N° 1701 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 juin 2004. RAPPORT D'INFORMATION DÉPOSÉ en application de l'article 145 du Règlement PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES sur l'industrie navale en Europe ET PRÉSENTÉ PAR M. Jean Lemière, Député. -- S O M M A I R E _____ Pages INTRODUCTION 7 PREMIÈRE PARTIE : LA SITUATION CONTRASTÉE DE LA CONSTRUCTION NAVALE EUROPÉENNE 9 I. - UN SECTEUR CIVIL FORTEMENT FRAGILISÉ, EN BUTTE À UNE CONCURRENCE ASIATIQUE REDOUTABLE 9 A. LA SITUATION PRÉCAIRE DE L'INDUSTRIE NAVALE EUROPÉENNE 9 1. Un effritement continu de la position européenne face à la concurrence des pays asiatiques 9 2. Une évolution qualitative de l'offre imposée par les contraintes économiques 11 a) La nécessité de se positionner sur des segments de production spécifiques 11 b) Une évolution qui atteint ses limites 12 3. Des situations variables selon les Etats 13 B. LES INCIDENCES DE LA RÉFORME DU RÉGIME DES AIDES À LA CONSTRUCTION NAVALE 17 C. LA MISE EN œUVRE DE RESTRUCTURATIONS ET DE RÉFORMES 19 1. L'adaptation des capacités de production européennes 19 a) Une réduction drastique sur longue période 19 b) Le cas de la France 20 2. L'adoption de stratégies différentes 23 a) Un recours accru à la sous-traitance, aux conséquences discutables 23 b) D'autres moyens permettant de soutenir l'activité 24 II. - UN SECTEUR MILITAIRE DISPOSANT DE BONNES POSITIONS INTERNATIONALES 27 A. DES GROUPES NAVALS PRÉSENTS SUR TOUS LES SEGMENTS DE PRODUCTION 27 1. Une industrie européenne bénéficiant de programmes d'équipement nationaux favorables 27 2. Un paysage industriel composé de nombreux acteurs 30 a) Trois pôles dominants 30 b) D'autres entreprises de construction navale de dimension significative 33 c) Plusieurs acteurs présents dans les domaines de l'électronique et de la propulsion 34 3. Des réformes considérables réalisées 35 a) Des réductions de moyens et d'effectifs 35 b) La disparition des arsenaux, illustrée par la transformation de DCN en société nationale 35 B. UN BON POSITIONNEMENT INTERNATIONAL 37 1. Les industries navales hors d'Europe : des groupes importants, mais essentiellement tournés vers leur marché intérieur 37 a) Panorama des principaux acteurs 37 b) Une présence réduite à l'exportation 39 2. D'importants succès remportés par l'industrie européenne 40 a) Une position de quasi-monopole sur le marché des sous-marins conventionnels 40 b) Un rang favorable sur le segment des bâtiments de surface 41 c) Des perspectives prometteuses pour les années à venir 43 DEUXIÈME PARTIE : UNE INDUSTRIE NAVALE MILITAIRE À LA CROISÉE DES CHEMINS 45 I. - QUELLE ORGANISATION INDUSTRIELLE POUR L'EUROPE ? 45 A. UN PAYSAGE INSUFFISAMMENT CONSOLIDÉ 45 1. Un secteur naval essentiellement national 45 2. Une trop grande dispersion des acteurs, la persistance de surcapacités 46 B. LA COEXISTENCE DE PLUSIEURS SCHÉMAS INDUSTRIELS 48 1. L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne : un modèle civilo-militaire fondé sur la complémentarité des chantiers navals et des électroniciens 48 2. Le modèle anglo-saxon : la constitution d'acteurs globaux uniquement militaires 49 3. La situation intermédiaire de la France 50 4. Les fondements de ces différents types d'organisation 50 II. - LE DÉVELOPPEMENT DE PROGRAMMES EN COOPÉRATION : VERS UNE STRUCTURATION DES GROUPES INDUSTRIELS AUTOUR DE PROJETS COMMUNS ? 53 A. UNE ÉVOLUTION RELATIVEMENT RÉCENTE 53 1. Des programmes d'équipement longtemps restés nationaux 53 2. Des points de convergence importants au sein des marines européennes 53 B. LA MISE EN OEUVRE DE PARTENARIATS SIGNIFICATIFS 54 1. Plusieurs programmes importants menés en coopération 54 a) Dans le domaine des frégates 54 b) Dans le domaine des sous-marins 56 c) Dans le domaine des systèmes d'armes 57 2. Deux projets d'envergure actuellement envisagés 58 a) Le lancement prochain d'un programme de frégates multimissions 58 b) Vers une coopération franco-britannique sur les programmes de porte-avions ? 59 3. Une incidence limitée sur l'industrie européenne 60 III. - UNE INDUSTRIE NAVALE MONDIALE EN PLEINE MUTATION 63 A. L'INFLUENCE CROISSANTE EXERCÉE PAR LES ETATS-UNIS SUR LE SECTEUR NAVAL EUROPÉEN 63 1. Le rachat d'HDW par un fonds d'investissement américain, se soldant toutefois par une fusion allemande 63 a) Une acquisition réalisée en 2002 63 b) Les importants enjeux de la prise de contrôle de l'un des fleurons du secteur naval européen 64 c) Une issue favorable à la consolidation de l'industrie allemande 65 2. La constitution d'une alliance étroite entre Izar et Lockheed Martin 66 3. Le développement du programme LCF, futur JSF du secteur naval ? 67 B. LES INCIDENCES DES MODALITÉS ACTUELLES DES CONTRATS À L'EXPORTATION 69 1. Les évolutions des marchés à l'exportation 69 2. Vers l'émergence de nouveaux acteurs internationaux ? 70 TROISIÈME PARTIE : PLUSIEURS VOIES À EXPLORER POUR ASSURER L'AVENIR DE LA CONSTRUCTION NAVALE EUROPÉENNE 73 I. - CRÉER LES CONDITIONS D'UNE CONCURRENCE ÉQUITABLE DANS LE SECTEUR CIVIL 73 A. AU NIVEAU INTERNATIONAL 73 B. AU NIVEAU EUROPÉEN 74 II. - AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DE L'INDUSTRIE EUROPÉENNE 75 A. PROMOUVOIR L'INVESTISSEMENT DANS LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT 75 B. DÉVELOPPER UN RÉGIME DE FINANCEMENT ET DE GARANTIE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE 76 III. - AU NIVEAU NATIONAL, ADOPTER UNE VÉRITABLE STRATÉGIE NAVALE INTERMINISTÉRIELLE 77 IV. - RECOURIR À DES MODES DE FINANCEMENT INNOVANTS 79 V. - DÉFINIR UN PARTENARIAT ÉQUILIBRÉ ENTRE LES GROUPES CIVILS ET MILITAIRES FRANÇAIS 81 VI. - RENFORCER LE PARTENARIAT ENTRE DCN ET THALES, PRÉALABLE À DES ALLIANCES EUROPÉENNES 85 1. Deux acteurs aux compétences complémentaires, une alliance aujourd'hui instable 85 2. La nécessité d'un rapprochement plus structurel 86 VII. RÉALISER UNE VÉRITABLE CONSOLIDATION EUROPÉENNE 89 A. PLUSIEURS SCÉNARIOS ENVISAGEABLES 89 B. VERS LA CONSTITUTION D'UN « AIRBUS NAVAL » ? 90 1. L'intérêt d'un rapprochement européen 90 2. La définition de ses modalités 91 3. De multiples questions soulevées par une telle évolution 91 VIII. - DÉVELOPPER LES PROGRAMMES MILITAIRES EN COOPÉRATION, S'APPUYER SUR LA FUTURE AGENCE EUROPÉENNE DE DÉFENSE 93 CONCLUSION 95 TRAVAUX DE LA COMMISSION 97 ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 99 Nombre de pays européens, maritimes par leur histoire et par leur situation géographique, peuvent se prévaloir d'une longue tradition d'excellence dans la production de bâtiments tant marchands que militaires. Cette activité revêt un caractère stratégique à bien des égards, en fournissant des moyens de transport essentiels pour le commerce international et en permettant de défendre les intérêts nationaux en mer, de projeter des forces dans des théâtres d'opérations éloignés et de réaliser des missions de service public indispensables, telles que la protection des approches maritimes. Au sein de l'Union européenne, le secteur naval, incluant les activités de construction et de réparation civiles et militaires, mais aussi la production d'équipements, a un poids significatif dans les économies nationales, en représentant au total un chiffre d'affaires d'environ 34 milliards d'euros et en employant plus de 350 000 personnes. S'il a pour particularité de connaître des cycles très marqués et a traversé de nombreuses crises depuis le premier choc pétrolier, il est parvenu à se réinventer à maintes reprises, dans des conditions souvent difficiles ; il apparaît essentiel de garantir sa pérennité et son développement. Or, l'industrie navale européenne doit aujourd'hui faire face à des défis déterminants pour son avenir et se trouve sans doute à un tournant de son évolution. Dans le domaine civil, elle connaît une situation particulièrement difficile, face à une concurrence effrénée, et souvent déloyale, des producteurs asiatiques ; concentrée sur des segments de production spécifiques, elle n'a d'autre choix que de miser sur ses compétences techniques. Elle bénéficie d'une position plus favorable dans le secteur militaire, notamment du fait de programmes d'équipement nationaux satisfaisants et d'un nombre moindre de compétiteurs au niveau mondial, mais elle s'avère trop dispersée, alors même que l'industrie navale américaine manifeste des velléités de prendre pied sur le Vieux Continent ; toutefois, le paysage naval militaire européen n'a jamais semblé aussi ouvert à des recompositions transnationales de grande ampleur, les différents acteurs nationaux se restructurant, afin de s'y préparer ; les deux principaux groupes allemands viennent de fusionner, tandis que se profile un approfondissement du partenariat entre DCN et Thales. Parallèlement, la question des relations entre les activités navales civiles et militaires se pose avec acuité, comme en témoigne le débat actuel sur le rapprochement entre DCN et les Chantiers de l'Atlantique. Au regard de leur importance, il est apparu pertinent d'éclairer la représentation nationale sur ces différents sujets, en dressant un état des lieux aussi exhaustif que possible de la situation de l'industrie navale européenne, en s'attachant à retracer les principaux enjeux auxquels elle est confrontée et en avançant des pistes de réflexions pour assurer son avenir. Tel est l'objet du présent rapport d'information, dont la commission de la défense et des forces armées a décidé la création le 22 octobre 2003. Il fait suite à plusieurs rapports, publiés au nom de la commission, portant sur des sujets proches ou connexes, tels que l'avenir de la construction militaire de surface, l'entretien de la flotte, l'aéronautique navale et le mode de propulsion du second porte-avions (1). Pour mener son étude, le rapporteur a procédé à de nombreuses auditions, en rencontrant les différents responsables militaires et civils concernés, au sein des ministères de la défense et de l'économie, des finances et de l'industrie, l'ensemble des dirigeants industriels et des syndicats, sans oublier d'autres personnalités qualifiées. La liste de toutes ces personnes figure en annexe. Il s'est également rendu à Saint-Nazaire, afin de visiter les Chantiers de l'Atlantique, le 9 avril 2004, ainsi qu'à Hambourg et à Kiel, les 29 et 30 avril 2004, où il a pu s'entretenir avec des responsables industriels, syndicaux et politiques des perspectives d'un rapprochement naval franco-allemand. PREMIÈRE PARTIE : I. - UN SECTEUR CIVIL FORTEMENT FRAGILISÉ, EN BUTTE À UNE CONCURRENCE ASIATIQUE REDOUTABLE La situation de l'industrie navale civile européenne (2) apparaît aujourd'hui bien incertaine. Dans un contexte particulièrement favorable en 2003, les chantiers européens ne sont guère parvenus à tirer leur épingle du jeu et leur part de marché se réduit peu à peu, tandis que les groupes asiatiques assoient leur domination et détiennent plus de 85 % du carnet de commandes mondial. Face à la consolidation des positions de la Corée du Sud et du Japon et à la progression fulgurante de la Chine, les chantiers européens s'efforcent de conserver leur rang, notamment sur les marchés de navires spécialisés, mais rencontrent des difficultés à remplir leurs plans de charge et à maintenir leurs effectifs. A. LA SITUATION PRÉCAIRE DE L'INDUSTRIE NAVALE EUROPÉENNE 1. Un effritement continu de la position européenne face à la concurrence des pays asiatiques Alors que le carnet de commandes des pays d'Europe occidentale était resté relativement stable au cours des années 1990, se maintenant à un niveau de 8 à 9 millions de tonnes, et avait connu une croissance marquée en 1999 puis 2000, il est en diminution continue depuis 2001, pour s'établir à environ 6 millions de tonnes à la fin de l'année 2003. La régression de la part de marché mondiale des chantiers européens est encore plus notable, de 8 % en 1994 à environ 5 % en 2003, et résulte largement de l'accroissement considérable du carnet de commandes des acteurs asiatiques. Les chantiers des pays d'Europe de l'Est, incluant notamment la Pologne, la Croatie et la Roumanie, détiennent quant à eux une part de marché d'environ 4 %. La poursuite de la baisse des commandes auprès des chantiers européens est d'autant plus inquiétante qu'elle intervient dans un marché en pleine expansion, le carnet de commandes mondial ayant atteint le niveau record de 115 millions de tonnes à la fin de 2003, contre 65 millions de tonnes seulement à la mi-2002. Pour la première fois depuis trente ans, le marché de la construction navale est devenu « vendeur », à l'avantage des chantiers ; cette évolution s'est notamment traduite par une hausse globale du prix des navires de l'ordre de 20 % en 2003, après leur diminution continue dans la deuxième partie des années 1990. La situation de surcapacités sur le marché mondial de la construction navale, longtemps mise en exergue par les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Commission européenne, ne paraît plus aujourd'hui aussi patente. Cette forte croissance de la demande, largement due aux besoins considérables de la Chine en matières premières et autres produits de base nécessaires à son développement économique, n'a nullement bénéficié à l'Europe, mais est venue alimenter l'activité des chantiers de la Corée du Sud, du Japon et de la Chine. Le plan de charge de la plupart des groupes asiatiques s'étale en effet jusqu'en 2007, voire 2008. La Corée du Sud affirme sa position de leader, avec une part de marché mondiale de 40 %, son carnet de commandes passant de 25 à 45,6 millions de tonnes entre la fin de 2002 et la fin de 2003 ; elle détient notamment des parts de marché de l'ordre de 50 % pour les pétroliers et de 64 % pour les porte-conteneurs. Parallèlement, le Japon confirme sa deuxième place au classement mondial, avec 32,4 % de part de marché, son carnet de commandes atteignant près de 37 millions de tonnes à la fin de 2003, contre 24 millions de tonnes à la fin de 2002. Les chantiers coréens et japonais cherchent à se libérer des contraintes imposées par le passé pour lutter contre les surcapacités de production ; plusieurs sites japonais, mis sous cocon lors de précédentes crises, dans les années 1970 et 1980, pourraient même être réactivés. Enfin, la Chine poursuit sa progression rapide et conserve son rang de troisième constructeur mondial, avec une part de marché de 13,4 %. Elle affiche clairement son ambition de prendre la première place à l'horizon 2015 et de nombreux analystes ne jugent pas cet objectif irréaliste. Si la Chine compte d'ores et déjà soixante-dix groupes susceptibles de travailler sur le marché international, nombre d'entre eux accroissent et modernisent leurs capacités de production, tandis que de nouveaux chantiers sont créés - le presse chinoise a ainsi fait état, au début de 2004, d'un projet de construction du plus grand chantier naval du monde, sur l'île de Chanxing, par China State Shipbuilding, organisme d'Etat regroupant 25 chantiers. Face à cette concurrence asiatique exacerbée, la construction navale européenne fait pâle figure. Un courtier faisait ainsi un constat particulièrement parlant : le plus grand chantier du monde, le sud-coréen Hyundai Heavy Industries, produit à lui seul plus que tous les groupes navals allemands, français et italiens. Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner la situation de l'industrie navale américaine, qui fait l'objet d'un protectionnisme complet par le Jones Act. Cette loi, adoptée en 1920, n'autorise le transport des cargaisons entre les ports nationaux qu'à des navires construits aux Etats-Unis et battant pavillon américain. Ainsi protégée, la construction navale américaine parvient à conserver une position favorable, se classant au neuvième rang mondial ; toutefois, elle est incapable de produire des navires à des prix compétitifs sur le marché international, les analystes estimant ses coûts trois fois supérieurs aux coûts moyens mondiaux. La législation actuelle apparaît alors comme un piège, la flotte relevant du Jones Act tombant dans l'obsolescence, alors que des besoins importants apparaissent ; beaucoup de producteurs américains sont gênés par l'offre restreinte de transport que le Jones Act engendre. Au regard de ses conséquences, la législation américaine n'apparaît guère comme une panacée. 2. Une évolution qualitative de l'offre imposée par les contraintes économiques Les causes des difficultés actuelles de la construction navale européenne sont désormais bien identifiées : les chantiers n'étant plus compétitifs sur le segment des navires de charge, c'est-à-dire les pétroliers, les vraquiers et les porte-conteneurs de grande taille, ils se sont concentrés sur les marchés de navires spécialisés de haute technologie, à plus forte valeur ajoutée. Néanmoins, pour ces derniers, la demande ne connaît pas aujourd'hui la même croissance que pour les navires de charge ; dans le même temps, les chantiers asiatiques entrent peu à peu sur plusieurs de ces marchés et concurrencent l'Europe. a) La nécessité de se positionner sur des segments de production spécifiques Si un groupe européen tel que les Chantiers de l'Atlantique produisait, dans les années 1970, des pétroliers de 550 000 tonnes, cette époque apparaît révolue. La perte de compétitivité des chantiers européens sur les navires de charge s'explique principalement par leurs coûts de main-d'œuvre, plus élevés que ceux de leurs concurrents asiatiques, ainsi que par le manque d'investissements dans les outils de production, faute de moyens. Les sites industriels restent éparpillés, alors qu'ils se trouvent en concurrence avec des chantiers gigantesques en Asie. Au-delà de ces différents facteurs, on ne peut ignorer l'incidence de certains procédés commerciaux déloyaux, plus particulièrement ceux de la Corée du Sud, consistant à accepter des commandes de navires dont le prix ne couvre pas la totalité des coûts de production. Ce dumping, reposant sur le soutien apporté par le système bancaire national et par les pouvoirs publics, a permis à la Corée du Sud de conquérir des parts de marché considérables, au détriment de l'Europe. La Commission européenne a introduit une action devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur ce sujet, en octobre 2002. On ne peut s'empêcher toutefois de penser que cette initiative, bien évidemment positive, ne pourra avoir que des effets limités, au regard des positions désormais détenues par la Corée du Sud. Parallèlement, comme l'a fait la Corée du Sud dans les années 1980, l'Etat chinois apporte actuellement un fort soutien à son industrie navale, le financement de son expansion étant largement assuré par des fonds ou des prêts consentis par les autorités publiques, qu'elles soient centrales, provinciales ou municipales. Les chantiers chinois disposent dès lors d'un avantage concurrentiel indéniable. Délaissant peu à peu la construction de navires de charge, les chantiers européens se sont largement orientés vers les marchés de navires spécialisés, qui incluent les paquebots, les navires à passagers, les méthaniers et les petits caboteurs-pétroliers, mais aussi les navires d'assistance off-shore ou de recherche scientifique et les remorqueurs. L'Europe détient notamment quelques pôles d'excellence, tels que le marché des ferries, mais surtout celui des paquebots, sur lequel les groupes européens jouissent d'une position de quasi-monopole, avec quatre principaux constructeurs, le français Chantiers de l'Atlantique, l'italien Fincantieri, le finlandais Kvaerner Masa Yards et l'allemand Meyer Werft. De fait, la plupart des groupes européens produisent désormais des navires d'une grande complexité, requérant de multiples compétences, le développement de technologies pointues et le recours à de nombreux fournisseurs pour les composants et sous-systèmes. Leurs métiers clés ont largement évolué ; la conception et l'intégration de navires ainsi que la capacité à conduire des projets de grande ampleur deviennent essentiels. b) Une évolution qui atteint ses limites Le tonnage spécialisé ne représente qu'une très petite fraction, aussi bien en volume qu'en unités, de la production mondiale de navires ; la demande sur ce marché, du fait de son étroitesse, est plus volatile. L'exemple du marché des paquebots est particulièrement significatif : après un afflux considérable de commandes en 1999, atteignant 25 unités, la demande s'est effondrée, notamment à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et du lancement de restructurations dans le secteur de la croisière (3), avec seulement un paquebot commandé en 2001, puis trois en 2002 ; cette contraction a entraîné d'importantes difficultés pour les chantiers spécialisés sur ce segment, lesquels se sont vus contraints de réduire leurs effectifs ou de recourir au chômage technique. De façon générale, si les besoins de navires standards ont fortement augmenté en 2003, la demande de navires spécialisés est restée relativement faible - à l'exception des transporteurs de voiture et des méthaniers -, ce qui handicape les chantiers européens. Pour autant, les marchés navals s'avèrent très cycliques et la situation peut se retourner. Il est ainsi probable que les commandes de paquebots reprennent, plusieurs ayant déjà été passées au début de l'année 2004, compte tenu de la croissance continue du marché de la croisière, notamment aux Etats-Unis. Le positionnement progressif des chantiers asiatiques sur les segments de prédilection de l'Europe constitue une menace plus inquiétante. Tel est déjà le cas sur le marché des méthaniers : autrefois grande spécialité des chantiers européens, notamment des Chantiers de l'Atlantique, la construction de ces navires très sophistiqués est aujourd'hui largement dominée par l'Asie, notamment en raison du recours au dumping. Si en 1998, le Japon détenait 51 % de ce marché, l'Union européenne 35 % et la Corée 15 %, en 2003, la part de l'Union s'est effondrée pour atteindre aujourd'hui 6 %, contre 63 % pour la Corée et 31 % pour le Japon. Les chantiers asiatiques taillent des croupières à l'Europe sur un nombre croissant de marchés ; les groupes chinois, notamment, se positionnent sur quasiment tous les segments, des petits caboteurs-pétroliers et porte-conteneurs aux navires d'assistance off-shore et aux remorqueurs, et livrent une concurrence effrénée aux chantiers européens, notamment espagnols, néerlandais et allemands. Ne subsiste guère que le marché des paquebots, pour lesquels les tentatives asiatiques se sont révélées jusqu'alors infructueuses, notamment après les pertes enregistrées par le japonais Mitsubishi sur un contrat de deux paquebots, qui s'est d'ailleurs soldé par l'incendie accidentel de l'un d'entre eux alors qu'il était en cours de construction. Il convient d'ailleurs de relever un certain paradoxe : pour proposer des navires sophistiqués attractifs et fiables, les acteurs chinois recourent largement à des sociétés d'ingénierie européennes, tandis que le groupe français Gaz Transport Technigaz, lequel détient un savoir-faire spécifique sur les cuves à membrane de méthanier, a vendu ses licences à plusieurs constructeurs asiatiques. Le pragmatisme de ces derniers porte ses fruits, mais au détriment des chantiers européens. Enfin, à toutes ces évolutions, s'ajoute un facteur conjoncturel : l'importante hausse du cours de l'euro face au dollar en 2003 a fortement pénalisé les constructeurs de l'Union, sur un marché où la valeur des navires est le plus souvent exprimée en dollars. 3. Des situations variables selon les Etats Si l'industrie navale européenne apparaît aujourd'hui fragilisée, ce constat ne doit pas faire oublier son importance au sein des économies nationales. Elle compte plus de 82 000 salariés dans les pays membres de l'Union et irrigue de vastes bassins d'emplois, en recourant largement aux entreprises locales, notamment dans le domaine de l'équipement, tandis que les technologies qu'elle développe ont des retombées considérables dans d'autres secteurs. Il apparaît essentiel d'assurer sa pérennité. Or, sa situation est finalement quelque peu contrastée. Certains Etats, comme l'Allemagne ou l'Italie, parviennent à tirer leur épingle du jeu, tandis que d'autres rencontrent davantage de difficultés. Les tableaux ci-dessous retracent pour l'année 2003 les carnets de commandes (4) des principaux pays producteurs ainsi que les commandes enregistrées en 2003, en fournissant les données en tonnage brut (GT : gross tons) et en tonnage corrigé (CGT : compensated gross tons), qui, prenant en compte la sophistication des navires, est plus significatif.
