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N° 2327

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DouziÈme législature

__________________________________

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Le 11 mai 2005

 

N° 332

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SÉNAT

Session ordinaire de 2004 - 2005

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Annexe au procès-verbal

de la séance du 10 mai 2005

     

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

sur

le risque épidémique

Tome II - Audition publique et annexes

M. Jean-Pierre DOOR, Député, et Mme Marie-Christine BLANDIN, Sénatrice

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Déposé sur le Bureau
de l'Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX,

Premier Vice-Président de l'Office

 

_________

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL,

Président de l'Office

     

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Sommaire

I - Compte rendu de l'audition publique du 16 février 2005

Avant-propos 99

L'action gouvernementale contre le risque épidémique 1212

Introduction 1717

La légionellose 2121

Les facteurs favorisant les risques émergents en matière de maladies animales transmissibles à l'homme 2424

La grippe aviaire 2727

Le bioterrorisme 3030

La difficulté de réponse de l'industrie pharmaceutique 3434

Réponse aux questions des parlementaires 3838

La surveillance du risque épidémique 4949

La politique de prévention du risque épidémique 6363

La prévention en milieu scolaire 6969

La prévention du VIH 7171

Conclusion :  le risque épidémique révélateur des peurs d'une société 7676

II - Annexes

Annexe 1 : Lexique 8585

Annexe 2 : Les principales fièvres hémorragiques 8787

Annexe 3 : Circulaire du Ministère de la Santé et de la protection sociale relative à la prévention du risque sanitaire lié aux légionelles dû aux tours aéro-réfrigérantes humides 9393

Annexe 4 : Note de la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection relative à la prévention de la légionellose 9797

Annexe 5 : « La santé des primo-migrants en 2004 » (source : Office des migrations internationales - OMI) 101101

Annexe 6 : Le plan national de lutte à cinq ans contre les infections nosocomiales 117117

Liste des intervenants

Professeur Hubert Allemand Médecin conseil national de la Caisse nationale d'assurance maladie

Mme Marie-Christine Blandin Sénatrice du Nord, rapporteure

Professeur Patrice Bourdelaix Ecole des hautes études en sciences sociales

Professeur Gilles Brücker Directeur général, Institut national de veille sanitaire (InVS)

Docteur Yves Coquin Adjoint au directeur général de la Santé

M. Jean-Pierre Door Député du Loiret , rapporteur

M. Philippe Douste-Blazy Ministre de la Santé

Professeur Jérôme Étienne Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

M. Didier Hoch Président de SANOFI Pasteur MSD

Professeur Michel Kazatchine Directeur général de l'Agence nationale de recherches contre le Sida (ANRS)

Professeur Philippe Kourilsky Directeur général de l'Institut Pasteur

Docteur Jean-Claude Manuguerra Responsable de la cellule d'intervention d'urgence, Institut Pasteur

Docteur Anne Mosnier Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG)

Docteur Geneviève Richard Chef du service de santé scolaire à la Ville de Paris

M. Guénaël Rodier Directeur surveillance épidémies, Organisation mondiale de la santé (OMS)

Médecin Général Jean-Étienne Touzé Ministère de la Défense, service de santé des Armées

M. Philippe Vannier Directeur de la santé animale, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

Liste des participants

ALLAIN-REGNAULT Martine

France 2, savoir plus santé

ALLEMAND M.

Caisse nationale assurance maladie

ARCHIMEDE Lydia

Le Quotidien du médecin

ATLANI Caroline

Sanofi

BAZIN Hervé

Faculté de médecine, université de Louvain

BENOIT-BROWAEYS Dorothée

Revue Vivant

BENSOUSSAN Jean-Louis

 

BLANC Alexandra

Ordre des pharmaciens

BLANDIN Marie-Christine

Sénatrice, rapporteure

BOISCHEVALIER Bénédicte de

INSERM

BOURDELAIX Patrice

Ecole des hautes études en sciences sociales

BRIOT Maryvonne

Députée

BRÜCKER Gilles

InVS, Directeur général

CARA Maurice

Académie de Médecine

CARDINAL Sylvie

DDASS Lille, directrice-adjointe

CARROU Muriel

Groupe UMP AN, chargée de mission affaires sociales

CHAMBEFORT Hélène

INSERM

CHATIN Boris

Conseil de l'ordre

CHOCAT Patrick

SANOFI PASTEUR

COQUIN M.

Adjoint au directeur général de la Santé

CORMONT Valérie

La Voix du Nord

COTARD M.

Ecole nationale vétérinaire, directeur

COURRET Nathalie

Santé Magazine

CREMIEU Marie-Claude

Ministère santé

DE GAULLE Sophie

Presse du Parlement

DEBUE Christine

EHESS

DELAPIERRE Mme

EDF, responsable équipe R&D

DELAVIER Jean-Claude

MAI

DEMARIA-PESCE Victor

INSERM

DOMERGUE Jacques

Député

DOOR Jean-Pierre

Député, rapporteur

DOUSTE-BLAZY Philippe

Ministre de la Santé

DURAND M.

TF1.fr

ÉTIENNE Jérôme

INSERM

FAGNIEZ Pierre-Louis

Député

FORESTIER Marie

OPEN ROME

FROTTIER Jacques

Académie nationale de Médecine

GIRARD M.

Fondation Mérieux

GOETSCHEL-WEIL Lise

Hôpitaux de Lyon

GUEDON Louis

Député

HANNOUN Claude

 

HANNOUN Martine

 

HAUTEFEUILLE Annie

France Presse

HOCH Didier

SANOFI PASTEUR MSD, président

HOFFENBACH Agnès

SANOFI PASTEUR, R&D

JESTIN Christine

Ministère de la santé

JOUAN-FLAHAUT Chrystel

LEEM, directeur médical

KAZATCHINE Michel

ANRS, directeur général

KOURILSKY Philippe

Institut Pasteur, directeur général

LAPLAINE Liliane

Equilibre et populations

LE DEAUT Jean-Yves

Député de Meurthe-et-Moselle

LE GOFF Lilian

Médecin

LE MOAL Fabienne

Europe1

LEBEAU Jean-Claude

Médecin pédiatre

LECULLIER Christophe

INSERM, Laboratoire P4

LEGLU Dominique

Sciences et avenir

LEHMANN Corinne

Editelor

LEPORT Catherine

CHU Bichat

LEVY Jean-Paul

Institut Pasteur

LIONS

 

MAILLARD Christine

Le Concours Médical

MANUGUERRA Jean-Claude

Institut Pasteur

MASCRET Damien

Le Généraliste

MEYRAT Julien

Santé Magazine (pigiste)

MIELCZAREK Marina

RFI

MOSNIER Anne

GROG, Directrice

MURGUE Bernadette

IRD, département sociétés et santé

NAVEKE Arne

SANOFI PASTEUR

OPINEL Annick

Institut Pasteur, Directrice centre recherche historique

PAGES Brigitte

Cité des sciences

PAIN Colette

EDF, Directeur délégué environnement à la production nucléaire

PEREZ Alain

Les Echos

PEYRIERES Carine

Science et vie junior

PEYRONNET Guy

 

POTIS

 

RICHARD Geneviève

Ville de Paris, chef du service santé scolaire

RODEGHIERO Laetitia

Impact médecine

RODIER Guénaël

OMS, directeur surveillance épidémies

SCHOCH M.

CNAM

SENDER Héléna

Sciences et avenir

SERGENT Denis

La Croix

TOUZÉ Jean-Etienne

Ministère de la Défense, service de santé des armées

VANNIER Philippe

AFSSA, directeur de la santé animale

VERGERON Nathalie

Alternative Santé

VERLEY Mme

L'Hémicycle

VILDE Jean-Louis

Université ParisVII

WALLET France

EDF/GDF, service des études médicales

ZIENTARA Stéphan

AFSSA

La séance est ouverte à 9 heures sous la présidence de Monsieur Jean-Pierre DOOR, député du Loiret, et Madame Marie-Christine BLANDIN, sénatrice du Nord, Rapporteurs.

Avant-propos

M. Jean-Pierre DOOR, député du Loiret, Rapporteur

Monsieur le Ministre, mes chers collègues, mon Général, Messieurs les Directeurs généraux, Mesdames et Messieurs, je suis heureux de vous accueillir au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques pour cette matinée consacrée au risque épidémique.

Je constate, par votre présence, qu'aucun d'entre vous n'a été touché par l'épidémie grippale actuelle. Le but de cette réunion est de vous associer au travail engagé avec Madame Marie-Christine BLANDIN à la demande de la Commission des affaires culturelles, sociales et familiales de l'Assemblée nationale.

Le rapport qui nous est demandé a pour objet d'évaluer l'importance et la nature du risque épidémique sur notre territoire, ainsi que la qualité des outils dont notre pays est doté. Ce sujet constitue un problème majeur de santé publique à l'échelon de la planète car les maladies infectieuses sont responsables d'un tiers des décès aujourd'hui. De tout temps, les maladies infectieuses ont représenté la première cause de mortalité. Dans les années 1800 la variole, la scarlatine, la rougeole, la diphtérie étaient des maladies si familières qu'elles étaient considérées comme caractéristiques de l'enfance. Les épidémies de choléra et de paludisme étaient légion, le typhus et la typhoïde menaçaient les pauvres, la tuberculose aussi bien les riches que les pauvres. Au début du XIXe siècle, les années dépourvues d'épidémie d'envergure, le taux de mortalité était quatre fois supérieur à celui d'aujourd'hui. La science a cru un temps pouvoir maîtriser les maladies infectieuses pour répondre à cette menace, PASTEUR et FLEMING en sont des exemples.

Depuis les années 1980, avec l'apparition de l'épidémie du Sida, l'opinion publique a compris que le risque épidémique demeurait un enjeu majeur de santé publique qui s'est aggravé avec l'apparition de nouveaux risques liés aux modes de vie modernes. Le volume des flux touristiques intercontinentaux par voie aérienne constitue par exemple un facteur indéniable de dissémination de maladies épidémiques telles que les multiples atteintes virales contagieuses - répertoriées ou non - telles le SRAS, la grippe aviaire, les fièvres hémorragiques susceptibles d'entraîner des pathologies graves, voire mortelles de façon massive. Le bioterrorisme constitue aussi un risque majeur avec comme vecteurs possibles la variole, la peste, le charbon ou encore le botulisme, dont nous devons nous préoccuper en anticipant des actions dont il est difficile de cerner ou d'appréhender les formes. La prise de conscience du caractère majeur du risque épidémique et l'absolue nécessité d'anticiper la survenue de dangers qui ne sont qu'imparfaitement connus sont récentes. Les conséquences que nous devons en tirer en matière d'organisation du système sont difficiles à percevoir, mais elles sont importantes. Certains responsables de l'OMS ont récemment déclaré que le risque d'une épidémie mondiale n'a jamais été aussi grand qu'actuellement. Toutes les conditions sont réunies, déclare le Docteur STOR, à propos du virus H5N1. Cela sans oublier le retour d'infections telles la tuberculose ou la syphilis dans certains quartiers et métropoles.

Toute la difficulté du travail auquel il vous est demandé de participer, réside dans le fait de nous donner l'information nécessaire à une application intelligente du principe de précaution et des mesures de prévention évitant de recourir à la crécelle des lépreux ou à la quarantaine du Moyen Âge. C'est pour cela que nous sommes à votre écoute, vous qui assumez au quotidien d'importantes responsabilités en ce domaine. Dans la logique de travail qui préside aux Offices parlementaires, nous commençons par auditionner à Paris les principaux acteurs, nous visitons des sites, laboratoires, centres de recherche. Aujourd'hui, cette audition est ouverte à l'ensemble des parlementaires et à la presse, elle achève notre information et permettra, avec la participation de Madame Marie-Christine BLANDIN, la présentation d'un rapport le 10 mai prochain où seront intégrées les observations issues des débats de cette matinée.

Je souhaite dire à Monsieur le Ministre qu'au travers des nombreuses auditions réalisées, nous avons pu mesurer le fait que de nombreuses actions ont été conduites et que notre système est certainement l'un des plus performants au monde. Nous voulons l'améliorer et allons nécessairement mettre l'accent sur ce que nous pourrions encore faire, sans perdre de vue la qualité et les efforts produits depuis plusieurs années.

Je vous remercie de votre présence ce matin, Monsieur le Ministre, mes chers amis et collègues, et laisse la parole à Madame Marie-Christine BLANDIN.

Mme Marie-Christine BLANDIN, sénatrice du Nord, Rapporteur

Monsieur le Ministre, mes chers collègues, Monsieur le Général, Messieurs les Directeurs généraux, Mesdames et Messieurs, je suis à mon tour heureuse de vous accueillir au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques pour cette matinée de travail consacrée au risque épidémique.

Je tiens à insister sur le fait que nous souhaitons recevoir ce matin tous les messages que vous avez à cœur de communiquer au Parlement, que ce soit à l'échelon central ou venant du terrain, afin que nous les intégrions à notre rapport qui sera présenté, comme l'a signalé Monsieur Jean-Pierre DOOR, dans deux mois devant l'Office parlementaire.

Le risque épidémique constitue un champ d'investigation très intéressant par sa globalité. A travers les personnalités réunies ce matin, vous constatez une forte présence des pouvoirs publics - je remercie tout particulièrement Monsieur le Ministre de sa présence parmi nous -, mais également des chercheurs nombreux autour de cette table, des responsables de sécurité, de l'OMS car la dimension internationale est fondamentale, de la santé animale indissociable de la santé humaine. Nous avons découvert que les microbes, parasites et virus sont les compagnons de route de l'histoire de l'humanité et essaierons de faire en sorte qu'ils ne soient pas des compagnons trop gênants.

L'approche parlementaire présente l'intérêt de faire la synthèse de toutes ces approches, et ce n'est pas chose aisée, nous nous y emploierons et je vous remercie tous d'avoir bien voulu nous éclairer.

Je laisse la parole à Monsieur le Ministre.

L'action gouvernementale contre le risque épidémique

M. Philippe DOUSTE-BLAZY, ministre de la Santé et de la protection sociale

Je tiens d'abord à remercier Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR pour leur invitation, pour leur travail et leur implication sur un sujet aussi important.

Messieurs les Directeurs généraux, mon Général, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, je pense que ce sujet est excessivement important. J'ai souhaité venir parce que je crois que l'on peut évoquer de nombreux sujets en médecine, croire que tout est réglé, mais le risque épidémique est le plus dangereux, et il est permanent. Nous avons tendance, dans nos sociétés modernes et occidentales, à l'oublier. Nous vivons chaque jour avec ce risque épidémique, il suffit pour s'en convaincre de réaliser que l'épidémie de grippe hivernale, dont Monsieur Jean-Pierre DOOR a parlé par une boutade au début de son intervention, entraîne - malgré la vaccination des personnes à risque - 1 000 à 17 000 décès en France chaque année. Les chiffres que l'INSEE publiera prochainement, et que je vous demande de regarder de très près, avec une diminution de la mortalité cette année, doivent être, en partie, étudiés en fonction de la survenue ou non d'une épidémie de grippe dans une année.

Si le risque épidémique est aujourd'hui d'actualité, ce n'est pas tant en raison de la grippe saisonnière, qu'en raison du SRAS et de la pandémie grippale d'origine aviaire. L'épidémie de SRAS, plus que toutes les autres semble-t-il, a montré à quel point la survenue d'une infection inconnue - j'insiste sur le mot « inconnue » -, capable de se diffuser en quelques semaines sur la planète, grâce aux moyens de communication modernes, pouvait répandre la peur, déstabiliser les sociétés et les systèmes de santé les plus évolués. Elle est aussi l'exemple du succès d'une action coordonnée mondiale, sous l'égide de l'OMS, puisqu'en quelques semaines, le virus a été identifié, le génome entièrement séquencé, les tests diagnostiques mis au point et l'épidémie déclarée terminée cinq mois seulement après le premier cas identifié au Viêt-Nam. Je veux ici saluer le rôle des équipes françaises, et particulièrement celle de l'Institut Pasteur représentée par Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA et son directeur Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY. Grâce à vous, c'est une fierté que d'être Français lorsqu'il s'agit d'aller à l'étranger pour parler d'épidémie.

Cette pandémie, plus que tout autre, reflète exactement la problématique actuelle du risque infectieux, car c'est bien le caractère soudain, imprévisible et transmissible qui fait du risque épidémique un risque redoutable et redouté depuis la nuit des temps. Il est possible d'aborder par ailleurs, Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE, le problème du Sida qui est un sujet à lui seul.

Malgré les progrès spectaculaires accomplis en matière d'hygiène, malgré les progrès spectaculaires accomplis en matière de vaccination, malgré les progrès d'antibiothérapie, nous n'en avons pas fini avec les problèmes d'épidémie, contrairement à ce que les scientifiques se plaisaient à dire à la fin des années 70. Je tiens ici à le dire pour deux raisons essentielles. Premièrement, les sociétés modernes favorisent l'émergence et la diffusion des infections. L'élevage intensif, la déforestation, le développement des mégapoles, l'intensité des voyages aériens sont propices à l'expression épidémique de nouveaux agents infectieux à partir du monde animal et/ ou environnemental. Deuxièmement, nos armes thérapeutiques et vaccinales connaissent des limites. Le monde microbien est vivant, de nouvelles infections apparaissent, de nouvelles résistances aux antibiotiques et aux antiviraux se développent en permanence vis-à-vis desquelles il est de plus en plus difficile de trouver des molécules efficaces. Nous ne disposons toujours pas d'antiviraux capables de tuer les virus et ainsi de guérir des infections virales chroniques comme le Sida. La recherche d'un vaccin contre le Sida se heurte ainsi à de très grandes difficultés. J'ai eu récemment une discussion intéressante avec, Monsieur Denis HOCH, Jean-François DEHECQ qui me précisait qu'il fallait cesser d'attaquer les antibiotiques, il est vrai que nous le faisons parfois parce que nous avons l'impression que l'on en prescrit trop largement, que cela crée des résistances tout en coûtant beaucoup d'argent avec une efficacité moindre puisque l'on donne parfois des antibiotiques à des personnes qui ne devraient pas en prendre. Nous devons néanmoins également écouter leur message, porter notre attention sur les antibiotiques et sur la recherche qui leur est consacrée, ne pas considérer que la question est réglée. Nous avons, dans les mois et les années à venir, un effort à faire avec ce qui restera, tout de même, la plus grande découverte du XXe siècle. Il existe l'avant et l'après antibiotique, ne l'oublions pas, restons préoccupés par ce sujet, respectons totalement ceux qui travaillent sur les antibiotiques, favorisons la recherche car nous aurons besoin, à l'avenir, de nouveaux antibiotiques.

Enfin, Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR, permettez-moi d'aborder l'une des principales leçons des épidémies récentes qui reste pour moi l'humilité face à la menace infectieuse. Il est frappant de constater que l'épidémie de SRAS a pu être contrôlée non pas par un vaccin ou un traitement antiviral, mais simplement grâce à l'isolement des patients et des sujets contacts, qui est une méthode ancestrale. De même, aujourd'hui encore, vingt ans après la découverte du virus, le préservatif se révèle la meilleure arme contre le Sida. Il est également frappant, malgré les progrès scientifiques incontestables, que nous sommes toujours incapables de dire comment, pourquoi et quand se produira une nouvelle épidémie. Nous vivons actuellement le poids de cette incertitude avec la menace de pandémie grippale. Quoi qu'il en soit, les sociétés modernes peuvent s'organiser pour anticiper les risques, diminuer leur impact, mais les réponses apportées au risque épidémique concernent quatre étapes essentielles et que je rappellerai ici.

Premièrement, nous devons éviter la propagation de l'infection à la population humaine et c'est l'étape la plus difficile. Jusqu'à il y a peu de temps, nous nous sentions protégés par de prétendues « barrières » entre les espèces. Malheureusement, avec le temps, elles s'avèrent souvent perméables, environ deux tiers des infections chez l'homme sont d'origine animale. Il est indispensable de renforcer ces barrières par le contrôle sanitaire des animaux, de l'alimentation, et par la protection et la surveillance sanitaires des personnes travaillant dans les élevages. Cela semble de bon sens, mais je permets de le souligner. C'est à ce niveau que se situent les actions de prévention de la pandémie grippale qui repose avant tout sur le contrôle de l'épizootie de grippe aviaire. Pour mieux anticiper le risque de passage de l'animal à l'homme, il faut rapprocher les surveillances des écologies microbiennes animales et humaines et encourager les programmes communs de recherche. Ainsi, je me félicite que l'Union européenne se soit dotée d'un réseau de recherche sur les maladies animales transmissibles à l'homme, coordonné par l'AFSSA dont je salue ici le travail. Cette première étape paraît essentielle.

Deuxièmement, nous devons détecter de façon précoce les infections émergentes, essentiellement pour éviter leur propagation. À ce sujet nous travaillons beaucoup avec Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER, qui vous parlera du dispositif de surveillance des maladies infectieuses coordonné par l'InVS, récemment renforcé dans le cadre de la loi que j'ai fait passer à l'Assemblée et au Sénat, le 9 août 2004, relative à la politique de santé publique. Ce dispositif se révèle très efficace, il repose sur l'expertise microbiologique du réseau des Centres nationaux de référence. La participation de la cellule d'intervention d'urgence de l'Institut Pasteur à ce réseau permet d'accroître encore la réactivité d'identification des agents pathogènes émergents. Sur le plan international là aussi, la création d'un Centre de contrôle des maladies, l'ECDC, sur le modèle du CDC d'Atlanta, a été fortement soutenue par la France, nous devons avoir un CDC européen, car dire oui a l'Europe et ne pas vouloir de CDC européen n'a pas de sens.

Il ne suffit pourtant pas de détecter, il faut également préparer la riposte et c'est le rôle des Plans de réponse dont l'élaboration est du ressort essentiel de la DGS. L'épisode SRAS a montré l'intérêt de cette préparation, nécessairement interministérielle car tous les secteurs d'activité sont touchés lors d'une pandémie. Nous disposons aujourd'hui d'un plan de réponse contre la variole, principale menace bio terroriste, contre le SRAS, d'un Plan contre la pandémie grippale d'origine aviaire bâti sur le modèle préconisé par l'OMS que j'ai présenté récemment. Ces plans doivent continuer à évoluer avec les connaissances scientifiques et les expériences acquises.

Concernant la prise en charge des patients, la crise du SRAS a prouvé l'intérêt de s'appuyer sur le réseau d'établissements hospitaliers de référence mis en place dans le cadre de la préparation aux attaques bio terroristes. Ces établissements disposent d'équipements en chambres d'isolement permettant l'accueil de patients atteints d'infections émergentes ou hautement contagieuses. Ils possèdent également des laboratoires de haute sécurité, incluant des laboratoires de confinement P3, ce qui est excessivement important.

Par ailleurs, les stocks de médicaments sont essentiels. La France a stocké 1 million de traitements antibiotiques pour faire face à une attaque au charbon. Nous venons de signer un contrat d'achat de 13 millions de traitements antiviraux, le Tamiflu, afin de traiter précocement les patients en cas de pandémie grippale. Nous sommes le deuxième pays au monde, après les États-Unis, en ce domaine. Environ 70 millions de doses de vaccin antivariolique sont aujourd'hui stockées en France. À ma demande, la DGS vient de publier un appel d'offres pour la participation au développement et à l'achat de 2 millions de doses de vaccin contre la grippe aviaire H5N1 et pour l'achat conditionnel de plus de 20 millions de doses du vaccin correspondant à une éventuelle souche pandémique qui seraient fabriquées et livrées dès lors que la pandémie se déclarerait. Cela est officiel, les papiers ont été signés. Grâce à ce type de contrat, nous devons inciter des industriels à développer de nouveaux vaccins et des armes thérapeutiques vis-à-vis de ces risques émergents. Deux pays ont signé des appels d'offre, les États-Unis et la France.

Je souhaite enfin développer en ce domaine la coopération internationale. Lors de la réunion des Ministres de la Santé du G7 élargi à Paris, nous avons mis à la disposition des pays qui en auraient besoin 5 millions de doses de vaccin antivariolique. J'ai également proposé la constitution d'une cellule internationale de réponse aux attentats bioterroristes. Je souhaite enfin développer la coopération européenne en matière de vaccin, j'ai, avec le Ministre de la Recherche, François d'AUBERT, et Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE réuni les Ministres des pays européens les plus engagés dans un programme de recherche sur le vaccin contre le Sida, pour proposer une stratégie commune et la création d'une plate-forme européenne d'essais cliniques.

Je terminerai en signalant que se préparer aux risques infectieux c'est aussi préparer les professionnels de santé et l'opinion publique à faire face à une telle situation au travers de l'éducation, de l'information et de ce l'on appelle la transparence. L'Institut national de la prévention et de l'éducation pour la santé développe actuellement un programme d'éducation sur les risques infectieux pour les professionnels de santé et le grand public. Préparer les professionnels et l'opinion publique, c'est d'abord rappeler que nos sociétés ne savent pas - en particulier les journalistes - que le risque zéro n'existe pas. La menace infectieuse n'est pas hypothétique, elle est présente et, en ce domaine, il ne peut exister de protection sanitaire absolue, cela n'existe pas. C'est aussi inculquer à nos concitoyens que toute arme, vaccinale ou thérapeutique, comporte des bénéfices, mais aussi des risques. Les antibiotiques, et plus récemment les anti-rétroviraux, ont fait chuter la mortalité liée aux maladies infectieuses, mais leur utilisation comporte aussi des risques de résistance microbienne. C'est pourquoi leur utilisation à bon escient est indispensable, à l'inverse, il faut rappeler que les vaccins nous ont sauvés et que les réactions de défiance immesurée vis-à-vis de ces vaccins pourraient avoir des conséquences catastrophiques. Enfin, nous devons également rappeler à nos concitoyens que les mesures de prévention simples et de bon sens, comme des mesures d'hygiène ou de protection des personnes, sont souvent les mesures les plus efficaces. Cette culture de prévention du risque infectieux permettra non seulement de mieux nous préparer aux risques émergents, mais aussi de mieux prévenir l'ensemble des infections, qu'elles soient communautaires ou nosocomiales.

Voilà, Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR, ce que je souhaitais vous dire.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci, Monsieur le Ministre.

Je tiens à présenter les personnes qui travaillent avec nous et nous aident à la rédaction de ce rapport, Madame Christine JESTIN du Ministère de la Santé ici présente, le Professeur Jean-Paul LÉVY, ainsi que le Professeur Jacques FROTTIER de l'Académie de médecine et le Professeur Jean-Pierre DUPRAT de l'Université de Bordeaux IV.

Nous abordons la première partie de ce travail consacrée au risque épidémique avec l'introduction de Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY, Directeur général de l'Institut Pasteur.

Le risque épidémique

Introduction

M. le Professeur Philippe KOURILSKY, Directeur général de l'Institut Pasteur

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, chers collègues, mon Général, Mesdames et Messieurs, quelques mots pour vous rappeler que la définition de base d'une épidémie est simplement l'augmentation significative de la fréquence d'une maladie, au-delà de ce qui est observé habituellement. Cette définition est relative.

