'est la situation sociale, et plus particulièrement les inégalités et l'incertitude, qui forme le terreau d'un mouvement", et l'on me permettra de penser, puisqu'elle emploie à plusieurs reprises le terme d'abus des droits démocratiques, que l'abus de règles libérales dans le domaine social et économique - il faut faire attention à la liberté du renard dans le poulailler - peut contribuer dans une large mesure au développement de mouvements politiques dangereux pour la société démocratique.

Je veux surtout revenir sur les risques de déviation antidémocratique que fait courir à notre Europe des libertés le développement de certaines formes d'extrémisme ou d'intégrisme religieux.

Je suis d'accord avec elle pour penser que "le sentiment religieux profond peut être exploité abusivement et même servir de justification à l'extrémisme politique".

La laïcité républicaine établit une stricte séparation entre le domaine des croyances religieuses et de la vie spirituelle personnelle, qui relève, sous la sauvegarde de la loi, de la liberté de chacun, et le domaine de la vie politique et des responsabilités de l'Etat. Par le fait même, elle donne à l'Etat le fondement nécessaire pour faire apparaître le caractère totalitaire de certaines expressions d'opinions philosophiques et de croyances religieuses. Elle est la véritable garantie de la liberté de conscience, puisqu'elle protège les religions des empiètements de l'Etat, et elle est en même temps la véritable garantie des droits de l'homme, puisqu'elle en établit la primauté par rapport à toutes les formes d'expressions religieuses ou philosophiques particulières.

En France, la laïcité est un principe fondateur de la République. Comme le dit justement Mme Feric-Vać, le soutien de l'opinion est une condition indispensable de succès pour l'action de la police et de la justice contre les extrémismes: l'idéal laïque est incontestablement porté par la très grande majorité des Français, y compris ceux qui professent et pratiquent une religion. C'est ce qui explique la vigueur des réactions suscitées par certains comportements ostentatoires dont les arrière-pensées sont connues.

Je sais que la laïcité à la française suscite parfois des interrogations chez certains de nos collègues. Le présent débat me paraît illustrer parfaitement la force et la pertinence de ce principe dans la lutte, qui nous est commune, contre les extrémismes de toutes sortes.

La laïcité est le principe fondateur d'un monde de tolérance, donc de la démocratie. Ce sont les pères fondateurs de l'Europe, de la République - ce qui, au sens étymologique appartient à tous -, les grands philosophes du siècle des Lumières qui ont mis en évidence cette nécessité; je ne crois pas aux républiques socialistes ou aux républiques islamistes pas plus qu'à un état sioniste. Je ferai enfin simplement remarquer que les excès sont extrêmes dans ces régimes et non dans les "républiques laïques" bien que pour moi, et je suppose pour vous, il s'agisse d'un pléonasme. En fait, la République bien appliquée devrait se suffire à elle-même et éviter les abus de droit.

L'Assemblée a adopté la résolution proposée par la commission des questions politiques.

graphique

Résolution n° 1344

1. L'Assemblée parlementaire reste préoccupée par la résurgence des mouvements et partis extrémistes en Europe, et considère qu'aucun Etat membre n'est à l'abri des menaces intrinsèques que l'extrémisme fait peser sur la démocratie.

2. Aujourd'hui, l'extrémisme a tendance à s'étendre à l'échelle du continent européen. En Europe occidentale, les partis et mouvements extrémistes ont enregistré des scores électoraux importants. Dans d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, l'extrémisme politique a également connu une progression importante. Cette évolution actuelle doit inciter les Etats membres du Conseil de l'Europe à redoubler de vigilance et à évaluer les menaces que l'extrémisme fait peser sur les valeurs fondamentales que le Conseil de l'Europe a pour mission de défendre.

3. L'extrémisme, quelle que soit sa nature, correspond à une forme d'activité politique rejetant, de manière ouverte ou déguisée, les principes de la démocratie parlementaire et fonde bien souvent son idéologie, comme ses pratiques et ses comportements politiques, sur l'intolérance, sur l'exclusion, sur la xénophobie, sur l'antisémitisme et sur l'ultranationalisme.

