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N° 1716

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2004.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d'une mission d'information 1
sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. MICHEL DELEBARRE

Député

--

La mission d'information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme est composée de : M. Michel DELEBARRE, Président, MM. Jean-Louis BIANCO, Loïc BOUVARD, Jacques MYARD, Marc REYMANN et François ROCHEBLOINE.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME EST-ELLE UNE GUERRE ? 8

1) Le concept de « guerre contre le terrorisme » est-il approprié ? 7

2) La lutte contre le terrorisme peut exiger l'utilisation de moyens militaires 8

3) L'action militaire a une efficacité limitée
    face à des réseaux terroristes en mutation 10

PEUT-ON LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LE TERRORISME
DANS LE CADRE DES NATIONS UNIES ?
14

1) Un rôle de légitimation du combat contre le terrorisme 14

2) Un rôle d'appui pour les Etats les plus faibles 16

3) Une capacité de contrainte supranationale 17

QUEL BILAN POUR LA LUTTE MONDIALE MENÉE CONTRE
LES RÉSEAUX TERRORISTES DEPUIS LE 11 SEPTEMBRE ?
19

1) Une évaluation difficile par nature 19

2) Une efficacité apparente des services de renseignement
   aux Etats-Unis et en Europe 19

3) La coopération internationale a-t-elle contribué à prévenir certains attentats ? 20

LA LUTTE OPÉRATIONNELLE CONTRE LE TERRORISME
DOIT-ELLE ÊTRE TRANSFÉRÉE AU NIVEAU EUROPÉEN ?
23

1) Le renseignement : un domaine inadapté à la coopération multilatérale 23

2) Le risque de la mise en place de structures bureaucratiques 24

LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME MENÉE DANS
LE CADRE DE L'UNION EUROPÉENNE EST-ELLE EFFICACE ?
23

1) Les différentes étapes de la réponse européenne contre le terrorisme 23

2) Quelle place pour l'Union européenne par rapport
   aux dispositifs nationaux de lutte contre le terrorisme ? 24

COMMENT AMÉLIORER LA COOPÉRATION BILATÉRALE DANS
LA LUTTE OPÉRATIONNELLE CONTRE LE TERRORISME ?
32

1) Se donner les moyens de la coopération bilatérale 32

2) Estomper les différences entre les systèmes nationaux de lutte anti-terroriste 33

3) Abattre les frontières judiciaires au sein de l'Union européenne 35

LA MENACE DU TERRORISME NON CONVENTIONNEL EST-ELLE SÉRIEUSE ? 39

1) La concrétisation de la menace est quasiment inévitable à terme 39

2) Seule une action concertée de la Communauté internationale
   permettra de contrer la menace du terrorisme NRBC 40

FAUT-IL FAIRE DE LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME
UNE PRIORITÉ ABSOLUE ?
45

1) De nombreux obstacles à la lutte contre le financement du terrorisme
   par les flux financiers internationaux 46

2) La traque des flux financiers internationaux n'empêchera pas les terroristes
   de disposer de ressources 47

3) Dans quelles conditions la surveillance des flux financiers internationaux
   a-t-elle une utilité dans la lutte contre le terrorisme ? 48

CONCLUSION 51

EXAMEN EN COMMISSION 53

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES 50

ANNEXE 2 : LES ORGANISMES PARTICIPANT À LA COOPÉRATION
INTERNATIONALE POUR LUTTER CONTRE LE TERRORISME
51

Mesdames, Messieurs,

Après la vague d'attentats qui a touché la France à l'été 1995, les enquêtes diligentées en France ont beaucoup souffert du manque de coopération de la part de nos principaux partenaires, qui ne voyaient souvent dans ces attentats que la résurgence de conflits coloniaux mal cicatrisés. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, plus personne ne remet en cause le caractère transnational du terrorisme qui se manifeste par le fonctionnement mondialisé de réseaux terroristes, ainsi que par l'universalité de la menace.

Pour faire face à une menace déterritorialisée et qui concerne chacun, la seule réponse adaptée est une coopération internationale étroite, qui est à la fois inévitable et très difficile à mettre en œuvre.

Tout d'abord, le développement de la coopération anti-terroriste peut sembler incontournable. En effet, aucun pays n'est aujourd'hui à l'abri, les attentats du 11 septembre ont ainsi cruellement montré que la plus grande puissance militaire pouvait également être touchée. De plus, le terrorisme n'est plus actuellement, comme dans les années 1970 ou 1980, un outil politique utilisé par certains Etats qui instrumentalisaient des groupes terroristes comme moyen de pression dans les relations internationales : l'ensemble de la communauté internationale est donc concernée par la lutte contre ce phénomène qui relève de la responsabilité internationale. Enfin, les réseaux terroristes se sont adaptés à la mondialisation beaucoup plus vite que les Etats, utilisant les nombreux domaines où les frontières se sont estompées (télécommunications, transports, transactions financières...), tout en sachant utiliser à son profit la persistance des souverainetés nationales dans les domaines régaliens (défense, justice, police...). Ainsi, ce qui explique le caractère incontournable de la coopération internationale permet également d'en comprendre la difficulté, cette coopération devant s'exercer dans des domaines extrêmement sensibles, touchant au cœur des compétences souveraines des Etats.

La Commission des Affaires étrangères a donc décidé de créer une mission d'information sur « la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme », afin de faire le bilan des initiatives prises et d'étudier les possibilités d'amélioration de l'action de la communauté internationale, tant dans le domaine de la prévention de nouveaux attentats que dans celui du démantèlement des réseaux terroristes. En effet, il nous a semblé utile d'analyser de près cette dimension afin de compléter les travaux menés sous la précédente législature par la mission d'information sur « les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre 2001 », présidée par notre collègue Paul Quilès2. Le rapport réalisé par cette mission avait permis d'évaluer l'efficacité du système français de lutte contre le terrorisme, il était donc maintenant intéressant de s'intéresser au cadre international dans lequel tout système national de lutte anti-terroriste doit nécessairement s'insérer : en matière de terrorisme, la tentation de l'isolement n'est pas une option : à la mondialisation du terrorisme doit pouvoir répondre une coopération internationale renforcée du renseignement, des savoir-faire, voire des procédures.

Pour autant, s'il y a unanimité sur le constat de la nécessité de développer la coopération internationale anti-terroriste, il est plus difficile d'en distinguer clairement les réalisations concrètes. Il n'y a pas un sommet d'organisation internationale, pas une rencontre entre chefs d'Etats, pas un colloque sur le terrorisme où ne soit réaffirmé cet impératif. Pourtant, ce discours est largement incantatoire et relève trop souvent de la posture : il s'agit d'abord de montrer à l'opinion publique que les gouvernements ou les organisations internationales travaillent sur ce sujet. On ne peut ainsi qu'être frappé par le nombre d'instances qui ont mis à leur ordre du jour la lutte contre le terrorisme, à tel point qu'il serait trop long de toutes les citer ! La première impression quand on étudie le fonctionnement de la coopération internationale anti-terroriste est sa profusion, sa dispersion et son manque de lisibilité.

La grande difficulté de la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est que, pour être efficace, elle doit être discrète, concentrée sur des secteurs qui apprécient peu la publicité (renseignement, justice...) et, surtout, elle doit d'abord porter sur les aspects opérationnels : le plus urgent étant bien d'améliorer la capacité de nos systèmes de lutte antiterroriste à anticiper le passage à l'acte, à arrêter les terroristes avant qu'ils ne commettent des attentats. Or, les auditions que la mission d'information a menées ont très vite montré que la coopération opérationnelle relevait d'abord de la coopération bilatérale et fonctionnait mal dans un cadre multilatéral, ce qui ne veut pas dire que cette dernière forme de coopération n'ait aucun rôle à jouer.

Ainsi la mission d'information a-t-elle décidé de répondre à un certain nombre de questions concrètes qui se posent quand il s'agit de coopération internationale contre le terrorisme, plutôt que de faire une description approfondie de l'ensemble innombrable des structures et des acteurs qui interviennent dans ce domaine. Elle a également estimé que son rôle n'était pas de rentrer dans les débats, légitimes par ailleurs, sur la définition et les causes du terrorisme, souvent liées à l'existence de foyers de crises non résolues, comme au Proche-Orient. Ainsi, si la mission d'information a auditionné un certain nombre d'experts, elle a préféré faire porter en priorité son attention sur des acteurs opérationnels de la lutte anti-terroriste, qu'elle a interrogés à huis clos, garantissant une plus grande liberté de parole. Les propos des interlocuteurs de la mission d'information ne sont donc pas cités dans le rapport, ils ont cependant permis de donner des points de vue permettant à la mission de se faire sa propre opinion.

Enfin, il convient de rappeler le rôle actif pendant toute la durée des travaux de la mission d'information de son Rapporteur, M. Frédéric de Saint-Sernin, dont le mandat de député a pris fin le 14 mai 2004, pendant la phase de rédaction de ce rapport, suite à sa nomination comme Secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire.

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME EST-ELLE UNE GUERRE ?

1) Le concept de « guerre contre le terrorisme » est-il approprié ?

Sans sous-estimer l'utilisation éventuelle de moyens militaires dans la lutte contre le terrorisme, nous considérons que celle-ci n'est pas pour autant une « guerre ». Parler de guerre est même contre-productif, notamment en ce qui concerne l'efficacité de la coopération internationale anti-terroriste :

- la coopération internationale exige, entre les Nations qui ont la volonté de coopérer, un haut niveau de confiance, peu compatible avec une rhétorique guerrière qui oppose « bons » et « mauvais » partenaires. En effet, il est par exemple aussi important d'obtenir un renseignement de bonne qualité de la part du Pakistan, félicité par les Etats-Unis pour sa participation à la « coalition internationale contre le terrorisme », que de part de la Syrie. Si ce pays avait en effet été très coopératif après les attentats du 11 septembre dans la mesure où il considérait qu'il pouvait lui-même être victime du terrorisme, il est clair que sa stigmatisation par Washington3 ne peut que l'inciter à se refermer. De la même façon, l'Iran avait fait preuve en 2001 d'une volonté de rapprochement et de coopération, vite remise en cause après son inscription sur la liste des Etats de « l'axe du mal ». Pourtant, l'on sait que des membres d'Al-Qaida sont présents sur le territoire iranien, sans que l'on sache quel est leur statut (prisonnier ?), il serait donc du plus haut intérêt de pouvoir interroger ces personnes et, plus globalement, de pouvoir bénéficier d'informations intéressantes de la part des Iraniens ;

- la coopération internationale est par ailleurs un effort difficile pour de nombreux Etats, notamment musulmans, par rapport à leur opinion publique. S'il est possible de convaincre les dirigeants de ces pays de participer à une « guerre contre le terrorisme », il en va différemment pour les peuples de ces pays, dont il n'est pas besoin de démontrer que leur ressentiment à l'égard de l'occident ne fait que croître. Ainsi, si l'appui apporté par des pays comme la Jordanie, le Pakistan, ou plus récemment l'Arabie Saoudite, est très utile dans la lutte contre les réseaux islamistes, il faut être conscient que leur attitude courageuse les fragilise face à une opinion publique qui considère que la « guerre contre le terrorisme » est une « guerre contre l'Islam » ;

- enfin la coopération internationale ne peut fonctionner que sur une base légale incontestable : non seulement car l'action anti-terroriste doit pouvoir être contraignante, mais aussi pour ne pas donner l'impression qu'il s'agit d'un combat unilatéral, tant pour des raisons d'efficacité que de justice. Ainsi, si l'on peut comprendre que les Etats-Unis, après le 11 septembre, ait choisi d'intervenir en Afghanistan en invoquant la légitime défense (article 51 de la Charte des Nations Unies), on peut penser que dans de tels cas, il serait plus productif de faire autoriser une éventuelle action militaire par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui, malgré ses défauts, est la seule expression de la légitimité internationale.

2) La lutte contre le terrorisme peut exiger l'utilisation de moyens militaires

A très juste titre, on estime donc généralement en France que la lutte contre le terrorisme concerne tout d'abord la police et la justice ; d'où une certaine réticence à parler de « guerre contre le terrorisme ». Pour autant, il ressort de l'ensemble des auditions que la mission d'information a menées, qu'il y a une place pour l'action militaire dans la lutte contre le terrorisme. En effet, dans certaines conditions, les réseaux terroristes peuvent s'appuyer sur une base étatique ou, au contraire, en l'absence de structure étatique, utiliser un territoire « sans Etat » pour développer des réseaux très structurés et organisés.

Certes, l'existence de réseaux terroristes fortement organisés et identifiables est une exception, mais son éventuel développement peut avoir des conséquences catastrophiques, comme l'a montré l'essor de l'organisation d'Oussama Ben Laden sur le territoire afghan entre 1996 et 2001. En effet, la protection d'Al-Qaida par un Etat et l'utilisation des infrastructures de ce dernier ont été à la base de la constitution d'une structure internationale, d'une nature différente des organisations terroristes traditionnelles. Les conséquences de la constitution de cette organisation criminelle internationale ont été redoutables :

- en termes de formation des terroristes : à l'abri du sanctuaire afghan, s'est développée une nébuleuse avec des relais dans le monde entier (Algérie, Tchétchénie, Balkans...). Vers ce sanctuaire ont convergé des centaines de djihadistes. Ainsi, pendant cinq à sept ans, des centaines de combattants ont été formés dans les camps afghans, avant de retourner en Europe, aux Etats-Unis ou dans leurs pays d'origine où ils avaient à la fois la légitimité et la compétence pour diriger des cellules terroristes, n'ayant d'ailleurs plus nécessairement de liens directs avec Al-Qaida,

- en termes de base de préparation d'attentats de grande ampleur. L'organisation d'attentats majeurs contre la puissance américaine (attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar Es-Salaam, attentat contre l'USS Cole à Aden en 2000, « 11 septembre ») n'a été possible que grâce à l'existence d'une structure fortement organisée, disposant d'outils de télécommunications, de financement, de terroristes formés d'un bon niveau intellectuel... On sait d'ailleurs aujourd'hui que Al-Qaida avait entrepris, sur le territoire afghan, des recherches afin de se doter d'armes biologiques. Mais pour dépasser le stade artisanal, notamment dans le domaine biologique, et à plus forte raison dans le domaine nucléaire, il est nécessaire de disposer à la fois de moyens financiers, mais aussi de laboratoires, difficiles à cacher...

La sophistication, sans précédent à ce niveau, des attentats du 11 septembre a ainsi fait prendre conscience des dangers immenses de laisser se développer au grand jour sur le territoire d'un Etat une organisation terroriste comme Al-Qaida. La destruction de ce sanctuaire était donc une nécessité absolue pour l'ensemble de la Communauté internationale. L'opération menée par les Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan, agissant en état de légitime défense4, a ainsi conduit au renversement du régime des Talibans, au démantèlement des camps de formation d'Al-Qaida et à l'arrestation de la plus grande partie de l'état-major de l'organisation terroriste.

Au cours de cette opération, la coopération internationale a été réelle, même si elle aurait pu être meilleure. En effet, si de nombreux pays ont participé aux opérations militaires en Afghanistan, ce ne fut pas dans le cadre d'un mandat du Conseil de sécurité, ni en recourant à l'OTAN5, mais sous la seule autorité des Etats-Unis6.

Ainsi, l'action militaire est incontestablement - dans certaines circonstances - l'un des volets de la lutte internationale contre le terrorisme, même si elle ne doit pas en être le centre. Il est vrai que le cas du sanctuaire afghan d'Al-Qaida est un exemple isolé que l'on imagine mal se reproduire à cette même échelle. Certains estiment donc que l'utilisation de la force militaire après le 11 septembre était légitime mais constituait une exception.

