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N° 1913

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 novembre 2004.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

sur le marché de l'emploi au Danemark

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Pierre Méhaignerie,

Président.

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INTRODUCTION 5

I. UNE CONSTRUCTION ORIGINALE 7

A) UN MARCHÉ DU TRAVAIL EXCEPTIONNELLEMENT FLUIDE 7

1.- Un taux de chômage exceptionnellement bas 7

2.- Une forte mobilité de la population active 8

B) UN MARCHÉ DU TRAVAIL TOTALEMENT FLEXIBLE 10

1.- Un système totalement négocié 10

2.- Un système fortement homogène 12

C) UN MARCHÉ DU TRAVAIL LARGEMENT SÉCURISÉ 15

1.- L'indemnisation du chômage 15

2.- Un système d'aide sociale efficace 17

II. UN CONSENSUS SOCIAL OMNIPRÉSENT 19

A) UN « WELFARE STATE » SANS L'ÉTAT ? 19

1.- Le paradoxe danois 19

2.- L'agence de l'emploi 20

B) LA FLEXISÉCURITÉ EST VÉCUE COMME UNE GARANTIE 20

C) UNE PÉRENNITÉ INCERTAINE 22

CONCLUSION 26

EXAMEN EN COMMISSION 27

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES 31

INTRODUCTION

Existe-t-il un « miracle danois » ?

Comment un pays de 5,4 millions d'habitants, et dont la population active n'excède guère 2,8 millions de personnes, peut-il afficher des succès industriels et technologiques aussi connus et diversifiés que Lego, Maersk, Bang et Olufsen ou Velux ? Comment une telle valorisation de l'entreprise individuelle se combine-t-elle avec une société fortement empreinte d'égalitarisme ? Comment le Danemark a-t-il pu mener une politique de réduction drastique de sa dette publique, être en excédent budgétaire, tout en ayant ramené son taux de chômage de 12 % de la population active, au milieu des années 1990, à 5 % en 2002 (6,2 % en juin 2004) ? Comment un tel pays parvient-il, dans le même temps, à concilier un niveau élevé de protection sociale, un dialogue social extrêmement dense, une modulation des ages de départ en retraite avec un système d'économie de marché et un libéralisme économique très poussés ?

Comment, dans un pays où plus de 80 % des salariés sont syndiqués, où la couverture sociale est uniforme et très large, où la protection de l'environnement est un souci réel, où l'activité économique est, pour l'essentiel le fait de petites et moyennes entreprises, peut-on expliquer une telle expansion économique? Comment un des systèmes les plus protecteurs en matière d'assurance chômage ne constitue-t-il pas une désincitation au travail ? Pourquoi des taux d'imposition atteignant 62 % des revenus, une tranche marginale d'impôt sur le revenu de 60 %, dans laquelle se situe une très grande partie de la population active, ne conduisent-ils pas à des délocalisations massives d'entreprises et de ménages ? Si miracle il y a, sera-t-il durable ?

Chacune de ces questions, en elle-même, suffirait à justifier qu'une délégation de votre commission des Finances ait souhaité se rendre, en dépit de fortes contraintes calendaires, au Danemark. Cette délégation, présidée par votre Rapporteur, était en outre constituée du Rapporteur général, Gilles Carrez, du Rapporteur spécial de l'emploi, Alain Joyandet et du Rapporteur spécial de l'industrie, Hervé Novelli. Elle a tenu, dans un délai particulièrement bref, à rencontrer à la fois toutes les parties prenantes du marché de l'emploi : représentants de l'administration, des employeurs et des salariés..., mais aussi un maximum d'acteurs du terrain : personnes chargées de l'insertion au niveau communal, responsables de direction ou des ressources humaines dans les entreprises... Ainsi est-elle en mesure de disposer non seulement de données quantitatives, mais également de pouvoir faire état de ses propres appréciations concrètes.

« L'expérience » du terrain est toujours indispensable : elle seule permet de savoir si des systèmes sont transposables ou si, du moins, ils peuvent être source d'inspiration. En l'espèce, cette mission s'est avérée riche d'enseignements, au moment où le Parlement français doit débattre du projet de loi de programmation sur la cohésion sociale, dont les dispositions recoupent bien des thèmes qui ont motivé cette mission.

Il en ressort trois éléments de constat :

- la flexisécurité du travail au Danemark n'est pas assimilable à une dérégulation du marché du travail : l'absence de règles légales contraignantes n'aboutit pas à un marché du travail déréglementé, mais, par le dialogue entre les partenaires sociaux, à des règles beaucoup plus évolutives, souples, adaptées, que dans de très nombreux autres pays européens ;

- la faible intervention des pouvoirs publics, dont le rôle n'est affirmé que si les mécanismes du marché ne permettent pas, par exemple, à un chômeur indemnisé de retrouver du travail. L'État joue un rôle subsidiaire : il n'est pas le garant juridique du fonctionnement du marché du travail ;

- le système repose sur un très fort degré de socialisation, au sein des entreprises, de la part des contribuables, comme dans le dialogue entre les partenaires sociaux où une logique de consensus prédomine : les relations entre salariés et employeurs sont orientées vers la prise de décision et non pas marquées du sceau de l'affrontement permanent.

Pour autant ce modèle, à la fois fortement empreint de libéralisme économique et d'égalitarisme social qui, aujourd'hui, donne de bons résultats, résiste-t-il à des perspectives à plus long terme ?

I. UNE CONSTRUCTION ORIGINALE

Incontestablement, l'élément le plus marquant du marché du travail danois est sa très grande originalité : le système dit de « flexisécurité »  permet une forte mobilité de la population active, et de ce fait assure une forte coïncidence de l'offre et de la demande d'emploi, donc une grande adaptation aux mutations industrielles. C'est ce qui explique ses résultats positifs.

A) UN MARCHÉ DU TRAVAIL EXCEPTIONNELLEMENT FLUIDE

Le Danemark comporte une population active de 2.800.000 personnes, pour une population totale d'environ 5.410.000 personnes. 68 % de la population est âgée de 15 à 66 ans.

1.- Un taux de chômage exceptionnellement bas

Le premier succès du modèle danois est d'avoir ramené le taux de chômage - en moyenne annuelle - de 12 % en 1994 à 6 % seulement aujourd'hui, soit un taux nettement inférieur à la moyenne européenne.

TAUX DE CHÔMAGE AU DANEMARK

Janvier 2002

5,8

Janvier 2003

6,4

Janvier 2003

7,5

Juillet 2004

6,2

Le pays compte environ aujourd'hui 190.000 chômeurs, (6,2 % de la population active en juin dernier), ce qui représente le taux d'emploi le plus élevé de l'Europe à 25. Le taux de chômage est très légèrement supérieur à 6 % pour les femmes et de 4,5 % pour les hommes, mais il n'est que de 3 % pour les moins de 25 ans, et seulement de 8 % pour la tranche d'age allant de 55 à 59 ans.