Les épidémies ne sont pas toutes d'origine infectieuse, cette définition englobe les épidémies comme celle de diabète qui se développe aujourd'hui, d'autres maladies auto-immunes et même l'obésité, dont les sources sont assez mal comprises, connues et contrôlées, possiblement liées aux comportements et à l'environnement. Cela a été dit, la lutte contre les maladies infectieuses, puisqu'il s'agit principalement d'elle, est une lutte qui ne peut avoir de fin. Pour formuler la problématique différemment, nous vivons dans un équilibre écologique avec ces minuscules microbes que nous ne voyons pas, mais nous sommes effectivement dans un équilibre écologique singulier avec cette flore qui nous entoure et ne comporte pas uniquement des ennemis puisque nous savons que la flore microbienne nous est extrêmement utile dans un certain nombre de processus symbiotiques, mais qui est également la source émergente de pathogènes parfois redoutables. Ces microbes ne connaissent pas les frontières, ils voyagent avec les avions, auparavant ils voyageaient par bateaux, de façon extrêmement rapide. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls à voyager puisque la résistance aux antibiotiques voyage également à grande vitesse et lorsqu'un nouvel antibiotique est créé, nous voyons la résistance apparaître en un lieu et se propager en quelques semaines dans d'autres pays de la planète. Il existe, bien entendu, des niches locales, des réservoirs de toutes sortes, et vous entendrez parler de ces réservoirs animaux considérables et extraordinairement difficiles à contrôler, incontrôlables pour ce qui est des réservoirs sauvages.

Les circonstances de survenue sont toujours les mêmes, on observe la contamination au départ d'un petit nombre de personnes, généralement à partir d'une même source environnementale, et nous entendrons parler du prototype des légionelles par exemple. Souvent, ces épidémies sont des foyers qui se révèlent limités dans l'espace et dans le temps. Il est à noter que la couverture vaccinale est tout à fait essentielle pour contrôler certaines épidémies lorsque nous disposons du vaccin. Je tiens à mentionner l'actuelle situation de la Grande-Bretagne : la diminution de la couverture vaccinale contre la rougeole, à la suite d'une polémique qui a enflammé nos voisins à propos de la sécurité du vaccin en question et de son possible lien avec l'autisme, entraîne aujourd'hui un phénomène mesuré, et publié dans les plus grandes revues internationales, dans lequel l'on voit bien que la dimension des foyers épidémiques de rougeole augmente en fréquence et en amplitude. Le seuil de cas atteint le niveau où une épidémie de grande ampleur risque de se développer, c'est du moins ce que montrent les modèles mathématiques qui sont divers, mais qui montrent tous un effet de seuil en matière de développement des épidémies, qui n'est pas loin d'être atteint en Grande-Bretagne.

Il faut prendre la mesure des phénomènes de transmission, l'épidémie de SRAS a été importante par sa rapidité, mais il faut rappeler que pour le Sida j'imagine qu'en 1983 - date de découverte du virus en France à l'Institut Pasteur, dans les hôpitaux et laboratoires associés - il devait déjà y avoir dans le monde quelques milliers de personnes infectées. Vingt ans plus tard, ce sont 40 millions de personnes touchées suite à une incroyable diffusion du pathogène. Il existe beaucoup de choses que nous ignorons en matières de modèles infectieux, d'agent infectieux, de mécanismes de transmission. À titre d'exemple, nous avons récemment découvert en France, à l'Institut Pasteur, que des enfants étaient réinfectés par la coqueluche par des parents porteurs asymptomatiques. Ce phénomène, totalement ignoré, que nous n'avions pas saisi jusqu'à présent est susceptible d'influer sur la politique vaccinale. Le Ministre l'a bien dit, nous avons encore beaucoup de choses à découvrir, de recherches à faire dans toutes sortes de domaines, y compris des domaines qui sont aux frontières de la biologie puisqu'à l'évidence les questions de climatologie, de sociologie du comportement sont essentielles pour comprendre en profondeur ces phénomènes épidémiques.

L'impact social est gigantesque. Je veux insister sur ce qui se produit dans les pays en développement. Nous sommes, évidemment, attentifs à ce qui se passe dans notre propre pays où l'impact économique est considérable, mais, dans les pays en développement, l'impact humain est effroyable. Il existe un problème humanitaire évident, 90 % des morts de maladies infectieuses se produisent dans les pays en développement. L'impact économique cumulé du Sida et de la malaria dans un certain nombre de pays d'Afrique provoque une chute du produit intérieur brut de plusieurs points par ans, c'est une spirale négative désastreuse qui mène ces pays vers la faillite la plus totale. Pour revenir à nos sociétés, il faut lourdement insister sur le problème des maladies nosocomiales qui est considérable et pose des problèmes qui se reflètent, j'imagine, jusque dans l'organisation même du système hospitalier, des conditions d'hospitalisation, etc. Nous avons également à réfléchir aux questions d'organisation de l'émergence des épidémies, il faudrait qu'il existe dans les systèmes hospitaliers des conditions permettant de disposer de chambres de haute sécurité qui, en cas d'émergence, permettent d'analyser rapidement ce qui se passe. La question de savoir si nos structures hospitalières sont adaptées à ces périodes de crise est à poser.

Il nous faut une organisation nationale, largement en place, pour permettre une identification rapide des agents pathogènes émergents - organisation dont je pense personnellement qu'elle doit être renforcée car nous n'avons pas encore tous les moyens qui nous permettent de détecter rapidement l'émergence de nouveaux pathogènes - la surveillance doit également être internationale. Encore une fois, les microbes n'ont pas de frontières, la rapidité de dissémination est importante et il est donc nécessaire de collaborer à un système européen, mais aussi totalement international de façon à avoir une vision globale des événements. Ceci me conduit une fois de plus à évoquer les pays en voie de développement puisque c'est là que beaucoup d'émergences se produisent. Je vous rappellerai qu'elles sont, en réalité, des réémergences de maladies le plus souvent liées aux conditions d'hygiène, parfois désastreuses, non seulement liées à la pauvreté, mais également aux guerres, conflits, déplacements de populations et qu'elles se résument très souvent à un problème de contrôle microbiologique des eaux. Les maladies que l'on voit se développer sont très souvent des maladies entériques, dont le choléra est l'un des prototypes.

La question du bioterrorisme a été évoquée, cette hypothèse n'a heureusement pas eu de grands développements, mais elle est grave et à prendre en considération. La cellule créée à l'Institut Pasteur avec Monsieur le Professeur Jean-Paul LEVY et Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA - la CIBU, Cellule d'intervention biologique d'urgence - pour faire face à l'hypothèse d'une action terroriste s'est avérée utile pour des situations d'émergence épidémique « naturelles ou normales ».

Je terminerai par une considération qui me tient à cœur, je ne suis pas certain qu'il y ait eu une réflexion suffisante sur les procédures d'urgence au sens large. Je voudrais que nous réfléchissions un moment sur la notion d'urgence. Prenons l'exemple du bioterrorisme, aux États-Unis on a tenté de développer à nouveau un vaccin contre la variole de façon tout à fait justifiée. Cela a été fait à marche forcée, de telle sorte qu'en trois ans on a été capable de réexpérimenter un vaccin, avec malheureusement un résultat qui n'est pas meilleur que le vaccin historique, puisque celui qui a été développé comporte toujours des effets secondaires négatifs. Je suis frappé que l'on ait décrété l'état d'urgence, accéléré les procédures pour développer ce vaccin contre la variole alors que jamais je n'ai entendu dire que le développement du vaccin contre le Sida était une urgence, au sens où l'on était prêt à considérer le facteur temps, y compris dans les procédures. Je me permets d'insister sur ce point qui me paraît très important, le paramètre temps dans le développement des instruments qui permettent de contrôler les épidémies émergentes. Aujourd'hui l'épidémie de Sida est développée et n'a pas fait l'objet d'une réflexion suffisante. Le problème du contrôle, de la lourdeur des procédures, et de l'allégement éventuel de ces procédures pour des raisons d'urgence me semble capital. J'ai été choqué, il y a une dizaine d'années, de voir qu'un candidat vaccin exploratoire contre le Sida de phase 1, avec un nouveau vecteur de vaccination qui avait une chance d'améliorer les choses, a vu son essai clinique différé d'un an pour des raisons administratives, sans fondement ni aucun intérêt réel à mon sens. Il existe un problème d'éthique administrative réellement important, or je pense que la notion de l'urgence et d'éthique de l'urgence mérite réflexion. Le réexamen des procédures, l'accélération possible de certaines d'entre elles peut poser des problèmes d'éthique et nous avons intérêt à les raisonner à froid, plutôt qu'à chaud, et à nous saisir du problème très rapidement car nous avons de bonnes raisons de le faire.

En matière de perception sociale, le principe de précaution avec son possible cortège de conséquences judiciaires ou judiciarisées devient une interrogation. Je conclurai en affirmant qu'il ne faut pas confondre prévention et précaution. Je suis convaincu que le fait de substituer la précaution à la prévention, comme l'on est parfois tenté de le faire, représente une véritable fraude à l'éthique. Il faut préserver les conditions maximales de la prévention et utiliser la précaution comme un instrument supplémentaire qui ne doit pas nuire à la prévention en tant que telle. Je vous remercie.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci à vous Monsieur le Professeur KOURILSKY. Chacun comprendra que nos orateurs pourraient fort pertinemment nous instruire plus longuement de façon passionnante, mais l'exercice limite la parole de chacun à dix minutes. Nous nous en excusons auprès de tous puisque vous nous consacrez beaucoup de temps, ce pourquoi nous vous en remercions. Nous allons maintenant entendre Monsieur le Professeur Jérôme ÉTIENNE qui a déjà évoqué le sujet de la légionellose en ces lieux, puisqu'elle a fait l'objet d'une crise dans le Pas-de-Calais et a été à l'origine de nombreuses inquiétudes dans toutes les collectivités et zones industrielles. Pour un rapport consacré au risque épidémique, nous devions à nouveau l'entendre.

La légionellose

M. le Professeur Jérôme ÉTIENNE, Directeur du Centre national de référence des légionelles, INSERM

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, comme l'a rappelé Monsieur le Ministre, la légionellose est l'exemple même de la maladie des temps modernes.

La bactérie responsable de cette maladie se retrouve d'abord naturellement dans l'eau des lacs et des rivières et c'est l'homme, en développant des réseaux d'adduction d'eau, notamment les réseaux d'eau chaude, qui a créé toutes les conditions pour la multiplication des légionelles. Cette bactérie est l'une des rares capables de se multiplier entre 37° et 42°C ce qui implique que lorsque l'eau se retrouve à une chaleur optimale, dès que le circuit est entartré et que le débit d'eau est insuffisant, les légionelles peuvent se multiplier et atteindre des concentrations très importantes. Jusqu'à présent, la culture de lutte contre les légionelloses était peu développée, les règles de construction n'intégraient pas les exigences contemporaines permettant de limiter de façon considérable la prolifération des légionelles. Actuellement, la construction d'un bâtiment avec un réseau d'eau bouclé, une circulation permanente de l'eau, une température suffisamment chaude, un entretien régulier et programmé des circuits sont les garants de la prévention d'une multiplication des légionelles, et donc de la survenue de la maladie, la légionellose.

L'acquisition d'une véritable culture de prévention du risque infectieux est donc récente. Nous trouvons toutefois des constructions plus anciennes où les réseaux d'eau chaude notamment, peuvent contenir des légionelles. On estime actuellement à 50 % le nombre de prélèvements d'eau réalisés contenant des légionelles. Par ailleurs, l'isolement des légionelles dans un circuit d'eau est rarement associé à une maladie. La grande difficulté des acteurs du système de santé impliqués dans la prévention des légionelloses est de cerner les situations à risque, et notamment celles qui sont potentiellement épidémiques. Il faut d'abord comprendre que le taux d'attaque de la bactérie est faible : si mille personnes respirent un aérosol d'eau contenant des légionelles, seule une personne développera la légionellose. Ce sont les personnes âgées qui paient le plus lourd tribut. Comme nous l'avons constaté l'an passé lors de l'épidémie survenue dans la région Nord-Pas-de-Calais, la moyenne d'âge des patients était de 76 ans. Au plan national, la médiane d'âge des patients atteints est, en 2003, de 62 ans. Depuis que la surveillance de la légionellose a été renforcée en 1995, le tabagisme est apparu comme un facteur associé à la légionellose dans 40 % des cas. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, la silicose était apparue comme un facteur de risque significatif de survenue de la légionellose.

Actuellement, la déclaration obligatoire des cas de légionellose permet de recenser plus de 1 000 cas par an depuis 2002. Il est à noter que le système de surveillance est actif et permet la détection précoce des cas groupés. La majorité des cas est sporadique et survient de façon isolée, il peut s'agir d'une contamination à domicile à partir d'un pommeau de douche entartré chez une personne immunodéprimée et présentant des facteurs de risque d'acquisition d'une légionellose. Il peut s'agir d'une personne ayant inhalé une particule d'eau contenant des légionelles et provenant de toute autre source de contamination. Dans moins de 10 % des cas, la légionellose est contractée à l'hôpital et il faut souligner l'énorme effort accompli par les établissements hospitaliers depuis la diffusion de la circulaire du 22 avril 2002 pour améliorer les circuits d'eau des établissements hospitaliers. La proportion des cas nosocomiaux de légionellose diminue régulièrement depuis 2000. En dehors des hôpitaux et des communautés urbaines, à tout moment des cas groupés épidémiques peuvent être diagnostiqués. Ces cas groupés épidémiques impliquant plus de dix cas ont représenté 12 % des cas de légionellose en 2003, ils étaient 5 % en 2002 et cette différence est notamment due à l'épidémie survenue en 2003 dans le Nord-Pas-de-Calais qui a atteint 86 malades. Théoriquement, cette situation dramatique ne doit plus se reproduire, et il convient de mettre en œuvre des mesures de prévention pour abolir ce risque épidémique. La tâche est ambitieuse, car les légionelles se retrouvent fréquemment dans l'environnement. Il convient donc de recenser toutes les sources de diffusion des légionelles. La première étape a par exemple consisté à recenser les tours aéro-réfrigérantes ; à partir de ces tours de l'eau chaude s'évapore et ces aérosols peuvent contenir des légionelles potentiellement pathogènes. L'action doit être préventive par l'entretien systématique de ces tours, la législation actuelle exige l'arrêt de fonctionnement d'une tour aéro-réfrigérante si l'eau de celle-ci contient plus 100 000 Unités Formant Colonie de légionelles par litre. Cette décision est certes difficile à prendre lorsque l'arrêt d'une tour aéro-réfrigérante est incompatible avec le fonctionnement d'une entreprise. Il convient donc d'agir en amont par des actions préventives empêchant de façon déterminante la prolifération de légionelles.

À titre d'exemple, et pour témoigner de la collaboration très transparente établie avec EDF, je citerai la façon de déterminer les risques potentiels de transmission des légionelles à partir des panaches des vapeurs d'eau émises par les centrales nucléaires. Il convient de supprimer totalement ce risque potentiel et une analyse très précise a été établie en concertation avec EDF et le Centre national de référence des légionelles, pour éradiquer les légionelles potentiellement présentes dans les réacteurs de 19 centrales nucléaires françaises. Ainsi, il convient de décliner un à un les lieux à risque - cette tâche n'est pas aisée en ce qui concerne les réseaux d'eau des domiciles individuels. Ainsi que je l'ai signalé, la seule présence de tartre sur un pommeau de douche représente en soi un risque potentiel. La prévention doit d'abord être axée sur les grandes sources de contamination, comme celles que nous avons décrites, sur l'amélioration des politiques de construction dans la mise en place de réseaux d'eau adaptés à la non-prolifération des légionelles.

Il existe néanmoins des zones d'incertitude que seules la science et la recherche scientifique pourront résoudre. Certaines souches de légionelle ne sont pas pathogènes, et nous ne savons pas aujourd'hui distinguer une souche virulente d'une souche non virulente. La nature nous a appris à respecter les équilibres écologiques pouvant nous protéger, l'éradication systématique d'un monde microbien saprophyte nous fait courir le risque de remplacement par une flore inconnue plus agressive. Les leçons doivent être développées pour définir les traitements les plus optimums pour détruire les légionelles. L'ensemble des questions de recherche pour réduire le risque épidémique de légionellose a été résumé dans un appel d'offres à recherche ciblée légionelle. Ce renforcement de l'action de prévention des légionelloses fait partie des actions prioritaires du Plan national Santé Environnement 2004-2008 qui comprend des objectifs portant respectivement sur la gestion des risques, l'investigation et la surveillance épidémiologique, l'estimation des risques et leur prévention. Ce programme de recherche de l'action concertée légionelle a été lancé le 14 février sur le site de l'Agence française de sécurité sanitaire. Il associe tous les partenaires de la lutte et de la prévention contre la légionellose, dont la Direction de la prévention des pollutions et du risque du ministère de l'Écologie et du développement durable. Seule une action concertée de cette ampleur, avec l'ensemble de ces partenaires, nous permettra de relever à terme ce défi que la nature et la modernité nous imposent. Les légionelloses doivent être combattues par tous, il s'agit d'une maladie transmissible, stoppons sa transmission en limitant la prolifération des légionelles dans l'environnement. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Monsieur le Professeur, nous reviendrons par la suite sur ce thème par le biais des questions. Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY évoquait le réservoir des animaux incontrôlé et incontrôlable, Monsieur Philippe VANNIER, Directeur de la santé animale à l'AFSSA va évoquer les facteurs favorisant l'émergence des virus ou microbes des animaux vers l'homme.

Les facteurs favorisant les risques émergents
en matière de maladies animales transmissibles à l'homme

M. Philippe VANNIER, Directeur de la santé animale à l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments)

Merci Monsieur le Député, je vais tenter d'être exhaustif, mais, en quelques minutes, cela sera difficile, je serai donc quelque peu schématique. Lorsque l'on parle d'émergence, nous devons aussi parler de réémergence, je donnerai quelques exemples de zoonoses qui ont fait l'objet d'une éradication dans la population animale, mais qui réapparaissent à la faveur de contacts, notamment avec la faune sauvage.

Je prendrai quelques exemples en santé animale pure, car les leçons que l'on peut tirer de la santé animale peuvent aussi avoir un impact sur la compréhension des phénomènes zoonotiques de transmission de maladie animale à l'homme. J'ai identifié six facteurs d'émergence et de réémergence, non exhaustifs, que je vais passer en revue.

Le premier facteur dont il faut comprendre l'impact, et qui n'est pas un phénomène de mode, est le réchauffement climatique qui influence le biotope des vecteurs puisque certaines maladies sont vectorielles, transmises par certains insectes piqueurs. Le réchauffement climatique a un impact de remontée vers le Nord de ces vecteurs et donc sur un certain nombre de maladies, dont des zoonoses, par exemple, la fièvre du Nil occidental (West Nile) a envahi tous les États-Unis en quelques mois et nous avons connu quelques épisodes en France et en Europe. C'est un Culicoides qui est responsable de cette transmission, il remonte vers le Nord à la faveur du réchauffement climatique. Il est également possible de citer des zoonoses bien plus graves, comme la fièvre de la vallée du Rift qui n'a pas encore touché l'Europe, mais qui le pourrait, au travers de la conjonction de deux facteurs : l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union européenne (Chypre, Malte) peut représenter une voie d'entrée d'animaux infectés, et l'arrivée de moustiques (Aedes et Culex) qui peuvent aussi transmettre cette zoonose, là encore il s'agit d'une conséquence du réchauffement climatique avec une remontée vers le Nord de ces moustiques.

L'évolution des structures d'élevage représente un facteur important. Sous la pression sociale, et sous d'autres facteurs dont certains économiques, on a vu augmenter aux États-Unis et en Europe le nombre d'exploitations en plein air qui influent sur l'influenza aviaire, des élevages de porc et de volaille, deux espèces qui permettent une recombinaison génétique des virus, qui sont en contact étroit avec la faune sauvage, notamment les oiseaux migrateurs, qui favorisent certaines épizooties. Les conditions sont très différentes entre l'Asie du Sud Est et l'Europe. En Asie du Sud Est, une étude de la FAO permet de définir des facteurs comme l'augmentation rapide de la densité des petits élevages avec une faible bio sécurité et une prévalence élevée des sources pathogènes qui conditionnent une extension très rapide des épizooties. En Europe, les choses diffèrent, les élevages industriels connaissent une très haute bio sécurité sans mélange d'espèces, en revanche s'il y a une interface importante entre les petits élevages de plein air et des élevages industriels, ce sont des conditions qui peuvent créer une émergence. Si la distance entre ces élevages est trop réduite, les élevages industriels peuvent favoriser une progression épidémique rapide. Nous devons donc prendre en compte certains facteurs pour comprendre le mécanisme de développement d'une épidémie et se garder d'une trop grande simplicité, parce que ça n'est pas la réalité. À cet égard, je vous recommande un excellent ouvrage publié par l'Organisation mondiale de la santé animale sur les zoonoses émergentes et les pathogènes en santé publique, suite à une excellente étude de la FAO qui détermine tous ces facteurs que je ne peux développer ici.

Le troisième facteur qui me semble important, qui a été évoqué par Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY, est celui de l'évolution des comportements humains et des modes de conservation, notamment en Asie du Sud Est où se sont développés le SRAS, l'influenza aviaire et l'Ebola liés à des nouveaux commerces, à des nouveaux marchés asiatiques où l'on trouve un grand nombre d'animaux, des espèces différentes sur le même lieu et, bien entendu, une forte concentration humaine. L'influenza aviaire découle de conditions commerciales tout à fait particulières, mais le SRAS provient d'une région de Chine où l'on consomme une variété de civette palmée qui a fait l'objet de nouveaux marchés pour ces animaux - dont nous ne sommes pas encore certains qu'ils sont à l'origine du virus -, mais cette concentration humaine et de civette palmée sur les marchés a été à l'origine de l'épidémie. Le cas de l'Ebola est également très intéressant, comme d'autres virus qui peuvent avoir des sources simiesques (je pense notamment au Sida), où la déforestation, les contacts de la population humaine et des chasseurs avec le dépeçage des grands singes peuvent amener une sortie de ces virus par un contact étroit avec la population animale. Par le biais des mouvements de populations, facteur culturel important dont je reparlerai, il arrive que l'on trouve dans le Thalys entre Bruxelles et Paris ce que l'on appelle du « bush meat », ces viandes d'animaux sauvages d'Afrique, qui voyagent par vingt ou trente kilos et échappent parfois aux douaniers. Ces viandes sont consommées en France, en Belgique et en Europe, elles peuvent être contaminées par un certain nombre de virus et de bactéries pouvant être dangereux et pathogènes pour l'homme.

Le quatrième facteur particulièrement important réside dans les mouvements illégaux et incontrôlés d'animaux et de produits d'origine animale avec des flux d'immigration légale ou illégale de quelques populations humaines avec des spécificités culturelles, gastronomiques, voire religieuses. Nous avons quelques exemples très précis en la matière, notamment avec l'épidémie de rage canine suite à l'importation illégale d'un chien du Maroc qui était contaminé. Il n'y a pas eu de cas humain, mais la maîtrise de cette rage a posé de nombreux problèmes, sachant que la personne ayant introduit le chien en France était sans doute un dealer qui a parcouru tous les festivals d'été compliquant particulièrement la gestion de cet épisode. La fièvre aphteuse, qui n'est pas une zoonose, qui s'est déroulée au Royaume-Uni en 2001 trouve son origine dans les eaux grasses (déchets de cuisine) d'un restaurant asiatique qui ont été données, sans respect des réglementations européennes, à un élevage de porc qui a ensuite contaminé tout le pays et une grande partie de l'Europe. De plus, cette fièvre aphteuse est apparue en février, au moment de l'Aïd-el-Kabir, une fête religieuse musulmane qui entraîne un mouvement très important de moutons qui ont, eux aussi, contribué à diffuser la fièvre aphteuse en Europe. Je n'aborde pas les pestes porcines, également répandues par les eaux grasses, mais qui ne sont pas des maladies zoonotiques.

Un autre facteur est le réassortiment de gènes avec apparition d'un nouvel agent. L'influenza aviaire, qui sera abordée par Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA, en est un exemple. Le Sud de l'Europe est actuellement touché par une épidémie de fièvre catarrhale ovine, qui n'est pas une zoonose, mais où l'on constate un réassortiment de nombreux gènes amenant le développement de nouveaux sérotypes. Se sont également produites, en santé animale, des émergences liées à l'évolution de la production porcine, avec intensification, spécialisation et importants mouvements de jeunes animaux qui ont été favorables à l'émergence de certaines pathologies animales.

Le dernier facteur que j'évoquerai réside dans l'évolution des procédés technologiques dans l'industrie agro-alimentaire et l'industrialisation d'un certain nombre de procédés, voire de diffusion, soit de farines, soit d'aliments destinés à la consommation humaine, qui ont été à l'origine des encéphalites spongiformes bovines puisque la modification venait des procédés technologiques de traitement des farines animales.

Voici, Mesdames et Messieurs, de façon schématique, les facteurs essentiels que je peux évoquer pour tenter de donner une explication. Si nous les comprenons, nous pouvons mieux prévenir ces émergences ou réémergences.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci pour ces informations diverses et variées, je regarderai maintenant les valises dans le Thalys, que j'emprunte régulièrement ! Nous allons maintenant entendre le Docteur Jean-Claude MANUGUERRA, qui a été salué par le Ministre, sur le dossier de la grippe aviaire, en vous signalant que la saisine dont l'Office a fait l'objet a été sans doute fortement éclairée par ce contexte de peur médiatique de la grippe aviaire reposant sur des faits réels.

La grippe aviaire

M. le Docteur Jean-Claude MANUGUERRA, Institut Pasteur

Merci Madame, Mesdames et Messieurs. Au cours des quelques minutes qui vont suivre, je vais tenter de dresser un tableau global de la situation de la grippe aviaire chez l'homme.

Comme l'a observé Monsieur Charles NICOLLE, fondateur de l'Institut Pasteur de Tunis, dans ses leçons au Collège de France, les épidémies ont une naissance, une vie et une mort, c'est le destin des maladies infectieuses, expression qui fait l'objet du titre de l'ouvrage rassemblant ses leçons. Comme l'a rappelé Monsieur le Ministre, la naissance d'une épidémie correspond à l'introduction d'un nouvel agent pathogène, ou d'un ancien agent ayant acquis de nouvelles propriétés, dans une population indemne, et cette population peut être animale, comme l'a exposé Monsieur Philippe VANNIER, ou humaine. La première phase d'une épidémie se manifeste par des cas sporadiques plus ou moins faciles à détecter. Dans le cas de l'introduction d'un virus ou d'une bactérie dans le cadre d'un réservoir animal, les premiers cas sporadiques sont essentiellement des zoonoses précédemment évoquées. C'est la situation actuelle de la grippe aviaire, chez l'homme c'est une grippe zoonotique, la transmission à l'homme se fait sur fond d'une épizootie d'une ampleur et d'une intensité sans précédent. C'est là que réside le risque actuellement.

L'épizootie à virus H5N1 a éclaté vers la fin de l'année 2003, touchant d'abord des pays situés sur un arc allant de la Corée du Sud, du Nord de la Chine au Japon, du Sud de la Chine au Viêt-Nam, au Laos, au Cambodge et en Thaïlande ; l'épizootie a ensuite gagné le Sud, la Malaisie et l'Indonésie. L'aire couverte est gigantesque en termes de surface, des foyers épizootiques sont actuellement déclarés au Viêt-Nam, en Thaïlande, au Cambodge, en Malaisie et en Indonésie.