Pourtant, il continue d'exister des cas où une action coordonnée de l'outil militaire est utile :

- la surveillance des routes maritimes internationales est un enjeu majeur, ne serait-ce qu'en raison du poids du trafic maritime et son importance pour le commerce mondial, notamment en ce qui concerne des produits stratégiques (pétrole...). En outre, compte tenu du régime juridique de la haute mer, il est difficile de contrôler avec exactitude l'ensemble des personnes et des marchandises qui transitent par voie maritime. Or, on peut tout à fait imaginer que des terroristes utilisent cette voie par exemple pour transporter des éléments pouvant concourir à la construction d'armes de destruction massive : c'est cette crainte qui explique la mise en œuvre de la Proliferation security initiative (PSI). Cette initiative, qui regroupe onze pays7, vise à empêcher les transports de matières sensibles depuis et en direction des pays concernés par la prolifération, y compris par des arraisonnements de navire. En effet, la haute mer semble un espace destiné par nature à la coopération internationale dans la mesure où aucune autorité étatique ne s'y impose : laisser de tels espaces sans surveillance n'est donc pas une solution envisageable, mais il n'est pas possible non plus de laisser chaque Etat « faire la police » en haute mer sans aucun contrôle. Il est donc indispensable que le Conseil de sécurité des Nations Unies ait le monopole de l'action en la matière afin que celle-ci soit légitime et incontestable. Ainsi, si la PSI est une initiative intéressante, les critiques pesant sur sa compatibilité avec le droit international ont conduit des pays comme l'Indonésie et la Malaisie à refuser de laisser les navires de la coalition intervenir dans le très stratégique détroit de Malacca8 ;

- la destruction des bases utilisées par les réseaux terroristes, notamment dans des zones soustraites à une autorité étatique forte, par exemple dans les pays du Sahel, les zones tribales du Pakistan ou du Yemen. Dans l'ensemble de ces régions, des forces spéciales de pays occidentaux traquent dans la plus grande discrétion les bases que des réseaux terroristes pourraient installer, profitant de l'absence d'autorité étatique réelle.

3) L'action militaire a une efficacité limitée face à des réseaux terroristes en mutation

Dans l'histoire du terrorisme, l'organisation connue sous le nom d'Al-Qaida est une curiosité. En effet, avant de devenir aujourd'hui une sorte de label utilisé par des cellules autonomes, Al-Qaida a effectivement été une organisation relativement structurée, avec des camps d'entraînement, des donneurs d'ordre, une planification d'opérations... Face à une telle organisation, il est possible d'agir directement contre les terroristes en utilisant des moyens militaires, comme dans une guerre traditionnelle, puisque l'ennemi reste identifiable.

Cependant, l'une des spécificités du terrorisme est au contraire de mettre la cible face à un ennemi invisible, imprévisible et donc difficile à contrer. Le cas particulier d'Al-Qaida entre 1996 et 2001 s'expliquait par l'existence du « sanctuaire afghan » offert par les Talibans : l'action militaire avait alors un sens, ce qui est beaucoup moins vrai dans le cas de ce que l'on peut appeler le « deuxième âge d'Al-Qaida ».

En effet, les opérations militaires en Afghanistan ont eu pour conséquence une modification radicale du fonctionnement de la mouvance terroriste islamiste internationaliste. Tout d'abord, elles ont entraîné une dispersion dans le monde entier des individus qui ont transité dans les camps afghans, et qui sont autant de terroristes en puissance dans leur pays de résidence, où ils ont le savoir-faire et la légitimité pour mettre en place des cellules terroristes.

Par ailleurs, il est incontestable que la stratégie de communication de Ben Laden a été un succès. Elle a permis un foisonnement d'initiatives décentralisées par des cellules autonomes dont le lien direct avec Ben Laden est très ténu et se résume souvent à un « suivisme idéologique », sans relation financière ou de commandement entre elles et le « commandement », de plus en plus virtuel, d'Al-Qaida. C'est pourquoi les spécialistes du terrorisme comparent aujourd'hui la mouvance Al-Qaida à une structure en réseau horizontal, comme Internet, et parlent de « franchisation » du terrorisme par Al-Qaida à des groupes locaux.

Or, cette mutation de la mouvance terroriste accentue les problèmes auxquels sont confrontés les services chargés de la combattre. En effet, il est très difficile de surveiller des individus isolés, que les services de renseignement ne connaissent absolument pas, et qui donc dégagent très peu de signaux d'alerte. A l'inverse, il est plus facile de combattre des réseaux hiérarchisés, constitués d'individus connus, avec des communications et des transactions entre le centre et la périphérie.

Ainsi, il semble que les attentats de Casablanca en 2003 ont été organisés par des personnes marginalisées et totalement autonomes, alors que les islamistes marocains étaient pourtant surveillés étroitement : le profil des terroristes de Casablanca a alors causé beaucoup d'inquiétude en Europe. Il semble d'ailleurs que les cellules qui ont organisé les attentats de Madrid soient également composées de ce type d'individus. Si cela se confirmait, cela signifierait que ce terrorisme d'un nouveau type, que certains considéraient comme plus « artisanal », peut être aussi meurtrier qu'un terrorisme plus structuré.

Dès lors, la mutation du terrorisme islamiste rendant l'action militaire beaucoup moins efficace, elle exige au contraire de développer considérablement les moyens non militaires pour combattre le terrorisme que sont les services de renseignement, de police et de justice.

PEUT-ON LUTTER EFFICACEMENT CONTRE LE TERRORISME
DANS LE CADRE DES NATIONS UNIES ?

Les Nations unies sont le cadre naturel de toute forme de coopération internationale à grande échelle, il est donc logique qu'elles jouent un rôle primordial dans la mise en œuvre d'un cadre global de lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, comme le disait Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, « par sa nature même, le terrorisme est une attaque contre les principes fondamentaux de la loi, de l'ordre, des droits de l'Homme et le règlement pacifique des différends sur la base desquels ont été fondées les Nations unies. Les Nations unies ont un rôle essentiel à jouer dans la fourniture d'un cadre juridique et organisationnel sans lequel la campagne internationale contre le terrorisme ne peut aboutir ».

Pour autant, les Nations unies sont également fréquemment accusées d'être une organisation bureaucratique et peu opérationnelle, ce qui n'en ferait pas l'institution la plus efficace pour coordonner la lutte anti-terroriste. La mission d'information estime au contraire que le rôle des Nations unies dans cette lutte est essentiel, à condition de bien le définir au préalable et de ne pas attendre qu'elles se substituent aux Etats. Cette action utile recoupe trois dimensions.

1) Un rôle de légitimation du combat contre le terrorisme

Si l'on en juge par le volume des documents publiés par l'Organisation des Nations unies sur la question du terrorisme, il faut en conclure que cette organisation prend au sérieux cette menace. D'ailleurs, l'ONU a commencé à travailler sur ce thème bien avant les attentats du 11 septembre. Dans le cadre de l'Assemblée générale, un « Comité spécial » a en effet été créé par une résolution du 17 décembre 1996, laquelle publie régulièrement des rapports, centrés généralement sur les travaux visant à élaborer de nouvelles Conventions. Quant au Conseil de sécurité, il s'est saisi de la question par la résolution 1269 du 19 octobre 1999 qui énonçait le rôle directeur des Nations unies dans la coopération internationale contre le terrorisme.

En outre, dans le cadre des Nations unies, des Conventions internationales destinées à harmoniser les législations applicables en matière de terrorisme ont été négociées et adoptées9. Des travaux sont actuellement en cours visant à la rédaction d'une Convention générale portant sur tous les aspects du terrorisme international.

Les attentats du 11 septembre ont accentué cette tendance, la résolution 1373 du Conseil de sécurité adoptée le 28 septembre 2001 constitue ainsi aujourd'hui le socle de l'action anti-terroriste dans le cadre des Nations unies, notamment par la création d'un Comité contre le terrorisme (CCT) dont la composition est identique de celle du Conseil de sécurité, et qui produit des rapports sur l'application, par chacun des Etats membres de l'ONU, des obligations prescrites par la résolution 1373.

Parmi les acteurs opérationnels que la mission d'information a rencontrés, peu ont remis en cause le travail effectué dans le cadre des Nations unies, mais peu également l'ont cité spontanément. Il ressort le sentiment qu'il existe une frontière entre le travail opérationnel mené au quotidien par les services de renseignement, de police et de justice, et un travail beaucoup plus conceptuel mené dans le cadre des Nations unies.

La mise en place d'instruments juridiques internationaux peut sembler une réalisation concrète et efficace des Nations unies, mais plusieurs obstacles doivent relativiser cet espoir :

- les Etats mettent beaucoup de temps à ratifier ces conventions ;

- lorsqu'ils procèdent à la ratification, celle-ci n'est pas toujours suivie d'effets dans la législation nationale.

La question que l'on est donc naturellement amené à se poser est celle de l'utilité concrète de l'ONU dans la prévention et la lutte contre le terrorisme. L'ONU est-elle condamnée à produire des catalogues de bonnes intentions sans portée concrète ?

Tout d'abord, beaucoup de nos interlocuteurs nous ont indiqué qu'il ne fallait pas sous-estimer la portée de cette fonction « déclaratoire ». En effet, le terrorisme est loin d'être un phénomène objectif, sa définition fluctuant au gré des points de vues et des approches. Ainsi, dans ce contexte, les travaux très généraux menés dans le cadre des Nations unies ont le mérite d'affirmer que le terrorisme est un problème universel, qui concerne tous les Etats de la planète. Trop souvent, la détermination de certains Etats à lutter contre le terrorisme a été affaiblie par la crainte qu'ils ont que cette lutte ne soit qu'un prétexte pour réaliser d'autres desseins moins avouables. Ainsi, vis-à-vis de pays méfiants à l'égard de l'Occident, on peut penser par exemple à l'Iran, il est crucial de montrer que le terrorisme est un ennemi pour l'humanité dans son ensemble.

Dans un monde qui a besoin plus que jamais d'institutions qui expriment une légitimité internationale, il nous semble que le « moulin à paroles », comme les néo-conservateurs américains appellent l'ONU, est probablement plus écoutée quand elle parle de terrorisme, et donc plus efficace en profondeur, que des discours plus martiaux, mais dont la légitimité est contestée.

2) Un rôle d'appui pour les Etats les plus faibles

La mission d'information a acquis la conviction qu'en matière de lutte contre le terrorisme, les structures supra-nationales pouvaient jouer un rôle d'appui ou de coordination, mais qu'elles ne pouvaient pas remplacer les Etats eux-mêmes dans des domaines qui restent foncièrement régaliens, le renseignement, la police, la justice... Ainsi, l'action internationale dans ce domaine doit d'abord être le fait des Etats eux-mêmes dans un cadre intergouvernemental. Or, cette coopération intergouvernementale est souvent rendue très difficile, voire impossible quand les structures étatiques sont faibles et défaillantes. Ainsi, le meilleur contexte favorable aux terroristes réside souvent dans l'incapacité des Etats à se structurer, à mettre en œuvre les législations nécessaires, à disposer des outils qui permettent la coopération (conventions d'extradition bilatérales par exemple).

L'existence d'Etats faibles est par ailleurs une formidable occasion pour les réseaux terroristes qui peuvent y installer des camps d'entraînement, disposer de bases arrière, avoir accès à des infrastructures nécessaires à la préparation d'attentats. C'est pourquoi, il est crucial d'apporter à ces Etats une assistance technique et juridique, notamment afin d'éviter que cette carence dans le fonctionnement de leur système administratif ne puisse constituer un prétexte facile pour justifier une absence de coopération.

La question se pose alors de l'identité du fournisseur d'expertise. Certains Etats, et en premier lieu les Etats-Unis, se sont fait une spécialité dans ce domaine, proposant à la quasi-totalité des pays de la planète de leur fournir une assistance pour renforcer leur système de lutte anti-terroriste. Pour des raisons bien compréhensibles, les Etats potentiellement intéressés rechignent à accepter cette aide dont ils savent qu'elle n'est pas désintéressée et qui remet en cause leur souveraineté : on sait par exemple que les offres de service proposées par la CIA à des services de renseignement sont bien plus nombreuses que les demandes. Ainsi, il nous semble qu'il y là un domaine naturel d'intervention pour les Nations unies, et notamment pour l'Office des nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), basé à Vienne et qui dépend du secrétariat général. Le service de prévention du terrorisme de l'ONUDC, dirigé par un magistrat français, M. Jean-Paul Laborde, apporte ainsi une expertise technique et juridique aux Etats qui en ont besoin, afin de mettre en conformité leur législation anti-terroriste avec les conventions des Nations unies. Cette assistance peut prendre la forme de missions ponctuelles, voire de l'envoi de consultants dans le pays pour des durées plus longues. Les pays concernés ne sont pas choisis au hasard mais le sont en fonction des préconisations du Comité du contre terrorisme (CCT) du Conseil de sécurité. A la fin de 2003, 68 Etats avaient reçu le soutien du « programme mondial contre le terrorisme » mis en œuvre par l'ONUDC.

Compte tenu de la plus-value apportée, dans ce domaine spécifique de l'assistance aux Etats faibles, par l'utilisation d'une structure multilatérale par rapport à la coopération proposée bilatéralement par les grands pas développés, il nous semblerait utile de développer considérablement les moyens de l'ONUDC. Les auditions menées par la mission d'information ont montré que l'action multilatérale dans le domaine de la lutte anti-terroriste avait trop souvent tendance à être mise en place pour des raisons de posture, tout en requérant de la part des différents intervenants beaucoup d'énergie et de moyens, qui pourraient être mieux utilisée dans une action directement opérationnelle.

A l'inverse, le travail d'assistance effectué par l'ONUDC a le mérite d'être ciblé et de ne pas faire double emploi avec ce qui est fait ailleurs. Ainsi, s'il est un domaine où il faut privilégier l'action multilatérale, c'est celui de l'assistance technique et juridique : il faudrait donc passer à la vitesse supérieure dans ce domaine. Disposant d'un effectif permanent de six personnes, tributaire de contributions volontaires pour mettre en œuvre des actions concrètes, le service de prévention du terrorisme de l'ONUDC est encore une structure balbutiante. Faut-il aller jusqu'à la création d'une Agence spécialisée des Nations unies ? Cela sera peut être nécessaire car les actions très utiles menées par l'ONUDC sont encore très loin de correspondre aux besoins exprimés. D'ores et déjà, la France, qui n'a participé que pour 250 000 dollars lors du dernier appel à contribution devrait substantiellement augmenter son engagement. A plus long terme, la création d'une Agence spécialisée aurait pour avantage de doter un tel organisme de fonds permanents issus de contributions obligatoires, beaucoup moins suspectes politiquement que des contributions volontaires. L'action anti-terroriste multilatérale y gagnerait donc beaucoup en impartialité.

3) Une capacité de contrainte supranationale

La lutte contre le terrorisme international peut exiger la mise en œuvre d'actions coercitives qui dépassent les frontières. C'est par exemple bien sûr le cas quand la force militaire doit être utilisée pour mettre fin à une menace terroriste. Pour autant, l'efficacité de cette action coercitive à long terme exige qu'elle apparaisse légitime à la communauté internationale. La légalité internationale de telles actions doit donc être incontestable.

Dans le cadre de son mandat de garant de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité dispose de moyens très importants, y compris le recours à la force, pour lutter contre le terrorisme. Ses décisions s'imposant à tous les Etats, il peut par ailleurs établir des régimes légaux contraignants de façon beaucoup plus rapide et efficace que par l'intermédiaire de conventions internationales, dont le processus de ratification est généralement long et incomplet. Dans le domaine de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, le Conseil de sécurité a par exemple adopté une résolution 1540, en application du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui impose un certain nombre d'obligations aux Etats, afin notamment d'éviter que de telles armes ne tombent dans les mains de terroristes.

En effet, en matière de non prolifération comme de terrorisme, l'efficacité de la lutte peut être réduite à néant si certains Etats ne suivent pas le mouvement général. Or, seul le Conseil de sécurité dispose du pouvoir légal de contraindre des Etats souverains à prendre des dispositions qu'ils n'adopteraient pas d'eux mêmes.

QUEL BILAN POUR LA LUTTE MONDIALE MENÉE CONTRE LES RÉSEAUX TERRORISTES DEPUIS LE 11 SEPTEMBRE ?