EVOLUTION DES TAUX DE CHÔMAGE

Août 2003

Août 2004

Luxembourg

3,8

4,3

Irlande

4,7

4,4

Chypre

4,6

4,5

Autriche

4,3

4,5

Grande-Bretagne

4,9

4,7

Hollande

3,8

4,8

Suède

5,7

6,2

Danemark

5,8

5,8

Hongrie

5,7

5,9

Italie

8,6

8,5

Moyenne Union européenne à 15

Moyenne Union européenne à 25

8,1

9,1

8,1

9

France

9,5

9,6

Espagne

11,3

11

Slovaquie

16,8

15,7

Pologne

19,2

18,7

Le tableau suivant détaille les principales données quantitatives du chômage au Danemark :

LE CHÔMAGE AU DANEMARK (CHIFFRES 2003)

Personnes assurées

2.350.000

Chômeurs

190.000

Chômeurs en activation

38.000

Chômeurs en fin de droit pris en charge par l'aide sociale

43.000

« Passifs » (autres problèmes que le chômage)

95.000

Réinsertion

33.000

Stagiaires

32.000

Retraites anticipées et temps partiel

185.000

Retraites anticipées

260.000

Congés maladie

77.000

Le taux de chômage des hommes s'établit à 5,4 % (contre 8,7 % en France), celui des femmes à 6,3 % (contre 10,6 % en France et 10 % dans l'Union à 25) et celui des jeunes à 10,4 %, alors qu'il est de 21,8% en France et de 12 % en Grande-Bretagne. Il est deux fois plus facile à un jeune danois de trouver du travail qu'à un jeune français. Ce rapport est d'un à quatre entre le Danemark et la Pologne.

2.- Une forte mobilité de la population active

Quelques données suffisent à montrer à quel point le marché du travail est organisé de manière à assurer le plus possible de flexibilité de l'emploi : 600.000 à 700.000 personnes changent effectivement d'emploi chaque année - soit 27 % de la population salariée en 2003. Au cours d'une même année, 300.000 emplois se créent et environ autant disparaissent. La reconversion de certains secteurs d'emploi - comme le textile au Jutland, fortement concurrencé et qui a su trouver de nouveaux produits et débouchés - est impressionnante par sa rapidité.

MOBILITÉ DES SALARIÉS DU TEXTILE

Situation un an après la perte d'un emploi

1993-2000

ont retrouvé un emploi

66 %

sont au chômage

11 %

activation ou formation

8 %

sortie du marché du travail

15 %

Source : Dolsen, Ibsen et Westergaard-Nielsen

Tout est fait pour faciliter cette mobilité de la population active. Ainsi en est-il de l'émigration - souvent provisoire - facilitée par un apprentissage scolaire intensif des langues étrangères.

70.000 danois travaillent ainsi à Londres.

La durée moyenne de présence dans une entreprise est d'environ 7 ans. Le tiers de la population active change d'activité chaque année, soit au sein de la même entreprise, soit en changeant d'entreprise : 800.000 postes, en termes de flux annuels, sont concernés par la rotation des emplois.

Cependant, les représentants du patronat ont insisté sur une donnée assez inattendue : la mobilité géographique apparaît faible, y compris, observent-ils, pour les chômeurs eux-mêmes. Il convient, cependant, de relativiser cette constatation. Compte tenu de la géographie du pays, l'essentiel de l'activité est concentré sur des bassins d'emploi comme Copenhague (2,35 millions d'habitants). Mais il est vrai que cette mobilité géographique limitée est sans doute un point faible du système.

En revanche, il faut souligner la part importante que joue la formation professionnelle dans l'adaptation de l'offre à la demande : la part des 25-35 ans ayant atteint au moins une formation de deuxième cycle est de 86 % - contre 78 % en France ou 68 % en Grande-Bretagne. Dans la tranche d'âge 35-44 ans, ce taux s'élève à 80 % (67 % en France). Dans la tranche d'âge 55-64 ans, il atteint 72 % contre 46 % en France et 55 % au Royaume-Uni. On peut en conclure que la formation professionnelle est, dans le long terme, un excellent moyen de lutte contre le chômage : le produit de l'investissement est différé, mais son résultat est évident.

DÉPENSES PUBLIQUES EN % DU PIB EN MATIÈRE DE FORMATION (2000/2001/2002)

Type de mesure / pays

Canada 2001/2002

Danemark 2000

France 2002

Allemagne 2002

Italie 2002

Pays-Bas 2002

Royaume-Uni 2001/2002

États-unis 2001/2002

Formation des chômeurs adultes et des travailleurs menacés de perdre leur emploi

0,15

0,67

0,21

0,32

0,5

0,52

0,02

0,03

Formation des adultes occupés

0

0,19

0,02

0

0

0,09

0,01

0

Aide à l'appren-tissage et aux autres types de formation des jeunes à caractère général

0,01

0

0,15

0,02

0,2

0,04

0,09

0

Total

0,16

0,86

0,38

0,34

0,7

0,65

0,12

0,03

Source : OCDE.

Cette importance de la formation professionnelle correspond à une volonté très forte d'intégration sociale : plus le marché du travail est flexible, plus il offre d'opportunités d'insertion. Grâce à un système de formation adapté, le chômage n'est pas vécu comme un état d'isolement : il devient un état provisoire, donc banalisé.

B) UN MARCHÉ DU TRAVAIL TOTALEMENT FLEXIBLE

1.- Un système totalement négocié

Le marché du travail au Danemark repose sur trois pôles, qu'on peut présenter, selon les représentants du Ministère du travail, en « triangle d'or » parce que ses éléments rétroagissent les uns sur les autres et ne peuvent être considérés isolément les uns des autres :

graphique

Les pouvoirs publics apparaissent comme les grands absents de ce système : la fixation des règles est, pour l'essentiel, le fait d'une convention collective - conclue pour la première fois en 1899 - dont la durée est en principe triennale : il n'y a pas au Danemark de « droit du travail » au sens classique du terme : l'essentiel est uniquement le fait d'accords entre employeurs et salariés, librement consentis. La convention collective, négociée entre employeurs et salariés, ne couvre pas tout le marché du travail - mais environ 75 % des salariés et la presque totalité des employés du secteur public - et, dans les cas qu'elle couvre, elle n'impose pas nécessairement une règle immuable à laquelle il serait impossible de déroger. Au contraire, elle est plutôt une « norme », au sens d'un dispositif cadre, mais dont les partenaires restent libres de s'éloigner au sein d'une entreprise donnée.

A fortiori, le législateur n'intervient dans un système que de manière très marginale : il fixe des règles d'indemnisation du chômage, quelques textes sur la protection des mandats syndicaux, sur les congés payés, la médiation ou le contentieux du travail ou quelques dispositifs prohibant la discrimination en matière d'embauche ou de rémunération. Mais il n'y a pas de loi pour régir le salaire minimum, le temps de travail, l'emploi des handicapés, le droit de grève, etc. pour s'en tenir à des cas emblématiques. C'est, par exemple, l'actuelle convention collective librement négociée qui prohibe, pendant la durée de son application, le droit de grève.