Les moyens de contrôle sont de deux ordres : tout d'abord l'abattage massif qui, à lui seul, peut stopper une épizootie. Il supprime les foyers, et c'est le seul moyen possible dans les pays où la vaccination est interdite. À noter que c'est aussi dans ces pays-là que l'on fabrique les vaccins pour ce type de maladies et qu'ils n'ont pas toujours un très fort attrait pour les industriels pour cette raison. C'est le seul moyen possible dans les pays exportateurs, c'est le cas pour l'Union européenne et pour la Thaïlande. On compte sur l'abattage massif pour casser la dynamique de l'épizootie et la délimiter. On l'a vu pour d'autres épizooties, la quantité d'animaux à abattre pour éliminer la maladie peut être tellement élevée, que cet abattage peut entraîner des pollutions importantes du sol et de l'air. L'abattage massif prive aussi, de facto, des populations de sources de protéines animales essentielles. Ainsi, en 1997, lors du premier épisode de grippe aviaire H5N1, l'abattage a bien supprimé la source virulente et, par conséquent, les cas humains se sont arrêtés et l'épidémie avec transmission inter humaine n'a jamais vu le jour.

Toujours chez les animaux, l'autre moyen de lutte réside dans la vaccination massive pour éliminer la source virulente, qui vise à immuniser une fraction suffisante de la population pour empêcher la circulation de l'agent. Cette proportion est de l'ordre de 75 %, c'est la loi dite de « Charles NICOLLE », pour revenir à ce grand personnage. Le problème de la vaccination est que les animaux en portent le stigmate dans leur sérum comme s'ils avaient été infectés, et c'est inacceptable dans les échanges internationaux. L'autre grande limite à la vaccination est que les vaccins disponibles à ce jour étant peu efficaces, elle peut permettre une circulation cachée du virus qui, à l'occasion de l'introduction d'individus non humains, peut entraîner une nouvelle flambée épizootique de grande ampleur. Comme cela a été préconisé, on peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, mélanger les deux.

Chez l'homme, à ce jour et depuis le début 2005, 55 cas ont été rapportés, ce chiffre peut varier en fonction de la période que l'on considère, avec essentiellement deux pays touchés, le Viêt-Nam (37 cas) et la Thaïlande (17 cas). Deux cas sont rapportés dans d'autre pays, le Cambodge et le Japon. La répétition de ces cas humains est inquiétante sur un fond d'épizootie toujours incontrôlée. Nous assistons actuellement à la troisième vague qui a lieu simultanément au Nord et au Sud du Viêt-Nam. Comme lors des vagues précédentes, la vitalité de la grippe aviaire est très forte, près de 70 %, à titre de comparaison, la vitalité de la grippe espagnole n'était que de 2 % mais d'autres caractères ont entraîné un nombre considérable de morts. Pour le moment, les seuls cas de transmission intrafamiliale ont été rapportés au Viêt-Nam comme en Thaïlande et, dans ce pays, la transmission d'un enfant à sa tante et à sa mère restée à son chevet durant seize heures a été clairement analysée. Les virus isolés de ces cas étaient heureusement d'une constitution très proche, voire identique, à celle des virus aviaires. Ceci est à rapprocher de l'incapacité de ces virus à se transmettre efficacement d'homme à homme. Ces virus n'ont pas encore, heureusement, subi d'accidents génétiques qui leur auraient permis d'acquérir cette capacité de transmission. Ces accidents sont soit des mutations, des changements de petite ampleur qui s'accumulent au cours du temps, ou bien des échanges de gènes entiers. L'amorçage d'une transmission inter humaine efficace conduirait à une chaîne de transmission qui, en s'emballant, deviendrait épidémique. Il est possible de dire que, pour l'instant, l'épidémie chez l'homme n'a pas commencé et nous sommes toujours dans la phase hypothétique de l'introduction en cul-de-sac. Dans le cas où surviendrait cet accident génétique, il donnerait naissance à un virus hybride mi-aviaire, mi-humain, dont la probabilité, selon une étude de l'équipe de Roy ANDERSON, est estimée à 5 % en mars 2004. La pandémie sera difficile à éviter.

Au cours du XXe siècle, l'émergence chez l'homme d'un nouveau virus grippal a conduit à trois pandémies qui ont fait, selon les estimations, 2 à 40 millions de morts en quelques mois, pour les épidémies de grippe espagnole (1918-1919), asiatique (1957-1958) et de Hong Kong (1968-1969) qui est arrivée en Europe l'hiver suivant.

La situation actuelle demeure délicate, mais l'espoir est toujours permis tant que le virus ne s'adapte pas et tant que la grippe demeure zoonotique. Nous sommes dans la phase d'action, il faut lutter contre la grippe aviaire chez l'oiseau et éviter l'infection de l'homme. Encore une fois, l'intervention massive des autorités locales en 1997 à Hong Kong a été courageuse, et a sans doute évité le début d'une pandémie.

Depuis lors, nous avons acquis de nouvelles armes contre le virus H5N1, nous savons faire un vaccin, même si des inconnues subsistent dans son emploi. Nous disposons, comme l'a rappelé le Ministre de la Santé, d'antiviraux efficaces arrivés sur le marché. Des progrès ont été faits au niveau européen pour accélérer l'enregistrement des vaccins, et c'est là un élément pratique très important, comme l'a rappelé Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY. Les Plans de préparation ont progressé, en Europe et en France. Dans la phase d'introduction, puis dans la phase de première diffusion, nous avons observé que les organisations internationales ont joué un rôle crucial, notamment par l'appui aux pays où le risque s'exprime, par l'organisation de la détection virale et par la mise à disposition de souches pour la recherche vaccinale. Ces organisations sont l'OMS bien sûr, l'Office international des épizooties et l'Office pour l'alimentation et l'agriculture. En revanche, quand la maladie aura gagné nos pays, la subsidiarité s'appliquera et il reviendra aux États d'intervenir sur leur territoire, ces pays doivent se préparer.

Dans notre pays, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France pour la lutte contre la maladie grippale a remis son plan le 27 juin 2003, dans les temps malgré l'épisode du SRAS. Ce plan a ensuite été amélioré car rendu plus opérationnel par le Ministère de la Santé, il a finalement été bleui et rendu public en octobre 2004 par Monsieur Philippe DOUSTE-BLAZY. L'objectif de ce plan n'est pas d'arrêter la pandémie, mais de ralentir son arrivée ou son installation et, le cas échéant, de diminuer son impact sur la santé de nos concitoyens. Pour qu'il soit utile, c'est particulièrement important, il faudrait qu'il perde son aspect confidentiel défense afin d'être largement diffusé pour que les acteurs se l'approprient, quitte à en retirer trois ou quatre pages.

Pour conclure, je dirai que sans nous résigner face à l'inéluctable, nous devons organiser la lutte.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Docteur, nous abordons maintenant le bioterrorisme que nous ne pouvions occulter dans le cadre du risque épidémique. D'autant plus que l'actualité passée laissait entendre que des poudres, germes, microbes ou virus pouvaient être disséminés au sein de la population. Je remercie par avance Monsieur le Médecin Général TOUZÉ pour son intervention.

Le bioterrorisme

M. le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ, Service de santé des Armées, Ministère de la Défense

Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, à la fin de l'année 2001, 14 agents dits agents de classe « OTAN » avaient été identifiés comme étant possiblement éligibles pour le risque bio terroriste. Ces agents comportent des virus - nous avons parlé de la variole, de l'hémorragie virale, des bactéries (charbon, peste, choléra, fièvre Q), et des toxines au premier rang desquelles la toxine botulinique et la ricin.

Ces agents sont choisis particulièrement pour des raisons historiques car, par le passé, des pays proliférants ont tenté de les produire. Ce fut le cas du Japon durant la Seconde Guerre mondiale, de la Russie durant la Guerre froide, et en Irak dans les années 80. Ce sont des agents qui sont très pathogènes et susceptibles, pour certains, d'entraîner des épidémies très redoutables. Des épidémies qui peuvent, dans l'inconscient collectif, créer un sentiment d'effroi et de panique ; on pense à la peste, à la variole, au choléra, aux fièvres hémorragiques virales africaines. Certains de ces agents sont facilement accessibles, le charbon et la peste en particulier dont la culture est facile.

Dans ce contexte, quatre agents ont été considérés comme prioritaires ces dernières années : la variole, le charbon, la peste et la toxine botulinique. La variole parce qu'après la dislocation du bloc soviétique on ne peut exclure que des stocks de virus de variole aient pu être achetés par des agents terroristes. D'autre part, la population occidentale n'est plus vaccinée depuis 1984 et si la variole se développait dans un tel contexte, nous assisterions à des épidémies redoutables. Le charbon est facile à produire, les Irakiens en ont produit en grande quantité, et l'OMS estime dans ces prévisions mathématiques qu'avec 100 kilos de charbon aérosolisé, il est possible de tuer 50 000 à 100 000 personnes dans une ville. La peste est également facile à produire, il en existe aussi des foyers ancestraux, à Madagascar en particulier. La toxine botulinique est facilement accessible et peut contaminer la chaîne hygro-alimentaire. Pour ces quatre agents, l'aérosolisation est possible, mais difficile à réaliser si l'on veut obtenir un aérosol de bonne qualité.

Je souhaite apporter un regard nuancé sur ces agents dits de classe « OTAN ». La variole présente un risque parce que la population n'est pas préparée, néanmoins, les personnes de plus de quarante ans ont eu dans leur vie des challenges vaccinaux comportant la variole et ont très probablement des résidus d'anticorps qui pourraient les protéger. De plus, la variole ne se transmet que par contact humain ou inter humain rapproché, il faut un contact avec un patient atteint qui se déplace or les symptômes ne lui permettent pas de se déplacer si facilement, un varioleux a de la fièvre et des symptômes graves qui le maintiennent alité. Quant à l'aérosolisation de la variole, elle est possible, mais nécessite de hautes conditions technologiques. Si la peste peut être aérosolisée, il faut, pour qu'elle se développe, un triptyque particulier : le rat, la puce, l'homme. Le triptyque existe lors de tremblements de terre par exemple, ce qui s'est produit en Algérie avec quelques cas de peste détectés, mais cet agent ne peut être militarisé ou utilisé pour déclencher des épidémies avec facilité. Enfin, la toxine botulinique est facilement dégradée par la chloration de l'eau, la qualité de la toxine s'est dégradée ces dernières années par l'augmentation de l'indice du taux de chlore pour l'eau d'alimentation. La chaîne alimentaire française est de bonne qualité, si l'on ne peut exclure une intoxication botulinique, elle serait facilement contrôlée grâce à la qualité de traçabilité de nos aliments. Quant aux autres agents, les agents de fièvre hémorragique virale, fièvre Q, leur culture réclame un savoir-faire technologique, une culture cellulaire, des laboratoires de haute sécurité, et cela n'est pas possible sans un fort support étatique.

Il convient de rappeler quelques critères essentiels. Les agents biologiques sont sensibles à la chaleur, aux ultraviolets, à l'hygrométrie, à la climatologie, des facteurs environnementaux qui ne sont pas faciles à maîtriser si l'on veut utiliser ces agents avec une visée terroriste. Par ailleurs, nous ne maîtrisons pas la réponse immune de l'hôte, les épidémies se déclenchent et se contrôlent naturellement, il est très difficile de les déclencher, nous n'avons pas d'exemple d'épidémies déclenchables.

Le risque biologique terroriste est plausible, mais il convient de le nuancer car il est bien en deçà du risque chimique ou nucléaire.

Dans ce contexte, sans tomber dans l'angélisme ou dans l'optimisme béat, nous devons combler notre lacune capacitaire vis-à-vis des quatre agents prioritaires que sont la variole, la peste, le charbon et la toxine botulinique. Cela a été fait en France, nous avons acquis une capacité vaccinale de 70 millions de doses de vaccins, nous possédons des stocks d'antibiotiques suffisants pour parer au charbon et à la peste. Si nous n'avons pas sérum contre la toxine botulinique, il faut savoir que ce sérum n'est que partiellement efficace, lorsqu'il est administré précocement sous des formes digestives, il faut l'avoir immédiatement à portée de main et la mortalité n'est réduite que du tiers quand le sérum est utilisé rapidement. Nous devons préparer l'avenir, améliorer notre réactivité vis-à-vis des agents biologiques, car les agents bioterroristes de demain ne seront probablement pas ceux sur lesquels nous travaillons aujourd'hui.

Nous avons parlé des virus émergents, des maladies réémergentes, et surtout des maladies génétiquement modifiées. Des agents changeront certainement de structure, il sera possible d'y inclure des plasmides de résistance, de modifier leur structure génétique. Des agents aujourd'hui accessibles aux antibiotiques deviendront peut-être résistants occasionnant ainsi des épidémies redoutables. Nous devons parer à ce risque émergent. Nous devons surtout améliorer notre réseau de veille épidémiologique, aujourd'hui il existe une veille déclarative par maladie, nous devons arriver en amont de cette déclaration par la déclaration de symptômes ou de groupements de symptômes. L'InVS travaille à ce sujet, et Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER apportera des éléments supplémentaires. Nous devons également renforcer la veille vectorielle, la veille animale, car les maladies viennent du monde animal et les barrières entre l'homme et l'animal ont été rompues ces dernières années. Nous devons instaurer en France ce type de veille pour détecter ces maladies qui seront demain les nôtres.

Nous devons améliorer notre réactivité dans le domaine du laboratoire, certaines zones en France ne disposent pas de laboratoire P3 de haute sécurité, dont des grandes agglomérations. Ce réseau de laboratoires doit exister, qu'ils travaillent selon les mêmes procédures, les mêmes réactifs, et qu'il y ait des exercices dans ces laboratoires pour que tous travaillent de la même manière. Le SGDN1 a mis en place récemment un réseau de laboratoires piloté à l'échelon interministériel pour mettre en réseau les laboratoires civils et militaires2.

Enfin, nous devons préparer les populations, car nous ne sommes pas prêts à réagir de manière adaptée à un risque non identifié. Le rôle du politique est important, car cela doit entrer dans le cadre de l'éducation scolaire, des programmes d'éducation civique afin que les élèves et les enseignants acquièrent une culture du risque. Nous avons tous acquis une culture du risque incendie, nous devons acquérir une culture du risque par rapport à des menaces non identifiées. Nous devons avoir des mesures et comportement adaptés, très tôt les jeunes doivent savoir ce que sont le risque biologique, le risque chimique, et avoir des postures adaptées à ce type de risques. C'est là la meilleure manière de réagir à la désorganisation massive que recherche le terroriste, et non pas la destruction massive, que ces agents biologiques pourraient entraîner.

Pour conclure, je dirai que la menace biologique est réelle, mais nous devons la mesurer en fonction des agents aujourd'hui identifiés, qui sont des agents possibles, mais pour lesquels nous disposons de parades et qui sont difficiles à acquérir à grande échelle sans un support étatique. Nous devons surtout nous préparer aux agents de demain en renforçant la recherche. La recherche est aujourd'hui éclatée en France, le Professeur RAOULT, dans son rapport sur le bioterrorisme, avait parlé d'infectiopôles, il faut que dans ces infectiopôles il y ait un rapprochement des compétences, il faut mutualiser les laboratoires de recherche, partager les recherches privée et publique, rapprocher la recherche industrielle de la recherche publique, établir des partenariats privé/ public. C'est dans ce domaine que nous devons nous engager si nous voulons être réactifs demain. L'industrie pharmaceutique a également son mot à dire, nous l'entendrons tout à l'heure.

La menace biologique est réelle, nous devons l'aborder au regard de ce que seront les agents de demain. Je vous remercie.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci Général, vous avez évoqué l'industrie pharmaceutique et le Ministre lui-même a voulu tempérer les critiques contre les antibiotiques en évoquant le bon usage, je laisse la parole à Monsieur Denis HOCH, Président de Sanofi Pasteur.

La difficulté de réponse de l'industrie pharmaceutique

M. Denis HOCH, Président de Sanofi Pasteur MSD

Mesdames et Messieurs, je suis heureux de l'opportunité qui nous est donnée de présenter la position de l'industrie et les difficultés qu'elle peut rencontrer.

Nous distinguons deux types d'approche du risque épidémique. La première approche concerne les risques épidémiques que l'on connaît, appréciables, ou habituels. Nous développons pour cela les vaccins que nous connaissons actuellement : coqueluche, rougeole, polio... Cela correspond à une approche normale, et nous verrons comment cette approche normale de l'industriel peut être optimisée. Le deuxième type d'approche concerne les risques exceptionnels, dont les risques dits naturels, de type SRAS ou grippe aviaire, qui dépendent de l'environnement, et les risques bio terroristes qui dépendent de l'œuvre humaine. Pour ces types d'approche exceptionnelle, nous avons besoin d'un partenariat différent avec les autorités de santé.

Le domaine des vaccins est spécifique, il est centré autour du biologique avec, de plus en plus, l'intervention du bio technologique. Cela se traduit par des cycles longs en termes de développement, c'est assez classique d'un point de vue pharmaceutique, mais les cycles sont également longs en termes de production. La création d'une nouvelle unité de production nécessite 5 ans et un investissement capitalistique important. La production d'un vaccin requiert 9 à 10 mois avec des extrêmes pouvant aller jusqu'à 22 mois, tandis que d'autres produits, comme le vaccin contre la grippe, sont produits en 6 à 7 mois. Il faut retenir cet aspect de cycle long, car en cas d'urgence nous n'avons pas de flexibilité en termes de rapidité ou de capacité. J'insiste particulièrement sur la notion nécessaire d'anticipation dans toutes les actions.

Notre domaine est spécifique car relativement fragile, l'industrie du vaccin est très concentrée, il existe deux laboratoires au monde qui font des vaccins généralistes, et quelques autres qui font des vaccins centrés sur la grippe. Ce domaine est fragilisé parce qu'il est difficile, basé sur des cycles longs, et parce que l'on s'adresse à des sujets et à une population saine avec des logiques de critiques dans certains pays qui ont quelque peu fragilisé les industriels et les ont peut-être découragés d'investir. Néanmoins, c'est une industrie qui a quelques forces, elle est encore très fortement européenne - deux tiers des capacités de production sont en Europe, comme les deux tiers des investissements de recherche et développement - et c'est une industrie qui, avec l'apport des biotechnologies, va produire de nouveaux produits dans les prochaines années. Notamment des vaccins contre le zona, les diarrhées aiguës à rotavirus du nourrisson, des vaccins préventifs contre le cancer du col de l'utérus contre le papilloma virus, ce sont de grosses innovations qui arriveront dans les deux à trois ans, c'est l'un des secteurs les plus innovants, y compris comparé à la pharmacie. C'est également un petit secteur car il ne représente que 1,5 % du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique. Il est concentré, petit, fragile parce qu'il existe aujourd'hui une appétence vers les États-Unis car les vaccins y sont assez peu présents, les prix y sont plus élevés, les incitations à aller aux Etats-Unis sont donc de plus en fortes. Ce domaine, aujourd'hui très européen, peut donc être attiré par les États-Unis comme ce fut le cas pour l'industrie pharmaceutique.

En retenant les notions de cycle long et d'innovation, le mot clé pour nous est l'anticipation. Pour les risques normaux et épidémies connues, nous avons besoin de relations avec les autorités de santé pour avoir une vision de leurs besoins et souhaits, de façon à anticiper nos besoins en capacité de production. Cela est vrai pour les vaccins actuels, rougeole, coqueluche... Nous avons également besoin, et c'est plus spécifiquement le cas en France, d'avoir des actions d'incitation ou de sensibilisation des acteurs de santé, je pense aux médecins généralistes qui sont peu sensibilisés à la vaccination des adultes et seniors. Cela est important en cas d'épidémie grave, ils doivent redevenir des acteurs de vaccination. Nous manquons, en France et ailleurs, d'outils de suivi, de registres de vaccination sur lesquels nous pourrions nous appuyer. Les industriels n'en disposent pas, mais les autorités de santé non plus et cela est dommage car c'est un facteur clé dans le suivi de l'efficacité collective de la vaccination, puisque c'est bien un exercice collectif. Cela concerne les besoins dans le cadre d'épidémie quantifiable pour des maladies que l'on connaît.

Le secteur des risques exceptionnels est plus difficile à gérer. Cela concerne la grippe pandémique aviaire, le SRAS, le bioterrorisme. Là, plus encore que dans le cadre de la vaccination normale, nous avons besoin de partenariats avec les autorités de santé. Nous avons besoin de connaître leur vision, leurs supports, afin de travailler en anticipant. Nous ne pouvons pas sortir, en quelques semaines ou quelques mois, des vaccins sans y être préparés. Les autorités doivent nous aider, et définir des priorités. J'étais satisfait d'entendre le Ministre parler, dans le cadre de la grippe aviaire, de la concrétisation d'un appel d'offres en France concernant le vaccin prépandémique H5N1 et le blocage de doses pour un éventuel vaccin pandémique. Cela est extrêmement important car, en ces domaines, l'industrie du vaccin a besoin de soutien effectif. Ce sont des actions pour lesquelles aujourd'hui nous ne pouvons avancer que si nous sommes soutenus. Ce soutien existe dans certains pays, notamment aux États-Unis qui sont très avancés sur ces questions, par le biais d'appels d'offre incitant les industriels à préparer des vaccins. Cela a été fait pour le virus pandémique H5N1, pour l'anthrax également, 900 millions de dollars sont débloqués pour le développement d'un vaccin contre l'anthrax. En France, et en Europe, j'insiste sur un nécessaire partenariat France-Europe, les épidémies que nous aurons peut-être à gérer ne se borneront pas aux frontières. Il faut donc une coordination européenne et mondiale. Nous travaillons avec l'OMS, la Commission européenne et les autorités françaises, et avons besoin de supports. Certaines choses simples ont été faites, comme pour la grippe pandémique la capacité à enregistrer un vaccin très rapidement au niveau européen. Nous avons besoin de supports, pour travailler sur le virus H5N1 nous travaillons depuis l'année dernière sur un vaccin prototype, le virus aviaire identifié tel qu'il est sert de base à la préparation d'un vaccin prototype qui servira, au moment où se produira la mutation dont parlait Monsieur le Docteur Jean-Claude MANUGUERRA, de véhicule pour faire le vaccin pandémique. Nous substituerons au virus H5N1 aujourd'hui identifié le futur vaccin mutant, nous aurons ainsi la base du vaccin. Lorsque nous n'en aurons plus il faudra redémarrer les épisodes d'essai et de production, mais cela permettra de gagner du temps. Au niveau français et européen, nous avons eu beaucoup de mal à trouver une aide pour développer un vaccin prototype pandémique qui coûte en moyenne 11 millions d'euros. C'est une petite somme, or nous avons eu du mal au niveau européen. C'est ainsi que je suis satisfait de la déclaration du Ministre car elle va inciter des industriels à démarrer ou poursuivre dans cette voie. Cela est incitateur et c'est dans cet esprit de partenariat privé/ public qu'il est important pour nous d'avancer et de marquer des points.

Nous avons également besoin d'autres partenariats simples. Dans le cadre de la grippe pandémique, les technologies utilisées sont des technologies de réserve génétique, soit des OGM. Certaines lois qui ne sont pas faites pour ça nous freinent par une perte de temps en demandes administratives pour le développement et la production. Au niveau européen, les États membres doivent le comprendre, cela peut sembler de petits détails, mais ils feront perdre un temps précieux si cette grippe pandémique devait se déclarer. Le temps de préparation du vaccin pandémique dépendra de notre capacité à préparer des vaccins prépandémiques, c'est pour cela que le vaccin prototype est clé, il faudra que soient levées les barrières administratives. En cette matière, le dossier européen a progressé, reste encore à progresser sur les lois GMO. Le dernier point réside dans la capacité de production qui est liée à certains facteurs. Aujourd'hui nous savons que nous n'aurons pas la capacité de production nécessaire pour couvrir toute la population et des arbitrages sont à envisager. Il faudrait, c'est notre proposition, augmenter cette capacité, cela ne peut se faire que dans le temps, mais également que soient organisées des discussions entre États membres, à la Commission européenne, et à l'OMS au niveau mondial, sur la distribution équitable de ces vaccins pandémiques lorsque la situation l'exigera. Nous n'aurons pas avant quatre ou cinq ans une capacité suffisante pour couvrir une grippe pandémique, s'il est possible de trouver les moyens d'augmenter cette capacité de production.

Nous sommes, pour les vaccins, dans un domaine de santé publique, y compris pour les vaccins dits normaux (rougeole, coqueluche...), nous devons travailler en fonction des visions et priorités des autorités de santé publique. Nous devons mieux mobiliser les acteurs de santé, le médecin généraliste en premier lieu, pour préserver l'image du vaccin. Les industriels s'attachent de leur côté à faire des améliorations qualitatives. Enfin, en cas d'événement exceptionnel, priorité doit être donnée à la concertation et à l'anticipation qui procèdent d'une vision à la fois politique et internationale. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre DOOR

Je vous remercie. Nous venons de traiter une partie importante de la question. Vous pouvez maintenant interroger nos invités.

Réponse aux questions des parlementaires

M. Pierre-Louis FAGNIEZ, député du Val-de-Marne

Madame et Messieurs les rapporteurs, je souhaite d'abord vous remercier d'avoir organisé cette table ronde et pour la qualité des interventions qui ont très bien précisé la nature du risque épidémique. Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY nous en a donné une bonne définition, mais il nous a bien montré qu'il n'existe pas qu'un risque infectieux, or nous n'avons parlé jusqu'à présent que du risque infectieux et même uniquement du risque prouvé, même si Monsieur le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ a parlé de menaces qui ne sont pas avérées. En tant que parlementaire, je souhaite vous parler du risque non infectieux hypothétique qui est sans doute le risque épidémique qui effraie le plus nos concitoyens si l'on en croit les courriers qui arrivent dans les permanences : je veux parler des antennes relais et des téléphones portables. C'est aujourd'hui le risque épidémique le plus ressenti dans la population. Nous devons en parler puisque la population attire notre attention sur ce risque hypothétique non infectieux. Je souhaite que vous nous éclairiez sur cette question au sujet de laquelle nous sommes souvent interpellés en tant que parlementaires.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Vous avez raison, le citoyen est roi, s'il est inquiet, il a le droit d'obtenir des réponses, mais le choix qui a été fait pour ce rapport était de le circonscrire au risque infectieux, nous aurions autrement été amenés à parler de l'amiante, des antennes... Le préambule à ce rapport précisera que d'autres rapports concernant d'autres menaces seront peut-être nécessaires3. Pour notre part, nous suivons l'adage « qui trop embrasse, mal étreint ».

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur FAGNIEZ obtiendra une réponse plus tard puisque personne n'est à même de lui répondre ici. J'ai moi-même une question à l'attention de Monsieur Philippe VANNIER le Directeur de la santé animale, qui a parlé des viandes et transports d'animaux. Je souhaite soulever une question qui n'a pas encore reçu de réponse au sujet des animaleries. Les Français aiment les petits animaux de toutes variétés, et nous nous demandons comment ces animaleries sont contrôlées et s'il n'existe pas des échappatoires.