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L'Assemblée constate que certains mouvements extrémistes cherchent à justifier leurs actes par la religion. Cette tendance actuelle présente un double danger, car, d'une part, elle encourage l'intolérance, le fanatisme religieux et l'intégrisme, et, d'autre part, elle conduit à l'isolement de communautés religieuses entières à cause d'individus qui dévoient les valeurs universelles de la religion.

5. L'extrémisme s'appuie sur un malaise social pour proposer des solutions simplistes et stéréotypées, répondant aux angoisses et aux incertitudes de certaines catégories sociales face aux mutations de nos sociétés. Il rejette la responsabilité de ces difficultés sur l'inadaptation de la démocratie représentative à répondre aux défis du monde contemporain, sur l'incapacité des élus comme des institutions à prendre en compte les attentes des citoyens ou désigne comme responsable ou menace potentielle une catégorie spécifique de la population.

6. Fortement hiérarchisés, les partis et mouvements extrémistes sont souvent des oligarchies, n'appliquant pas les principes démocratiques à leur fonctionnement interne. L'unité du groupe est renforcée par son idéologie exclusive, son discours populiste et simplificateur, et par la prédominance du leader.

7. L'extrémisme représente un danger pour tout Etat démocratique car son caractère fanatique peut servir de prétexte pour utiliser et pour justifier la violence. Même s'il ne prône pas directement la violence, il crée un climat favorable à son développement. Il constitue à la fois une menace directe, car il fragilise l'ordre constitutionnel démocratique et les libertés, et une menace indirecte, car il peut altérer la vie politique. Les partis politiques classiques peuvent en effet être tentés d'adopter les positions et les discours démagogiques propres aux partis extrémistes, afin de contrer leur progression électorale.

8. L'Assemblée est consciente que la lutte contre l'extrémisme place les démocraties devant un dilemme, car elles doivent, d'une part, garantir la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, et permettre l'existence et la représentation politique de tout groupe politique, et, d'autre part, se défendre et établir des garde-fous face à l'action de certains partis extrémistes bafouant les principes démocratiques et les droits de l'homme.

9. L'Assemblée, se référant à la Recommandation 1438 (2000) sur la menace des partis et mouvements extrémistes pour la démocratie en Europe et à la Résolution 1308 (2002) sur les restrictions concernant les partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, reste convaincue que les Etats doivent éviter toute normalisation de l'extrémisme et contrer ses effets en appliquant, ou en adoptant si elles n'existent pas, des mesures politiques et législatives appropriées en vue de préserver un Etat de droit, fondé sur le respect des règles démocratiques et des droits de l'homme. A cet égard, l'Assemblée note que l'évolution historique des pays et des critères de tolérance différents entraînent, d'un Etat à l'autre, des sanctions différentes pour des situations similaires.

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10. Cependant, l'Assemblée estime que ces mesures restrictives ne peuvent combattre les racines de l'extrémisme que si elles sont soutenues par l'opinion publique et que si elles s'accompagnent de mesures additionnelles, en matière d'éthique politique, d'éducation ou d'information notamment.

11. L'Assemblée constate que la société civile constitue un relais nécessaire entre la société et le pouvoir : elle s'est souvent révélée être un allié politique primordial dans la promotion des droits de l'homme et de la démocratie. Dès lors, les Etats doivent considérer les organisations de la société civile comme des partenaires et les aider à se structurer en soutenant leurs actions.

12. L'Assemblée estime que les principes et règles contenus dans la Convention européenne des droits de l'homme, dans la Convention internationale des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et dans les recommandations de politique générale de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri), notamment dans sa Recommandation no 7 sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale adoptée en décembre 2002, sont des textes fondamentaux qui doivent orienter les Etats membres dans leur stratégie de lutte contre l'extrémisme.