La construction navale allemande, qui occupe la première place européenne et emploie environ 20 700 personnes, fait ainsi bonne figure, avec un niveau satisfaisant d'activité et de prises de commandes. Plusieurs chantiers, tels qu'Aker MTW et Peene Werft, conservent une bonne position sur le segment des porte-conteneurs de moyenne et petite taille et ont enregistré en 2003 de nombreuses commandes de navires de ce type ; ils tirent ainsi parti du manque d'intérêt des chantiers coréens sur ce segment ainsi que du trop-plein observé sur les plans de charge des groupes asiatiques. Meyer Werft a subi les conséquences de la chute des commandes de paquebots, mais a réussi à maintenir suffisamment d'activité, notamment avec une commande de navires à passagers pour l'Indonésie, pour attendre la reprise, qui s'est concrétisée à la fin de 2003 par la commande de deux paquebots par Norvegian Cruise Line. Toutefois, la situation est moins favorable pour les chantiers très spécialisés ou de taille modeste ; leurs carnets de commandes apparaissent insuffisants et certains d'entre eux, tels que Flender et SSW, sont en position très délicate. Fincantieri, qui domine le secteur naval italien en représentant 85 % de la production nationale, n'a pas cédé à la monoculture du paquebot et construit notamment des ferries et des rouliers ; il a réussi à traverser sans trop d'encombres la crise du secteur de la croisière et détient un carnet de commandes fourni, auquel est venu s'ajouter en avril 2004 un paquebot de luxe destiné à Carnival. Parallèlement, le principal chantier danois, Odense Lindo parvient à maintenir ses positions, notamment grâce à la commande enregistrée en 2003 de onze nouveaux porte-conteneurs, dont trois de très grande taille, qui devrait lui assurer du travail jusqu'à la fin de 2007. Aux Pays-Bas, les chantiers misent sur leurs capacités d'innovation et disposent de plusieurs niches, tels que les dragues et remorqueurs, même s'ils sont fortement concurrencés par les groupes chinois. Toutefois, l'année 2003 a été assombrie par la fermeture du chantier Van der Giessen de Noord, spécialisé dans les transbordeurs, qui employait cinq cents personnes. Dans d'autres Etats, les chantiers navals se trouvent dans une situation plus précaire. L'année 2003 s'est avérée peu favorable en France, où le principal groupe, les Chantiers de l'Atlantique, doit faire face à une forte contraction de son carnet de commandes. S'il a livré en 2003 l'emblématique Queen Mary II, plus gros paquebot jamais construit jusqu'alors, en donnant toute satisfaction à son client, et a construit 23 paquebots entre 1998 et 2004, il ne dispose plus que d'un plan de charge modeste, incluant un car-ferry pour Seafrance, deux méthaniers pour GDF, un navire océanographique et la partie avant des deux bâtiments de projection et de commandement destiné à la Marine, auxquels sont venus s'ajouter en 2004 un méthanier supplémentaire, commandé par GDF, ainsi que deux paquebots destinés au croisiériste italien MSC (Mediterranean Shipping Company). Au total, sa charge de travail annuelle va passer de cinq à deux navires et demi par an, ce qui le contraint à adapter sa structure industrielle et ses effectifs. Le groupe français subit de plein fouet les conséquences de la baisse des commandes mondiales de paquebots et pâtit de son manque de compétitivité sur le marché des méthaniers, devenu la chasse gardée des chantiers asiatiques, mais ses difficultés résultent aussi pour partie de la situation financière précaire de sa maison mère, Alstom, qui peut dissuader des armateurs de lui commander des navires. Cependant, le groupe Piriou, spécialisé dans les navires de pêche industrielle et les remorqueurs, parvient à se développer sur un marché très compétitif et engrange, année après année, de nouvelles commandes. Enfin, les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) sont parvenues à décrocher un contrat, longtemps attendu, de quatre corvettes destinées aux Emirats Arabes Unis, qui est venu alimenter un carnet de commandes peu fourni, alors même que l'entreprise connaissait d'importantes difficultés, accumulant des dettes sociales et fiscales. Alors que les chantiers norvégiens et finlandais se trouvent dans une position préoccupante, la situation de la construction navale espagnole apparaît contrastée. Le principal chantier, Izar, qui emploie 11 000 personnes, est en très mauvaise posture dans le secteur civil, n'ayant enregistré aucune commande depuis plus d'un an (5). L'Espagne a cependant pour particularité de compter de très nombreux groupes privés : plus de 90 chantiers sont répartis sur tout le territoire et font preuve d'une bonne résistance. Sur les vingt groupes capables de réaliser des constructions importantes, allant jusqu'à 100 000 tonnes, quinze peuvent présenter des comptes bénéficiaires en 2003. Il convient de compléter ce panorama en abordant la situation de la Pologne, qui constitue le deuxième constructeur européen : son industrie navale, employant plus de 20 000 personnes, a en effet rencontré des difficultés financières considérables en 2002, entraînant des recapitalisations et des restructurations, mais a réussi à rebondir en 2003 ; en Croatie, autre acteur européen important, les chantiers ont largement profité de la forte demande de transporteurs de produits pétroliers et de voitures. B. LES INCIDENCES DE LA RÉFORME DU RÉGIME DES AIDES À LA CONSTRUCTION NAVALE En 1997, la Commission européenne a présenté un règlement destiné à modifier le régime applicable aux aides publiques accordées à la construction navale. Cette initiative s'inscrivait dans la démarche entreprise au sein de l'OCDE en 1994, puisque l'Union européenne avait signé dans ce cadre un accord sur les conditions normales de concurrence dans le secteur, tendant à interdire certaines mesures, en particulier les aides à la commande de navires. A la différence de l'ensemble des autres Etats signataires, incluant la Corée et le Japon, les Etats-Unis n'ont pas ratifié cet accord, lequel n'est pas entré en vigueur ; l'Union a tout de même décidé d'engager une réforme des aides à la construction navale ; le règlement proposé par la Commission européenne a été adopté en mai 1998 et s'est appliqué du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2003. Alors qu'une directive antérieure prévoyait une diminution progressive des plafonds d'aides à la construction à partir de 1987, ramenés de 28 % de la valeur des navires réalisés à 9 % en 1997, le règlement adopté en 1998 a prévu la disparition totale de ces aides à partir du 31 décembre 2000, tout en maintenant celles accompagnant la fermeture partielle ou totale de chantiers et en étendant à la construction navale les dispositifs accessibles aux autres secteurs industriels en matière de recherche et de développement. Un nouveau règlement a été adopté le 26 novembre 2003, destiné à relayer le précédent à partir du 31 décembre 2003 ; conservant les dispositions interdisant les aides à la commande, il a également amélioré les mesures relatives au soutien à l'innovation. Si l'objectif de la réforme ainsi mise en oeuvre, l'assainissement des conditions de concurrence au niveau européen, ne peut guère être contesté, la réglementation actuelle appelle deux remarques. En premier lieu, la fin des aides à la commande, qui atteignaient jusqu'à 9 % de la valeur des navires construits, a réduit la compétitivité des chantiers européens d'autant. Ainsi que le souligne le rapport annuel pour 2003 du courtier Barry Rogliano Salles, la suppression de ce mécanisme a accru le différentiel de prix avec les chantiers asiatiques et, alors que certains clients étaient encore prêts à payer un peu plus cher pour s'approvisionner en Europe, ils ont dû y renoncer au regard de l'écart de prix grandissant. L'impact de la suppression de ces aides est sans doute difficile à évaluer avec précision, mais il est nettement perceptible. En second lieu, la suppression des subventions à la construction navale en Europe n'a de sens que si les autres acteurs navals mondiaux font de même. Or, la Commission européenne a relevé, dans chacun de ses rapports sur la situation mondiale de la construction navale, les pratiques non concurrentielles de la Corée du Sud, indiquant que ses chantiers « vendent des navires à des prix apparaissant en deçà du prix normal, c'est-à-dire le coût intégral de production majoré d'une marge de profit de 5 % [...] Tout indique qu'ils s'efforcent de s'approprier toute commande apparaissant sur le marché, que ces commandes s'avèrent rentables, compte tenu des coûts coréens, ou non (6) ». Après s'être efforcée de parvenir à un accord amiable avec la Corée sur ce sujet, la Commission européenne a introduit une action devant l'OMC, en octobre 2002, et, en parallèle, a mis en place un mécanisme temporaire de défense pour les segments de construction navale directement exposés à la concurrence coréenne (7). Autorisant une aide à la commande pouvant atteindre jusqu'à 6 % de la valeur contractuelle du navire, il devait s'appliquer initialement jusqu'au 31 mars 2004, mais la procédure engagée devant l'OMC ne pouvant être close à cette date, il a été prorogé jusqu'au 31 mars 2005. Ce mécanisme a notamment favorisé l'obtention par les chantiers allemands de commandes de porte-conteneurs, mais il ne s'applique finalement qu'à relativement peu de navires, compte tenu de l'orientation de la production européenne vers les navires spécialisés. En tout état de cause, les pratiques des différents pays européens en matière d'aides sont difficiles à analyser de façon précise, car elles prennent différentes formes, plus ou moins directes - en sus des aides à la commande, prêts bonifiés, régimes de garanties, aides à l'innovation et à la formation, voire recours au Fonds social européen - ce qui peut introduire des distorsions de concurrence au sein même de l'Union, la Commission veillant toutefois à la compatibilité de ces mesures avec l'encadrement réglementaire actuel. On peut notamment s'interroger sur la possibilité, pour les chantiers produisant à la fois des navires marchands et militaires, d'apporter un soutien à leurs activités civiles par l'intermédiaire de leurs activités militaires. En effet, sur le fondement de l'article 296 du traité instituant la communauté européenne (8), le secteur de l'armement échappe aux règles communautaires, s'agissant du contrôle des aides d'Etat. A titre d'exemple, l'Espagne a fait l'objet, à partir de juillet 2000, d'une enquête approfondie des services de la Commission européenne sur des dépassements présumés du plafond d'aides convenu en 1997 au titre du plan de restructuration des chantiers espagnols, lequel a abouti ensuite à la constitution du groupe Izar, et, le 12 mai 2004, la Commission a condamné ce dernier à rembourser 308 millions d'euros, en établissant que l'Etat avait accordé en 1999 et 2000 des aides non conformes à la réglementation communautaire (9). Les autorités espagnoles s'étaient défendues pied à pied sur ce dossier, avançant notamment que les aides incriminées concernaient pour l'essentiel le volet militaire du plan et n'entraient pas dans le champ des règles communautaires relatives à la construction navale civile. C. LA MISE EN œUVRE DE RESTRUCTURATIONS ET DE RÉFORMES 1. L'adaptation des capacités de production européennes a) Une réduction drastique sur longue période Au cours des dernières décennies, les Etats européens ont réalisé une diminution considérable de leurs capacités de production et de leurs effectifs, dans un contexte de surcapacités mondiales importantes et de forte croissance des chantiers asiatiques. L'effort d'adaptation des Etats européens a été dans l'ensemble massif, ainsi que l'illustre l'évolution des effectifs entre 1975 et 2002. Leur baisse a atteint environ 80 % pour la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Danemark et la Norvège, s'établissant à un niveau un peu moins élevé, de l'ordre de 60 %, pour des pays tels que l'Italie et la Finlande.
La réduction des capacités de production navale a pris un tour encore plus radical en Suède, laquelle disposait encore dans les années 1960 et 1970 d'une des meilleures industries mondiales ; dans la première moitié des années 1980, le pays a engagé de grandes restructurations, dont la suppression progressive de son secteur naval, afin d'améliorer la compétitivité de l'économie suédoise ; le nombre de chantiers navals a drastiquement diminué, ceux restant en activité ne réalisant plus que des travaux de réparation et de rénovation (10). En Belgique, la plupart des chantiers navals, allant de faillites en liquidations, ont disparu à l'issue des années 1990. Enfin, la construction navale civile britannique, passée par une phase de nationalisation dans les années 1970, puis de privatisation dans les années 1980, a peu à peu périclité face à la concurrence asiatique, ne maintenant quasiment que des activités de réparation, à l'instar de la Suède. L'embellie constatée dans l'activité navale européenne entre 1999 et 2002 a permis d'inverser quelque peu la tendance à la baisse des effectifs ; en Allemagne, en 2002, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, les emplois ont augmenté de 4 % par rapport à l'année précédente (11), tandis que l'industrie navale française connaissait une évolution encore plus favorable. Néanmoins, depuis 2003, les diminutions d'effectifs et les fermetures ont repris, s'inscrivant dans une évolution de longue période. Outre la fermeture du groupe néerlandais Van der Giessen de Noord mentionnée plus haut, les chantiers norvégiens Tangen et Klevset Makaniske Verksted ont fermé leurs portes respectivement en 2003 et 2004, tandis qu'un des sites du néerlandais Bijlsma a dû cesser ses activités. Le groupe finlandais Mäntyluoto Works a licencié 130 personnes à l'automne 2003 et près de 500 ont été mises au chômage technique, tandis que des réductions d'effectifs ont été également réalisées par le finlandais Kvaerner Masa Yards, le néerlandais Tille ou encore l'allemand HDW. Au total, si la réduction des capacités de production et des effectifs était inéluctable, au regard des contraintes du marché international, nombre d'analystes soulignent que son ampleur a abouti à des pertes de savoir-faire considérables pour l'industrie navale européenne. La France est l'un des Etats européens qui ont réalisé les plus importantes restructurations et baisses d'effectifs, celles-ci étant intervenues pour l'essentiel au cours des années 1980. Sous l'impulsion des pouvoirs publics, se sont succédé les reprises, avec le rachat de Dubigeon par les Chantiers de l'Atlantique, en 1983, et les fusions, par la constitution en 1982 de Normed, réunissant 11 000 personnes et regroupant des chantiers de la Seyne-sur-mer, de la Ciotat et de Dunkerque, les unes et les autres censées maintenir la capacité industrielle nationale, puis les fermetures, synonymes d'échec : disparition des sites de Normed de 1986 à 1989, cessation d'activité de Dubigeon en 1987, liquidation de la société Ateliers de production Avenir la Ciotat (APAC). Au cours de la décennie suivante, s'est ajoutée, en 1999, la disparition des Ateliers et Chantiers du Havre qui employaient alors 800 personnes ; un plan social, dont le financement a été intégralement pris en charge par les finances publiques, a été mis en œuvre. Enfin, après avoir repris les activités de Leroux et Lotz, basées à Lorient et à Saint-Malo, en décembre 1997, Alstom Marine a décidé de fermer le site de Saint-Malo, qui employait cent personnes, en février 2003. Alors que les effectifs de construction navale atteignaient encore 28 874 personnes en 1983, ils ne s'élevaient plus qu'à 6 782 dix années plus tard, puis se sont ensuite plus ou moins stabilisés à ce niveau. De fait, les restructurations ont désormais atteint leurs limites : les effectifs et les capacités de production de la construction navale française sont arrivés à un étiage en deçà duquel il serait dangereux d'aller, si l'on veut préserver le potentiel naval de la France et maintenir ses compétences.
Ne subsistent plus aujourd'hui, dans la construction navale civile, que cinq principaux acteurs, Alstom Marine, incluant les Chantiers de l'Atlantique et Alstom Leroux Naval, CMN, Piriou, OCEA et Socarenam. S'ajoutent plusieurs entreprises de réparation, telles que la Compagnie marseillaise de réparation (CMR), la Société de réparation navale et industrielle (Soreni) et Sobrena. Les Chantiers de l'Atlantique occupent une position dominante ; en représentant 90 % du chiffre d'affaires naval civil en France, ils conditionnent largement l'évolution de ce dernier. Présentation des principaux acteurs français - Alstom Marine, comprenant les Chantiers de l'Atlantique et Alstom Leroux Naval : le premier est spécialisé dans la production des paquebots, des méthaniers et autres navires de haute technologie. Le groupe a connu une forte croissance à partir de 1997, résultant de la mise en place du plan Cap 21, qui a permis d'améliorer l'organisation de l'entreprise et de diminuer ses coûts de production, et de l'afflux de commandes de paquebots à partir de 1999. Son chiffre d'affaires est ainsi passé de 770 millions d'euros à 1,74 milliard d'euros entre 1997 et 2000 ; il devrait diminuer à environ 900 millions d'euros dans les années à venir, compte tenu de la diminution du carnet de commandes. Parallèlement, ses effectifs ont atteint jusqu'à 4 500 personnes en 2001, mais sont revenus à 3 960 personnes en 2003 - sous l'effet des départs en retraite et ceux dus à l'amiante - pour s'adapter à la baisse du plan de charge. Quant à Alstom Leroux Naval, il est principalement orienté vers la production de remorqueurs, de navires de pêche, de petits cargos et, depuis peu, de yachts. Une partie de son activité repose sur les travaux de sous-traitance confiés par les Chantiers de l'Atlantique, qui dépendent donc de l'activité de ce dernier et sont actuellement en baisse. - Constructions mécaniques de Normandie : créé en 1948, ce chantier est basé à Cherbourg et compte 420 personnes ; disposant d'une grande expérience dans la construction de navires militaires de petite taille, largement reconnue sur le marché international, il affronte une vive concurrence sur ce secteur d'activité et s'est également tourné dès 1998 vers la construction de navires de grande plaisance (yachts de croisière), segment de marché correspondant au savoir-faire de l'entreprise et ayant un important potentiel de développement. - Les chantiers Piriou ; créée en 1965, cette entreprise située à Concarneau était initialement positionnée sur la production de navires de pêche artisanale, puis a élargi sa gamme vers les navires de pêche industrielle et les bateaux de servitude, ainsi que les navires rapides destinés à ravitailler les plateformes pétrolières. Elle compte 220 personnes, pour un chiffre d'affaires de 65 millions d'euros pour l'année 2003. Piriou a également pris des participations dans deux chantiers, basés en Polynésie et sur l'île Maurice, afin d'étoffer ses capacités internationales. - OCEA : créé en 1987, le groupe est spécialisé dans les navires rapides, notamment de surveillance côtière, et les navires plus lents, pour la pêche, l'environnement et les motor-yachts. Situé aux Sables d'Olonne, il s'est implanté à Saint-Nazaire en 1996 puis, en 1999, à Fontenay-le-Comte, dans le sud de la Vendée. Il compte aujourd'hui 240 personnes et réalise la majorité de son chiffre d'affaires à l'exportation. - Socarenam : avec un effectif de 160 personnes, le groupe, situé à Boulogne-sur-mer, peut construire des navires allant jusqu'à 50 mètres, tels que des chalutiers et des navires de servitude.
2. L'adoption de stratégies différentes Au-delà de la réduction des capacités de production et des effectifs, les chantiers européens ont recours à des stratégies différentes, afin de surmonter leurs difficultés actuelles. a) Un recours accru à la sous-traitance, aux conséquences discutables Beaucoup de chantiers européens font aujourd'hui appel à la sous-traitance pour la construction des coques auprès de pays tels que la Pologne, la Roumanie, la Croatie, la Turquie, l'Ukraine et la Chine, dont les coûts de main-d'œuvre sont notablement inférieurs, puis remorquent les coques vers leur propre site pour les armer, en conservant la maîtrise d'oeuvre. Les chantiers néerlandais et norvégiens recourent très largement à ce procédé ; à titre d'exemple, sur trente navires devant être livrés d'ici 2005 par la Norvège, vingt-trois coques vides seront sous-traitées, principalement en Pologne et en Roumanie, puis remorquées. Plusieurs constructeurs européens, comme AP Moller et Damen, ont poussé encore davantage cette logique en acquérant des filiales en Pologne, en Roumanie ou en Ukraine. Cette tendance à la délocalisation de la production des coques s'accélère ; si elle permet de réduire les coûts de production pour les parties les moins complexes des navires et améliore la compétitivité des chantiers qui la pratiquent (12), elle aboutit également à ôter une charge de travail croissante aux chantiers d'Europe occidentale et participe indirectement à la diminution de leurs effectifs et à la perte de certaines de leurs compétences. Elle conduit également à introduire des distorsions de concurrence au sein même de l'Union européenne, entre les chantiers réalisant l'ensemble des navires sur leur site et ceux recourant à la sous-traitance, alors même que les politiques de sous-traitance des différents groupes restent très peu transparentes. b) D'autres moyens permettant de soutenir l'activité Certains chantiers se sont spécialisés sur des segments de production de très haute technologie, en réalisant des investissements importants en ce sens, à l'instar des chantiers norvégiens et néerlandais, réputés pour leurs capacités d'innovation. Plusieurs constructeurs européens peuvent également compter sur le soutien des armements nationaux, sur le modèle du Japon - dans ce pays, les nombreux et puissants armateurs sont les principaux clients, parfois exclusifs, des chantiers nationaux. Nombre des commandes de porte-conteneurs enregistrées en Allemagne en 2003 proviennent ainsi d'acteurs nationaux. Cet appui est encore plus évident au Danemark, où le principal chantier, Odense Lindo, appartient au groupe AP Moller, armateur important, et reçoit de ce dernier et de ses filiales la plupart de ses commandes (porte-conteneurs, remorqueurs...). En revanche, les chantiers ne peuvent bénéficier d'un tel soutien lorsque l'armement national est peu puissant, comme en France, ou lorsque celui-ci se tourne vers les chantiers asiatiques, comme en Italie. Par ailleurs, des regroupements sont mis en œuvre, avec pour objectif d'améliorer la compétitivité des groupes impliqués. Dans ce domaine, l'événement le plus marquant des dernières années est la création du géant norvégien Aker Kvaerner Yards en 2002, résultant de la fusion de Kvaerner et Aker Yards et constituant le premier groupe européen de construction navale et le quatrième mondial. Il dispose de quatorze chantiers dans le monde, dont douze en Europe - en Norvège, en Allemagne, en Finlande et en Roumanie - et deux en dehors, au Brésil et aux Etats-Unis. Certains groupes recourent également à des solutions spécifiques, au cas par cas, pour maintenir l'activité. A titre d'exemple, en juillet 2003, un accord a été conclu entre l'allemand HDW, ses employés et le land de Schleswig-Holstein, permettant la prise d'une commande de quatre cargos porte-conteneurs, qui, dans des conditions « normales », aurait été réalisée à perte ; le personnel a accepté de renoncer à une partie de ses primes exceptionnelles prévues dans les conventions collectives et de travailler en heures supplémentaires non rémunérées, en contrepartie du soutien du land et de l'engagement d'HDW de ne pas effectuer d'autres licenciements économiques que ceux déjà en cours. Peut également être mentionnée la volonté des principaux chantiers européens de fédérer leurs efforts au sein du groupement européen d'intérêt économique Euroyards, créé en 1992 (13), destiné à promouvoir les actions en matière de recherche et développement, et, au titre du programme Euroship, à favoriser l'harmonisation des spécifications techniques et le regroupement des commandes auprès des sous-traitants et fournisseurs européens. Enfin, plusieurs groupes navals européens sont présents à la fois dans les secteurs civil et militaire et peuvent s'appuyer sur leurs commandes militaires - souvent plus rémunératrices - lorsqu'ils rencontrent des difficultés dans la production de navires marchands. Tel est le cas pour l'allemand HDW, dont les activités civiles sont en mauvaise posture, mais qui est très bien positionné sur le marché des sous-marins conventionnels, ainsi que pour l'espagnol Izar, pour lequel les commandes de frégates et de sous-marins viennent pallier la chute de son plan de charge civil. II. - UN SECTEUR MILITAIRE DISPOSANT DE BONNES POSITIONS INTERNATIONALES Les marchés navals militaire et civil relèvent de modes d'organisation et de fonctionnement très différents. Dans le domaine militaire, le paysage industriel mondial ne compte qu'un petit nombre d'acteurs disposant des compétences nécessaires à la réalisation de navires armés, notamment en matière de systèmes de combat ; l'activité des groupes repose largement sur les commandes nationales, tandis que les marchés à l'exportation obéissent à des considérations économiques, mais aussi politiques, en ce qu'ils impliquent des Etats. Le marché civil est quant à lui beaucoup plus internationalisé ; il comprend de nombreux constructeurs et la clientèle, majoritairement privée, prend des décisions sur des bases essentiellement économiques. Dès lors, l'industrie navale militaire européenne bénéficie d'une position beaucoup plus favorable que son homologue civile ; forte d'une expérience ancienne et bien établie, elle occupe une place prépondérante sur les marchés internationaux et bénéficie de dépenses militaires nationales importantes. A. DES GROUPES NAVALS PRÉSENTS SUR TOUS LES SEGMENTS DE PRODUCTION 1. Une industrie européenne bénéficiant de programmes d'équipement nationaux favorables Sept pays européens disposent d'un secteur naval militaire significatif. Si les industries britannique, française et allemande se détachent nettement, l'Espagne, l'Italie, la Suède et les Pays-Bas comptent également des groupes performants. Cette hiérarchie résulte largement de l'ampleur des crédits d'équipement alloués aux marines de ces différents pays, car, comme toute industrie de défense, le secteur naval dépend fortement des commandes des Etats. En Europe, seuls la France et le Royaume-Uni disposent d'une marine océanique mettant en œuvre la panoplie complète des bâtiments de combat, du sous-marin nucléaire lanceur d'engins et du porte-avions aux patrouilleurs. Les groupes britanniques peuvent ainsi s'appuyer sur un marché national considérable, compte tenu du niveau élevé et constant des crédits destinés à l'équipement de la Royal Navy. De même, mais dans une moindre mesure, l'industrie navale française bénéficie de l'important effort réalisé en faveur de la marine nationale. Les marines de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie, des Pays-Bas et de la Suède ont des ambitions plus limitées, leurs flottes ne comprenant ni porte-avions - seulement des porte-aéronefs légers - ni sous-marins nucléaires, et leurs budgets d'équipement sont beaucoup plus réduits, ce qui a une incidence directe sur le développement de leurs industries navales respectives. Toutefois, l'Allemagne fait exception à ce principe, car, si ses dépenses militaires restent relativement modestes, ses groupes navals se sont fortement développés grâce à l'obtention régulière de contrats à l'exportation. Alors que le début des années 1990 a été marqué par la contraction générale des budgets de défense et, partant, par la réduction des acquisitions de bâtiments, la plupart des pays européens ont lancé au cours des dernières années des programmes d'équipement importants, afin de remplacer leurs flottes vieillissantes. Cet afflux de commandes vient alimenter le plan de charge des différents groupes nationaux. Sur la base de la Strategic Defence Review adoptée en 1998, le Royaume-Uni a entrepris le plus vaste programme de renouvellement de sa flotte depuis quarante ans, incluant notamment deux porte-avions, douze destroyers T 45, quatre bâtiments logistiques et des sous-marins nucléaires d'attaque Astute, tandis que le programme Future Surface Combattant, destiné à remplacer les frégates T 22 et T 23 après 2010, s'inscrit dans une démarche plus prospective (14). Parallèlement, en raison des importantes échéances de remplacement de ses matériels, la marine française a lancé de nombreux programmes, dont la construction d'un second porte-avions, de deux frégates anti-aériennes Horizon et de deux bâtiments de projection et de commandement et elle doit prochainement passer commande de dix-sept frégates multimissions. A une échelle plus réduite, l'Espagne a lancé plusieurs programmes importants dans le cadre du plan Armada XXI, comprenant l'acquisition de quatre frégates F 100, de quatre sous-marins S 80 et d'un bâtiment de projection, et devrait engager dans les prochaines années la construction de cinq nouvelles frégates baptisées F 110. L'Allemagne n'est pas en reste, avec les commandes de quatre sous-marins U 212A, de trois frégates F 124 et de cinq corvettes K 130, qui devraient être complétées à l'horizon 2008-2010 par l'acquisition de quatre sous-marins supplémentaires, de cinq à huit frégates F 125 de nouvelle génération et de cinq autres corvettes K 130. En revanche, la Suède a revu à la baisse ses projets, en décidant de ne commander que cinq corvettes Visby au lieu de six, ce qui a pour conséquence des baisses d'effectifs dans le chantier Kockums, lequel est chargé de la réalisation de ces bâtiments. Au total, l'Europe représente 30 % du marché mondial de la construction navale militaire.