M. Philippe VANNIER

Je vous remercie, Monsieur le député. Il s'agit effectivement d'un risque réel car si les animaleries tombent sous le coup de lois et de réglementations, elles font aussi l'objet de mouvements illégaux. Nous avons pu constater dans la presse, même si cela n'a eu aucune conséquence, que deux aigles en provenance de Thaïlande ont failli entrer en Europe. Le risque n'est pas nul, il s'est produit aux Etats-Unis une épidémie de monkeypox liée à l'introduction illégale de canidés sauvages dans le pays. Les risques de chlamydophilose sont liés aux oiseaux. Il existe également des risques que je n'identifie pas totalement, mais qui sont une réalité et qui sont liés aux contacts étroits avec les enfants et la population citadine qui aiment voir ces oiseaux et sont directement en contact avec eux, puisque les cages ne sont pas protégées. Cela est également générateur d'un certain nombre de trafics qui échappent en partie au contrôle douanier et aux services vétérinaires. Des mesures de renforcement, dont je ne connais pas la forme, sont à prendre, c'est un point à prendre en considération.

M. Jean-Pierre DOOR,

Je vous remercie. La parole est à Madame BRIOT.

Mme Maryvonne BRIOT, député de Haute-Saône

Je vous remercie de la grande qualité de vos interventions. Je rejoins mon collègue, car notre rôle est de relayer les préoccupations que nous entendons sur le terrain. Cela est lié à la perception du risque que peut avoir une population. Le Général signalait que le terrorisme recherche la désorganisation de la population, cela est donc bien lié à la perception de ce risque. Ce n'est peut-être pas le risque en lui-même ou la gravité du risque qui sont en cause, mais la perception de ce dernier. Nous avons vu l'inquiétude grandir dans la population lorsque circulaient ces enveloppes contenant de la poudre blanche censée être du charbon. Je souhaite établir le lien avec les notions de précaution et de prévention, un de nos intervenants signalait que confondre précaution et prévention revient à trop se tourner vers la précaution et à judiciariser les situations. Le risque serait que nous adoptions des mesures hyper protectionnistes. Est-ce vers cela que nous devons tendre ? Qu'en pensent les scientifiques ? Lors d'une épidémie, on isole, devons-nous donc aller vers plus de protectionnisme ou plus de précaution et de surveillance comme cela est le cas aux États-Unis ou au Canada ? Nous devons effectivement travailler ensemble, avoir une réflexion globale, européenne et mondiale, réfléchir à l'équilibre de mise à disposition des vaccins, mais la mise en place de mesures de précaution ne risque-t-elle pas d'entraîner certaines mesures isolationnistes que nous ne souhaitons pas ?

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY vous évoquiez tout à l'heure ces notions de précaution et de prévention, pouvez-vous répondre ?

M. le Professeur Philippe KOURILSKY

Madame le Député, vous soulevez le problème très important du contrôle du risque par rapport au contrôle de la perception du risque et donc des enjeux démocratiques importants. La réponse que l'on peut faire consiste à déplacer le débat sur le meilleur usage que l'on peut faire de l'argent public. L'argent n'est pas illimité, et celui qui sert pour certaines mesures de précaution n'est pas utilisé à autre chose. Lorsque l'on constate le coût de certaines mesures de précaution, par rapport au coût de la prévention du cancer du sein qui s'est beaucoup améliorée, il existe deux poids et deux mesures, je pense que la bonne attitude consiste à revenir aux paramètres factuels, aux statistiques et aux coûts. Cela n'est pas toujours populaire, et pour deux raisons. Il est tout à fait remarquable qu'en économie de la santé, on n'ose pas publiquement parler du coût de la mort qui demeure un tabou, mais cela est pourtant un paramètre basique dans la gestion des problèmes de santé publique. Cela n'est certes pas populaire, mais notre approche scientifique doit nous permettre de devenir le moteur d'une sorte de rationalisation, bien que la raison ne gouverne pas tout et nous partageons cet avis. Nous devons remettre sur la table les paramètres de réalité alors que le champ de la précaution est, par définition, celui de l'hypothèse, elle-même l'occasion du glissement de sens. Remettre les paramètres de la réalité sur la table, et notamment de réalité économique, me semble essentiel. Quand nous voyons - d'autres ici sont plus qualifiés que moi pour en parler - que l'introduction d'un test dans la transfusion sanguine coûte des centaines de millions d'euros pour un bénéfice calculé de 0,5 vie /an, etc., nous constatons que l'argent public n'est pas forcément utilisé au mieux.

M. Jean-Pierre DOOR

Je vous remercie. Monsieur le Professeur Jean-Paul LEVY a la parole.

M. le Professeur Jean-Paul LEVY

Je souhaite revenir sur deux points, ma question s'adresse plus aux parlementaires. Nous sommes confrontés à un problème de société, lorsque l'on parle des vaccins nous oublions qu'un vaccin a deux fonctions. Il est destiné à protéger les personnes contre la maladie, mais également à protéger les populations contre l'extension des maladies. Dans une société où le principe de précaution et de protection de l'individu est devenu absolu, nous avons pris progressivement des attitudes dans les règlements, nous venons de le voir avec un vaccin contre le VIH, qui mènent à des décisions bloquant toute évolution. J'ignore s'il est possible de faire quelque chose, c'est pour cela que je m'adresse aux parlementaires, car il s'agit d'une question d'éducation, de communication vers les personnes. Ensuite, plusieurs des questions soulevées impliquent une interaction public/ privé plus importante, je ne sais pas si cela est possible. Du côté par exemple du bioterrorisme - question éducative également et de perception du risque par les populations -, Monsieur le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ a souligné le problème d'organisation des liens dans les systèmes d'urgence, entre les militaires, la CIBU de l'Institut Pasteur, etc., et il est vrai que nous avons le sentiment que l'on ne cherche pas suffisamment à organiser notre système d'urgence, de détection et de protection. D'un autre côté, vers l'industrie des vaccins, s'il a été souligné que le prototype de vaccin H5N1 représente une lourde intervention, il est vrai que l'État devrait se soucier de la mise au point du prototype parce que nous ne sommes pas sûrs d'en disposer en cas contraire. Par ailleurs, il existe de nombreux vaccins orphelins sur lesquels nous devrions agir, cela concerne bien sûr le Sud, et nous ne le faisons pas suffisamment. Nous avons enfin beaucoup évoqué les antibiotiques sans vraiment en parler, et le vrai problème concerne la façon de relancer la recherche sur les antibiotiques et la façon dont un partenariat public/ privé pourrait aboutir à de nouveaux antibiotiques à l'avenir.

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur Denis HOCH, pourriez-vous répondre au Professeur LÉVY.

M. Denis HOCH

Je ne peux répondre concernant les antibiotiques, la question est à poser à des spécialistes du domaine. Concernant les vaccins, nous avons effectivement besoin de visibilité et de supports, nous travaillons également sur des vaccins à destination de l'ensemble de la population mondiale. J'ai évoqué le vaccin rotavirus, nous travaillons sur la malaria, la dingue, le HIV de façon évidente pour lequel beaucoup d'essais arrivés en phase 3 ne sont pas satisfaisants. La barrière n'est uniquement financière, elle est parfois technique et technologique, il faut le savoir. Dans le domaine des vaccins, nous fonctionnons avec certains organismes comme la Banque mondiale, le GAVI ou le Vaccine found qui permettent, ce qui n'existe pas dans le domaine pharmaceutique, des développements de produits pour les pays en voie de développement. Nous sommes probablement très en avance sur ce qui se fait en pharmacie, pour inciter au développement pour les pays en voie de développement.

Je tiens à revenir sur le sujet sensible du protectionnisme. Une des questions que je pose, en tant que responsable européen et mondial de développement de vaccin, est relative aux réactions des États en cas de pandémie. La France, avec Sanofi Pasteur, représente 40 % de la production mondiale. En cas de pandémie, la France, l'Europe fermeraient-elles leurs frontières ? C'est un souci pour nous et nous souhaitons que les politiques prennent position en avance, parce que ce n'est pas dans l'urgence que l'on prend ce type de décision, il faut prédéterminer car cela représente un enjeu majeur pour nous. Nous espérons que cette pandémie ne se produira jamais, mais nous souhaitons être préparés.

M. Jean-Pierre DOOR

Je vous remercie, je souhaite saluer et remercier pour leur présence messieurs Claude BIRRAUX et Jean-Yves LE DÉAUT qui sont vice-présidents de l'Office parlementaire. J'ai une question à l'attention de Monsieur le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ, motivée par une alerte de la part de l'Ordre des pharmaciens. Certains médicaments fabriqués dans des pays étrangers très éloignés sont parfois en vente sur internet. Je connais moi-même certaines personnes se procurant des médicaments via internet. N'est-ce pas un vecteur possible, comme l'eau ou l'air, de transmission dans un cadre de bioterrorisme ? Y avons-nous pensé ?

M. le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ

Il s'agit là d'une question importante et judicieuse, je ne pense que personne ne s'est encore penché sur ce problème. C'est une problématique qui peut se poser, mais je n'ai pas d'élément de réponse.

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur LE DÉAUT vous avez la parole.

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député de Meurthe-et-Moselle

Je n'ai pas pu entendre les communications, mais j'ai également une question à l'attention de Monsieur le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ concernant le bioterrorisme. Je viens de rendre un rapport sur les biotechnologies en France en en Europe4. J'ai auditionné de nombreuses personnes, dont certaines sont à cette table, mais nous n'avions pas pu auditionner le Ministère des Armées. Toutes les personnes que nous avons vues déclaraient que nous n'étions pas préparés à une attaque bioterroriste. Les Américains consacrent 3 à 4 milliards de dollars par an, depuis le 11 septembre 2001, aux techniques de détection rapide car une attaque bioterroriste nécessite une réaction rapide. Je me suis rendu au Japon, aux États-Unis pour constater leurs actions. Les instances de notre pays, mais pas directement le Ministère des Armées, nous ont signalé qu'aucune demande n'avait été faite aux instances compétentes, à savoir les commissions de génie génétique et de génie biomoléculaire qui donnent les autorisations ; elles ont par ailleurs souligné que nous ne disposions pas de programme de recherche de niveau suffisant sur ce sujet. Elles ont également signalé qu'il n'existait pas d'harmonisation suffisante entre le Ministère des Armées, responsable de la sécurité de nos troupes, et le Ministère de l'Intérieur, responsable de la sécurité civile des citoyens. Cette question me paraît importante, je félicite Madame Marie-Christine BLANDIN et Monsieur Jean-Pierre DOOR qui vous ont invité à ce sujet.

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur le Général, vous avez la parole.

M. le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ

Vous posez la bonne question. Nous sommes aujourd'hui parés vis-à-vis du risque variole puisque nous disposons de stocks de vaccins suffisants pour protéger la population et parce que des exercices ont été réalisés ces deux dernières années en ce domaine. Nous sommes protégés, en cas de charbon, par les stocks d'antibiotiques que nous possédons. Votre question est importante puisque nous ne sommes pas prêts face à d'autres agents que nous ne connaissons pas, et la réactivité de nos systèmes de surveillance épidémiologique, de nos laboratoires, peut nous amener à prendre du retard. Prenons le cas de la variole, elle n'a plus été enseignée dans nos facultés durant des années, nous aurons certainement un retard diagnostique puisque nous penserons avant à la varicelle et non à la variole. Par ailleurs, nous ne sommes pas habitués à identifier très précocement des maladies à leur stade initial, on ne les identifie qu'une fois qu'elles sont réellement déclarées. Il existe un temps de latence entre les premiers symptômes et la déclaration qui peut être préjudiciable et occasionner des épidémies. Il est vrai que la recherche en France est éclatée, dans une même université des laboratoires peuvent travailler sur les mêmes agents et ne pas communiquer entre eux. Il existe une dichotomie entre la recherche publique et la recherche privée, entre les industriels et le public, entre la défense et le civil. Pour notre part, nous essayons de nous rapprocher de la recherche institutionnelle et avons des conventions avec l'Institut Pasteur sur le vaccin contre le charbon, et dans d'autres domaines. Nous devons multiplier ces actions si nous voulons être compétents et performants.

M. Jean-Pierre DOOR

Madame BRIOT désire poser une question.

Mme Maryvonne BRIOT

Ces réflexions tournent autour de la peur de ce qui risque d'arriver. Il me semble tout de même que l'épidémie de VIH génère des coûts justifiés parce que cette épidémie est mortelle. Dans le cadre du bioterrorisme, comme le souligne le Général, on ne peut pas prévoir des épidémies ou maladies que nous ne connaissons pas. Faut-il mettre des moyens énormes dans des plans de prévention de risques qui n'existent pas encore au risque de délaisser la prévention d'autres maladies avérées qui tuent chaque jour ? Je vous prie de pardonner cette réflexion quelque peu abrupte.

M. Jean-Pierre DOOR

Cela vient du cœur. Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY peut apporter une réponse.

M. le Professeur Philippe KOURILSKY

Je peux donner un élément de réponse en signalant que, dans de nombreux cas, le problème du bioterrorisme chevauche celui des maladies émergentes. Il est donc important d'y être préparé, quelles que soient les hypothèses : infection et propagation naturelle ou volontaire et agressive dans le cadre du terrorisme auquel répond la cellule d'urgence que nous avons développée. Si l'on regarde l'impact possible ou probable des processus de détection rapide des agents infectieux dans l'air ou dans l'eau, nous avons un marché civil énorme. C'est une des voies d'avenir de l'écologie scientifique et de l'écologie démocratique. Si nous avons les moyens de mesurer ou de mieux connaître notre environnement, cela aura un impact économique tout à fait considérable. Je pense qu'il existe d'excellentes raisons de s'engager dans ces voies.

M. Jean-Pierre DOOR

Monsieur le Général vous avez la parole.

Monsieur le Médecin Général Jean-Étienne TOUZÉ

Je partage tout à fait ce que dit le Professeur KOURILSKI. Les exercices qui ont été faits, les plans qui ont été établis ces dernières années pour la grippe et la variole serviront pour les maladies futures. Nous avons mis en place un réseau zonal, départemental, qui permettra de réagir. Les outils sont en place, ils sont adaptés à des germes que nous connaissons aujourd'hui, mais pourront être adaptés à de futurs agents. Il était important de faire ces exercices variole, de mettre en place des structures au niveau des départements et des préfectures car ces mesures serviront pour les prochains agents.

M. le Professeur LÉVY

Ce n'est pas de mettre des moyens sur des maladies que l'on ne connaît pas ou particulières qui importe. Il s'agit, au niveau de la détection, d'avoir une meilleure organisation entre les rares forces qui existent en France de détection d'urgence, il existe une dispersion complète qui nécessite un réel effort de coordination, notamment entre civils et militaires. Sans que cela soit une critique particulière, le fait est que chacun demeure dans son pré carré et ne s'occupe guère ou très peu des autres, c'est un problème d'organisation. Du côté de la recherche, c'est un problème de méthode, d'orientation vers certains problèmes sur lesquels il faut mener des actions particulières.

Une intervenante

Pour clore cette première partie, une réflexion et quelques questions. Quand Monsieur Philippe VANNIER pointe le fait que les sorties d'élevages, ou les petits élevages familiaux et non surveillés, représentent un risque de contamination entre les animaux et la faune sauvage ou bien entre les animaux et l'homme, j'ai besoin de savoir, en tant que politique, s'il s'agit d'un plaidoyer pour le tout confiné et s'il faut aller encore plu loin dans ces élevages industriels quasi-hospitaliers ou bien pour une surveillance meilleure. A Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY, je souhaite demander si nous disposons d'éléments concernant l'immunité acquise et sa durée par rapport à nos vaccinations d'enfance. La population adulte et âgée a-t-elle encore trace des anticorps qu'elle a reçus, avons-nous des éléments de santé publique à ce sujet ? A Monsieur Jean-Claude MANUGUERRA, je demande si les circonstances particulières du tsunami et l'apport de protéines par du poulet originaire du Viêt-Nam et de Thaïlande ont une incidence sur les populations de Thaïlande et d'Indonésie particulièrement précarisées, cela a-t-il été surveillé ? Les personnes ne voulaient plus manger de poisson censé avoir été en contact avec les cadavres, il a donc été procédé à des importations de poulet, et comme la glace avait été requise pour les cadavres, ces poulets étaient vivants. Cela a interpellé quelques chercheurs qui ont fait remonter leurs inquiétudes. A Monsieur Denis HOCH, qui plaide pour que l'absence de loi ne soit pas un frein à la recherche et à la mise au point de vaccins, ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu promouvoir des lois séparées, non pas sur les organismes génétiquement modifiés, mais séparant la notion de virus et cellules génétiquement modifiés à finalité de recherche de thérapie ou de prévention, et celle des plantes génétiquement modifiées à finalité agro-alimentaire qui touchent la volonté des Français pour leur assiette, alors qu'ils sont prêts à accepter des manipulations en matière de vaccins. Enfin, à l'attention du Professeur ALLEMAND, avons-nous une idée du coût des maladies infectieuses ?

Mme Marie-Christine BLANDIN

Nous balayons toutes les questions, ce que nous n'avons pas pensé à vous demander en privé apparaît maintenant.

M. Denis HOCH

En ce qui me concerne, la réponse est oui. La loi n'avait tout simplement pas prévu cette utilisation.

M. Philippe VANNIER

Madame la sénatrice, vous posez une question de fond. Permettez-moi de ne pas entrer dans un débat de société, ce qui n'est pas mon rôle, je dois vous alerter sur un certain nombre de situations épidémiologiques qui génèrent et créent le risque. Je dois distinguer pour répondre les petits élevages des élevages industriels. Nous constatons à l'heure actuelle une réémergence de brucellose, tuberculose, liées à un contact entre la faune sauvage, cervidés, sangliers, et la faune domestique bovine et porcine, qui créent un réel problème puisque la brucellose et la tuberculose ont été presque totalement éradiquées dans la population domestique animale après des décennies d'efforts. La contamination de la faune sauvage et les contacts avec la faune domestique créent un problème énorme de santé animale comme de santé publique. Cela est tout à fait typique de l'influenza aviaire, je me posais la question en compagnie de scientifiques américains et européens, pourquoi y a-t-il eu aux États-Unis, en Hollande et en Belgique l'année passée, des épidémies d'influenza aviaire ? Nous nous demandions pourquoi cela avait ressurgi. La réponse est relativement consensuelle parmi les spécialistes, c'est parce que l'on voit de plus en plus d'élevages en extérieur, avec des animaux en contact avec la faune sauvage. Les Hollandais ont presque imposé, pour certains élevages de palmipèdes ou volailles, une obligation de réintroduire les animaux à l'intérieur des bâtiments au moment du passage des oiseaux migrateurs afin d'éviter les contacts.

En revanche, l'élevage industriel a pour beaucoup, mais pas pour tous, un niveau de biosécurité important pour mesurer les mouvements incontrôlés de personnes en contact avec les animaux puis avec d'autres élevages, les mouvements d'animaux. Ces mesures de sécurité sont très importantes à imposer en termes de prévention à la fois du premier foyer et de dissémination entre élevages. Au niveau de l'élevage industriel, il existe également un risque épidémiologique à prendre en considération, nous avons même pour cela des modèles mathématiques. Le problème réside dans le grand nombre d'animaux dans un même site, lorsqu'il s'agit d'un problème pulmonaire - il faut bien différencier le tropisme des virus entre le digestif et le pulmonaire car le risque épidémiologique est différent -, et lorsque les poumons sont atteints par un virus, ou une bactérie, il y a une excrétion dans l'air et une aérosolisation qui amplifient le risque épidémique par transmission aérienne. Les virus peuvent alors se transmettre à de très longues distances, cela a été démontré pour la fièvre aphteuse, transmise à des distances de 250 kilomètres. Des modèles mathématiques permettent de prédire la transmission par voie aérienne. Dans un cadre industriel, plus le nombre d'animaux augmente, plus il y a amplification, mais un deuxième élément est important : la distance entre les élevages. Il s'agit d'un facteur essentiel, il n'existe aucune commune mesure entre les situations en Hollande et en Belgique par exemple, et les situations dans les zones de plus forte densité en France, comme la Bretagne. En Hollande et en Belgique, les distances entre deux élevages sont parfois d'un mètre seulement. Nous ne connaissons pas cette situation en France, mais plus la distance est courte, plus la probabilité d'atteinte d'un virus du foyer infectieux vers un autre élevage indemne est grande. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans des mesures de prévention et de biosécurité pour limiter la propagation de certains agents viraux.

M. Jean-Pierre DOOR

Je vous remercie. Monsieur le Professeur Philippe KOURILSKY vous avez la parole.

M. le Professeur Philippe KOURILSKY

Je rebondis sur cette intervention pour signaler qu'un point n'a pas été évoqué, le problème des presque 10 millions d'animaux de compagnie. Ce n'est pas un sujet très populaire, mais des contacts directs avec les humains peuvent être provoqués, et des contacts indirects puisque je ne crois pas que l'on ait mesuré l'impact sanitaire de nos trottoirs sur la santé des populations.

Quant à l'immunité acquise, elle est variable. Très longue dans le cas de la variole, avec des données rétrospectives qui indiquent des potentialités de protection jusqu'à 60-70 ans, soit une vie entière, mais cela dépend beaucoup des infections et des vaccins. C'est long pour la rougeole, la fièvre jaune, et nettement plus court pour d'autres vaccins. Cela est connu lorsque l'on a pu le mesurer. De façon expérimentale, lorsqu'un nouveau vaccin est mis en circulation, il s'écoule un temps durant lequel nous procédons à des mesures permettant de déterminer ce paramètre.

M. le Docteur Jean-Claude MANUGUERRA

En ce qui concerne le tsunami et l'importation de poulet vivant, la question se pose pour la Thaïlande et l'Indonésie, or une épizootie est déjà déclarée dans ces pays et en cours de développement. Au moins 8 provinces thaïlandaises sont déjà atteintes, il n'existe donc pas de problème d'introduction de virus sur un territoire indemne. Le problème se pose pour le Sri Lanka pour lequel il n'y a, à ma connaissance, pas de cas de grippe aviaire rapporté. Il est vrai, notamment pour le Sri Lanka, qu'après le tsunami, la consommation de poisson s'était arrêtée parce que des cadavres étaient présents dans l'eau et que cela s'apparentait à des cas d'anthropophagie selon l'imaginaire de la population. Durant un certain temps, le poisson n'a plus été consommé, d'autant plus que les pêcheurs n'avaient plus de bateau. Je ne pense pas que ces événements aient pu avoir un impact très fort en matière de grippe aviaire puisque le risque était préexistant. Il pourrait être amplifié par les déplacements de population, mais ils sont relativement limités en taille pour le Sri Lanka et la Thaïlande.

M. le Professeur ALLEMAND, Médecin conseil national de la Caisse nationale d'assurance maladie

Nous ne connaissons pas le coût global des maladies infectieuses, ni même celui de chaque pathologie, pour une raison simple, et bien que les bases de données de l'assurance maladie soient très riches, c'est que nous ne disposons pas du codage des pathologies. Nous ne savons pas quelles sont les pathologies derrière les soins que rembourse l'assurance maladie. Nous connaissons ce qui est remboursé en termes de biologie, de radiologie, de médicaments, mais nous ne pouvons rapporter ces renseignements à des pathologies. Nous pouvons connaître certains champs de consommation, nous connaissons par exemple le coût du dépistage de l'hépatite B, de l'hépatite C, du dépistage du Sida, cela peut se calculer, mais pas par coût global des pathologies infectieuses et par pathologies. Cela à quelques exceptions près lorsqu'une pathologie est liée à un médicament tout à fait spécifique, en repérant le médicament dans les bases de données, il est possible d'en déduire qu'une personne est certainement atteinte d'une pathologie particulière. Il est évident que lorsque l'on prend des antituberculeux, il existe de grandes chances que l'on soit atteint de tuberculose. Il est alors possible de rechercher tous les patients consommant des antituberculeux pour calculer leur consommation de soins annuelle et évaluer le coût de la pathologie. Il existe une deuxième approche qui n'est valable que pour le Sida et la tuberculose, car ces deux infections sont des infections dites de longue durée dont les soins sont pris en charge à 100 %, nous connaissons ces pathologies dont il est possible de calculer le coût, mais uniquement pour les personnes qui les déclarent.

M. Jean-Pierre DOOR

Nous reprenons nos travaux pour parler de la surveillance du risque puis de la politique de prévention. Je laisse Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER prendre place et le remercie d'être venu ce matin à notre réunion de travail. Au titre de Directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS), il va ouvrir le débat sur la surveillance du risque épidémique que nous évoquerons ensuite avec nos trois intervenants.

La surveillance du risque épidémique

M. le Professeur Gilles BRÜCKER, Directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS)

La surveillance est le métier de l'Institut de veille sanitaire puisque celui-ci a été créé par la loi de Sécurité sanitaire de 1998 afin de mettre en place des outils de surveillance que nécessite l'observation permanente de l'état de santé de la population. La loi de Santé publique d'août 2004 a précisé les missions de l'institut en signalant que celui-ci devait développer ces outils de surveillance et d'observation mais également d'alerte, les deux fonctions étant étroitement liées. La question est de définir quels sont les outils qui peuvent permettre d'exercer, de façon satisfaisante, cette mission qui ne peut qu'être pérenne. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'improviser tout à coup un système de surveillance face à un risque émergeant mais d'anticiper ces problèmes et de mettre en place un ensemble d'outils capables de surveiller les risques connus et d'identifier, d'anticiper les risques émergents. Cette partie est particulièrement complexe.

On devrait tout surveiller, c'est la loi. Tout surveiller, partout et tout le temps, est évidemment une gageure particulièrement complexe. Il faudrait non seulement surveiller tout ce que l'on pense devoir surveiller mais également tout ce que l'on ne sait pas que l'on doit surveiller. Ce propos, peut-être un peu caricatural mais réel, montre que nous avons besoin de mettre en place des outils qui doivent être adaptés à ce que l'on pense devoir surveiller. Il n'existe pas un outil qui surveille tout, partout et tout le temps. Il n'existe pas un médicament qui soigne toutes les maladies. La panacée n'existe pas. L'outil de surveillance adaptable à tous les risques n'existe pas non plus. Il faut donc modéliser des problèmes et construire un certain nombre d'outils de surveillance.

Il existe toute une série d'outils de surveillance dont certains sont anciens et d'autres émergents. Par exemple, je rappellerai l'importance du système dit « de la déclaration obligatoire des maladies » (25 maladies infectieuses et une maladie non infectieuse, le saturnisme). C'est un outil qui doit évoluer, s'adapter. Il y a deux ans, l'Institut de veille sanitaire a élargi la liste des maladies à déclaration obligatoire, en liaison avec les pouvoirs publics, pour y inclure ce dont nous débattons aujourd'hui : le risque du bioterrorisme. Elle a ainsi ajouté la variole, le charbon et un certain nombre d'autres risques émergents ainsi que des maladies importantes qui, jusqu'à présent, ne figuraient pas dans la liste des déclarations obligatoires (la séropositivité VIH et les hépatites B).

Ce système de la déclaration obligatoire est-il véritablement satisfaisant ? La réponse peut être mitigée parce que l'exhaustivité à laquelle il prétend n'est pas toujours présente et la mise en place de ces outils de surveillance nécessite évidemment l'adhésion des professionnels de la santé. C'est très bien de construire des outils mais si les personnes ne peuvent pas, ne savent pas ou n'ont pas le temps de s'en servir, cela ne fonctionne pas. Il est constaté que l'adhésion, en particulier des médecins, à ces systèmes de notification n'est pas parfaite. Pour la déclaration du VIH, il y a environ 30 % de sous-déclaration de l'affection. Pour la tuberculose, qui nécessite pourtant des interventions face à des risques de contagiosité, la sous-déclaration peut atteindre 40 à 50 %. Cela pose question sur la bonne capacité de ce système à répondre à son objectif.