Les attentats du 11 septembre ont entraîné une prise de conscience de l'universalité et des ravages du terrorisme. En conséquence, ce thème a figuré à l'ordre du jour de l'ensemble des grandes organisations internationales et régionales. Mais à côté de ce fourmillement d'initiatives, une action plus discrète a été entreprise pour empêcher de nouveaux attentats de grande ampleur : il ne s'agit pas d'une action en profondeur sur les causes du terrorisme, mais d'une action concrète destinée à démanteler des réseaux dormants et donc à prévenir des attentats au cas par cas, par l'action combinée des services de renseignement, de police et de justice.

1) Une évaluation difficile par nature

Quelle a été l'efficacité de cette « première ligne de défense contre le terrorisme », pour reprendre l'expression utilisée par M. François Heisbourg, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique ? Il est délicat de répondre à une telle question car :

- l'efficacité des services de renseignement est par définition difficile à apprécier, de même qu'il est impossible de vérifier l'évaluation faite par les principaux responsables de la lutte anti-terroriste de la coopération anti-terroriste ;

- en matière de lutte contre le terrorisme, comme l'a dit un responsable français, l'efficacité d'un dispositif ne se mesure que par ses échecs et empêcher 99,9 % des projets d'attentats est un très mauvais score !

Globalement on peut néanmoins estimer que la coopération anti-terroriste a donné de bons résultats et a empêché un certain nombre d'attentats.

2) Une efficacité apparente des services de renseignement aux Etats-Unis et en Europe

Le seul indicateur disponible de l'efficacité de l'action préventive réside dans l'existence de tentatives d'attentats déjoués. Le nombre de ces tentatives montre d'ailleurs que la détermination des terroristes islamistes à perpétrer des attentats en Europe est constante. Il est donc incontestable que sans le travail de l'ombre mené par les services de renseignement, l'Europe aurait été touché par des groupes liés à Al-Qaida bien avant le 11 mars 2004. On peut ainsi citer parmi les tentatives d'attentats qui ont été déjoués avant le 11 septembre : les tentatives d'attentats contre le marché de Noël de Strasbourg ou contre l'ambassade américaine à Paris, et depuis le 11 septembre, la tentative contre l'ambassade de Russie à Paris, l'attentat à la ricine dans le métro de Londres, ou encore une action envisagée par le GSPC10 lors du Paris-Dakar 2004.

Un autre indicateur, moins convaincant, de l'efficacité relative des services de renseignement occidentaux tient à l'absence d'attentats de grande ampleur depuis le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et, jusqu'au 11 mars 2004, en Europe. En effet, il est clair que ce n'est pas la volonté qui manque aux terroristes : à cet égard, la communauté du renseignement jugeait dès avant le 11 mars 2004 qu'un attentat majeur en Europe était inévitable. Pour autant, il est probable qu'il a été plus difficile pour les terroristes d'agir en Europe que dans des régions moins protégées. Ainsi, les nombreux attentats menés à partir de 2001, souvent contre des intérêts occidentaux, dans des pays moins protégés que les Etats-Unis ou l'Europe étaient probablement le signe de la difficulté, pour les terroristes, d'atteindre le cœur de leur cible. Il est en effet probablement plus facile d'organiser un attentat à Bali, Casablanca ou Karachi que de le faire à Washington, Paris ou Berlin. Les attentats de Madrid ont cependant montré que la lutte contre le terrorisme ne peut pas reposer uniquement sur l'action des services de police et de renseignement : aussi efficaces soient-ils, ils ne pourront jamais empêcher tous les attentats.

3) La coopération internationale a-t-elle contribué à prévenir certains attentats ?

La coopération entre services n'est pas née avec le 11 septembre 2001, mais elle a pris, à partir de cette date un nouveau visage. Elle est devenue plus efficace, en raison de la prise de conscience du caractère ravageur et universel du terrorisme islamiste. La coopération internationale s'en est trouvée améliorée pour plusieurs raisons :

- les services américains, de loin les plus puissants du monde, sont devenus alors demandeurs d'informations et, en échange, ont partagé davantage de renseignements sur la mouvance islamiste, alors qu'avant le 11 septembre, ils ne se sentaient pas toujours directement concernées par cette menace terroriste islamiste. Concrètement, cela signifie qu'ils sont beaucoup plus attentifs au renseignement, surtout d'origine humaine, venant des services européens, dont ils reconnaissent l'expertise et l'expérience en matière de terrorisme islamiste. En sens inverse, ils ont des capacités en matière de renseignement technique qui sont sans commune mesure avec celles des Européens. Le partage des renseignements « captés » par les capacités techniques américaines n'est pas complet, mais il semble très satisfaisant. Il y a en quelque sorte un « échange de bons procédés » entre des services américains, immensément riches mais qui ont longtemps sous-estimés la menace islamiste et des services européens, dont en premier lieu les services français, qui disposent de beaucoup moins de moyens, mais qui récoltent un renseignement, notamment d'origine humaine, dont la qualité est reconnue.

- la prise de conscience mondiale de la nécessité de combattre le terrorisme s'est traduite par l'apparition de partenariats nouveaux dans la lutte anti-terroriste, avec des pays jusque là peu actifs en matière de coopération internationale. Les services occidentaux ont ainsi aujourd'hui des relations suivies avec les services Russes, même si elles sont largement centrées sur la problématique tchétchène, ou, et cela est fondamental, avec les services de pays musulmans, comme le Pakistan, les pays du Maghreb, la Jordanie, l'Arabie Saoudite, voire la Syrie, qui a fourni après le 11 septembre des renseignements très utiles ;

- le niveau d'alerte en matière de risque terroriste a été modifié, les services pratiquent désormais une forme de « principe de précaution ». D'une part des outils ont été mis en place (transmission d'informations sur les passagers dans le transport aérien...) afin de disposer de davantage d'indices sur des terroristes potentiels. D'autre part, ces « indices » sont partagés et les services donnent l'alerte sur la base d'une simple éventualité (ressemblance de noms...). Ainsi, contrairement à certaines analyses faites à l'époque, les annulations de vols d'Air France, et d'autres compagnies, entre décembre 2003 et février 2004, n'ont pas été le signe d'un raidissement de la relation franco-américaine, mais la manifestation de la coopération au quotidien entre nos services, même si les services américains n'ont pas le même mode de réaction à des informations non vérifiées que le nôtre. Mais, il est certain qu'il est préférable de prendre au sérieux un renseignement non vérifié, cela a encore été le cas en avril 2004 à propos d'une crainte d'attentat dans le RER parisien, que de ne pas tenir compte de certains signaux avant-coureurs.

Plus globalement, les services qui luttent contre le terrorisme sont confrontés au problème de l'afflux d'informations, et donc à celui du tri des renseignements réellement utiles. Cela nécessite alors de concentrer la collecte sur les informations les plus pertinentes, ce qui est une démarche relativement intrusive, et donc potentiellement dangereuse pour le respect de la vie privée. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le débat sur le transfert des données personnelles des voyageurs de vols transatlantiques sur des compagnies européennes aux autorités américaines11. L'objectif de ce transfert de données est de disposer d'une base d'information pour détecter parmi les passagers ceux qui présentent un risque terroriste : les avantages de ce système en termes de sécurité sont donc réels, d'autant qu'il assurera un contrôle beaucoup plus fin que celui qui est actuellement effectué, principalement à partir du nom de famille, ce qui a conduit à de nombreuses annulations de vols sur la base d'éléments insuffisamment précis. A l'inverse, ce transfert de données personnelles a fait naître de légitimes interrogations quant au respect de la vie privée, conduisant le Parlement européen à refuser de donner un avis favorable à la conclusion de l'accord avec les Etats-Unis. Il convient néanmoins d'indiquer que les négociateurs européens ont obtenu un certain nombre de garanties concernant notamment le nombre de données transmissibles (sont exclues celles liées à la religion ou à la santé du passager), les autorités pouvant les exploiter, les conditions d'utilisation de ces données (uniquement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité) ou encore leur durée de stockage (trois ans et demi contre cinquante ans demandé par les Etats-Unis). Par ailleurs, l'accord prévoit la réciprocité du transfert de données si l'Union européenne décide de se doter d'un mécanisme comparable à celui des Etats-Unis. Dans l'attente de la mise en place d'un tel système au niveau européen, il serait souhaitable que ce transfert de données puisse être d'ores et déjà réalisé au profit des différents Etats membres de l'Union européenne.

Au total, et bien qu'il ne nous soit pas possible ici de donner des exemples précis où des échanges de renseignements ont permis d'empêcher des attentats, il est clair que le renforcement de la coopération entre services a eu un impact largement positif.

Enfin, précisons qu'il y a un accord unanime pour affirmer que les tensions transatlantiques créées par la guerre en Irak n'ont eu aucune conséquence sur la coopération au quotidien entre les services de renseignement. Pour autant, à plus long terme, il serait difficile de maintenir une telle qualité dans l'échange de renseignements s'il apparaissait que nos conceptions des relations internationales devaient durablement diverger. D'ores et déjà, certains gouvernements de pays musulmans se montrent, dans le meilleur des cas, de plus en plus discrets sur leur coopération avec les Etats-Unis dans la lutte anti-terroriste, voire réticents à la prolonger.

LA LUTTE OPÉRATIONNELLE CONTRE LE TERRORISME DOIT-ELLE ÊTRE TRANSFÉRÉE AU NIVEAU EUROPÉEN ?

Suite aux attentats de Madrid du 11 mars 2004, les observateurs des affaires européennes ont fait un double constat : tout d'abord celui du caractère transnational des réseaux terroristes qui se jouent des frontières, surtout dans un espace aussi intégré que l'Union européenne ; ensuite celui de la modestie du bilan de l'Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme. Il est tentant de déduire de ce double constat qu'il suffit, pour être efficace, de transférer au niveau communautaire la compétence de la lutte contre le terrorisme, dans la mesure où il s'agit d'un fléau qui dépasse l'échelle nationale. Pourtant, au fur et à mesure des auditions, il est apparu à la mission que la mise en place d'une « CIA européenne », ou d'un tribunal européen contre le terrorisme dessaisissant les juges nationaux, ne constituaient pas les solutions les plus adaptées dans le cas du terrorisme international.

1) Le renseignement : un domaine inadapté à la coopération multilatérale

La coopération en matière de renseignement repose principalement sur l'échange de renseignements. En théorie, il semble plus simple et plus efficace de demander à des services qui appartiennent à une même communauté de destin, comme l'Union européenne, de mutualiser l'ensemble des informations dont ils disposent, plutôt que de procéder à des échanges de renseignements sur une base bilatérale au coup par coup. Cette solution séduisante se heurte pourtant au scepticisme des services de renseignement des « grands » pays de l'Union européenne : cela s'explique-t-il par la permanence de susceptibilités nationales, par l'égoïsme des plus grands services qui ne veulent pas partager leurs informations avec des services plus petits ? Il nous semble au contraire que des raisons de fond rendent la coopération multilatérale particulièrement délicate à organiser en ce qui concerne l'échange de renseignements.

Un service qui ne respecterait pas les règles fondamentales du monde du renseignement se décrédibiliserait et courrait le risque de se voir couper l'accès à des renseignements de première importance. Or, les règles fondamentales du renseignement sont la protection de la source et la règle du « tiers exclu » qui fait qu'un service reste toujours propriétaire du renseignement qu'il transmet à un autre service, lequel ne pourra donc le transmettre à un service tiers sans autorisation préalable. Le respect de ces règles est un impératif absolu :

- pour la protection de la source qui a fourni le renseignement : si le service ne protège pas ses sources, toute fuite peut provoquer la perte de la source, qui ne pourra plus fournir de nouvelles informations à l'avenir et voit sa vie, lorsqu'il s'agit d'une source humaine, mise en danger. Or, tous les spécialistes du renseignement estiment que la multiplication des échanges de renseignements entraîne une augmentation très forte des risques de fuite ;

- pour la vérification des informations : lorsqu'un renseignement est « mutualisé », et n'est donc plus communiqué avec sa source, il est impossible de s'assurer de sa crédibilité. En effet, dans une telle hypothèse, il est possible de faire de faux recoupements puisque l'information en question, sans être passée dans le domaine public, circule assez largement et peut donc « revenir » vers son émetteur sans constituer pour autant une confirmation de crédibilité;

- pour la variété du renseignement : celui-ci, on le sait, est parfois acquis, en dehors du territoire national, par des voies non légales. Pourtant, les services n'hésitent pas à transmettre de tels renseignements à des interlocuteurs en qui ils ont toute confiance. En effet, en matière de renseignement, il est inévitable que les relations humaines personnelles, les habitudes historiques jouent un rôle très important. Un tel degré de confiance n'existait déjà probablement pas entre les services de l'ensemble des 15 membres de l'Union européenne avant l'élargissement, et sera donc encore plus difficile à atteindre à 25, avec des pays qui ont des services de renseignement parfois très peu développés. On peut le regretter, mais il est un fait que s'il on mettait en place un service de renseignement à vocation européenne, celui-ci serait constamment court-circuité par les services nationaux.

Ainsi, l'idée de disposer d'une structure recueillant l'ensemble des renseignements des services européens est séduisante en théorie, mais dans la lutte contre le terrorisme, le stockage de ces informations n'est intéressant que dans la mesure où celles-ci peuvent être utilement exploitées pour prévenir des attentats et remonter des filières terroristes, en relation avec les magistrats spécialisés autant de missions qui restent le monopole de services nationaux, de police et de justice.

2) Le risque de la mise en place de structures bureaucratiques

Remplacer les structures nationales de la lutte anti-terroriste par des structures supranationales semblant hypothétique, ou dangereux, selon les points de vue, il peut sembler tentant de mettre en place des structures de coordination. On peut citer par exemple Eurojust, pour la coopération judiciaire, Europol pour la coopération policière et le « Centre de situation » du secrétariat général du Conseil, qui a déjà une compétence pour le renseignement extérieur et qui devrait être prochainement également compétent pour traiter de la menace terroriste intérieure. D'ores et déjà, les services de renseignement participent à de très nombreux organes, formels12 ou informels13, de coopération et de coordination. Depuis le 11 septembre, leur nombre a encore augmenté, ce qui pose d'ailleurs des problèmes pratiques de gestion des moyens, et donc d'arbitrage entre le temps consacré à ces activités d'échanges et de coordination et le temps consacré à mener des actions opérationnelles de démantèlement des réseaux terroristes.

Ce type de structure vise à apporter un appui aux services nationaux en permettant des synergies, en mettant en commun des « sources ouvertes » (analyses générales de la menace, traductions...). Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que ces structures n'aient pas un caractère opérationnel, puisque justement le but poursuivi par les Etats membres était d'en faire des outils d'information.

L'essentiel, en fait, est de s'assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. A cet égard, la mission d'information souhaiterait insister sur le caractère remarquable de la coopération franco-espagnole dans le combat contre le terrorisme de l'ETA : la coordination entre services français et espagnols se fait à tous les niveaux et se traduit par une concertation extrêmement étroite qui peut aller jusqu'à des opérations conjointes. Le cadre de cette coopération devrait donc servir d'exemple pour d'autres coopérations bilatérales, qui pourraient transposer les outils utilisés dans la lutte contre l'ETA (existence d'équipes communes d'enquête, échange d'officiers de liaison, échanges d'informations permanents...).

Il faut en effet veiller à ce que policiers et magistrats nationaux ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l'Union, ce qui passe par une amélioration de l'entraide judiciaire pénale, par une meilleure harmonisation des systèmes policiers et judiciaires nationaux, mais ne nécessite pas forcément la création d'un service de renseignement européen, d'une police et d'une justice européennes. Cependant, pour parvenir à l'adoption de standards communs, pour habituer juges ou policiers nationaux à travailler ensemble, il est probablement nécessaire qu'il existe des aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître, même si bien des interlocuteurs ont l'impression de perdre beaucoup de temps dans ces enceintes.

LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME MENÉE DANS LE CADRE DE L'UNION EUROPÉENNE EST-ELLE EFFICACE ?