Ce panorama des programmes nationaux illustre la présence de l'industrie européenne sur toute la gamme des produits navals ; elle est ainsi en mesure de construire de grands bâtiments complexes, tels que les porte-avions, les frégates de premier rang et les bâtiments d'intervention et de projection de force, des navires de taille moyenne à forte densité d'équipements, comme les frégates de second rang, les corvettes et les patrouilleurs, ainsi que des sous-marins, soit conventionnels, soit nucléaires - incluant les sous-marins lanceurs d'engins et d'attaque. 2. Un paysage industriel composé de nombreux acteurs Le secteur naval européen s'articule autour trois grands pôles, au Royaume-Uni, avec BAe Systems, en Allemagne, avec HDW et Thyssen - ces derniers ayant annoncé le 17 mai 2004 leur fusion - et en France, avec DCN et Thales. ● BAe Systems : une entreprise de premier plan aujourd'hui fragilisée L'arrivée de BAe Systems, initialement présent dans l'aéronautique et l'électronique de défense, dans le secteur naval est relativement récente et assez fortuite, puisqu'elle résulte de sa fusion, en 1999, avec Marconi Electric Systems, du groupe GEC, lequel détenait les chantiers navals de Yarrow et de VSEL (Vickers Shipbuilding and Engineering Limited). La même année, BAe Systems a procédé à la prise de contrôle du constructeur Govan. Les chantiers nouvellement acquis sont venus s'ajouter aux activités d'électronique et d'équipement navals de sa filiale Alenia Marconi Systems (AMS), créée en 1999 (15). C'est aujourd'hui BAe Systems qui détient la maîtrise d'œuvre des principaux programmes d'équipement destinés à la Royal Navy, tels que les destroyers T 45 et les sous-marins Astute. Ses activités de construction navale représentent un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros - soit 7 % du chiffre d'affaires total du groupe -, pour un effectif de 5 000 personnes. Cependant, le groupe britannique se trouve actuellement quelque peu déstabilisé par les importantes difficultés qu'il rencontre dans la conduite du programme de sous-marins Astute, ainsi que l'ont mis en exergue deux rapports du National Audit Office - l'équivalent britannique de la Cour des comptes - en décembre 2002, puis en janvier 2004, en stigmatisant des dépassements budgétaires considérables et des retards. Dans ce contexte, BAe Systems a annoncé en 2004 une baisse d'effectifs de 760 personnes au sein du chantier Barrow-in-Furness, chargé de la construction des sous-marins. De plus, la décision du ministère de la défense d'adjoindre Thales à BAe Systems sur le programme des deux porte-avions commandés par la Royal Navy, en janvier 2003, a été considérée par beaucoup comme une marque de défiance à l'égard du groupe britannique, même si celui-ci s'est vu confier le rôle de maître d'oeuvre ; selon des informations parues dans la presse britannique en avril 2004, il est possible que cette organisation industrielle soit remise en cause à son détriment, par le partage de la maîtrise d'œuvre avec Thales, voire avec le britannique Vosper Thornycroft, tandis que le DPA (Department Procurement Agency), équivalent britannique de la délégation générale pour l'armement (DGA), jouerait un rôle important. Selon ces mêmes informations, BAe Systems envisagerait de se défaire de sa branche navale ; le groupe a confirmé dans un communiqué qu'il « étudiait des options pour cette division », tout en indiquant « n'avoir pris aucune décision ». Toutefois, cette annonce s'inscrit sans doute dans le contexte actuel de négociations sur le programme de porte-avions ; elle peut s'analyser comme un moyen de pression pour conserver un rôle dominant dans la réalisation de celui-ci. ● HDW et ThyssenKrupp : deux acteurs allemands majeurs en train de fusionner En Allemagne, au sein d'un secteur naval militaire développé, comprenant une dizaine de chantiers, deux acteurs importants se distinguent, HDW et ThyssenKrupp, lesquels viennent d'annoncer la fusion de leurs activités ; ils sont tous deux également présents dans le secteur civil. ThyssenKrupp comprend le chantier Blohm and Voss, situé à Hambourg, et Nordseewerke, implanté à Emden, tandis qu'HDW est localisé à Kiel. Ces deux groupes ont pour particularité de travailler ensemble pour la réalisation des bâtiments de surface et des sous-marins : HDW et ThyssenKrupp se sont fédérés depuis 1989 en consortia, afin de se répartir les commandes militaires nationales, mais aussi d'organiser un front commun à l'exportation, en associant des acteurs majeurs de l'industrie et du commerce allemands, notamment Ferrostaal, ainsi que du secteur bancaire et financier. Ont ainsi été mis sur pied le German Submarine Consortium, regroupant HDW, Thyssen Nordseewerke, l'architecte naval IKL ainsi que Ferrostaal, pour les sous-marins, et le German Frigate Consortium, réunissant Blohm and Voss, Nordseewerke, HDW et Ferrostaal, pour les frégates. En sus de ces deux organisations, des groupements spécifiques sont créés pour la conduite de programmes d'équipement donnés, comme les sous-marins U 212 ou les corvettes K 130. Ce mode de fonctionnement cartellisé permet de partager la charge de travail de façon équilibrée entre les différents chantiers, comme l'illustre la construction des trois frégates F 124 respectivement par Blohm and Voss, Nordseewerke et HDW. Toutefois, c'est plus particulièrement sur les marchés à l'exportation que ces consortia ont prouvé leur efficacité, par la proposition d'un ensemble d'offres complètes aux pays clients, allant de l'implication de ces derniers sur la mise en oeuvre des contrats conclus à la réalisation d'investissements au sein de leur tissu économique, en passant par des solutions de financement pour les programmes d'équipement concernés. Naturellement, l'union de ThyssenKrupp et d'HDW, qui s'inscrit dans cette logique d'étroite coopération, amènera cette organisation à évoluer. Si Blohm and Voss, qui compte 1 550 (16) personnes, est en bonne santé, disposant d'importantes commandes militaires, tant pour la marine allemande que pour des clients étrangers, Nordseewerke, dont les effectifs atteignent 1 450 personnes, est handicapé par sa branche civile et rencontre davantage de difficultés. HDW, quant à lui, dispose d'un plan de charge considérable, grâce à ses positions solides sur le marché des sous-marins conventionnels. Après avoir acquis en 1999 le groupe suédois Kockums, puis, en 2002, le chantier grec Hellenic Shipyards, HDW compte 6 300 personnes, pour un chiffre d'affaires de 1,335 milliard d'euros. Son regroupement avec ThyssenKrupp va permettre de constituer un acteur naval de premier plan, comptant 9 300 salariés, pour un chiffre d'affaires de près de 2,2 milliards d'euros. ● DCN et Thales : des groupes français complémentaires DCN constitue le principal chantier naval militaire français, dont le capital est entièrement détenu par l'Etat. Comptant sept sites (17) implantés dans toute la France, il réalise la quasi-intégralité des programmes destinés à la marine nationale - frégates, sous-marins nucléaires, bâtiments de projection et de commandement (18), porte-avions - et son carnet de commandes nationales est bien rempli. Son plan de charge est complété par l'obtention de contrats à l'exportation, ces derniers représentant environ un cinquième de son activité. Il est également présent dans le domaine des équipements navals, de la propulsion et des armes sous-marines, telles que les torpilles et les contre-mesures. Ses effectifs s'établissaient à 12 800 personnes au 31 décembre 2003, pour un chiffre d'affaires de 1,659 milliard d'euros, contre 1,455 milliard d'euros l'année précédente. L'électronicien de défense Thales est également présent dans le domaine naval ; ses activités sont traditionnellement centrées sur les équipements et les systèmes - radars, équipements optroniques, systèmes d'armes - ; toutefois, il assume désormais le rôle de maître d'œuvre sur plusieurs programmes navals et ambitionne de se développer dans ce domaine. Il dispose d'un excellent positionnement sur le marché mondial, notamment grâce à ses prises de participations et acquisitions aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (19), mais aussi en Allemagne, en Afrique du Sud, en Australie et en Corée du Sud. Sa forte implantation au Royaume-Uni en fait un challenger de BAe Systems, comme l'a illustré l'obtention d'une partie du programme des deux porte-avions. Le chiffre d'affaires naval de Thales atteignait 2,127 milliards d'euros en 2003, dont plus de 1 milliard pour Thales Naval France. DCN et Thales ont donc des activités complémentaires et entretiennent d'étroits liens de coopération ; ceux-ci ont été formalisés par la création en 2002 d'une filiale commune, baptisée Armaris, chargée d'assurer la maîtrise d'œuvre et la commercialisation des produits militaires associant les deux groupes pour l'exportation ou en coopération (20) ; elle compte aujourd'hui 200 personnes ; cette alliance a été complétée en juin 2004 par la création d'une société commune destinée à conduire le programme du deuxième porte-avions français ; celle-ci est détenue à hauteur de 65 % par DCN et de 35 % par Thales. b) D'autres entreprises de construction navale de dimension significative En premier lieu, l'Italie et l'Espagne disposent toutes deux de groupes navals militaires importants, avec respectivement Fincantieri et Izar, lesquels sont détenus par l'Etat, à 82,5 % pour le premier (21) et à 100 % pour le second (22). Tant Fincantieri qu'Izar sont présents dans les secteurs civil et militaire, mais, si le premier parvient à obtenir des résultats favorables dans les deux domaines, Izar reste « plombé » par les difficultés de sa branche civile. La production militaire représente environ un cinquième de l'activité de Fincantieri, lequel construit tous les bâtiments destinés à la marine italienne, du porte-aéronefs aux frégates, en incluant les sous-marins. Toutefois, pour ces derniers, il coopère avec HDW, en réalisant des sous-marins U 212A sous licence. Comptant environ 9 500 personnes, il bénéficie d'un carnet de commandes civiles et militaires favorable et peut se prévaloir d'un bénéfice net de 90,3 millions d'euros pour 2003, pour un chiffre d'affaires total de 2,34 milliards d'euros. L'organisation actuelle de Fincantieri pourrait évoluer, le gouvernement italien envisageant de le privatiser et de séparer ses activités militaires et civiles, afin de réunir ces dernières avec les secteurs d'énergie, d'équipement et de transport du groupe Finmeccanica. Izar résulte de la fusion, en 2001, du chantier militaire Bazan et du chantier civil Astilleros Españoles. Cette opération, qui avait pour but d'adosser des activités civiles ayant connu de nombreux déboires à un groupe militaire plus solide, a abouti à la constitution d'une entreprise comptant 11 000 personnes en 2003, avec un chiffre d'affaires total de 1,7 milliard d'euros. Ses activités militaires, qui représentaient 35 % de ce chiffre d'affaires en 2002, soutiennent de façon décisive le plan de charge de l'entreprise, alors que celle-ci est en position très précaire dans le domaine civil, mais ne suffisent pas à assurer son équilibre ; l'entreprise affiche des pertes récurrentes, quoiqu'en baisse (152 millions d'euros en 2001, 121 millions d'euros en 2002 et 30 millions d'euros en 2003). Lors de la création d'Izar, les autorités espagnoles avaient indiqué qu'un des objectifs était de conduire la nouvelle entreprise à l'équilibre financier, afin d'en préparer la privatisation partielle, mais la réalisation de celle-ci est repoussée à plus tard, compte tenu des résultats enregistrés. Le groupe britannique Vosper Thornycroft est quant à lui spécialisé dans les navires de plus faible tonnage, tels que les corvettes, les patrouilleurs et les chasseurs de mines, ainsi que dans les activités de maintien en condition opérationnelle. Il a également réussi, au terme d'âpres négociations avec BAe Systems, à prendre part au programme de destroyer T 45 et est chargé de réaliser la partie avant des bâtiments ; il devrait également construire une partie des deux porte-avions. Dans ce contexte, il a investi dans un nouveau site de construction navale, à Portsmouth, afin de disposer d'un chantier très moderne et automatisé, permettant une productivité accrue. Le groupe compte aujourd'hui environ un millier de personnes et son chiffre d'affaires a atteint environ 800 millions d'euros en 2003. Par ailleurs, il a constitué avec BAe Systems un joint venture, dénommé Fleet Support, pour assurer la maintenance des navires britanniques, deux autres chantiers, Babcock International et Devonport Management Limited intervenant aussi dans ce domaine. Il convient également de mentionner le chantier néerlandais Koninklijke Schelde Group B.V., appartenant au groupe Damen Shipyards, qui réalise des frégates ainsi que des bâtiments de transport de chalands de débarquement. Parmi les groupes militaires allemands de taille moyenne, les groupes Lürssen et Abeking & Rasmussen se distinguent par leur bon positionnement sur le segment des corvettes, des patrouilleurs et des chasseurs de mines. De même, le français CMN dispose d'un grand savoir-faire dans le domaine des patrouilleurs et des navires rapides. Enfin, toujours en France, les Chantiers de l'Atlantique produisent également des bâtiments militaires, tels que les deux frégates Floréal commandées par le Maroc et une partie des bâtiments de projection et de commandement destinés à la marine nationale. c) Plusieurs acteurs présents dans les domaines de l'électronique et de la propulsion Les groupes aéronautiques et d'électronique de défense EADS et Finmeccanica interviennent également dans les activités navales. Le premier réalise des systèmes de combat, des radars et des missiles navals, tels que les missiles de la famille Exocet, et annonce un chiffre d'affaires naval d'environ un milliard d'euros (23). Il affiche sa volonté de développer ces activités, en se mettant sur les rangs pour prendre part à des programmes tels que les frégates multimissions ou le second porte-avions français. Le second groupe produit également des systèmes de combat et des équipements, dans le cadre du joint-venture AMS créé avec BAe Systems, et réalise des armes sous-marines au sein de sa filiale WASS. L'électronicien allemand STN Atlas détient le marché des systèmes de combat et d'équipement des sous-marins produits par HDW ainsi que de bonnes positions en matière de guerre des mines. Également présent dans le secteur terrestre, il était détenu à hauteur de 51 % par Rheinmetall et de 49 % par BAe Systems, puis a été scindé en deux en 2003, Rheinmetall acquérant la branche terrestre et BAe Systems la division navale. Son chiffre d'affaires total atteignait 572 millions d'euros en 2002, avec des effectifs de 3 200 personnes. Dans le domaine de la propulsion navale, le Britannique Rolls Royce occupe une place prépondérante. Fournissant aussi des moteurs aéronautiques, il constitue le troisième motoriste mondial et est devenu l'un des leaders du marché des équipements de propulsion de navires, notamment grâce au rachat de Vickers en 1999. Il intervient dans la propulsion classique, réalisant par exemple les turbines à gaz WR 21, qui équipent les destroyers britanniques T 45, et des moteurs diesels, mais aussi dans la propulsion nucléaire. En France, le groupe Technicatome réalise les chaufferies nucléaires de propulsion des sous-marins d'attaque et lanceurs d'engins et a construit celles du porte-avions Charles-de-Gaulle. 3. Des réformes considérables réalisées a) Des réductions de moyens et d'effectifs La décennie 1990 a été caractérisée par la forte réduction des commandes des différentes marines nationales ; les groupes européens ont dû ajuster leurs capacités de production et leurs effectifs, afin de s'adapter à l'évolution de leur plan de charge. Les restructurations réalisées sont certes de moindre ampleur que celles constatées dans le secteur civil, mais elles s'avèrent substantielles. A titre d'exemple, l'activité de DCN a connu une chute de plus de 40 % entre 1990 et 2000, du fait de la faiblesse des nouveaux programmes de construction, nombre de commandes étant revues à la baisse (cinq frégates de type La Fayette au lieu de six, quatre sous-marins lanceurs d'engin au lieu de six, six sous-marins nucléaires d'attaque au lieu de huit). Le groupe a été contraint de consentir d'importants efforts d'adaptation, en restructurant ses moyens industriels et en spécialisant ses sites, tout en réduisant fortement ses effectifs ; ces derniers sont passés de 28 000 personnes en 1990 à 21 800 en 1995, puis 15 000 en 2000. De même, les chantiers HDW et ThyssenKrupp ont dû réaliser des restructurations importantes, subissant les conséquences du faible renouvellement de la flotte allemande au cours des années 1990 - le nombre de sous-marins en service a ainsi été réduit de moitié entre 1990 et 1998, passant de 24 à 14 unités. Une même évolution a pu être observée en Italie et en Espagne, où Fincantieri et Izar (Bazan à l'époque) ont vu les commandes nationales décroître. b) La disparition des arsenaux, illustrée par la transformation de DCN en société nationale La dernière décennie a également été marquée par la disparition des arsenaux d'Etat encore existants en Europe, au Royaume-Uni et en France. Les entretiens et carénages des bâtiments de la Royal Navy étaient traditionnellement confiés aux arsenaux de la Couronne, situés à Rosyth et à Devonport. Ces derniers ont été privatisés en deux étapes : en 1987, le gouvernement britannique a décidé d'en confier la gérance à deux entreprises privées, Devonport Management Limited (DML) et Babcock Rosyth Limited, tout en restant propriétaire des actifs, selon la formule « Government Owned Constructor Operated » (GOCO) ; puis, en 1997, est intervenue la privatisation proprement dite, par la cession des actifs aux titulaires des contrats de location-gérance, DML et Babcock International. Le National Audit Office a d'ailleurs noté, dans un rapport de 1998, relatif à ces opérations, que le transfert des risques vers ces deux entreprises a été opéré judicieusement, grâce à la période de transition prévue, qui a permis aux deux chantiers de s'adapter aux nouvelles conditions découlant de leur changement de statut. Dès lors, à la fin des années 1990, ne subsistait plus, comme arsenal d'Etat, que la Direction des constructions navales (DCN), en France. Celle-ci était alors une administration rattachée à la DGA. Les inconvénients associés à un tel statut avaient été soulignés par la Cour des comptes dans un rapport d'octobre 2001 (24) : le mode de gestion étatique s'avérait inadapté, en conduisant à un manque de contrôle en matière budgétaire et à des prises de contrats à l'exportation à tout prix, lesquels se sont parfois soldés par de lourds déficits. La DCN était assujettie à des contraintes administratives pénalisantes, telles que l'application du code des marchés publics, qui s'avéraient incompatibles avec les impératifs industriels et commerciaux d'une entreprise de sa taille. Son statut l'empêchait de jure de nouer directement des alliances capitalistiques avec des partenaires nationaux ou européens, le mettant à l'écart de possibles regroupements dans le secteur naval. Des réformes avaient déjà été engagées de façon progressive dans les années 1990, avec, dans un premier temps, la création d'une société de droit privé, DCN International, en 1991, destinée à assumer les activités de promotion et de suivi des contrats à l'exportation, puis, dans un deuxième temps, la séparation au sein de la DGA des activités étatiques et industrielles, réalisée en 1997, la DCN ne regroupant plus alors que ces dernières. En 1999, parallèlement à l'engagement d'un programme de modernisation de sa gestion, une troisième étape a été mise en oeuvre, afin de séparer la DCN de la DGA et d'en faire un service à compétence nationale, reconnaissant le caractère particulier, au sein de l'administration, de ses activités industrielles. Toutefois, cette dernière évolution ne lui conférait pas un nouveau statut au sein du secteur public. Le changement de statut de la DCN est apparu indispensable et, le 6 juillet 2001, le Gouvernement a décidé de faire de la DCN une société nationale entièrement détenue par l'Etat. L'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 (25) prévoit la clôture du compte de commerce n° 904-05 « constructions navales de la marine militaire » et son remplacement par une entreprise nationale « régie par le code de commerce dont le capital est détenu en totalité par l'Etat » dans un délai de deux ans. Cette mutation considérable a été achevée le 1er juin 2003, à l'issue d'un processus complexe, incluant l'élaboration d'un traité d'apport (26), la mise au point des conditions de mise à disposition des différentes catégories de personnels ainsi que le passage d'une comptabilité publique à une comptabilité d'entreprise. Parallèlement, un contrat d'entreprise entre l'Etat et DCN a été conclu, afin d'accompagner l'évolution du groupe sur la période 2003-2008 : fixant des engagements précis et fermes des deux parties, il définit des perspectives de commandes très sécurisantes pour l'entreprise. Enfin, l'Etat a donné à DCN les moyens de réussir sa transformation en fixant le montant de sa dotation en fonds propres au niveau jugé nécessaire par l'entreprise au regard de sa situation économique et financière, soit 560 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les trois millions d'euros qui avaient été apportés à DCN Développement (société de préfiguration de la future entreprise) lors de sa création en 2002. Au total, le changement de statut de DCN s'est déroulé dans de bonnes conditions, en un temps finalement court, notamment grâce à un dialogue constructif avec les personnels. S'il est sans doute trop tôt pour dresser aujourd'hui un bilan de cette opération, les premiers résultats de DCN s'avèrent favorables, le groupe présentant un résultat net positif pour 2003 - alors que le retour à l'équilibre n'était prévu que pour 2005 - et tirant des bénéfices tangibles de son nouveau mode d'organisation et de fonctionnement, notamment dans le domaine des achats. Des améliorations de ses prestations sont déjà perceptibles en matière de maintien en condition opérationnelle. Pour autant, DCN doit aujourd'hui consolider les acquis de sa réforme et poursuivre ses efforts, afin de résoudre les problèmes qui subsistent, par exemple en matière de contrôle de gestion et d'évolution des modes de production. B. UN BON POSITIONNEMENT INTERNATIONAL 1. Les industries navales hors d'Europe : des groupes importants, mais essentiellement tournés vers leur marché intérieur a) Panorama des principaux acteurs L'industrie navale américaine est très développée, s'appuyant sur un marché domestique considérable, sans commune mesure avec celui des Etats européens, aussi bien par la taille que par le nombre des bâtiments commandés ; les Etats-Unis représentent à eux seuls 35 % du marché mondial de la construction navale. Deux acteurs majeurs se distinguent, produisant l'ensemble des bâtiments destinés à l'US Navy : d'une part, Northrop Grumman, qui réalisait en 2002 un chiffre d'affaires de 4,712 milliards d'euros dans le domaine naval, d'autre part, General Dynamics, avec un chiffre d'affaires de 3,65 milliards d'euros. Par ailleurs, le groupe Lockheed Martin produit des systèmes de combat naval, incluant des radars, des sonars, des dispositifs de lutte anti-sous-marine ; il réalise notamment le système de combat Aegis qui équipe les destroyers américains. Selon le groupe, ces activités constituent environ le quart de son chiffre d'affaires, lequel s'élevait à 31,8 milliards de dollars en 2003. Le tissu industriel américain comprend également de multiples entreprises navales de taille beaucoup plus réduite, présentes sur d'autres segments de marché, tels que les navires de faible tonnage, une partie des bâtiments des coast guards et les activités de réparation. Si les commandes de l'US Navy ont diminué au regard des décennies précédentes - durant les années 1980, les groupes américains ont construit pour la marine pas moins de dix-neuf bâtiments en moyenne chaque année ! -, elles n'en restent pas moins très importantes, d'autant plus que s'y ajoutent des programmes d'entretien et de refonte, et l'industrie navale américaine dispose d'un plan de charge substantiel pour les années à venir.
Pour des raisons qui relèvent plus du maintien d'une capacité stratégique que d'une logique économique, l'US Navy s'est attachée à confier la production de chaque type de bâtiments à deux chantiers, à l'exception des porte-avions, seul Northrop Grumman, avec le chantier Newport News, étant en mesure de les construire. Northrop Grumman et General Dynamics se répartissent ainsi les commandes de destroyers, sous-marins nucléaires et autres bâtiments amphibies et auxiliaires. L'ampleur des programmes destinés à l'US Navy se traduit par des rythmes de production impressionnants : les deux groupes construisent plus de deux destroyers DDG 51 par an, dans le cadre d'un programme de 57 unités s'étalant entre 1991 et 2009, tandis que le renouvellement du parc de sous-marins nucléaires - qui compte 54 unités - va nécessiter la réalisation d'un sous-marin d'attaque Virginia par an dans les années à venir. S'agissant des porte-avions, Northrop Grumman a achevé en juin 2003 le neuvième exemplaire de la classe Nimitz, baptisé Ronald Reagan ; le dixième et dernier devrait être livré en 2009 ; ces porte-avions sont les plus grands jamais construits, avec un déplacement d'environ 100 000 tonnes. De surcroît, un programme de porte-avions futur CVN-21 a été lancé en mai 2004, la construction de la première unité devant débuter en 2006. A ces commandes majeures pour l'US Navy, s'ajoute le programme Deepwater d'équipement des coast guards, auquel Northrop Grumman participe également. La Russie dispose elle aussi d'une industrie navale importante, héritage de sa puissance militaire passée, avec par exemple le chantier Severnaya Verf, à Saint-Petersbourg, ou encore Sevmash, à Severodvinsk. Toutefois, les grandes difficultés de la marine russe affectent fortement leurs activités et il est difficile de connaître précisément l'étendue de leur potentiel industriel actuel. D'autres pays détiennent des capacités de construction navale militaire, comme l'Australie, avec le chantier ADI, l'Inde, avec Mazagon Docks, la Corée du Sud, avec Daewoo Heavy Industries, et la Chine ; des pays tels que l'Afrique du Sud, Singapour, le Pakistan et le Brésil développent également leur industrie navale. Néanmoins, ces pays ne possèdent que des capacités de conception relativement réduites ; ils s'appuient le plus souvent sur celles des pays européens, des Etats-Unis ou de la Russie pour construire des bâtiments militaires, en passant des contrats à l'exportation prévoyant la réalisation de la plupart des exemplaires dans leurs propres chantiers et des transferts de technologie en leur faveur. b) Une présence réduite à l'exportation Ces différents acteurs navals interviennent peu sur les marchés à l'exportation. Tel est notamment le cas des groupes américains, ce qui s'explique par plusieurs facteurs. Si l'industrie militaire américaine propose des produits très compétitifs lorsque les frais fixes associés à leur réalisation sont élevés (27) - les importants besoins militaires nationaux permettant de les amortir sur de longues séries -, ces frais sont beaucoup plus faibles pour la réalisation de bâtiments, car ces derniers sont construits selon les demandes présentées par les clients, en s'adaptant à leurs besoins. Dès lors, sur ce marché très personnalisé, les produits américains bénéficient d'un avantage moindre. Ensuite, l'offre de ces groupes navals n'est pas adaptée aux marchés à l'exportation. La taille considérable des bâtiments de surface destinés à l'US Navy ne correspond ni aux besoins ni aux moyens financiers des pays importateurs, tandis que les Etats-Unis ne produisent plus que des sous-marins nucléaires, qui ne s'exportent pas. De plus, les dispositions protectionnistes existantes, interdisant notamment à l'US Navy de faire construire ses navires à l'étranger, n'ont pas favorisé le développement de la compétitivité des chantiers américains, qui est notoirement inférieure à celle de ses homologues étrangers. Enfin, de façon plus décisive, les groupes navals américains disposent d'un marché national d'une telle ampleur qu'ils n'ont guère besoin de se tourner vers les marchés à l'exportation pour étoffer leur plan de charge, alors même que les marges sont généralement plus réduites sur de tels contrats. Au total, la commande par Israël de trois corvettes lance-missiles Saar'V, livrées en 1993 et 1994, constitue à ce jour l'un des seuls contrats à l'exportation à avoir été remporté par l'industrie navale américaine. La Russie est également peu présente sur les marchés internationaux, sa politique d'exportation étant étroitement liée aux relations politiques et militaires qu'elle entretient avec certains pays, tels que l'Inde et la Chine. Elle a par exemple vendu à cette dernière deux destroyers en 1999 puis 2000, deux autres unités devant être livrées en 2006, tandis qu'en janvier 2004, l'Inde a acquis le porte-avions russe d'occasion Amiral Gorchkov, pour 1,5 milliard de dollars (28). Les autres pays disposant d'une industrie navale militaire concentrent leurs efforts sur la construction de bâtiments pour leur propre marine et n'interviennent quasiment pas sur les marchés à l'exportation. 2. D'importants succès remportés par l'industrie européenne L'industrie européenne est bien plus active sur le marché international que ses homologues étrangers, ce qui résulte de sa capacité à produire toute la gamme des produits navals, mais aussi de son besoin d'obtenir des commandes supplémentaires, afin de maintenir son plan de charge : dans un contexte général de baisse des budgets de défense, les contrats à l'exportation sont apparus aux chantiers européens comme un complément d'activité nécessaire, permettant de conserver une base industrielle et technologique suffisante pour satisfaire les besoins nationaux. L'industrie allemande s'est ainsi largement tournée vers les marchés à l'exportation et y a remporté de très nombreux succès, en s'appuyant notamment sur son organisation en consortia. Les groupes français se sont également efforcés d'obtenir des contrats auprès de pays étrangers pour compléter leur activité, comme le montre le choix de DCN de développer le sous-marin Scorpène (29). En revanche, l'industrie britannique se contente pour l'essentiel des commandes de la Royal Navy, qui sont considérables. a) Une position de quasi-monopole sur le marché des sous-marins conventionnels Alors que les sous-marins nucléaires, que seuls cinq pays sont en mesure de produire dans le monde - les Etats-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni ainsi que, plus difficilement, la Chine - ne sont pas exportés, le segment des sous-marins conventionnels constitue le domaine de prédilection de l'industrie européenne. Celle-ci y dispose d'un quasi-monopole, avec l'allemand HDW ainsi que le français DCN, allié à l'espagnol Izar. HDW constitue le leader mondial sur ce segment, détenant environ 75 % du marché accessible à l'exportation, avec notamment son modèle U 209 et ses successeurs U 212 et U 214. Il possède des technologies très pointues en matière de propulsion anaérobie non nucléaire, ou AIP (Air Independent Propulsion), étant en mesure de proposer l'intégration de trois concepts AIP sur ses sous-marins : les piles à combustibles (AIP Fuel-Cell) (30), les moteurs Stirling à combustion interne, mis au point par le suédois Kockums, et les moteurs diesels fonctionnant en cycle fermé (AIP CCD, Close Cycle Diesel), dans le cadre de la refonte des U 209. Depuis 1945, HDW a reçu commande de plus d'une centaine de sous-marins de la part de seize nations différentes, dont la Corée du Sud, la Turquie, le Pérou, le Brésil, le Chili et l'Inde. Parallèlement, alors que DCN était déjà présent sur ce segment, notamment avec les sous-marins Agosta, proposés à l'exportation, il a décidé de développer, en coopération avec Izar, le sous-marin conventionnel de nouvelle génération Scorpène, afin de reprendre pied sur ce marché. Ce sous-marin, qui dispose du procédé anaérobie non nucléaire Mesma, a été acquis par le Chili, en 1997, et par la Malaisie, en 2002, ces succès faisant de l'alliance DCN-Izar un challenger crédible d'HDW. D'autres groupes sont en mesure de réaliser des sous-marins conventionnels, tels que le russe Rubin, avec le modèle Amur, ou encore le néerlandais RDM (Rotterdamsche Droogdok Maatschappij), qui, associé à Northrop Grumman, assure la promotion du sous-marin de la classe Moray, mais ils sont quelque peu marginalisés, leurs produits étant aujourd'hui anciens. Sur ce marché très concentré, l'émergence d'autres acteurs apparaît à ce jour peu probable. Principaux contrats à l'exportation obtenus
b) Un rang favorable sur le segment des bâtiments de surface L'offre de bâtiments de surface est plus abondante et diversifiée que celle des sous-marins, mais elle reste dominée par les acteurs européens. L'industrie allemande détient, comme pour les sous-marins, une position de leader, avec la famille de frégates et corvettes MEKO proposée par Blohm and Voss. Le concept de cette gamme, élaboré en 1969 et largement décliné depuis, repose sur la modularité, qui permet de s'adapter aux demandes spécifiques des différents clients, tant en ce qui concerne la taille du navire que les équipements. Blohm and Voss peut se prévaloir de nombreux succès sur le marché international avec ces produits ; depuis 1981, date de la première commande, il a exporté des bâtiments MEKO auprès de l'Argentine, du Portugal, de la Turquie, de la Grèce, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Afrique du Sud et de la Malaisie. Sur ce segment, DCN obtient également des succès significatifs à l'exportation avec les frégates dérivées de La Fayette et constitue le principal concurrent de Blohm and Voss. Avec ces navires, DCN a introduit au début des années 1990 le concept particulièrement innovant de frégate furtive(31), largement repris ensuite par les autres industriels. Il a ainsi vendu six frégates à Taiwan en 1992, puis quatre navires de ce type à l'Arabie Saoudite, dans le cadre du contrat Sawari II, en 1994, et six à Singapour, en 2000. Izar cherche également à se positionner sur les marchés internationaux, mais reste encore peu actif, son principal succès à ce jour étant la conclusion en 2000 d'un contrat de cinq frégates F 310 avec la Norvège. Toutefois, comme sur le segment des sous-marins, où il coopère avec DCN, c'est au titre d'un partenariat qu'Izar exporte ces frégates, le système de combat de celles-ci étant réalisé par l'américain Lockheed Martin. Fincantieri, quant à lui, manque de produits bien ciblés ; il est néanmoins présent dans les principales consultations internationales et a vendu quatre corvettes à la Malaisie, en 1995 et 1997. Parallèlement, pour les navires de plus petit tonnage, le chantier allemand Lürssen est bien positionné sur le marché des chasseurs de mines, tandis que le français CMN remporte de multiples contrats de patrouilleurs et navires rapides, notamment auprès de pays du Moyen-Orient, tels que les Emirats Arabes Unis - avec le récent contrat Baynunah, conclu en décembre 2003 et portant sur quatre corvettes (plus deux en option) - mais aussi le Koweït. En revanche, l'industrie britannique n'a remporté que peu de contrats à l'exportation (32), mais elle a pour particularité d'intervenir sur le marché de seconde main, BAe Systems ayant par exemple vendu trois frégates T 22 d'occasion au Chili, en décembre 2002, et deux à la Roumanie, en janvier 2003. Si les groupes navals européens occupent une place prépondérante sur les marchés internationaux de bâtiments de surface, leur position est moins forte que pour les sous-marins. A l'exception du contrat de corvettes pour la marine israélienne, les tentatives américaines à l'exportation sont restées vaines jusqu'à présent, mais les Etats-Unis sont actifs sur les marchés de seconde main (33), de même que la Russie. Par ailleurs, sur le segment des patrouilleurs, un groupe tel que l'Australien Austal a remporté en 2003 un contrat pour la fourniture de dix navires pour le Yémen.