Parallèlement à l'exhaustivité se pose le problème de la qualité de l'expertise microbiologique. Un outil de surveillance sur les maladies infectieuses est performant sur l'identification du risque épidémique dès lors que nous disposons de laboratoires performants pour : identifier le type d'agent ; identifier que les cas groupés observés sont effectivement atteints par le même type d'agent ; éventuellement retrouver dans l'environnement la source commune de contamination.

Je citerai deux exemples intéressants. Ainsi que ce fut le cas il y a deux ans, nous sommes aujourd'hui capables d'identifier cinq cas de listériose dispersés sur le territoire national ; nous sommes capables de déterminer que c'est exactement la même souche qui les a contaminés ; et nous sommes capables de remonter à l'aliment qui les a contaminés et de trouver la même Listeria chez le producteur de l'aliment. Ceci permet une intervention extraordinairement précoce de l'autorité sanitaire pour faire prendre l'ensemble des mesures qui arrêteront la diffusion. Je voudrais souligner qu'un certain nombre d'outils permettent aujourd'hui de déceler des situations épidémiques qui ne sont pas des épidémies telles qu'on l'entend communément avec des centaines ou des milliers de cas mais qui se limitent à quelques cas et d'identifier la source de contamination.

Le second exemple concerne la légionellose et la récente épidémie très importante dans le Nord-Pas-de-Calais. En caractérisant précisément la légionelle en cause, nous avions trouvé des cas jusqu'à dix kilomètres de la source. D'autre part, nous avions pu identifier de façon assez formelle la tour aéroréfrigérante qui était à l'origine de cette épidémie ; faire prendre l'ensemble des mesures pour que l'épidémie cesse ; et faire renforcer par ailleurs le contrôle environnemental sur ce type de source. La surveillance de la maladie, l'identification du caractère groupé de ces cas, le rapprochement avec une source environnementale ont permis de prendre des mesures pour contrôler l'épidémie et de prévenir de nouvelles épidémies par le renforcement du contrôle des tours aéroréfrigérantes.

Cela démontre l'importance de ce système qui ne répond toutefois pas à tous les besoins. Parallèlement au système des déclarations obligatoires des maladies, il est nécessaire de construire des réseaux de surveillance qui soient adaptés aux types de pathologies sur lesquelles on souhaite être alertés. Si on veut surveiller les infections nosocomiales, on le fera dans les hôpitaux et ce sera évidemment plutôt un réseau hospitalier. Si on veut surveiller une maladie comme la grippe (dont on a beaucoup parlé la semaine dernière), il faut évidemment des réseaux de médecins libéraux pour tracer l'évolution de cette épidémie puisque la grippe se rencontre surtout en médecine libérale. C'est le rôle qui a été tenu à la fois par les réseaux des médecins sentinelles et les réseaux GROG.

Il existe également d'autres outils. Les réseaux doivent parfois être complétés par des enquêtes de prévalence dans la population. Il y a 48 heures, conjointement avec la Caisse nationale d'assurance-maladie - je salue d'ailleurs Hubert ALLEMAND -, nous avons pu mener un travail sur la prévalence des hépatites B et C dans la population. Cela nous a permis de mesurer que l'évolution de la situation est très différente selon l'hépatite et qu'il y a beaucoup plus de porteurs chroniques du virus de l'hépatite B dans la population que nous l'estimions il y a une dizaine d'années. Il ne faut certainement pas parler d'épidémie mais d'une progression, d'une situation endémique. Ces enquêtes peuvent donc s'ajouter aux autres outils existants.

Ce qui nous préoccupe tout particulièrement dans la mise en place de ces outils, c'est notre capacité à déceler les nouveaux agents émergents. Le SRAS a été un exemple tout à fait important à prendre en compte et à analyser. Le problème du SRAS est que l'on ne pouvait pas décider de le surveiller puisqu'il n'était pas connu. Ceci conduit à s'interroger sur le fait de ne pas surveiller uniquement des maladies connues mais également des situations épidémiques symptomatiques qui sont atypiques ou qui posent problème. De ce point de vue, l'épidémie de pneumopathie en Chine a été extrêmement importante. On constatait qu'il se passait quelque chose d'anormal qui avait initialement été attribué à une épidémie de chlamydiae par les autorités chinoises. Il paraissait toutefois extrêmement bizarre que des pneumopathies à chlamydiae prennent ce caractère épidémique et il s'agissait effectivement d'un agent nouveau, d'un coronavirus agent du SRAS. Ceci démontre que l'on ne peut pas surveiller uniquement des maladies ou des agents pathogènes connus mais qu'il faut aussi être capable de mettre en place des outils de surveillance de syndromes qui posent problème parce qu'ils sont atypiques et que leur développement soulève des questions nouvelles.

Je pense que Guénaël RODIER parlera de la très grande importance du règlement sanitaire international rénové qui vise non pas seulement à surveiller des agents pathogènes identifiés (je sais que le débat est encore assez vif sur ce sujet) mais à être étendu à une surveillance par états morbides posant des problèmes de transmissibilité ou de santé publique qui nécessitent la mise en place d'une alerte internationale. Il y va évidemment du SRAS comme il peut en aller de la grippe aviaire. Celle-ci a déjà été évoquée avec les questions qui se posent sur le risque de survenue d'une épidémie humaine. Cela permet de souligner l'importance de la coopération internationale sur ces sujets. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus construire des outils de veille sanitaire fermés sur nos frontières, cela n'aurait aucun sens.

Il faut évidemment des outils nationaux mais également des outils régionaux. La loi de Santé publique a prévu une régionalisation des actions de santé et la mise en place des actions de veille et d'alerte sanitaire au niveau régional. Je pense que c'est un point extrêmement important mais qui n'est pas encore complètement réglé dans son organisation. Quelle sera l'articulation entre le régional et le national ? Quels seront les outils de recueil d'information qui pourront être mis en place au niveau régional ? Il va de soi que le traitement de l'information pose aujourd'hui le problème des systèmes d'information dont il ne faut pas masquer le retard important.

Afin de surveiller l'évolution de la situation sanitaire sans forcément connaître l'agent que nous voulons surveiller, l'Institut de veille sanitaire a tenté de mettre en place un système qui surveille les flux de patients dans les services d'urgence en France. On se souvient de la canicule et des importants problèmes rencontrés pour mesurer l'ampleur du phénomène qui atteignait les services d'urgence. Nous avons alors réalisé un important travail de recensement de l'état des systèmes informatiques dans les hôpitaux et constaté que la compatibilité des systèmes entre eux est une catastrophe. Les rendre cohérents est une difficulté majeure. Pour l'instant, nous sommes parvenus à élaborer un système avec seulement 32 hôpitaux. Ce n'est pas un score admirable mais c'est déjà très intéressant. Lors du développement de l'épidémie de grippe que nous avons connue la semaine dernière, nous avons pu voir surgir une suractivité dans les services d'urgence qui était mesurable par ces systèmes d'information. Il est important de souligner que nous ne saurons pas gérer l'émergence de phénomènes de grande ampleur sans avoir véritablement des outils informatisés de transmission qui soient sécurisés et respectent la confidentialité des données. C'est un défi majeur.

Tout ceci suppose de pouvoir anticiper les risques nouveaux et les modéliser. Sur le risque de la grippe aviaire, nous avons travaillé sur les conséquences possibles de l'émergence d'une situation épidémique de grippe à partir d'un virus aviaire muté, recombiné avec un virus humain. Cette anticipation pose ensuite le problème de l'organisation sanitaire qu'il faudrait pouvoir mettre en œuvre face à un risque aussi important.

L'élément clef, c'est qu'il est indispensable qu'il y ait un opérateur qui soit le chef d'orchestre de la vaste diversité des systèmes d'information. Je plaide évidemment pour ce rôle à l'Institut de veille sanitaire, tel que le lui a d'ailleurs confié la loi. Je pense que c'est une décision sage qui a été prise de telle façon qu'à la complexité de ces systèmes nous n'ajoutions pas la complexité de la diversité des opérateurs, ce qui, à mon sens, rendrait les choses encore plus difficiles à gérer.

Je conclurai sur les quelques points qui m'ont semblé essentiels à prendre en compte dans les risques qui sont devant nous. Je voudrais souligner l'importance de former les professionnels en charge de ces signalements car les délais sont encore parfois trop importants entre l'identification des cas et le signalement à l'autorité sanitaire. L'organisation doit ainsi être capable de fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C'est un défi et une exigence dont on ne peut pas se passer.

Deuxièmement, dans ce contexte de la sécurité sanitaire et de la surveillance du risque épidémique, il faut non seulement travailler au niveau régional mais bien sûr au niveau européen et mondial. Je voudrais saluer ici le développement des actions particulièrement importantes qui ont été conduites par l'OMS. L'Institut de veille sanitaire a d'ailleurs adhéré à ces démarches, en particulier aux réseaux supranationaux de surveillance (notamment le Global outbreak network system). Je soulignerai également la mise en place il y a quelques mois de l'Agence européenne de surveillance des maladies (désormais appelée le CDC à Stockholm) qui a devant elle une tâche gigantesque majeure : construire un système de surveillance européen avec l'Europe des 25 (et certainement davantage bientôt). Il faudra là aussi aboutir à une cohérence des systèmes d'information. Le défi est très important compte tenu des développements extrêmement divers de ces systèmes de sécurité sanitaire pour les différents membres de l'Union européenne.

Troisièmement, il est important de développer la recherche, non seulement en matière de modélisation mais en termes d'expertises microbiologiques. La diversité des risques émergents et le problème du franchissement de la barrière des espèces (c'est-à-dire les maladies de l'animal qui peuvent un jour passer chez l'homme) nécessitent un renforcement de nos capacités de recherche dans le domaine de la biologie. Je pense que c'est un point essentiel.

Enfin, dans la construction de ce système mondial, il ne faudra pas oublier les pays en développement qui représentent une population considérable et des risques émergents tout à fait importants. On ne peut pas imaginer construire au sein des pays développés des systèmes de surveillance qui ne prendraient pas en compte la réalité de ces problèmes dans les pays en développement. Nous avons donc une responsabilité à partager avec les pays où ces risques existent et où il faut pouvoir les traiter, non seulement parce qu'ils peuvent venir chez nous mais aussi tout simplement parce qu'ils existent chez eux.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci beaucoup pour cet exposé très complet et riche en recommandations très ciblées que nous prendrons en compte.

Je passe la parole à Monsieur Guénaël RODIER qui est le Directeur du Département surveillance et réponse aux épidémies de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

M. Guénaël RODIER, Directeur du Département surveillance et réponse aux épidémies de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)

Il est toujours difficile d'intervenir après Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER qui a dit beaucoup de choses. Je vous remercie de m'avoir invité afin de donner une perspective internationale, qui a déjà été évoquée par plusieurs intervenants, parce que nous avons clairement affaire à un domaine qui ne connaît pas de frontières.

Il a fallu attendre 1995 pour que la communauté internationale demande à l'OMS de consacrer l'un de ses départements aux maladies et aux épidémies émergentes. C'était un changement de stratégie par rapport à la tradition de toujours, associer une maladie connue et un programme (tuberculose, paludisme, etc.). Pour la première fois, un département s'intéresse au dynamisme microbien en général et essaie de repérer ce qui peut survenir. Aux États-Unis, l'Institut de médecine avait souligné dès 1991 l'importance du dynamisme microbien. L'émergence du Sida et de la légionellose ont été évoquées précédemment. Il a fallu attendre presque quinze ans pour que l'on comprenne qu'il fallait bien sûr des programmes spécifiques mais que le monde microbien était dynamique et qu'il fallait regarder autour de soi en ayant des activités de surveillance au-delà des maladies très connues.

Le risque épidémique est universel. Tous les pays connaissent des épidémies. Même les pays développés ont leurs propres épidémies internes. Je précise cela parce qu'on a souvent le sentiment que ce sont les pays en développement qui exportent leurs épidémies. L'épidémie de « vache folle » n'est pas née ailleurs mais en Europe. C'est un peu comme les accidents de la route : ils existent partout même s'ils sont un peu différents selon les pays.

Le risque épidémique est croissant. Les risques naturels, voire le risque d'origine délibérée, ont été clairement mentionnés précédemment. Je voudrais insister sur un autre risque : le risque accidentel. Des laboratoires a priori performants sont de plus en plus confrontés à des accidents de bio sécurité. Les derniers cas de SRAS en sont un bon exemple.

Les activités de surveillance, voire de recherche, connaissent un accroissement considérable. Beaucoup de choses sont aujourd'hui possibles à petite échelle du fait de la miniaturisation des biotechnologies. Il y a également un accroissement de la circulation d'agents infectieux pour les besoins du diagnostic ou de la recherche. Au plan international, la mondialisation-globalisation entraîne une augmentation des échanges en tout genre.

J'insisterai aussi sur l'aspect transversal du risque. On a mentionné l'aspect de la santé et de l'agriculture mais je soulignerai également celui de l'économie. C'est un problème pour les économies, pour la sécurité. Un coût économique considérable est associé aux épidémies et je pense qu'il ne faut pas laisser le secteur de la santé faire face seul à ce risque.

Il y a également un accroissement de la vulnérabilité parce que la population de la planète est plus nombreuse et plus âgée donc plus fragile. Elle est également de plus en plus urbanisée, ce qui entraîne une plus grande promiscuité.

De nombreuses personnes font de la surveillance mais c'est un métier en soi, qui n'est peut-être pas très bien développé. Tous les pays ne disposent pas d'expertise en surveillance, notamment de manière générique. C'est également une activité qui ne se conçoit pas sans une capacité de réponse. Il est inutile de créer un « numéro vert » pour comprendre ce qui se passe s'il n'y a pas un camion de pompiers à proximité et prêt à partir. Un des problèmes fondamentaux de la surveillance est que celle-ci s'éteint toute seule si une réponse n'est pas apportée aux rapports qui sont proposés. En pratique, cela signifie qu'il faut des systèmes d'alerte et de réponse précoce qui ne soient pas ciblés sur une maladie particulière mais qui s'intéressent à tout. Ce sont des systèmes propres qui font partie des éventuelles activités de surveillance nationale spécifiques mais il y a une complémentarité entre le générique et le spécifique. Par exemple, au début de l'épidémie du SRAS, on s'est beaucoup appuyé sur des activités de surveillance spécifique et des réseaux préexistants qu'étaient les réseaux de la grippe au plan international afin de disposer de leurs savoir-faire.

Ces capacités dans les pays seront une exigence du règlement sanitaire international. J'en profite pour mentionner que l'OMS dispose à Lyon d'un bureau dédié au renforcement de la capacité dans les pays. Si l'OMS effectue déjà cette surveillance sur les activités génériques, de plus en plus de pays le font également. La première de ces activités génériques est le renseignement épidémique. C'est un peu nouveau. Ainsi que cela a été dit précédemment, on ne peut pas tout surveiller alors il faut veiller à recueillir l'information qui existe déjà (celle apportée par les acteurs de la communauté tels que les journalistes) et la vérifier avec les pays concernés. Il existe aujourd'hui un réseau considérable de journalistes sur la planète dont le métier est de rapporter rapidement des événements. Je les en remercie parce que cela nous est utile. Ces événements ne sont pas toujours bien étiquetés mais, même dans le milieu du journalisme, il y a de plus en plus d'experts dans le domaine de la santé. Les médias représentent aujourd'hui 40 % des premières sources d'information dans le domaine du renseignement épidémique. Il ne faut pas non plus oublier le secteur privé qui est présent dans quasiment tous les pays, même les pays en développement, et qui représente environ 30 % des sources d'information. En Inde, plus de 50 % des soins de santé sont proposés par le secteur privé. Dans certaines régions telles que l'Afrique subsaharienne, les ONG sont très présentes. Par ailleurs, le secteur public représente environ un tiers des soins de santé. Le réseau propre de l'OMS est constitué de 6 bureaux régionaux et de 141 bureaux dans les pays. Tout cela nous permet de récolter une information que nous vérifions ensuite avec les états membres. Entre 2001 et 2004, nous avons reçu plusieurs milliers de rapports. 1 315 ont fait l'objet de vérifications auprès des états membres et 849 ont été totalement évalués. Une réponse a été fournie par l'OMS dans 150 cas et il a fallu mettre sur pied des équipes internationales 30 fois pour assister 26 pays.

A l'international, l'OMS joue son rôle normatif en indiquant sur son site Internet ce qu'il faut par exemple faire par rapport au SRAS, etc. L'OMS ne dispose pas de nombreux experts mais s'appuie sur un réseau international d'experts (en France, ils se trouvent à l'Institut Pasteur, à l'InVS, au Pharo, etc.). C'est en fait une petite entité qui fonctionne avec de nombreux réseaux. Par ailleurs, il nous est de plus en plus demandé d'être présent sur le terrain et de jouer un rôle de coordination. Lors de la plus grande épidémie d'Ebola au nord de l'Ouganda, je me souviens qu'un journaliste m'avait demandé quel serait le plus grand défi auquel nous aurions à faire face. Il pensait que j'allais lui parler du virus mais j'ai évoqué la coordination, parce que je pense que c'est là que réside le nœud du problème.

En ce qui concerne la réponse, qui est extrêmement importante, l'OMS a mis sur pied des infrastructures à Genève et c'est en cours dans les régions. Il s'agit essentiellement d'infrastructures de communication (vidéo, téléphone, etc.) de manière à pouvoir intervenir rapidement au plan international. Depuis bientôt cinq ans, il a également créé le réseau mondial d'alerte et de réponse aux épidémies qui s'appuie sur environ 120 institutions (dont l'Institut Pasteur, l'InVS, le Pharo en France). C'est un réseau de réseaux purement technique mais qui permet de récupérer très rapidement des experts après une demande d'assistance. Il s'agit non seulement d'experts dans leur domaine mais ceux-ci peuvent également parler la langue dont nous avons besoin ou connaître la zone où le problème se pose. Enfin, l'OMS a également mis sur pied des stocks internationaux en propre, relativement modestes, avec l'aide de l'industrie (notamment de Sanofi Pasteur) qui concernent par exemple la méningite, la fièvre jaune, la variole et la poliomyélite (pour la période de post-éradication). Le stock de l'OMS est petit (par exemple pour la variole) mais les pays s'engagent à mettre une partie de leur stock national à la disposition de l'organisation. Cela concerne aujourd'hui peu de pays.

Dans mon département, nous abordons le problème de la surveillance sur ce partenariat international. Je tiens à mentionner une fois encore le rôle du secteur privé et de l'industrie. Sans vaccins et sans médicaments, la santé publique se trouverait un peu démunie. Les ONG, les autres agences des Nations unies (notamment la FAO) et les autres organisations internationales (telles que l'OIE) sont également importantes. Toutes ces structures ont besoin de fonctionner ensemble grâce à un partenariat.

Il y a trois directions stratégiques et techniques pour prendre en charge ces problèmes :

Faire face aux risques connus

Les grands risques connus dont mon département s'occupe directement sont la grippe, le bioterrorisme, la méningite, la fièvre jaune, les fièvres hémorragiques africaines, etc. La grippe est un élément important puisque les vaccins sont modifiés chaque année. Un réseau international de laboratoires et de centres nationaux de référence collecte les souches qui circulent et permet ainsi d'obtenir un vaccin différent chaque année aussi bien dans l'hémisphère Nord que dans l'hémisphère Sud. Chaque maladie dispose souvent de son propre réseau, plus ou moins solide, au plan international.

Etre capable de faire face à l'imprévu

Nous avons beau établir une liste de tout ce que nous connaissons, l'expérience nous a montré au fil des 20 dernières années que nous ne savons toujours pas ce qui va arriver. Il faut donc être prêt, d'où l'importance de l'activité de renseignement épidémique et des capacités de réponses génériques qui sont en place.

Renforcer les capacités nationales

C'est l'un des efforts importants de l'OMS. Il a été indiqué précédemment que la planète est constituée de nombreux autres pays qui ont des besoins très importants en termes de système d'alerte et de réponse et qui sont souvent les plus exposés aux risques infectieux.

Le règlement sanitaire international qui existe aujourd'hui est complètement obsolète pour diverses raisons. Il s'occupe du choléra, de la peste et de la fièvre jaune. Tous les agents infectieux majeurs auxquels vous pouvez penser ne sont souvent tout simplement pas pris en compte. D'autre part, c'est un document qui se suffit aujourd'hui à lui-même et qui n'a pas cet aspect opérationnel. Il est proposé d'en réviser les points-clés. Pour information, la deuxième réunion d'un groupe de travail intergouvernemental qui regroupe 150 pays (dont la France) débutera demain à Genève pour discuter de ce règlement sanitaire international.

Le premier point-clé est que le champ d'application sera a priori beaucoup plus large que les trois maladies que j'ai citées (ce seront les états membres qui le définiront). Il s'intéressera aux urgences de santé publique à portée internationale. Cela peut regrouper beaucoup de choses. Il faut savoir que lorsqu'il y a une urgence de santé publique parce qu'un symptôme se déclenche quelque part, on ne sait pas forcément d'emblée s'il s'agit d'un agent infectieux ou non, d'un agent chimique ou d'autre chose.

Le deuxième point-clé est que le règlement sera opérationnel, c'est-à-dire qu'il s'appuiera sur des opérations à l'OMS et dans les pays. Chaque pays devra avoir un point focal d'interface opérationnelle avec l'OMS pour faire face à des urgences. Cela a été un peu testé au moment du SRAS puisque nous avions déjà quelques points focaux.

Enfin, il s'agira de placer les événements dans leur contexte et d'apporter des réponses sur mesure en s'appuyant sur une expertise internationale. Un cas de choléra en Afrique subsaharienne n'est pas la même chose qu'un cas de choléra à Genève. On peut retrouver des cas de paludisme à Paris. Aujourd'hui, tout se mélange mais il n'y a pas toujours un potentiel de catastrophe.

Parmi les initiatives internationales mais régionales existantes, j'en mentionnerai une parce que la dernière réunion s'est tenue à Paris en décembre dernier : le Global Health Security Action Group qui est une initiative du G7 et du Mexique. À l'origine, il s'intéressait beaucoup au bioterrorisme sous l'angle de la variole. Aujourd'hui, il s'intéresse surtout à la grippe en termes de grande menace internationale. D'autres initiatives régionales existent telles que le CDC européen. Je pense que nous en sommes aux prémices d'efforts à long terme, aux balbutiements de la prise en compte du risque posé par les agents infectieux et par leur dynamisme.

Le niveau des investissements actuels dans les différents pays est certainement très insuffisant, en particulier s'il s'agit d'un problème qui a un fort impact sur l'économie et la sécurité. Le SRAS a coûté 50 milliards de dollars aux économies ; la fièvre aphteuse (qui est un cas un peu à part) 30 milliards de dollars ; la « vache folle » 12 à 13 milliards de dollars et la grippe aviaire coûte déjà 10 milliards de dollars. L'investissement de santé publique se situe très en dessous du seul milliard de dollars au niveau global. Je répète que si la santé publique doit faire face seule à un risque aussi important et à des investissements qui sont hors du contexte coût/efficacité mais qui sont des investissements de nature sécuritaire, il faudra se poser la question de ce qu'il faut faire au niveau politique. Il faut être conscient que lorsqu'il y a une épidémie, le ministre de la Santé se retrouve sur la ligne de front mais le Premier ministre également, voire le Président. J'ai constaté cela dans quasiment tous les pays.

D'autres choses sont insuffisantes. Nous avons certainement perdu la culture infectieuse, la culture de l'hygiène. Autrefois on apprenait à se laver les mains avant de passer à table et je pense que cela ne se pratique plus beaucoup. Il y a également un défaut d'expertise générique ; c'est un savoir-faire que tout le monde n'a pas. Le problème de l'industrie a par ailleurs été mentionné. Effectivement, certaines maladies existent toujours mais ne représentent plus des marchés très intéressants. Des transferts technologiques se font sur l'Inde ou le Brésil pour le développement de vaccins ou de produits tels que le chloramphénicol qui est toujours très utile dans la méningite. Certaines choses tendent ainsi à disparaître alors qu'on en a toujours besoin. Je soulignerai également l'importance de faire des exercices parce que c'est souvent le meilleur moyen de mettre en évidence les vrais problèmes et d'engager les politiques sur la mise en évidence de ces manques dans notre préparation.

Je pense que le risque n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui, notamment du fait du risque de recombinaison du fameux virus H5 N1 avec un virus humain. Il suffit qu'une cellule soit infectée par les deux virus à la fois pour que les choses se combinent. Tout ne donnera pas naissance à un virus dramatique mais ce dernier est une éventualité.

Pour terminer sur les difficultés, j'indiquerai que la surveillance se « vend » mal parce que ce n'est qu'un moyen et non pas une destination en soi. Il est difficile d'engager les politiques et le public sur l'importance de la surveillance. Celle-ci contribue toutefois à la sécurité sanitaire mondiale sur laquelle je pense que les politiques et le public sont engagés.

Je conclurai en insistant sur le grand défi qu'est la coordination, tant pour l'international que le transversal. Merci.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Monsieur RODIER. Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a évoqué précédemment la nécessité de développer les systèmes d'information et de mettre en place des outils de surveillance sanitaire, en particulier au niveau régional. Je pense que le Groupement régional d'observation de la grippe (GROG) en est un exemple grandeur nature. Ce groupement existe depuis plus de quinze ans et est bien connu sur le plan local et régional puisqu'il intègre les médecins généralistes. Madame MOSNIER, je souhaite que vous puissiez nous expliquer un peu le fonctionnement de ces groupes régionaux.

Mme le Docteur Anne MOSNIER, groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG)

Je tiens tout d'abord à remercier les organisateurs de m'avoir donné l'opportunité d'intervenir parmi des orateurs prestigieux. Je suis médecin généraliste de formation et également épidémiologiste. Je coordonne les GROG depuis plus de quinze ans aux côtés du Docteur COHEN qui vous demande de bien vouloir l'excuser aujourd'hui. C'est probablement ma connaissance de cette surveillance épidémiologique sur le terrain des soins primaires qui peut justifier ma contribution aujourd'hui.

J'essaierai rapidement de vous convaincre - Monsieur le Professeur BRÜCKER et Monsieur RODIER l'ont déjà un peu fait - qu'il ne faut pas oublier les médecins généralistes et les acteurs de terrain dans cette surveillance. Cela a peu été évoqué au cours de la première partie de la matinée. J'utiliserai l'exemple des GROG qui existent depuis plus de vingt ans et sont un bon exemple de la participation des acteurs de première ligne de soins pour un réseau spécifique d'une surveillance qui a depuis montré sa capacité à fonctionner. En 1984, la grippe devait être surveillée à la demande de l'OMS et les GROG ont alors été créés pour constituer un réseau d'alerte et de surveillance des épidémies de grippe. La grippe est une maladie épidémique connue mais également très imprévisible et c'est une maladie virale communautaire. Paradoxalement, la seule surveillance qui existait alors en France se trouvait à l'hôpital et portait donc sur un petit nombre de cas hospitalisés, ce qui donnait une très mauvaise image de ce qui pouvait se passer dans la population globale.