La convention est négociée entre les représentants du patronat (D.A.) et la fédération syndicale L.O.

La centrale L.O est forte de 1.700.000 membres environ. Elle compte 150 permanents. Le pays compte au total 50.000 délégués du personnel affiliés à cette centrale. La centrale est financée par des cotisations, à l'exclusion de toute subvention publique. Le coût de la cotisation se décompose en deux, une cotisation globale de l'ordre de 200 couronnes1 permettant une adhésion à l'organisation syndicale primaire de l'ordre de 300 couronnes par mois. Au total, l'adhésion annuelle à un syndicat implique donc une cotisation de l'ordre de 150 à 200 euros par an, ce qui peut paraître assez élevé. Toutefois, ce montant doit être mis en regard des avantages que l'adhésion procure : il inclut en particulier la cotisation chômage, confère un accès à certains avantages financiers et bancaires (remises, centrales d'achat, assurances...) et ouvre droit au paiement des jours de grève. Au moment de la grève de juin 1998, la centrale L.O a ainsi payé 2 milliards de couronnes danoises à ses adhérents. Mais cette grève, qui portait sur la durée des congés payés, a été le dernier conflit de grande envergure qu'a connu le pays : elle a mobilisé plus de 500.000 salariés et son coût en termes de production est estimé à 8 milliards de couronnes (1 % du PNB). La cotisation est déductible, pour 1/3 de son montant, du revenu imposable.

L.O a un rôle central dans la détermination des règles de flexi-sécurité et participe pleinement à la négociation de la convention collective, mais aussi à de très nombreuses négociations de branche ou d'entreprises. M. Rasmussen, chef du service économique, souligne le fort degré de convergence auquel aboutit le système. Il se félicite du fait que la négociation permanente ne soit pas construite sur une logique d'affrontement mais au contraire, même si chacun cherche à avancer en fonction de ses revendications et de sa logique propres, la négociation conduit à l'accord et ce système aboutit à un fort niveau d'indemnisation du chômage - être chômeur n'est pas perçu comme une situation d'isolement économique ou social - à une amélioration des qualifications et cependant à un niveau très satisfaisant de motivation pour la recherche d'un emploi.

Les représentants des employeurs ne tiennent pas un discours différent sur le fond. Ils soulignent, par exemple, que lors de la négociation de la convention collective nationale, ce sont les salariés qui fixent les thèmes soumis à la concertation. Le seul moyen offensif est alors le droit de grève, ouvert pendant le temps de la négociation.

Pour sa part, la principale confédération des employeurs, D.A., rassemble l'essentiel du patronat : 4.300 entreprises industrielles, 2.200 dans les secteurs du transport, du commerce et des services, 1.700 dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, et 4.500 dans le secteur de la construction. Le taux d'adhésion des employeurs est d'environ 50 %. D.A. représente ainsi les employeurs de 40 %, au moins, de la main d'œuvre salariée.

Ainsi, chacun des deux partenaires dispose d'une incontestable représentativité pour négocier, que se soit au plan local ou au niveau national. A ce niveau, les accords sont renouvelés en bloc. Le dernier renouvellement de convention a été effectué en mars 2004. La négociation s'était ouverte en novembre 2003. En pratique, 70 % à 80 % des accords sectoriels sont conclus par accord direct entre les partenaires. En cas de difficultés, le recours à un médiateur permet de résoudre les divergences. C'est l'ensemble des accords qui est soumis au vote des salariés. Un mécanisme d'extension de la convention aux entreprises non affiliées est en vigueur.

Au niveau central, la convention collective actuelle réglemente, ainsi, le temps de travail, fixé en moyenne à 37 heures, les heures supplémentaires, le régime des congés, le paiement des absences, les politiques salariales - par exemple l'augmentation annuelle minimale applicable aux salaires - les périodes de préavis. Elle inclut en outre des dispositions spécifiques sur les seniors, les préretraites ou encore les jeunes.

Le système est complété, au niveau local, par exemple s'agissant d'augmentations supplémentaires de salaires. La convention est donc un cadre général dans lequel s'inscrivent de nombreux accords collectifs locaux.

2.- Un système fortement homogène

Fondé sur une large décentralisation et sur une très grande latitude des partenaires sociaux, le système de flexisécurité du travail devrait entraîner une forte hétérogénéité des règles applicables selon les secteurs d'activité, la localisation ou la taille des entreprises. Or, c'est précisément la conclusion inverse qui s'impose : la flexisécurité de l'emploi conduit à une forte homogénéité des règles applicables, mais aussi à une échelle des salaires très resserrée et à un salaire moyen particulièrement élevé.

LE CLASSEMENT DES PREMIERS PAYS EUROPÉENS SELON LE SALAIRE HORAIRE MÉDIAN BRUT

Rang

Pays

Ratio du salaire médian

1

Danemark

100

2

Suisse

79

3

Luxembourg

72

4

Norvège

69

5

Allemagne

63

6

Pays-Bas

61

7

Italie

60

9

Royaume-Uni

58

12

Suède

54

13

Belgique

52

14

France

51

Finlande

51

Irlande

51

Autriche

51

18

Espagne

37

19

Islande

36

Source : FedEE.

Il convient d'ajouter à cela que le revenu moyen aura progressé en 2002 de 4,2 % et en 2003 de 3,9 % - soit des chiffres supérieurs à ceux de la zone euro. En tenant compte du taux d'inflation (2,6 % en 2002, 1,2 % en 2003), la progression de salaire réel est, par exemple, de 1,1 % en 2003.

Ce haut niveau de vie, combiné à un système fiscal que l'on qualifierait dans bien des pays de « confiscatoire » - le taux général de TVA est de 25 % - assure un fort effet redistributif, des conditions de travail privilégiées et une grande dynamique de l'embauche comme des licenciements : le « coût » de licenciement est très bas, et, de ce fait, le risque pris par l'employeur est très faible : il n'y a pas d'indemnité de licenciement, dans la plupart des cas. Votre délégation a, par exemple, été particulièrement surprise d'apprendre, auprès des représentants de L.O., que la durée de préavis d'un licenciement était souvent, pour des emplois peu qualifiés, de 5 jours, et que cette durée ne s'allongeait que très peu en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise.

Pour le salarié, ce système - dont il faut répéter qu'on ne peut analyser les éléments indépendamment les uns des autres - est en fait très protecteur : s'il ne dispose d'aucune garantie de longévité dans l'entreprise, il bénéficie, en revanche, d'une garantie très forte d'indemnisation du chômage et, statistiquement, de possibilités très rapides de retour à l'emploi.

Cet ensemble de règles conduit, au final, à une grande homogénéité des revenus et des conditions de travail. Cette homogénéité fait du Danemark une sorte d'exception européenne : pays où le salaire moyen est le plus élevé, mais où la durée du travail est parmi les plus faibles - encore que la France soit dans une situation encore plus « privilégiée » selon ce critère : en moyenne, le nombre d'heures travaillées est de 1.475 par an au Danemark, contre 1.431 en France.

DURÉE HABITUELLE DU TEMPS DE TRAVAIL HEBDOMADAIRE À PLEIN TEMPS
DES SALARIÉS ÂGÉS DE 15 ANS ET PLUS, EN 2003

graphique
Source : Eurostat.

Il convient donc de constater que la productivité du travail est nettement supérieure au Danemark à celle de très nombreux pays européens. En moyenne, en 2003-2004, elle a été de 4 % contre 1,1 % en Espagne, 3,9 % en Suède, 3,3 % en Grande-Bretagne, 3,1 % en Allemagne et 1,5 % en France2, où depuis lors, elle semble s'améliorer.

Cet ensemble de résultats est, largement, le fruit de la principale caractéristique du système danois d'indemnisation : la flexisécurité assure un très fort revenu de remplacement en cas de chômage.

C) UN MARCHÉ DU TRAVAIL LARGEMENT SÉCURISÉ

1.- L'indemnisation du chômage

Point essentiel du système, l'indemnisation du chômage constitue, de facto, une couverture quasi universelle. Le système d'indemnisation, qui touche aujourd'hui environ 180.000 personnes, ouvre droit à une allocation divisée en une période d'indemnisation d'un an et une période d'activation de trois ans, ce n'est que pendant cette deuxième période que des obligations sont mises à la charge des chômeurs. Son montant moyen est d'environ 25.000 euros par an, versés pendant une durée maximale de quatre ans. Peuvent s'y ajouter, par le biais d'assurances volontaires, des versements complémentaires. Ce système, facultatif, couvre environ 90 % des salariés. L'indemnisation paraît donc particulièrement généreuse, au point qu'elle pose le problème de l'incitation à reprendre un emploi, d'autant qu'à l'heure actuelle, pendant une durée d'un an, aucune exigence ne pèse sur le salarié - en dehors d'obligations purement déclaratives.

Le droit aux indemnités de chômage suppose que quelques conditions soient remplies. Les plus importantes sont les suivantes :

a) L'affiliation préalable pendant un an à une caisse d'assurance-chômage agréée par l'Etat. L'agrément concerne 33 caisses pour les salariés et 2 caisses pour les indépendants. Cependant, les membres ayant accompli une formation professionnelle d'une durée supérieure à 18 mois ont droit à des allocations un mois après l'issue de leur formation.

b) Une durée antérieure de travail salarié pendant une période correspondant globalement à la durée d'un travail à temps plein normal pour la profession pendant au moins 52 semaines au cours des trois dernières années ou pour son propre compte pendant une période identique et pour une durée importante. Pour les salariés à temps partiel, la période requise est de 34 semaines. Elle inclut des dispositions spécifiques sur les sessions et les préretraites.

c) L'inscription à l'Agence nationale pour l'emploi.

Le financement du système est assuré par des cotisations (environ 450 euros pour un salarié de moins de 60 ans), une taxe affectée et des versements de l'Etat.

En outre, les personnes qui ont adhéré pendant au moins 25 ans à une caisse ont droit, à partir de 60 ans, à un système de préretraite, qui leur garantit 91 % maximum de l'allocation chômage. Le système est donc extrêmement ouvert.

Pourtant, M. Edelberg, secrétaire général adjoint du ministère du travail, insiste avec raison sur le fait que cette liberté ne peut être lue indépendamment de la politique active du marché du travail. Au-delà de la période d'un an - qu'une réforme tente de limiter davantage - le chômeur est mis en situation d' « activation ». Depuis 1994, sont donc apparues de véritables obligations : le chômeur est tenu soit de suivre des périodes de formation, soit de participer à des politiques actives d'offre d'emploi, soit d'entamer une reconversion, soit de reprendre un travail correspondant à sa qualification. À défaut, l'allocation est réduite de moitié.

Ce système, souple, est en fait fortement incitatif, dans un premier temps, à rechercher éventuellement un travail par soi-même : 60 % des chômeurs déclarent aujourd'hui, dans le délai d'un an, une offre sur internet et seuls 20 à 25 % sont inscrits à l'agence de l'emploi. Puis dans un second temps, à défaut d'emploi, ils sont conduits à accepter une situation d'activation.

Selon des sources patronales :

- 26 % des chômeurs gagnent moins de 70 euros par mois si ils reprennent une activité salariale ;

- 12 % des salariés perdraient moins de 70 euros par mois si ils reprenaient une activité ;

- 5 % d'entre eux gagnent moins en étant salariés que si ils bénéficiaient de l'assurance chômage.

Après formation - dans le délai d'un an ou par une activation - 58 % des chômeurs retrouvent un emploi. Dans le privé, les emplois d'activation offrent souvent, à court terme, un niveau de salaire inférieur à celui de l'assurance chômage, mais l'incitation psychologique à la reprise d'un travail est souvent la plus forte. Dans le secteur public et parapublic - peu développé au Danemark - le niveau moyen d'un salaire d'activation est sensiblement égal à celui de l'assurance chômage.

Ces appréciations globales doivent être relativisées en fonction des catégories. Des difficultés de recrutement existent pour des travaux pénibles ou peu qualifiés, pour le secteur public à bas niveau de salaire, pour la population immigrée, où le taux de chômage atteint 15 %. L'activation est moins performante dans de tels cas. Mais, d'une manière générale, compte tenu du tissu économique du Danemark, essentiellement fait de petites entreprises, le système est actuellement d'une durée bien adaptée au marché du travail même si la période initiale d'un an peut paraître excessive.

POURCENTAGE DE SALARIÉS HORS EMPLOI (2003)

graphique

Source : Statistiques de l'emploi au Danemark

2.- Un système d'aide sociale efficace

Les personnes au chômage en fin d'indemnisation au-delà de 4 ans, les personnes cherchant un premier emploi, celles dont la capacité au travail est réduite, celles qui cherchent à reprendre une activité après une longue maladie ou les immigrés au chômage ont droit à un système d'aide sociale. Mais, à la différence par exemple du RMI français, ce système qui ne concerne qu'un nombre limité de personnes - environ 43.000 chômeurs - donne lieu à une prise en charge très forte par les municipalités, qui font un travail très poussé de réinsertion.

La délégation s'est rendue, pour en mesurer la réalité, dans la commune de Brondby. 35.000 personnes vivent sur le territoire de cette commune et le bassin offre environ 23.000 emplois. Les services municipaux prennent en charge l'ensemble des personnes bénéficiant de l'aide sociale, soit, en juillet 2004, 1.400 personnes, ce chiffre étant en réduction régulière depuis janvier 2000 (où il était de 1.900 personnes).

85 personnes travaillent, au sein de cette municipalité, pour l'insertion. Leurs tâches sont très diverses, elles vont du paiement des aides à l'orientation vers des filières de formation ou à des actions d'animation. Il s'agit d'un système qui intègre à la fois des formes d'assistance sociale, d'orientation, mais aussi de stages. En moyenne, un bénéficiaire de l'aide sociale voit onze personnes : psychologues, consultants, assistants sociaux, médecins... En moyenne également, un même consultant doit gérer, simultanément, 20 à 30 personnes. Cette collectivisation du traitement de l'aide sociale et des actions entreprises est due à la fois au nombre respectif de parties prenantes et de personnel, mais aussi à une volonté délibérée de mise en commun des expériences et de dialogue entre personnes aidées. D'une manière générale, le retour vers des filières professionnelles est préféré à une prise en charge par le système éducatif. Fût-ce par le biais de stages, gratuits pour l'entreprise, une reprise d'activité, souvent en binôme avec un salarié, permet une meilleure réinsertion. Toutefois, Mme Nielsen, chef du bureau « bilan professionnel » insiste sur le fait qu'il n'y a pas deux cas similaires. Certains parcours de réinsertion sont très brefs, d'autres, pour des raisons très diverses, n'aboutissent pas. Mais, en tout cas, l'impression que l'on peut retirer de cette décentralisation de l'aide, c'est le caractère obligatoire de la participation des bénéficiaires de l'aide à des actions - souvent collectives - de réinsertion et la grande diversité des solutions mises en œuvre. On peut en conclure que la souplesse et la diversité de ces formules coïncident bien avec la grande hétérogénéité des publics auxquels les politiques d'insertion sont destinées.

II. UN CONSENSUS SOCIAL OMNIPRÉSENT

Le modèle danois de relations du travail repose sur un consensus très large, et une liberté totale des employeurs et des salariés : il n'y a que peu ou pas de règles au sens juridique du terme, et c'est le marché qui détermine la structure du travail. Toutefois, la flexisécurité repose sur une condition invisible juridiquement : il s'agit d'un partenariat social très fort. Entre la confédération des employeurs danois (D.A.) et la confédération syndicale des salariés (L.O.) on ne peut guère discerner, au mieux, que des nuances. De la même manière, dans les entreprises, le dialogue social est une constante.

A) UN « WELFARE STATE » SANS L'ÉTAT ?

1.- Le paradoxe danois

C'est effectivement l'un des éléments dominants du paradoxe danois : le Danemark est un pays dans lequel les systèmes de garanties et de protection sociale sont très étendus : allocations chômage, allocations pour garde d'enfants, aides à domicile, couverture maladie, etc., sont autant de systèmes protecteurs souvent familialisés (l'existence de deux salaires prive par exemple le foyer de subventions au titre de la garde d'enfants). Le système scolaire se caractérise, lui aussi, par son importance dans la société.

La dépense moyenne par élève dans le secondaire est équivalente à celle de la France. Selon l'OCDE, elle s'élève à 8 110 $, alors qu'elle est en moyenne de 6 510 $ pour les pays de l'OCDE. L'État est donc garant du fonctionnement du système social et éducatif.

En revanche, les membres de la mission ont constaté le faible rôle institutionnel de la puissance publique en matière économique. Ceci est vrai, d'abord, s'agissant du poids du législateur dans la détermination des règles applicables au marché du travail. Les lois ne portent que sur des aspects qui, pour être importants, n'en sont pas moins ponctuels : justice du travail, préavis pour les licenciements collectifs, obligation pour les employeurs d'informer les salariés sur les conditions régissant le contrat de travail, comité d'entreprise européen, protection de l'exercice du mandat syndical, ...

Cette faible présence du législateur n'est que faiblement atténuée par l'intégration des règles issues de directives européennes, dont la transposition n'est à la source que de peu de textes législatifs (statut des salariés en cas de cessation d'activité de l'entreprise : directive n° 77/187, préavis pour les licenciements collectifs : directive 75/129). Mais d'une manière générale, le système de convention collective couvre tout le champ de la réglementation : il n'y a pas de loi de portée générale sur le contrat de travail, le licenciement ou les droits des salariés.

2.- L'agence de l'emploi

Cette faible part du rôle normatif des pouvoirs publics ne s'accompagne pas, comme on pourrait s'y attendre, par une intervention marquée s'agissant du fonctionnement du marché du travail lui-même : l'État n'est qu'un acteur parmi d'autres, sauf en ce qui concerne les mécanismes d'activation et, plus encore, l'aide sociale.

Depuis le 1er juillet 1990, l'agence nationale danoise pour l'emploi a même perdu le monopole du placement des chômeurs. Au demeurant, le plan actuel « plus de personnes au travail » est essentiellement axé sur l'affirmation du rôle des communes, et non de l'agence en tant que telle.

L'AGENCE POUR L'EMPLOI

Nombre de personnes employées : 21.000

Nombre d'agences régionales : 14

Nombres d'unités locales : 65

Budget annuel : 140 millions de couronnes

Offres d'emploi : 225.000

Visites d'entreprises : 57.000

Suivi de plan d'activation : 150.000

Les tâches de l'agence, fixées par la loi sur la politique active du marché du travail, consistent à assurer une prestation de services aux chômeurs à la recherche d'un emploi, des orientations vers des formations et un rôle de surveillance du marché du travail : inscription sur un registre national informatisé des chômeurs, conseils d'orientation, élaboration d'un plan d'action individuel, gestion des congés de formation, service de placement express pour des entreprises ayant besoin de main-d'œuvre temporaire, etc. Mais il faut noter que le marché est marqué par une grande diversité des systèmes d'offres et de recrutements : les entreprises disposent fréquemment de filières de recrutement autonomes, et très performantes.

B) LA FLEXISÉCURITÉ EST VÉCUE COMME UNE GARANTIE

C'est le constat qui s'impose, selon tous les interlocuteurs rencontrés par la délégation. Ainsi en est-il d'ISS.

I.S.S. est une société de services, initialement cantonnée dans le nettoyage. Il s'agit du premier groupe de nettoyage au monde. La société-mère a, à partir de ce « cœur de métier », opéré une forte diversification : nettoyage spécialisé (vitres...), entretien d'espaces verts, gardiennage, centraux téléphoniques... Elle est aujourd'hui en mesure de fournir l'ensemble des services d'entretien d'immeubles, y compris tout l'environnement d'un système productif. L'entreprise a dégagé un cash-flow de 1,9 milliard de couronnes, en hausse de 200 millions en 2003. I.S.S. emploie 245.000 personnes en 2003 et cet effectif tend à se réduire légèrement (il y avait 259.800 employés en 2001 et 248.500 en 2002). Compte tenu des types d'activités, le temps partiel y est fortement développé : 55 % des employés seulement travaillent plus de 25 heures par semaine. Présente dans 42 pays - dont la France - elle a acheté plus de 300 entreprises en 5 ans.