c) Des perspectives prometteuses pour les années à venir Le marché naval à l'exportation s'avère dynamique et doit connaître une légère expansion dans les prochaines années. Alors que la demande des marines mondiales peut être évaluée à 25 à 30 milliards d'euros par an, la part de marché accessible à l'exportation, c'est-à-dire susceptible de faire l'objet d'appel d'offres ouvert et sans restrictions internationales connues, devrait atteindre environ 30 milliards d'euros pour la période 2003-2011. Ces prévisions, qui restent toutefois soumises aux aléas pouvant affecter la réalisation des programmes d'investissement des différentes marines, ouvrent des perspectives prometteuses à l'industrie européenne. Le marché des bâtiments de surface devrait offrir des opportunités importantes, notamment en raison du nécessaire renouvellement de nombre de flottes. Avec le développement des menaces aériennes et sous-marines, les marines clientes ont tendance à demander davantage d'armements sur leurs navires, dont la taille augmente en conséquence ; on assiste ainsi à l'accroissement des besoins de corvettes et de petites frégates (1 200 à 3 500 tonnes) aux capacités polyvalentes très développées, correspondant largement aux caractéristiques opérationnelles des bâtiments développés par Blohm and Voss et DCN. Des pays du Moyen-Orient pourraient ainsi manifester des besoins dans ce domaine, de même que Singapour - le Chili ayant quant à lui finalement choisi d'acquérir en avril 2004 des navires de seconde main auprès des Pays-Bas. Des bâtiments de projection, de plus grande taille, mais moins armés, seraient également susceptibles d'intéresser des marines étrangères, car ils répondent aux réorientations stratégiques menées actuellement, lesquelles mettent l'accent sur les capacités de projection et la réalisation de missions humanitaires (évacuation de ressortissants, intervention en cas de catastrophe naturelle). Le bâtiment de projection et de commandement produit par DCN et les Chantiers de l'Atlantique pourrait trouver des acquéreurs étrangers, comme l'Australie ou la Malaisie. Le segment des sous-marins conventionnels s'avère également porteur, avec un marché annuel s'élevant à deux ou trois unités. Alors qu'une cinquantaine de pays détient de tels bâtiments, il existe de réels besoins de renouvellement ; de plus, nombre d'Etats, notamment en Asie, en Extrême-Orient et en Amérique latine, souhaitent renforcer ou constituer une force sous-marine, laquelle s'avère très utile par son rôle de dissuasion et de protection des ports et des littoraux (34). La plupart des marines clientes demandent des bâtiments de 1 500 à 2 000 tonnes - qui représentent un bon compromis pour opérer de façon efficace en eaux peu profondes et en milieu océanique ouvert - et les sous-marins français Scorpène et allemands U 212 et U 214 répondent à de tels besoins. Le Scorpène dispose ainsi de perspectives solides auprès de l'Inde (35), tandis que la Malaisie, qui a déjà acquis deux unités, pourrait vouloir compléter sa flotte. Plus généralement, des pays comme le Brésil, Singapour, la Thaïlande, voire l'Arabie Saoudite, pourraient également commander des sous-marins dans les années à venir. DEUXIÈME PARTIE : I. - QUELLE ORGANISATION INDUSTRIELLE POUR L'EUROPE ? A. UN PAYSAGE INSUFFISAMMENT CONSOLIDÉ 1. Un secteur naval essentiellement national L'industrie navale européenne reste morcelée, au regard des secteurs aéronautiques, missiliers et d'électronique de défense. Ces derniers ont connu au cours de la dernière décennie d'importantes restructurations, conduisant à la constitution d'entreprises européennes de dimension mondiale, telles qu'EADS, avec notamment les filiales MBDA pour les missiles et Eurocopter pour les hélicoptères, BAe Systems et Thales. Tel n'est pas le cas pour le secteur naval ou, plus précisément, pour les activités de plateformes et d'intégration de bâtiments assurées par les chantiers, puisque les activités d'électronique, de systèmes d'armes et de combat ont été consolidées dans le cadre des mouvements susmentionnés. La construction navale militaire apparaît en Europe comme une industrie à vocation essentiellement nationale et, comme l'a montré la présentation des principaux acteurs, chaque Etat disposant d'une marine importante détient ses propres chantiers. Un lien historique très fort unit les forces navales et les chantiers nationaux. Les premières, établies de longue date, ont développé des habitudes et des exigences propres et entretiennent des relations étroites avec les seconds, ce qui les conduit à préférer s'adresser à eux pour leurs commandes de navires. Parallèlement, ce mode de fonctionnement est conforté par le protectionnisme qui prévaut traditionnellement dans les stratégies d'acquisition navale des différents pays, par exemple avec le principe « Buy British » existant au Royaume-Uni. De surcroît, les bâtiments militaires sont généralement construits en très petites séries, comprenant souvent trois ou quatre navires (comme pour les frégates allemandes F 124, commandées à trois exemplaires, ou encore les sous-marins espagnols S 80, avec quatre unités) et dépassant très rarement une dizaine d'exemplaires ; la commande britannique de douze destroyers T 45 et celle franco-italienne de frégates multimissions, devant atteindre vingt-sept unités, constituent l'exception. Dès lors, les économies d'échelle résultant de l'effet de série apparaissent bien moindres que pour les autres matériels de défense - tels que les avions ou les chars blindés, qui sont construits à des centaines d'exemplaires - ce qui ne favorise pas des regroupements d'entreprises. Enfin, les différents Etats européens montrent un fort attachement au maintien de capacités industrielles propres dans le secteur naval militaire, pour des raisons de souveraineté nationale, mais aussi parce que les chantiers constituent d'importants réservoirs de main-d'œuvre, en majorité de type « cols bleus » - par opposition à des salariés pour l'essentiel « cols blancs » chez les électroniciens - et ont un poids économique important dans les régions où ils sont implantés. C'est particulièrement le cas en Allemagne, où l'industrie navale bénéficie d'un fort soutien politique à la fois parce qu'elle représente un grand nombre d'emplois - HDW constituant par exemple le plus important employeur du land de Schleswig-Holstein - et qu'elle est considérée comme un secteur stratégique, pour lequel il importe de garantir l'autonomie nationale. Ces éléments, tant historiques qu'industriels et politiques, explique l'absence de consolidation européenne du secteur naval : les restructurations ont été effectuées dans un cadre presque uniquement national, avec l'émergence de BAe Systems, réunissant les différents chantiers navals britanniques en son sein - à l'exception de Vosper Thornycroft -, et la récente fusion d'HDW et de Thyssen, en Allemagne. La seule opération de regroupement transnational réalisée à ce jour consiste dans l'acquisition par HDW du suédois Kockums, puis du grec Hellenic Shipyard. Pour autant, ces opérations semblent davantage répondre à des considérations d'opportunité qu'à une volonté de fédérer l'industrie européenne : l'achat de Kockums a permis à HDW d'entrer dans le programme des sous-marins nordiques Viking et d'enrichir son portefeuille de produits, notamment avec les technologies de propulsion anaérobie Stirling et de furtivité Stealth (36), qui constituent des atouts commerciaux et opérationnels puissants, tandis que l'acquisition d'Hellenic Shipyard s'inscrivait dans le cadre de la commande à HDW de quatre sous-marins U-214 par la marine grecque. 2. Une trop grande dispersion des acteurs, la persistance de surcapacités L'éparpillement de l'industrie européenne en de nombreux pôles nationaux apparaît d'autant plus marquant au regard des importantes concentrations réalisées aux Etats-Unis. Alors que l'Europe compte douze groupes et vingt-deux chantiers de construction de taille importante, seulement deux grands acteurs navals, Northrop Grumman et General Dynamics, comprenant chacun trois chantiers, dominent le paysage industriel américain. Ces deux géants ont émergé à l'issue d'un vaste mouvement d'acquisitions conduit à la fin des années 1990. Les étapes de la concentration de l'industrie navale américaine en deux pôles majeurs Le coup d'envoi des restructurations dans le secteur naval a été donné par le groupe General Dynamics ; celui-ci, qui détenait déjà Electric Boat, constructeur de sous-marins nucléaires pour l'US Navy, a acquis en 1995 Bath Iron Works, puis, en 1998, NASSCO (National Steel and Shipbuilding). Parallèlement, le groupe Newport News, produisant des porte-avions, a annoncé à la fin de 1998 son intention de fusionner avec le chantier Avondale, spécialisé dans les destroyers, afin d'atteindre une taille critique face à General Dynamics. Cette fusion a été autorisée par le département de la défense américain, mais aussitôt rendue caduque par deux projets successifs de rachat de Newport News et d'Avondale par General Dynamics et un autre acteur naval majeur, Litton Industries, propriétaire du chantier Ingalls. Le projet de General Dynamics ayant été rejeté en mai 1999 par le Pentagone, qui considérait qu'il conduirait à une concentration trop importante, Litton s'est vu autorisé à reprendre Avondale, mais non Newport News. A l'issue de ce mouvement de concentration, trois acteurs subsistaient alors dans la construction navale américaine : General Dynamics, Litton (incluant Ingalls et Avondale) et Newport News. C'est alors que le groupe aéronautique et d'électronique Northrop Grumman est entré en scène, en rachetant, à la fin de l'année 2000, le groupe Litton, puis en novembre 2001, le chantier Newport News, qui constituait alors le dernier groupe indépendant de taille. Au total, ces différents mouvements d'acquisitions aboutissent à l'émergence de deux acteurs majeurs, Northrop Grumman et General Dynamics. Cette consolidation s'est accompagnée d'une spécialisation des chantiers par type de navires : porte-avions (Newport News), sous-marins nucléaires (Newport News et Electric Boat), destroyers (Ingalls et Bath Iron Works), navires amphibies et auxiliaires (Avondale et NASSCO). En Europe, à défaut de restructurations capitalistiques, le secteur naval a certes engagé, au cours des années 1990, un certain nombre de rapprochements sectoriels, dans le cadre de coopérations industrielles, comme l'illustrent, parmi d'autres exemples, la création d'un consortium franco-italien pour la réalisation des frégates Horizon ou la coopération engagée entre DCN et Izar, d'une part, et entre HDW et Fincantieri d'autre part, dans le domaine des sous-marins conventionnels. Ces différentes alliances permettent de réaliser une certaine structuration de l'industrie européenne autour de programmes d'équipement communs et de pallier en partie les conséquences de l'absence de consolidations transnationales. Toutefois, il apparaît nécessaire d'aller plus loin, car la dispersion des acteurs navals constitue un handicap certain pour l'Europe de la défense. D'une part, les différents groupes construisent chacun leurs propres produits - même s'ils coopèrent parfois -, ce qui multiplie les dépenses de recherche et développement parallèles en Europe, alors même que les dépenses militaires y sont limitées ; les bâtiments réalisés sont in fine directement concurrents sur de nombreux marchés à l'exportation, ce qui lamine leurs marges (37). D'autre part, cette dispersion a pour corollaire une plus grande fragilité du secteur, ses acteurs étant alors vulnérables à des prises de participation ou des rachats par des groupes étrangers ; l'exemple du secteur terrestre européen, lui aussi fragmenté, illustre ce danger, puisque nombre d'entreprises, tels le suédois Bofors Defence ou l'espagnol Santa Barbara, y ont été rachetées par des acteurs américains. De surcroît, cet éparpillement s'accompagne de surcapacités importantes, en dépit des restructurations considérables qui ont déjà été réalisées. Certains groupes comptent encore de trop nombreux sites, selon des schémas industriels qui ne paraissent pas toujours rationnels. A titre d'exemple, le chantier espagnol Izar compte dix sites de production, répartis sur tout le territoire national, alors que l'italien Fincantieri en comprend huit et DCN sept. Une meilleure organisation apparaît nécessaire, en ce qu'elle permettrait d'accroître l'efficacité et la compétitivité du secteur naval européen. B. LA COEXISTENCE DE PLUSIEURS SCHÉMAS INDUSTRIELS Au sein de l'industrie navale, doivent être distingués d'une part les constructeurs de coques propulsées, c'est-à-dire les chantiers proprement dits, d'autre part les électroniciens de défense, qui fournissent les systèmes de combat (38), les équipements de détection et les systèmes d'armes. L'articulation de ces deux types d'acteurs s'avère variable selon les Etats et permet de dégager plusieurs modèles d'organisation industrielle, lesquels recoupent la distinction entre les chantiers présents dans les domaines civils et militaires et ceux uniquement militaires. 1. L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne : un modèle civilo-militaire fondé sur la complémentarité des chantiers navals et des électroniciens La structure des industries navales italienne, espagnole et allemande se caractérise par la complémentarité des deux types d'acteurs, qui interviennent chacun dans leurs métiers respectifs. Ce modèle est davantage centré sur la construction navale, les chantiers assurant la maîtrise d'œuvre d'ensemble des bâtiments. En Espagne, le chantier Izar travaille ainsi avec différents groupes d'électronique de défense selon les programmes concernés. Pour les sous-marins Scorpène, Izar s'appuie sur les compétences de Thales et de DCN, tandis que pour les programmes de frégates F 100 et F 310, il coopère avec l'américain Lockheed Martin ; il travaille également avec l'électronicien espagnol Indra, qui réalise par exemple le système de contre-mesures sous-marines des frégates F 100. Fincantieri, quant à lui, collabore de façon régulière avec le groupe Finmeccanica et sa filiale AMS, notamment sur les programmes de frégates anti-aérienne Horizon et de porte-aéronefs Andrea Doria, pour lequel Finmeccanica assure l'intégration du système de combat et fournit également des radars. L'Allemagne se rapproche de ce « modèle latin » : ses chantiers coopèrent sur leurs différents programmes de bâtiments de surface et de sous-marins avec de nombreux électroniciens, tels que Thales Nederlands, EADS, AMS et STN Atlas, ce dernier étant le partenaire privilégié d'HDW pour la fourniture des systèmes de combat et d'équipement des sous-marins. Toutefois, ils disposent de capacités plus développées que leurs homologues espagnols et italiens en matière de conception et d'intégration des systèmes de combat, ce qui leur confère davantage d'autonomie à l'égard des électroniciens. Cette répartition des rôles s'accompagne, dans ces trois pays, de la présence des chantiers dans les activités civiles, lesquelles représentent une part variable, mais toujours significative, de leur chiffre d'affaires total. Cette organisation duale résulte pour partie de l'insuffisance des activités militaires nationales, qui doivent être complétées par des commandes de navires marchands. 2. Le modèle anglo-saxon : la constitution d'acteurs globaux uniquement militaires L'organisation industrielle retenue au Royaume-Uni, mais aussi aux Etats-Unis, s'avère très différente : la fonction de maître d'œuvre des navires et des sous-marins est assurée par des systémiers électroniciens, c'est-à-dire BAe Systems au Royaume-Uni et Northrop Grumman et General Dynamics aux Etats-Unis, lesquels ont réalisé une politique d'intégration verticale par l'acquisition de chantiers navals, ces derniers étant plutôt considérés comme des supplétifs. Ces systémiers sont ainsi en mesure de proposer des solutions globales, c'est-à-dire des bâtiments complets, regroupant, autour de plates-formes spécialisées, les systèmes de combat, les systèmes d'armes et de détection, et peuvent compléter leur offre en proposant des prestations de maintenance des navires, grâce à leurs activités dans ce domaine. A la différence des chantiers espagnols, italiens et allemands, ces acteurs présentent la particularité de n'avoir qu'un secteur civil négligeable, ou du moins largement minoritaire par rapport à l'activité militaire, la construction de navires marchands ne semblant plus qu'un héritage du passé. Ces différents groupes se sont constitués il y a peu de temps et de façon assez rapide. BAe Systems n'est présent dans la construction navale que depuis 1999, avec le rachat de trois chantiers, et a ensuite réalisé une intégration verticale très importante, en incluant dans son périmètre d'activité ces chantiers ainsi que sa filiale AMS et la branche navale de STN Atlas. De même, Northrop Grumman n'a acquis des chantiers navals qu'en 2000, tandis que General Dynamics, qui possédait déjà le chantier Electric Boat, a acquis une taille critique dans ce domaine par deux acquisitions relativement récentes, en 1995 puis 1998. 3. La situation intermédiaire de la France L'industrie navale française se trouve dans une position quelque peu intermédiaire par rapport à ses voisins européens, ne correspondant véritablement à aucun des deux modèles présentés plus haut. A l'instar des acteurs globaux, DCN n'intervient pas dans le secteur civil (39), mais les Chantiers de l'Atlantique, tournés pour l'essentiel vers la production de navires marchands, réalisent également certains bâtiments militaires. Si leur activité dans ce domaine a connu une grande expansion entre 1861, date de la création de l'entreprise, et les années 1960 - 120 navires militaires, dont la coque du porte-avions Foch, avaient alors été réalisés -, elle a fortement décru jusqu'aux années 1990, pour reprendre à nouveau, avec notamment la construction de frégates de surveillance Floréal pour la marine française, puis pour le Maroc. Ensuite, parmi les deux acteurs militaires majeurs, DCN et Thales, le premier ne peut être assimilé à un chantier construisant seulement des coques propulsées, car il dispose de compétences d'ingénierie d'ensemble des bâtiments, qui recouvrent la conception générale de la plateforme ainsi que des grands systèmes afférents - systèmes de conduite du navire, de combat, de propulsion -, en assurant leur intégration au navire. A ce titre, il assure pleinement un rôle de systémier. De plus, il est également positionné sur la production de certains équipements, tels que les torpilles et les contre-mesures sous-marines. Cependant, DCN ne constitue pas un acteur global, ses activités d'électronique de défense ne pouvant être comparées à celles, par exemple, de BAe Systems. Parallèlement, si l'électronicien de défense Thales ne dispose pas de chantiers, il est suffisamment développé dans le secteur naval pour assurer la maîtrise d'œuvre d'ensemble de bâtiments, comme pour le navire de renseignement militaire MINREM (Moyen interarmées naval de recherche électromagnétique) - la coque a été construite par un chantier naval hollandais tandis que Thales a assuré l'intégration de la charge utile. DCN et Thales coopèrent étroitement sur de nombreux programmes et cette alliance a été renforcée par la création de la filiale commune Armaris, puis d'une société commune pour la conduite du programme du deuxième porte-avions. Néanmoins, leur partenariat diffère de celui mis en œuvre entre constructeurs et électroniciens en Italie ou en Espagne, du fait de leurs compétences respectives. 4. Les fondements de ces différents types d'organisation Si les électroniciens de défense sont devenus des acteurs majeurs du secteur naval, ils le doivent aux évolutions des systèmes de combat ; alors que ces derniers n'étaient que de simples charges utiles des navires il y a une trentaine d'années, ils en constituent désormais un élément essentiel, conférant à l'ensemble du bâtiment armé sa valeur militaire et représentant jusqu'à 50 % de son coût ; en même temps, la part de la coque propulsée dans ce coût tend à se réduire. Le marché apparaît donc « tiré » par les spécificités purement militaires des produits. Dès lors, les électroniciens n'ont de cesse d'étendre leurs compétences initiales de fournisseurs d'équipements à celles de systémiers, c'est-à-dire de concepteurs et de fournisseurs du système de combat dans sa totalité. Des groupes d'électronique tels que BAe Systems, ainsi que Northrop Grumman et General Dynamics, ont mené à son terme cette logique, en prenant le contrôle de chantiers navals. Par ailleurs, les politiques des donneurs d'ordre évoluent, en mettant l'accent sur la responsabilisation des maîtres d'œuvre des programmes d'équipement militaires, et favorisent ce schéma industriel ; les marines expriment désormais un besoin capacitaire et opérationnel précis et attendent que leur soit fournie une solution complète, incluant la coque propulsée et les différents systèmes associés ; des acteurs globaux sont alors mieux en mesure de répondre à ces exigences. C'est d'ailleurs la volonté du ministère de la défense britannique de responsabiliser les groupes de défense, dans le cadre de sa politique de « best value for money », qui a abouti, au regard de la faiblesse des chantiers nationaux - essentiellement centrés sur un rôle de réalisation -, à confier la maîtrise d'œuvre des programmes navals à de grands électroniciens (40). Cette mutation a ensuite été parachevée par l'acquisition des chantiers par BAe Systems. Le positionnement civilo-militaire de groupes tels que Fincantieri, HDW-ThyssenKrupp et Izar, s'appuie sur une autre logique industrielle. Ces acteurs misent sur la possibilité de tirer parti des points communs existants entre la construction de navires marchands et militaires. Des économies de développement et d'échelle peuvent ainsi être dégagées dans plusieurs domaines, tels que la construction de la coque propulsée et l'aménagement intérieur des navires, incluant les cabines et les ascenseurs, mais aussi l'électricité et le traitement des eaux. Ainsi, pour la construction du porte-aéronefs Andrea Doria, Fincantieri intègre des éléments modulaires - cabines préfabriquées, cuisines et salles de froid - utilisés dans les navires de croisière, tandis que Blohm and Voss a équipé les corvettes MEKO destinées à l'Afrique du Sud de moteurs de vingt-sept nœuds développés pour ses navires civils. En retour, les bâtiments civils peuvent bénéficier des performances obtenues dans le domaine militaire, par exemple en matière de réduction des vibrations et des bruits. De plus, une telle organisation industrielle permet aux entreprises de lisser leur plan de charge sur longue période, compte tenu du caractère très cyclique des marchés navals ; lors des périodes de creux dans le secteur civil, les groupes peuvent s'appuyer sur leurs activités militaires, et vice-versa. Enfin, en recourant à divers électroniciens dans le cadre de leurs programmes militaires, les groupes civilo-militaires peuvent adapter leur offre d'équipement et de systèmes de combat aux demandes des clients. La politique d'un groupe comme Blohm and Voss s'avère ainsi porteuse : ce chantier privilégie la possibilité de choisir ses partenaires industriels, tout en se faisant fort d'assurer l'intégration des différents équipements et leur coordination. Cette stratégie a prouvé sa pertinence, Blohm and Voss pouvant se flatter de nombreux succès à l'exportation. Ces deux modèles présentent donc chacun des atouts, mais ils rencontrent aussi des limites. Ainsi, un positionnement de systémier intégrateur ne garantit pas systématiquement le succès : la stratégie de BAe Systems a été remise en cause récemment, lorsque le ministère de la défense britannique a décidé de partager la réalisation du programme de porte-avions entre le groupe britannique et Thales ; maître d'œuvre de ce projet majeur, BAe Systems n'aura pas la possibilité de fournir une plate-forme complète et équipée, puisque c'est le design de Thales qui a été retenu. Par ailleurs, les complémentarités obtenues par la production de navires marchands et militaires s'avèrent nécessairement limitées, puisqu'elles ne portent que sur la plateforme propulsée, dont la valeur a tendance à diminuer au sein d'un navire militaire. De plus, compte tenu des difficultés actuelles du secteur civil européen, les groupes duaux sont fortement handicapés par leur branche civile (41), à l'exception de Fincantieri, qui parvient à dégager de bons résultats malgré tout ; ce marché, aujourd'hui en difficulté, pourrait toutefois se retourner. II. - LE DÉVELOPPEMENT DE PROGRAMMES EN COOPÉRATION : VERS UNE STRUCTURATION DES GROUPES INDUSTRIELS AUTOUR DE PROJETS COMMUNS ? A. UNE ÉVOLUTION RELATIVEMENT RÉCENTE 1. Des programmes d'équipement longtemps restés nationaux Le secteur naval européen s'est longtemps caractérisé par la quasi-absence de tout programme d'équipement mené en coopération, les exigences spécifiques développées par les marines rendant plus difficile l'obtention d'un besoin opérationnel commun à plusieurs pays. Cette situation se distingue notablement de celle prévalant dans les autres secteurs de défense, où des programmes en coopération ont été lancés dès les années 1960 : dans le domaine aéronautique, les programmes franco-allemands Transall et Alphajet, ainsi que le franco-britannique Jaguar avaient ouvert la voie, suivis du lancement, dans les années 1980, du programme d'avion de combat Eurofighter. Dans le secteur terrestre, ce sont les programmes franco-allemands de missiles antichars Milan et Hot ainsi que les programmes franco-britanniques d'hélicoptères Lynx, Puma et Gazelle, qui ont été précurseurs, précédant notamment le programme franco-allemand d'hélicoptère Tigre. Jusqu'à une période récente, les acteurs navals européens ont développé chacun des bâtiments pour leurs marines nationales. Sur le segment des frégates, les années 1980 ont été marquées par la multiplication de programmes nationaux parallèles : l'Allemagne a lancé les programmes F 122 et F 123, tandis que la France conduisait le programme F 70 et engageait celui des La Fayette ; parallèlement, le Royaume-Uni réalisait les bâtiments T 22 et lançait le programme T 23, l'Italie construisant les frégates Maestrale et les destroyers Durand de la Penne. Le cas des sous-marins s'avère plus complexe : le marché se prête moins à la coopération, puisque seuls certains Etats - la France et le Royaume-Uni - construisent des sous-marins nucléaires, tandis que les autres détiennent des sous-marins conventionnels, les deux types de bâtiments étant très différents. Toutefois, plusieurs exemplaires de sous-marins conventionnels Daphné, puis Agosta, développés par DCN ont été construits sous licence en Espagne dans les années 1970 et 1980. 