La mise en place des GROG a donc reposé sur le constat que les médecins de première ligne et les autres soignants de ville étaient les premiers recours face à ce type d'épidémie puisqu'ils sont les plus proches de la population. Dans ce sens, l'organisation des GROG a donc été assez originale et visionnaire par rapport à tout ce qui a été dit en première partie de matinée. Elle s'est appuyée sur un réseau pluridisciplinaire qui regroupe aujourd'hui plus de 500 médecins généralistes, des pédiatres, des médecins militaires (dans un lien très fort avec le système militaire d'observation de la grippe), des médecins de services d'urgence, des pharmaciens d'officines. Ces véritables vigies sont réparties dans toutes les régions françaises et guettent l'arrivée des virus grippaux sur le territoire. La mise en place immédiate d'une collaboration très originale avec les centres nationaux de référence et la possibilité pour les médecins généralistes de faire des prélèvements analysés dans des laboratoires très spécialisés ont permis de faire du GROG un réseau d'alerte spécifique pour la grippe qui permet de caractériser très tôt l'arrivée du virus sur le territoire, de valider l'adéquation avec le vaccin et de participer au choix de l'élaboration des vaccins qui est effectuée à l'OMS chaque année. De même que les petites rivières font les grands fleuves, le recueil coordonné et l'analyse d'informations très ciblées émanant de ces observateurs - qui paraissent peut-être un peu isolés (le médecin généraliste dans son cabinet, le pharmacien dans son officine) mais qui ont aussi l'avantage d'être disséminés sur le territoire et d'être au contact de la population - permet d'avoir une vision très claire de ce qui se passe. Ainsi, depuis vingt ans, le travail des vigies GROG, qui est coordonné à l'échelon régional et à l'échelon national, a permis d'annoncer de façon fiable l'arrivée des épidémies de grippe et a donc participé activement au choix de l'OMS pour l'élaboration du vaccin en passant par l'intermédiaire des centres de référence « grippe ». Pour la grippe, ce modèle de surveillance spécifique, clinique et virologique, a été retenu à l'échelon européen et les GROG représentent la France dans le réseau European Influenza Surveillance Scheme (EISS).

Nous ne pouvons pas nous arrêter à la grippe, même si nous en avons beaucoup parlé ce matin, parce que d'autres choses peuvent arriver. Il faut voir dans ce réseau un incomparable outil d'alerte face à des menaces épidémiques attendues ou à l'émergence de pathologies à potentiel épidémique. Ainsi que je l'ai dit précédemment, les soignants de ville sont au plus près de la population et donc bien placés pour savoir ce qui s'y passe. En choisissant de participer à des réseaux de surveillance, ils acquièrent une sensibilité particulière aux problématiques communautaires et de santé publique. Les vigies des GROG sont formées et équipées de matériels de prélèvements qui ont montré leur intérêt à plusieurs reprises. Cela leur permet de faire des prélèvements à la recherche d'agents infectieux respiratoires dans des cas un peu particuliers. Le retour d'informations qui est transmis à ces vigies de façon hebdomadaire par l'intermédiaire d'un bulletin peut également être un outil précieux de diffusion de signaux d'alerte et de messages auprès des soignants.

La structure régionalisée (dont Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a parlé précédemment) permet d'entretenir partout en France un véritable réseau de proximité qui peut être sollicité et adapté en cas de besoin. En cas de crise, les relais régionaux (dans chaque région) servent d'intermédiaires actifs entre le demandeur quel qu'il soit et le soignant. Cette validation de la demande limite la multiplication des sollicitations parce que cela peut également entraîner un danger. Si on commence à demander aux médecins généralistes de signaler tout ce qu'ils voient d'un peu étonnant, je pense que de nombreux signaux d'alerte arriveront dans tous les sens et que les médecins seront un peu débordés. Le passage obligatoire de toute demande extérieure par ces relais assure aux acteurs du réseau une véritable maîtrise d'œuvre de leur système de surveillance et entraîne un accueil sans suspicion des demandes qui émanent de leur coordination.

De fait, les GROG ne se limitent pas à la grippe. Au fil des années, la surveillance s'étend peu à peu à d'autres agents respiratoires (le système européen a fait la même chose). Cette évolution permet en particulier de diffuser une information plus complète aux soignants et, dans un deuxième temps, à la population. Cela favorise notamment le bon usage des antibiotiques dans les infections respiratoires dont on sait qu'elles sont l'objet d'un gâchis d'antibiotiques très important en France. Les GROG ont également prouvé leur potentiel de réactivité en cas de crise inattendue. Le travail réalisé depuis de nombreuses années a montré tout son intérêt au moment du SRAS puisque nous avons été convoqués en même temps que d'autres systèmes à la DGS devant la crainte d'une pandémie grippale débutante au début du SRAS. Les GROG ont été les seuls acteurs capables de trouver immédiatement aux quatre coins du territoire français des médecins généralistes qui étaient équipés et formés pour pouvoir réaliser, dans un premier temps, des prélèvements respiratoires sur les soignants qui revenaient de l'hôpital d'Hanoi et qui avaient été en contact avec des patients malades et, dans un deuxième temps, pour assurer le suivi médical des personnes mises en quarantaine. Tout cela s'est déroulé dans le respect des consignes et en relation étroite avec leur coordination mais aussi avec les autorités de santé.

Cet outil est évolutif. À l'heure où l'on parle beaucoup de médecin traitant, de dossier médical partagé et du formidable outil de communication que représente Internet, il paraît évident que le médecin traitant qui sera le plus souvent un médecin généraliste doit être la porte d'entrée incontournable de l'observation de ces maladies, de ces phénomènes et de ces syndromes dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Aujourd'hui, la notion de risque épidémique est profondément ancrée dans la population qui ne sait pas toujours ce dont il s'agit mais qui attend des réponses claires et coordonnées à chaque alerte.

Il ne faut pas indéfiniment créer des réseaux de surveillance pathologie par pathologie, risque par risque, sous peine de se retrouver rapidement dans une situation de type « désert des Tartares » qui va émousser l'attention des observateurs et les démobiliser. En incitant et en favorisant la participation active des médecins généralistes et des soignants de ville à des réseaux existants, évolutifs et réactifs (du type GROG), les autorités de santé s'adjoignent des partenaires clés dans la surveillance du risque épidémique. Dans ce sens, on ne peut que se réjouir de la signature récente de la convention de partenariat entre les GROG et l'Institut de veille sanitaire.

Je tiens toutefois à signaler que cet outil est fragile. Les médecins généralistes ont bien sûr un rôle majeur à jouer dans l'alerte épidémique et le fonctionnement des réseaux de type GROG doit être protégé. Pourtant, depuis vingt ans, nous peinons beaucoup pour trouver les financements qui nous permettent de vivre de façon pérenne sans être contraint d'utiliser constamment des « bouts de ficelles » pour parvenir à faire fonctionner ce réseau. Pour un médecin généraliste dans son cabinet, la participation à un réseau de surveillance doit s'intégrer dans son activité, être reconnue et recevoir une juste rémunération. Si pour le médecin généraliste, c'est un moyen de rester informé, de se former et de mieux prendre conscience des problématiques épidémiques et de santé publique, c'est aussi une charge de travail supplémentaire qui doit être reconnue. L'évolution de la démographie médicale et la conjoncture actuelle de la médecine générale tendent à rendre rares et précieux les soignants qui sont volontaires pour jouer ce rôle de vigie.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci pour votre concision. Nous ne manquerons pas de faire remonter cette alerte. Vous faites partie des initiatives de terrain que tout le monde approuve et cite, mais dont on ne se rend pas toujours compte à quel point elles sont parfois fragilisées par un manque de soutien en espèces sonnantes et trébuchantes.

Après avoir entendu les partenaires de la surveillance du risque épidémique, nous passons aux politiques de prévention de ce risque épidémique en commençant par la Direction générale de la santé et le Docteur Yves COQUIN.

La politique de prévention du risque épidémique

M. Yves COQUIN, Direction générale de la santé

Je vous prie tout d'abord d'excuser le Professeur DAB, dont je suis l'adjoint, qui n'a pu se libérer et qui m'a demandé d'intervenir à sa place sur ce thème.

Je ferai observer en préambule que le risque épidémique n'est pas l'apanage des agents microbiens transmissibles mais qu'il existe aussi une menace épidémique face à de nombreux facteurs de risque environnementaux, industriels et même comportementaux. Face à certaines situations, il n'est donc pas du tout évident de discerner immédiatement l'origine infectieuse d'un événement potentiellement épidémique. La taille de l'épidémie, le fait même que l'homme puisse se révéler un vecteur d'un phénomène épidémique, ne constitue pas l'apanage des agents infectieux. En revanche, il est vraisemblable que la dynamique que peut revêtir le phénomène, et l'existence d'un certain nombre de moyens privilégiés, dont l'action est tout à fait spécifique dans ce domaine, constitue la spécificité du risque épidémique infectieux.

La politique de prévention du risque infectieux repose sur six éléments qui s'articulent entre eux afin de constituer un dispositif synergique qui, s'il est respecté, peut être extrêmement efficace. Ces six éléments sont : la surveillance, la vaccination, le dépistage, les règles d'hygiène, les antibiotiques et la préparation des acteurs.

La surveillance

Je l'évoquerai rapidement puisque Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER et Guénaël RODIER ont donné l'essentiel des informations. La surveillance repose en premier lieu sur la responsabilité des professionnels de santé qui doivent signaler à l'autorité sanitaire (les directions départementales des affaires sanitaires et sociales au niveau local et la Direction générale de la santé au niveau central) certains événements qu'ils observent. Pour certaines maladies qui impliquent une intervention d'urgence (en raison de leur gravité, de leur absence dans notre pays et/ou de leur fort potentiel épidémique), le signalement est obligatoire et généralisé. C'est ce que l'on a appelé le système de déclaration obligatoire des maladies infectieuses. Pour d'autres maladies dont le signalement ne nécessite pas l'exhaustivité, des réseaux de médecins sentinelles ou de laboratoires ont été mis en place. Ces réseaux permettent tout autant de mettre en évidence très rapidement un phénomène épidémique soudain (comme la grippe) que de surveiller l'évolution de l'incidence de certaines maladies (comme la rougeole). Je soulignerai en particulier le rôle tout à fait privilégié des GROG dans la gestion de l'épidémie de SRAS et les remercie à nouveau de leur participation au Plan SRAS.

La surveillance repose d'autre part sur des centres nationaux de référence qui sont de laboratoires spécialisés capables d'apporter une expertise scientifique approfondie sur un certain nombre d'isolements microbiens. Cette expertise a pour but de permettre de trouver et de suivre le fil d'Ariane qui permet de remonter à l'origine d'un phénomène épidémique ou potentiellement épidémique. Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER a cité l'exemple des épidémies de listériose. Je donnerai un exemple un peu plus récent qui est celui des quelques cas d'infections de nourrissons à Enterobacter sakazakii. Dans un contexte différent de celui du dispositif actuel, ces cas seraient soit passés complètement inaperçus si la source de la contamination avait disparu, soit auraient été reconnus face à une situation beaucoup plus problématique. Il existe actuellement 47 centres nationaux de référence (avec un certain nombre de laboratoires associés) et ce dispositif auquel nous attachons une importance considérable correspond à un investissement de 8,2 millions d'euros de la part de l'État. Cet investissement, même s'il a considérablement augmenté ces dernières années (au début des années 90, il n'était que de 15 millions de francs) et compte tenu de la nécessité de multiplier ces centres dédiés à des bactéries ou à des agents viraux particuliers, est notoirement insuffisant par rapport au travail nécessaire, en particulier pour créer la plate-forme de recherche génomique que nous envisageons de mettre en place avec l'Institut Pasteur.

Par ailleurs, la menace bio terroriste a conduit à créer de nouveaux centres nationaux de référence et à inscrire dans la loi l'obligation pour tout professionnel de signaler sans délai tout phénomène qui lui paraît anormal, soit par son caractère sémiologiquement inhabituel, soit par une conjonction dans un temps bref également tout à fait inhabituelle. Ce système de signalement qui repose sur la responsabilité des professionnels de santé est susceptible de fonctionner remarquablement dans un certain nombre de situations. Nous en avons plusieurs exemples que je ne détaillerai pas.

La surveillance ne peut évidemment pas se limiter au territoire national en raison de la multiplicité et de la rapidité des échanges internationaux, qui sont une condition essentielle de la diffusion des épidémies. L'Europe a mis en place un système d'alerte rapide qui fonctionne (Early warning system) mais dont le fonctionnement actuel montre la nécessité et l'urgence de parvenir à harmoniser des procédures et des mesures de réponse au niveau des états membres.

A ce sujet, je reviendrai rapidement sur la révision du règlement sanitaire international dont le dernier date de 1969 même s'il n'a été introduit en France que par un décret de 1989. La philosophie générale du RSI est claire : assurer le maximum de sécurité contre la propagation des maladies infectieuses d'un pays à l'autre avec un minimum d'entraves au trafic mondial. Dans l'état actuel des choses et ainsi que l'a dit Guénaël RODIER, le système actuel est totalement obsolète. Cela montre l'enjeu que représente la volonté de certains pays, dont la France, de parvenir à s'extraire d'une liste limitée de maladies pour avoir une approche syndromique. Cette dernière consiste, avec un certain nombre d'algorithmes décisionnels, à déclarer à l'OMS un certain nombre d'événements qu'il est nécessaire, en fonction de leur gravité, de leur potentiel épidémique et des moyens d'y faire face, de signaler à la communauté internationale.

Le système de surveillance a été repris et considérablement développé par l'actuel Institut de veille sanitaire. Je voudrais dire à quel point la création au cours de l'été 1992 du Réseau national de santé publique puis sa transformation en Institut de veille sanitaire en juillet 1998 a constitué un pas de géant et un progrès considérable dans la politique de prévention du risque épidémique en France. Il ne faut pas en déduire que nous sommes parvenus à une vitesse de croisière et que l'institut est désormais dans une situation de « steady state ». Il n'est encore qu'au début de sa montée en charge.

La vaccination

C'est le moyen privilégié par excellence de prévention primaire même s'il n'est pas applicable à toutes les situations et si le développement de la vaccination, et des différents types de vaccins, peut susciter des réactions dans la société qui ne sont pas toujours positives. Il faut être conscient que la vaccination ne constitue pas seulement un acte de protection individuelle mais que c'est une manière de protéger efficacement une collectivité et une population en interrompant la circulation d'un agent microbien. À ce titre, le fait d'atteindre un taux de couverture suffisant (proche de 100 %) peut permettre d'éradiquer (c'est-à-dire de faire disparaître de la surface de la planète) un certain nombre de maladies infectieuses dont le réservoir est exclusivement humain. On cite souvent l'exemple de la variole parce que c'est le seul dont on dispose mais aussi « ancien » et ressassé qu'il soit, il constitue l'exemple d'une magnifique réussite. Il ne faut pas oublier que l'éradication de la poliomyélite et de la rougeole est totalement à portée de main. Il suffit de développer la couverture vaccinale et de dépasser largement le taux de couverture de 90 % qui stagne dans certaines zones géographiques de France. Il faut également être conscient que lorsque la vaccination se généralise mais n'atteint pas un taux de couverture suffisant, elle est susceptible de modifier l'épidémiologie d'un certain nombre de maladies et de favoriser l'émergence de formes graves, comme on peut par exemple le craindre vis-à-vis de la rougeole.

Le dépistage

Nous disposons de peu d'exemples de dépistage et c'est un sujet philosophiquement assez délicat à aborder. Il faut néanmoins souligner que le fait d'avoir rendu obligatoire le dépistage du portage chronique du virus de l'hépatite B au cours du troisième trimestre de la grossesse est un moyen d'intervenir dès la naissance pour éviter des pathologies graves et éventuellement des morts de nourrissons. C'est également un moyen d'éviter à ces nourrissons de venir accroître ou entretenir un réservoir de porteurs du virus dont la récente étude de l'institut a montré qu'il était notablement plus important que ce que nous avions estimé en 1994.

D'autre part, le dépistage, ou plus exactement la connaissance de son statut sérologique, est un élément clé qui nous a conduits, depuis deux ans, à réorienter les campagnes de lutte contre le Sida sans attendre l'article de Sanders paru le 10 février dernier qui évalue des stratégies d'élargissement du dépistage. Je laisse à Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE le soin de le commenter éventuellement.

Les règles d'hygiène

Il faut constamment rappeler ces règles. En milieu hospitalier, elles visent à lutter contre les infections nosocomiales. À cet égard, il ne s'agit pas seulement de rappeler des règles d'hygiène primaires telles que le lavage des mains que l'on a trop tendance à oublier, y compris dans un milieu qui devrait être parfaitement conscient du risque de transmission manuportée du risque infectieux. Il s'agit également d'apprendre aux professionnels de santé à se servir de certains outils tels que, par exemple, les masques respiratoires lorsqu'ils ont à gérer certains patients. Dans certaines circonstances, ces masques peuvent revêtir une importance toute particulière pour protéger les personnels de santé mais également éviter la diffusion de certaines épidémies.

Ces règles d'hygiène s'appliquent également dans la vie quotidienne. Vous avez vraisemblablement noté que depuis l'année dernière, nous avons axé une campagne de prévention du risque épidémique lié au virus respiratoire syncytial sur les règles d'hygiène que les parents de petits enfants et les professionnels en charge de tout petits dans les lieux d'accueil spécialisés devaient respecter face à certaines autres infections respiratoires dont ils pouvaient être atteints afin d'éviter la transmissibilité inter-humaine de ce type de pathologie.

Il faut également savoir que ces règles d'hygiène se déclinent dans le milieu industriel, qu'il s'agisse de l'agroalimentaire ou d'installations à risque comme les tours aéroréfrigérantes ou les dispositifs de traitement et de conditionnement de l'air.

Les antibiotiques

Nous avons tous l'habitude de recourir à l'antibiothérapie, quasiment tous les jours, pour prévenir le risque épidémique au sein des sujets contacts, par exemple d'un cas de méningite. Il s'agit alors de prévention secondaire. Mais face à certaines menaces de grande ampleur comme la menace bio terroriste, nous avons été conduits à constituer des stocks d'antibiotiques qui permettraient de traiter plusieurs centaines de milliers de personnes exposées à une contamination microbiologique. Ces stocks doivent permettre de traiter dans des délais très courts car la prévention secondaire n'a d'intérêt que si elle est appliquée extrêmement précocement après la contamination. Cela pose le problème du stockage, de la gestion du stock et surtout de la distribution et de la mise à disposition de ces stocks dans des délais extrêmement rapides face à un phénomène épidémique susceptible de désorganiser complètement l'organisation sociale dans un lieu donné. Nous avons longuement réfléchi, nous continuons à réfléchir et nous avons quelques solutions mais il ne faut pas s'imaginer que la constitution de ces stocks offre une garantie d'efficacité absolue.

La préparation des acteurs

Je reprendrai, y compris en termes de phénomène épidémique et de réaction adaptée à un phénomène épidémique et à une menace, le mot fameux de Louis Pasteur selon lequel « le hasard ne favorise que les esprits préparés ». Si nous avons d'autres programmes ou plans d'action de santé publique, les trois plans que nous avons vis-à-vis de la variole, du SRAS et de la grippe sont particulièrement orientés vers la coordination des différents intervenants face à une menace épidémique du type de celles de la variole, du SRAS ou de la grippe aviaire humanisée. Ces plans ont pour objet de définir le rôle des acteurs, de définir des procédures et d'indiquer, selon des situations types, les modalités d'action et les lieux auxquels il faut se référer pour prendre en charge les patients ou pour recourir à des moyens matériels tels que des produits de santé ou des dispositifs médicaux particuliers.

Dans le domaine de la grippe, nous sommes en train de constituer un stock de d'oseltamivir. Nous travaillons également pour obtenir un vaccin contre la souche aviaire qui circule actuellement et faciliter les conditions qui permettraient d'obtenir plus rapidement un vaccin contre une souche de grippe recombinée à partir du virus aviaire actuel. Une première lettre d'intention a été publiée. À la fin du mois de mars, nous disposerons d'ailleurs de 8 millions de traitements par oseltamivir. Là encore, cela nécessite de réfléchir à la manière de les utiliser parce que 8 millions de traitements sont nettement insuffisants si l'on veut protéger l'ensemble de la population. C'est également nettement insuffisant compte tenu de la dynamique de l'épidémie pour parvenir à protéger une population suffisamment importante pendant toute la durée de l'épidémie.

Ces plans qui sont rendus publics ont l'avantage de permettre en particulier aux professionnels de santé et aux principaux acteurs impliqués dans la gestion de ces épisodes d'entrer dans une logique de fonctionnement différente de celle qui est la leur actuellement. Il s'agit de rapprocher autant que possible cette dernière d'une logique de fonctionnement en situation de crise qui nécessite des précautions particulières et probablement le recours à des matériels particuliers.

Tel est le tableau que je souhaitais brosser pour montrer la logique d'un dispositif de prévention du risque épidémique. J'ajouterai qu'au niveau de la Direction générale de la santé, la prévention du risque épidémique concerne une quarantaine de personnes à des titres divers. Par exemple, depuis l'alerte à la rage de l'été 2004, nous avons vécu 22 épisodes d'alertes correspondant à des risques épidémiques. Cela va d'une épidémie de gale dans une collectivité jusqu'aux conséquences des 8e et 9e cas du nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob qui ont été donneurs de sang et dont il faut gérer les conséquences en termes d'exposition de la population à travers les produits sanguins mais également les médicaments dérivés du sang. Ceci représente une charge de travail considérable qui a été considérablement accrue par le développement du dispositif de surveillance.

Je répète que la création du Réseau national de santé publique a permis de pointer un certain nombre de phénomènes que nous n'aurions pas traités auparavant, soit parce que nous ne les aurions pas observés, soit parce que nous n'aurions pas jugé utile de les prendre en considération. Ce n'est pas un dispositif sur lequel on peut s'endormir, aussi logique, cohérent et fortement structuré soit-il. Il doit non seulement subir des ajustements mais également des renforcements. Ceci pour indiquer qu'en matière de sécurité sanitaire, le dispositif de prévention du risque épidémique sera certainement un gros consommateur de moyens humains et financiers dans les décennies qui viennent. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Monsieur le Directeur. Ce chapitre de la prévention va nous permettre d'aborder des milieux différents les uns des autres. Nous allons maintenant approcher celui de la jeunesse au sujet de la prévention en milieu scolaire grâce au Docteur RICHARD.

La prévention en milieu scolaire

Mme le Docteur Geneviève RICHARD, chef du service de santé scolaire, Ville de Paris

Je vous remercie de m'avoir invitée pour présenter ce que peut faire un service de santé scolaire au sein d'une ville ou d'un département. Paris est un cas particulier car il s'agit d'un service de santé scolaire pour le premier degré (écoles maternelles et élémentaires) qui dépend du Département et de la Ville de Paris. De ce fait, il dispose de beaucoup plus de moyens que les autres services de promotion de la santé de l'Éducation nationale. Nous disposons d'un médecin pour 3 500 élèves alors qu'il y a un médecin pour 6 000 à 7 000 élèves sur le territoire national. Nous avons en charge 134 000 élèves sur Paris répartis sur 675 écoles.

Parmi les multiples missions du médecin scolaire, celui-ci peut être amené à intervenir dans le cadre des urgences ou de la survenue de maladies transmissibles. Je citerai quelques exemples particulièrement intéressants. Lorsqu'un cas de méningite bactérienne apparaît dans une école, le service est d'astreinte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et pendant les vacances scolaires. Nous sommes en réseau avec la DDASS qui nous déclare le cas de méningite. En tant que médecins scolaires, nous faisons l'inventaire des enfants et des adultes contacts et mettons en œuvre immédiatement toutes les mesures de prophylaxie. Nous nous rapprochons également des parents pour leur expliquer, pour gérer l'angoisse et l'inquiétude qui peuvent exister autour d'un cas de méningite, notamment lorsqu'il y a décès. La population est un point important qui n'a pas été abordé aujourd'hui.

La situation est identique pour un cas de tuberculose (infection ou maladie). Nous travaillons avec les services de lutte antituberculeuse du Département et le service de vaccination. Nous établissons la liste des sujets contacts et communiquons avec les familles en essayant de gérer leur angoisse ainsi que celle des adultes au sein de l'école. Nous devons également être en première ligne en cas de gale ou de teigne pour respecter les mesures consignées par le Conseil d'hygiène publique de France.

Il est impératif de rappeler les mesures d'hygiène dans les collectivités d'enfants et les écoles et de réaliser un travail d'éducation à la santé auprès des enfants. C'est ce que nous essayons de faire avec les moyens dont nous disposons.

Une autre pathologie sur laquelle nous sommes beaucoup intervenus au début est celle des enfants porteurs du VIH et malades du Sida. Nous en avons accueilli quelques-uns dans les écoles mais il a également fallu gérer la panique qui pouvait exister autour de cet accueil qui pouvait éventuellement conduire à une exclusion. En ce qui concerne le SRAS, nous avons été contraints d'intervenir pour empêcher que des enfants qui avaient passé les contrôles sanitaires établis soient exclus de l'école.

Je pense que le médecin scolaire est un acteur important du dispositif parce qu'il signalera également aux autorités compétentes l'apparition de plusieurs cas de coqueluche dans une même école et mettra en place les éventuelles mesures nécessaires. L'an dernier, il en a été de même pour une épidémie de scarlatine.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci Madame RICHARD. C'était court mais vous nous avez fait sentir le quotidien et vous avez abordé quelque chose qui n'a effectivement pas été beaucoup évoqué ce matin : le vécu intime des familles ou du malade.

Nous ne nous sommes pas trop étendus sur le VIH car les études, la production, les publications sont très nombreuses et les réseaux mobilisés sont très compétents et importants. Nous souhaitions néanmoins, au cours de cette audition publique, faire un point actualisé de tout ce qui a été dit et publié. Monsieur le Professeur Michel KAZATCHINE est le directeur général de l'Agence nationale de recherche sur le Sida.

La prévention du VIH

M. le Professeur Michel KAZATCHINE, Directeur général de l'Agence nationale de recherche sur le Sida (ANRS)

Je vous remercie de votre invitation. Comme vous le savez, la pandémie du VIH-Sida est un enjeu sanitaire, démographique, social et politique majeur dans les pays en développement. C'est un enjeu émergeant dans les pays de l'Europe de l'Est, principalement lié à l'extension de l'usage de drogues. C'est un problème de santé publique toujours présent en Europe de l'Ouest et aux États-Unis. Dans tous les cas, cela reste un enjeu majeur de prévention puisque cette épidémie continue de croître rapidement et de s'étendre géographiquement dans le monde. Elle n'a pas encore atteint son pic, certains chercheurs disent qu'il pourrait n'être atteint que vers 2040.