« L'un des enseignements des attentats de Madrid n'est-il pas que chaque victime d'actes terroristes est désormais une victime européenne ? A chaque fois qu'un Etat membre est victime d'un acte de terrorisme islamiste, c'est aussi l'Union en tant que telle qui est frappée, parce que nous avons fondé et construit cette Union sur des valeurs communes : dans l'esprit de ceux qui nous guettent pour mieux nous frapper, et qui utilisent nos valeurs à cette fin nous sommes tous des Etats mécréants, athées, dont les valeurs sont honnies ». Ces propos de M. Gijs de Vries, coordonnateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme14, traduisent bien le sentiment général d'une solidarité naturelle entre Européens face à la menace terroriste. La conclusion logique à en tirer est la nécessité de développer une véritable politique européenne en matière de lutte contre le terrorisme. Cependant, quelle forme doit prendre cette coopération dans le cadre de l'Union européenne et dans quelle mesure l'action de l'Union doit-elle se substituer à celle menée par les Etats membres ?

1) Les différentes étapes de la réponse européenne contre le terrorisme

* L'attention portée à la lutte contre le terrorisme par les institutions européennes date d'avant le 11 septembre 2001. Le terrorisme figurait en effet parmi les raisons justifiant la mise en œuvre d'un « espace européen de liberté, de sécurité et de justice », projet lancé au Conseil européen de Tampere en 1999. Le développement de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l'Union européenne avait en effet notamment pour objectif de favoriser la lutte contre le terrorisme. C'est ainsi que des outils comme la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les membres de l'Union européenne du 29 mai 2000 peuvent permettre une beaucoup plus grande efficacité des enquêtes menées contre des réseaux terroristes.

* Les attentats du 11 septembre ont conduit l'Union européenne à décider de mener une politique spécifique de lutte contre le terrorisme. Ainsi, dès le Conseil européen extraordinaire du 20 septembre 2001, l'Union s'est dotée d'une feuille de route intégrant toutes les dimensions de la lutte contre le terrorisme, notamment :

- l'adoption d'un certain nombre de mesures législatives dans le domaine de la lutte anti-terroriste : la plus spectaculaire a été l'adoption de la décision-cadre du 13 juin 2002 créant le mandat d'arrêt européen, qui a révolutionné la pratique en matière d'extradition au sein de l'Union européenne, en rendant celle-ci quasiment automatique15. Une autre mesure importante a été l'adoption d'une autre décision-cadre du 13 juin 2002 sur la lutte contre le terrorisme, qui permet d'harmoniser la définition du terrorisme au sein de l'Union européenne, levant ainsi une entrave fréquente à la coopération judiciaire16 ;

- le renforcement des organismes communautaires dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Europol, dont le mandat comprenait déjà la lutte contre le terrorisme, a créé en son sein une task force réunissant des spécialistes de la lutte anti-terroriste. Quant à Eurojust17, il est indéniable que le développement de l'action européenne dans la lutte anti-terroriste a accéléré sa création, le 6 mars 2002 ;

- le développement de la coopération avec les Etats-Unis qui a conduit à la négociation d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis concernant l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale, signés le 25 juin 2003, et en matière de transfert des données personnelles des voyageurs du transport aérien, signé le 28 mai 200418.

- l'adoption, le 12 décembre 2003, de la « stratégie européenne de sécurité », préparée par M. Javier Solana, Haut Représentant pour la PESC. Ce document, véritable « livre blanc » de la sécurité en Europe, fait le point sur l'état des menaces auxquelles l'Europe est confrontée, en insistant plus particulièrement sur la menace terroriste.

* Les attentats de Madrid du 11 mars 2004 ont incité les dirigeants européens à intensifier la politique de l'Union en matière de lutte contre le terrorisme, suite aux critiques sur le peu d'efficacité des mesures prises après le 11 septembre 2001. Le Conseil européen a ainsi adopté le 25 mars 2004 une « Déclaration sur la lutte contre le terrorisme », confirmée lors du Conseil des 17 et 18 juin 2004. Les décisions les plus spectaculaires prises après le 11 mars 2004 ont été l'adoption par anticipation de la clause de solidarité contre le terrorisme inscrite dans le projet de Constitution, la nomination d'un Coordinateur de la lutte contre le terrorisme, placé auprès de Javier Solana, chargé notamment de faire rapport sur la mise en œuvre par les Etats membres des mesures législatives prises dans le cadre de l'Union européenne. Il a par ailleurs été décidé de relancer la task force sur le terrorisme d'Europol, et de créer une unité de renseignement portant sur tous les aspects de la menace terroriste au sein du secrétariat général du Conseil.

2) Quelle place pour l'Union européenne par rapport aux dispositifs nationaux de lutte contre le terrorisme ?

Nous avons montré par ailleurs que la coopération anti-terroriste relevait en priorité de la sphère bilatérale. Pour autant, l'Union européenne ne doit pas se désintéresser de la lutte anti-terroriste à laquelle elle peut apporter une contribution utile. Comme toujours en matière de construction européenne, il est nécessaire d'appliquer strictement le principe de subsidiarité, donc d'inviter l'Union européenne à agir quand elle peut apporter une plus-value par rapport aux politiques nationales. Il nous semble d'ailleurs que le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte anti-terroriste lui-même, M. Gijs de Vries l'a bien compris lorsqu'il déclare devant la Commission des Affaires étrangères : « Je crois que le rôle fondamental de l'Union est d'apporter dans le domaine qui nous préoccupe une valeur ajoutée. Sa responsabilité est avant tout, dans l'état actuel du droit, qui régit les compétences respectives de l'Union et des Etats membres, de donner à ces derniers une base juridique qui facilite la coopération entre Etats membres. En effet, la lutte opérationnelle contre le terrorisme est placée sous la seule et pleine responsabilité des Etats membres, qu'il s'agisse de l'action des services de renseignement ou de police, ou encore de la justice pénale. Dès lors l'action de l'Union est essentiellement complémentaire de celle des Etats membres ».

* L'Union européenne doit d'abord prendre en compte la dimension terroriste dans la mise en œuvre des politiques communautaires. Ainsi, dans le cadre de la politique d'immigration, il convient que l'Union européenne s'assure que les frontières extérieures de l'Europe soient protégées contre l'arrivée de terroristes. A cet égard, la future Agence européenne chargée de la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures aura un rôle important à jouer. Par ailleurs, des politiques comme celles du développement ou des relations extérieures concernent des pays qui peuvent être confrontés au terrorisme : les accords conclus avec ces pays doivent donc comporter des clauses particulières en matière de terrorisme, non seulement afin de s'assurer de la bonne qualité de leur coopération, mais aussi pour leur apporter une aide technique dans le domaine de la lutte anti-terroriste.

* La politique européenne en matière de lutte anti-terroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais leur apporter un appui quand des synergies sont possibles. La mission d'information a montré que la création de structures supranationales19 n'était pas forcément adaptée dans la lutte opérationnelle contre le terrorisme, mais qu'elles devaient être des instances qui favorisaient la coopération directe entre services. Ainsi, il ne nous semble pas que l'instauration d'un procureur européen rendrait la lutte contre le terrorisme plus efficace ; par contre l'unité Eurojust pourrait très utilement permettre un rapprochement entre magistrats de cultures juridiques différentes, afin de faciliter le déroulement d'enquêtes dans plusieurs pays de l'Union. De même, il n'est pas souhaitable qu'Europol se transforme en FBI européen en menant lui-même des enquêtes, mais la participation, à titre d'appui, d'agents de l'Office européen de police à des équipes communes d'enquête20 sera très utile car elle participera au développement d'une culture policière européenne, en permettant par exemple de faire profiter à chacun de l'expérience acquise au fil du temps. Enfin, concernant le domaine sensible du renseignement, il est dangereux et inefficace de confier la collecte et le stockage du renseignement opérationnel à une instance multilatérale, en raison des règles propres à ce secteur, mais il peut être utile de créer des synergies dans des domaines qui ne sont pas soumis à la confidentialité, comme par exemple l'analyse de la menace.

* Le principal rôle que l'Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre Etats membres. Nous avons ainsi constaté que l'efficacité de cette coopération repose sur un rapprochement des législations et des systèmes pénaux et sur la mise en place d'outils concrets de nature à accélérer l'entraide judiciaire en matière pénale21. Même, si elle ne concerne pas uniquement la lutte contre le terrorisme, il nous semble que la coopération judiciaire en matière pénale doit être considérablement développée. L'objectif à terme devrait être que les frontières nationales ne constituent plus un obstacle dans la conduite d'enquêtes en matière terroriste.

* La protection civile est également un domaine où la légitimité de l'intervention de l'Union européenne semble réelle. En effet un attentat de grande ampleur, utilisant par exemple des moyens non conventionnels, aurait des conséquences dépassant les frontières de l'Etat touché. La mission d'information a donc estimé que l'Union européenne devait davantage s'investir en matière de sécurité et de protection civile22.

* Enfin, s'agissant de domaines souvent régaliens et où la coopération exige un haut degré de confiance mutuelle, il nous semble que des coopérations renforcées pourraient être mises en place entre certains Etats dont les structures de lutte anti-terroriste sont proches, sur le modèle de la coopération entre ministères de la justice et de l'intérieur des pays du « G5 » (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni). Il existe en effet des cas où une action commune de plusieurs pays permettrait d'obtenir des résultats plus efficaces que des actions isolées. Cependant, à vingt-cinq, dans des domaines extrêmement sensibles comme celui du renseignement, les inconvénients d'une action commune l'emportent sur les avantages. Ainsi, il est préférable de privilégier des coopérations spécifiques entre pays aux caractéristiques comparables, par exemple en matière de renseignement offensif sur des zones de crises où l'Europe a un vrai retard, la mutualisation des moyens des principaux services européens dans ce domaine donnerait à l'Union européenne des possibilités d'intervention plus grandes.

Face à l'importance de la menace terroriste, les citoyens ne comprendraient pas que l'Union européenne se désintéresse de ce sujet. Il est donc légitime pour celle-ci de chercher à apporter une plus value dans la lutte contre le terrorisme, objectif qu'elle peut atteindre dans un certain nombre de domaines (sécurité civile, coopération judiciaire en matière pénale...). En revanche, l'Union européenne doit résister à certaines idées simplistes (création d'une « CIA » européenne par exemple), au risque de rendre l'architecture européenne de la lutte contre le terrorisme encore plus complexe et donc moins efficace.

COMMENT AMÉLIORER LA COOPÉRATION BILATÉRALE DANS LA LUTTE OPÉRATIONNELLE CONTRE LE TERRORISME ?

Si les enceintes multilatérales ne semblent pas des structures adaptées pour améliorer la lutte anti-terroriste, cela ne signifie pas pour autant que la coopération bilatérale, en dépit de réalisations incontestables, fonctionne de façon entièrement satisfaisante.

La mission d'information estime que depuis le 11 septembre, les obstacles au développement de la coopération bilatérale ne tiennent pas tant à une absence de volonté de la part des acteurs, sauf exception, mais sont liées à la variété des structures nationales de la lutte antiterroriste qui ne sont pas toujours pleinement compatibles entre elles. Ainsi, la voie à privilégier pour l'amélioration de la coopération internationale ne réside pas tant, comme cela a beaucoup été fait depuis le 11 septembre, dans le développement de structures internationales de coordination, mais bien davantage dans l'évolution ou la réforme des appareils anti-terroristes des pays qui souhaitent coopérer ensemble.

1) Se donner les moyens de la coopération bilatérale

La coopération bilatérale repose largement sur la réciprocité et sur la mise en place de relations de confiance. Elle exige donc un certain investissement, y compris d'ordre financier.

Ainsi, en matière de renseignement, pour recevoir, il faut pouvoir donner : cela signifie que la coopération dans ce domaine restera cantonnée à une échelle relativement réduite si les échanges d'information ne sont pas réciproques. Cela ne veut pas dire qu'un « petit » service est par nature exclu de ce type de coopération. En effet, de tels services peuvent apporter des renseignements très utiles sur des régions bien précises sur lesquelles ils ont une expertise particulière. Pour autant, il est indispensable pour un service de disposer d'une taille critique suffisante s'il veut peser dans le monde du renseignement.

En ce qui concerne le renseignement technique, le fossé va croissant avec les Etats-Unis. Le Royaume-Uni seul consacre un investissement budgétaire important pour rester au contact. Or, dans ce domaine, les évolutions technologiques sont telles, qu'un retard se traduit très rapidement par un décrochage irrattrapable. Si la France veut continuer de bénéficier d'une partie des informations innombrables fournies par les systèmes d'interception américains, il lui faudra faire un effort budgétaire substantiel. Ce type de renseignement, parfois méprisé en France, est d'une efficacité réelle s'il est bien traité : à l'inverse, en l'absence de possibilités de traitement de ces informations en très grand nombre, un éventuel renseignement intéressant restera noyé dans la masse.

Ainsi, pour pouvoir continuer de coopérer efficacement avec les services américains, il est indispensable de développer nos capacités en la matière : la « division du travail » apparu immédiatement après le 11 septembre entre des services disposant d'un très bon renseignement humain et d'autres possédant des capacités techniques très développées a par ailleurs tendance à s'estomper : les services américains ont fourni un gros effort dans le domaine du renseignement humain, et ont, en outre, beaucoup progressé dans leur capacité de traitement du renseignement technique, en accroissant sensiblement leurs capacités de traduction et d'analyse. Enfin, il faut rappeler que l'utilisation de moyens technologiques, notamment en terme de cryptage, rend la coopération plus facile à mener concrètement.

Quant au renseignement humain, il reste irremplaçable. Certes, le 11 septembre a entraîné un arrêt de la tendance à la décroissance des effectifs de nos services de renseignement, observable depuis la fin de la guerre froide, mais il n'a pas entraîné une reprise significative des recrutements. Les effectifs de nos services pour répondre à la menace terroriste sont donc inférieurs à ceux qui étaient consacrés à lutter contre la menace soviétique, alors même que nos services ne peuvent pas non plus délaisser les missions classiques de contre-espionnage.

Au total donc, la coopération en matière de renseignement repose sur l'existence de services capables de s'échanger des informations sur une base relativement équilibrée et utilisant des technologies comparables afin de pouvoir se comprendre. Ainsi, alors que les Etats-Unis d'une part, mais aussi certains de nos partenaires européens d'autre part23 ont considérablement augmenté les moyens qu'ils consacrent à leurs services de renseignement, il est crucial pour la France de veiller à ce que les difficultés budgétaires n'empêchent pas le développement de nos services de renseignement.

2) Estomper les différences entre les systèmes nationaux de lutte anti-terroriste

Malgré une volonté de coopérer forte, le travail en commun est souvent rendu très difficile par la variété des structures chargées de la lutte anti-terroriste, héritées de contextes historiques et de traditions juridiques souvent très différentes. Il nous semble ainsi que la prise de conscience des ravages du terrorisme pourrait inciter les pays qui désirent coopérer à harmoniser leurs systèmes de lutte anti-terroriste afin de leur permettre de travailler plus facilement en commun. Ayant été très tôt confrontée au terrorisme, la France a mis progressivement en place un système de lutte contre le terrorisme, considérée par nos partenaires comme très efficace et favorisant la coopération. Ainsi il nous a paru utile d'étudier comment un système « à la française » pouvait favoriser la coopération internationale.

En premier lieu, le système français de lutte contre le terrorisme repose sur la centralisation des poursuites en matière de terrorisme, confiées à des magistrats spécialisés. L'une des conséquences positives de ce système est qu'il permet pour nos partenaires l'identification d'interlocuteurs clairs, à la compétence et à la fiabilité reconnues. On conçoit en effet facilement qu'il soit plus facile de mener une action de coopération internationale lorsqu'il existe un seul interlocuteur plutôt qu'une multiplication d'intervenants, comme par exemple en Allemagne où il faut traiter séparément avec les institutions policières décentralisées de chaque Land. Certes, cette situation s'explique par la structure fédérale du pays, mais les Etats-Unis ont adopté un système différent. Pourtant, l'Allemagne dispose aussi d'organes policiers fédéraux, comme l'office fédéral de police criminelle, dont les bureaux locaux sont cependant sous la tutelle des Länder.