La question, frontalement abordée au cours de l'entretien des responsables de cette entreprise avec la délégation, est partie du constat selon lequel I.S.S. a acheté beaucoup de PME en France et, de ce fait, est aujourd'hui responsable de l'entretien ménager... de l'Assemblée nationale et de nombreuses villes de France, notamment en ce qui concerne l'entretien d'espaces. Votre délégation s'est étonnée d'une telle facilité d'achat. Les interlocuteurs danois n'ont pas caché que la France présentait beaucoup d'attraits pour les capitaux danois, par exemple compte tenu de la faiblesse du nombre d'arrêts maladie dans le secteur concerné, mais aussi du fait de la structure familiale des entreprises en cause : en raison de la fiscalité pesant sur la transmission d'entreprises, il est fréquent que cette transmission aboutisse à une vente.

Dans ces conditions, la délocalisation n'est pas apparente : ces activités ne sont pas physiquement délocalisables. Elle n'en est pas moins réelle : le centre de décision, la gestion des investissements, voire l'encadrement sont réalisés à Copenhague et non plus en France. Il s'agit là, incontestablement, d'une fragilité de notre économie.

graphique
Cette fragilité va de pair avec la rigidité des règles du droit du travail, comparée à la situation au Danemark. Le tableau ci-dessous, fourni par la confédération patronale, a beaucoup retenu l'attention de la délégation. Il compare la flexibilité du marché et le sentiment d'insécurité des salariés.

La France y occupe une position médiane, mais on observe une corrélation inversée entre les deux éléments : plus les règles sont souples et ne rigidifient pas le marché du travail, plus les salariés sont « à l'aise » dans ce marché. Plus au contraire, le marché est rigide, moins les salariés s'y sentent en sécurité et, de ce fait, hésitent à changer d'emploi.

Une telle conclusion n'est paradoxale qu'en apparence : une rigidité des règles régissant le marché du travail entraîne un plus fort immobilisme de la population active, crée des obstacles à l'embauche et fige des situations, notamment en raison de la crainte du chômage qu'une telle structuration engendre.

C) UNE PÉRENNITÉ INCERTAINE

Pour autant, le système danois doit être analysé dans son ensemble : aucun élément ne peut être considéré isolément. Pris séparément, le taux marginal de l'impôt, l'absence de règles de préavis avant licenciement ou le système d'activation du chômage apparaîtraient aberrants. C'est de leur seule conjonction que résulte l'actuelle bonne santé économique du Danemark. Pour autant, nombre d'interlocuteurs de la délégation n'ont pas caché des éléments de faiblesse, qui risquent de compromettre la pérennité, à moyen terme, du système. Après avoir enregistré une embellie au milieu des années 1990, il semble que la situation économique, si elle reste favorable, tende cependant à se stabiliser :

1997

1998

1999

2000

croissance économique

3,1

2,7

1,3

1,5

consommation (variation)

3,7

3,5

1,1

1,5

investissement (variation)

10,4

6,9

1,3

1,7

inflation

1,9

1,8

2,1

2,5

Taux de chômage

7,7

6,4

5,7

5,8

Taux d'intérêt à court terme

3,7

4,1

3,3

3,7

solde public/PIB

0,1

0,9

2,9

2,2

Dette publique/PIB

64,5

59,6

55,4

51,6

exportations (variation)

4,4

1,4

3,6

3,8

importations (variation)

8,5

6,4

1,9

3,6

Balance commerciale (milliards $)


5,5


3,7


4,6


4,5

recettes touristiques

(milliards $)


3,19


3,21


-


-

investissements étrangers (milliards $)


2,79


6,67


7,46


-

Source : OCDE

En 2003, la situation économique a été cependant assez médiocre : le PIB a augmenté seulement de 0,4 % contre 1,6 % en 2002, la consommation privée a augmenté de 1,3 %, tandis que le chômage, on l'a dit, remonte. S'il y a bien eu une croissance économique durable pendant la précédente décennie, les bons résultats tendent aujourd'hui à s'estomper.

Au demeurant, il ne faut plus passer sous silence le fait que la bonne santé économique du Danemark s'accompagne d'un certain protectionnisme dont l'exemple type est celui des taxes sur les automobiles, qui s'ajoutent à la TVA. Elles font de celles-ci un produit dont le prix est extrêmement élevé : les voitures coûtent le double au Danemark qu'en moyenne en Europe, et leur prix a augmenté de 7 % entre juillet 2003 et juillet 20043, la France ou l'Allemagne se situant, quant à elles, légèrement en-deça de cette moyenne. On peut d'ailleurs se demander si un tel système de taxation est compatible avec les règles européennes.

Christophe Azrouni, cadre du parti Venstre (centre-droit), n'a pas dissimulé certains des risques inhérents à l'évolution du système à moyen terme. Le « paradoxe du Danemark » explique-t-il, est d'être collectiviste en ce qui concerne la demande et très libéral en ce qui concerne l'offre, ce qui assure à la fois au système un fort degré redistributif, une grande égalité et une qualité dans l'accès aux biens collectifs, combiné à un total libéralisme en matière de vie des entreprises et de marché du travail.

Toutefois, il insiste sur certains facteurs de fragilité de ce système. Les périodes de négociation de la convention collective fragilisent les employeurs puisque le droit de grève est alors ouvert. L'intégration des immigrés, pourtant très régulée, pose d'indéniables problèmes, comme tous les interlocuteurs l'ont souligné. A une moindre qualification correspond à la fois un plus grand risque de chômage ou de recours à l'aide sociale et une intégration moins grande.

Si l'ouverture des marchés est plutôt bien perçue, il faut cependant insister sur deux éléments. Au plan de la mobilité des hommes, l'incitation au départ - qui pourrait être forte compte tenu des taux d'imposition - n'est pas massive, sauf au profit de l'Angleterre qui attire beaucoup de cadres qualifiés. En revanche, le système n'attire pas suffisamment d'étrangers qualifiés.

Un système fiscal incitatif, ciblé, a pourtant été mis en place : pendant une durée de trois ans, un spécialiste étranger ne paiera que 25 % d'impôt sur le revenu. Mais ce système est souvent jugé comme insuffisant. Il ne fidélise pas les intéressés et, statistiquement, ses résultats demeurent faibles.

Une autre critique tient à l'insuffisante maîtrise des dépenses publiques. Les Danois, qui sont pourtant dans une situation budgétaire enviable, puisqu'excédentaire, jugent qu'un effort supplémentaire doit être fait sur la réduction des dépenses publiques. Pourtant, le Danemark fait partie des pays où la nomenclature budgétaire est fonctionnelle et, à l'instar de la loi organique du 1er août 2001, fait ressortir les performances de la dépense publique.

L'OCDE, pour sa part, insiste sur certains risques à moyen terme ; dans son rapport de 2003, il est notamment fait état :

- du vieillissement de la population d'ici à 2040 où plus d'un adulte sur quatre aura plus de 65 ans, et de l'augmentation de la charge inhérente au poids des retraites ;

- de la faiblesse des taux d'activité des immigrants ; cette perspective a été soulevée par de très nombreux interlocuteurs de votre délégation. L'immigration est souvent ressentie comme une crainte ; en particulier du fait de la possible irruption brutale d'une main-d'œuvre peu qualifiée initialement, moins exigeante en terme de salaire, mais moins bien intégrée et, à terme, susceptible d'entrer dans les mécanismes de garanties de revenus sans activement rechercher un emploi.

- de la baisse de la durée moyenne du travail, qui, comme on l'a dit, est l'une des plus faible d'Europe ;

- de l'entrée plus tardive des jeunes sur le marché du travail et l'existence de situations intermédiaires : comme la part des jeunes qui poursuivent des études après 25 ans, tout en exerçant un emploi à temps partiel ;

- du niveau des indemnités de chômage comparé aux autres pays de l'OCDE, qui, conjugué avec le taux d'imposition maximum, fait apparaître le bénéfice d'une reprise d'activité comme insuffisant. L'OCDE suggère, par exemple, de subordonner à une plus longue période d'emploi le versement des allocations à taux plein, d'envisager la suppression du système de préretraite volontaire et de porter à nouveau l'âge moyen de la retraite à 67 ans ;

- du risque de voir des gels ou des baisses d'impôt, actuellement prévus, remettre en cause l'excédent budgétaire, tandis que les dépenses ne sont pas suffisamment maîtrisées.

Tous ces éléments ne sont pas à mettre au même rang. C'est essentiellement la démographie qui est préoccupante : l'augmentation du nombre de retraités impliquera nécessairement des réformes du système de financement et de l'âge du départ en retraite.

Si la plupart des interlocuteurs insistent également sur le fait que les excédents budgétaires ont été exclusivement affectés à la baisse de la dette publique alors qu'ils auraient pu être mobilisés à d'autres fins, voire plutôt permettre des baisses d'impôt, cette insistance est surtout destinée à critiquer une politique fiscale trop peu sélective et un niveau d'imposition qui, à terme, risque d'avoir un effet contre-productif quant à la reprise d'un emploi.

Tant que le niveau d'activité économique demeure fort, le système paraît en définitive assez équilibré. Mais si les évolutions conjoncturelles faisaient repartir le chômage à la hausse, le système d'indemnisation actuel ne pourrait sans doute pas perdurer. Il est très adapté à un cas de figure où les mouvements du marché répondent à une forte demande du travail. Plutôt qu'un « triangle d'or », il vaudrait mieux parler d'un carré : le quatrième angle, c'est la croissance économique.

Dans sa version préliminaire au rapport 2004, l'OCDE constate :

« L'activité économique a pratiquement stagné en 2003, en raison de la faiblesse de la demande intérieure et des exportations. Les perspectives paraissent plus favorables pour 2004 et 2005, les dépenses des ménages devant s'accélérer et les exportations se redresser. Les tensions du marché du travail se sont sensiblement atténuées l'an dernier, et les négociations collectives du printemps 2004 ont abouti à des augmentations de salaire plus limitées que les précédentes. La hausse des prix et des salaires devrait rester maîtrisée dans la mesure où l'on prévoit que la production restera inférieure au potentiel au cours de la période de projection.

Outre les réductions d'impôts mises en œuvre au début de 2004, le gouvernement a récemment annoncé de nouvelles mesures destinées à stimuler l'activité. Bien que ce stimulus supplémentaire soit relativement modéré, il risque de coïncider avec de nouvelles baisses de taux d'intérêt et avec l'accélération déjà visible de la croissance. Il conviendra donc de supprimer une partie de cette impulsion donnée à l'activité lorsque l'expansion s'affermira. Des initiatives supplémentaires visant à élever le taux d'activité aideraient à soutenir la reprise et à rapprocher l'emploi de l'objectif à long terme du gouvernement. »

Le plan « plus de personnes au travail » qui vise à accroître le rôle des municipalités en la matière, tente de résoudre une partie du chômage frictionnel, en décentralisant davantage le système actuel. Mais le risque est alors d'accroître l'hétérogénéité des situations, alors que la « flexisécurité » se caractérise par une forte homogénéité des règles applicables.

CONCLUSION

Le système « de flexisécurité de l'emploi » apparaît donc assez bien - voire très bien - adapté à la situation actuelle du marché du travail danois. Il présente un avantage indéniable : sa réactivité. Il assure à la fois une forte mobilité de la population active, une coïncidence entre l'offre et la demande, et un niveau très fort de garantie financière en cas de chômage, à court comme à moyen terme.

Pour autant, il ne s'est pas traduit par une désincitation au travail, à laquelle peuvent conduire des systèmes de garantie à base plus large moins généreux dans d'autres pays, comme la France par exemple où le nombre de titulaires du RMI et la faiblesse du volet « insertion » du système a développé, de toute évidence, des phénomènes d'installation durable dans l'assistanat, et, sans doute, une incitation au travail au noir.

Il reste qu'on aurait tort de croire qu'un élément, pris isolément, constitue un « remède miracle ». Le système de flexisécurité fonctionne bien parce qu'il forme un tout cohérent. Au demeurant, les réformes envisagées ou décidées - durée de l'indemnisation de chômage, renforcement du rôle des collectivités locales, réformes fiscales, système de préretraite - n'envisagent pas de remettre en cause les fondements de ce système mais d'en corriger certains effets, à la marge.

Au-delà des réalités économiques, il faut surtout souligner à quel point le système repose, in fine, sur l'accord des acteurs. Le consensus, qui est le fondement même du système, n'est pas transposable en France, où les syndicats sont très puissants dans la fonction publique, et peu perméables à des logiques de concurrence et de performance, critères qui, pourtant vont devenir prépondérants avec la loi organique relative aux lois de finances.

Le système danois présente donc des avantages indéniables, parce que la population salariée, comme les employeurs, adhèrent fortement à sa logique et à ses finalités. Mais il faut aussi en souligner l'évidente spécificité : les règles qui le régissent sont acceptées non seulement parce qu'elles ont été négociées, mais aussi parce qu'elles définissent un ensemble assez homogène et simple, à l'opposé d'un système fragmenté, parcellaire et changeant, donc prêtant à la contestation, comme le système français.

Certes, à long terme, le vieillissement de la population ne permettra pas le maintien à la fois d'une telle garantie de revenus de remplacement, d'une durée de travail faible et d'une indemnisation du chômage très positive, et il paraît tout à fait impossible de demander davantage au contribuable. Mais, dans l'immédiat, la flexisécurité fournit des résultats très probants et, surtout, permet une très forte adaptabilité à l'innovation et au développement de l'activité économique.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission des finances, lors de sa réunion du 9 novembre 2004, a procédé à l'examen du présent rapport.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que quatre membres de la Commission avaient jugé indispensable de se rendre au Danemark pour apprécier de manière concrète le système de « flexisécurité » de l'emploi dans ce pays.

Les leçons que l'on peut en tirer pourront être intégrées dans le prochain débat sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. On peut également partir du constat que le système français de lutte contre les délocalisations, par la mise en place de pôles de compétitivité, n'apparaît pas satisfaisant.

Il ressort de cette mission quatre types de conclusions.

Premièrement, il n'y a pas de miracle danois. Le Danemark a aussi ses problèmes, liés au vieillissement de la population, à la faible intégration de la population immigrée, au poids des dépenses publiques et à un système fiscal, avec un TVA à 25 % et un taux marginal de l'impôt sur le revenu à 60 %, qui n'est manifestement pas transposable à nos mentalités.

Deuxièmement, la construction de ce système à partir d'un « triangle », avec un pôle de liberté d'embauche et de licenciement, un pôle d'activation de reprise d'emploi et un pôle d'assurance chômage assurent au Danemark un taux de chômage très faible. La mondialisation n'y est pas ressentie comme une menace, un filet de sécurité de 4 ans d'indemnisation est offert aux chômeurs, les licenciements se font très rapidement. Incontestablement, ce système offre aux salariés des PME une sécurité que nous ne connaissons pas.

Troisièmement, il ne faut pas perdre de vue la notion de droit et de devoir. La reprise d'un emploi est considérée comme une nécessité. A défaut, les allocations chômage sont fortement réduites, ce qui conduit les salariés à accepter des systèmes d'activation ou de reprise d'emploi.

Enfin, les mécanismes d'insertion sont extrêmement motivants. Si l'on compare avec le cas français, on ne peut qu'être frappé du fait que les titulaires du RMI sont dans des situations extrêmement disparates au regard de l'insertion : selon les départements, le taux de reprise de l'activité va de 15 à 90 %. C'est à la lumière de cette donnée fondamentale, qu'il faut apprécier certaines des critiques portant sur la progression de la pauvreté en France.

En toute hypothèse, si l'on veut faire progresser les choses, un effort de pédagogie vis-à-vis du pays est indispensable.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a insisté sur le fait que le Danemark est un pays dans lequel il est aisé de démontrer à quel point les questions de réduction des dépenses publiques et de fiscalité sont liées. Le Danemark prouve que l'on peut aboutir à un haut niveau de prestations sociales et de protection du chômage, tout en assurant une réduction des dépenses publiques. La fiscalité sur l'offre est très allégée, le taux d'impôt sur les sociétés est assez faible, tandis que celui portant sur les plus values et le patrimoine sont extrêmement faibles, de manière à ne pas entraver la transmission des biens et des entreprises. En revanche, la fiscalité applicable à la demande y est très forte. Le taux marginal de l'impôt sur le revenu à 60 % touche un ménage sur deux, ce qui traduit un fort niveau redistributif. Le taux de TVA au Danemark est de 25 %. Ce taux est plus élevé pour certains types de produits comme les automobiles. Ce choix de fiscalité conduit à taxer la consommation et le revenu pour alléger la fiscalité pesant sur les facteurs de production. Cette démarche est assez proche de la réflexion menée sur la TVA sociale. Pour autant, ces grands équilibres reposent sur une donne sociale de long terme. Ce modèle n'est pas exempt de difficultés. Ainsi, les dépenses publiques sont-elles très élevées et rigides. En cas de ralentissement de la croissance, il est donc très difficile d'en moduler le montant. En outre, la fiscalité des revenus est décourageante. Il a même fallu créer un système de fiscalité spécifique pour attirer les chercheurs, mais l'une des difficultés reste le caractère faiblement attractif du Danemark pour ceux-ci.

M. Alain Joyandet a rappelé que l'état d'esprit régnant au Danemark est particulièrement étonnant et très différent de la France. Les représentants des salariés et du patronat arrivent facilement à s'entendre. 80 % des salariés sont syndiqués. Globalement, ce modèle social repose sur beaucoup de civisme et de sérénité. De plus, le taux de chômage des jeunes est quasiment nul. En France, les réductions d'effectifs doivent être assumées par les entreprises alors qu'au Danemark, le salarié licencié est automatiquement pris en charge par l'État et les collectivités locales s'ils acceptent de suivre des formations. Les salariés ont donc un sentiment très fort de sécurité. Les représentants des employeurs et des salariés se rencontrent tous les trois ans pour une convention nationale, mais, entre deux conventions, le climat social est particulièrement apaisé. Il convient donc de souligner que le débat sur la flexibilité du marché du travail ne doit pas être dissocié des mesures compensatoires pour diminuer le chômage.

Après avoir souligné que la France était championne de l'analyse mais pas de l'évolution, M. Jean-Louis Dumont a déploré que les différents acteurs de l'aide à l'emploi soient prisonniers de leur culture. Le projet de loi de M. Jean-Louis Borloo est une étape qui ne sera peut être pas totalement inutile. Encore faudrait-il que ces « mesures incitatives à l'emploi » se concrétisent sur le terrain. Les jeunes sortant de l'enseignement technique ont toujours des difficultés à trouver un emploi. Les acteurs de l'aide à l'emploi font un excellent travail qui manque cependant de cohérence puisqu'il n'existe pas de chef de file : chacun reste dans son domaine.

M. Alain Rodet a rappelé que M. Adrien Zeller, lorsqu'il était membre de la commission des Finances avait réfléchi sur le marché de l'emploi et les relations sociales aux Pays-Bas. Mais on peut rester dubitatif sur la possibilité de transposer de telles règles. Il faut tout de même remarquer que ces pays sont plus petits que la France et pétris de traditions différentes. Toute comparaison est donc, par nature, biaisée.

Le Président Pierre Méhaignerie a répondu que les expérimentations régionales permettraient peut être de surmonter la difficulté liée à la taille de notre pays.

La Commission a autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES

- M. Leif Christian Hansen (Autorité nationale du marché de l'emploi)

- M. Jesper Hartvig Pedersen, directeur, Direction générale du travail

- M. Einar Edelberg, chef du bureau droit du travail, Ministère de l'emploi

- M. Niels Trampe, directeur du secrétariat général à la Confédération des employeurs

- M. Jørgen Bang-Petersen, chargé de mission au département de la politique du marché de l'emploi à la Confédération des employeurs

- M. Jan Kæraa Rasmussen, chef économiste à la Confédération LO

- Mme Helle Serup, département de l'emploi et du marché du travail à la Confédération LO

- M. Morten Sonne, sous-directeur en charge des services sociaux de la commune de Brøndby, et des membres des services sociaux de la commune

- M. Jesper Møller : société I.S.S., directeur des ressources humaines

- Mme Charlotte Antonsen, membre du Folketing, porte-parole du parti Venstre pour les sujets relatifs à la politique du travail

- M. Christofer Arzrouni (Thinktank du parti Venstre)

- M. Tue Fosdal, Secrétariat politique et économique Venstre

- M. Mads Kamp : société OTICON, directeur des ressources humaines

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N° 1913 - Rapport d'information sur le marché de l'emploi au Danemark (M. Pierre Méhaignerie)

1 Une couronne égale 0,13 euro.

2 Source : E.I.R.O., évolution des salaires en 2003, voir aussi : Bulletin de la Banque de France n° 121 janvier 2004.

3 Source : Eurocarprice.com