2. Des points de convergence importants au sein des marines européennes Certes, les différentes marines européennes manifestent ce que l'on pourrait appeler des particularismes régionaux, tels que les capacités littorales des marines nordiques en mer Baltique ou encore les spécificités de la lutte sous-marine en Méditerranée, qui ont par exemple justifié le déploiement de sonars particuliers sur les frégates françaises F 70. Toutefois, une certaine unification des besoins des marines s'esquisse ; un des dénominateurs communs réside dans la nécessité croissante d'agir vers la terre à partir de la mer, ce qui suppose de disposer de capacités de projection de forces amphibies et aéromobiles, de moyens de préparer et d'accompagner ces déploiements par des capacités de frappe à terre, ainsi que de dispositifs de reconnaissance et de communication. Simultanément, apparaît la nécessité, dans toute l'Europe, de développer de nouvelles capacités de lutte contre la menace proliférante des sous-marins diesels, la majeure partie des moyens actuellement en service répondant plus à une menace sous-marine hauturière qu'aux situations littorales liées aux opérations vers la terre. D'autres exigences se font jour, comme la nécessité d'une furtivité accrue face à une menace mieux équipée en moyens offensifs, incluant des radars, des missiles anti-navires et des torpilles. De plus, nombre de marines européennes sont concernées par la professionnalisation des forces armées, qui se traduit par un accroissement des coûts de personnels ; aussi apparaît-il important de chercher à réduire la taille de l'équipage, tout en préservant la capacité opérationnelle du navire. Le besoin de développement de bâtiments nouveaux est donc réel, ce qui peut, associé à une volonté politique et industrielle forte, donner lieu à des programmes communs à plusieurs Etats ; de surcroît, ces programmes doivent permettre de réaliser des navires moins chers, du fait d'économies de développement et de réalisation, ce facteur n'étant pas négligeable dans un contexte budgétaire contraint. Deux programmes menés en coopération de façon plus ou moins étroite ont déjà été engagés pour les navires à vocation de défense de théâtre ou de zone ; pour les navires anti-sous-marins et d'action vers la terre, un projet commun à la France et l'Italie devrait être lancé. Parallèlement, des programmes conjoints de systèmes d'armes et de sous-marins ont également été mis en oeuvre. De fait, des coopérations importantes sont en cours de réalisation, marquant une rupture par rapport à la période précédente. B. LA MISE EN OEUVRE DE PARTENARIATS SIGNIFICATIFS 1. Plusieurs programmes importants menés en coopération a) Dans le domaine des frégates La première tentative de coopération en matière de bâtiments de surface s'était soldée par un échec retentissant ; en 1979, avait été lancé un vaste projet de développement d'une frégate standard de l'OTAN, baptisé NATO Frigate Replacement for the Nineties, dans lequel s'étaient engagées presque toutes les flottes de l'OTAN : les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas. Ce projet s'est finalement effondré en 1989, notamment en raison des difficultés à parvenir à un accord sur la définition d'un bâtiment commun. Cependant, l'existence de besoins objectifs, mais aussi les contraintes résultant de la baisse des budgets de défense, ont conduit les pays européens à examiner les possibilités de coopération en matière de frégates à vocation anti-aérienne. Ces réflexions ont finalement abouti à deux programmes européens, conduits selon des modalités différentes, l'un unissant la France et l'Italie, l'autre regroupant l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne ; seul le Royaume-Uni a développé un programme national. ● Le programme de frégates Horizon Le programme Horizon constituait un pari particulièrement ambitieux ; il devait initialement inclure la France, le Royaume-Uni et l'Italie et avait pour objectif de doter leurs flottes, au patrimoine maritime différent, d'un même bâtiment. Un accord général de coopération avait été signé en juillet 1994 par les ministres de la défense de ces trois pays. Toutefois, à l'issue de longues négociations, le Royaume-Uni a décidé de se retirer de ce programme en 1999, arguant des difficultés rencontrées dans la définition des spécifications communes. Il a ensuite développé son propre programme de destroyers T 45, famille de bâtiments issue de la phase de définition Horizon. La France et l'Italie ont cependant décidé de poursuivre ensemble la coopération engagée ; grâce aux efforts et concessions consentis de part et d'autre par les autorités étatiques et les industriels, les deux pays sont parvenus à trouver un accord et la réalisation de quatre frégates, d'un déplacement de 6 700 tonnes, dont deux pour la marine française et deux pour la marine italienne, a été décidée en octobre 2000. Au total, la mise en œuvre de ce programme a été pour le moins laborieuse : l'objectif commun d'état-major franco-britannique remontant à mars 1991, la phase de faisabilité et de définition a duré plus de neuf années ; le programme initial prévoyait la construction d'une vingtaine de navires, mais seuls quatre bâtiments ont été finalement commandés (42), puisque le Royaume-Uni devait à lui seul en acquérir une douzaine. Pour autant, cette coopération, qui associe les industriels des deux pays impliqués, c'est-à-dire DCN et Thales côté français, Fincantieri et Finmeccanica côté italien, au sein d'un joint venture baptisé Horizon SAS (43), se déroule désormais selon le calendrier prévu (44) et, de l'avis général des personnes auditionnées par le rapporteur, dans de bonnes conditions. Cependant, si l'on pouvait attendre d'un tel partenariat des économies de développement et de construction, les navires produits s'avèrent relativement chers, le coût de réalisation des deux frégates françaises étant estimé à 1,9 milliard d'euros (2,6 milliards d'euros en incluant le système d'armes). ● Le programme réunissant l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne La coopération engagée par l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne sur le programme TFC (Trilateral Frigate Cooperation) de frégates à vocation anti-aérienne s'avère beaucoup moins étroite que celle mise en œuvre par la France et l'Italie. Dès l'origine de ce programme, les trois pays décidèrent qu'il ne s'agissait pas de construire des navires communs, mais d'obtenir le meilleur rapport coût-efficacité à l'achat. Chaque pays était donc libre de choisir ses propres solutions, en construisant ses frégates à partir de conceptions homogènes, mais néanmoins indépendantes. Il a également été conclu que les achats de matériels communs auraient lieu de façon concertée, afin d'obtenir de meilleurs prix. In fine, cette coopération trilatérale s'est limitée à la plate-forme du navire, ne couvrant pas les systèmes qui y étaient installés. L'accord-cadre relatif à la phase de définition a été signé entre les trois pays en janvier 1994. Cette phase s'est déroulée de manière indépendante pour chacun, tout en étant jalonnée de réunions périodiques, au cours desquelles les partenaires se sont efforcés de trouver des solutions conjointes et ont procédé à des échanges d'informations. Le programme TFC a finalement conduit à la réalisation de trois frégates distinctes, dont le déplacement est similaire, atteignant environ 6 000 tonnes : - trois frégates F 124 pour l'Allemagne, construites par Blohm and Voss, HDW et Nordseewerke ; - quatre frégates LCF pour les Pays-Bas, réalisées par Royal Schelde ; - quatre frégates F 100 pour l'Espagne, produites par Izar. b) Dans le domaine des sous-marins Si les programmes de sous-marins nucléaires restent par définition nationaux, le segment des sous-marins conventionnels offre quant à lui des opportunités de coopération. Forts des liens déjà noués sur les programmes français Daphné et Agosta au cours des décennies précédentes, DCN et Izar se sont alliés pour développer le sous-marin conventionnel de nouvelle génération Scorpène ; si leur coopération n'est pas été exempte de difficultés, notamment du fait d'un certain manque d'expérience d'Izar, elle a permis de remporter deux succès importants à l'exportation. L'allemand HDW et l'italien Fincantieri ont également engagé un partenariat sur ce segment, mais sous une forme très différente, le second construisant sous licence deux sous-marins U-212A développés par le premier, ainsi que cela a été mentionné plus haut ; il ne s'agit donc pas du lancement commun d'un produit. Toutefois, cette alliance a été complétée par la signature, en 2002, d'un accord portant création d'un joint-venture spécialisé dans le développement et la commercialisation de sous-marins inférieurs à 700 tonnes. L'accord prévoyait en outre que Fincantieri deviendrait le partenaire privilégié de HDW, en cas de surcharge chez ce dernier, pour la réalisation de commandes de sous-marins de plus de 1 000 tonnes. Enfin, un programme baptisé Viking avait été lancé par la Suède, le Danemark et la Norvège en 1994, afin d'équiper leurs marines respectives d'un sous-marin commun correspondant à leurs besoins opérationnels. Le projet initial prévoyait la construction de dix unités, dont quatre pour le Danemark, deux pour la Suède et quatre pour la Norvège. Toutefois, ce dernier pays a annoncé en 2002 son retrait du projet en raison de difficultés budgétaires, tout en souhaitant garder un statut d'observateur, à l'instar de la Finlande ; le programme se poursuit cependant, sur la base de la construction de six sous-marins, la seconde phase de définition du projet, confiée à Kockums, ayant été lancée en novembre 2003. c) Dans le domaine des systèmes d'armes Un premier programme en coopération a été lancé entre la France et l'Italie en 1991 en matière de torpilles légères, en s'appuyant sur les travaux nationaux déjà conduits dans les deux pays ; ce programme, dénommé MU 90, réunit WASS, filiale de Finmeccanica, DCN et Thales au sein d'un GEIE (groupement européen d'intérêt économique). Cette torpille doit équiper les frégates Horizon ainsi que les frégates allemandes F 124. Le programme rencontre toutefois des difficultés techniques récurrentes, qui ont conduit, en mars 2003, à la suspension des tirs d'essai à la mer et à un décalage des livraisons. Parallèlement, WASS et DCN négocient le principe d'une coopération pour les torpilles lourdes (munition stratégique pour les sous-marins). Un autre programme, de plus grande ampleur, a également été lancé en matière de système d'armes. Lorsque le Royaume-Uni a décidé de se retirer du projet Horizon, il a souhaité maintenir sa participation au système d'armes qui y était associé, dénommé PAAMS (principal anti-air military system) ; c'était en effet cette partie du programme qui l'intéressait au premier chef, davantage qu'une coopération sur les plateformes propulsées. Ce système est directement dérivé du projet franco-italien de système d'autodéfense et de défense de zone SAMP/N du programme franco-italien FSAF (45)(famille sol-air futur). Il est finalement destiné à équiper les frégates Horizon et les destroyers T 45 (46). Le programme a été engagé en août 1999 par la France, l'Italie et le Royaume-Uni, un deuxième contrat ayant été notifié en avril 2003. Il est conduit par Europaams, un joint-venture détenu à hauteur de deux tiers par Eurosam (réunissant MBDA et Thales) et un tiers par la filiale UKAMS de MBDA/UK. Toutefois, au sein de ce programme commun, les trois pays n'ont pas retenu le même radar, la France et l'Italie ayant choisi le radar Empar issu du programme FSAF et réalisé par AMS, tandis que le Royaume-Uni développe son propre radar de conduite de tir, le Sampson, fourni par BAe Systems. Enfin, si le programme TFC a pour l'essentiel concerné la plateforme, les frégates allemandes F 124 et néerlandaises LCF ont été équipées du système de radar APAR, développé par Thales Nederlands au sein d'une coopération entre les Pays-Bas, l'Allemagne et le Canada. 2. Deux projets d'envergure actuellement envisagés a) Le lancement prochain d'un programme de frégates multimissions La France et l'Italie ont toutes deux exprimé le besoin de frégates à vocation anti-sous-marine et d'action vers la terre. La marine française doit remplacer sa flotte vieillissante de frégates F 67 et F 70 ainsi que d'avisos 69, alors que la marine italienne souhaite renouveler ses bâtiments Lupo et Maestrale. Les deux pays ont alors envisagé de conduire en coopération un programme de frégates européennes multimissions (FREMM), permettant de donner une réponse commune à leurs besoins opérationnels respectifs, en partageant les coûts. En novembre 2002, les ministres de la défense français et italien ont signé une déclaration conjointe officialisant une telle coopération ; un mois plus tard, un contrat de définition a été notifié. Un tel programme s'avérerait particulièrement structurant pour les marines, mais aussi pour les industriels, puisqu'il prévoit la réalisation de vingt-sept frégates, dont dix-sept pour la France et dix pour l'Italie. Son ampleur, inégalée jusqu'alors dans le secteur naval européen, permettrait de bénéficier d'un véritable effet de série. Des négociations se sont déroulées entre, d'une part les états-majors, d'autre part les industriels, afin d'aboutir à des spécifications communes. Sont en effet apparues plusieurs divergences sur le format et de l'équipement des bâtiments ; la France souhaitait acquérir des bâtiments nombreux, mais d'un coût peu élevé, tandis que l'Italie entendait disposer de navires mieux équipés. La plupart des difficultés ont été surmontées, un accord ayant été obtenu sur la plateforme, avec le choix d'un mode de propulsion par turbine ; les discussions se poursuivent sur le système de combat. Le programme devrait être engagé à l'automne prochain, à l'occasion du salon Euronaval. Si ce calendrier est effectivement respecté, la période préparatoire au lancement des FREMM s'avérera relativement brève au regard des autres programmes en coopération menés jusque-là, ces derniers ayant été généralement marqués par de longues discussions et l'accumulation de retards. Cette promptitude s'explique principalement par l'expérience acquise et les liens noués par la France et l'Italie avec le programme Horizon. b) Vers une coopération franco-britannique sur les programmes de porte-avions ? C'est la Strategic Defense Review adoptée en 1998 par le Royaume-Uni qui a prévu l'acquisition de deux porte-avions, destinés à remplacer les trois porte-aéronefs de la classe Invincible en service. Ce projet, baptisé CVF, prévoit la livraison du premier exemplaire en 2012 et du second en 2015. La France a quant à elle décidé d'engager la construction d'un deuxième porte-avions lors de l'adoption de la loi de programmation militaire pour 2003-2008, afin d'assurer la permanence du groupe aéronaval à la mer, le niveau de disponibilité du porte-avions Charles-de-Gaulle n'étant que d'environ 60 % compte tenu de la nécessaire mise en œuvre des opérations d'entretien. L'objectif d'admission au service actif a été fixé en 2014, date à laquelle doit intervenir la seconde indisponibilité pour entretien et réparation (IPER) du Charles-de-Gaulle. Les concepts d'emploi des deux programmes diffèrent pour partie : les bâtiments britanniques sont destinés à recevoir, dans un premier temps, des F 35 à décollage court et atterrissage vertical (47), alors que le second porte-avions français comportera des catapultes et des brins d'arrêt. Pour autant, il existe une véritable convergence des calendriers et des projets industriels. Le lancement d'un partenariat franco-britannique apparaît dès lors particulièrement opportun, d'autant plus que le choix de doter le second porte-avions français d'une propulsion classique, arrêté en février 2004, ouvre davantage de perspectives à un tel projet. Cette coopération pourrait être favorisée par le fait que le groupe français Thales, qui sera l'un des protagonistes du programme français, participe également, via sa filiale au Royaume-Uni, au programme britannique : le ministère de la défense du Royaume-Uni a décidé de confier la maîtrise d'œuvre du projet à BAe Systems, tout en en attribuant à Thales le tiers de la charge de travail et en retenant le design que celui-ci avait présenté. Si les modalités de maîtrise d'œuvre devaient évoluer, ainsi que cela a été évoqué plus haut, cela ne devrait pas remettre en cause la position de Thales. A ce jour, le projet britannique n'est pas encore achevé - le tonnage initialement envisagé de 65 000 tonnes devrait notamment être revu à la baisse compte tenu des contraintes de coût -, tandis que la DGA travaille sur les spécifications du futur porte-avions français, avec pour objectif de passer un contrat de développement et de réalisation en 2006. Il est donc nécessaire, dans un premier temps, d'identifier les domaines qui peuvent faire l'objet d'une coopération, en adoptant une approche pragmatique. Tel est l'objet des discussions franco-britanniques en cours, qui devraient aboutir à de premières conclusions d'ici la fin de 2004. 3. Une incidence limitée sur l'industrie européenne La mise en œuvre des différents programmes en coopération a conduit à tisser de multiples liens entre la plupart des acteurs navals européens. Plusieurs partenariats ont par ailleurs été conclus hors du cadre de tels programmes, comme l'accord intervenu entre HDW et Izar en 2002 dans le domaine des petits sous-marins (48) ou celui entre DCN et Rolls Royce pour la production des turbines WR 21. Le schéma ci-dessous illustre le réseau complexe des principales alliances déjà instaurées au sein du secteur naval européen. Ces coopérations, réalisées selon des modalités différentes, ont permis aux différents groupes de mieux se connaître et de partager leur expérience et leur savoir-faire. Pour autant, elles n'ont pas abouti à de véritables rapprochements structurels. Tel est le cas pour les partenariats établis sur des bases très souples, tels que le programme TFC (Trilateral Frigate Cooperation). Les conceptions retenues pour les plateformes des frégates étaient très proches, mais cela n'a pas entraîné de collaboration étroite entre les différents groupes navals - Royal Schelde, ThyssenKrupp, HDW et Izar - qui les construisaient. D'autres coopérations s'avèrent plus approfondies ; ainsi, pour le programme Horizon, le développement de la majeure partie de la plateforme propulsée a été mené en commun par DCN et Fincantieri, les deux groupes assurant ensuite de manière indépendante la construction des frégates destinées aux deux marines, à partir du même dossier de définition. La réalisation du système de combat a également donné lieu à un partenariat poussé, avec la création d'un joint venture spécifique, Eurosynav, réunissant Thales, Finmeccanica et DCN (49). De même, dans le cadre du développement du sous-marin Scorpène, DCN et Izar ont été amenés à collaborer étroitement (50). Toutefois, pour les frégates Horizon, l'organisation adoptée aurait pu être améliorée par une plus grande intégration industrielle des groupes impliqués ; le même constat s'applique au programme Scorpène, pour lequel Izar et DCN réalisent chacun de leur côté des moitiés de sous-marins, qui sont ensuite réunies chez l'un ou l'autre. En tout état de cause, le programme Horizon n'a pas conduit à une alliance plus structurelle entre les constructeurs Fincantieri et DCN, alors que la coopération entre Izar et DCN apparaît aujourd'hui fragile, avec la perspective d'un accord entre Izar et Lockheed Martin sur le prochain programme de sous-marin S 80 destiné à la marine espagnole. Toutefois, s'agissant du partenariat franco-italien, le lancement du programme de frégates multimissions pourrait jouer un rôle plus décisif, de par son ampleur, en confortant durablement le partenariat entre DCN, Fincantieri, Thales et Finmeccanica. La coopération engagée entre HDW et Fincantieri dans le domaine des sous-marins se limite à une fabrication sous licence d'U 212A et les incidences concrètes de l'accord supplémentaire conclu en 2002 sont difficiles à apprécier à ce jour. Enfin, les modalités de réalisation du programme britannique de porte-avions se traduisent de facto par un rapprochement de BAe Systems et de Thales, tandis qu'une éventuelle coopération franco-britannique sur ce programme pourrait renforcer leurs liens, en incluant DCN - lequel, ayant réalisé le Charles-de-Gaulle, dispose d'une expérience indéniable - et permettre de tourner la page de l'échec du programme Horizon. Pour autant, au regard du tropisme américain de BAe Systems, il est difficile de savoir si le partenariat entre ce dernier et Thales, voire DCN, débouchera sur davantage qu'une alliance de circonstances. Somme toute, la conduite des programmes en coopération engagés n'a pas permis de structurer véritablement l'industrie européenne, encore moins de réaliser des fusions. Au-delà des avantages opérationnels et politiques retirés de ces coopérations, le bilan industriel n'est pas pour autant négatif, puisque ces partenariats ont conduit à rapprocher nombre de groupes européens, à des degrés divers. Reste que la consolidation du secteur naval européen repose finalement sur le volontarisme des industriels et des Etats eux-mêmes, lequel constitue le meilleur levier pour engager des mouvements plus décisifs. III. - UNE INDUSTRIE NAVALE MONDIALE EN PLEINE MUTATION A. L'INFLUENCE CROISSANTE EXERCÉE PAR LES ETATS-UNIS SUR LE SECTEUR NAVAL EUROPÉEN L'industrie américaine est, on l'a vu, traditionnellement peu présente sur le marché mondial de la construction navale militaire, à la différence des autres secteurs de l'armement, où ses entreprises sont très actives, tant par la vente de leurs matériels que par l'acquisition de groupes étrangers, singulièrement européens. Toutefois, au regard de plusieurs événements récents, se profile le risque d'une remise en cause de cette singularité navale : le rachat de l'allemand HDW par un fonds d'investissement américain, qui a toutefois abouti in fine au désengagement partiel de ce dernier au profit de l'allemand ThyssenKrupp, a semblé montrer la volonté américaine de prendre pied sur le marché naval européen, tandis que l'alliance nouée entre l'espagnol Izar et l'américain Lockheed Martin s'inscrit dans cette même logique. Enfin, le lancement d'un nouveau programme américain pourrait fédérer plusieurs groupes européens autour de lui. 1. Le rachat d'HDW par un fonds d'investissement américain, se soldant toutefois par une fusion allemande a) Une acquisition réalisée en 2002 En 2002, le fonds d'investissement One Equity Parner (OEP), filiale de la banque américaine Bank One, a acquis auprès de Babcock Borsig, Preussag et Bayern Finanz l'intégralité du capital du chantier allemand HDW. Le montant total de cette transaction n'a pas été dévoilé, mais selon les informations divulguées par la presse, il pourrait s'établir à 800 millions d'euros, dont 500 millions d'euros de reprises de dettes (51). Ce projet d'acquisition a été autorisé par la Commission européenne en mai 2002, celle-ci soulignant dans ses conclusions l'absence d'effets anticoncurrentiels, puisque ni Bank One ni ses filiales n'étaient présentes dans les secteurs d'activité d'HDW dans l'Union européenne. Elle précisait également que « l'examen approfondi du projet n'a pas non plus fait apparaître de lien entre Bank One et un groupe de défense américain pour l'acquisition de HDW ni indiqué que d'autres entreprises étaient associées au financement de l'acquisition ». Toutefois, beaucoup d'analystes ont fait le rapprochement entre cette opération et l'engagement des Etats-Unis en 2001 de procurer à Taiwan huit sous-marins conventionnels, alors même que l'industrie américaine, ayant abandonné la production de tels sous-marins depuis les années 1950, n'est pas en mesure d'en construire. Il semble qu'OEP ait accepté de payer un prix élevé pour acquérir HDW, en pariant sur la vente par les Etats-Unis de sous-marins à Taiwan et, partant, sur une revente d'HDW à un groupe américain, tel que Northrop Grumann. De fait, ce dernier aurait proposé de participer au capital d'HDW à hauteur de 70 % (52). Cependant, cette stratégie a tourné court lorsque l'Etat allemand a laissé entendre qu'il s'opposerait à la vente de sous-marins à Taiwan - cette position pouvant s'expliquer par les intérêts économiques et industriels considérables de plusieurs groupes allemands en Chine. OEP a alors adopté un positionnement évolutif : dans un premier temps, à l'été 2003, il a affiché sa volonté de se désengager d'HDW ; puis, faute d'une offre de rachat satisfaisante, il a décidé de rester présent dans le capital d'HDW et de valoriser son actif, en injectant 400 millions d'euros dans l'entreprise, en octobre 2003, pour l'aider à surmonter un manque de liquidités financières. b) Les importants enjeux de la prise de contrôle de l'un des fleurons du secteur naval européen Le rachat d'HDW a suscité de vives controverses outre-Rhin ; le groupe est considéré comme un des joyaux technologiques et commerciaux de l'industrie allemande, du fait de sa position de leader sur le segment des sous-marins conventionnels. La possible prise de contrôle d'HDW par Northrop Grumman, qui a donné lieu à des discussions poussées entre les deux entreprises, laissait poindre une stratégie américaine de conquête des technologies et des marchés de défense européens. Par cette opération, Northrop Grumman aurait pu être en mesure de commercialiser à partir des Etats-Unis des sous-marins conventionnels, notamment à l'exportation, à partir des techniques de pointe développées par HDW ; il aurait mis la main sur la technologie Stealth des corvettes Visby développées par Kockums, alors même qu'il avait conclu en octobre 2002 un accord avec celui-ci, afin de développer des navires destinés aux coast-guards dans le cadre du programme Deepwater. Cette acquisition a entraîné un large débat national et une véritable prise de conscience de la vulnérabilité des entreprises de défense allemandes à des prises de participation étrangères, en l'absence de toutes dispositions restrictives ; elle a ainsi amené le Gouvernement à présenter un projet de loi visant à instaurer une autorisation obligatoire pour toute transaction permettant à un groupe étranger de contrôler plus de 25 % du capital d'un groupe allemand ayant des activités militaires (53). Le rachat d'HDW a également mis en lumière la nécessité de consolider l'industrie navale européenne, trop dispersée et, par conséquent, fragile. Lorsqu'OEP a manifesté la volonté de se séparer du chantier allemand, à l'été 2003, ThyssenKrupp, partenaire de longue date d'HDW, s'est mis sur les rangs pour entrer dans le capital de celui-ci, tandis que les français Thales et DCN ont également manifesté leur intérêt. Des négociations ont alors été engagées entre ces trois protagonistes européens, lesquels avaient pour objectif de mettre en oeuvre un rapprochement naval franco-allemand, et OEP. Dans le même temps, Northrop Grumman semblait prêt à proposer une offre de rachat. Ce dossier économique a alors pris une résonance politique, le chancelier Gerhard Schröder marquant sa préférence pour une solution allemande ou européenne, au détriment d'un rachat par un groupe américain. Si le brusque revirement d'OEP, décidant de conserver finalement la majorité du capital d'HDW, a mis fin aux discussions avec Thyssen, Thales et DCN, ce dossier n'en a pas moins été l'occasion d'engager une véritable réflexion sur les perspectives de rapprochement des industries navales française et allemande et au-delà, européennes. c) Une issue favorable à la consolidation de l'industrie allemande L'acquisition effectuée par OEP en 2002 s'est soldée par la cession d'HDW au chantier Thyssen, ce qui permet de ramener le premier dans le giron national, tout en réalisant une véritable consolidation de l'industrie allemande. A partir de décembre 2003, OEP et ThyssenKrupp ont repris des négociations, afin de définir les conditions d'une éventuelle acquisition d'HDW par ThyssenKrupp, et sont parvenus à un accord le 16 mai 2004, formalisé par la signature d'une déclaration d'intention : celle-ci prévoit le rachat de l'intégralité du capital d'HDW par ThyssenKrupp, les deux groupes allemands fusionnant leurs chantiers respectifs, tandis qu'OEP recevra 25 % de la future société commune ainsi créée, ainsi que 240 millions d'euros.Le rachat de Bank One, propriétaire d'OEP, par le fonds JP Morgan Chase, au dernier trimestre 2003, n'est peut-être pas étranger à cette opération, JP Morgan Chase ayant semblé soucieux d'identifier les sources de pertes potentielles et de s'en séparer, le cas échéant. Cette fusion constitue l'aboutissement d'une coopération bien établie entre les chantiers Blohm and Voss, Nordseewerke et HDW, illustrée par la création des consortia GFC et GFS en 1989. Elle répond également aux vœux des responsables politiques nationaux, qui, dès 2000, prônaient un rapprochement des groupes navals allemands, le chancelier Gerhard Schröder ayant nommé dans ce but le Dr Axel Gerlach (54) coordonnateur fédéral de l'industrie navale nationale. Toutefois, à cette époque, l'intensification du partenariat entre HDW et ThyssenKrupp s'était heurtée à des dissensions entre les deux groupes, le premier ayant racheté le suédois Kockums à l'insu du second. Une période plus favorable s'est ouverte ensuite et les deux groupes allemands ont conclu en décembre 2002 deux accords, afin de renforcer leur coopération. La concrétisation du rapprochement de ces deux entreprises va désormais permettre de relancer ce processus sur de nouvelles bases ; il pourrait constituer le prélude à un regroupement franco-allemand, même s'il convient de garder à l'esprit la présence d'OEP à hauteur de 25 % dans le capital de la nouvelle société. 