En second lieu, le dispositif anti-terroriste français est considéré comme très performant, en raison des synergies qu'il permet entre le monde judiciaire et celui du renseignement. En effet, les enquêtes sont fréquemment confiées à la DST qui est à la fois un service de renseignement et un service de police judiciaire. Cette synergie permet une grande efficacité du système :

- le rapprochement entre le renseignement judiciaire et le renseignement opérationnel permet aux juges de disposer d'un renseignement d'une qualité sans commune mesure avec celui dont disposent leurs collègues anglo-saxons où il existe une frontière étanche entre ces deux types de renseignement. Les magistrats français peuvent ainsi ouvrir une information judiciaire à partir d'informations recueillies par les services de renseignement. Cela explique peut être le statut très particulier de certains magistrats français chez nos partenaires, comme par exemple le juge Jean-Louis Bruguière, considéré comme un interlocuteur de premier plan, et comme étant à la tête d'un quasi service de renseignement,

- en sens inverse, les compétences de police judiciaire de la DST lui permettent de disposer de nombreux renseignements issus de procédures judiciaires, donc beaucoup plus nombreux et précis que des renseignements acquis avec les moyens traditionnels de ce type de service. Ainsi, ses compétences de police judiciaire lui permettent de réaliser des perquisitions, des interrogatoires dans le cadre de garde à vues (quatre jours en matière de terrorisme), de procéder à des écoutes téléphoniques. De plus, la découverte de réseaux terroristes se fait fréquemment en remontant des filières de petite délinquance (trafic de drogue, fabrication de faux papiers...), ce qui ne peut se faire qu'en appuyant le renseignement opérationnel sur le renseignement strictement judiciaire. Mais, dans la mesure où les correspondants de nos services ne fonctionnent pas selon le même modèle, cela peut poser des problèmes pour la coopération : si la DST fournit un renseignement à un service qui fait strictement du renseignement, celui-ci risque de ne jamais être utilisé dans une procédure judiciaire, alors qu'il s'agit d'un moyen très efficace de remonter les réseaux. A l'inverse, la DST peut être dissuadée de coopérer trop étroitement avec un service de police classique, peu habitué à traiter des renseignements « sensibles ».

La distinction traditionnelle entre renseignement opérationnel et renseignement judiciaire s'explique à l'origine par le désir légitime d'encadrer fortement les procédures judiciaires afin qu'elles ne deviennent pas attentatoires aux libertés publiques, d'où les limitations imposées aux services de police judiciaire. Cependant, pour des raisons évidentes de sécurité, les pays qui pratiquent ce système disposent néanmoins de services de renseignement, souvent d'ailleurs très performants, mais totalement étanches par rapport au système judiciaire. Ainsi, lorsque les considérations de sécurité nationale l'emportent, ce système trouve ses limites et il devient alors nécessaire de mettre en place des législations d'exception afin de « contourner » les garanties apportées par le système judiciaire : l'exemple le plus abouti de cette dérive est la décision du Président Bush de soustraire les prisonniers d'Afghanistan de la justice américaine et de les faire juger par des tribunaux militaires à Guantanamo. Du point de vue des libertés publiques, il est légitime de se demander si la justice anti-terroriste en France, malgré ses spécificités par rapport au droit commun qui lui valent de nombreuses critiques, n'est pas préférable au choix américain.

De plus, en termes d'efficacité, l'utilisation de juridictions d'exception bloque tout coopération judiciaire. Il serait pourtant intéressant pour les juges de pays européens notamment de disposer d'informations de la part de certaines des personnes détenues à Guantanamo.

3) Abattre les frontières judiciaires au sein de l'Union européenne

Il existe deux manières de construire l'Europe judiciaire. La première consiste à créer des structures supranationales, nous avons montré que cette voie, bien que séduisante en théorie pour les plus pro-européens d'entre nous, risquait d'être inefficace. La deuxième méthode a notre préférence, elle consiste à mettre tout en œuvre pour permettre aux juges et aux policiers nationaux de coopérer ensemble au quotidien sans entrave.

Dans une Union européenne qui se veut une communauté de valeurs et de destin, il est indispensable d'accroître la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres. Ainsi, l'avenir de la lutte anti-terroriste repose sur l'accélération du mouvement de dépassement des frontières judiciaires entre les Etats membres. Il est clair que dans le domaine de la lutte anti-terroriste, les enquêtes ne peuvent plus être strictement nationales, mais pour y parvenir n'est-il pas plus efficace de permettre aux systèmes judiciaires et policiers nationaux de se parler, d'échanger des renseignements et d'appliquer les décisions judiciaires prises dans un autre pays, plutôt que de construire des enceintes se superposant aux systèmes nationaux ? D'ailleurs, la création d'un espace judiciaire européen dont les législations soient compatibles est un processus beaucoup plus exigeant que celui qui consiste simplement à rajouter une institution supplémentaire.

Les prémices de l'Europe de la Justice sont d'ailleurs assez récents, puisque c'est seulement depuis le Traité de Maastricht que la « justice et les affaires intérieures » font partie des compétences de l'Union européenne. La coopération judiciaire s'est accélérée avec le Traité d'Amsterdam de 1997, qui a notamment modifié les règles applicables pour l'adoption des textes de coopération en matière pénale24. Le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, s'est fixé pour objectif de mettre en œuvre un « espace européen de liberté, de sécurité et de justice », fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Ce principe qui ne figure pas en tant que tel dans les traités25 a vocation à s'appliquer aussi bien aux jugements qu'aux autres décisions des autorités judiciaires, notamment en matière d'entraide judiciaire.

Lorsque les pays européens appliqueront pleinement ces principes, les principaux obstacles concrets à la coopération judiciaire auront été levés. Tout d'abord, la lutte contre le terrorisme international demande rapidité et réactivité, ce qui passe par des relations directes entre juges, sans passer par la lourdeur des procédures classiques d'entraide judiciaire en matière pénale. En outre, l'efficacité de cette coopération est limitée par l'existence de divergences entre les législations et les systèmes procéduraux des pays membres : l'absence de définition juridique commune du terrorisme, la variété des systèmes procéduraux26, l'opposabilité du secret bancaire dans certains Etats entravent la coopération judiciaire au quotidien.

D'ores et déjà, des efforts ont été fait dans la voie d'une reconnaissance effective des décisions judiciaires au sein de l'Union européenne :

- la réalisation la plus spectaculaire dans ce domaine est la mise en œuvre du mandat d'arrêt européen, dont la grande originalité est que pour 32 catégories d'infraction (dont celles liées au terrorisme), l'extradition sera automatiquement accordée, sans vérification de la double incrimination Concrètement, cela signifie qu'il n'est plus possible de refuser une extradition dans ces domaines au motif que l'infraction considérée n'existe pas dans le pays requis27 ;

- dans le domaine de l'entraide judiciaire en matière pénale, deux conventions ont été signées en 2000 et 200128, mais elles ne sont pas entrées en vigueur. Cela est regrettable car leurs stipulations sont très ambitieuses : elles permettraient notamment la création d'équipes communes d'enquête, interdiraient d'opposer le secret bancaire dans les procédures d'entraide judiciaire pénale, introduiraient la transmission directe des demandes d'entraide entre les autorités judiciaires de l'Union sans passer par le filtre de la voie diplomatique...

Relativement peu connues, ces conventions sont donc très ambitieuses mais elles exigent une ratification par chacun des Etats de l'Union pour être pleinement opérationnelles. Or seuls cinq Etats, parmi les 15 signataires, ont ratifié la Convention, et un seul son protocole ! La Commission européenne a donc pris l'initiative, sur le modèle du processus ayant abouti au mandat d'arrêt européen, de proposer l'adoption de décisions-cadres en matière d'entraide judiciaire : une décision-cadre du Conseil du 18 juillet 2002 permet ainsi la création des équipes communes d'enquête. La Commission a par ailleurs proposé, le 14 novembre 2003, que soit adoptée une décision-cadre relative au mandat européen d'obtention de preuves tendant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales.

Ainsi, des progrès incontestables ont été faits pour permettre d'abattre les frontières judiciaires qui empêchent un véritable développement de la coopération dans un domaine qui reste soumis à l'unanimité. Cependant, ce mouvement est lent car il se heurte à l'inertie des systèmes judiciaires et pénaux et il y a aujourd'hui une véritable priorité à l'accélérer, en multipliant les décisions-cadres dans ce domaine, et en veillant à leur transposition rapide par tous les Etats membres. L'Italie par exemple continue de refuser d'adopter les mesures nécessaires à l'entrée en vigueur du mandat d'arrêt européen sur son territoire au mépris de ses obligations européennes, cela n'est pas acceptable.

Précisons enfin que le projet de Traité constitutionnel adopté au Conseil européen le 18 juin 2004 pourra constituer une base appréciable de développement de la coopération judiciaire en matière pénale. Il prévoit en effet :

- le passage à la règle de la majorité qualifiée, même si certains Etats, dont le Royaume-Uni, ont rouvert ce dossier lors de la Conférence intergouvernementale et ont obtenu la mise en place d'une « clause d'appel » en cas de désaccord ;

- la possibilité pour l'Union de définir les infractions pénales et les sanctions portant sur une liste de crimes graves et transfrontaliers, dont le terrorisme ;

- la constitutionnalisation du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice ;

- la disparition des « décisions-cadres », dépourvues d'effet direct, pour la justice et les affaires intérieures, remplacées par les procédures de décision de droit commun (futures « lois européennes » et « lois-cadres européennes »).

Dans ce cadre institutionnel rénové, établir un « programme législatif » en matière de rapprochement des systèmes judiciaires et pénaux, donner un avis sur la compatibilité des systèmes pénaux nationaux des pays de l'Union entre eux, et dénoncer l'absence d'application effective des décisions prises en matière de coopération judiciaire pénale sont des tâches qui pourraient utilement être confiées au Coordinateur de la lutte anti-terroriste de l'Union européenne.

LA MENACE DU TERRORISME NON CONVENTIONNEL
EST-ELLE SÉRIEUSE ?

La perspective d'attentats utilisant des armes de destruction massive relève-t-elle uniquement de la sphère du film catastrophe ou est-elle une hypothèse plausible ? Les experts entendus considèrent généralement que l'utilisation de moyens non conventionnels - nucléaires, radiologiques biologiques ou chimiques (NRBC) - est davantage qu'une simple hypothèse, et qu'il s'agit d'une probabilité réelle à moyen terme. Il est apparu que le développement de la coopération internationale était particulièrement bien adapté pour lutter contre des menaces de ce type.

1) La concrétisation de la menace est quasiment inévitable à terme

Plusieurs arguments nous conduisent à penser que l'utilisation de moyens NRBC par des terroristes est malheureusement inévitable à terme. Différents interlocuteurs de la mission d'information ont ainsi formulé la même remarque, selon laquelle « la question n'est pas de savoir si les terroristes utiliseront un jour des moyens NRBC, mais quand... ».

La volonté d'utiliser des armes non conventionnelles est inhérente au terrorisme international islamiste. La « logique » du terrorisme en général vise à répandre la terreur et à impressionner les populations civiles : il est clair que l'utilisation d'armes nucléaires, biologiques, chimiques, ou même radiologiques, par des terroristes aurait un impact psychologique dévastateur, et répondrait donc parfaitement à leurs objectifs. Le terrorisme international islamiste, tel que celui représenté par la mouvance Al-Qaida, est par ailleurs un terrorisme qui agit de façon indiscriminée pour tuer le maximum de personnes : en cela, l'utilisation d'armes de destruction massive est tout à fait adaptée à ce type de terrorisme apocalyptique qui n'a aucune velléité de négociations et aucun objectif politique identifiable, si ce n'est l'instauration d'un califat mondial. Ainsi, dès qu'ils en auront l'occasion, nous savons que les terroristes frapperont avec des moyens non conventionnels sans aucune hésitation et sans éprouver le moindre scrupule. En effet, on considère généralement que l'utilisation d'armes de destruction massive lors d'un conflit armé est très improbable, car la possession de ce type d'armes relève d'abord de la dissuasion. Mais, vis-à-vis de terroristes non identifiables et qui ne craignent aucunement pour leur vie ou celle de leurs proches, la dissuasion est impossible, c'est ce que l'on appelle une menace asymétrique.

D'ailleurs, il faut rappeler qu'il existe des précédents dans l'utilisation de moyens NRBC pour mener des attentats. Dans le domaine chimique, nous savons ainsi depuis l'attentat du métro de Tokyo par dispersion de sarin que l'utilisation de gaz de combat29 pour mener une action terroriste n'est plus une hypothèse d'école. Dans le domaine biologique, chacun garde en mémoire les lettres piégées au bacille du charbon (« anthrax » en anglais) qui ont tué cinq personnes, touché beaucoup d'autres à l'automne 2001 aux Etats-Unis et engendré une crainte psychologique de grande ampleur. En Europe même, l'action des services de police et de renseignement a déjà empêché des tentatives de ce type, notamment un projet d'attentat utilisant le ricin dans le métro de Londres. Quant aux laboratoires retrouvés en Afghanistan, ils montrent bien que, jusqu'en 2001, Al-Qaida faisait des recherches pour mettre au point des armes biologiques ou chimiques.

Enfin, alors que la volonté des terroristes de disposer d'armes de destruction massive est une évidence, le monde est par ailleurs confronté à une prolifération de ce type d'armes ou des substances servant à leur fabrication. Non seulement certains Etats disposent de ce type d'armes, et il n'est donc pas impossible qu'elles tombent un jour, volontairement ou non, dans les mains de terroristes, mais l'effondrement de l'Union soviétique a fait craindre la dispersion d'une partie de l'arsenal et des moyens dont elle disposait, qu'il s'agisse des armes elles-mêmes, des scientifiques, ou des résidus chimiques ou radiologiques en très grand nombre.

2) Seule une action concertée de la Communauté internationale permettra de contrer la menace du terrorisme NRBC

Considérer que la concrétisation de la menace du terrorisme NRBC est inévitable ne signifie pas qu'il faille être fataliste. Au contraire, reconnaître la réalité et l'acuité de la menace doit faire naître une prise de conscience qui, compte tenu des enjeux, doit nécessairement être internationale.

* Les premiers efforts à fournir relèvent tout d'abord de la prévention, afin de limiter au maximum les risques d'acquisition par les terroristes d'armes de destruction massive, voire de simples substances dangereuses. Cette action préventive devrait prendre trois axes :

- encore une fois, rien ne sera possible sans un renseignement efficace, ce qui signifie que les services de renseignement doivent continuer à mener une action déterminée et coordonnée dans ce domaine. Concrètement, il faut disposer de renseignements dans les pays les plus concernés, et notamment avoir de bonnes relations avec les services russes. Il est également indispensable dans cette optique d'assurer une présence dans certaines régions où l'autorité étatique est inexistante, favorisant ainsi tous les trafics. Ces exemples montrent que les services de renseignement extérieur, la DGSE en France, ont également un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le terrorisme, même si la tendance actuelle est de mettre en avant les services de renseignement intérieur ;

- une autre piste qu'il faut continuer d'explorer réside dans la lutte internationale contre la prolifération étatique. Si aucun lien n'a pu jusque là être établi entre des Etats proliférants et des organisations terroristes, l'augmentation du nombre d'Etats disposant d'armes de destruction massive accroît les risques d'une telle collusion. Cependant, la question de la prolifération dépasse de loin la problématique du terrorisme, et mériterait à elle seule de faire l'objet d'une mission d'information parlementaire ;

- enfin, il est indispensable d'accroître les moyens de la communauté internationale pour empêcher l'apparition de trafics clandestins dans le domaine NRBC. Cette politique a une dimension préventive à long terme, il s'agit de poursuivre le recensement par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de l'ensemble des sources radioactives dangereuses, puis d'en assurer le retraitement, de démanteler les installations issues de l'Union soviétique, ou encore d'organiser la reconversion des scientifiques de l'ex-URSS. Il faut d'ailleurs admettre que concernant ce pays, la communauté internationale n'est pas restée inerte, en mettant en place, par l'intermédiaire du G8, le « Partenariat contre la prolifération ». Cette coopération prend des formes très diverses : reconversion des scientifiques russes afin qu'ils n'aillent pas se vendre en Iran ou en Syrie, traitement du Mox, démantèlement des sous-marins nucléaires désaffectés, fermeture des usines chimiques et biologiques... Il s'agit d'un effort très lourd financièrement, mais très concret, d'un coût total de 10 milliards d'euros, dont 750 millions pour la France. Notre engagement concerne surtout le retraitement du Mox en combustible civil (qui sera effectué par la Cogema). Au-delà de cette politique structurelle, la communauté internationale doit également se donner les moyens d'empêcher concrètement d'éventuels transferts d'armes ou de technologies, ce qui exige une action résolue, voire l'utilisation de moyens contraignants, dérogatoires aux règles traditionnelles du droit international, comme l'arraisonnement de navires en haute mer par exemple. Il nous semble que la crédibilité de la lutte anti-terroriste exige que de telles mesures soient possibles, qui ne doivent en aucun cas être prises unilatéralement mais faire l'objet d'une politique concertée dans le cadre du Conseil de sécurité. Il faut ainsi se féliciter de l'adoption, le 28 avril 2004, de la résolution 1540 sur la non prolifération et les armes de destruction massive30.