13. Par conséquent, l'Assemblée invite les gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe :

i. à prévoir, dans leur législation, que l'exercice des libertés d'expression, de réunion et d'association puisse être limité afin de lutter contre l'extrémisme. Toutefois, toute mesure restrictive doit être conforme à la Convention européenne des droits de l'homme ;

ii. à faire appliquer ou à prévoir si elles n'existent pas :

a. des sanctions efficaces lorsque des cas prouvant des préjudices, émanant d'un parti ou d'un de ses membres, sont constatés ;

b. des sanctions proportionnées et dissuasives contre l'incitation publique à la violence, à la discrimination raciale et à l'intolérance ;

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c. la suspension ou le retrait du financement public d'organisations promouvant l'extrémisme ;

d. la dissolution de mouvements et partis extrémistes, qui doit toujours être considérée comme une mesure d'exception. Elle se justifie en cas de menace contre l'ordre constitutionnel et doit être conforme aux dispositions constitutionnelles et législatives du pays ;

iii. à contrôler et si nécessaire à prévenir la reconstitution, sous une autre forme ou dénomination, de partis ou mouvements dissous ;

iv. à inciter les partis politiques à concevoir une nouvelle déontologie, en fondant leurs programmes et leurs actions sur le respect des droits et des libertés fondamentales, en excluant toute alliance politique avec des partis extrémistes, en renforçant si nécessaire les règles de transparence sur le financement des partis politiques et en apportant des solutions crédibles aux problèmes sociaux et économiques préoccupant les citoyens ;

v. à développer des programmes scolaires d'éducation à la citoyenneté démocratique fondés sur les droits et les devoirs des citoyens, sur la tolérance sociale et sur le respect des différences. L'éducation et la formation apparaissent en effet comme les moyens les plus fondamentaux et durables pour se prémunir contre l'idéologie discriminatoire de l'extrémisme ;

vi. à encourager des campagnes de sensibilisation pour que les citoyens prennent conscience des effets nuisibles de l'extrémisme politique sur la démocratie ;

vii. à encourager la société civile, qui joue un rôle fondamental dans le processus d'intégration et de cohésion sociale, à surmonter toute forme d'extrémisme et d'intolérance ;

viii. à établir à la fois des mesures législatives et administratives au plan national et une coopération internationale plus poussée, en vue de décourager toute diffusion de l'idéologie extrémiste, notamment par le biais des nouvelles technologies de l'information ;

ix. à soutenir les travaux de l'Ecri, dont la mission est de combattre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance au niveau de la grande Europe, et de s'assurer que les Etats membres donnent une suite concrète à ses recommandations.

C.  Le rôle des Nations Unies en Irak

A nouveau l'Assemblée parlementaire s'est attachée à examiner l'évolution de la situation en Irak. Cette fois, l'actualité l'a amenée à s'interroger sur le rôle que pourraient jouer les Nations Unies dans la reconstruction du pays.

La commission des questions politiques, sur le rapport de Mme de Zulueta, a invité l'Assemblée à soutenir les efforts du secrétaire général des Nations Unies alors que celles-ci sont directement visées par l'action terroriste.

M. Bernard Schreiner, intervenant au nom de la délégation française, a rappelé les conditions qui, pour la France, sont des préalables au règlement du conflit.

Le retour régulier de la question irakienne, sous ses diverses facettes, dans les débats de notre Assemblée, nous donne malheureusement l'occasion de constater que, loin de s'améliorer, la situation dans ce pays se dégrade encore. Les efforts de la coalition marquent le pas du seul fait qu'il s'agit d'une force d'occupation. De plus en plus, il apparaît que la recherche d'une solution politique durable passe par la médiation de la communauté internationale. Le Président Bush lui-même en convient puisqu'il souhaite le retour des Nations Unies dans le règlement du conflit.

De fait, il me semble que ce soit la voix de la sagesse. Encore faut-il que les conditions générales de la préparation d'un règlement durable soient réunies. Or, parmi celles-ci, l'espérance de progrès concrets dans le processus de paix entre Israël et la Palestine figure au premier plan.

Malheureusement, nous assistons, entre les antagonistes de cette lutte qui n'en finit pas, à l'escalade de la passion, de la violence et de la terreur. Néanmoins, supposons - car il faut bien réfléchir à l'avenir de l'Irak - ce préalable levé. Si l'Organisation des Nations Unies intervient dans la marche vers l'établissement d'un régime politique démocratique en Irak, ce ne pourra être qu'avec un statut clair et pour des missions précises.

Il faudra donc d'abord un statut clair, c'est-à-dire une autonomie réelle par rapport aux forces et aux pressions politiques de la coalition. L'Onu ne réussira pas si elle apparaît comme la mandataire de la coalition ou l'exécutrice de ses œuvres de paix.

Il conviendra ensuite de définir des mesures précises. A cet égard, le dispositif de la proposition de résolution ne convient pas tout à fait. A mon avis, il faut viser le transfert de souveraineté au peuple irakien, la tenue d'élections pour mettre en place une constitution, la constitution d'une force multinationale sous mandat de l'Onu, la clarification du régime de propriété et d'exploitation des ressources naturelles, autrement dit, du pétrole. Tout cela correspond aux positions que la France défend conjointement avec l'Allemagne et la Russie.

J'ajoute qu'il convient de soutenir particulièrement les personnes et les forces politiques capables de porter, en Irak, les valeurs universelles de la démocratie, garantissant ainsi le droit à la pleine capacité juridique et politique des personnes appartenant à des groupes minoritaires. Je songe particulièrement aux chrétiens d'Irak.

C'est seulement à ce prix que l'on pourrait envisager, comme le propose le dernier point du projet de résolution, de mettre à contribution les capacités d'expertise et de conseil du Conseil de l'Europe. Une initiative prématurée, exposée à une réaction de rejet, serait pour notre institution, et plus encore pour les valeurs qu'elle défend, la plus néfaste des situations.

M. Daniel Goulet exprime sa vive inquiétude devant une situation qui met à mal l'espérance de voir se créer un ordre juridique mondial fondé sur les droits de l'homme.

Débat bien important, presque irréaliste que celui qui nous est proposé pour ce dernier jour de session.

Ce débat d'urgence est en réalité un débat de fond. Personne ne doute qu'il faille, sans tarder, réintroduire l'Onu dans le dispositif de reconstruction de l'Irak. Toutefois, à mon sens, la vraie question n'est pas là. Celle que chacun d'entre nous doit aujourd'hui se poser en tant que parlementaire responsable est la suivante: comment en sommes-nous arrivés là ?

Pardonnez ma franchise, mais pardonnez aussi ma fermeté. Comment, à l'aube de ce troisième millénaire, sommes-nous parvenus à générer un monde sans règles, dans lequel l'ordre public international est bafoué au profit d'intérêts particuliers et catégoriels ? Cette intervention américaine en Irak n'est qu'une manifestation supplémentaire, ultime, de la dérégulation de la sécurité nationale et de l'ordre public qu'elle a essayé d'élaborer depuis 1945, après l'échec de la Société des Nations, utopie du siècle dernier.

Nous pourrions tapisser les murs de cet hémicycle de résolutions de l'Onu n'ayant jamais reçu le moindre commencement d'exécution, qu'il s'agisse du Caucase bien sûr, mais aussi du Moyen Orient ou de l'Afrique. Les peuples qui attendaient de cette instance qu'elle dise le droit et le fasse respecter ne voient alors qu'injustice, faiblesse et faillite. Ils ne voient dans l'Onu qu'une organisation tentaculaire en proie aux luttes d'intérêts et aux compromis, quand il ne s'agit pas de compromissions.

Oui, les Etats-Unis sont une grande nation ; oui, les Etats-Unis ont libéré l'Europe du nazisme ; oui, les Etats-Unis sont une grande démocratie ; mais ils n'avaient pas à jouer l'apprenti sorcier et à sonner ainsi le glas de l'ordre public international qu'il va nous falloir repenser.

Il faudra repenser l'organisation de l'Onu, certes, mais, aussi, peut-être, celle de notre Assemblée. Combien de résolutions votées, embourbées au niveau du Comité des Ministres ! Combien de débats d'urgence sans résultat concret !

Notre Assemblée est aussi victime du discrédit des organisations internationales. N'a-t-on pas lu cette semaine dans Le Figaro, quotidien français que vous connaissez, que notre Bureau avait renoncé à envoyer des observateurs aux élections en Tchétchénie par crainte que la Russie ne réduise sa contribution financière à notre Assemblée, ce que je me refuse à croire.

Alors, Monsieur le Président, mes chers collègues, moi, qui n'étais qu'un adolescent pendant la dernière guerre, moi qui étais soldat en Indochine, je suis terriblement inquiet. L'injustice sociale et politique fait le lit des extrémistes. Il est facile, si facile, lorsqu'un conflit s'enlise, de confondre ensuite les effets et les causes.

L'intervention en Irak donne un bien mauvais exemple aux autres nations. Elle est le signe de la dérégulation, la porte ouverte aux zones de non-droit, à l'autorité de la chose décidée et non de la chose jugée ou votée.

On est bien loin du droit à l'ingérence humanitaire invoquée pour intervenir au Kosovo. Le seul droit qui vaille aujourd'hui est celui qui donne la puissance militaire et financière.

La communauté internationale vient de se décrédibiliser aux yeux de milliers de personnes qui lui faisaient confiance. Comment allons-nous retrouver un ordre public international crédible ? Comment allons-nous de nouveau élaborer, dire et faire respecter le droit ? Si nous ne trouvons pas rapidement une réponse à cette question, nous aurons une responsabilité immense au regard des générations futures. Pour tout dire, je suis assez pessimiste.

Je le dis et je le répète : là où il n'y a pas de droit, il y a l'ambition et l'injustice, terreaux de l'extrémisme et du terrorisme.

Cela dit, il va de soi que je voterai l'excellent rapport de notre commission qui contribuera, je l'espère, à faire prendre conscience à notre Assemblée que les citoyens du monde, devant lesquels nous avons une très grande responsabilité, ne doivent pas être plus longtemps désemparés et impuissants sur une planète quelque peu déboussolée.

III.   LES ACTIVITÉS DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE

La réduction d'une journée de la session consécutive à la tenue de la réunion conjointe avec le Parlement européen, le jeudi 25 septembre, n'a guère laissé de place aux activités de contacts et d'information de la délégation française.

Cependant, le 29 septembre, celle-ci a reçu, à sa demande, M. Arie Avidor, ambassadeur, représentant permanent d'Israël auprès du Conseil de l'Europe, qui avait souhaité entrer en relation, pour un échange de vues, avec plusieurs délégations nationales. Au cours d'une rencontre qui s'est déroulée dans un climat de grande franchise, plusieurs membres de la délégation française, appartenant à la majorité comme à l'opposition, ont, après avoir rappelé leur attachement commun à l'existence d'Israël, exprimé les interrogations que leur inspirait la politique du Gouvernement présidé par M. Ariel Sharon et décrit les risques qu'elle comportait à leurs yeux pour l'existence même de l'Etat d'Israël. Son Excellence M. Arie Avidor a exprimé la résolution qui animait les autorités israéliennes dans leur effort pour garantir la sécurité de leur pays et rappelé les raisons qui conduisaient ces autorités à ne plus considérer en l'état, M. Yasser Arafat comme un interlocuteur fiable.

Postérieurement à la réunion de l'Assemblée parlementaire, M. Jean-Claude Mignon a remis sa démission de président de la délégation française. Le 12 novembre 2003, réunie sous la présidence de M. Daniel Goulet, président d'âge, la délégation a élu M. Bernard Schreiner, député UMP du Bas-Rhin, pour lui succéder ; M. Mignon devient vice-président de la délégation.

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N° 1289 - Rapport sur l'activité de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - 4ème partie de la session ordinaire de 2003 (M. Bernard Schreiner)