2. La constitution d'une alliance étroite entre Izar et Lockheed Martin La proximité hispano-américaine dans le domaine naval ne constitue pas un phénomène nouveau, comme en témoigne l'achat par l'Espagne de six frégates américaines d'occasion de la classe Oliver Hazard Perry de 1986 à 1995. Toutefois, c'est à la fin des années 1990 que s'est noué un partenariat étroit entre Izar (alors Bazan) et Lockheed Martin, autour du programme espagnol de frégates anti-aériennes F 100. Ce projet était conduit au titre de la coopération TFC entre l'Espagne, l'Allemagne et les Pays-Bas ; il était initialement prévu qu'outre une collaboration sur les plateformes, un partenariat intervienne dans le domaine des systèmes d'armes, par la réalisation conjointe du radar APAR. Mais, en 1995, l'Espagne s'est ravisée, jugeant que le choix de l'APAR, lequel était alors encore en cours de développement, présentait trop de risques, et a opté pour le système américain de défense anti-aérienne Aegis développé par Lockheed Martin, déjà en service sur des bâtiments de l'US Navy. Les frégates espagnoles ont alors été les premiers bâtiments non américains équipés de ce système. Ce choix a ouvert la voie à une coopération particulièrement fructueuse entre Izar et Lockheed Martin : après le lancement du programme des quatre frégates F 100, les deux groupes ont fondé, avec le chantier américain Bath Iron Works (55), le consortium AFCON (Advanced Frigates Consortium), destiné à proposer à l'exportation des navires dérivés des F 100. Dans le cadre de cette alliance, un contrat auprès de la Norvège a été remporté en 2000, portant sur cinq frégates F 310, équipées, comme les F 100, du système américain Aegis. En outre, le consortium a décidé en 2002 de développer une nouvelle classe de corvette et a inclus dans sa gamme le destroyer américain DDG 51 ; dès lors, il est en mesure de proposer à l'exportation des bâtiments de taille très différente, de 2 600 à 9 200 tonnes, et devient un acteur incontournable sur le marché international des bâtiments de surface. AFCON est sur les rangs pour un contrat de deux corvettes destinées à la marine israélienne et s'était présenté sur le marché chilien pour la vente de frégates. Par ailleurs, le partenariat entre Izar et Lockheed Martin pourrait trouver un prolongement dans le domaine des sous-marins, avec le programme espagnol S 80. Izar coopère depuis longtemps avec DCN sur ce segment, avec notamment leur développement commun du Scorpène, mais il semble vouloir s'émanciper de cette alliance. S'il ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires pour développer et construire seul les S 80 (56) , et demande à DCN une assistance pour leur conception, il ne lui propose qu'une place réduite dans la réalisation de ce projet ; en octobre 2003, il a marqué sa préférence pour un partenariat avec Lockheed Martin à propos du développement du système de combat des S 80. La décision n'a pas encore été prise ; le changement de gouvernement intervenu en Espagne en mars 2004 pourrait changer la donne et favoriser la reprise des discussions entre DCN et Izar, tandis que le président exécutif de ce dernier, pro-américain notoire, a été remplacé en mai 2004. En tout état de cause, le choix de l'offre de Lockheed Martin risquerait de remettre en cause le partenariat franco-espagnol, d'autant plus qu'Izar pourrait développer une version export du S 80, qui entrerait alors directement en concurrence avec le Scorpène. Il serait ainsi possible qu'Izar, allié à Lockheed Martin, envisage de se positionner sur l'important marché des sous-marins taiwanais - qui devrait être très rémunérateur - l'accord du gouvernement espagnol pour une telle exportation n'étant toutefois nullement acquis. Le tropisme américain croissant d'Izar trouve son origine dans plusieurs facteurs. Sa coopération avec Lockheed Martin à propos des frégates F 100 fait figure de grande réussite en Espagne et lui a permis de concourir avec succès à la vente des frégates auprès de la Norvège, qui constitue de fait un succès historique pour Izar, jusqu'alors peu présent sur le marché à l'exportation des bâtiments de surface. Sa participation au consortium AFCON devrait lui permettre de renforcer ce positionnement international. Enfin, un éventuel partenariat avec Lockheed Martin sur les sous-marins S 80 lui permettrait de gagner une certaine indépendance par rapport à DCN, ce qu'il semble souhaiter. Au total, l'alliance étroite entre Izar et Lockheed Martin permet à ce dernier de pénétrer le marché naval européen, tout en lui fournissant un support pour exporter ses systèmes de combat. Cette influence américaine pourrait par ailleurs se renforcer à l'occasion de la privatisation d'Izar, qui, envisagée dès 2001 et régulièrement repoussée depuis, devrait toutefois intervenir dans les prochaines années ; si l'actionnaire d'Izar, la SEPI, souhaite que cette opération s'inscrive dans un cadre européen, il est à craindre qu'à défaut, la voie américaine, avec Lockheed Martin, ne s'impose. 3. Le développement du programme LCF, futur JSF du secteur naval ? Outre les velléités de groupes américains de prendre pied dans l'industrie navale européenne, via des alliances ou des acquisitions, les Etats-Unis ont décidé de lancer un vaste programme de navire de surface qui pourrait rallier des constructeurs européens et, incidemment, devenir un concurrent sérieux sur les marchés à l'exportation. Des travaux conduits au sein de l'US Navy ont mis en lumière, dès janvier 2001, ses faiblesses en matière de combat littoral, s'agissant notamment de la lutte anti-sous-marine et contre les mines, tandis que les attentats du 11 septembre 2001, montrant l'ampleur des menaces terroristes, ont accru l'importance du contrôle côtier. Afin de développer ses capacités dans ces domaines, l'US Navy s'est engagée en 2002 dans le développement d'un nouveau programme de bâtiment de surface de moyen tonnage baptisé Littoral Combat Ship (LCS) ; celui-ci est destiné à être un navire rapide et modulaire, en étant capable de réaliser diverses missions de combat dans des zones littorales. Le programme prévoit la commande de soixante unités, leur construction devant débuter en 2005 ; son coût total devrait s'établir entre 15 et 20 milliards de dollars et celui du navire armé oscillerait alors entre 250 et 400 millions d'euros. Après un premier cycle d'étude impliquant six consortia industriels, seuls trois d'entre eux, ceux emmenés par General Dynamics, Raytheon et Lockheed Martin, ont été retenus en juillet 2003 pour une deuxième phase ; puis, à la fin du mois de mai 2004, Lockheed Martin et General Dynamics se sont vu chacun attribuer un contrat de réalisation de deux navires, d'un montant de 423 millions de dollars pour le premier et de 536 millions de dollars pour le second. L'US Navy devrait choisir en 2007 une équipe unique pour construire les navires suivants. Les Etats-Unis ont entrepris des démarches d'internationalisation autour de ce projet et semblent vouloir reproduire dans le domaine naval le modèle du programme américain Joint Strike Fighter : cet avion de combat produit par Lockheed Martin, rebaptisé depuis F 35, avait réussi à rallier cinq pays européens - le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège -, lesquels participent aux travaux de développement à hauteur de plusieurs milliards de dollars ; ce choix s'est fait au détriment de l'industrie européenne, qui produit plusieurs modèles d'avions de combat, et a écarté la possibilité de futurs programmes européens communs. De même, les Etats-Unis cherchent à fédérer les industriels européens autour du programme LCS, qui, compte tenu de son ampleur, représente des perspectives d'activité attractives. L'US Navy a ainsi encouragé les différents consortia à conclure des coopérations internationales, afin d'incorporer des solutions technologiques déjà développées à l'étranger ; l'équipe conduite par Lockheed Martin intègre, à des degrés divers, Izar, Blohm and Voss et Fincantieri, tandis que celle de General Dynamics associe BAe Systems (57) ; en revanche, DCN ne s'est associé à aucun consortium. Les Etats-Unis semblent également s'efforcer de convaincre les pays européens de s'adjoindre au projet LCS, dont la taille est compatible avec celle des frégates destinées à leur marché, en faisant notamment valoir que l'acquisition de tels navires permettrait d'assurer l'interopérabilité des flottes américaine et européennes. Il est sans doute excessif d'assimiler le programme LCS à celui de JSF : les coûts de développement d'un navire sont bien moindres que ceux d'un tel aéronef et la mutualisation de ces coûts est moins importante en matière navale. Toutefois, on ne peut écarter le risque qu'un projet de l'envergure de LCS constitue un pivot de la consolidation de l'industrie navale européenne. Cela supposerait que l'US Navy réussisse à rallier des pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas - qui ont déjà montré leur intérêt - voire le Royaume-Uni (dans le cadre de son programme Future Surface Combattant). Si l'on ajoute la présence d'industriels européens dans les équipes retenues à l'issue de la compétition, on peut voir s'esquisser les contours d'un regroupement européen potentiel, excluant DCN, dont le programme LCS serait l'élément fédérateur. Cette perspective apparaît certes éloignée et ne constitue qu'une hypothèse parmi d'autres, compte tenu des mouvements importants en cours dans le secteur naval européen ; néanmoins, on ne peut l'ignorer. En outre, le programme LCS risque de capter une part non négligeable du marché à l'exportation des navires de surface. Son tonnage ainsi que son prix - qui bénéficierait de l'effet de série résultant de la production envisagée de soixante unités - seraient compatibles avec les demandes actuelles des marines mondiales, tandis que sa vitesse et sa modularité devraient constituer des atouts importants. Si l'on combine ces éléments à la force de persuasion des Etats-Unis, il pourrait devenir un concurrent majeur des constructeurs européens. B. LES INCIDENCES DES MODALITÉS ACTUELLES DES CONTRATS À L'EXPORTATION 1. Les évolutions des marchés à l'exportation Les conditions de passation de contrats à l'exportation connaissent des évolutions significatives, qui ne sont d'ailleurs pas propres à l'industrie navale et s'observent également pour les autres matériels de défense. En premier lieu, les pays importateurs manifestent de plus en plus leur volonté d'impliquer leur propre industrie dans la construction des bâtiments acquis : l'entreprise exportatrice ne réalise alors que le ou les premiers exemplaires et les autres sont produits, pour partie ou dans leur intégralité, dans le pays client - les équipements les plus sophistiqués étant toutefois généralement importés. Cette évolution est particulièrement perceptible sur le segment des bâtiments de surface, notamment pour la construction des coques propulsées. A titre d'exemple, sur les six frégates commandées à DCN par Singapour, seule la première a été construite à Lorient, les cinq autres unités étant réalisées par Singapour Technology Marine, dans le chantier de Benoi. Il en est de même pour les frégates et corvettes exportées par Blohm and Voss auprès de la Grèce, de la Malaisie ou de la Pologne. Cette tendance s'avère toutefois de moindre ampleur en matière de sous-marins, ces derniers étant des produits plus complexes, nécessitant des investissements spécifiques. Pour autant, lors de la vente par HDW de quatre sous-marins au Brésil, le premier a été réalisé en Allemagne et les trois suivants sur place, dans le chantier Arsenal de Marinha, tandis que sur les trois sous-marins Agosta 90B commandés à DCN par le Pakistan, le premier exemplaire a été construit à Cherbourg, les deuxième et troisième étant réalisés respectivement pour moitié puis dans leur quasi-intégralité à Karachi (58). Bien évidemment, une telle répartition de la charge de travail est conditionnée par l'existence d'une industrie navale dans le pays client et, sur certains contrats, les bâtiments sont toujours réalisés par le chantier exportateur. Corrélativement, les transferts de technologies vers les pays importateurs se banalisent, à tel point que la compétition se porte désormais de plus en plus sur le niveau de transfert consenti. Les clients, mieux formés dans les technologies navales, deviennent plus exigeants et recherchent l'acquisition d'un savoir-faire en matière de conception des bâtiments. Les compensations industrielles indirectes accordées dans le cadre des contrats à l'exportation, également appelées off-set, jouent un rôle croissant dans l'attribution des contrats, pouvant faire pencher la balance en faveur de l'entreprise qui propose le dossier le plus complet ; prenant la forme d'investissements dans le tissu économique du pays importateur, elles sont d'autant plus importantes que ce dernier n'est pas associé à la réalisation des navires et peuvent atteindre, dans certains cas, jusqu'à 150 % du montant du contrat. Enfin, le soutien apporté en matière de formation par les marines des pays exportateurs s'avère parfois décisif pour l'emporter. Ainsi, le choix du sous-marin Scorpène par la Malaisie a été largement favorisé par les garanties fournies par la marine française pour la formation des équipages malais. Un tel engagement n'est pas négligeable, puisqu'il s'est traduit par la réactivation en 2002 du sous-marin Ouessant, retiré du service en 2001, et par la mobilisation de personnels de la marine, auxquels des personnes de la société de services NAVFCO (société navale française de formation et de conseil) sont venues prêter main-forte. 2. Vers l'émergence de nouveaux acteurs internationaux ? Alors que les capacités de production des navires militaires augmentent sensiblement chez les pays acheteurs - certains d'entre eux, comme la Corée du Sud, ayant déjà une forte position dans le secteur civil -, les nouvelles modalités des contrats à l'exportation, conjuguant construction sur place et transferts de technologies, pourraient favoriser à terme l'apparition sur la scène internationale de nouveaux acteurs, qui deviendraient alors les concurrents des groupes européens pour les générations suivantes de navires. Un tel scénario est d'autant plus probable que les pays importateurs disposent déjà d'une industrie navale développée et qu'ils ont l'intention d'engager des programmes ambitieux pour leur marine - une telle volonté justifiant alors de réaliser des investissements importants. Ainsi, l'Inde, dont le chantier Mazagon Docks construit déjà des destroyers de la classe Delhi, le Brésil, Singapour et la Corée du Sud pourraient devenir à moyen terme des rivaux potentiels. En revanche, le risque apparaît moindre pour le Chili, qui a acquis des sous-marins, mais n'affiche pas des besoins très importants dans ce domaine, tandis que l'Arabie Saoudite, qui s'est dotée de trois frégates, ne détient pas d'industrie navale significative. Dans ce contexte, à long terme, les opportunités d'exportation devraient se concentrer sur les navires les plus complexes, que seuls seront en mesure de proposer les industriels disposant d'une longue expérience navale et consentant des investissements importants dans la recherche et le développement ; sur les navires plus simples, les perspectives à l'exportation risquent de s'amenuiser du fait de l'accroissement des capacités des pays clients et de l'augmentation du nombre de concurrents. La réalisation par le pays client de tout ou partie des bâtiments achetés conduit également à réduire la part de construction des groupes exportateurs, ces derniers se concentrant sur les activités de conception et de fourniture des systèmes d'armes. D'une part, ce phénomène tend à favoriser les groupes disposant de compétences de systémier et encourage le rapprochement des activités de construction et d'électronique. D'autre part, il n'est pas sans conséquence sur la structure des personnels des groupes exportateurs, la proportion des « cols bleus » ayant tendance à diminuer au profit des « cols blancs ». A titre d'exemple, au sein d'HDW, qui réalise une large part de son chiffre d'affaires à l'exportation, la part de « cols bleus » est passée d'environ 67 % à 45 % entre 1990 et 2003, contre 32 % et 55 % pour les « cols blancs ». On peut se demander si cette évolution ne risque pas de conduire à certaines pertes de compétences dans les entreprises européennes, notamment en matière de construction. Enfin, les pratiques de compensations indirectes influent sur la structure des industries exportatrices. Les acteurs navals ont besoin de disposer d'une puissance financière et industrielle suffisante pour opérer les montages de telles opérations. Tel est le cas pour l'industrie britannique, grâce à l'assise du groupe BAe Systems, mais aussi allemande, grâce à la pratique des consortia, et française, puisqu'au sein de l'alliance conclue entre DCN et Thales en matière d'exportation, ce dernier est en mesure de proposer des dossiers d'off-set très complets. TROISIÈME PARTIE : I. - CRÉER LES CONDITIONS D'UNE CONCURRENCE ÉQUITABLE DANS LE SECTEUR CIVIL Les activités de construction navale civile se caractérisent par leur forte exposition à la concurrence internationale, mais aussi par le recours de nombre de pays à des pratiques commerciales déloyales. Dans ce contexte, l'instauration de conditions de concurrence équitables au niveau mondial doit constituer une priorité, sans quoi la suppression des aides à la commande décidée par l'Union européenne ne conduira qu'à pénaliser ses chantiers navals par rapport à leurs compétiteurs. La Commission européenne a engagé des démarches en ce sens, en déposant en octobre 2002 une plainte contre la Corée du Sud devant l'OMC, tout en instaurant un mécanisme temporaire de défense pour les Etats membres. Cette procédure ne devrait pas faire l'objet d'une décision avant 2004, voire 2005 ; le groupe constitué à l'OMC, dont les travaux ont débuté en décembre 2003, ne devrait pas remettre son rapport avant août 2004 et, dans le cas où l'une des deux parties formerait un recours, l'organe d'appel de l'OMC rendrait sa décision finale en 2005. Le temps joue contre ceux qui respectent les règles internationales. Parallèlement, une initiative a également été lancée dans le cadre de l'OCDE. Si la première tentative s'est soldée par un échec en 1994, de nouvelles négociations ont été engagées en avril 2002 par le groupe de travail du conseil de l'OCDE sur la construction navale, afin de parvenir à un accord d'ici 2005 ; un groupe spécial de négociation a été créé, auquel participent des pays non membres de l'OCDE, comme la Chine et la Roumanie, qui possèdent des capacités importantes de construction navale. Un tel accord, pour être efficace, devrait réglementer les subventions publiques, les pratiques de dumping, mais aussi les conditions d'octroi d'aides à la restructuration, tout en instaurant un dispositif de sanction en cas de non-respect des obligations prévues. L'issue des travaux conduits au sein de l'OCDE et de l'OMC reste incertaine - lors de la troisième réunion du groupe spécial de négociation, en juillet 2003, la Corée du Sud s'est fortement opposée à l'inclusion d'un mécanisme sur les prix dans le nouvel accord - et, même s'ils aboutissent, leurs effets ne pourront être que limités, compte tenu des positions déjà acquises par les pays asiatiques. Toutefois, cette démarche internationale doit être conduite avec détermination par la Commission et les pays européens, car elle constitue le seul moyen d'influer sur les pratiques des autres Etats constructeurs. Tant que ces négociations ne permettent pas d'obtenir des résultats tangibles, il est nécessaire que le mécanisme temporaire de défense soit maintenu ; en effet, il ne s'agit pas d'un dispositif d'assistance, mais bien d'un instrument destiné à rétablir une certaine équité sur le marché naval international. De plus, ce mécanisme reste limité, aussi bien dans son montant, fixé à 6 % de la valeur contractuelle des navires, que s'agissant des catégories de navires concernés ; au regard de l'ampleur des aides dont bénéficient les chantiers asiatiques, estimées par nombre d'analystes à près de 15 %, il serait envisageable d'accroître le niveau du mécanisme de défense et d'étudier l'extension de son application à d'autres types de navires qui peuvent également être confrontés à une concurrence déloyale. Au sein même de l'Union européenne, il convient de veiller à ce que ne subsistent pas des distorsions de concurrence entre les différents chantiers. D'une part, la Commission européenne doit contrôler avec vigilance la compatibilité des politiques d'aides des différents Etats membres, lesquelles peuvent prendre des formes multiples, avec les dispositions communautaires en vigueur, afin que tous les chantiers se trouvent sur un pied d'égalité. Cet impératif doit également s'appliquer à la Pologne qui, entrée dans l'Union le 1er mai 2004, dispose de la deuxième industrie navale européenne (59). Il est nécessaire que la Commission prête une attention particulière aux groupes navals ayant des activités civiles et militaires, afin que les secondes ne soient pas utilisées pour soutenir les premières par le recours aux stipulations de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne. D'autre part, la politique de sous-traitance des chantiers européens devrait être plus transparente ; il serait souhaitable que, lorsqu'un appel d'offres est lancé, les chantiers candidats précisent les modalités de réalisation des bâtiments qu'ils proposent, en mentionnant s'ils prévoient de recourir à la sous-traitance, afin que les donneurs d'ordre puissent prendre en compte ces éléments lors de leur choix. II. - AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DE L'INDUSTRIE EUROPÉENNE En janvier 2003, les constructeurs européens et la Commission ont lancé une initiative, baptisée Leadership 2015, visant à assurer le développement et la compétitivité de l'industrie navale européenne. Le groupe de travail créé dans ce cadre a rendu son rapport en octobre 2003 et présenté des recommandations particulièrement intéressantes. En s'appuyant sur ces travaux ainsi que sur les éléments recueillis auprès des principaux acteurs navals lors des différentes auditions menées par le rapporteur, deux priorités peuvent être dégagées. A. PROMOUVOIR L'INVESTISSEMENT DANS LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT Les constructeurs navals européens, ne pouvant miser sur des coûts de production peu élevés, se sont largement concentrés sur les navires spécialisés de haute technologie, à forte valeur ajoutée. Dès lors, les activités de recherche et de développement (R& D) revêtent une importance cruciale pour le maintien de leur compétitivité et de leur activité. Les travaux de R& D présentent des caractères spécifiques dans le secteur naval : si, pour la plupart des autres industries, ils sont pour l'essentiel réalisés avant le lancement d'une production en série, les navires spécialisés constituent en quelque sorte des prototypes, en ce qu'ils doivent s'adapter aux demandes spécifiques du client, et les études de R& D nécessaires sont intégrées dans le processus de conception et de production lui-même, ce qui implique une prise de risque plus importante pour les constructeurs. Dès lors, les dispositions applicables à la R& D dans les autres secteurs économiques ne sont pas transposables telles quelles, mais doivent être adaptées, en prenant en compte les coûts associés aux prototypes et en encourageant l'adoption de solutions techniques innovantes. Le règlement adopté en 1998, qui, parallèlement à la disparition des aides à la commande, étendait à la construction navale les dispositifs de soutien accessibles aux autres industries en matière de R& D, n'a pas permis d'obtenir des résultats satisfaisants, ainsi que la Commission européenne l'a reconnu. Le nouveau règlement de novembre 2003 tire les enseignements de ces difficultés, en rendant moins restrictifs les critères d'éligibilité des dépenses pouvant bénéficier d'une aide à l'innovation. Les premiers dossiers étant en cours d'instruction, il est difficile, à ce stade, d'apprécier les conséquences de cette évolution pour les différents chantiers, mais il semble que, selon les premières estimations, les aides à l'innovation ne puissent excéder 1 % à 1,5 % du chiffre d'affaires d'un chantier innovant tel que les Chantiers de l'Atlantique, ce qui reste modeste. Il conviendra donc de dresser un premier bilan de ce nouveau règlement, et, le cas échéant, de le modifier si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Parallèlement, les travaux européens communs en matière de R& D doivent être encouragés. Dans le cadre du projet Intership, s'inscrivant lui-même dans le sixième PCRD (programme cadre pour la recherche et développement) de la Commission européenne, un programme de recherche a été lancé en mars 2004 par sept chantiers navals européens, pour un montant de 38 millions d'euros (60), afin d'améliorer les méthodes et outils de conception et de construction de navires prototypes complexes. Une telle initiative, permettant de réunir des chantiers européens concurrents sur un projet commun, apparaît particulièrement constructive. Enfin, les liens entre les chantiers navals et les universités et chercheurs pourraient être renforcés, afin de favoriser les échanges en matière de R& D, par exemple en matière de conception assistée par ordinateur. B. DÉVELOPPER UN RÉGIME DE FINANCEMENT ET DE GARANTIE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE Les activités de construction navale sont soumises à des contraintes de financement spécifiques, compte tenu de l'ampleur des engagements demandés par les acheteurs de navires, particulièrement avant la livraison. La plupart des clients exigent notamment des garanties bancaires pour toute avance versée durant la construction du navire, accroissant encore le montant nécessaire pour financer l'ensemble du projet, alors que nombre de banques commerciales se montrent frileuses à l'égard de la construction navale, laquelle est considérée comme un secteur de projet et reste fragile. Les groupes navals rencontrent ainsi des difficultés croissantes dans les montages de financement des navires, lesquelles entravent leur compétitivité. La plupart des pays possédant une industrie navale développée proposent des instruments de soutien au financement, mais ceux-ci s'avèrent divers : si la banque coréenne KEXIM offre des solutions financières complètes, couvrant les prêts et garanties nécessaires jusqu'à hauteur de 90 %, seuls certains Etats européens disposent de dispositifs spécialisés dans ce domaine ; l'Allemagne a notamment mis en place un régime de garantie spécifique, à la différence de la France. Des organismes de financement et de crédit internationaux, tels que la COFACE (Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur) en France, peuvent fournir des prêts pour les contrats à l'exportation, mais essentiellement pour les pays présentant des risques politiques ou économiques, alors que la majorité des acheteurs de navires ne provient pas de tels pays. Il apparaît nécessaire de développer des instruments adaptés, afin de soutenir le financement des navires pendant la phase précédant leur livraison, dans tous les pays européens, et notamment en France. Dans cette perspective, il conviendrait d'explorer la possibilité de créer un fonds de garantie à l'échelle de l'Union européenne. Un tel fonds pourrait être géré, par exemple, par la Banque européenne d'investissement (BEI). III. - AU NIVEAU NATIONAL, ADOPTER UNE VÉRITABLE STRATÉGIE NAVALE INTERMINISTÉRIELLE L'Etat constitue un client important de l'industrie navale française, par le biais de ses commandes de navires destinés à la direction des affaires maritimes, à la direction des douanes, à la gendarmerie maritime et, évidemment, à la marine nationale. Or, si, dans tous les Etats européens disposant d'une industrie navale, il apparaît que les commandes des pouvoirs publics sont attribuées aux chantiers nationaux, la France a confié à plusieurs reprises la construction de ses navires publics à des acteurs étrangers. La France souffre à Bruxelles d'une image de pays peu respectueux des règles communautaires, mais c'est sans doute un des pays européens qui a les pratiques les plus transparentes en matière d'appel d'offres et de concurrence, finalement au détriment de sa propre industrie. C'est ainsi que la construction de deux remorqueurs de haute mer destinés à la marine nationale a été confiée en 2003, via le groupe armateur Bourbon, à un chantier norvégien, alors que l'Espagne a commandé en février 2004 deux remorqueurs à un chantier national, Armon, sans qu'aucun appel d'offres ne soit publié au Journal Officiel des Communautés Européennes. La plateforme du navire de renseignement militaire français MINREM commandé en 2001 a été construite par un chantier néerlandais, tandis que le conseil général de Gironde a commandé en 1999 un navire à passagers au chantier espagnol Zamacona (61). Pour chacun de ces contrats, les chantiers navals français disposaient des compétences nécessaires pour construire les navires requis. Il ne s'agit pas de prôner le non-respect des règles communautaires d'appel d'offres, qui s'imposent à tous les Etats membres - l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne permettant d'ailleurs de déroger à cette réglementation pour le secteur militaire, dont relève pleinement le navire MINREM. De façon générale, au regard des pratiques françaises actuelles finalement très libérales, il apparaît essentiel de mettre en œuvre une politique industrielle navale volontariste, en définissant les modalités d'une meilleure concertation entre les pouvoirs publics et les chantiers nationaux : les premiers devraient s'efforcer d'identifier leurs besoins plus en amont, afin de permettre aux seconds de mieux répondre à leurs attentes, tant en ce qui concerne le calendrier que les caractéristiques opérationnelles. Une telle stratégie, à laquelle les Etats-Unis recourent largement dans d'autres secteurs industriels, doit s'inscrire dans une démarche interministérielle. De fait, plusieurs administrations sont impliquées dans la passation de commandes navales, du ministère de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, en passant par le ministère de la défense et les collectivités territoriales, et chacune d'entre elles a souvent tendance à défendre ses prérogatives et son pré carré, sans adopter nécessairement une vision globale. Le Secrétariat général à la mer qui, rattaché au Premier ministre, a notamment pour mission de veiller à la coordination des moyens de l'Etat en mer, pourrait être chargé de cette mission à vocation interministérielle, en bâtissant une stratégie cohérente de définition et de structuration des besoins navals des pouvoirs publics. Dans le cadre de cette réflexion, il conviendrait d'encourager les travaux conduits sur le développement des lignes régulières de transport maritime, dites « autoroutes de la mer ». Un tel projet, s'inscrivant dans les recommandations de la Commission européenne en matière d'échanges de fret, permettrait d'éviter la saturation des axes routiers et de recourir à un mode de transport des marchandises moins polluant et compétitif, tout en favorisant le développement de l'industrie navale européenne. Cette approche interministérielle pourrait même aller au-delà, en prenant en compte les incidences sociales des décisions d'attribution des commandes publiques ; le bénéfice financier que l'on peut retirer de l'achat d'un navire un peu moins cher auprès d'un chantier étranger peut être largement compensé par les dépenses publiques résultant du versement d'assurances chômage et du financement de plans de formation, voire de plans sociaux, lorsqu'un chantier national se trouve contraint de licencier en raison du manque de commandes. Encore une fois, une démarche globale doit prévaloir. Dans cette perspective, il serait possible de constituer, au sein de l'Assemblée nationale, un comité de suivi, qui, composé de députés, serait chargé de contrôler les marchés navals passés par les pouvoirs publics. IV. - RECOURIR À DES MODES DE FINANCEMENT INNOVANTS En application de l'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 (62) habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, doit être publiée avant la fin du mois de juin 2004 une ordonnance instituant un nouveau contrat de partenariat entre personnes publiques et personnes privées. Ce texte a pour objectif de développer le recours des collectivités publiques à l'association d'un tiers privé pour le financement d'équipements. Il apparaît particulièrement opportun d'adopter une telle démarche pour la réalisation de projets navals. La marine française s'est engagée dans de nombreux programmes majeurs dont les échéances de financement, lorsqu'elles se cumuleront, pèseront lourdement sur les crédits d'équipement. D'aucuns évoquent l'apparition d'une « bosse de financement », c'est-à-dire d'un accroissement des besoins financiers, qui devrait intervenir à la fin de la loi de programmation militaire actuelle et tout au long de la suivante. Dans ce contexte budgétaire contraint, il importe de veiller à la réalisation de l'ensemble des programmes d'équipements navals prévus. Dès lors, il apparaît intéressant d'étudier les modes de financement alternatifs à l'acquisition patrimoniale, par le recours à un partenariat public-privé, tel que le crédit-bail. Une telle option est actuellement examinée par le ministère de la défense pour le programme de frégates multimissions, sous la forme d'un achat des bâtiments par un acteur financier, qui les louerait à la marine pour, à terme, lui en transmettre la propriété. L'adoption de ce mode de financement constituerait une innovation considérable pour la France qui, à la différence du Royaume-Uni et de l'Espagne, ne l'a jamais utilisé en matière de défense, et elle présenterait plusieurs avantages substantiels : - elle permettrait à la marine de lisser son cycle budgétaire, en étalant le financement du programme dans le temps, et de faire face sans difficulté à ses autres échéances ; - elle sécuriserait l'acquisition des dix-sept frégates multimissions lors de la conclusion du contrat ; - elle permettrait de passer une commande globale auprès des industriels, lesquels, disposant d'une meilleure visibilité de leur plan de charge et bénéficiant d'un effet de série, devraient être en mesure de proposer des prix moins élevés. Toutefois, l'équilibre économique d'une telle opération doit être examiné avec attention, en procédant à une étude approfondie des frais financiers qu'elle engendre à long terme. Le ministère de la défense a engagé à cet effet des travaux préparatoires et lancé un premier appel d'offres auprès des banques en novembre 2003, afin de recueillir des éléments concrets et de définir les modalités d'un possible montage financier. Cette procédure a été interrompue en février dernier, pour être relancée ensuite sur des bases juridiques plus adaptées. Le recours à un mode de financement innovant pour le programme de frégates multimissions constitue un moyen particulièrement adéquat pour surmonter les contraintes financières prévisibles de la marine française et pourrait également intéresser l'Italie, qui rencontre actuellement des difficultés budgétaires. Pour parvenir à synchroniser les calendriers industriels et financiers de ce programme, il serait souhaitable d'achever la mise au point d'une telle solution financière d'ici l'automne prochain. Au-delà du programme de frégates multimissions, son application pourrait être étendue à d'autres projets navals, tant militaires que civils. Le renouvellement des cinq bâtiments de transport léger (BATRAL) de la marine nationale, positionnés outre-mer, constitue ainsi un bon exemple. Ces navires, chargés de transporter des troupes et des véhicules et réalisant également de nombreuses missions de service public, sont entrés en service entre 1973 et 1985 ; ils doivent impérativement être remplacés entre 2005 et 2010 par des bâtiments d'intervention et de souveraineté (BIS). Ce programme n'a pas été intégré dans la loi de programmation militaire pour 2003-2008 et n'est donc pas financé. Il serait alors possible de pallier cette lacune en acquérant les BIS dans le cadre d'un partenariat public-privé ; l'association avec un acteur financier permettrait à la marine d'étaler dans le temps leur financement. Nombre de programmes navals civils pourraient être financés de la sorte, alors que l'Etat et certaines collectivités territoriales ont des besoins importants en matière maritime et ne disposent pas nécessairement des moyens financiers pour y répondre dans l'immédiat. En outre, l'usage des BIS, dont la vocation n'est que partiellement militaire, et des autres navires civils qui seraient alors acquis pourrait être partagé avec un opérateur privé, ce qui permettrait de réduire le coût total de l'opération. V. - DÉFINIR UN PARTENARIAT ÉQUILIBRÉ ENTRE LES GROUPES CIVILS ET MILITAIRES FRANÇAIS Alors que, dans plusieurs pays européens, les chantiers navals produisent aussi bien des navires militaires que civils, d'aucuns avancent qu'une telle organisation pourrait être transposée en France, par un rapprochement entre DCN, uniquement militaire, et les Chantiers de l'Atlantique, essentiellement civils, mais disposant de compétences militaires. DCN et les Chantiers de l'Atlantique coopèrent d'ailleurs déjà sur le programme de bâtiments de projection et de commandement, DCN réalisant la partie arrière et les Chantiers de l'Atlantique la partie avant. Cette proposition a pris une acuité nouvelle dans le contexte actuel : si DCN peut s'appuyer sur un plan de charge confortable, garanti par le contrat d'entreprise signé avec l'Etat, les Chantiers de l'Atlantique se trouvent face à une baisse notable de leurs commandes ; leur maison mère, Alstom, se débattant dans des problèmes de trésorerie, fait l'objet d'un vaste plan de sauvetage et souhaiterait se défaire de ses activités navales. Le président-directeur général d'Alstom, M. Patrick Kron, défend ainsi une solution d'adossement des Chantiers de l'Atlantique à DCN. Sur ce sujet particulièrement important, plusieurs arguments sont avancés. Certains prônent une telle solution, en faisant valoir que la présence de la nouvelle entité créée dans les secteurs civil et militaire, sur le modèle des groupes italiens, espagnols et allemands, permettrait de lisser son activité à long terme, alors que les marchés navals sont fortement cycliques. Ainsi, si les Chantiers de l'Atlantique rencontrent des difficultés à remplir leur carnet de commandes depuis deux années, tel n'était nullement le cas entre 1999 et 2001 ; DCN dispose aujourd'hui de perspectives d'activité importantes, mais était en position moins favorable quatre ans auparavant. De plus, ils affirment que d'importantes complémentarités pourraient être dégagées entre les activités civiles et militaires ; Alstom Marine souligne par exemple que 80 % de la valeur d'une coque aménagée et propulsée d'une frégate partage les techniques appliquées aux coques civiles. Par ailleurs, les Chantiers de l'Atlantique, accoutumés à intervenir sur des marchés très concurrentiels, pourraient faire bénéficier DCN, qui était il y a encore peu de temps un arsenal, de leur expérience largement reconnue en matière de contrôle des coûts et des délais, mais aussi d'ingénierie, de gestion des achats et de la sous-traitance. En revanche, d'autres s'opposent à un regroupement des deux acteurs, en mettant en avant le fait que les métiers navals civil et militaire sont très différents, le premier étant centré sur la plateforme propulsée et sur l'intégration de systèmes civils, par la gestion de très nombreux corps de métiers, tandis que le second s'articule de plus en plus autour de la conception et de l'intégration des systèmes de combat et d'armes ; dès lors, les complémentarités résultant d'un rapprochement des Chantiers de l'Atlantique et de DCN ne pourraient être que relativement restreintes. Ils soulignent également que DCN, qui a entrepris de profondes réformes à la suite de son changement de statut, demeure fragile, et qu'il lui reste de nombreux défis à relever ; lui adosser les Chantiers de l'Atlantique, eux-mêmes en difficulté, risquerait de l'affaiblir, en mettant en péril son équilibre. Aucun des deux acteurs ne retirerait alors de bénéfice d'une telle opération. Une telle approche, écartant une alliance capitalistique, n'exclurait pas nécessairement des coopérations ad hoc entre les deux groupes. Il serait ainsi possible d'opérer des transferts de charge entre eux, en jouant sur la complémentarité de leurs outils de production. Les Chantiers de l'Atlantique sont en mesure de construire de très gros navires - pour mémoire, le paquebot Queen Mary II atteignait 150 000 tonnes - tandis que DCN, avec ses sites de Lorient et de Brest, est dimensionné pour réaliser des bâtiments de tonnage plus réduit. Une répartition des tâches a été mise en œuvre pour les BPC ; elle pourrait également l'être pour le programme du second porte-avions, en confiant la construction de la coque propulsée aux Chantiers de l'Atlantique. Ceux-ci disposent d'un outil particulièrement adapté à un tel projet, tandis que DCN n'aurait aucun intérêt à réaliser des investissements très lourds, difficiles à amortir, pour le prendre en charge. De même, on pourrait envisager que les Chantiers de l'Atlantique prennent part au programme de frégates multimissions, puisqu'ils disposent des compétences nécessaires en matière de plateforme propulsée. En contrepartie, si les commandes de navires civils reprenaient, DCN pourrait être associé à leur construction. Dans le même temps, s'il apparaît souhaitable que DCN tire parti de l'expérience acquise par les Chantiers de l'Atlantique en matière de méthodes de travail, un tel objectif pourrait être atteint, par exemple, par le biais d'une association d'équipes de travail des deux groupes sur certains projets. Les deux entreprises pourraient également s'efforcer de dégager des économies par des achats groupés. Pour autant, les relations entre les deux acteurs français ne sont pas toujours au beau fixe, les Chantiers de l'Atlantique regrettant notamment d'être considérés par DCN comme de simples sous-traitants, sans être associés en amont aux projets ; or, quelle que soit la solution finalement retenue s'agissant de leur partenariat, il importe de confier aux Chantiers de l'Atlantique un rôle à la hauteur de leurs compétences, notamment dans la perspective du futur programme de porte-avions. Enfin, la réflexion engagée sur les relations entre DCN et les Chantiers de l'Atlantique doit également englober CMN, qui est présent tant dans le secteur militaire que civil, et qui coopère d'ores et déjà avec DCN pour les opérations d'entretien du sous-marin lanceur d'engin Le Triomphant. CMN pourrait être associé à un rapprochement structurel ou à des coopérations ciblées entre DCN et les Chantiers de l'Atlantique, ce qui permettrait de réunir les compétences françaises sur tous les segments de construction navale, allant des yachts aux paquebots et des patrouilleurs aux porte-avions, et de disposer d'une force de frappe plus importante sur les marchés à l'exportation. Si une alliance entre les Chantiers de l'Atlantique et DCN était écartée, cela n'empêcherait pas pour autant un partenariat de ce dernier avec CMN dans le domaine militaire, afin d'ajouter à la gamme des produits proposés par DCN des navires de plus petite taille, qui constituent le pôle d'excellence des CMN. S'il est difficile de se prononcer de façon tranchée sur les différents argumentaires présentés, il semble souhaitable de définir un partenariat équilibré, sans préjuger des formes qu'il pourrait prendre, entre les principaux acteurs civils et militaires français, c'est-à-dire DCN, les Chantiers de l'Atlantique et CMN. La logique de consortium qui prévaut en Allemagne, par la coopération des différents groupes et l'organisation d'un front uni à l'exportation, apparaît particulièrement intéressante. VI. - RENFORCER LE PARTENARIAT ENTRE DCN ET THALES, PRÉALABLE À DES ALLIANCES EUROPÉENNES Les négociations conduites à l'été 2003 autour du groupe HDW ont joué un rôle d'accélérateur, en permettant de prendre conscience de la nécessité de renforcer l'alliance entre DCN et Thales. D'une part, leur intervention en ordre dispersé sur ce dossier, avant de se coordonner davantage et de travailler ensemble, a montré les limites actuelles de leur partenariat. D'autre part, la menace d'une prise de contrôle d'HDW par un groupe américain a mis en lumière la fragilité du secteur naval européen et le besoin de le consolider. La fusion entre ThyssenKrupp et HDW, intervenue ensuite, a permis aux deux principaux acteurs allemands de constituer un « champion national » et a rendu d'autant plus nécessaire une structuration de l'industrie française ; dans la perspective de futures négociations franco-allemandes, voire européennes, DCN et Thales doivent se rapprocher pour présenter un front commun, afin de peser davantage, ce processus n'excluant pas le renforcement des liens entre DCN, les Chantiers de l'Atlantique et CMN. 1. Deux acteurs aux compétences complémentaires, une alliance aujourd'hui instable Du fait de leurs activités respectives, l'un en matière de construction de navires armés, l'autre dans le domaine des systèmes d'armes et d'équipements, les deux groupes français apparaissent comme des partenaires naturels ; si leurs relations sont parfois marquées par la concurrence, notamment en matière de systèmes d'armes, ils entretiennent d'étroits liens de coopération sur de nombreux programmes tant nationaux qu'à l'exportation ; leurs compétences apparaissent de plus en plus complémentaires et imbriquées et leur rapprochement aurait un véritable sens industriel. Leur partenariat actuel, au travers de la filiale commune Armaris, n'apparaît pas pleinement satisfaisant. Armaris constitue une structure instable et a du mal à trouver ses marques : la répartition des responsabilités entre celle-ci, DCN et Thales pose des difficultés, d'autant plus que ces deux derniers ne jouent pas toujours le jeu, en intervenant seuls sur des marchés à l'exportation alors qu'Armaris est censée disposer d'un monopole dans ce domaine. Les relations entre ces trois acteurs sont lourdes à gérer : à titre d'exemple, la définition des modalités de partage des marges et des provisions pour risque pour les différents programmes est complexe et donne lieu à de longues négociations. Sans doute est-ce la nécessité de faire évoluer ce dispositif qui est à l'origine de l'exercice par DCN de son option d'achat sur la part détenue par Thales dans Armaris, en mars 2004 ; cette opération, réalisée, comme l'a indiqué DCN, « à titre conservatoire », pourrait montrer la volonté de l'Etat de reprendre la main sur ce dossier. Dans le même temps, alors qu'Armaris aurait pu porter le programme du deuxième porte-avions français, c'est une nouvelle société commune créée par DCN et Thales qui sera chargée de le conduire. De fait, si la constitution d'Armaris a constitué une avancée indéniable, elle ne représente qu'une étape ; il est nécessaire d'aller plus loin. 2. La nécessité d'un rapprochement plus structurel La mise en œuvre d'une alliance plus structurelle s'impose et fait l'objet d'un certain consensus. En dépit des péripéties émaillant leur partenariat et de leurs déclarations parfois variables, les deux groupes affichent leur volonté de coopérer davantage ensemble et ont une même vision des évolutions de leurs métiers dans le domaine naval. L'Etat, actionnaire de DCN et Thales respectivement à hauteur de 100 % et 32,4 %, se montre favorable à une telle évolution, afin de renforcer la position de DCN, pour la transformation duquel l'Etat a consenti d'importants efforts financiers, et d'assurer la pérennité du secteur naval national, stratégique pour l'autonomie de la France. Ce processus correspondrait aux évolutions du secteur naval militaire mondial, lesquelles requièrent une plus grande intégration des activités de construction et d'électronique. Des négociations sont en cours entre les deux groupes et leurs actionnaires, dont l'Etat. L'engagement d'un mouvement progressif se dessine : dans un premier temps, le pôle « navires et systèmes » de DCN, correspondant aux activités de construction neuve des établissements de Cherbourg et de Lorient, serait regroupé avec les activités de Thales Naval France au sein d'une société commune ; ce n'est que dans un second temps que les activités de maintien en condition opérationnelle de DCN, assurées par les sites de Brest et de Toulon, pourraient être intégrées dans la nouvelle société. En revanche, subsiste la question des établissements équipementiers de DCN - Saint-Tropez, Ruelle et Indret -, qui relèvent d'une logique différente, puisqu'ils ont noué des alliances avec d'autres groupes, tels que WASS, MBDA et Rolls Royce. Reste à définir les modalités de contrôle et de direction de la société commune qui serait créée, en déterminant la part respective de DCN et de Thales au sein de son capital. Dans cette perspective, l'ouverture du capital de DCN, aujourd'hui entièrement détenu par l'Etat, devrait être envisagée ; par ailleurs, les dispositions statutaires applicables, prévoyant que les ouvriers d'Etat mis à disposition auprès de DCN après son changement de statut ne peuvent travailler que dans DCN, et non dans ses filiales, nécessiteraient d'être modifiées, tout en veillant à ce que les garanties accordées aux personnels soient intégralement maintenues. Sur ces deux points, le vote d'une loi serait nécessaire. La mise en œuvre d'un rapprochement de DCN et Thales s'avère donc complexe et doit être conduite de façon prudente. Il ne faut pas négliger le fait que DCN ne constitue une société nationale que depuis un an et qu'il a connu de profondes transformations en peu de temps. Pour autant, ce processus doit intervenir dans des délais raisonnables, pour deux raisons : d'une part, le secteur naval européen peut évoluer très vite, comme l'a illustré la fusion de ThyssenKrupp et d'HDW, et l'industrie française doit être en mesure de participer à un éventuel mouvement d'alliances et d'y jouer un rôle moteur, ce qui implique qu'elle se soit structurée au préalable ; d'autre part, de telles réorganisations sont toujours perturbantes pour le fonctionnement des entreprises impliquées et il convient qu'elles soient menées suffisamment tôt, alors que de nouveaux programmes d'envergure se profilent, tels que les frégates multimissions et le second porte-avions. Les industriels et les pouvoirs publics envisagent de parvenir à la définition d'un processus de rapprochement de DCN et Thales en 2004, pour une mise en œuvre en 2005. Tout en tenant compte des différentes contraintes existantes, il importe que ce calendrier soit respecté. VII. RÉALISER UNE VÉRITABLE CONSOLIDATION EUROPÉENNE L'industrie navale militaire européenne se caractérise par son éparpillement, notamment au regard de son homologue américaine, et sa consolidation, par un rapprochement des principaux groupes, apparaît prioritaire, d'autant plus que le contexte actuel s'avère particulièrement propice : le plan de charge conséquent des groupes européens, permettant de surmonter plus aisément les égoïsmes nationaux, ainsi que le nombre des programmes en coopération engagés ou sur le point de l'être, inégalé dans l'histoire de l'industrie navale, ne peut que jouer en faveur de partenariats industriels plus approfondis. De plus, le dossier HDW a suscité un véritable débat en Europe et préparé les esprits à envisager des regroupements dans le secteur naval. Tant Thales que DCN ont participé activement à des négociations en ce sens à l'été 2003, tandis que Fincantieri et Izar se sont dits ouverts à une telle démarche. Le paysage naval européen apparaît mouvant et ouvert à de multiples évolutions : outre la fusion de ThyssenKrupp et HDW, DCN et Thales envisagent de se rapprocher, tandis que Fincantieri pourrait être réorganisé et qu'Izar devrait être privatisé dans les années à venir. Il convient de tirer profit de toutes les opportunités possibles pour engager un processus de consolidation. A. PLUSIEURS SCÉNARIOS ENVISAGEABLES Au regard des partenariats déjà noués par les différents acteurs européens, plusieurs hypothèses, plus ou moins probables, doivent être examinées : - un rapprochement entre HDW-ThyssenKrupp et Fincantieri : il pourrait s'appuyer sur l'accord conclu en 2002 par Fincantieri et HDW en matière de sous-marins, le premier réalisant sous licence des sous-marins U 212A développés par le second ; - un rapprochement entre HDW-ThyssenKrupp et Izar : ce dernier et HDW ont également signé un accord en 2002 dans le domaine de sous-marins et Izar pourrait chercher à s'appuyer sur le savoir-faire du groupe allemand pour développer le sous-marin S 80, notamment s'il ne parvient pas à un accord avec DCN ; - un rapprochement entre HDW-ThyssenKrupp et BAe Systems, qui s'articulerait autour des activités d'électronique : le groupe britannique possède la branche navale de l'électronicien STN Atlas, lequel constitue le principal partenaire d'HDW pour les sous-marins et participe également aux programmes de bâtiments de surface allemands. De plus, un tel partenariat pourrait entraîner Finmeccanica, qui détient à parité avec BAe Systems la filiale d'électronique AMS. Une telle évolution marginaliserait alors Thales ; - un rapprochement entre DCN et Fincantieri : il pourrait se fonder sur leur alliance sur le programme de frégates Horizon, laquelle serait approfondie par le lancement du programme de frégates multimissions ; il pourrait également inclure Thales, voire Finmeccanica ; ce dernier manifeste toutefois un tropisme américain marqué et est lié à BAe Systems ; - un rapprochement entre DCN et Izar : ces deux groupes coopèrent déjà sur le programme Scorpène, mais leur partenariat apparaît aujourd'hui fragilisé ; - un rapprochement entre HDW-Thyssen, DCN et Thales : celui-ci apparaît comme l'hypothèse la plus intéressante industriellement, mais aussi la plus probable, au regard des négociations déjà engagées entre ces entreprises en 2003 ; il pourrait également comprendre Fincantieri et Izar. B. VERS LA CONSTITUTION D'UN « AIRBUS NAVAL » ? 1. L'intérêt d'un rapprochement européen C'est un regroupement d'HDW-ThyssenKrupp avec DCN et Thales qu'il convient d'envisager dans un premier temps, car c'est celui qui a le plus de sens industriel et économique. En effet, HDW et DCN, allié à Izar, se livrent une concurrence frontale sur le marché des sous-marins conventionnels, laquelle réduit leurs marges à peau de chagrin ; ces groupes développent et produisent chacun leurs propres produits et technologies, ce qui s'avère coûteux et peu rationnel (63). Dans le même temps, sur le segment des bâtiments de surface, DCN, associé à Thales, et ThyssenKrupp sont en rivalité à l'exportation. Un rapprochement des trois acteurs, mettant un terme à cette guerre fratricide, permettrait de réaliser des gains très importants, tant en termes de coûts de développement et de réalisation des produits que de marges. De plus, cette opération ne tomberait pas sous le coup de la réglementation communautaire en matière de concurrence, compte tenu des stipulations de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne. Cette solution semble obtenir un écho favorable tant en Allemagne qu'en France : Thales et DCN ont déjà marqué leur intérêt pour celle-ci lors des négociations menées au cours de l'été 2003 avec OEP, tandis que le porte-parole de ThyssenKrupp a présenté sa fusion avec HDW comme « une première étape vers une consolidation plus importante de chantiers navals en Europe » en notant qu'il était imaginable que cette consolidation « se concrétise dans un délai de trois à cinq ans, avec une participation française ». Dans un second temps, il serait envisageable d'étendre ce partenariat aux groupes Fincantieri et Izar, ce qui permettrait notamment de renforcer l'ancrage européen de ce dernier, aujourd'hui menacé. Or, le gouvernement italien envisage de scinder les activités militaires et civiles de Fincantieri, parallèlement à une privatisation de ce dernier, tandis qu'Izar devrait être partiellement privatisé dans les prochaines années ; ces évolutions pourraient s'inscrire dans un mouvement de rapprochements européens. En revanche, BAe Systems est davantage tourné vers le marché américain et semble peu soucieux de prendre part à une consolidation européenne, même si l'on ne peut exclure aucune possibilité. 2. La définition de ses modalités Il convient de s'interroger sur les formes que pourrait prendre une telle alliance, qui doit s'articuler autour d'un véritable projet industriel. En tout état de cause, il ne s'agit nullement de fermer des sites de production. Ainsi que l'ont souligné les syndicats auditionnés par le rapporteur, les rapprochements d'entreprises sont trop souvent synonymes de pertes d'emplois ; il apparaît indispensable de garantir le maintien des effectifs et des capacités de production des groupes français et allemands. En revanche, il serait possible de développer un partenariat portant sur les activités en amont de la construction des bâtiments, en mettant en place une société commune aux trois acteurs, réunissant des équipes d'architecture navale, de développement, d'ingénierie ainsi que d'activités commerciales. Une telle organisation permettrait de développer en commun de nouveaux produits, en mutualisant les coûts, et de présenter une offre unique sur les marchés de sous-marins et de bâtiments de surface, avec une commercialisation coordonnée. Elle n'entraînerait que peu de modifications dans la production : le nombre total de bâtiments construits resterait identique, mais les sites se spécialiseraient sans doute progressivement. Un tel processus se rapprocherait de celui adopté dans le domaine aéronautique lors de la constitution d'Airbus ; celui-ci a été créé à partir d'un paysage industriel dispersé, par la mise en place d'un groupement d'intérêt économique (GIE) définissant une stratégie de développement de produits et de marketing, les capacités industrielles restant localisées dans les différents pays. En revanche, il est certain que les économies d'échelle dans la réalisation de bâtiments seraient moindres que celles obtenues pour les aéronefs, le nombre d'exemplaires produits étant moins élevé. 3. De multiples questions soulevées par une telle évolution En premier lieu, il convient de s'interroger sur la place des activités civiles des différents groupes dans le cadre d'un tel partenariat. Tant HDW-ThyssenKrupp que Fincantieri et Izar réalisent des navires marchands, tandis qu'il est possible que DCN et les Chantiers de l'Atlantique se rapprochent. Si le groupe Airbus est présent dans les domaines civil et militaire, une société commune dans le secteur naval devrait-elle adopter le même modèle ? De plus, il est nécessaire de tenir compte de la présence du fonds américain OEP dans le groupe HDW-ThyssenKrupp, à hauteur de 25 %, qui pourrait constituer un obstacle à un rapprochement étroit entre les acteurs allemands et français ; ces derniers détiennent des technologies très sensibles (64) et peuvent se montrer réservés sur une association avec un groupe dont l'actionnaire, fût-il minoritaire, est américain. Pour autant, la mise en place d'une telle alliance ne devrait pas intervenir de façon imminente et, dans l'intervalle, on peut penser qu'OEP se sera totalement désengagé d'HDW-ThyssenKrupp. On ne doit pas sous-estimer les contraintes existantes tant en Allemagne qu'en France. La grande imbrication des capacités de production d'HDW et ThyssenKrupp, dans le cadre des consortia, risque de constituer un frein à des mutations structurelles, tandis que le paysage naval français est encore en peine évolution. De plus, STN Atlas, principal partenaire d'HDW pour l'équipement des sous-marins, est détenu par BAe Systems, ce qui pourrait poser des difficultés. HDW-ThyssenKrupp pourrait également manifester des réticences à conclure une alliance avec des acteurs partiellement publics, en voyant dans cette opération une forme d'intervention de l'Etat français. Plus généralement, il est de notoriété publique que, lors de la constitution d'Airbus et d'EADS dans le domaine aéronautique, le centre de gravité du pouvoir s'est localisé davantage en France qu'outre Rhin ; le groupe allemand estime disposer des capacités technologiques et industrielles lui donnant vocation à diriger sur un pied d'égalité un éventuel ensemble naval franco-allemand, voire d'y jouer un rôle prépondérant, et il ne souhaite pas qu'un tel scénario se reproduise. C'est pourquoi il serait nécessaire de définir un partenariat équilibré entre acteurs allemands et français, sans subordination de l'un ou de l'autre. Enfin, une participation éventuelle d'Izar à ce projet risquerait de poser des difficultés importantes, compte tenu de ses liens étroits avec Lockheed Martin sur le segment des frégates, voire des sous-marins. In fine, une telle consolidation ne sera à l'évidence pas simple et ne devrait pas intervenir dans l'immédiat ; toutefois, au regard de ses enjeux considérables, elle mérite qu'on s'attache à la mettre en œuvre avec résolution. En renforçant l'industrie européenne, elle assurerait son avenir, permettant d'éloigner la menace d'une intervention américaine, soit par des prises de contrôle de certains groupes, soit par le biais d'un programme tel que Littoral Combat Ship, et la mettant davantage en position de résister à la concurrence accrue d'acteurs navals émergents. VIII. - DÉVELOPPER LES PROGRAMMES MILITAIRES EN COOPÉRATION, S'APPUYER SUR LA FUTURE AGENCE EUROPÉENNE DE DÉFENSE Si la mise en œuvre de programmes en coopération n'apparaît pas comme une condition suffisante de la constitution de partenariats structurants entre les groupes participants, elle permet de fournir un socle d'activité sur lequel appuyer des rapprochements. C'est pourquoi il apparaît prioritaire de lancer le programme franco-italien de frégates multimissions, afin de conforter le partenariat entre DCN, Thales, Fincantieri et Finmeccanica, et d'explorer toutes les voies de coopération sur les programmes de porte-avions français et britanniques, ce qui pourrait amorcer un ancrage européen de BAe Systems. Au-delà de leurs incidences industrielles, une coopération sur ces deux programmes devrait permettre de réduire le coût des navires produits, grâce aux économies prévisibles de développement et de réalisation. Tel devrait être tout particulièrement le cas pour les frégates multimissions, du fait du grand nombre d'unités prévues. De plus, une telle démarche s'inscrirait pleinement dans la construction d'une défense européenne : si le programme de FREMM était lancé, toutes les frégates françaises et italiennes à venir seraient alors réalisées en coopération, compte tenu du programme Horizon, ce qui constituerait une première historique et garantirait une grande interopérabilité entre les marines des deux pays. S'agissant des porte-avions, un partenariat sur des projets aussi emblématiques, aux incidences majeures sur l'organisation des marines française et britannique, présenterait également un intérêt considérable, en approfondissant durablement les liens militaires franco-britanniques (65). Parallèlement, il serait particulièrement souhaitable que le partenariat noué entre DCN et Izar sur le sous-marin Scorpène soit poursuivi sur le programme espagnol S 80 ; la décision d'Izar portant sur l'attribution du système de combat à Lockheed Martin n'est pas encore arrêtée et les négociations entre DCN et le groupe espagnol doivent être relancées, en profitant de la « fenêtre de tir » offerte par le changement de gouvernement espagnol et du dirigeant d'Izar. Toutefois, on constate un certain paradoxe, les programmes en coopération envisagés ou existants n'intégrant pas les groupes allemands, alors que c'est avec eux qu'une alliance structurelle doit être prioritairement envisagée. C'est pourquoi il serait opportun que le programme FREMM associe l'Allemagne ; en effet, celle-ci envisage de développer un nouveau programme de frégates, baptisé F 125, dont certaines des caractéristiques devraient être proches des futures FREMM, puisqu'elles devraient avoir une vocation anti-sous-marine affirmée. Ne serait-il pas possible que la France, l'Italie et l'Allemagne s'efforcent de s'entendre, afin de coopérer ensemble ? Dans la perspective de consolidations, il serait également nécessaire de développer de nouveaux projets européens communs, par exemple dans le domaine des sous-marins conventionnels. La future agence européenne de défense (66) pourrait alors fournir un appui précieux. La constitution de celle-ci, proposée par le groupe « défense » de la Convention sur l'avenir de l'Europe en décembre 2002 et prévue par le projet de Constitution européenne, a été engagée au début de l'année 2004 ; le Conseil « affaires générales-relations extérieures » a adopté le projet d'action commune définissant ses statuts le 14 juin 2004. Ce texte assigne à l'agence quatre grandes missions : le développement des capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises, la promotion et l'amélioration de la coopération européenne en matière d'armement, le renforcement de la base industrielle et technologique européenne de défense (BITD) et l'accroissement de l'efficacité de la recherche et technologie en matière de défense. A ce jour, il est difficile de prévoir de quelle façon seront mises en œuvre ces missions. Celles concernant la promotion des programmes en coopération et le renforcement de la BITD, qui sont de facto étroitement liées, revêtent une importance essentielle d'un point de vue industriel ; il importe qu'elles se traduisent par des projets concrets, notamment dans le domaine naval. En tout état de cause, un point important a été acquis s'agissant des modalités de prises de décisions, puisqu'une majorité qualifiée sera nécessaire pour s'opposer à un projet au sein de l'agence, étant entendu qu'un tel rejet n'est pas censé empêcher « un ou plusieurs pays » d'entreprendre séparément un programme. Une telle formule devrait permettre d'éviter que les divergences de vue entre Etats membres ne conduisent à une certaine paralysie en son sein. La construction navale représente en Europe un secteur économique essentiel, aux enjeux stratégiques considérables, et il importe d'assurer son développement à long terme, au-delà des cycles qui peuvent affecter son activité. Au cours des dernières décennies, elle a subi des restructurations drastiques et il serait dangereux de réduire encore davantage ses capacités de production et ses effectifs, au risque d'entraîner la disparition de savoir-faire importants. Pour autant, il ne s'agit pas de prôner l'immobilisme, alors que de multiples défis doivent être relevés. Si l'industrie civile européenne est aujourd'hui fragilisée, son déclin ne peut être considéré comme une fatalité, au regard de ses compétences techniques largement reconnues ; l'industrie militaire reste trop dispersée, mais offre de réelles opportunités de regroupements à l'échelle européenne, sur le modèle de ce qui a été réalisé dans le secteur aéronautique. S'il revient en premier lieu aux entreprises de faire preuve de volontarisme et de capacités d'adaptation, les pouvoirs publics ont indéniablement un rôle à jouer et ne peuvent éluder leurs responsabilités. Les pays européens peuvent promouvoir l'instauration de conditions de concurrence équitable au niveau international et favoriser la compétitivité de leurs groupes navals par la mise en place de dispositifs adaptés. En France, il incombe à l'Etat d'adopter une stratégie navale ambitieuse et d'encourager l'établissement d'un partenariat constructif entre les acteurs navals nationaux. Enfin, la mise en œuvre de regroupements européens repose également sur une volonté politique forte, qui doit s'appuyer sur un véritable projet industriel. Une telle consolidation, nécessairement liée au développement de programmes en coopération, s'inscrirait pleinement dans la construction d'une défense européenne, en dotant l'Europe d'une industrie navale militaire plus puissante et indépendante et en rapprochant ses marines d'un point de vue opérationnel, par la production de bâtiments communs. La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de M. Jean Lemière sur l'industrie navale en Europe, au cours de sa réunion du mercredi 23 juin 2004. Un débat a suivi l'exposé du rapporteur. Évoquant les regroupements envisagés au sein de l'industrie navale européenne, M. Jérôme Rivière a demandé s'il y a une réelle nécessité à continuer de disposer de chantiers de construction de coques. M. Jean Lemière, rapporteur, a reconnu que le coût de réalisation d'une coque représentait moins de 20 % de la valeur totale d'un navire. Toutefois, il convient d'éviter les pertes de compétences industrielles dans ce domaine, qui pourraient être définitives. La France a déjà payé un lourd tribut aux restructurations industrielles. S'agissant du recours à la sous-traitance, comme la réalisation en Pologne des coques des parties avant des deux bâtiments de projection et de commandement confiées à DCN, on peut s'interroger sur l'importance des économies réalisées. Les Chantiers de l'Atlantique étaient disposés à construire les deux bâtiments dans leur ensemble, pour un coût qui n'aurait pas été nécessairement supérieur. Le président Guy Teissier a souhaité avoir des précisions sur l'industrie navale polonaise, qui, s'appuyant sur une longue tradition, s'avère importante. M. Jean Lemière, rapporteur, a répondu que les chantiers polonais avaient subi une crise importante ces dernières années, mais qu'ils occupaient, en ce qui concerne les volumes de production, un des premiers rangs en Europe. Ayant rejoint l'Union européenne le 1er mai dernier, la Pologne doit désormais respecter la réglementation communautaire, notamment en matière d'aides publiques et d'appels d'offres. Cette activité demeure essentielle pour ce pays, compte tenu des problèmes industriels et agricoles qu'il rencontre actuellement. M. Jean-Yves Le Drian s'est interrogé sur les avantages et les inconvénients de détenir en France des filières civiles et militaires distinctes. Cette question n'est pas tranchée à ce jour et continue de susciter des controverses. Compte tenu des enjeux stratégiques qu'elle recouvre, il faudra néanmoins y répondre rapidement, tant que les groupes disposent de plans de charge importants. M. Jean Lemière, rapporteur, a indiqué avoir relevé dans son rapport les avantages et les inconvénients respectifs du rapprochement et de la séparation des chantiers civils et militaires. Il n'a pas cependant tranché en faveur d'une solution plutôt qu'une autre. En tout état de cause, HDW et Izar sont aujourd'hui fortement handicapés par leurs activités civiles, Fincantieri connaissant toutefois une situation plus favorable dans ce domaine. Le président Guy Teissier a rappelé que la coque du second porte-avions pourrait être réalisée par les Chantiers de l'Atlantique. Il n'existe donc plus de barrières entre les secteurs civil et militaire, à l'exception du cas particulier des sous-marins nucléaires. M. Jean Lemière, rapporteur, a souligné qu'il fallait distinguer les alliances capitalistiques des partenariats sur des programmes particuliers, qui ne posent en eux-mêmes aucun problème. La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 1. Personnes entendues à Paris · Responsable militaire : - Amiral Jean-Louis Battet, chef d'état-major de la Marine, avec M. l'ingénieur général de l'armement Jean-René Le Goff, sous-chef d'état-major « programmes » ; · Ministère de la défense : - M. Jean-François Thibault, ambassadeur et représentant ministériel et M. Olivier Bekaert, chargé de mission auprès du représentant ministériel ; - M. Pierre-Marie Abadie, conseiller pour les affaires industrielles au cabinet de la ministre ; - M. l'ingénieur général de l'armement Jean-Louis Rotrubin, directeur du service de soutien de la flotte, avec M. Jean Desjeux, chef de cabinet ; - M. Jean-Pierre Aubert, délégué interministériel aux restructurations de défense ; - M. Thierry Montero, chargé de mission auprès du délégué interministériel aux restructurations de défense ; · Délégation générale pour l'armement : - M. l'ingénieur général de l'armement Yves Gleizes, délégué général pour l'armement, avec M. l'ingénieur en chef de l'armement Laurent Giovachini, directeur de la coopération et des affaires industrielles, et M. Francis Chompret, chargé de mission auprès du DGA ; - M. l'ingénieur en chef de l'armement François Lureau, délégué général pour l'armement, avec M. l'ingénieur en chef de l'armement Laurent Giovachini, directeur de la coopération et des affaires industrielles, et M. Francis Chompret, chargé de mission auprès du DGA ; - M. l'ingénieur général de l'armement Jean Panié, directeur des relations internationales de la DGA ; - M. l'ingénieur général de l'armement Pierre Lamoulen, directeur du service des programmes navals, avec M. l'ingénieur principal de l'armement Thierry Francou ; - M. l'ingénieur en chef de l'armement Philippe Jost, sous-directeur « électronique, mécanique et naval » de la direction de la coopération et des affaires industrielles, avec M. Gaël Leven ; · Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie : - M. Luc Rémont, conseiller technique chargé des participations publiques au cabinet du ministre et M. Thierry Francq, sous-directeur au service des participations de la direction du Trésor ; - M. Olivier Dambricourt, conseiller technique chargé du secteur naval et M. Noël Huret, conseiller technique chargé des restructurations, au cabinet du ministre, et M. Jean-Paul Peron, chef de la division ferroviaire et navale de la direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes ; · Ministère des affaires étrangères : - M. Jérôme Ferhenbach, conseiller technique au cabinet de la ministre déléguée aux affaires européennes. · Industriels : - M. Jean-Marie Poimboeuf, président-directeur général de DCN ; - M. Patrick Boissier, président-directeur général des Chantiers de l'Atlantique ; - M. Jean-Loup Picard, directeur de la stratégie et du développement de Thales, M. Patrice Caine, directeur du développement, et M. Jacques Delphis, chargé des relations extérieures et institutionnelles ; - M. Denis Verret, directeur des affaires politiques d'EADS, avec l'amiral Paul Habert, conseiller militaire, M. Luc Boureau, directeur des systèmes navals de MBDA, M. Olivier Yvon, directeur des systèmes navals et Mme Sophie Roukline, chargée des relations avec le Parlement ; - M. Pierre Balmer, directeur des Constructions Mécaniques de Normandie ; - M. Jacques Piriou, président-directeur général des chantiers Piriou ; - M. Roland Joassard, président-directeur général d'OCEA ; · Syndicats : - M. François Billet, de la fédération générale des mines et de la métallurgie de la CFDT et M. Jean-Jacques Manach, de la fédération des établissements et des arsenaux de l'Etat de la CFDT ; - M. Marc Bastide, M. Patrick Appere, M. Patrick Castello, M. Christian Duval, M. Vincent Truffert, de la fédération des travailleurs de la métallurgie de la CGT ; M. Didier Duret, M. Dominique Bousseau, M. Stéphane Créach, M. Jean-François Lecoffre, M. Yvon Velly, de la fédération nationale des travailleurs de l'Etat de la CGT ; - M. Frédéric Homez, de la fédération métaux de FO et M. Charles Sistach, de la fédération défense de FO ; - M. Fabrice Théobald, délégué général de la chambre syndicale des constructeurs de navires ; · Autres personnalités : - M. Jean-Marie Carnet, délégué général du Groupement industriel des constructions et armements navals ; - M. Jean-Bernard Raoust, président-directeur général de Barry Rogliano Salles, et M. François Cadiou, associé ; 2. Personnes entendues lors des déplacements du rapporteur : ● Déplacement aux Chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire - M. Patrick Boissier, président-directeur général des Chantiers de l'Atlantique ; ● Déplacement à Hambourg et à Kiel, les 29 et 30 avril 2004 : - M. Reinhard Mehl, membre du bureau exécutif de ThyssenKrupp Werften et M. Klaus Müller, directeur exécutif ; - M. Heino Bade, délégué général du syndicat IG Metall-Bezirk Küste ; - M. Jürgen Rohweder, directeur de la communication d'HDW ; - Mme Strauss, présidente de la commission pour les affaires économiques du parlement du Land de Schleswig-Holstein. 3. Personnes ayant apporté une contribution écrite au rapporteur : - M. Thierry Lecocq, de la mission économique de Berlin, en Allemagne ; - M. Philippe Lagier, de la mission économique de Copenhague, au Danemark ; - M. Jean Vaury, de la mission économique de Bilbao, en Espagne ; - M. François Removille, de la mission économique de Chicago, aux Etats-Unis ; - Mme Yasmin Schakir, de la mission économique d'Helsinki, en Finlande ; - Mme Béatrice Tomeï, de la mission économique de Rome, en Italie ; - M. Pascal Lecamp, de la mission économique d'Oslo, en Norvège ; - M. Damien Terny, de la mission économique de La Haye, aux Pays-Bas ; - Mme Grazyna Szejner, de la mission économique de Varsovie, en Pologne ; - M. Jean Duchêne, de la mission économique de Londres, au Royaume-Uni ; - M. Daniel Lanes, de la mission économique de Stockholm, en Suède ; - M. l'ingénieur principal de l'armement Michel Iagolnitzer, chef du bureau « Etats-Unis, Canada » de la direction de la coopération et des affaires industrielles de la DGA ; - M. l'ingénieur principal des études et techniques de l'armement Jean-Marc Edenwald, chef du bureau « Espagne, pays nordiques de l'OTAN » de la direction de la coopération et des affaires industrielles de la DGA ; - M. le colonel Henri Switzer, attaché de défense à l'ambassade des Pays-Bas. N° 1701 - Rapport d'information de la commission de la défense nationale et des forces armées sur l'industrie navale en Europe (rapporteur : M. Jean Lemière) 1 () Rapport d'information n°2062 (Xème législature), « l'avenir de la construction navale militaire de surface », publié le 17 mai 1995 ; rapport d'information n° 3302 (XIème législature), « l'entretien de la flotte : défis et perspectives », publié le 3 octobre 2001 ; rapport d'information n° 3317 (XIème législature), « aéronautique navale : missions et vocations de l'aviation navale », publié le 10 octobre 2001 ; rapport d'information n° 1196 (XIIème législature), « second porte-avions : quel mode de propulsion ? », publié le 5 novembre 2003. 2 () Les développements suivants traitent pour l'essentiel du secteur naval des Etats d'Europe occidentale ; des pays tels que la Pologne, la Croatie ou la Roumanie, qui détiennent une industrie navale importante, relèvent de problématiques distinctes, notamment du fait du niveau moindre de leurs coûts de main d'œuvre et de leur positionnement sur des segments de production différents. 3 () Ayant abouti à la fusion de Carnival et de P & O/Princess. 4 () C'est-à-dire les bâtiments commandés au cours de la période précédente, mais non encore livrés. 5 () Une commande de pétrolier destinée à l'armateur Knutsen, d'une valeur de 150 millions d'euros, avait été annoncée au début de l'année 2004, mais a été finalement remise en cause en raison de difficultés de financement. 6 () Septième rapport de la Commission européenne sur la situation de la construction navale dans le monde, mai 2003. 7 () Les porte-conteneurs, les transporteurs de produits chimiques et les transporteurs de produits pétroliers, auxquels ont ensuite été ajoutés les méthaniers. 8 () « Tout Etat membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériels de guerre ». 9 () Le montant de ces aides atteignait 500 millions d'euros, mais 192 millions d'euros de prêts publics ont été remboursés entre-temps ; la somme devant être récupérée ne s'élève donc qu'à 308 millions d'euros, majorés des intérêts. 10 () A l'exception d'un seul, Bruces Shipyard ; il a été mis en faillite en 2002. 11 () Étude de septembre 2002 du syndicat IG Metall, élaborée en collaboration avec l'université de Brême. 12 () Le groupe néerlandais Bodewes Shipyard a par exemple livré sept porte-conteneurs en 2003, soit un chiffre sensiblement supérieur à celui de 2002, notamment grâce à la sous-traitance des coques, depuis 2002, à des chantiers roumains et, depuis 2003, à des chantiers polonais et ukrainiens. 13 () Il réunit les Chantiers de l'Atlantique, Fincantieri, HDW, Izar, Meyer Werft et Kvaerner Masa Yards. 14 () Le budget d'équipement militaire britannique devrait diminuer, pour partie en raison du coût de la guerre conduite en Irak ; toutefois, ces restrictions ne devraient pas affecter les programmes navals en cours, mais se traduire par le retrait anticipé de plusieurs bâtiments. 15 () BAe Systems a conclu un accord avec Finmeccanica pour le transfert des activités de radars et de systèmes navals et terrestres appartenant anciennement à British Aerospace, au sein de la filiale AMS, que BAe Systems et Finmeccanica détiennent à parité. 16 () En incluant les activités de réparation réunies dans la filiale Blohm and Voss Repair. 17 () Cherbourg, Lorient, Brest, Toulon, Ruelle, Indret et Saint-Tropez. 18 () En coopération avec les Chantiers de l'Atlantique. 19 () Avec le rachat du néerlandais Signaal en 1990, devenu Thales Nederlands, et celui du britannique Racal, en 2000. 20 () Armaris s'est vu apporter les filiales déjà détenues conjointement par Thales et DCN, c'est-à-dire UDS International, chargée de la commercialisation des systèmes de combat des sous-marins, et SFCS, assurant la maîtrise d'œuvre des systèmes de combat de frégates vendues à l'Arabie Saoudite. Armaris porte les participations françaises dans la société Horizon SAS pour la maîtrise d'œuvre des frégates du même nom et devrait assumer un rôle identique dans le futur programme de frégates multimissions. 21 () Par l'intermédiaire de la société Fintecna, détenue à 100 % par le Trésor italien. 22 () Par l'intermédiaire de la SEPI (Sociedad Estatal de Participaciones Industriales), relevant du ministère de l'économie espagnol. 23 () Ce chiffre inclut également la production d'hélicoptères navals et d'avions de patrouille et de surveillance maritime. 24 () « Les industries d'armement de l'Etat », rapport public de la Cour des Comptes, octobre 2001. 25 () Loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001. 26 () Lequel spécifiait le périmètre détaillé des biens, droits, contrats et obligations transférés par l'Etat à la nouvelle société. 27 () Comme dans le domaine aéronautique, où les frais de recherche et développement représentent une part importante du coût total d'un programme. 28 () Le contrat inclut également la fourniture d'avions Mig-29K et les prestations d'entretien. 29 () Celui-ci est uniquement destiné à l'exportation, la fabrication de sous-marins conventionnels pour la marine française ayant cessé en 1978. 30 () Elles équipent les futurs sous-marins U 212A allemands et italiens, ainsi que les futurs U 214 destinés à la Grèce. 31 () Les formes de coques et de superstructures très étudiées permettent de diminuer la réflectivité radar du bâtiment, celui-ci étant alors moins aisément détectable. 32 () BAe Systems a obtenue en 1995 la commande de trois corvettes pour Brunei, tandis qu'en 1996, Vosper Thornycroft a livré deux corvettes au sultanat d'Oman. 33 () Avec par exemple la vente récente de frégates d'occasion de la classe Oliver Hazard Perry à la Pologne. 34 () A titre d'exemple, des pays tels que la Malaisie et Singapour veulent disposer de sous-marins afin de maîtriser le détroit de Malacca, fortement touché par la piraterie. 35 () Un contrat d'acquisition de six sous-marins est actuellement soumis à l'organisme indien chargé des exportations d'armement, le Cabinet Committe on Security ; la décision de ce dernier a été retardée en raison de la tenue des élections législatives en mai dernier. 36 () Développée par Kockums dans le cadre du programme suédois de corvettes Visby,cette technologie utilise des fibres de carbone. 37 () Ce fut le cas pour le marché de deux sous-marins destinés au Portugal, sur lequel HDW et DCN-Izar se sont affrontés et ont été contraints de diminuer fortement leurs prix ; c'est finalement HDW qui a remporté le contrat. 38 () Le système de combat correspond au système de traitement des informations, qui fédère l'ensemble des équipements de détection et les systèmes d'armes. 39 () A l'exception d'une tentative de diversification dans la production de plates-formes de forage pétrolier, en 1998, qui s'est soldée par un échec financier, avec des pertes estimées à environ 38 % du montant du contrat initial, ainsi que l'a mentionné la Cour des comptes dans le rapport précité. 40 () GEC Marconi tout d'abord, puis BAe Systems, qui a absorbé ce dernier en 1996. 41 () Pour Izar, si le plan de charge de l'établissement militaire d'El Ferrol, spécialisé dans les frégates, est assuré jusqu'en 2010, d'autres sites, comme celui de Séville, manquent fortement d'activité. 42 () En France, la loi de programmation militaire pour 2003-2008 prévoit la commande d'une troisième frégate Horizon en 2007, l'acquisition d'une quatrième unité étant envisagée dans la prochaine loi de programmation ; à terme, l'Italie devrait également se doter de deux navires supplémentaires. 43 () Il est détenu à part égales par les quatre groupes ; la participation française a ensuite été reprise par Armaris, filiale commune de DCN et Thales, les groupes italiens adoptant le même modèle, avec la création de la filiale Orizzonte. 44 () Les livraisons doivent intervenir en 2006, 2007, 2008 et 2009. 45 () Dès 1988, la France et l'Italie se sont associées au sein du programme FSAF, destiné à équiper leurs forces armées de systèmes de défense aériennes adaptés, la marine nationale étant concernée par le système SAAM (surface-to-air anti-missile). 46 () L'entrée en service des premiers systèmes est prévue en 2006 pour les premières et en 2008 pour les seconds. 47 () Les porte-avions doivent cependant être adaptables, en étant réalisés pour recevoir des catapultes et des brins d'arrêt, sans en être dotés initialement. 48 () Cet accord doit permettre la création d'un groupe de travail commun chargé d'examiner les possibilités de développement de nouveaux types de bâtiments, comme les petits sous-marins conventionnels, pour accéder à de nouveaux marchés. 49 () Composé d'une équipe binationale, ce joint venture centralise les tâches majeures du projet, les autres étant sous-traitées à Fincantieri, Thales et DCN. 50 () Le développement du sous-marin Scorpène a été réparti à raison de 70 % pour DCN et 30 % pour Izar - les études de conception préliminaires ayant été entièrement assurées par DCN -, et la production et les approvisionnements ont été répartis selon le même schéma, tandis que le poste logistique a été partagé par moitié. 51 () La trésorerie d'HDW avait en effet été absorbée par son actionnaire principal, Babcock Borsig, peu de temps avant que celui-ci ne dépose son bilan. 52 () Par ailleurs, la presse avait fait état du possible intérêt de General Dynamics pour une prise de participation, sans confirmation ni démenti officiel de sa part. 53 () Ce projet de loi, qui n'intervenait qu'après l'achat d'HDW et ne pouvait avoir aucune incidence sur celui-ci, a été voté par le Bundestag le 6 mai 2004. 54 () Remplacé ensuite par M. Adamovitch. 55 () Absorbé depuis par General Dynamics. 56 () Notamment s'agissant de la construction des coques épaisses, qui impose des investissements très importants. 57 () Kockums, filiale d'HDW, avait signé un accord avec Northrop Grumman, lequel n'a pas été sélectionné en juillet 2003. 58 () Certaines parties des coques épaisses, dont la réalisation présente d'importantes difficultés techniques, sont cependant toujours réalisées à Cherbourg. 59 () En revanche, Malte bénéficie de dispositions transitoires, des aides à la restructuration étant autorisées jusqu'en décembre 2008 ; néanmoins, son secteur naval comprend principalement des activités de réparation. 60 () Les industriels - Chantiers de l'Atlantique, Fincantieri, Kvaerner Masa Yards, Izar, Meyer Werft, Flensburger Schiffbau, Estaleiros Navais de Viana do Castelo - et la Commission européenne apportent chacun 19 millions d'euros. 61 () Ce contrat a d'ailleurs été émaillé de nombreuses difficultés ; le chantier espagnol a pris du retard, puis a revu à la hausse son devis initial ; de plus, le navire livré ne correspond pas au cahier des charges qui avait été défini, notamment s'agissant du tirant d'eau, qui est trop important. 62 () Loi n° 2003-591. 63 () Le coût de développement d'un modèle de sous-marin atteint 150 millions d'euros. 64 () DCN réalise notamment les sous-marins nucélaires destinés à la marine nationale. 65 () Lors du sommet franco-britannique du Touquet, en février 2003, les deux pays ont mis l'accent, dans leur déclaration commune, sur leur volonté d'accroître l'interopérabilité de leurs groupes aéronavals, tout en indiquant que « les deux pays chercheront également à mettre en place une coopération industrielle autour de leurs nouveaux programmes d'acquisition de porte-avions. La décision prise par le Royaume-Uni pour son programme national ouvrira de nouveaux domaines de coopération ». 66 () Elle avait été initialement baptisée « agence européenne de l'armement », mais, parce que son champ d'action sera beaucoup plus vaste que le seul domaine de l'armement, son appellation a été modifiée. |