* Une autre priorité absolue résulte dans l'intensification des efforts d'amélioration des dispositifs de protection des populations civiles en cas d'attaques terroristes de grande ampleur.

Le changement de dimension du phénomène terroriste que le 11 septembre a révélé doit être davantage pris en compte dans les dispositifs de lutte anti-terroriste. Ceux-ci ont été historiquement mis en place pour contrer un terrorisme à objectif politique, tel celui pratiqué par l'ETA, par le terrorisme palestinien ou de l'ultra gauche : ce terrorisme, parfois très meurtrier31, ne relève portant pas du terrorisme « catastrophique ». En effet, en termes de gestion de la crise et de sécurité civile, les attentats que l'Europe a connus entre les années 1970 et 1990 ne se rapprochaient pas des mesures à prendre en cas de catastrophe naturelle, à l'inverse des attentats du 11 septembre, ou des attentats de Madrid le 11 mars 2004. Il est donc aujourd'hui indispensable d'ajouter une dimension palliative ou curative au dispositif de lutte contre le terrorisme, compte tenu du risque probable d'attaques terroristes utilisant des moyens de destruction massive.

Sur ce sujet précis, il est incontestable que les Etats-Unis ont pris une longueur d'avance sur l'Europe. Il est vrai que les Américains ont découvert d'emblée le terrorisme de destruction de masse. La réaction au 11 septembre a donc compris une forte dimension en matière de sécurité civile :

- en ce qui concerne l'organisation administrative, une nouvelle agence de rang ministériel, le Office of Homeland Security, a été créée. Son directeur, Tom Ridge, est chargé de coordonner l'ensemble des politiques de lutte contre le terrorisme du gouvernement fédéral menées par 22 agences différentes. Il ne s'agit pas simplement d'un ministère coordonnant la lutte anti-terroriste, il a pour mission également la défense des infrastructures dites vitales (réseaux informatiques, de distribution d'énergie, d'eau...). La mise en place de cette agence montre donc bien la place nouvelle qui est désormais donnée à l'objectif de protection des populations et fait donc de la sécurité civile une dimension essentielle de la lutte contre le terrorisme, ou du moins contre les effets du terrorisme ;

- au niveau budgétaire, l'effort consacré par les Etats-Unis pour renforcer leurs dispositifs de détection ou de protection est considérable. Ainsi un programme de très grande ampleur, doté dès 2004 de 7 milliards de dollars, vise à prémunir les Etats-Unis contre les conséquences d'une éventuelle attaque terroriste avec des moyens nucléaires biologiques ou chimiques. Il entraîne des investissements majeurs dans la mise en place de systèmes de détection d'éventuelles armes de destruction massive, notamment dans les ports et aéroports, mais aussi dans les zones urbaines. Mais ce programme contient aussi un volet « curatif » qui passe par le financement de la production de vaccins (contre la variole), de la recherche médicale ou encore de l'adaptation du système de santé.

Dans le même temps, en Europe, la prise en compte de la dimension « sécurité civile » du terrorisme est quasiment inexistante. En France par exemple, le 11 septembre n'a eu aucune conséquence sur les budgets consacrés à la protection et à la sécurité civiles. Plus grave encore, la réaction de l'Union européenne sur ce sujet semble particulièrement timide. Pourtant, il est évident que les conséquences d'un éventuel attentat utilisant des armes de destruction massive ne seraient pas cantonnées à un seul pays. Par ailleurs, il semble logique de mutualiser les ressources nécessaires pour se prémunir contre les conséquences d'un attentat majeur, plutôt que de laisser chaque pays prendre des mesures nationales isolées et non compatibles entre elles. En effet, en cas d'attaque de très grande ampleur, il est indispensable de s'assurer que les différents systèmes de secours sont interopérables, alors que l'exercice européen mené à Canjuers en octobre 2002 a montré l'incompatibilité des dispositifs de protection civile des différents pays de l'Union européenne.

L'un des grands axes de la politique de lutte anti-terroriste de l'Union européenne doit donc être de se doter d'outils performants en matière de sécurité civile. Dans ce domaine en effet, la subsidiarité justifie une action communautarisée, l'action de l'Union européenne apportant une réelle plus-value par rapport à des politiques nationales désordonnées, lesquelles n'ont de toute façon pas les moyens suffisants pour agir efficacement.

Ainsi, plutôt que de chercher à dupliquer ce qui se fait au niveau national en mettant en place des structures européennes dans des domaines où leur valeur ajoutée n'est pas évidente, les Etats membres devraient confier à l'Union européenne de véritables responsabilités en matière de sécurité civile, alors qu'actuellement il n'existe même pas de service de la Commission spécifiquement chargé de cette question32. L'action de l'Union européenne devrait s'orienter dans différentes directions :

- assurer la coordination des secours dans l'ensemble de l'Union européenne en cas d'attaque terroriste majeure (cela vaut d'ailleurs aussi pour les catastrophes naturelles ou industrielles)33 : soit que celle-ci ait une dimension transfrontalière, soit que son ampleur rende nécessaire un appui de l'extérieur ;

- permettre une plus grande efficacité du système européen de protection civile en organisant une certaine spécialisation par pays selon le type de risque : compte tenu de l'importance des investissements nécessaires et, fort heureusement, de la faible probabilité de leur utilisation, il n'est pas nécessaire que chaque pays dispose de l'ensemble de la gamme des moyens de lutte contre le terrorisme NRBC ;

- financer un ambitieux programme de remise à niveau en matière de protection des populations dans l'ensemble de l'Union sur le modèle des efforts consacrés par les Etats-Unis pour à la fois sécuriser les sites dangereux (centrales nucléaires, laboratoires pharmaceutiques, barrages...) et les moyens de secours aux populations, investir dans les systèmes de santé (achat de vaccins...), mettre en place des détecteurs biologiques ou chimiques, développer la recherche opérationnelle dans tous ces domaines... La liste n'est malheureusement pas close, mais elle donne déjà un ordre d'idée des sommes qu'il faudrait investir dans la sécurité civile. Compte tenu des contraintes budgétaires des Etats, il est vital, soit de permettre à l'Union européenne de lever un grand emprunt destiné à financer un tel programme, soit de lui donner les ressources budgétaires nécessaires.

Nous avons vraiment le sentiment que la protection des populations face au risque terroriste est véritablement un domaine où la plus-value d'une intervention de l'Union européenne est évidente et où il y a un réel besoin. Il faut espérer qu'il ne sera pas nécessaire d'attendre qu'une ville européenne soit touchée par un attentat chimique ou biologique pour que des décisions fortes soient prises en matière de sécurité civile. Souhaitons que l'adoption de la Constitution, et donc de la clause de solidarité en matière de terrorisme entre tous les Etats membres, y compris donc les neutres, sera un puissant incitatif pour mener une politique plus ambitieuse.

FAUT-IL FAIRE DE LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME UNE PRIORITÉ ABSOLUE ?

Lorsque la communauté internationale a pris conscience du caractère universel du terrorisme, et donc de la nécessité de mener une action concertée contre ce fléau, la lutte contre le financement du terrorisme est rapidement apparue comme une priorité. En effet, il s'agit d'un domaine où l'existence de frontières peut bénéficier aux activités criminelles et où des structures internationales existent et travaillent depuis longtemps. Par ailleurs, s'attaquer au « nerf de la guerre » a toujours été considéré comme une stratégie particulièrement efficace.

Ainsi, dès avant le 11 septembre, l'aspect financier était l'un des principaux domaines d'action de la coopération internationale anti-terroriste, avec notamment la signature de la Convention des Nations unies sur la suppression du financement du terrorisme en décembre 1999, ou encore le vote de résolution 1267, également en décembre 1999, par le Conseil de sécurité gelant les fonds des Talibans et d'Al-Qaida.

Après les attentats de New York et Washington, la lutte contre le financement du terrorisme est restée au cœur de la stratégie internationale. Ainsi la résolution 1373 du Conseil de sécurité (septembre 2001) fait notamment obligation aux Etats de prendre des mesures destinées à empêcher le financement du terrorisme, dont la mise en œuvre est contrôlée par le Comité contre le terrorisme. En outre, le 11 septembre a incité les institutions financières internationales à prendre en compte plus directement la dimension terroriste : le FMI traite ainsi des questions liées au financement du terrorisme depuis 2001 ; quant au GAFI il a accentué ses efforts pour la mise en œuvre de ses recommandations contre le terrorisme34.

L'action de la communauté internationale a donc été réelle dans le domaine de la lutte contre le financement du terrorisme, elle a obtenu des résultats concrets, dont il est difficile d'apprécier exactement l'efficacité, mais elle n'a en aucun cas tari les capacités de financement du terrorisme, à en juger par la poursuite des attentats menés par Al-Qaida ou les groupes qui s'en réclament. La mission d'information estime que ce relatif échec s'explique, non pas tant à cause d'un manque de coopération internationale en matière de lutte contre le financement du terrorisme, mais plutôt en raison des espoirs trop grands qui ont été formulés sur l'efficacité potentielle de cette stratégie. Pour reprendre l'expression de l'un des interlocuteurs de la mission d'information, la lutte contre le financement du terrorisme est-elle une « erreur de casting » ?

1) De nombreux obstacles à la lutte contre le financement du terrorisme par les flux financiers internationaux

Il est particulièrement difficile de traquer les flux financiers destinés à des organisations terroristes. Contrairement au blanchiment de l'argent sale, les fonds destinés à financer le terrorisme ne sont pas illégaux par nature, mais par destination. L'action ne peut donc pas être durablement menée a priori, mais ne peut l'être qu'a posteriori, une fois que l'on s'est rendu compte que des fonds étaient en fait destinés à financer des actions terroristes. Ainsi le financement du terrorisme par l'utilisation des canaux de la finance internationale ne constitue pas du blanchiment d'argent sale, mais plutôt du « noircissement » d'argent propre ! En conséquence, la stratégie de la communauté internationale, qui a constitué à transposer à la lutte contre le financement du terrorisme les outils mis en place depuis la fin des années 1980 pour combattre le blanchiment, n'est peut être pas la plus efficace.

En outre, en ce qui concerne le terrorisme islamiste, les spécificités de la finance islamique rendent très complexes les circuits financiers éventuellement destinés à des réseaux terroristes. On sait ainsi que la technique de l'hawala permet d'effectuer des transactions financières sans circulation physique de l'argent par l'intermédiaire d'un système bancaire informel. D'après Jean-François Thony, sous-directeur des affaires juridiques du FMI « ce système est par exemple très développé au Pakistan où il concernerait 4 à 7 milliards de dollars par an, notamment provenant de travailleurs immigrés aux Etats-Unis. Ce système est utilisé majoritairement de façon tout à fait légitime, notamment lorsqu'il n'existe pas de système bancaire comme en Afghanistan, où même l'ONU serait contrainte de l'utiliser selon certaines informations »35. Par ailleurs le réseau bancaire islamique fonctionne traditionnellement selon un secret bancaire très fort. Ainsi, il est très difficile d'empêcher le transfert discret de fonds destinés à des réseaux terroristes, à moins de remettre en cause l'ensemble du réseau financier islamique, lequel a sa propre légitimité. Aux Etats-Unis, des travailleurs immigrés se sont ainsi plaints des difficultés qu'ils rencontrent désormais pour transférer des fonds à leurs familles. De plus, précisons que les fonds destinés à la préparation des attentats du 11 septembre n'ont pas été obtenus par la technique de l'hawala, mais plus classiquement par des virements bancaires, nombreux et concernant à chaque fois de petits montants, donc très difficiles à détecter.

Enfin, l'obligation de l'aumône, cinquième pilier de l'Islam (la zakat), explique le développement important des organisations caritatives musulmanes, dont les réseaux terroristes ont tiré avantage, soit à l'insu de ces ONG, soit en utilisant des ONG de façade afin de collecter des fonds. Il est ainsi avéré que l'ONG saoudienne Al Haramein a joué un rôle essentiel, lors de la guerre en Bosnie, dans l'acheminement de combattants islamistes, ainsi que dans le trafic d'armes et le transport de fonds ; elle a par la suite été mise en cause après les attentats de 1998 en Afrique de l'Est. Il est cependant indispensable d'être très prudent dans l'action menée pour éviter le financement du terrorisme par des organisations charitables : la zakat n'est pas en soi répréhensible, bien au contraire, et il ne faudrait pas donner l'impression que l'Occident s'ingère trop dans un domaine très sensible. Cependant, les pressions plus ou moins discrètes faites sur les pays du Golfe ou l'Arabie saoudite ont incontestablement conduit à la prise de mesures de surveillance et de contrôle qui se sont montrées efficaces.

En revanche, il est un phénomène est beaucoup plus inquiétant, mais aussi beaucoup plus difficile à contrôler et à prévenir, qui est celui du financement de la « propagation de la foi » par ces grandes ONG islamiques, qui financent la construction de mosquées ou d'écoles coraniques et l'envoi d'imams dans les pays occidentaux. Il est bien évidemment impossible d'empêcher par principe ce type de financements, lorsqu'ils favorisent les interprétations extrémistes de l'Islam, qui peuvent pourtant indirectement encourager la mise en place de réseaux terroristes. Dans ce type de cas, ce n'est, là encore, pas tant le flux financier qui pose problème - rien ne permettant de l'empêcher ou de le geler - mais la façon dont cet argent est dépensé, qui doit faire l'objet d'une grande vigilance de la part des services de renseignement intérieurs (renseignements généraux notamment en France).

2) La traque des flux financiers internationaux n'empêchera pas les terroristes de disposer de ressources

Ainsi, il sera particulièrement difficile d'assécher entièrement les flux financiers internationaux destinés à des groupes terroristes et, même si la communauté internationale y parvenait, cela n'empêcherait pas ces derniers de financer des attentats.

Tout d'abord, il y a une relative unanimité pour constater que l'organisation d'un attentat ne nécessite finalement que de peu de fonds. Il a ainsi été maintes fois rappelé à la mission que l'organisation des attentats du 11 septembre avait coûté entre 300 000 et 500 000 dollars, selon les estimations. Pourtant, il s'agit probablement de l'attentat le plus élaboré de l'histoire. Ainsi, des attentats plus « classiques » utilisant des explosifs peuvent être organisés avec des sommes encore plus faibles, 5 000 dollars par exemple pour l'attentat de Bali en octobre 2002, 23 000 euros pour l'ensemble de la vague d'attentats de 1995 en France. Il y a donc un écart impressionnant entre les dégâts faits par ces attentats et la modestie des moyens engagés pour les organiser.