En France, c'est une épidémie relativement concentrée qui ne s'est pas généralisée à la population globale. Dans notre pays, nous estimons qu'il y a environ 100 000 personnes infectées par le virus du Sida. Il y a deux mois, l'InVS a publié des chiffres à partir des données qu'il a recueillies avec la nouvelle déclaration obligatoire des cas de séropositivité et on diagnostique environ 6 000 nouveaux cas d'infection en France. Il est plus difficile de connaître le nombre de nouvelles infections actuellement. Les chercheurs l'estiment à environ 4 000 à 5 000 par an, soit près de 15 par jour dont un peu plus de la moitié en région parisienne. Cette incidence des nouveaux cas est en augmentation puisque nous estimons qu'elle était environ de 2 000 à 2 500 par an en 1997-1998 et de 4 000 à 5 000 en 2001-2003. Cette augmentation était un peu prévisible puisque nous avions noté une reprise des comportements à risque de transmission sexuelle du VIH dans la population ces dernières années ; la résurgence de certaines maladies sexuellement transmissibles telles que la syphilis ; un net relâchement des comportements de prévention mis en évidence dans les enquêtes réalisées ; un accroissement continu de la proportion de diagnostics positifs dans les centres de dépistage anonyme et gratuit parisiens depuis 1998. Cette tendance est également constatée en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

En France, il n'y a pas d'extension majeure de l'épidémie dans la population générale à court et à moyen terme. Elle reste confinée à ce que l'on avait appelé au début de l'épidémie « les groupes à risques ». Néanmoins, il existe une diffusion lente en population hétérosexuelle et l'épidémie tend à se féminiser. Le diagnostic tend à être fait chez des femmes de plus en plus jeunes alors que l'âge au diagnostic chez les hommes augmente. À moyen terme, il reste des incertitudes liées aux mouvements de population (compte tenu que l'épidémie est hors de contrôle dans les pays en développement) ; à la transmission de virus résistants (chacun a à l'esprit le cas évoqué il y a trois jours de ce patient new-yorkais qui a été contaminé par un virus multirésistant) ; à la possibilité de reprise épidémique dans les groupes très exposés.

S'il y a une stabilité du nombre de nouveaux cas de Sida diagnostiqués chez les homosexuels masculins, il y a néanmoins une reprise des maladies sexuellement transmissibles et une incertitude sur la façon dont les homosexuels répondront dorénavant aux messages de prévention. Il y a un très net contraste entre ce que nous avons observé dans les années 80, où la communauté homosexuelle a connu des transformations majeures de ses modes de vie (changement des pratiques sexuelles, baisse du nombre de partenaires, adoption forte du préservatif), et ce que nous connaissons depuis la fin des années 90 avec une contestation de la norme préventive, une augmentation du nombre de partenaires et une prise de risque par des rapports non protégés.

Les explications de ce relâchement de prévention sont multiples. On a tout d'abord pensé qu'il s'agissait de ce que l'on a appelé « l'optimisme thérapeutique », c'est-à-dire une surestimation de l'efficacité des traitements, mais les chercheurs en sciences sociales retiennent deux autres explications. Chez les homosexuels de plus de 40 ans, il y aurait tout simplement une sorte de lassitude vis-à-vis de la prévention qui est quotidiennement présente depuis le début des années 80. D'autre part, les nouvelles générations seraient moins sensibles à la question du Sida et de la prévention puisque les jeunes entrent maintenant dans leur vie sexuelle à une période où l'angoisse quotidienne du Sida pèse beaucoup moins dans notre société que ce n'était le cas au début des années 90.

Les usagers de drogues en France représentent un exemple du succès de la prévention. Ils ont été atteints très tôt dans l'histoire de l'épidémie et atteints très jeunes. C'était un groupe extrêmement prévalant pour l'infection par le virus du Sida. Depuis le début des années 90, nous assistons à une baisse continue des nouveaux cas de Sida dans cette population qui ne comporte quasiment pas de nouveaux cas incidents. Ceci est dû au développement des traitements de substitution, à la politique dite « de réduction des risques », aux programmes à « bas seuils », à la baisse du recours à l'injection. Pour l'avenir, il y a toutefois un risque de déstabilisation, en particulier des comportements préventifs sexuels, lié à la diffusion de la cocaïne et à une certaine reprise de l'héroïne à laquelle nous assistons actuellement.

Dans le rapport de Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER et de l'InVS du 1er décembre 2003, il est clair que parmi les nouveaux cas de Sida diagnostiqués (je ne parle pas forcément des nouvelles infections mais des cas nouvellement diagnostiqués), la population migrante représente une proportion importante. Nous connaissons encore très peu de chose sur ces populations, sur leur vie affective et sexuelle. Elles posent bien sûr des problèmes singuliers liés à la stigmatisation, à la discrimination dans la relation de leurs communautés avec notre société. Ainsi que cela est constaté dans les hôpitaux pour les femmes africaines enceintes, ces populations ont souvent une relation singulière avec la fécondité. Le risque est évidemment accru par l'instabilité relative à l'obtention des cartes de séjour. C'est une population indiscutablement vulnérable dont on connaît trop peu de chose pour pouvoir adapter véritablement nos pratiques de prévention.

Dans la population générale, nous disposons d'un outil de surveillance : les enquêtes Knowledge, attitudes, beliefs and practices (KABP) qui sont répétées tous les deux à trois ans. Depuis 1990, et singulièrement depuis 2001, elles ont montré que, alors que dans les années 80 et au début des années 90, il y avait eu une forte augmentation des scores de connaissance des modes de transmission du Sida, on assiste à une baisse de ces connaissances dans la population générale ; à une baisse de la confiance dans l'efficacité du préservatif (en particulier chez les jeunes de 18 à 24 ans) ; à une moindre crainte de ce que peut représenter le Sida pour soi-même (alors que 44 % des personnes interrogées craignaient le Sida pour elles-mêmes en 1994, ce chiffre était de 34 % en 1998 et de 28 % en 2001) ; à un moindre intérêt pour les campagnes de prévention (41 % des personnes se sentaient concernées par ces campagnes en 1994 contre seulement 30 % en 2001).

La prévention dans le domaine du VIH est bien sûr très singulière. Du fait de ce que je viens de dire sur les populations particulièrement concernées, nous avons une double contrainte très difficile en termes de prévention : parvenir à la fois à cibler les populations les plus concernées pour maximaliser l'efficacité préventive et à s'adresser de façon indifférenciée à l'ensemble de la population, en particulier pour minimiser les risques de discrimination et de stigmatisation.

La politique de prévention du Sida a été une rupture avec les modes antérieurs de pensée et avec les mécanismes antérieurs de gestion des épidémies et des maladies infectieuses. Nous avons en quelque sorte assisté à une minimisation du contrôle et de l'obligation au profit de l'incitation au changement des comportements individuels avec une participation active des associations, des organisations non-gouvernementales et la mise en place de dispositifs spécifiques au VIH distincts des dispositifs généraux de prévention et de soins. Dans ce cas particulier, le Sida a été une fois de plus ce que Daniel DEFERRE avait appelé « le réformateur social ». Je voulais souligner cette cassure dans les modes habituels de prévention des maladies infectieuses.

Les interventions de prévention dont nous disposons sont l'information, l'éducation, la promotion du changement des comportements et le dépistage. Yves COQUIN a fait allusion aux questions qui se posent actuellement pour les pays en développement mais aussi dans certaines populations urbaines en Europe et aux États-Unis (évoquées dans l'article récent auquel il a fait allusion). Il s'agit de favoriser le dépistage en passant de la politique du « opt-in » que nous avons poursuivie jusqu'à présent (en incitant la personne à se présenter volontairement dans un centre de dépistage) à la politique du « opt-out » où le dépistage sera systématiquement proposé à la personne qui se présentera dans les lieux de soins ou d'autres lieux et pratiqué dans tous les cas sauf si la personne s'y oppose expressément.

Maintenant que les pays en développement entrent véritablement dans la période d'accès au traitement, il devient essentiel en 2005 de replacer le dépistage au centre de l'accès à la prévention et au traitement. Pour cela, il faudra probablement modifier nos attitudes vis-à-vis du dépistage. Nous disposons bien sûr de la promotion du préservatif. Cette promotion peut être relativement simple dans le quartier du Marais ou celui de Castro à San Francisco, elle peut être beaucoup plus difficile dans d'autres communautés culturelles de notre pays et a fortiori dans d'autres pays du monde.

Pour les usagers de drogues, la prévention consiste aussi à réduire les risques. Je souhaiterais souligner à nouveau les succès que nous avons rencontrés en France et dans certains pays d'Europe de l'Ouest à ce sujet. Ce succès contraste d'autant plus avec la situation catastrophique que l'on connaît actuellement en Russie et en Ukraine où l'épidémie croît le plus rapidement au monde. En 1995, en Russie, quelques milliers de cas de séropositivité étaient rapportés. L'ONU-Sida estime qu'environ un million de personnes sont maintenant infectées. Le virus est avant tout véhiculé par les usagers de drogues qui représentent un peu plus de 1 % de la population générale. C'est de plus un pays où l'accès aux traitements substitutifs (méthadone, buprénorphine) n'est pas autorisé (ces drogues sont considérées comme des drogues addictives et illégales) ; où il n'y a aucune politique de réduction des risques ; où il y a un déni de la réalité de l'infection.

Parmi les interventions de prévention, il y a les antirétroviraux eux-mêmes. Nous savons que ces médicaments permettent de prévenir la transmission du virus de la mère infectée à l'enfant pendant la grossesse. Nous pensons également que si nous parvenions à obtenir un seuil de couverture estimé à près de 30 % de la population générale infectée avec des médicaments dans les pays en développement, la charge virale moyenne de la population infectée s'abaisserait de telle sorte que le virus se transmettrait moins et que l'on parviendrait ainsi à freiner l'épidémie.

Les espoirs de vaccins sont encore modestes mais, ainsi que l'a dit Monsieur le Professeur Philippe Kourilsky précédemment, la recherche sur le vaccin anti-Sida doit être une urgence et une priorité. Elle n'est pas suffisamment ressentie comme telle.

Parmi les interventions de prévention, je parlerai enfin de la mobilisation du monde politique. Il est clair que c'est dans les pays où les politiques ont eux-mêmes pris l'initiative de porter ouvertement le sujet du Sida dans la population que la prévention a été la plus efficace.

Je terminerai sur les pays en développement. Vous savez que près de 5 millions de personnes sont nouvellement infectées chaque année dans les pays en développement, majoritairement des femmes et des 15-29 ans. Cela concerne bien sûr l'Afrique subsaharienne mais également l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est, l'Inde, la Chine, les pays de l'ancien bloc soviétique et les Caraïbes. Dans ces pays, la prévention se heurte à des difficultés majeures et à des limites sociales, logistiques et culturelles évidentes. Maintenant que nous sommes à l'ère de l'accès accru aux traitements, un débat s'est ouvert sur l'opposition entre prévention et traitement. Ce débat se poursuit malheureusement mais la position de l'Organisation mondiale de la santé, dans son initiative « Three by five », est claire : prévention et traitement se complètent. Comment peut-on inciter quelqu'un à se dépister si la seule sanction du test de dépistage est la discrimination, le rejet de sa communauté et l'absence d'espoir de traitement ? Nous savons également par expérience que c'est dans les pays qui se sont engagés le plus tôt dans les traitements (Brésil, Sénégal, Ouganda, Thaïlande) que l'efficacité de la prévention a été la plus grande.

L'optimisme thérapeutique pouvant être l'une des sources du relâchement de la prévention dans les pays du Nord, on a craint que l'arrivée des traitements dans les pays du Sud conduise également à ce relâchement. Les données recueillies par les chercheurs (en particulier les chercheurs de l'IRD au Sénégal et en Côte d'Ivoire) montrent cependant clairement (en tout cas jusqu'à présent) que l'adhérence au traitement dans les pays du Sud est tout aussi bonne, voire meilleure que dans les pays du Nord et que l'incidence des souches de virus résistantes est moindre que ce qui est été constaté dans les pays du Nord. Pour ces personnes, l'enjeu des traitements est donc vécu de façon très différente de celle dont il est vécu dans le Nord. L'obstacle principal à l'observance reste le coût des médicaments, ce qui soulève la question de la gratuité des médicaments dans les initiatives internationales (le Fonds mondial, l'initiative présidentielle américaine et les autres initiatives multilatérales ou bilatérales d'accès au traitement).

Aux côtés des organisations internationales, la France porte politiquement et très fortement le plaidoyer d'un accès aux traitements très étroitement lié à l'accès à la prévention. Cet accès à la prévention passe par les questions difficiles du dépistage, du changement des comportements et par un effort accru de recherche sur le vaccin.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci Professeur. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises et c'est toujours intéressant de vous entendre. Parallèlement à votre vision optimiste sur certains points, je retiens un point majeur inquiétant qui fait frémir : le relâchement des préventions.

La conclusion sera faite par Monsieur Patrice BOURDELAIX qui n'est ni politique, ni scientifique. Il va nous parler des peurs de la société face au risque épidémique.

Conclusion :  le risque épidémique révélateur des peurs d'une société

M. le Professeur Patrice BOURDELAIX, Ecole des hautes études en sciences sociales

Je vous remercie beaucoup de votre invitation. Il est vrai que je ne suis ni politique ni scientifique mais seulement historien, sociologue et démographe. Je me suis demandé si je devais interpréter votre invitation à conclure cette matinée comme l'indice de la gravité exceptionnelle de la situation du risque épidémique. Finalement, j'ai plutôt fait l'hypothèse d'un intérêt pour les savoirs accumulés par les sciences sociales au cours des vingt dernières années dans de très nombreuses études et recherches dont je ne donnerai ici qu'une vue très cavalière. Il m'a également semblé que l'interrogation portait sur l'aptitude de ce savoir à être utile à la prise de décision. Aussi est-ce dans cette direction que je développerai mon intervention.

Il me paraît tout d'abord important de souligner dans cette enceinte que le contrôle des grandes épidémies dans l'histoire de l'humanité a été effectué dans les pays aujourd'hui riches grâce à l'action délibérée des groupes humains et de leurs élites. C'est la raison pour laquelle j'ai accepté de venir m'exprimer. Même si le monde des micro-organismes possède sa logique propre, sa rencontre avec les hommes est placée sous le contrôle de ces derniers. Ce contrôle s'exerce de multiples manières (contrôle aux frontières, contrôle sanitaire) même si l'on sait plus souvent illustrer ses échecs que ses réussites. Il y a également les politiques de santé publique : assainissement des villes, salubrité des logements (que tous les responsables locaux connaissent bien), organisation des campagnes de santé publique, mise en oeuvre de politiques internationales de lutte contre les grandes pandémies.

A l'actif de l'action délibérée des hommes apparaissent aussi tous les résultats de la recherche scientifique (en particulier depuis la fin du XIXe siècle). Ils ont permis d'identifier les agents pathogènes, leurs vecteurs et de mettre au point des parades thérapeutiques finalement remarquablement efficaces à mes yeux (vaccinations, traitements antibiotiques et antiviraux).

La lutte contre les épidémies s'est finalement exercée sur une perspective longue par une protection géographique de périphérie ainsi que par une mise en œuvre de politiques intérieures qui permettaient d'améliorer l'état sanitaire des populations et également de rendre celles-ci plus résistantes aux agressions infectieuses. La lutte contre la pauvreté depuis le milieu du XIXe siècle en Europe en est un exemple. La mise en œuvre des grands systèmes de protection sociale garantissant un accès aux soins au XXe siècle va également dans ce sens. Nos sociétés ont donc compris depuis longtemps que la marginalité et l'exclusion sociale constituaient en fait les éléments de faiblesse face à la menace des maladies infectieuses.

Quelles sont alors les causes de l'inquiétude actuelle ? L'actualité récente du SRAS, de la grippe, ou de la peste aviaire comme on disait encore il y a quelques années, montre à quel point les pays occidentaux, même riches, ne sont plus à l'abri d'une grande épidémie venue de cet Orient qui, dans nos représentations collectives, constitue un monde très menaçant depuis très longtemps. Dans le modèle épidémiologique que nous avons à l'esprit (même nous, historiens), tous les paramètres sont par conséquent alarmants : les conditions locales des régions économiquement pauvres mais riches en nouveaux virus (je pense à la Chine et au Sud-Est asiatique) ; l'ouverture vers les autres régions du monde avides de produits bon marché ; l'ampleur des échanges et la mobilité des hommes ; la rapidité des communications.

Toutes les expériences historiques similaires d'ouverture de nouveaux territoires et de changements d'échelle dans les relations internationales se sont soldées par des grandes catastrophes pandémiques (la peste noire, les grandes épidémies de choléra du XIXe siècle, la grippe espagnole). Cette expérience permet de justifier la vigilance actuelle des experts qui sont quasiment un peu surpris (je le suis également) qu'aucune catastrophe sanitaire ne se soit encore produite. Ce n'est pas un hasard si le spectre de la grippe espagnole et de ses 25 à 50 millions de morts est très présent.

Une autre cause de l'extrême sensibilité de nos contemporains aux cas, mêmes sporadiques, de maladies infectieuses comme la listériose ou la légionellose est à rechercher dans leurs représentations du progrès et de leur place dans le monde. Depuis deux siècles, le discours des élites scientifiques, relayé par les élites politiques, a proposé comme aune majeure du progrès l'éradication successive des maladies infectieuses. Ce projet a été très porteur pendant plus d'un siècle et demi, jusque dans les années 70 où l'on s'est aperçu que les logiques du vivant ne permettaient pas d'envisager une telle fin de l'histoire. Cet horizon historique d'éradication demeure enraciné dans les consciences de nos contemporains et le progrès des sociétés se mesure aujourd'hui encore à la croissance de l'espérance de vie comme au contrôle des maladies infectieuses qui sont d'ailleurs historiquement liés.

La protection de la vie individuelle est plus que jamais au cœur de nos sociétés fortement sécularisées. L'entretien des corps par le sport, la diététique, les préoccupations esthétiques, l'ampleur de la demande des soins médicaux en fournit des indices. La manifestation de phénomènes épidémiques est par conséquent perçue par nos contemporains comme une incongruité au cœur de nos sociétés riches, comme une sorte de menace de régression et de déclassement sur l'échelle internationale dont la cause ne peut finalement se situer que dans quelques dysfonctionnements plus ou moins coupables ou inattentifs de notre société. Pour autant, cette appréhension ne conduit pas nos contemporains à s'isoler du monde par crainte des contaminations extérieures. Le tourisme de masse est un contre-exemple et une nuance à mes affirmations un peu trop rapides.

J'évoquerai quelques leçons de la gestion collective des épidémies. Les réactions de la population aux épidémies, les décisions des professionnels et les décisions publiques construisent socialement les épidémies et la manière dont elles modifieront finalement les sociétés qu'elles pénètrent. Chaque épidémie conduit à la stigmatisation sociale de certaines populations qui deviennent plus ou moins des boucs émissaires. Dans le passé, il pouvait s'agir des juifs, des pauvres, des étrangers. Au début de l'épidémie de Sida, n'oubliez pas que les homosexuels et les drogués ont également été traités de façon assez stigmatisante. Cette stigmatisation a souvent été épaulée, de façon involontaire, par des décisions de politique publique et par les travaux des épidémiologistes, des sociologues et des scientifiques en général qui mettaient simplement en évidence les itinéraires de contamination, de concentration sociale ou géographique des cas. Dans les représentations collectives, des régions entières ont également été stigmatisées. J'ai évoqué précédemment les pays du Moyen-Orient dans la gestion de notre sécurité sanitaire européenne pendant plus d'un siècle. Plus récemment, nous avons constaté que la Chine était l'objet de nombreux soupçons.

Chaque épidémie grave permet également aux forces sociales et politiques de définir nos nouveaux rapports de force. C'est une opportunité à saisir. En général, il s'agit toujours de moments favorables à une sorte de normalisation ou à un renforcement du respect des réglementations et parfois même à l'avènement d'une nouvelle profession médicale. Je citerai un seul exemple qui concerne la Chine et le SRAS. Ce pays qui avait toujours refusé (en tout cas officiellement) l'entrée de son territoire aux spécialistes de l'OMS a finalement été contraint d'ouvrir ses frontières à l'observation. Dans ces circonstances, les enjeux de santé publique ont également laissé place rapidement aux enjeux économiques car la globalisation ne saurait résister aux dangers d'importation des épidémies avec les produits à bas coûts. Sur ce plan, l'histoire me semble se répéter de temps en temps.

L'acceptabilité des mesures de lutte contre les épidémies est évidemment un point particulièrement sensible. Dans toutes les cultures, ce qui est le moins bien accepté concerne les perturbations apportées aux rituels de la mort. Il faut s'en souvenir, même au nom de l'intérêt sanitaire collectif. Ces mesures ont toujours suscité des révoltes ou des réactions très violentes. Les mesures qui paraissent contradictoires ou qui semblent dissimuler des faits sont également très mal perçues. Elles sont à l'origine de la méfiance envers les autorités et peuvent même conduire à des phénomènes de panique ainsi que nous en avons connus il y a peu de temps.

Pour l'opinion, le seuil d'intervention contre une épidémie doit aujourd'hui être très bas. Il s'agit d'agir très rapidement, dès que les premiers soupçons pèsent sur des premiers cas possibles. Cela ne permet plus aux pouvoirs publics de se réfugier derrière la masse des cas à traiter. En cas d'épidémie, cela submerge évidemment tous les dispositifs mis en place. Par exemple, en 2003, lors de la menace de SRAS, la population eut la surprise de constater l'impréparation totale des grands aéroports français. Ils ne proposaient même pas de masques rudimentaires de protection en nombre suffisant et n'avaient pas prévu de salle pour isoler, ne serait-ce que quelques heures, les passagers d'un avion suspect.

Une analyse de longue durée des épidémiologies montre qu'il n'y a pourtant aucune surprise : le danger viendra probablement par les airs et le premier lieu de contrôle possible se situe donc dans les aéroports comme il se situait autrefois dans les ports, même s'il y a beaucoup de différences entre le passé et aujourd'hui. Faut-il alors laisser les passagers essaimer dans tout le pays ou tenter un premier filtrage et une première temporisation ? C'est l'une des questions auxquelles nous sommes confrontés depuis la mise en place au cours du deuxième tiers du XIXe siècle en Angleterre de ce que nous appelons dans notre jargon « l'english system ».

Je terminerai néanmoins par une bonne nouvelle pour les responsables politiques : toute mesure prise par les responsables politiques afin de préserver la santé de leurs mandants se traduit aujourd'hui par l'acquisition d'un surcroît de légitimité. Profitez-en. À l'inverse, si l'opinion considère que les politiques n'ont pas fait face à leurs responsabilités, n'ont pas anticipé des situations probables, les reproches, voire les accusations, peuvent s'accumuler et nous en avons des exemples.

A une époque où les marges de manœuvre de la représentation parlementaire sont limitées tout autant par les directives européennes que par les contraintes de la globalisation et où l'évolution des mœurs n'attend guère leur bénédiction, il me semble que la gestion des risques collectifs est désormais l'un des rôles majeurs et valorisants des responsables politiques nationaux. Il y a ici une question d'échelle évoquée précédemment par Monsieur le Professeur Gilles BRÜCKER. Par chance, elle bénéficie en outre actuellement d'un large consensus et se trouve dotée d'une forte légitimité, ce qui vous ouvre les portes à une action réelle.

Il me semble que mettre en place des mesures de retardement de la progression des épidémies est aujourd'hui beaucoup plus important qu'autrefois alors que l'on y prend moins garde. Car en dépit de l'énorme potentiel de recherche et ainsi que cela a été dit précédemment, plusieurs mois seront probablement nécessaires avant de disposer d'un éventuel vaccin. Chaque mois gagné sur la propagation géographique de l'épidémie représente donc la sauvegarde de plusieurs dizaines, centaines ou milliers de vies. C'est sur ce maillon de la défense contre la maladie, finalement très classique et très « vieux jeu », qu'il convient également de se pencher ainsi que sur ses différentes échelles (internationale, nationale, régionale, départementale, etc.). Ne pas prévoir de dispositif afin de ralentir la marche de l'épidémie équivaut d'une certaine manière à accepter des milliers de morts supplémentaires. Nous avons eu beaucoup de chance que le SRAS ne soit pas un virus beaucoup plus virulent mais simplement une « gentille » alarme. Profitons-en.

Le rôle de l'État est indiscutable. Il assure la priorité de l'intérêt général sur les intérêts catégoriels ou particuliers. Seule la contrainte peut par exemple imposer aux aéroports des dispositifs minimaux mis en place de façon systématique et préventive et non pas à la hâte lorsque le danger est déjà présent.

En conclusion, tout se passe comme si les hommes ne savaient pas anticiper les retournements de conjoncture, qu'il s'agisse du marché boursier, immobilier, de la situation économique générale ou épidémiologique. Instinctivement tous les responsables prolongent les tendances observées au cours des décennies qui précèdent. Par exemple, la fin du libre-échange et de la globalisation n'est jamais envisagée sérieusement (cela semble si sot et pourtant...) ni le retour d'une grave pandémie, sauf ici aujourd'hui, ce qui est très bien.

Ainsi que le montrent toutes nos enquêtes, l'opinion semble pourtant plus exigeante sur ce plan, en particulier en termes de santé et de survie. C'est « l'effet boomerang » de la culpabilisation dont les populations ont été victimes (et bénéficiaires) depuis le XIXe siècle sous l'effet de l'action vigoureuse des mouvements hygiénistes. Ceux qui m'ont lu savent que je ne suis pas un anti-hygiéniste. D'un autre côté, je ne connais pas non plus de transition sanitaire épidémiologique qui se soit développée sans mouvement hygiéniste par définition coercitif, au moins sur les comportements.

Aujourd'hui, cette nouvelle frontière présente donc une triple dimension : la poursuite de la lutte contre toutes les maladies infectieuses sur le plan scientifique (ainsi que nous l'avons entendu) ; l'intégration culturelle des populations immigrées (ce que nous avons moins entendu) auxquelles il convient de faire partager progressivement et sans stigmatisation sociale un idéal hygiéniste européen vieux de deux siècles mais que nous avons acquis petit à petit ; l'adossement au développement économique qui est la clé de notre succès global pour l'instant.

L'utopie de l'éradication des épidémies a été porteuse de progrès et de réussites. Le spectacle de la situation sanitaire internationale montre que la santé publique n'est jamais stabilisée ni acquise, qu'il s'agit d'une entreprise sans fin fondée sur la conviction d'un progrès possible pour tous. Je vous remercie.

Mme Marie-Christine BLANDIN

Merci beaucoup pour cette ouverture de portes, le souffle que cela nous donne et les menaces que cela fait peser sur nous. S'agissant de la légitimité, nous avons entendu votre message. Je peux vous dire que nous avons mis des atouts supplémentaires de notre côté puisque, exceptionnellement, ce rapport de l'Office parlementaire repose sur un homme et une femme, un député et une sénatrice qui ne siègent pas dans les mêmes partis ni sur les mêmes bancs politiques. Nous avons également un excellent administrateur qui vous a tous contactés et a bien préparé cette audition.

Nous avons puisé notre légitimité dans la richesse de tous ceux que nous avons auditionnés. Je rappelle qu'il y a ce temps public parce que nous avons souhaité partager mais également de nombreux temps bilatéraux au cours desquels les entretiens sont davantage développés. Chaque fois que nous entendions certaines choses, nous pensions à une autre audition nécessaire. Étant donné tout ce que nous avons entendu, nous clôturerons néanmoins très vite ce rapport afin que la pandémie n'arrive pas avant sa clôture ! Je passe la parole à Monsieur Jean-Pierre DOOR qui a été l'initiateur de ce rapport.

M. Jean-Pierre DOOR

Merci. Je tiens également à remercier tous les orateurs de cette matinée pour l'intérêt et la richesse de leurs interventions. Je pense effectivement que cela servira incontestablement à clôturer ce rapport pour le début du mois de mai. Je retiendrai de cette matinée la conclusion fort aimable et sympathique de notre dernier orateur pour le milieu politique parce que ce n'est pas coutumier. Merci à vous tous et à bientôt.

(La séance est levée à 13 heures 40.)

ANNEXES

Annexe 1 : Lexique

Amibe :

Animal unicellulaire des eaux salées ou douces et de la terre humide se déplaçant par pseudopode. L'amibe a une membrane nucléaire.

Antisepsie :

Ensemble des méthodes qui préservent contre l'infection, en détruisant les microbes.

Asepsie:
Ensemble des méthodes permettant de protéger un organisme contre tout apport microbien.

Bactérie :

Nom général donné aux microbes unicellulaires de forme allongée (bacille), sphérique (cocci) ou spiralée, sans membrane nucléaire et se nourrissant selon le mode végétal. Les bactéries constituent la forme la plus ancienne, actuellement définissable, de cellule vivante. Nous pouvons estimer qu'elles existaient il y a plus de 3 milliards d'années.

A l'origine les bactéries étaient nommées en fonction du rôle qui leur était attribué notamment dans les maladies infectieuses, par exemple : bacille du charbon, de la peste, de la tuberculose, etc...

Aujourd'hui, elles sont classées à partir de l'étude exhaustive des caractères phénotypes tels que les facteurs de croissance, réactions enzymatiques, structure antique génétique, etc. Il est important de souligner qu'une bactérie n'est pas par essence pathogène, seules certaines bactéries sont susceptibles d'entraîner des troubles.

Microbe :

Etre vivant microscopique, constitué par une seule cellule, qui est à l'origine des putréfactions et des maladies infectieuses. Ce terme englobe de façon générale tous les types de germes.

Parasite :

Ce terme ne désigne pas un type de microbe, mais un mode de vie. Deux types de transfert d'énergie entre organismes vivants sont dominants : la prédation, et le parasitisme où un être vivant prélève sa nourriture à l'intérieur ou sur un autre être vivant appelé hôte.

Très généralement, en plus de la relation nourriture, il existe une relation habitat car le parasite est porté par son hôte. Le parasite peut-être externe ou interne. De nombreux champignons et bactéries pathogènes pénètrent dans l'hôte par ses orifices naturels ou par ses blessures, ils produisent une toxine. Cette exotoxine se répand très vite par voie sanguine, entraînant parfois rapidement la mort, par exemple avec la diphtérie ou le tétanos. Les parasites peuvent être des insectes, des animaux ou des végétaux.

Prion :

Il s'agit de protéines constamment associées à un acide nucléique, capable de provoquer, après une longue période d'incubation, des maladies neurodégénératives chez les mammifères. La forme mutée de la protéine, transmissible, serait pathogène du fait d'un défaut de conformation qu'elle imposerait à certaines protéines du système nerveux.

Septicémie :

Maladie causée par la pullulation, dans le sang, de bactéries pathogènes.

Toxémie :

Ensemble des accidents provoqués par les toxines véhiculées par le sang.

Virus :

Signifie poison en latin; cette notion est donc ancienne mais est restée sans contenu précis jusqu'aux découvertes de Pasteur. Les virus sont des organismes de très petite taille, ne contenant qu'un seul acide nucléique et ne pouvant se développer et se multiplier qu'à l'intérieur d'une cellule vivante. En dehors de l'hôte, un virus est une particule inerte, le virion, qui ne possède ni métabolisme propre, ni capacité de réplication, ni par conséquent de possibilité d'évolution autonome.

Ils sont les agents d'un grand nombre de maladies, des plus bénignes aux plus graves, qui affectent tous les êtres vivants multicellulaires. Plusieurs milliers de virus sont recensés : chaque cas est spécifique d'une espèce. Dès 1953, André Lwoff proposait une définition des virus en quatre points :

- Un virion ne renferme ni cytoplasme, ni noyau, mais associe de l'acide nucléique et des protéines dans une structure définie et constante, qui possède des éléments de symétrie.

- Un virion ne renferme qu'un type d'acide nucléique ADN ou ARN.

- Il est incapable de croître ou de se diviser. Il se reproduit uniquement à partir de son matériel génétique, l'acide nucléique.

- Un virus est un parasite absolu de la cellule, puisqu'il possède l'information nécessaire à la synthèse de ses propres constituants, mais n'a pas les moyens d'exprimer cette information.

Annexe 2 : Les principales fièvres hémorragiques

(source : Institut Pasteur)

BUNYAVIRIDES

Virus de la fièvre de la Vallée du Rift. Quand les barrages font des ravages...

Quatre épidémies de fièvre hémorragique de la Vallée du Rift ont sévi en Afrique : l'une en Egypte en 1977, l'autre en Mauritanie en 1987 et, plus récemment, au Kenya en 1997-98 et de nouveau en Egypte en 2003. Elles ont été provoquées par un virus transmis par les moustiques et d'autres insectes piqueurs. Ce virus avait été isolé dès 1931 : il avait alors été responsable d'une épizootie chez de petits ruminants. Il a ensuite été à l'origine de plusieurs épizooties chez les ovins, en Afrique de l'Est et du Sud. Des éleveurs en contact avec des animaux malades ou morts furent contaminés, mais sans gravité. Après 1970 par contre, plusieurs décès furent signalés. A la suite de la mise en eau du barrage d'Assouan, commencée cette année-là, 200 000 personnes ont été infectées et 600 ont décédé, sans compter les pertes en bétail, faisant prendre conscience du risque d'épidémie lié à ce virus. En effet, la mise en eau avait favorisé la pullulation des moustiques (Aedes, Culex, Mansonia) et de certaines mouches (simulies, culicoïdes) vecteurs du virus et créé des concentrations humaines et animales favorisant les contaminations. De même en Mauritanie, la mise en eau du barrage de Diama en 1987 fut à l'origine de 224 victimes. Le virus a resurgi en 1993, en Egypte. Mais la plus importante épidémie des années 90 a eu lieu en décembre 1997 au Kenya, où on estime que 89 000 personnes ont été infectées et 500 ont décédé. En 2000, le virus est pour la première fois sorti du continent africain, touchant des personnes en Arabie Saoudite (863 cas et 120 morts) et au Yémen (un millier de cas, 121 morts). Enfin, en 2003, le virus a resurgi en Egypte, touchant 45 personnes, dont 17 ont décédé.

Congo-Crimée

Les tiques de la Mort noire.

La première épidémie documentée provoquée par ce virus est survenue en 1945 en Crimée. Mais des descriptions de cette fièvre hémorragique ont été faites dès le IIème siècle de notre ère en Ouzbekistan, où l'on surnommait cette infection " Mort noire ". Le virus responsable ne fut isolé qu'en 1966 à partir d'un cas bénin de la maladie survenue au Zaïre, ex-Congo belge, en 1956. Le virus fut alors baptisé Congo. Il a ensuite été reconnu responsable de l'épidémie de Crimée et re-baptisé Congo-Crimée. Il est transmis à l'homme par diverses espèces de tiques et touche prioritairement le personnel d'abattoirs. Des épidémies nosocomiales (au sein des hôpitaux) ont également été rapportées. La mortalité des infections en Afrique ou en Europe Centrale est de 28%. La transmission de la maladie peut être évitée par la lutte contre les vecteurs, via l'utilisation d'acaricides. Le virus a été responsable d'une épidémie au Kosovo en 2001-2002 (69 cas et 6 morts). Il avait été trouvé en Albanie, en Iran, au Pakistan et en Afrique du Sud en 2001, et a été retrouvé en Mauritanie en 2003.

Hantaan

La guerre de Corée révèle, via les casques bleus, une maladie millénaire.

Entre 1951 et 1953, pendant la guerre de Corée, plus de 2000 soldats des Nations Unies furent atteints d'une maladie mortelle dans 10% des cas qu'on nomme depuis 1983 "fièvre hémorragique avec syndrome rénal" (ou HFRS, maladie caractéristique des hantavirus), mais qui fut décrite voici 1000 ans dans un traité de médecine chinoise. Malgré les efforts déployés par les virologistes, l'agent ne fut identifié qu'en 1976 dans les poumons du mulot des champs Apodemus agrarius, son principal réservoir en Corée - un rat présent en abondance dans les rizières. Quatre années furent encore nécessaires pour isoler le virus et préparer les réactifs permettant un diagnostic sérologique. Ce virus fut nommé Hantaan, du nom de la rivière qui marque la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Il circule du Japon à la Russie, et un virus très proche à l'origine d'une maladie aussi grave est présent dans les Balkans. La maladie n'a pas pour autant disparue avec la guerre : en 1986, 14 Marines américains ont été infectés lors de manoeuvres dans une région endémique de Corée du Sud, et deux ont succombé. Cinq cents à 1000 cas surviennent chaque année dans l'ex URSS, 300 à 900 personnes seraient infectées chaque année en Corée, et d'après les enquêtes réalisées dans les régions endémiques de ce pays, environ 5% de la population possède des anticorps contre le virus. Au total, environ 100 000 personnes sont contaminées chaque année, principalement en Chine, où des vaccins expérimentaux sont actuellement testés.

Séoul

Virus des villes, virus des champs.

En recherchant le virus Hantaan en Corée, les scientifiques ont découvert un virus proche mais distinct qu'ils dénommèrent Séoul, et dont les réservoirs sont des rats (Ratus norvegicus et Ratus rattus). Cet hantavirus a provoqué des épidémies, peu mortelles, à Osaka (Japon), dans la ville de Séoul et dans certaines régions urbaines en Chine où les cas se sont multipliés depuis 1981. Des cas sporadiques ont également été décrits en Europe (y compris en France) et en Afrique.

Puumala

Une fièvre hémorragique européenne...

Une forme plutôt bénigne de "fièvre hémorragique avec syndrome rénal" existe en Europe. Dès 1934, on décrivait en Suède des cas de "néphrite épidémique". Plusieurs milliers de personnes furent touchés par cette maladie durant la seconde guerre mondiale. C'est en 1980 que l'agent fut identifié dans les poumons d'un rongeur, le campagnol roussâtre Clethrionomys glareolus. Cet hantavirus fut véritablement isolé en 1983 en Finlande et baptisé du nom d'un lac de ce pays : Puumala. Il ne circule pas qu'en Scandinavie : il a depuis été reconnu en France, en Belgique, en Allemagne et en Grande-Bretagne, les contaminations étant toujours associées à des activités rurales. En France, le nombre de cas diagnostiqués oscille entre 20 et 200 cas par an, toujours dans le quart Nord-Est de la France. On sait aujourd'hui que les épidémies surviennent tous les trois ans, suivant la dynamique des populations des rongeurs réservoirs du virus. Les cas sont groupés dans cinq foyers principaux : massif forestier des Ardennes, Picardie, Franche-Comté, Lorraine et un domaine englobant Côte-d'Or et Marne. Depuis 1982, environ un millier de cas ont été confirmés sérologiquement en France. Six épidémies ont été décrites en 1985, 1990, 1991, 1993, 1996 et en 1999 au cours desquelles la majorité des cas est survenue en été. La maladie est assez peu hémorragique et guérit spontanément en une à trois semaines.

Belgrade/Dobrava

En Bosnie-Herzégovine, la guerre chasse les grands prédateurs et les rongeurs se multiplient.

Proche du virus Hantaan et aussi létal que lui, le virus Belgrade a été isolé d'un cas humain mortel il y a environ sept ans, tandis que le virus Dobrava était isolé chez un mulot. Ces deux virus sont proches sinon identiques.
En 1995, en Bosnie, environ 700 militaires appartenant aux différentes factions sont tombés malades ainsi que quelques soldats des Nations-Unies. Parmi ces 700 infections, on ne connaît pas celles dues au virus Puumala et au virus Dobrava/Belgrade. Cette épidémie était due à la fois à une pullulation exceptionnelle de rongeurs et aux conditions de vie des soldats qui vivaient dans les forêts.

Sin Nombre

Ou comment la pluie multiplie les pignons de pin et les souris qui s'en nourrissent...

Cet antavirus a été isolé en 1993 aux Etats-Unis. L'abondance de pluie et de neige qui a caractérisé le printemps 1993 dans la région de montagnes et de déserts des états du Nouveau-Mexique, du Nevada et du Colorado, aurait favorisé le développement de la souris Peromyscus maniculatus. L'humidité exceptionnelle a en effet eu pour conséquence une production particulièrement abondante de pignons de pin, dont cette souris se nourrit : la densité de cette population de souris a décuplé entre 1992 et 1993, multipliant considérablement les risques de contact entre l'homme et ces excrétrices de virus. Les quelques cas recensés entre 1992 et 1993 ont permis la reconnaissance de la maladie et de son agent. Une maladie différente de celle provoquée par les autres hantavirus, dominée par des symptômes pulmonaires plus que rénaux : le "syndrome de détresse respiratoire de l'adulte" (ARDS). En octobre 1993, 48 cas étaient recensés dans 12 états, dont 27 morts, certains chez les indiens Navajos. Depuis cette date, d'autres virus proches ont été reconnus responsables de l'ARDS également, dans divers pays d'Amérique du Sud et au Canada. Au total, environ 300 cas ont été recensés à ce jour.

ARENAVIRUS

Lassa

D'une chambre d'hôpital à l'autre...

En janvier 1969, à Lassa, au Nigeria, une religieuse infirmière tomba malade dans l'hôpital où elle travaillait. Elle fut évacuée dans une ville voisine où elle contamina, avant de décéder, deux autres religieuses dont l'une mourut. Un an plus tard, une épidémie éclatait dans ce même hôpital. Une enquête rétrospective montra que 17 des 25 personnes touchées avaient probablement été contaminées dans la salle où la première malade avait été hospitalisée. La transmission du virus à l'origine s'est effectuée par le biais d'un rongeur (Mastomys). Une autre épidémie a éclaté en 1993 en Sierra Leone avec une mortalité de 15%. En 1996, plus de 400 cas y ont été rapportés. Le virus circule désormais en permanence en Guinée, en Sierra Leone, au Liberia et dans certaines régions du Nigéria. Par ailleurs, plusieurs cas d'importation ont été recensés en Europe et aux Etats-Unis. Un traitement existe, par la ribavirine.

Junin

Ou comment être contaminé en récoltant du maïs...

Le virus Junin, responsable de la « fièvre hémorragique d'Argentine », a été identifié en 1958. La maladie est apparue à la fin des années 40 à l'est de Buenos Aires, dans la région de la pampa. A l'époque, de grandes surfaces de culture de maïs avaient été développées. Conséquence : ce changement d'écosystème a favorisé la pullulation de certains rongeurs (Callomys musculinus, Callomys laucha), qui se trouvent être des réservoirs du virus. Les contacts se sont donc multipliés entre ces rongeurs réservoirs et les ouvriers agricoles. La plupart des personnes touchées étaient des hommes adultes ayant inhalé des poussières souillées par les excrétas des rongeurs, au moment où ils récoltaient le maïs à la main. Aujourd'hui, avec la mécanisation, ce sont les conducteurs de machines agricoles qui sont en première ligne. Outre les poussières en suspension, ils inhalent également un aérosol de sang infectieux lorsque les moissonneuses broient les rongeurs... 3000 cas d'infections ont été rapportés en 1964. Un vaccin préparé à partir de virus attenué a été développé en Argentine et largement administré à la population de la région à risque.


Machupo

Quand une révolution pousse l'homme vers les forêts...

Le virus Machupo est apparu en Bolivie en 1952. Une révolution avait alors poussé les populations vivant dans la plaine du Béni, à l'est du pays, à proximité de la limite de la forêt amazonienne, où ils développèrent une agriculture de subsistance. Le rongeur réservoir du virus Machupo (Callomys callosus) est plutôt anthropophile : il pénètre dans les maisons. Une épidémie a fait 650 malades et 122 morts en 1963-64. Grâce à une lutte engagée contre ce rongeur, les contaminations humaines ont ensuite disparu, dès 1974. Mais durant l'été 1994, le virus a frappé à nouveau, au même endroit, contaminant sept personnes d'une même famille...

Guanarito

Ou comment attraper un virus en défrichant une forêt...

Ce virus a été découvert lors d'une épidémie survenue au Venezuela en 1989, qui a touché 104 personnes dont 26 ont décédé. Les 15 premiers cas sont survenus dans une communauté rurale du centre du pays, qui avait entrepris de défricher une zone forestière. Le réservoir du virus est désormais connu : le rongeur Zygodontomis brevicauda. Lorsque les paysans se sont mis à défricher la forêt, ils ont soulevé des poussières infectées par les urines ou les excréments desséchés des rongeurs. La contamination a donc eu lieu par voie respiratoire, un des modes de transmission les plus fréquents de ces virus.

Ebola

L'homme semble contaminé par le singe, mais comment le singe est-il infecté?

Le virus Ebola a été identifié pour la première fois en 1976 en République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), et doit son nom à une rivière de ce pays. Le même virus a ensuite resurgi au Gabon en novembre 1994, faisant 28 morts sur 44 cas enregistrés lors d'une épidémie initialement attribuée à la fièvre jaune. En 1995, à Kikwit, RDC, une épidémie, qui avait touché environ 318 personnes et provoqué 249 décès (81% de mortalité), était également due à la "souche Zaïre". Celle-ci est réapparue en 1996 au Gabon et en Afrique du sud, puis en 2001-2002 à nouveau au Gabon et en République du Congo, et de nouveau en RDC en 2003. D'autres souches de virus Ebola ont provoqué des épidémies : la souche Soudan, qui a infecté 284 personnes en 1976, puis a resurgi en Ouganda en 2000-2001 (425 cas et 53% de mortalité). La souche Ebola-Côte d'Ivoire, isolée par des chercheurs de l'Institut Pasteur, n'a fait qu'un cas humain : une personne infectée par la manipulation de prélèvements de chimpanzés sauvages en Côte d'Ivoire. Ces chimpanzés étaient alors touchés par une étrange épidémie, à laquelle certains avaient succombé. Enfin, la souche Reston, apparue en 1989 en Virginie (Etats-Unis) chez des singes provenant des Philippines - et qui ne semble pas pathogène pour l'homme -, a encore frappé au Texas, en avril 1996, tuant plusieurs macaques là encore d'origine philippine. Le réservoir animal du virus Ebola est activement recherché mais reste à l'heure actuelle inconnu.

Marburg

Le risque biologique : manipulation de singes au laboratoire...

En 1967, à Marburg (Allemagne), 25 personnes préparant des cultures de cellules à partir de reins de singe tombèrent malades, et 7 décédèrent. D'autres cas furent rapportés simultanément à Francfort et en Yougoslavie, toujours dans des laboratoires où l'on avait reçu des singes en provenance d'Ouganda. Les singes moururent eux aussi de la maladie, mais les recherches faites en Afrique de l'Est n'ont pas permis de découvrir le réservoir du virus. Par ailleurs, quelques cas d'infection naturelle ont été rapportés depuis en Afrique du Sud (1975), au Zimbabwe et au Kenya (1980, 1987). En 1998-1999, une épidémie eu lieu à Durba, en République Démocratique du Congo, touchant essentiellement des personnes travaillant dans une mine d'or. Les modes de contamination n'ont pas été identifiés. Comme pour le virus Ebola, le réservoir naturel du virus Marburg reste inconnu.

Annexe 3 : Circulaire du Ministère de la Santé et de la protection sociale relative à la prévention du risque sanitaire lié aux légionelles dû aux tours aéro-réfrigérantes humides

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Annexe 4 : Note de la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection relative à la prévention de la légionellose

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Annexe 5 : « La santé des primo-migrants en 2004 »
(source : Office des migrations internationales - OMI)

Annexe 6 :
Le plan national de lutte à cinq ans contre les infections nosocomiales

(Source : orientations nationales pour la prévention des infections nosocomiales : Docteur Béatrice Tran et Docteur Valérie Salomon, Direction générale de la santé ; Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins - Cellule infections nosocomiales -
colloque ministériel du 20 janvier 2004)

En novembre 1994 un plan de lutte à cinq ans a été initié par le ministre chargé de la santé. Ce plan définit la politique de prévention et de surveillance des infections pour l'ensemble des établissements de soins.

Il a pour objectifs la réduction des infections nosocomiales et la réduction du nombre des bactéries multirésistantes aux antibiotiques.

Le plan a été mis en oeuvre dès 1995, par le Comité technique national des infections nosocomiales (CTIN), les centres interrégionaux de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (C.CLIN) et la cellule infections nosocomiales du secrétariat d'Etat à la santé.

Il comprend quatre axes de travail :

- l'élaboration et la diffusion de recommandations de bonnes pratiques d'hygiène ,

- l'amélioration de la formation en hygiène hospitalière ,

- le renforcement du dispositif de lutte contre les infections nosocomiales ,

- la mise en place d'actions de surveillance


Elaboration et diffusion de recommandations de bonnes pratiques d'hygiène

Des recommandations ont été diffusées aux établissements de santé par le ministère et le CTIN concernant :

- la surveillance et la prévention des infections nosocomiales en réanimation (1995),

- la désinfection des endoscopes (circulaire du 2 avril 1996. Pour avoir accès au texte de la circulaire voir notre rubrique "réglementation" dans le chapitre "données et documents"),

- le bon usage des antibiotiques à l'hôpital, en collaboration avec l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) (octobre 1996),

- la prévention des accidents d'exposition au sang dans les blocs opératoires (affiche diffusée à tous les services de chirurgie en 1997),

- la stérilisation (circulaire du 20 octobre 1997. Pour avoir accès au texte de la circulaire voir notre rubrique "réglementation" dans le chapitre "données et documents"),

- les précautions " standard " pour la prévention de la transmission d'agents infectieux au cours des soins (circulaire du 20 avril 1998. Pour avoir accès au texte de la circulaire voir notre rubrique ""réglementation" dans le chapitre "données et documents"),

- l'isolement septique (1998),

- la désinfection des dispositifs médicaux (1998),

- 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales" (1999).

Les C.CLIN eux-mêmes diffusent des recommandations élaborées par des groupes de travail inter-établissements sur des thèmes ciblés (sondage urinaire, lavage des mains...). Afin de faciliter la diffusion des recommandations et de la littérature scientifiques, les C.CLIN se sont associés pour constituer une base documentaire intitulée Nosobase, accessible sur Internet : (voir la rubrique "autres sites" dans le chapitre "données et documents").


Amélioration de la formation du personnel en hygiène hospitalière

Un groupe de travail du CTIN a élaboré un rapport proposant diverses mesures pour améliorer la formation initiale et continue des personnels en hygiène hospitalière. Certaines d'entre elles ont déjà été mises en oeuvre :

- introduction de notions de base d'hygiène lors du stage infirmier réalisé par les étudiants en médecine (1995),

- incitation à la participation des directrices de soins infirmiers aux travaux du CLIN afin de favoriser l'harmonisation des pratiques (1995),

- introduction du thème "infections nosocomiales" dans le programme du concours de l'internat (1996),

- formation sur les infections nosocomiales prévue dans l'enseignement de deuxième cycle des études médicales (1997).

De plus, à la demande du ministère, l'Association Nationale pour la Formation du personnel Hospitalier (ANFH) a mis en place des actions de formation continue (de type formation-action) sur le thème de la prévention des infections.


Renforcement du dispositif de lutte contre les infections nosocomiales

. Au niveau national, une cellule " infections nosocomiales " a été créée en avril 1995 auprès de la Direction Générale de la Santé et de la Direction des Hôpitaux, pour coordonner le dispositif de lutte contre les infections nosocomiales.

. Au niveau inter-régional, un financement complémentaire des C.CLIN a été attribué en 1998 dans le but de régionaliser le dispositif et de faciliter l'extension de la mission d'aide et de conseil de ces centres aux cliniques privées.

. Au niveau des établissements de santé,

- une circulaire sur l'organisation de la lutte contre les infections nosocomiales a été diffusée en avril 1995.
Dans les hôpitaux publics, un comité de lutte contre l'infection nosocomiale est obligatoire depuis 1988. Ce comité est assisté dans les hôpitaux de taille importante, d'une équipe d'hygiène hospitalière.

- la lutte contre les infections nosocomiales fait l'objet d'incitations financières dans le cadre des contrats d'objectifs et de moyens passés avec les agences régionales de l'hospitalisation, afin de favoriser la mise en place d'équipes opérationnelles d'hygiène hospitalière dans les établissements de santé,

- dans les cliniques privées, la loi du 1er juillet 1998 a rendu obligatoire l'organisation de la lutte contre les infections nosocomiales.


Mise en place d'actions de surveillance

Une enquête nationale de prévalence a été réalisée en juin 1996 dans 830 hôpitaux (77% des lits hospitaliers publics). Elle a permis de mobiliser les professionnels et d'initier les établissements qui n'avaient jamais réalisé d'enquête au recueil d'information sur les infections nosocomiales. Sa coordination a été assurée par les CCLIN.

Des réseaux de surveillance sont animés par les CCLIN, concernant notamment la réanimation, la chirurgie et les bactéries multirésistantes aux antibiotiques. 230 services et près de 200 laboratoires hospitaliers ont participé en 1997 à l'un ou l'autre de ces réseaux. Les cinq CCLIN ont décidé d'utiliser les mêmes méthodes de recueil pour les réseaux de surveillance portant sur les aspects prioritaires de la prévention des infections nosocomiales : les infections du site opératoire, les infections en réanimation et les bactéries multirésistantes. Ceci permettra d'avoir des données portant sur l'ensemble de la France.

Orientations nationales pour la prévention des infections nosocomiales

Programme national de lutte contre les infections nosocomiales 2004-2007

 

Depuis 1995, les actions menées par le ministère de la santé s'inscrivent dans le cadre d'un plan national de lutte contre les infections nosocomiales (LIN) avec l'objectif de réduire la fréquence des infections nosocomiales et du portage des bactéries multirésistantes aux antibiotiques (BMR) dans les établissements de santé. Un dispositif spécifique visant à organiser la lutte contre les infections nosocomiales au niveau local, régional et national a été créé, des recommandations de bonnes pratiques élaborées et diffusées et un système national de surveillance épidémiologique et de signalement des événements sentinelles mis en place. Enfin, l'amélioration de la formation en hygiène des professionnels de santé et l'information des patients ont fait l'objet de dispositions spécifiques.

De nouveaux éléments doivent cependant être aujourd'hui pris en compte dans la définition de la politique de LIN : le développement concomitant des autres activités transversales hospitalières, l'importance prise au cours des dernières années par la démocratie sanitaire, l'émergence de la notion d'infections liées aux soins en milieu extrahospitalier. Prenant en compte ces évolutions, le Comité technique national des infections nosocomiales (CTIN), artisan du premier " plan quinquennal " de LIN, a proposé un certain nombre d'axes de travail pour les années à venir, qui ont fait l'objet d'une élaboration plus approfondie, sous la forme d'orientations pour la politique de LIN, par un groupe de travail réuni par la DGS et la DHOS.

Cinq orientations sont proposées, avec pour objectif de consolider les fondements des actions de prévention et d'inscrire la LIN dans une perspective plus globale incluant la gestion des risques sanitaires, l'information et les droits des patients, le rôle des professionnels de santé extrahospitaliers.

 

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N° 2327 - Rapport sur le risque épidémique (tome 2) (M. Jean-Pierre Door)

1 Secrétariat Général de la Défense Nationale

2 Cf. annexe 1

3 Cf. rapport de M. Saunier, sénateur, sur « L'incidence éventuelle de la téléphonie mobile sur la santé », n° 346 - Assemblée nationale, n° 52 - Sénat.

4 Cf. rapport n° 2046 - Assemblée nationale et n° 158 - Sénat.