Même dans le cas très particulier, et finalement assez rare, de véritables organisations terroristes structurées et hiérarchisées, comme ce fut le cas d'Al-Qaida entre 1996 et 2001, les besoins financiers de telles structures sont finalement assez faibles : on estime ainsi que Al-Qaida avait besoin de 20 millions de dollars par an pour fonctionner, ce qui représente une goutte d'eau dans l'océan des transactions financières internationales, évaluées à environ 1 500 milliards de dollars par jour sur le seul marché des changes.

De plus, dans la mesure où les besoins financiers des organisations terroristes sont peu élevés, ils peuvent facilement faire l'objet d'un « autofinancement » de la part des cellules terroristes, dont nous avons montré par ailleurs qu'elles sont de plus en plus décentralisées. L'utilisation des flux financiers internationaux est ainsi de plus en plus marginale dans le financement des groupes terroristes, que ce soit au Moyen-Orient ou en Europe. On sait ainsi que les terroristes d'Afghanistan et du Pakistan financent majoritairement leurs actions grâce à l'argent du trafic de drogue. Quant aux cellules terroristes islamistes en Europe, elles ont de moins en moins de liens directs, et notamment financiers, avec des donneurs d'ordres basés à l'étranger, et se financent aujourd'hui majoritairement par une activité de petite délinquance : contrefaçon, trafic de faux papiers, fabrication de fausses monnaies, escroqueries à la carte bancaire...

Ainsi alors que nous pouvions penser que la question du financement du terrorisme était d'abord une affaire de « criminalité en col blanc », exercée par des experts de l'ingénierie financière basés dans des paradis fiscaux, il semblerait au contraire que cette question relève tout autant de la délinquance de droit commun.

3) Dans quelles conditions la surveillance des flux financiers internationaux a-t-elle une utilité dans la lutte contre le terrorisme ?

Croire que la surveillance des flux financiers internationaux permettrait d'empêcher de futurs attentats est donc illusoire. Les terroristes ont besoin de peu d'argent et trouveront toujours le moyen d'en disposer car ils n'ont pas besoin d'utiliser le marché international des capitaux, ce qui n'est pas le cas de la grande criminalité internationale (blanchiment, trafic de drogue...).

Cependant, il existe une hypothèse qui pourrait remettre en question ce raisonnement, il s'agit de celle où un groupe terroriste souhaiterait disposer d'armes de destruction massive afin de perpétrer un attentat par des moyens non conventionnels. En dehors du cas de l'utilisation d'une « bombe sale » - qui pourrait être conçue de façon artisanale, mais qui ne constitue pas réellement une « arme de destruction massive », son impact étant d'abord psychologique, le recours a des armes non conventionnelles se heurte manifestement à une barrière financière :

- c'est évident dans le cas du terrorisme nucléaire : il existe certes des rumeurs selon lesquels il est possible d'acheter une bombe atomique dans des pays de l'ancien bloc soviétique pour 100 000 dollars, mais elles sont fantaisistes. La maîtrise de la filière nucléaire exige des moyens considérables que seuls des Etats sont encore aujourd'hui capables de mettre en œuvre. Il est cependant exact que le « père » de la bombe pakistanaise, le Dr Khan, a mis en place un véritable « marché noir » du nucléaire qui a profité à la Corée du Nord et à la Libye (qui a d'ailleurs révélé l'existence de ce marché noir). On a par ailleurs la certitude que Al-Qaida a fait part de son intérêt dans ce domaine, il est donc utile de l'empêcher de disposer de ressources financières de grande ampleur ;

- pour le terrorisme biologique, la maîtrise technologique n'est pas non plus simple à obtenir : pour réaliser des sources dangereuses, il faut disposer de scientifiques formés travaillant dans de véritables laboratoires, et non dans des « garages ». Ainsi, le seul exemple avéré de ce type d'attaque réside dans les cas d'anthrax aux Etats-Unis en septembre/octobre 2001, où les terroristes avaient eu de toute évidence accès à des sources de toute première qualité issues de laboratoires militaires ;

- pour le terrorisme chimique, l'accès aux produits dangereux est plus simple : la secte Aum au Japon a pu ainsi disposer de gaz sarin pour commettre des attentats (3 morts en 1995, 12 en 1996 dans le métro de Tokyo). Cependant, pour passer d'un terrorisme chimique « artisanal » (simple diffusion d'un produit dangereux dans un lieu clos) à un terrorisme de destruction de masse, il faut posséder les techniques de « militarisation » de ces produits, et notamment disposer de vecteurs de propagation efficaces, ce qui, là aussi, exige des moyens financiers conséquents.

Ainsi dans cette hypothèse de recours à des armes de destruction massive, même si la surveillance des flux financiers ne peut pas être le seul outil de la lutte internationale contre la prolifération, elle en est une dimension essentielle. En effet un groupe terroriste ne pourra pas financer l'acquisition de telles armes par le recours à des petits trafics ou à l'hawala, mais aura besoin de disposer de capitaux beaucoup plus importants et donc plus difficiles à dissimuler.

Enfin il existe un domaine dans lequel l'outil financier doit être utilisé de façon beaucoup plus étendue, c'est celui du renseignement en matière financière. En effet, si la lutte contre le financement du terrorisme n'était pas un outil de prévention très efficace. En revanche, il s'agit d'un moyen irremplaçable pour remonter les réseaux depuis les cellules d'exécution jusqu'à d'éventuels donneurs d'ordre, pour disposer de preuves judiciaires et pour faire le lien entre petite délinquance ordinaire et terrorisme. Ainsi, l'enquête sur les attentats du 11 septembre a été grandement facilitée par l'étude des mouvements financiers (virements, cartes bancaires...). Il existe d'ailleurs une structure informelle de rencontre entre les services de renseignement en matière financière, le Groupe Egmont, créé en 1995 qui réunit les services chargés de collecter les informations en matière de blanchiment afin de faire circuler l'information au plus vite entre ses membres, au besoin en s'affranchissant des règles de la coopération judiciaire en matière pénale.

Il faut également utiliser l'outil financier dans les procédures judiciaires, la pratique française a montré qu'en utilisant la surveillance des moyens logistiques il était possible de remonter des filières. En matière financière, il est donc urgent d'intensifier la coopération judiciaire pénale et notamment de permettre la levée du secret bancaire pour les affaires de terrorisme, comme le permet le protocole à la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les membres de l'Union européenne, qui n'a été ratifié que par un seul Etat.

Dans l'urgence, après les attentats du 11 septembre, la communauté internationale a fait le choix de transposer les outils utilisés pour la lutte contre le blanchiment au financement du terrorisme. Pourtant, il existe des différences de nature entre ces deux types de criminalité, alors que l'argent est le moteur de l'organisation criminelle « classique », tel n'est pas le cas de l'organisation terroriste pour qui il est simplement un moyen. Dès lors, la capacité de nuisance de l'organisation terroriste ne dépend pas directement de ses capacités financières. Près de trois ans après le 11 septembre, il faut s'interroger sur la pertinence de cette stratégie et se demander s'il ne faudrait pas adopter une approche plus « fine » et plus proche du terrain en matière de financement du terrorisme.

CONCLUSION

Au-delà des pétitions de principe sur le caractère indispensable de la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme, la mission d'information considère que, sur cette question, il est surtout important de privilégier les solutions qui ont montré leur efficacité, sans parti pris théorique préalable. Ainsi, le caractère prioritaire que nous accordons souvent aux coopérations bilatérales tient à la nécessaire prise en compte des réalités, notamment dans des domaines sensibles comme le renseignement.

Ainsi, en matière de coopération internationale, il n'existe pas de solutions toute faites, la mission d'information s'est donc refusée à établir des conclusions définitives, tant la question du terrorisme est une réalité évolutive et changeante, qui rend nécessaire de grandes capacités d'adaptation. Avant d'être une question de structures internationales, la coopération anti-terroriste repose sur la bonne volonté des acteurs de terrain, et sur leur capacité à coordonner leur action au sein de leur propre appareil étatique.

L'évaluation de la coopération anti-terroriste réalisée par la mission d'information est donc provisoire, et devra probablement être réitérée dans les prochaines années dans la mesure où il est avéré que le terrorisme est un phénomène durable.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du 6 juillet 2004, sur le rapport de M. Michel Delebarre.

Le Président Hervé de Charette a indiqué que la mission d'information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme était composée de M. Michel Delebarre, président, et de MM. Jean-Louis Bianco, Loïc Bouvard, Jacques Myard, Marc Reymann et François Rochebloine. Le rapporteur en était M. Frédéric de Saint-Sernin jusqu'à sa nomination au Gouvernement. Il a donc donné la parole à M. Delebarre pour qu'il présente les conclusions de la mission d'information.

M. Michel Delebarre a tout d'abord rappelé que l'objectif de la mission d'information était d'évaluer les réalisations concrètes de la coopération internationale anti-terroriste, dont la nécessité est unanimement reconnue, mais qui donne l'impression d'une grande dispersion. Il a précisé que la mission d'information avait choisi de répondre à un certain nombre de questions que l'on est conduit à se poser lorsque l'on étudie la coopération internationale anti-terroriste.

La première de ces questions porte sur le fait de savoir si la lutte contre le terrorisme doit être considérée comme une guerre. La mission d'information a considéré que le concept de « guerre contre le terrorisme » n'était pas adapté et qu'il pouvait même être contre-productif, tout en refusant d'exclure a priori l'utilisation de moyens militaires dans la lutte contre le terrorisme. M. Michel Delebarre a relevé que l'outil militaire était utile pour surveiller des routes maritimes internationales et pour détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d'organisations structurées et centralisées, ce qui rend nécessaire le développement de moyens non militaires anti-terroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.

Une deuxième question abordée par la mission d'information avait trait au rôle des Nations Unies dans la lutte contre le terrorisme. Tout d'abord il importe de ne pas sous-estimer la portée de la fonction « déclaratoire » des Nations Unies utile pour faire naître une prise de conscience universelle de la réalité de la menace terroriste.

Un autre domaine d'intervention privilégiée pour les Nations Unies devrait être l'assistance technique et juridique aux Etats « faibles », dans la mesure où les difficultés de la coopération s'expliquent généralement par la faiblesse institutionnelle de certains Etats. A cet égard il semble nécessaire de développer considérablement les moyens de l'ONUDC, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

Enfin, il faut rappeler que l'ONU, c'est également le Conseil de sécurité, c'est-à-dire une institution qui dispose à la fois d'une légitimité et d'un véritable pouvoir de contrainte supra nationale qui peut être nécessaire dans la lutte contre le terrorisme.

M. Michel Delebarre s'est ensuite interrogé sur l'efficacité des actions menées contre les réseaux terroristes depuis le 11 septembre 2001. Il a estimé que la « première ligne de défense contre le terrorisme » fonctionnait relativement bien si l'on en juge par l'existence de tentatives d'attentats déjoués en très grand nombre. Il est par ailleurs probable que l'absence d'attentats de grande ampleur entre le 11 septembre 2001 et le 11 mars 2004 en Europe est un signe de l'efficacité des services de renseignement, de police et de justice, les terroristes ayant préféré s'attaquer à des objectifs « périphériques » (Casablanca, Istanbul Bali, Djerba...) car leurs objectifs étaient plus difficiles à atteindre en Europe.

Il a par ailleurs indiqué que l'impact positif de la coopération opérationnelle au quotidien devait être salué, que se soit au niveau transatlantique, malgré les différends sur l'Irak, ou avec de nouveaux acteurs dans ce domaine, apparus depuis le 11 septembre dans certains pays du Sud, jusque là rétifs à la coopération internationale antiterroriste.

Cette coopération peut prendre la forme d'échanges d'informations, sur le modèle de ce que l'Union européenne et les Etats-Unis ont réalisé par la signature d'un accord sur le transfert des données personnelles des passagers des vols transatlantiques. Cette démarche a été critiquée du fait de son caractère intrusif dans la vie privée des citoyens, elle doit ainsi être encadrée, mais elle est globalement nécessaire.

M. Michel Delebarre a ensuite présenté l'opinion de la mission d'information dans le débat entre coopération bilatérale et coopération multilatérale dans la lutte contre le terrorisme. Il a rappelé que les règles fondamentales du renseignement, comme celles de la protection de la source ou du « tiers exclu » rendaient concrètement très difficile la mutualisation du renseignement dans un cadre multilatéral au niveau européen. L'essentiel est de s'assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. Il faut donc veiller à ce que policiers et justiciers nationaux ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l'Union. Si cela ne passe pas par la communautarisation de domaines comme la police, la justice ou le renseignement, cela légitime l'existence d'aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître.

La mission d'information ayant conclu au caractère irremplaçable du cadre bilatéral en matière de coopération opérationnelle, il était nécessaire de s'interroger sur les moyens permettant d'améliorer cette forme de coopération. Il semble que la voie à privilégier ne réside pas tant dans le développement de structures internationales de coordination, mais bien davantage dans l'évolution ou la réforme des appareils anti-terroristes des pays qui souhaitent coopérer ensemble. Cette évolution a un aspect quantitatif - pour coopérer, notamment dans le domaine du renseignement, il faut des moyens - et un aspect qualitatif. Sur ce dernier point, la mission d'information a relevé que les difficultés de la coopération étaient souvent moins liées à une absence de volonté qu'aux différences entre les systèmes nationaux de lutte anti-terroriste (divergences dans les législations, absence de centralisation des poursuites en matière de terrorisme...).

En ce qui concerne la coopération antiterroriste dans le cadre européen, la mission d'information a estimé que le rôle de l'Union européenne ne devait pas se substituer à l'action prioritaire des Etats membres, comme le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte anti-terroriste, M. Gijs de Vries l'a lui-même indiqué devant la Commission. La politique européenne en matière de lutte anti-terroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais leur apporter un appui quand des synergies sont possibles. Par ailleurs, le principal rôle que l'Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre Etats membres, tout particulièrement dans le domaine judiciaire. Enfin, la protection civile est également un domaine où la légitimité de l'intervention de l'Union européenne semble réelle et où elle peut apporter une plus-value.

Sur la menace du terrorisme non conventionnel, M. Michel Delebarre s'est dit inquiet car la volonté d'utiliser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques est inhérente au terrorisme international islamiste, qui recherche la visibilité symbolique de ces actions autant que le nombre de victimes le plus important possible. D'ailleurs, il existe des précédents dans l'utilisation de moyens NRBC lors d'attentats ou de tentatives d'attentats. Or, seule une action concertée de la Communauté internationale, par l'intermédiaire du Conseil de sécurité, peut permettre de contrer la menace, afin de limiter au maximum les risques d'acquisition par les terroristes d'armes de destruction massive.

Une autre priorité absolue dans ce domaine réside dans l'intensification des efforts d'amélioration des dispositifs de protection des populations civiles en cas d'attaques terroristes de grande ampleur, sujet sur lequel les Etats-Unis ont pris une longueur d'avance sur l'Europe, ce qui justifierait une action déterminée dans le cadre de l'Union européenne.

M. Michel Delebarre a enfin abordé la question du financement du terrorisme, qui a été mis au premier plan de la lutte internationale mais dont il est pourtant possible de discuter l'efficacité. Il est en effet très difficile de traquer les flux financiers destinés à des organisations terroristes qui ne sont illégaux, contrairement à l'argent de la drogue ou du crime, qu'en raison de leur utilisation et non de la transaction elle-même. En outre, les spécificités de la finance islamique (utilisation de la technique de l'hawala, détournement de l'obligation islamique de l'aumône...) rendent très complexes les circuits financiers éventuellement destinés à des réseaux terroristes. Enfin, il faut savoir que l'organisation d'un attentat ne nécessite que de peu de fonds, ce qui permet aux cellules terroristes de s'autofinancer, par le biais de la petite délinquance par exemple, sans avoir recours aux circuits financiers internationaux.

L'utilisation de l'outil financier peut cependant être utile pour lutter contre l'acquisition par des groupes terroristes d'armes de destruction massive - dans ce cas, la barrière financière reste un obstacle incontestable - ou encore comme preuve judiciaire. Mais au total on peut s'interroger sur le choix qui a été fait de transposer les outils utilisés pour la lutte contre le blanchiment au financement du terrorisme.

M. Michel Delebarre a conclu en rappelant la nécessité de privilégier une approche pragmatique et évolutive en matière de lutte contre le terrorisme, ce qui a par exemple conduit la mission d'information à accorder une priorité aux coopérations bilatérales, souvent plus opérationnelles. Pour autant, la mission d'information s'est refusée à établir des conclusions définitives, estimant qu'il était surtout nécessaire de savoir s'adapter aux circonstances.

Tout en adhérant aux conclusions du rapport, M. Jacques Myard, a regretté que l'on n'ait pas abordé la diversité du terrorisme. Si les attentats du 11 septembre 2001 et du 11 mars 2004 étaient dirigés contre le modèle occidental, il n'en va pas de même des actes terroristes de libération nationale qui peuvent être tout aussi aveugles mais qui ne relèvent pas de la même démarche.

Il a par ailleurs estimé que le mandat d'arrêt européen était certes une avancée, mais que son application au terrorisme pouvait poser des problèmes politiques, qu'une clause dérogatoire aurait permis d'éviter. Selon lui, la coopération européenne en matière de sécurité civile ne peut fonctionner que dans un cadre interétatique, ce qui a toujours existé. A cet égard, il a rappelé qu'en France la sécurité civile était principalement une compétence du département. Par ailleurs, il a jugé que le niveau multilatéral était inadapté à la coopération en matière de terrorisme en raison de son manque d'efficacité.

M. Paul Quilès s'est félicité des conclusions du Rapporteur mais aurait souhaité que les causes du terrorisme soient analysées comme ce fut le cas dans le rapport qu'il avait fait pour la Commission de la Défense au lendemain des attentats du 11 septembre. Selon lui, on évoque ici et là la guerre contre le terrorisme mais en réalité la guerre implique une revendication territoriale ou la volonté de prendre le pouvoir, ce qui n'est pas le but d'Al-Qaida. Aussi, a-t-il estimé qu'il fallait rechercher les causes profondes du terrorisme dans une interprétation excessive et réductrice de l'Islam.

Il a considéré que les frustrations, les images et les fautes politiques alimentaient le terrorisme : frustrations au Moyen-Orient, utilisation par Al-Qaida d'images pour effrayer, notamment en Irak, et erreurs politiques successives de l'administration américaine.

S'associant à ces remarques, M. Axel Poniatowski s'est étonné que l'on élude les causes du terrorisme global comme si le sujet était tabou depuis le 11 septembre. Selon lui, ce terrorisme ne vient pas de nulle part, même s'il est parfois délicat d'en discerner les causes.

Il a fait valoir que le renseignement technologique avait montré ses limites et s'est demandé si le renseignement humain n'avait pas été sous-évalué.

M. Hervé de Charette a estimé que la distinction proposée par M. Jacques Myard entre les différentes formes de terrorisme existantes posait une question extrêmement difficile et qu'il convenait de faire preuve de la plus grande prudence à l'égard des sollicitations de certains acteurs, notamment au Moyen-Orient, visant à faire légitimer tout ou partie des actions terroristes commises. En revanche, il a jugé que la distinction entre ce que François Heisbourg avait appelé l'hyperterrorisme et les autres formes de terrorisme était tout à fait pertinente ; il a d'ailleurs estimé que cette forme particulière de terrorisme, qui posait des questions graves, était largement sous-estimée en Europe et que ce combat n'y avait pas toute l'ampleur qu'il méritait. Il a ensuite regretté le scepticisme du rapport concernant la construction d'un espace européen de sécurité, à travers la mise en commun des moyens nationaux de lutte contre le terrorisme. Evoquant les très fortes réticences des services de renseignement à coopérer, il a néanmoins fait valoir que des efforts restaient à faire et des exercices à mener avant d'affirmer que la coopération dans ce domaine ne fonctionnait pas.

M. Michel Delebarre a apporté les éléments de réponse suivants aux diverses remarques et questions :

- faut-il départager les bonnes et les mauvaises pratiques en matière terroriste ? Une telle démarche serait extrêmement complexe, outre le fait qu'elle n'entre pas dans le sujet examiné par la mission ;

- dès lors que sont évoquées des destructions massives, une coopération européenne en matière de protection civile a toute sa pertinence, à l'instar de celle qu'a proposée Michel Barnier, alors Commissaire européen, en matière de lutte contre les catastrophes naturelles ;

- les causes du terrorisme telles qu'elles sont analysées dans le rapport présenté par M. Paul Quilès sous la précédente législature n'ont pas changé. Les analyses qu'il propose restant pertinentes, la mission a délibérément fait le choix de se situer dans sa continuité. Plus encore, les événements intervenus depuis deux ans, notamment la charge symbolique attachée à un attentat comme celui de Madrid, confortent ces analyses ;

- les Etats-Unis, sans baisser la garde en matière de renseignement technologique, comme le montre leur démarche en matière de recueil de données sur les passagers du trafic aérien, ont considérablement renforcé le volet humain de leur renseignement depuis le 11 septembre 2001 ;

- toutes les auditions menées par la mission ont conclu à la supériorité de la coopération bilatérale en termes d'efficacité du renseignement, l'ambition d'une approche européenne multilatérale en la matière suscitant encore un profond scepticisme. L'audition de M. Gijs De Vries a d'ailleurs bien montré que le coordonnateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme lui-même privilégiait l'action directe des Etats par rapport au cadre multilatéral.

En application de l'article 145 du Règlement, la Commission a décidé la publication du présent rapport d'information.

Annexe 1 : liste des personnalités auditionnées

Personnalités auditionnées par la Commission des Affaires étrangères : (

- M. Antonio Vitorino, Commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures, le 12 novembre 2002.

- M. Jean-François Thony, sous-directeur des affaires juridiques du FMI, chargé des questions liées au financement du terrorisme, le 12 mars 2003.

- M. Nicolas Sarkozy, Ministre de l'intérieur, de la sécurité publique et des libertés locales, le 11 février 2004.

- M. Gijs de Vries, Coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme, le 22 juin 2004.

Personnalités auditionnées par la mission d'information :

- MM. Paul Quilès et Bernard Grasset, auteur d'un rapport sur la lutte contre le terrorisme pour la Commission de la Défense nationale de l'Assemblée nationale en décembre 2001.

- M. Pascal Boniface, Directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques.

- M. François Heisbourg, Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

- M. Xavier Raufer, Directeur des études du département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines (Institut de Criminologie de Paris).

- M. Bruno Le Maire, conseiller au cabinet de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères, chargé des questions stratégiques et du terrorisme

- M. Gilles Leclair, chef de l'Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), ministère de l'intérieur

- M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la défense nationale.

- M. Jean-Louis Bruguière, Premier Vice-Président, chargé de l'instruction, au Tribunal de Grande Instance de Paris.

- M. Pierre de Bousquet de Florian, Directeur de la surveillance du territoire (DST).

- M.Pierre Brochand, Directeur général de sécurité extérieure (DGSE).

- M. Jean-Paul Laborde, chef du Service de prévention du terrorisme, à l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

Annexe 2 : Les organismes participant à la coopération internationale

pour lutter contre le terrorisme

* Organisation des Nations Unies :

- Assemblée générale des Nations Unies

Adoption de conventions internationales sur le terrorisme

- Conseil de sécurité

Autorisation éventuelle du recours à la force militaire

Contrôle par les Etats de leurs obligations (Comité du contre-terrorisme)

Adoption de mesures contraignantes (gel d'avoirs financiers...)

- Office des Nations Unies contre la drogue et le crime

Assistance technique et juridique aux Etats dans la lutte contre le terrorisme)

* Organisations spécialisées des Nations Unies :

- Organisation maritime internationale (OMI)

Amélioration des mesures de protection en matière de transport maritime

- Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)

Amélioration des mesures de protection en matière de transport aérien

- Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)

Lutte contre la prolifération nucléaire

- Organisation mondiale de la santé (OMS)

Préparation sanitaire (alerte, soins...) à d'éventuels attentats biologiques ou chimiques

* Organisations financières internationales :

- Fonds monétaire international (FMI)

Évaluation des systèmes nationaux de lutte contre le financement du terrorisme

Assistance technique aux Etats

- Groupe d'action financière internationale (GAFI)

Mise en place de recommandations spéciales contre le financement du terrorisme

* Organisations régionales :

- Union européenne

Coopération judiciaire pénale (Eurojust,, harmonisation du droit pénal...)

Coopération policière (Europol)

Échange de renseignement

Sécurité civile

- G5 (groupe informel réunissant l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la France et le Royaume-Uni)

Proposition et impulsion de la politique européenne de lutte contre le terrorisme

Coopération dans le domaine du renseignement

- Conseil de l'Europe

Élaboration de conventions contre le terrorisme

- Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)

Mise en place de mesures de protection (passeports sécurisés, mesures de sécurité dans les transports...)

- Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN)

Action militaire (utilisation de la nouvelle force de réaction rapide de l'OTAN)

Mesures de protection contre l'utilisation d'armes de destruction massive

Amélioration de la défense des populations civiles

- Union africaine

Adoption d'un « pacte africain contre le terrorisme »

- Conseil de coopération du golfe

Adoption d'un « pacte de lutte contre le terrorisme)

* Autres organisations :

- G8

Coopération technique (recherche sur les données biométriques)

Lutte contre la prolifération des armes de detruction massive

- PSI (proliferation security initiative) : coalition de onze pays visant à prévenir le transport de matière sensible

* Structures de coopération dans le domaine du renseignement :

- Groupe Egmont

Coopération dans le domaine du renseignement financier

-Groupe de Berne

Coopération entre services européens de renseignement

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N° 1706 - Rapport d'information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme (M. Michel Delebarre)

1 La composition de cette mission figure au dos de la présente page

2 Rapport n° 3460 (XIème législature) au nom de la Commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Paul Quilès, Président, et MM. René Galy-Dejean et Bernard Grasset, Rapporteurs.

3 Le Congrès américain a adopté le "Syria Accountability Act" le 11 novembre 2003, qui impose des sanctions, notamment commerciales, à la Syrie, entrées en vigueur depuis le 11 mai 2004.

4 Résolution 1368 du Conseil de sécurité du 12 septembre 2001.

5 Dès le 12 septembre 2001, l'OTAN a invoqué pour la première fois la clause de défense collective de l'article 5 de la charte de Washington, mais les Etats-Unis ont préféré réunir une coalition ad hoc plutôt qu'utiliser le cadre de l'Alliance atlantique.

6 En application de la clause de légitime défense inscrite à l'article 51 de la Charte des Nations unies

7 Australie, France, Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Espagne et Royaume-Uni

8 La résolution 1540 du 28 avril 2004 sur la non prolifération des armes de destruction massive est très floue sur cette question, même si certains considèrent qu'elle donne une base juridique aux arraisonnements pratiqués dans le cadre de la PSI.

9 On considère généralement que les Conventions internationales sur ce thème sont au nombre de douze.

Quatre ont été négociées dans le cadre des Nations unies : la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques (adoptée par l'Assemblée générale le 14 décembre 1973), la Convention internationale contre la prise d'otages (adoptée le 17 décembre 1979), la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif (adoptée le 15 décembre 1997), la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (adoptée le 9 décembre 1999).

10 Groupe salafiste de prédication et de combat (groupe terroriste algérien).

11 Le transfert des 34 paramètres du fichier PNR (passenger name record) au bureau des douanes et de la protection des frontières des Etats-Unis a été autorisé par un accord entre la Communauté Européenne et les Etats-Unis d'Amérique signé le 28 mai 2004.

12 Les services de renseignement se retrouvent dans des groupes de travail du G8, de l'OTAN (ils étudient d'ailleurs les mêmes sujets dans ces deux structures) et au sein d'Europol, dans l'attente de la mise en place d'une unité de renseignement sur la menace intérieure, auprès du Secrétariat général du Conseil.

13 La plus ancienne de ces structures est le Club de Berne, créé en 1968, qui regroupe les services de sécurité intérieure des Etats de l'Union européenne, de la Suisse et de la Norvège. Ce club a pour objectif l'échange d'informations et la mise en place de procédures de coopération (par l'intermédiaire de groupes de travail spécialisés). Il s'est doté, après les attentats du 11 septembre, à la demande du Conseil Justice-Affaires intérieures, d'un groupe de travail anti-terroriste.

14 Audition devant la Commission des Affaires étrangères, le 22 juin 2004.

15 Le mandat d'arrêt européen est entré en vigueur le 1er janvier 2004, mais n'a pas encore été transposé dans la législation interne en Grèce en Italie et en République tchèque. L'Allemagne, l'Estonie et la Slovaquie devraient avoir rempli leurs obligations d'ici le 1er août 2004.

16 La décision-cadre sur la lutte contre le terrorisme n'a pas été transposée en Grèce, en Irlande et aux Pays-Bas, ainsi que par les dix nouveaux adhérents.

17 Eurojust est composée d'un membre national par pays de l'Union, ayant qualité de procureur, de juge ou d'officier de police. Selon la décision-cadre du 28 février 2002, Eurojust est chargée de « promouvoir et améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites entre les autorités compétentes des États membres ; améliorer la coopération entre ces autorités en facilitant notamment la mise en œuvre de l'entraide judiciaire internationale ; soutenir les autorités nationales pour renforcer l'efficacité de leurs enquêtes et de leurs poursuites. »

18 Cf p. 18

19 cf. pp. 20-22

20 Les équipes communes d'enquête (ECE), prévues par la Convention du 29 mai 2000 sur l'entraide judiciaire pénale (non entrée en vigueur) ont été finalement créées par une décision-cadre du 13 juin 2002 : ces ECE sont constituées par au moins deux Etats, avec un objectif précis et pour une durée limitée, afin d'effectuer des enquêtes pénales dans un ou plusieurs États membres. Le protocole du 28 novembre 2002 permet la participation à ces ECE, à titre d'appui, d'agents d'Europol.

21 Cf. pp. 30-32

22 Cf. pp. 35-37

23 Les moyens des services de renseignement britanniques et allemands ont augmenté de 30 à 40 % ces dernières années.

24 L'instrument juridique le plus fréquemment utilisé est la « décision-cadre » qui doit être adoptée à l'unanimité, puis être transposée par chaque Etat dans sa législation interne, comme c'est le cas pour la directive. Mais contrairement à cette dernière, la décision-cadre n'a pas d'effet direct.

25 Il figure en revanche à l'article I.41 du projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe.

26 Beaucoup de nos interlocuteurs ont par exemple insisté sur l'inexistence dans le droit de certains Etats membres de la notion d'association de malfaiteurs, dont on sait l'importance pour remonter les réseaux terroristes : c'est par exemple le cas aux Pays-Bas ou en Suède.

27 Ce principe suppose que les faits fondant la poursuite ou la condamnation soient constitutifs d'une infraction dans les deux États membres en cause.

28 La Convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne et son protocole du 16 octobre 2001 (qui concerne les aspects financiers de l'entraide judiciaire). Ces textes ont été récemment examinés par la Commission des Affaires étrangères (voir le rapport n°1621 de M. Christian Philip).

29 Le gaz sarin a été mis au point par les Allemands durant la Seconde guerre mondiale

30 cf p. 9

31 Les attentats commis par l'ETA ont entraîné la mort de 816 personnes.

32 Les questions de sécurité civile sont suivies par la Direction générale « environnement ».

33 Suite aux inondations dévastatrices d'août 2002 dans les pays d'Europe centrale et aux incendies de forêt dans les régions méditerranéennes,une première initiative a été prise par la Commission en matière de protection civile, sous l'impulsion de Michel Barnier, avec la création d'un Fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE).

34 Le groupe d'action financière contre le blanchiment de capitaux (GAFI) a été créé en 1989. En 2001 il a élargi ses compétences à la lutte contre le financement du terrorisme en demandant à tous les pays d'adopter les « huit recommandations spéciales » qu'il préconise.

35 Audition devant la Commission des affaires étrangères le 12 mars 2003

( Les auditions de la Commission des Affaires étrangères sont disponibles sur le site Internet de l'Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr)