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N° 3169

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

Douzième législature

__________________________________

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Le 20 juin 2006

 

N° 408

___

SÉNAT

Session ordinaire de 2005 - 2006

________________________________

Annexe au procès-verbal

de la séance du 20 juin 2006

     

Office parlementaire d'Évaluation

des choix scientifiques et technologiques

________________________

COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE

du 11 mai 2006

sur

Le protocole de Londres

relatif au brevet européen

_________

Déposé sur le Bureau
de l'Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX,

Premier Vice-Président de l'Office

 

_________

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL,

Président de l'Office

     

_______________________________________________________________________

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Henri REVOL

Premier Vice-Président

M. Claude BIRRAUX

Vice-Présidents

M. Claude GATIGNOL, député M. Jean-Claude ÉTIENNE, sénateur

M. Pierre LASBORDES, député M. Pierre LAFFITTE, sénateur

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député M. Claude SAUNIER, sénateur

Députés

Sénateurs

M. Jean BARDET

M. Christian BATAILLE

M. Claude BIRRAUX

M. Jean-Pierre BRARD

M. Christian CABAL

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Francis DELATTRE

M. Jean-Marie DEMANGE

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR

M. Jean-Pierre DOOR

M. Pierre-Louis FAGNIEZ

M. Claude GATIGNOL

M. Louis GUÉDON

M. Christian KERT

M. Pierre LASBORDES

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Pierre-André PÉRISSOL

M. Philippe ARNAUD

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

M. Jean-Claude ÉTIENNE

M. Christian GAUDIN

M. Pierre LAFFITTE

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-François LE GRAND

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Henri REVOL

M. Claude SAUNIER

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

Office parlementaire d'évaluation des choix

scientifiques et technologiques

(OPECST)

______________

« Le protocole de Londres relatif

au brevet européen »

_____________

Compte rendu de l'audition publique du

Jeudi 11 mai 2006

Assemblée nationale - salle Lamartine

Table des matières

Ouverture par M. Henri REVOL, Sénateur de la Côte-d'Or, Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 1313

M. Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, Premier Vice-Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques 1414

M. Alain POMPIDOU, Président de l'Office Européen des Brevets (OEB) 1515

M. Jean FOYER, Membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques 2020

M. Christian PIERRET, ancien Ministre de l'Industrie 2424

M. Philippe POULETTY, Président honoraire de France-Biotech 2727

M. Georges VIANES, Conseiller maître à la Cour des Comptes 3131

M. Benoît BATTISTELLI, Directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) 3333

M. Christian DERAMBURE, Président de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI) 3838

M. Arnold MIGUS, Directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 4545

M. Thierry SUEUR, Président du comité « propriété intellectuelle » du MEDEF 4949

M. Alain PATRY, Président de l'Association des Professionnels de la Traduction des Brevets d'Invention (APROBI) 5454

Mme Laurence DANLOS, Professeur de linguistique informatique à l'Université Paris VII, Membre de l'Institut Universitaire de France 5959

Débat 6363

Annexe 1 : Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973 (Convention sur le brevet européen) (Extraits) et modifications introduites à l'article 65 par l'Accord de Londres 7979

Annexe 2 : Avis de l'Académie française sur le projet de réforme du brevet européen du 21 juin 2001 8383

Annexe 3 : Motion émise par l'Académie des technologies dans sa séance du 12 avril 2006 sur la ratification de l'Accord de Londres 8585

Annexe 4 : Position de l'INSERM 8787

Annexe 5 : Note transmise par M. Denis Griesmar, ancien Vice-Président de la société française des traducteurs, délégué à la diversité culturelle du Forum francophone international 9191

Annexe 6 : Réflexions de la CGPME 9595

Annexe 7 : Observations de M. Claude Jacobson, Vice-Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) 9999

Annexe 8 : Documents transmis par M. Christian Derambure, Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) 103103

Le protocole de Londres relatif au brevet européen

Présidence de

M. Henri REVOL, Sénateur de la Côte-d'Or,

Président de l'Office parlementaire d'évaluation des

choix scientifiques et technologiques

et

M. Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie,

Premier Vice-Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Ouverture par

M. Henri REVOL, Sénateur, et

M. Claude BIRRAUX, Député

Ouverture par M. Henri REVOL, Sénateur de la Côte-d'Or,
Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, chers collègues parlementaires, Mesdames, Messieurs, je vous remercie d'être venus aujourd'hui participer à cette audition publique.

Nous nous trouvons réunis à l'initiative de mon collègue Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président, qui a souhaité que l'OPECST organise une audition publique sur l'accord de Londres relatif au brevet européen. Nous nous sommes bien entendu ralliés à sa proposition qui s'inscrivait dans le cadre d'échanges entretenus avec l'Office européen des brevets, en particulier son Président, et il nous a semblé utile de faire le point sur les débats en cours concernant le sujet abordé aujourd'hui.

Je rappellerai à ce propos que l'Office Parlementaire, qui rassemble des sénateurs et des députés, a pour mission d'informer les parlementaires et parmi eux les membres de l'Office, des conséquences des choix scientifiques et technologiques. Or, les questions liées à l'innovation et plus spécifiquement aux brevets d'invention ont fait l'objet d'une attention particulière dans divers rapports de l'Office : il était normal que celui-ci cherche à approfondir ces questions.

La procédure des auditions publiques à laquelle l'Office recourt de façon presque systématique permet de surcroît d'informer le public, grâce à la presse que je remercie de sa présence, et d'organiser des échanges entre tous les acteurs, notamment lorsqu'il s'agit de sujets controversés. Le débat qui va s'ouvrir dans quelques instants montrera combien le sujet choisi reste controversé, en dépit des négociations, concertations, discussions ayant déjà eu lieu. Mais si la question de la traduction des brevets européens est controversée, cette controverse dépasse nos frontières.

En outre, l'Office travaille en amont et en aval de l'adoption des textes tendant à réguler les activités scientifiques et techniques. Cette audition s'inscrit également dans cette perspective et permet à l'Office de prendre sa part aux réflexions en cours avec un esprit d'ouverture en associant des parlementaires, nos collègues présents qui ne sont pas membres de l'Office. Je crois sincèrement qu'un travail de ce type permettant d'associer députés, sénateurs et plusieurs organes des assemblées, commissions, délégations et notre Office, est fructueux.

Enfin, l'Office ne pouvait pas se désintéresser des solutions susceptibles d'être apportées par la science et les nouvelles technologies : les technologies des langues, les industries des langues ont un rôle à jouer dans le domaine qui nous préoccupe et peuvent ouvrir de nouvelles perspectives.

L'Office exerce donc aujourd'hui sa mission d'information, toute sa mission d'information, mais bien entendu rien que sa mission d'information car le travail confié aux deux délégations parlementaires, dans chacune de nos assemblées, se poursuit. Au vu de ce travail, le Parlement aura le cas échéant à se prononcer selon les règles constitutionnelles en vigueur.

Je souhaite donc à toutes et à tous des échanges fructueux cet après-midi. Je donne aussitôt la parole à Claude BIRRAUX.

M. Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie,
Premier Vice-Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Merci Monsieur le Président. A mon tour je voudrais remercier l'ensemble des personnes qui ont permis à l'Office Parlementaire d'organiser cette audition publique.

Nous allons aborder un sujet relativement complexe : quelles sont les conséquences des traductions des brevets d'invention ou de leur non-traduction sur les plans juridique, économique, technologique et linguistique ? Quels sont les moyens permettant de sauvegarder et de promouvoir le français comme langue technologique, de faciliter le dépôt de brevet par nos entreprises et d'assurer dans de bonnes conditions la veille technologique et l'accès aux connaissances ? Ce sont des sujets extrêmement importants parce que nos entreprises sont très en retard en matière de dépôt de brevets.

L'Office parlementaire a l'habitude d'organiser ce genre de débats publics et contradictoires, le plus souvent dans le cadre des études qui lui sont confiées et qui donnent lieu à l'adoption de rapports : il est important que vous sachiez que ce sont les parlementaires qui s'investissent personnellement pour élaborer les rapports de l'Office, et non des groupes de pression ou des consultants qui tirent les conclusions que le donneur d'ordre veut bien entendre. Les parlementaires de l'Office sont donc familiers de ce type de débats. Nous avons été au fil du temps l'interlocuteur privilégié des organismes scientifiques et nous nous sommes également adaptés. Pour pouvoir être plus réactif et répondre à des sujets d'actualité, l'Office organise des auditions publiques programmées par son bureau ; l'une des premières auditions organisées de ce type portait sur la légionellose, en pleine crise de la légionellose dans le nord de la France.

C'est dans ce contexte général que nous avons décidé d'organiser une audition sur le Protocole de Londres. Cette initiative est née à l'occasion de l'examen de la loi de programme pour la recherche au cours de laquelle a été présenté un amendement tendant à ratifier l'accord de Londres. Cet amendement présenté par Jean-Michel FOURGOUS au nom de la Commission des Finances, n'a pas été adopté pour des raisons formelles. Jean-Michel FOURGOUS l'a même retiré. Mais le débat montrait que les réflexions devaient se poursuivre.

Le gouvernement a ainsi demandé aux délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat d'examiner la question. L'initiative de l'Office vise à organiser une confrontation publique des opinions entre l'ensemble des parties prenantes pour que des échanges puissent avoir lieu et que la réflexion des commissions parlementaires soit alimentée.

Je dois impérativement clore cette audition à 17 h 55. Je demande donc à chacun d'être le plus concis possible pour que nous puissions disposer d'un temps de débat suffisant.

Je donne tout de suite la parole à Monsieur Alain POMPIDOU, Président de l'Office Européen des Brevets (OEB), qui pourra nous dire quelques mots sur le brevet communautaire.

M. Alain POMPIDOU, Président de l'Office Européen
des Brevets (OEB)

Merci Monsieur le Président. Merci cher Vice-président et ami. Je suis très honoré de participer à cette réunion-débat sur les problèmes liés aux traductions des brevets en Europe.

Je voudrais tout d'abord dire qu'en tant que Président de l'OEB, élu par le Conseil d'Administration, je suis le gardien de la Convention Européenne des Brevets et à ce titre, je dois m'assurer du maintien de l'utilisation des trois langues officielles de l'Office : le français, l'allemand et l'anglais. Ces trois langues officielles sont donc garanties par la Convention qui est le traité fondateur de l'Organisation Européenne des Brevets dont l'organe exécutif est l'OEB que j'ai l'honneur de présider en tant que Président exécutif, contrôlé par son Conseil d'Administration.

L'OEB représente les 31 Etats membres de l'organisation, plus large donc que l'Union Européenne et représentant, d'ici deux ans, 550 millions de consommateurs.

L'OEB a 6500 employés permanents dont 1700 francophones et 1100 Français. Le français est la langue de travail, pratiqué quotidiennement par tous les employés de l'OEB. Je dois vous dire que dans ces conditions, l'OEB est la dernière organisation internationale européenne dans laquelle le français est parlé couramment et quotidiennement.

Mon objectif, en tant que Président français, est d'accompagner la politique volontariste en faveur de l'innovation qui a été annoncée par le Président de la République française. Pour cela, il s'agit de m'attacher à réduire le coût d'accès à la protection des inventions technologiques en réduisant le coût des brevets grâce à la réduction des coûts des traductions. Ce coût des traductions représente un véritable impôt sur l'innovation : c'est une taxe et il importe de la réduire de façon à rendre encore plus attractif le brevet européen. J'estime que ma troisième mission en tant que Président français est de m'attacher à maintenir et à renforcer la place du français en tant que langue scientifique, technologique, économique et juridique.

Jusqu'à présent les débats ont été nourris et fructueux, notamment lors de ce long débat à l'Assemblée Nationale suite à un amendement à la loi sur la recherche. Je pense néanmoins que, dans le cadre de la gestion de ce dossier, il y a eu quelques méprises. Pour ma part, je vais essayer d'être totalement objectif dans l'analyse que je présente au nom de l'OEB.

Je commencerai par quelques mots sur la France en tant que moteur de l'innovation en Europe. La France est créatrice de connaissance et un des moteurs de l'innovation, même si elle vient derrière certains de ses compétiteurs européens ou internationaux et elle est un des moteurs des applications de l'innovation : ce sont quand même et toujours des points forts de la France, comme en témoigne le nombre de brevets déposés chaque année en français à l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). Ce nombre va croissant et je pense que ce potentiel d'innovation est un atout majeur pour l'économie française.

Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, l'objectif est de créer un capital intellectuel pour renforcer l'économie du savoir en Europe, de la protéger et donc de créer une culture de brevets afin d'assurer un réseau de distribution efficace pour la propriété intellectuelle, si bien que le brevet assure la création d'une économie du savoir en France.

A l'OEB, la France arrive en deuxième position, en quatrième position au niveau mondial, et je dois dire que la France fait partie des cinq premiers pays utilisant le système européen des brevets, de sorte qu'elle bénéficie largement des avantages du système des brevets utilisés par ses entreprises.

La France est donc l'un des pays fondateurs de l'OEB. Je rappellerai la proposition du Sénateur Henri Longchambon en 1949, pour la création d'une organisation européenne des brevets qui a conduit à la mise en place de l'OEB en 1977, après la convention ratifiée en 1973 par quatre Etats membres.

Il y a aujourd'hui 31 pays membres, un marché de plus de 540 millions d'habitants qui se rassemblent autour d'un office avec une procédure unique, celle-ci apportant une grande qualité juridique au brevet déposé et travaillant dans trois langues officielles : le français, l'allemand et l'anglais.

Je vous ai parlé du nombre d'agents et des 20 % d'agents francophones de l'Office, de sorte que le français forme un élément porteur du système des brevets en Europe qui a été inspiré par la France. Rappelons que la sécurité juridique, la qualité scientifique, la transparence de la procédure de délivrance assurent le respect et la bonne réputation du brevet européen au niveau mondial. Ainsi, l'utilisation du français à l'OEB valorise l'acceptation du brevet européen parmi les entreprises innovantes.

Le droit européen des brevets réserve une position privilégiée au français. Outre que le français est une langue de travail officielle de l'Office et de son organisation, les revendications de tous les brevets européens doivent être disponibles en français. Je rappelle que les revendications définissent et délimitent ce qui est protégé par le brevet et la loi prévoit la publication de l'invention en français si la demande de brevet est déposée en français : tout concurrent doit donc prendre connaissance des demandes en français dès la publication du premier rapport de recherche d'antériorité au bout de 18 mois et ultérieurement dans les banques de données de l'OEB, lorsque le brevet est délivré. L'OEB dispose d'une banque de données de 55 millions de brevets depuis 1870, qui est accessible à tous et sans frais.

Je pense donc que le protocole de Londres vise à renforcer la position du français non seulement à l'intérieur de l'Office, non seulement en Europe, mais pour la veille technologique. En effet, les données liées au rapport de recherche disponible dans les 18 mois ont beaucoup moins d'intérêt lorsque le brevet est délivré, c'est-à-dire entre quatre et 10 ans après le premier dépôt.

Si l'accord de Londres entre en vigueur, y aura-t-il un appauvrissement des banques de données en français ?

Non, car les revendications seront toujours disponibles en français.

Y aura-t-il abandon du français comme langue de premier dépôt ?

Non, car les entreprises françaises ne vont pas cesser de protéger leurs inventions d'abord en France et les résultats que nous avons de l'INPI le montrent.

La menace du tout anglais est-elle réelle ?

Je crois que le risque du tout anglais est réel, compte tenu de la position récemment prise officiellement par l'Allemagne et par la Grande-Bretagne vis-à-vis des autorités françaises et suite à l'élargissement de l'Union Européenne. Je crois donc que l'entrée en vigueur du protocole de Londres écarte définitivement le risque du tout anglais et scelle dans le marbre le français.

Le coût par traduction est d'environ 1400 €. Sur un brevet de 20 pages dont 16 pages de description et quatre pages de revendications, sans le protocole de Londres, dans la mesure où le déposant validerait dans les 31 Etats membres, c'est-à-dire dans 23 langues, on arrive à un coût de 30 800 € par brevet. Avec le protocole de Londres, le fait qu'on réduise le coût des traductions uniquement aux revendications entraîne une division par cinq. Le régime des traductions détourne les ressources financières des activités de recherche et développement.

Le protocole de Londres favorise-t-il les entreprises américaines et japonaises, le fameux effet d'aubaine ?

Je pense que ce n'est pas le cas parce que les coûts des traductions pénalisent en premier lieu les entreprises en France et en Europe et que le meilleur moyen de résister à la poussée des brevets américains et japonais est de déposer plus de brevets en France et donc de rendre plus attractif le brevet européen, notamment pour les PME, pour les instituts de recherche et notamment les instituts de recherche publics.

Le protocole de Londres encourage-t-il la prolifération de brevets européens en langue étrangère en France ?

Je crois qu'un brevet moins cher facilite la création de portefeuilles de brevets dans les entreprises en France, notamment dans les PME et les instituts de recherche et incite au développement d'une culture de recherche et d'innovation. Si bien que, comme je le disais tout à l'heure, le protocole de Londres s'inscrit dans une politique industrielle qui vise à renforcer la compétitivité des entreprises.

Le protocole de Londres affecte-t-il la sécurité juridique des tiers ?

Je dirai brièvement que le protocole de Londres respecte la pratique juridique établie en France depuis 30 ans dans la mesure où, en cas de litige, le brevet doit nécessairement être traduit dans la langue dans laquelle le tribunal saisi devra rendre son jugement. De toute façon, la langue de premier dépôt fait foi, sur l'ensemble des brevets.

En ce qui concerne la compatibilité avec la Constitution française, le Conseil Constitutionnel n'a pas été saisi, mais l'avis du Conseil d'Etat est clair : le protocole de Londres satisfait aux exigences de l'article deux de la Constitution.

La France est inspiratrice du protocole de Londres, néanmoins six pays l'ont déjà ratifié par voie parlementaire : le Danemark l'a ratifié par voie parlementaire, mais la signature de la Reine du Danemark est nécessaire. Effectivement, la France, inspiratrice du protocole de Londres, est en phase de débat à l'heure actuelle.

Si la France ratifie, elle sauvegarde le français en tant que langue scientifique, technique, économique et juridique, elle pérennise sa position, les coûts pour protéger l'innovation en Europe seront sensiblement réduits et la voie sera ouverte à une solution européenne pour le brevet communautaire, sur lequel je me prononcerai rapidement tout à l'heure, Monsieur le Président.

Si la France ne ratifie pas, elle peut se voir exclue d'accords similaires visant à réduire la charge financière pour les innovateurs et risque effectivement d'être engagée, non consentante, vers un mouvement vers le tout anglais.

Je dirai en conclusion que les idées françaises doivent circuler et être valorisées en français, que c'est grâce à un coût attractif de la protection par brevet d'invention, qui ne porte pas préjudice à la qualité de la sécurité juridique assurée par l'OEB, que cela est possible. Je pense que c'est un des effets primordiaux pour la France de l'accord de Londres et je terminerai en disant : je pense en français, je m'exprime et j'écris en langue française, je défends mes inventions en français et je gagne pour la France.

En ce qui concerne le brevet communautaire, il existe un véritable acquis communautaire dans la mesure où celui-ci prévoit qu'il entre directement en vigueur dans 25 Etats membres. On peut donc « cibler » d'emblée 25 Etats membres et c'est le grand acquis du brevet communautaire.

Le brevet communautaire est en discussion depuis plus de 25 ans. La position de compromis de 2003 a failli aboutir et une fois de plus elle a « bloqué » sur les problèmes de la valeur juridique des traductions : 21 langues pour les 25 Etats membres.

Je pense donc que l'accord de Londres, loin de devoir succéder au brevet communautaire, qui mettra encore un peu de temps à arriver et que l'OEB appelle de ses vœux, doit entrer en vigueur avant le brevet communautaire. Le fait de passer à trois langues ouvre largement la voie au brevet communautaire avec cet acquis communautaire de pouvoir cibler directement dans les 25 Etats membres de l'Union Européenne.

Voilà Monsieur le Président, en quelques mots, ce que je voulais présenter à l'intention de l'assemblée.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur le Président. Je n'ai pas vu réagir votre voisin, l'éminent ancien Garde des Sceaux, ancien Président de la Commission des Lois de l'Assemblée, ancien Président du Conseil Supérieur de la Propriété Industrielle et membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, éminent collègue (puisque nous avons siégé ensemble sur ces bancs de l'Assemblée), Monsieur Jean FOYER qui va s'exprimer en tant que représentant de l'Académie des Sciences Morales et Politiques.

Si l'Académie l'a choisi pour la représenter, ce choix est judicieux en raison des fonctions exercées par Monsieur FOYER.

L'Académie des Sciences Morales et Politiques a émis un avis défavorable sur le protocole de Londres alors que l'Académie des Technologies a rendu un avis favorable.

Est-ce que le protocole n'est pas bon pour la langue française mais bon pour l'innovation ? Est-ce si simple ? Monsieur le Ministre, vous avez la parole.

M. Jean FOYER, Membre de l'Académie
des Sciences Morales et Politiques

Monsieur le Président, je vous remercie de me donner la parole. Vous avez bien voulu rappeler que je ne m'exprimais pas en mon nom personnel mais en celui de l'Académie des Sciences Morales et Politiques qui a émis un vœu contraire à la ratification de l'accord de Londres. Vous vous êtes étonné tout à l'heure de mon absence de réactions aux propos du Président POMPIDOU. Je comprends votre étonnement car le tableau très encourageant de l'accord de Londres, même en ce qui concerne l'emploi de la langue française, qu'il vient de nous brosser, est surprenant.

J'essaierai d'être très succinct.

A l'heure actuelle, le brevet européen peut être comparé à une fusée à têtes multiples, puisque ce brevet, à partir de sa délivrance, se disperse en autant de brevets nationaux qu'il y a d'Etats désignés.

Le problème est évidemment un problème de langue et de compréhension puisque les 31 Etats qui ont ratifié la convention de Munich ou qui y ont adhéré par la suite n'utilisent pas une langue unique.

La convention de Munich a décidé l'usage de trois langues : l'anglais, le français et l'allemand. Cependant, cela ne suffit pas puisque la totalité des habitants couverts par cette convention ne parle pas une langue unique. L'article 65, dans son état actuel, laisse une faculté aux Etats qui ont ratifié la convention de Munich : celle de décider que le brevet européen délivré ne produira pas d'effet si dans un délai de trois mois le texte du brevet n'a pas été déposé à l'institut de la propriété industrielle de cet Etat.

En 1999, une conférence a été réunie à Londres. La grande idée était qu'il fallait diminuer le coût du brevet. Evidemment ceux qui payent quelque chose ont toujours tendance à dire que c'est trop cher et que ce serait mieux si l'on ne leur demandait rien. Monsieur POMPIDOU a tout à l'heure qualifié de « taxe » et assimilé à un impôt le coût des traductions. Juridiquement, ce n'est pas du tout le cas. Le brevet d'invention est le moyen d'acquérir un monopole d'exploitation sur un territoire pendant une durée qui peut aller jusqu'à 20 ans. Il est normal que celui qui va bénéficier de ce monopole pendant une période relativement longue fasse les frais de l'opération et notamment qu'il assume les charges nécessaires pour rendre compréhensible l'obligation de ne pas faire résultant du brevet à ceux qui sont tenus de la respecter.

La convention en question comporte plusieurs articles et procède à une distinction entre deux catégories d'Etats contractants : ceux qui ont une langue officielle commune avec l'une des langues de l'OEB et ceux qui n'en ont pas.

En ce qui concerne les Etats qui ont une langue commune avec l'une des langues officielles de l'OEB, le texte nous dit qu'ils renoncent aux exigences en matière de traduction prévues à l'article 65, paragraphe 1er de la convention sur le brevet européen. C'est-à-dire que si nous ratifions la convention, nous ne pourrons plus exiger que soit déposé à l'INPI le texte du brevet européen, sous peine de ne pas produire d'effets si cette traduction n'a pas été produite dans un délai de 3 mois.

On vient nous dire après que cela va considérablement augmenter l'expansion de la langue française. Il faudrait s'entendre. Effectivement, il ne sera plus nécessaire que les brevets délivrés en langue française donnent lieu à une traduction, à supposer que les pays aient usé de la faculté comme nous, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique, où il y a plusieurs langues officielles dont l'allemand à raison du petit territoire de Eupen et de Malmédy, ni dans les pays germaniques, en Suisse et en Autriche. Mais inversement, toute la base des brevets délivrés en allemand (il y en a peu) et en anglais (il y en a beaucoup) ne donnera plus lieu à traduction en France si l'accord de Londres est ratifié. Quand l'Académie des Technologies vient nous dire que la position de la langue française est renforcée de cette manière, ce que le Président POMPIDOU a admis tout à l'heure dans son exposé, j'avoue avoir des difficultés à comprendre ce raisonnement.

Il y a ensuite le deuxième paragraphe de l'article 1er de la convention. Il s'agit du sort de la traduction ou de la non traduction pour les pays n'ayant aucune langue officielle commune avec celles de l'OEB, c'est-à-dire la majorité d'entre eux. Il y a deux solutions. Soit ces Etats ne font rien et, dans ce cas, le dépôt de la traduction reste nécessaire si les Etats en question ont usé de la faculté prévue à l'article 65 de la convention de Munich. Mais on leur donne une option entre ce maintien et une autre solution qui consiste à choisir une des langues officielles de l'OEB. S'ils choisissent une de ces langues, les brevets déposés ne donneront pas lieu à une traduction. Je me permets donc de dire que la clause en question est une espèce de « clapet de vidange » de tout le système car à partir de ce moment, pour pouvoir avoir un territoire aussi complet que possible, tous ces Etats vont manifestement choisir l'anglais. En effet, une pression considérable sera exercée en particulier par les Etats-Unis : vous savez très bien que dans les PECO, l'influence des Etats-Unis est considérable, car ces pays s'intéressent à l'Europe dans la mesure où les fonds européens peuvent leur apporter quelque chose. Ils n'ont pas encore compris que l'Union Soviétique était morte et pensent qu'elle peut renaître. Ils considèrent que leur liberté et leur survivance dépendent de l'OTAN et des Etats-Unis. Dans la mesure où les Américains les pousseront à faire l'option en faveur de la langue anglaise, il est évident qu'ils la choisiront. Autrement dit, c'est par ce moyen que s'introduit le tout anglais. Certains Français déposeront dès le départ leurs demandes de brevet en anglais, pour simplifier les choses dans tous les autres pays adhérents à la convention de Munich.

On nous dit qu'on continuera quand même à déposer des demandes de brevet en français, que les déposants sont incités à commencer par une demande de brevet français et ensuite à demander un brevet européen. Pourquoi sont-ils tentés de déposer d'abord une demande de brevet français ? Parce que l'INPI ne leur fait pas payer en totalité le coût de la recherche documentaire. Effectivement, c'est un avantage non négligeable, on comprend donc que les personnes soient très intéressées pour utiliser cette procédure. Mais n'ayez pas une confiance absolue dans la durée de ce système ! Ce système introduit un avantage considérable au profit de ceux qui commencent par déposer un brevet français, pour aller ensuite vers le brevet européen : il faut bien se persuader que cette facilité procurée par l'INPI est sur le fil du rasoir. Un beau jour, il se trouvera un plaideur qui soulèvera le problème devant la Cour de Justice des Communautés Européennes et cette pratique sera condamnée comme instituant une discrimination contraire aux traités européens.

Voilà pourquoi je considère le mécanisme de l'accord de Londres comme l'amorce en France d'une euthanasie de la langue française qu'on entoure d'un traitement qui lui évitera de sentir le fil du couperet. Il y a de l'anesthésie mais c'est tout de même la fin de la langue française comme langue technologique. Quand toute la technologie sera passée en anglais, tout le reste y passera, car quand on parlera anglais à l'atelier, à l'usine, à l'université, dans les laboratoires... on cessera aussi de parler français à la maison et à l'école.

Il y a également un autre aspect de la question qu'il me paraît nécessaire d'évoquer et qui constitue, à mon avis, un obstacle à la ratification : c'est l'argument constitutionnel. Le Conseil d'Etat n'a sans doute pas été très bien inspiré quand il a été consulté sur ce point en 2001... Il existe dans la Constitution un article 54 qui permet aux quatre plus hautes autorités (le Président de la République, le premier Ministre, les Présidents des deux Assemblées), à 60 députés ou sénateurs de saisir le Conseil Constitutionnel, avant que le Parlement ne vote une loi autorisant la ratification d'un traité, pour lui demander si ce traité n'est pas contraire à la Constitution. J'espère qu'une de ces autorités posera le problème devant le Conseil Constitutionnel. Pour une raison évidente : je l'ai dit tout à l'heure, le brevet d'invention édicte une obligation universelle de ne pas faire. Encore faut-il que ceux à l'encontre desquels cette interdiction est édictée (sur le territoire français, elle est prescrite aux personnes qui habitent le territoire de la République) puissent connaître suffisamment l'objet de l'obligation qui leur est imposée. Cela me paraît résulter de l'article 2 de la Constitution selon lequel le français est la langue de la République.

J'ajouterai que cet accord de Londres ne semble pas avoir été l'objet d'un enthousiasme reconnaissant de la part de tous les Etats. Evidemment, il y a deux grands Etats qui y sont favorables car ils en sont très largement les bénéficiaires : le Royaume-Uni et l'Allemagne. L'Allemagne beaucoup moins, car le nombre des brevets européens en allemand n'est pas tellement plus considérable que celui des brevets en français. Ces deux Etats sont cependant favorables à l'accord de Londres et ont voté des lois de ratification. Quant aux quatre autres Etats qui ont voté une autorisation de ratification, vous me permettrez de dire que ce ne sont pas, mis à part le Danemark, des Etats d'un poids industriel considérable quand il s'agit de la Principauté de Monaco, du Lichtenstein ou de la Lituanie. Il y en a d'autres, qui sont pourtant des Etats importants industriellement, qui ont signé mais n'ont pas ratifié : c'est le cas de la Suisse.

Enfin, certains Etats n'ont pas signé et ont fait connaître qu'ils n'avaient pas l'intention d'adhérer : ce sont des Etats qui sont de la même civilisation que nous et dont nous avons tiré notre substance, c'est-à-dire la Grèce, l'Italie et l'Espagne. Ces Etats ne veulent pas ratifier parce qu'ils ne veulent pas se laisser imposer une langue étrangère dans le domaine de la technique. Si nous les imitons, nous ne serons pas isolés et nous serons en bonne compagnie.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur le Président. Vous n'avez rien perdu de votre talent oratoire et de votre énergie. J'espère que vos propos ne conduiront pas à ce que nous rompions les relations diplomatiques avec Monaco.

Je vais maintenant demander à Christian PIERRET de donner son avis. Je voudrais d'abord le saluer avec plaisir ; il a été de longue date un ami de l'Office Parlementaire, nos relations personnelles ont toujours été particulièrement amicales. Merci de nous faire part de votre témoignage en tant qu'ancien Ministre de l'Industrie qui a été très actif dans le processus engagé sur ce protocole. Quelles sont vos analyses et convictions sur la suite qu'il convient de lui donner ?

M. Christian PIERRET, ancien Ministre de l'Industrie

Merci beaucoup, Messieurs les Présidents. Je suis très heureux en effet de me retrouver dans cette salle, après avoir changé de perspectives professionnelles.

Je n'étonnerai personne en disant d'emblée que je m'inscris totalement en faux contre l'exposé remarquable dans la forme, mais à mon avis complètement erroné sur le fond que vient de faire Monsieur le Ministre FOYER. Ayant été moi-même négociateur, sous l'autorité du Premier ministre de l'époque, en juin 1999, de la conférence intergouvernementale de Paris qui devait donner lieu quelques mois après à la signature de l'accord de Londres, ayant été un très ardent partisan de ces accords, je dois dire que je voudrais, pour simplifier le propos, regrouper autour de quatre idées les raisons pour lesquelles je pense qu'il est crucial de ratifier l'accord de Londres et que sa ratification n'est pas une simple option, pour la France, pour la croissance française et pour l'emploi.

Comme nous l'avons vu dans l'excellent exposé du Président POMPIDOU, l'accord de Londres a été ratifié par sept (six plus un) partenaires de notre pays et il est convenu que huit Etats sont nécessaires à la ratification pour que l'accord entre en vigueur. La France occupe donc un point nodal dans ce débat. Ne pas le signer serait d'ailleurs tout à fait contradictoire avec les efforts que nous avons déployés, ainsi que tous les gouvernements, pour placer la question de l'innovation et de la protection de la propriété industrielle comme centrale dans la bataille mondiale que nous livrons. Je voudrais dire aussi, ayant négocié et signé cet accord, que j'avais la pleine conscience d'être un ardent défenseur du français et de la construction européenne, puisqu'on trouve à Bruxelles trois langues de travail : l'anglais, le français et l'allemand. A l'OEB, comme l'a souligné le Président POMPIDOU, la pérennisation par l'accord de Londres du caractère officiel des langues françaises, anglaise et allemande me semble être le pilier culturel de la construction politique de l'Europe à partir de la question de l'innovation de la recherche et du développement.

La première raison de la nécessité de ratifier le protocole est qu'aujourd'hui, la Recherche Développement (R&D) et l'innovation sont la condition de la compétitivité dans le monde.

Ceci est lié à l'existence même d'un système industriel et est plus récent que l'accord de Londres : quand on sait que chaque année, on « produit » en Chine deux millions de bac + 5 et d'ingénieurs, on est évidemment placé sur le terrain le plus aigu qui soit. Nous relevons le défi ou nous ne le relevons pas. Si nous ne sommes pas capables d'avoir une politique offensive, non pas comme une ligne Maginot de défense mais comme une ligne offensive d'attaque économique à travers la propriété intellectuelle et la propriété industrielle, nous ne pouvons pas avancer sérieusement dans la compétition internationale et nous ne pourrons pas relever le gant de la compétitivité internationale.

Le rôle de la R&D est essentiel. Il serait également essentiel de le développer dans les PME : le rapport de M. Didier Lombard que j'avais commandité en 1998 a souligné à cet égard le retard français dans le domaine du dépôt des brevets pour les PME. En France, une PME sur quatre seulement dépose un brevet au cours de sa vie. Aux Etats-Unis, c'est une PME sur deux, c'est-à-dire le double de la proportion. Au Japon, ce sont 55% des PME qui déposent un brevet au cours de toute leur vie. Il est donc important de permettre aux PME d'accéder à la propriété industrielle, non pas simplement pour se défendre mais pour porter le combat au plan mondial. Il est décisif également de souligner que toute la littérature actuelle sur la croissance, sur l'emploi, sur la capacité européenne de relever le défi, sur la nature de la mondialisation et sur le terrain principal sur lequel se livre la bataille économique mondiale, porte bien sur la R&D et sur l'innovation. Il s'agit donc, en ratifiant l'accord de Londres, ce que je souhaite ardemment, de créer les conditions d'une conception offensive de la croissance économique et de la compétitivité.

La deuxième raison est qu'aujourd'hui, comme l'a montré le dernier tableau proposé par le Président POMPIDOU, la situation est la suivante : le français a tendance à voir son importance réduite. Ce n'est pas cultiver le paradoxe de dire que c'est en prônant la ratification de l'accord de Londres qu'on pourra défendre le français. C'est en ne le ratifiant pas que la tendance actuelle à la réduction de la part du français dans le dépôt des brevets sera accentuée.

Ce n'est pas un paradoxe : je suis convaincu - et je peux l'écrire aujourd'hui - que les 7% que nous représentons encore, contre 18 % pour l'allemand et 75 % pour l'anglais, vont s'éroder au cours des prochaines années et que la tendance au dépôt directement en anglais par des entreprises françaises va s'accroître si nous ne donnons pas de manière définitive, publique et forte, une place au français comme langue technologique, scientifique, comme langue de la bataille de l'avant de l'économie.

C'est la situation actuelle qui fragilise le français, et c'est la ratification qui le renforce. Il est déjà acquis d'ailleurs, hélas, que plusieurs grandes entreprises françaises non seulement tiennent leur conseil d'administration en anglais, et je me joins au Président FOYER pour fustiger cette pratique, mais déposent aujourd'hui les éléments de propriété industrielle directement en anglais. C'est lorsque nous avons voulu défendre la langue française que nous avons conçu les accords de Londres.

La troisième raison réside dans le fait que la réduction du coût de la propriété industrielle est essentielle. La France a d'ailleurs montré le chemin en réduisant la taxation des brevets de 50%, une décision que j'avais prise sous l'autorité du Premier Ministre. Mais en comparant avec la situation américaine, nous savons qu'il y a encore du chemin à accomplir. Il convient de voir que 40% des entreprises françaises renoncent au dépôt de brevet à cause du coût, 30 000 € environ avant, environ 6 000 € après.

On peut dire que 30 000 € pour Saint Gobain Pont-à-Mousson, ce n'est pas vraiment une somme : la différence de 25 000 € environ n'est pas décisive. Mais pour l'immense corps des PME, dans lesquelles se trouve une très grande part de l'innovation, pour l'entreprise en création, pour la « start-up » qui doit, parce qu'elle va vivre de cela, déposer et protéger son innovation, il s'agit bien d'une différence considérable d'approche. Il s'agit donc bien d'un point nodal dans la politique de brevet en France.

Enfin, alors même que la question de l'intelligence économique est aujourd'hui une question centrale dans la concurrence mondiale, la signature de l'accord de Londres devrait permettre d'améliorer les conditions de l'activité de veille technologique au profit de nos entreprises.

Aujourd'hui, les traductions intégrales de brevets ne sont disponibles qu'après cinq à sept ans. Seules 1,7 % des traductions sont consultées. Il s'agirait donc en fait, en pérennisant la situation actuelle, d'augmenter le coût de la propriété intellectuelle sans aucun rapport avec la pratique concrète des entreprises. 1,7 %, c'est évidemment modeste. Alors même que la veille technologique est un élément central, je pense donc qu'il ne faut pas alourdir le coût et mettre des bâtons dans les roues à la stratégie de nos entreprises.

Voilà quatre raisons décisives, Mesdames et Messieurs, pour lesquelles je suis un partisan absolu de cet accord. J'ajouterai d'ailleurs que souvent, on se méprend car comme il l'a été démontré tout à l'heure, la revendication doit être traduite dans les trois langues (anglais, français, allemand). La renonciation à la traduction dans la langue nationale ne concerne que la description du brevet qui n'est pas l'élément décisif de la protection, puisque celle-ci est accordée par la revendication. Les questions de publication qui interviennent 18 mois après, alors même que la protection est déjà engagée par la revendication, ne se situent pas dans la bataille industrielle et dans la pratique des entreprises, à un temps de la vie de l'entreprise qui soit suffisamment importante. Je ne vois donc que des avantages à cela et sans vouloir heurter l'aréopage dans ses convictions intimes qui sont les mêmes que les miennes : c'est en signant qu'on défend le français, c'est en ne ratifiant pas qu'on le fragilise.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci pour ce plaidoyer. Avant de me tourner vers Monsieur VIANES qui était chargé de mission par Christian PIERRET sur l'application du protocole de Londres, pour des raisons d'horaires, j'aimerais donner la parole à Philippe POULETTY. Philippe POULETTY, vous représentez les « start-up » innovantes, France-Biotech... Vous avez pris position en faveur de la ratification et vous allez peut-être nous donner les raisons pour lesquelles les PME et les « start-up » ont intérêt ou pas à ce que le protocole de Londres entre en vigueur.

M. Philippe POULETTY, Président honoraire de France-Biotech

Merci Monsieur le Président. Mesdames, Messieurs, je vais essayer de vous donner une vue pragmatique de quelqu'un qui a déposé 21 brevets dont de nombreux sont exploités commercialement.

Depuis deux ans, nous avons investi, avec mon fonds d'investissement, 60 millions d'euros dans des PME françaises innovantes. Si je dois partir tout à l'heure, c'est parce que nous discutons d'une lettre d'intention sur une nouvelle entreprise qui va être à l'interface entre les organismes de recherche publics et les PME innovantes.

Je voudrais vous faire part d'une très grande frustration des entrepreneurs, des scientifiques, des investisseurs dans le domaine de l'innovation et des PME. Quand je suis rentré en France après 13 ans en Californie, en 2002, Christian PIERRET m'avait invité à un débat sur l'accord de Londres. Cinq ans ont passé et nous sommes toujours en train de discuter avec les mêmes vieux arguments : faut-il ou ne faut-il pas ratifier l'accord de Londres, comment défend-on le français ? Pendant ces cinq ans, l'écart entre la France et certains voisins européens, l'écart entre l'Europe et les Etats-Unis s'est agrandi dans le domaine des biotechnologies, dans le domaine des PME innovantes.

En 2005, l'Europe ne représente que 17 % des investissements dans le domaine des biotechnologies par rapport aux Etats-Unis (1 sur 6), la France n'est que troisième en Europe. A mon avis, c'est un débat d'arrière-garde. Savoir si l'accord de Londres va défendre ou non le français n'est pas le sujet : je crois que pour défendre le français - et je suis un grand admirateur du général de Gaulle, Monsieur le Ministre - il sera beaucoup plus important de savoir s'il y aura une télévision numérique ou si la France a les moyens de financer des lycées français à l'étranger. Le financement des lycées français à l'étranger passe par une meilleure croissance, et une meilleure croissance passe par l'innovation. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non ratifier l'accord de Londres.

Qui lit les traductions aujourd'hui ? Deux types de personnes : les avocats spécialistes de contentieux et les traducteurs et agents de brevet. Ce qui va compter, c'est combien de chercheurs travaillent en France et déposent des brevets. Evidemment, le choix sera orienté par leur langue d'origine et par leur laboratoire d'accueil. De toute façon, l'anglais est déjà la langue scientifique au plan mondial. C'est un combat que nous avons, hélas, perdu, mais essayons de vivre dans le monde tel qu'il est et de ne pas faire de la défense du français le débat central sur l'accord de Londres. Le thème central de l'accord et du brevet communautaire est de savoir si la France et l'Europe vont créer l'environnement favorable pour la recherche, l'innovation et les PME, ou bien si nous allons continuer à conserver des freins majeurs faisant que l'écart entre l'Europe et les Etats-Unis, entre la France et d'autres pays, s'agrandit.

Nous sommes donc frustrés mais optimistes. Néanmoins, je dois vous dire ce qui va se passer en pratique si l'accord de Londres n'est pas ratifié : nos entreprises qui disposent de quelques centaines de milliers d'euros pour commencer déposeront d'abord un brevet américain, qui couvre un énorme territoire et, plus tard, elles verront comment elles traitent en PCT les territoires suivants. Ne croyez donc pas que la non-ratification de l'accord de Londres, telle une ligne Maginot d'un autre temps, préservera le français. Bien au contraire, parce que les gens sont pragmatiques : quand vous érigez des barrières devant eux, ils les contournent ou les sautent.

Quant aux facteurs qui défendent le français, permettons à nos universités, à nos organismes de recherche d'accueillir beaucoup plus d'étrangers dans les laboratoires et l'impact sera très positif sur le rayonnement français dans le monde. Révisons la fiscalité de l'épargne pour passer de 0,7 % de l'épargne dans les PME vers 5 à 10 % comme dans les pays anglo-saxons : vous verrez beaucoup plus de PME déposer des brevets en français. Mais ratifions absolument l'accord de Londres.

Au-delà de l'aspect financier, mettez-vous à la place d'une jeune entreprise ou d'un inventeur : il cherche à protéger son invention avec la plus grande simplicité, avec le coût le plus faible et le moins d'insécurité juridique sur l'avenir. C'est assez simple. Pour la première phase qui est le dépôt, il choisira la voie qui, tant qu'il n'est pas sûr de la valeur commerciale de ce brevet, minimise le plus le coût. Par exemple, on dépose un brevet sur un médicament dix ans avant de savoir si ce médicament sera sur le marché. Aujourd'hui, parce que les coûts à l'INSERM ou au CNRS sont très élevés, les agences de valorisation conseillent à leurs chercheurs de faire plus d'expériences avant de déposer un brevet. Cela minimise les coûts de dépôt car le budget des organismes de recherche est limité, mais c'est une approche très dangereuse. Les meilleurs brevets sont en effet ceux qu'on dépose dès que l'idée traverse le cerveau : on court voir son agent de brevet sans être sûr de savoir si cette idée aura une valeur. Si on ne le fait pas très vite, quelque part dans le monde, un Coréen, un Singapourien, un Américain a à peu près la même idée en même temps. La situation actuelle a pour conséquence que nous avons beaucoup moins de brevets de grande valeur, car nous n'avons pas une stratégie offensive en la matière, comme le disait Christian PIERRET.

Je voudrais traiter d'un autre sujet qui est le brevet communautaire et qui explique également notre frustration. Quinze ou vingt ans de discussions pour ne pas aboutir... Quand j'avais 10 ans et que j'écoutais le général de Gaulle, selon moi, l'Europe devait être assez simple et devait grandir assez vite. Or ce fiasco complet est très frustrant. J'ai entendu dire que les Allemands ne s'opposeraient plus à une juridiction centrale, ce qui est un aspect très important car les procès en contrefaçon coûtent très cher. J'ai une entreprise, j'ai déjà été en procès contre des grandes entreprises, et je dois être capable de dépenser cinq ou dix millions d'euros pour défendre mon invention. Rendez-vous compte de la situation européenne : des entreprises vont se battre en choisissant chaque juridiction, en ayant des procès en parallèle en Allemagne, en France, en Angleterre, qui coûtent des sommes faramineuses et aboutissent au fait que les plus faibles (PME ou organismes de recherche) perdent la bataille d'emblée, non pas parce que leurs brevets ne sont pas les meilleurs, mais parce qu'elles n'ont pas les moyens financiers de payer les frais d'avocat extrêmement élevés. Si nous n'aboutissons pas dans cinq ou six ans à une juridiction européenne centralisée pour les brevets, c'est à l'évidence un énorme frein pour la compétitivité française et européenne. Aux Etats-Unis, on choisit l'Etat où va avoir lieu le premier procès, et il y a ensuite un appel fédéral unique valable sur tout le territoire américain.

Je suis très optimiste sur l'innovation, sur la France et l'Europe, mais ne nous trompons pas de combat et reconnaissons que le débat de la francophonie est souvent le faux masque des agents de brevet qui ont un marché important de traduction. Ce n'est pas du tout le sujet de l'innovation : il faut ratifier l'accord de Londres et faire bouger le brevet communautaire. Je vous remercie.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur POULETTY.

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : J'aurais une question sur ce qui vient d'être dit. Peut-on intervenir en tant que parlementaire ?

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Nous avons prévu une partie débat après les exposés. Si vous avez des questions, vous pouvez les poser très rapidement mais sans faire de présentation préliminaire...

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : Je viens de vous écouter avec beaucoup d'intérêt. Je ne parviens pas à comprendre, intellectuellement comment la question du protocole de Londres, ratifié ou pas, va accélérer le dépôt des brevets et l'innovation. La question de l'innovation est centrale et je vous rejoins sur ce point, mais comment ce protocole va-t-il accélérer l'invention européenne et française ?

M. Philippe POULETTY, Président honoraire de France-Biotech : Je peux répondre sur l'impact d'un coût réduit sur l'innovation. Je vais prendre l'exemple du statut de la jeune entreprise innovante qui a réduit le coût de l'innovation en supprimant les charges sociales sur les chercheurs. Dans les jeunes entreprises, cette mesure a un impact direct, mesurable (1600 entreprises aujourd'hui) sur l'embauche de plus de chercheurs et sur le développement de davantage de projets de R&D. Réduire les coûts de dépôt du brevet, permet de dépenser cette économie pour faire plus de recherche et déposer plus de brevets.

Le deuxième exemple que j'ai cité et qui se passe tous les jours est le suivant : les frais de dépôt très lourds supportés par les universités et les organismes de recherche conduisent à des mécanismes et des comportements de mauvaise protection, de protection retardée et de rétention au bénéfice de ceux qui déposent plus vite, plus largement.

Enfin, sur la simplicité, plus vous simplifiez les mécanismes et les procédures, que ce soit en matière de brevet, de droit « corporate », de recrutement, de flexibilité, plus vous gérez votre entreprise innovante de façon efficace.

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : 350 € par an sont-ils un frein ?

M. Philippe POULETTY, Président honoraire de France-Biotech : Ce n'est pas comme cela qu'on le mesure. Je vais vous citer l'exemple d'une PME de deux employés qui s'appelait Google en 1997. Mais avant que Google aille voir Sequoia Capital pour investir 25 millions, ses deux employés étaient chercheurs à Stanford. Quand vous avez un budget donné, que vous devez partager entre l'inventeur, le chercheur, vous devez faire des choix. Il ne s'agit donc pas de 350 € par an car on ne fait pas de la planification sur 10 ans : au départ, un inventeur, une jeune entreprise, une petite université doit faire des choix. Ce sont donc des coûts très importants car un futur Google dispose au départ du cerveau d'un inventeur et des premiers milliers d'euros de ses fondateurs ou des « business angels » qui acceptent de parier. Les premiers milliers d'euros, les premières dizaines de milliers d'euros font la différence 10 ans plus tard...

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Nous allons revenir à l'ordre des débats. Nous n'osons pas traduire ces financiers par des « anges des affaires ».

M. Philippe POULETTY, Président honoraire de France-Biotech : Ce sont des investisseurs providentiels.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Monsieur VIANES, vous avez été chargé de mission, vous avez réalisé une vaste concertation et avez formulé des propositions avec des mesures d'accompagnement. Pouvez-vous nous en dire un mot en dix minutes ?

M. Georges VIANES, Conseiller maître à la Cour des Comptes

Oui, Messieurs les Présidents. Il y a 5 ans, Monsieur le Ministre Christian PIERRET m'avait chargé d'une mission de concertation sur ce point. Depuis cinq ans, beaucoup de données ont changé. L'OEB a maintenant 31 Etats membres alors qu'il n'y en avait que 20 à l'époque, il reçoit 200 000 demandes annuelles de brevets européens contre 140 000 à l'époque. Mais le fond du problème demeure et le principal problème du brevet européen, comme l'a indiqué Monsieur le Président Alain POMPIDOU, et je ne peux que le confirmer, est son coût d'accès excessif du fait des traductions exigées et surtout de leur validation : on a tendance à oublier trop souvent qu'avec la traduction et la validation, le coût est double.

Je vais vous donner des ordres de grandeur car nous avions réalisé une étude aussi objective que possible. Nous arrivions, pour les 8 pays européens les plus communément désignés, c'est-à-dire le « brevet européen standard » dans le jargon de l'OEB, à un coût de traduction et validation de 54% du coût du brevet, de plus de 70 % pour les 20 Etats membres à l'époque, et de plus de 80 % pour la trentaine d'Etats qu'on voyait se profiler. Ce coût pose un enjeu industriel et scientifique important, pour un intérêt documentaire faible et un enjeu juridique limité.

L'enjeu industriel et scientifique est important. D'abord, les entreprises françaises estiment être pénalisées sur leur propre marché, c'est-à-dire sur le marché européen, par rapport à leurs concurrentes américaines et japonaises sur leurs marchés respectifs. D'autre part, je rejoins ce que vient de dire Monsieur POULETTY, une étude approfondie faite à l'époque montrait que 40 % des entreprises industrielles françaises n'avaient pas recours au brevet européen pour cette question de coûts. Cela représentait et doit encore représenter les PME innovantes qui sont les cibles de cette politique. J'ajoute enfin que ce coût constituait un frein non négligeable au dépôt, aux yeux des grands laboratoires consultés.

Néanmoins, l'intérêt documentaire est faible. Je rappellerai simplement que la veille technologique ne se fait pas à la délivrance du brevet, c'est-à-dire entre quatre et sept ans (Monsieur le Président POMPIDOU a dit jusqu'à 10 ans), mais sur les demandes publiées à 18 mois. Comme il a été rappelé par Monsieur le Ministre, il n'y a qu'une très faible consultation des traductions ; les chiffres qui figuraient dans mon enquête étaient encore plus faibles : moins de 1 % du fond documentaire consulté. On s'apercevait que les traductions étaient moins consultées que les originaux. Je disais et je le redis clairement : à quoi servent des centaines de milliers de traductions si elles ne sont pas ou presque pas utilisées ?

Enfin, l'enjeu juridique est limité : il y aura effectivement une traduction en cas de litige mais s'il y a contestation, le brevet d'origine fait foi, c'est-à-dire dans sa langue de dépôt et de délivrance.

L'accord de Londres vise à réduire ce coût excessif. De mon point de vue, il s'agit d'un enjeu linguistique important pour la France, puisque le français est une des trois langues officielles de la demande de brevet, de son examen et de la traduction des revendications à la délivrance, ce qui est important. Messieurs les Présidents, il est utile d'insister sur ce point. Un brevet est composé de deux parties principales : les revendications qui définissent l'étendue de la protection, le droit conféré par le brevet, et la description qui détaille les aspects techniques et sert le cas échéant à interpréter les revendications mais n'est pas constitutive du droit au brevet. En cas d'entrée en vigueur de l'accord, la France ne renoncerait qu'à la traduction de la description de l'invention, c'est-à-dire la partie à mes yeux la moins utile, la plus longue et la plus coûteuse du brevet européen. Par contre, des brevets délivrés en français seraient valides dans les autres Etats avec l'exigence de traduction des seules revendications. Le problème de la France est le faible nombre de demandes de brevets européens déposés en langue française. Il est de l'ordre de 6 %, les chiffres se maintiennent à peu près par rapport à la mission précédente, alors qu'il y a plus de 70 % des demandes en anglais et plus de 20 % en allemand. Il est évident que la majorité des brevets européens délivrés le serait en anglais ou en allemand et serait valide en France mais avec une traduction de leurs revendications. Cette prédominance de l'anglais dans les brevets ne fait, hélas, que refléter l'hégémonie européenne et mondiale de cette langue dans le domaine scientifique et technologique.

Le vrai problème à mes yeux est autre. Il s'agit de la tentation permanente du tout anglais chez nos partenaires européens qui pourrait aboutir à exclure plus ou moins le français du brevet européen. Il ne faut pas oublier que dans les travaux préparatoires à l'accord de Londres, vous le savez fort bien Monsieur le Ministre, il y a eu une tentative : un projet de protocole facultatif présenté par la Suède et par la Suisse et appuyé par l'Allemagne qui visait à faire un accord similaire à l'accord de Londres avec uniquement la langue anglaise.

J'ajouterais que c'est tout l'enjeu du brevet communautaire, qui à mes yeux serait extrêmement utile mais qui ne verra pas le jour tant qu'une solution viable n'aura pas été trouvée à ce problème. Le projet de règlement actuel prévoit sa délivrance dans les trois langues du brevet européen selon des modalités conformes à l'accord de Londres. De ce point de vue, l'entrée en vigueur de l'accord de Londres serait une avancée en ce sens. Je ne dis pas que cela réglerait tous les problèmes du brevet communautaire.

Pour conclure, les résultats de la grande concertation menée en 2001, ont montré que la grande majorité des personnes auditionnées s'étaient déclarées favorables à l'accord, notamment la totalité des déposants. Mais une forte opposition s'était exprimée de la part des professions affectées par l'accord, c'est-à-dire les conseils en propriété industrielle et les traducteurs, ainsi que des institutions de défense de la langue française.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci beaucoup Monsieur VIANES d'avoir été précis et synthétique.

Monsieur BATTISTELLI, nous avons déjà beaucoup parlé de l'INPI et du dépôt de brevet. Pouvez-vous nous dire, en quelques minutes, quelles sont les incidences du protocole de Londres sur le rôle qui vous revient si le protocole est en vigueur ? Dans cette nouvelle configuration, quelles sont les mesures d'accompagnement qui devraient être prises ?

M. Benoît BATTISTELLI, Directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI)

Merci Monsieur le Président. Je suis d'autant plus heureux d'intervenir cet après-midi qu'il se trouve que je suis impliqué professionnellement dans ces questions de l'accord de Londres et du brevet communautaire depuis sept ou huit ans, dans les différentes fonctions que j'ai exercées, au Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie, puis à l'INPI depuis deux ans.

Je voudrais répondre à votre question en articulant mon propos sur quatre points. Pour quelles raisons est-il nécessaire pour la France de ratifier l'accord de Londres ? Il faut distinguer la dimension économique, la dimension juridique, la dimension de la place du français et enfin les considérations politiques plus générales.

Sur le plan économique, je n'ai pas besoin de m'étendre : toutes les entreprises et leurs organisations se sont exprimées à maintes reprises pour dire qu'elles étaient favorables à la ratification de l'accord de Londres. Elles la considéraient même comme une priorité. Je ne parlerai pas à la place des entreprises parce qu'elles se sont exprimées clairement. L'ensemble des entreprises françaises et leurs organisations, y compris les PME et les inventeurs, personnes physiques et indépendants, ont à plusieurs reprises indiqué clairement qu'elles souhaitaient la ratification pour les avantages économiques impliqués, grâce notamment à la réduction du coût qu'il génère.

Je voudrais insister sur un point qui est quelquefois mal compris. La France, en matière d'organisation européenne des brevets, a joué de manière tout à fait efficace et a élaboré un système complémentaire entre le niveau national et le niveau européen et j'en rends hommage à mes prédécesseurs. C'est la raison pour laquelle 90 % des entreprises françaises déposent leur brevet en français à l'INPI. Ceci n'est pas prêt de changer, Monsieur le Ministre, et continuera pour des raisons de fond. Ainsi, le niveau national et le niveau européen sont d'une logique complémentaire : quand une entreprise dépose en français, elle bénéficie en priorité d'un rapport de recherche que nous sous-traitons à l'OEB. Le coût est réduit, ce qui est une politique volontaire menée par les différents gouvernements depuis une vingtaine d'années, de manière à favoriser l'entrée dans le système, c'est-à-dire le dépôt de brevet par les entreprises. Ensuite, elles peuvent continuer. Ceci est un point qui ne changera pas et tous les arguments qui consistent à dire que l'accord de Londres va faire en sorte que les entreprises françaises déposeront de plus en plus en anglais, ne sont pas fondés sur les faits et sur l'analyse de la réalité économique.

Je voudrais également souligner un autre aspect, en ce qui concerne les avantages économiques, et vous avez d'ailleurs cité plusieurs institutions qui ont pris position. Nous avons ainsi réuni récemment le Conseil supérieur de la propriété industrielle qui a longtemps été présidé par Monsieur FOYER et qui vient de se prononcer dans un débat récent en faveur de la ratification de l'accord de Londres.

Le deuxième point qu'il me paraît important de souligner concerne les aspects juridiques. On nous dit que l'accord de Londres représente un danger majeur parce que des textes qui ne sont pas en français vont créer du droit et s'imposer en France. C'est vrai. Mais c'est vrai depuis 1973, depuis que la France a ratifié la Convention Européenne des Brevets. Depuis cette date, la France a accepté qu'un brevet délivré en anglais produise des effets en France et que la langue qui fait foi soit la langue dans laquelle le brevet a été délivré. Depuis 1973, nous avons donc accepté que pour 90 % des brevets européens qui désignent la France, la langue juridique qui fera foi en cas de contestation soit la langue de délivrance du brevet. Il est vrai que la différence est que dans le cadre actuel, on demande une traduction pour que ce brevet soit valide en France ; mais il faut distinguer la validité et la force juridique d'un brevet : on demande une traduction mais celle-ci n'a qu'une valeur informative. Je souligne qu'en cas de contestation, le brevet est traduit en français au bénéfice de celui qui le conteste. L'ensemble des institutions publiques françaises, que ce soit les tribunaux ou l'INPI, sont donc appelées à se prononcer sur des textes en français. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat avait émis un avis positif en mars 2000.

Le troisième point concerne la place du français et c'est celui qui fait le plus débat car je crois que les deux autres ne font pas véritablement débat. Je pense que le point principal est de comprendre que l'accord de Londres a pour but de pérenniser la place privilégiée du français dans le système européen des brevets. On nous dit de regarder les Espagnols ou les Italiens qui défendraient leur langue parce qu'ils ne ratifient pas l'accord de Londres. L'espagnol et l'italien ne sont pas dans la situation du français au niveau de l'Organisation Européenne des Brevets : l'espagnol et l'italien ne sont ni des langues officielles, ni des langues de travail de l'OEB. Parce qu'ils ne supportent pas cette situation, ils n'entrent pas dans cette logique.

Le français bénéficie au contraire d'une situation privilégiée : le Président POMPIDOU a expliqué que ce n'était pas quelque chose de théorique, comme c'est souvent le cas dans nombre d'organisations internationales, c'est une réalité humaine et professionnelle. Tous les jours, un bon quart des agents de l'OEB travaille en français. Je crois donc que les arguments de la position des Espagnols et des Italiens ne sont pas pertinents en la matière.

A mon sens, la défense de la langue française est un magnifique combat, un combat nécessaire mais qui choisit un mauvais terrain en utilisant celui de l'accord de Londres, pour deux raisons.

Premièrement, quand on parle de la langue française, je préfère avoir une attitude offensive de promotion plutôt qu'une attitude défensive. Or l'effet de l'accord de Londres fera que des brevets déposés en français s'imposeront en français dans les deux marchés majeurs des PME, en Grande-Bretagne et en Allemagne. Les Allemands et les Britanniques devront lire nos brevets en français parce qu'ils ont été déposés et délivrés en français et qu'ils s'appliqueront en français dans ces pays. Quand on parle de promotion de la langue, voilà un exemple majeur de promotion de notre langue.

Le deuxième point concerne la veille technologique : il est exact, tous les praticiens pourront le confirmer, que celle-ci se fait le plus tôt possible dans la vie d'un brevet. Le plus tôt possible, c'est au moment de la publication de la demande à 18 mois du dépôt. Les brevets sont alors publiés dans leur langue de procédure : en Europe, 70 % en anglais, 21 % en allemand et le reste en français. La veille technologique se fait donc d'ores et déjà à ce niveau. C'est précisément pour combler le handicap que cela représente pour les entreprises françaises que depuis plusieurs années, l'INPI publie systématiquement un résumé en français des brevets déposés au moment de la publication : nous publions le résumé qui a été fait par le déposant lui-même. Nous avons d'ores et déjà pris des mesures d'accompagnement majeures en rendant accessible en français la substance des brevets déposés au niveau européen.

Pour résumer mon propos sur cet aspect linguistique, je dirais que l'accord de Londres n'aura ni pour but ni pour effet de modifier le rapport de force linguistique en Europe et dans le monde. Ce serait lui prêter trop d'honneur. Il aura un effet majeur : pérenniser la position privilégiée du français.

J'en arrive enfin à des considérations plus politiques. On oppose souvent brevet communautaire et brevet européen. J'avoue que je suis toujours très surpris par ce type d'approche pour plusieurs raisons.

Premièrement, que sera le futur brevet communautaire ? C'est un brevet européen, délivré par l'OEB qui désigne l'ensemble des territoires de l'Union Européenne : dans toute sa procédure, c'est un brevet européen. N'opposons donc pas l'un et l'autre.

Deuxièmement, le régime linguistique qui a abouti à un accord politique en mars 2003 (j'étais présent au Conseil des Ministres qui a négocié cet accord) est quasiment le même que le régime linguistique prévu par l'accord de Londres, notamment parce qu'il reconnaît et admet qu'un brevet pourra être valable sans que la description soit traduite dans la langue nationale : le principe fondamental de l'accord de Londres est le même dans le régime linguistique que celui qui est prévu dans le brevet communautaire. Je pense que quand on oppose brevet communautaire et brevet européen, on cherche en fait à gagner du temps et à reporter une décision.

Je pense pour ma part au contraire, et ceci n'est pas l'expression d'une préférence personnelle mais est étayé par des contacts fréquents avec mes homologues européens, que l'Europe a les yeux tournés vers la France en matière de brevet : ceci a été indiqué tout à l'heure, c'est de notre décision que dépend l'application de l'accord de Londres, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. A l'heure actuelle nous empêchons l'Allemagne, la Grande-Bretagne et tous les pays qui sont prêts, à ratifier.

Je voudrais également rectifier un point : on nous dit qu'il n'y a que quelques petits pays. Non, il y a en plus de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne, la Suisse, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, plus la France si, comme je l'espère, elle le fera. Ceci représente 90 % des brevets européens : ne parlons pas de petits pays, des pays majeurs attendent une décision française.

Je pense que la négociation de ce brevet communautaire sera relancée si nous prenons une décision sur l'accord de Londres parce que cela montrera que nous sommes prêts à accepter le régime linguistique qui a été négocié dans le cadre du brevet communautaire.

Enfin, je souscris entièrement à ce qui a été dit : l'accord de Londres est un premier pas qui vise, comme la conférence de Paris initiée par le Ministre PIERRET, à améliorer et renforcer le brevet européen sur le plan linguistique et sur le plan judiciaire. Nous avons là aussi des propositions qui existent.

Pour terminer, l'INPI n'est pas inquiet sur son rôle et sa place dans un brevet européen renforcé et amélioré. Il continuera à jouer son rôle de relais au niveau national d'une politique européenne en faveur de l'innovation. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir sur cette structure nationale et sur le rôle que l'Etat peut jouer en la matière. Je voudrais indiquer que notre priorité est naturellement de faire en sorte que plus d'entreprises françaises ou de centres de recherche déposent des brevets, tout simplement pour qu'ils puissent utiliser ces outils.

Continuant la politique de baisse des tarifs initiée par le Ministre PIERRET, nous avons décidé l'année dernière de faire des tarifs réduits et spécifiques pour les PME (25 % de réduction) pour leur permettre de pouvoir entrer plus facilement dans le brevet européen.

Voilà, Messieurs les Présidents, les raisons pour lesquelles je soutiens fortement, à titre personnel, la ratification de l'accord de Londres.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur BATTISTELLI. J'aimerais ajouter un point d'ordre : si vous avez quelques documents qui puissent étayer vos démonstrations, vous pouvez me les donner et ils seront joints en annexe au rapport qui sera publié.

Monsieur MYARD semble, par moments, sous pression. Pour lui permettre de « décompresser » un peu, je vais lui laisser poser une question.

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : Il ne s'agit pas de pression, mais je voudrais poser une question à Monsieur VIANES. Chacun sait que le brevet européen est un brevet variable puisque vous pouvez choisir les retombées pays par pays. Vous avez dit que cela coûtait 50 %, mais vous admettez quand même qu'il s'agit du choix général de tous les Etats de la convention de Munich. Il est bien clair que ce n'est pas le cas ; par conséquent, vous avez pris un cas extrême pour le prix de la traduction.

M. Georges VIANES, Conseiller maître à la Cour des Comptes : Non, Monsieur le Député. J'ai dû mal m'exprimer. J'avais bien calculé trois figures de coûts : plus de 50 % du coût lié aux traductions et aux validations a pour objet la délivrance d'un brevet européen valable pour 8 Etats, ce qui est appelé le brevet standard. Par contre, j'avais indiqué qu'on arrivait à plus de 70% si on prenait en compte les 20 Etats membres de l'organisation à l'époque et, à titre prévisionnel, 82 % pour une trentaine d'Etats, ce qui doit être à peu près le cas maintenant. Le Président Alain POMPIDOU est mieux placé que moi pour confirmer ce chiffre ... C'était jusqu'à l'obtention du brevet dans les Etats nationaux. C'est pour cela que j'avais parlé de coût d'accès : le coût d'accès est le coût pour obtenir un brevet dans chaque Etat membre désigné.

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : Et cela ne comporte pas la durée de validité des brevets. Quel est le coût des traductions sur la durée de validité des brevets, sur un brevet qui dure en moyenne 15 ans ?

M. Georges VIANES, Conseiller maître à la Cour des Comptes : Normalement, le coût allant jusqu'à la validation comportait la 4ème annuité de maintien du brevet. C'est ce qui figure dans le rapport de l'époque. Ce qui veut donc dire qu'il pouvait rester entre quelques années et éventuellement jusqu'à une quinzaine d'années pour le coût du brevet.

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : Quel pourcentage, Monsieur VIANES ?

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : S'il vous plaît Monsieur MYARD, vous reviendrez après dans le débat mais vous ne pouvez pas organiser votre débat dans le débat. Monsieur BATTISTELLI, d'un mot...

M. Benoît BATTISTELLI, Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) : Pour répondre à votre question, l'accord de Londres n'intervient absolument pas sur le coût des annuités. Cela n'a strictement rien à voir. Nous intervenons sur le coût d'obtention du brevet. Les annuités sont fixées par chaque Etat membre, elles varient assez fortement d'un Etat à l'autre et je signale d'ailleurs qu'en France nous sommes parmi les pays les moins onéreux.

Pour actualiser un peu les chiffres de Georges VIANES, on peut estimer à l'heure actuelle que sur un brevet standard, le coût d'obtention est autour de 31 ou 32 000 €, tous frais compris pour un brevet européen. Il faut souligner que si vous voulez un brevet aux Etats-Unis, c'est autour de 14 000 €, au Japon, autour de 8 000 €, en France, autour de 4 000 €. Avec l'accord de Londres et toujours dans le cadre de huit Etats, on diminue ce coût de l'ordre de 9 000 €. Par brevet, l'économie est donc de 9 000 €.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci de ces précisions Monsieur BATTISTELLI. Merci à tous ceux qui sont intervenus. Le débat général aura lieu dans une heure à peu près. Pour l'heure à venir, chaque intervenant disposera de onze minutes.

Monsieur DERAMBURE est Président de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Intellectuelle (CNCPI), qui a évidemment pris position contre la ratification du protocole de Londres. Mais au-delà de cette position, l'approche retenue semble également intéressante dans la mesure où elle distingue les intérêts des titulaires des brevets et de ceux que vous nommez les tiers, qui recouvrent une population dont vous devriez nous parler plus en détail.

M. Christian DERAMBURE, Président de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI)

Je vous remercie, Monsieur le Président. Néanmoins, si je peux me permettre, nous avons eu droit à cinq plaidoyers très favorables au protocole de Londres. Nous avons eu le plaidoyer de Monsieur Jean FOYER et je suis maintenant le « mouton noir » qui doit expliquer pourquoi la CNCPI, qui dépose environ 70 % des brevets français, est contre le protocole. Je souhaiterais, dans un sens d'équité, avoir le temps de m'exprimer de la manière la plus complète sur le sujet.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Vous aurez du temps mais ne comptez pas disposer de soixante minutes. Vous savez qu'à l'Assemblée Nationale, quel que soit le texte, la répartition est proportionnelle et que chaque représentant de groupe a le même temps de parole. Même si tous les groupes sont favorables à un texte, celui qui est contre a le temps de son groupe, en général 10 minutes.

M. Christian DERAMBURE, Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) : C'est entendu, je m'y engage. J'essaierai d'aller le plus rapidement possible tout en exprimant ma position et celle de la Compagnie.

Afin de poser le débat, je voudrais attirer l'attention de l'auditoire sur la revendication 1 du brevet européen 768-167 délivré par l'OEB et traduit en français. Je la lis : « 45° rain forcing fibre, nap fixe au moyen d'un fixing grille sous forme... » Ceci est un cas réel de brevet européen délivré avec une revendication traduite en français...

Ma deuxième remarque préliminaire est la suivante : j'ai entendu avec intérêt les exposés des différentes parties favorables au protocole et, bien entendu, chaque partie défend ses intérêts propres. L'OEB a bien entendu intérêt à ce qu'il y ait le plus de brevets, comme d'ailleurs l'INPI, et c'est tout à fait compréhensible. De la même manière, les entreprises et les déposants ont intérêt à ce que le brevet soit le moins cher possible. Cela ne me choque pas, c'est logique. Mais je dis qu'il s'agit de la défense d'intérêts personnels, catégoriels, et que la somme de ces intérêts catégoriels ne représente pas pour autant l'intérêt général.

Je voudrais parler en deux mots des Conseils en Propriété Industrielle et poser un point qui doit être tout à fait clair pour tous : tout le monde peut déposer des traductions de brevets européens à l'INPI. Les Conseils en Propriété Industrielle n'ont aucun monopole sur cette opération qui, d'ailleurs, n'est pas le cœur de notre métier. Notre métier est de défendre les PME et non pas de déposer des traductions de brevets européens. Que ce soit clair : je n'ai pas épousé cette profession pour déposer des traductions de brevets européens. J'ajoute que la traduction est un marché concurrentiel et international.

Je voudrais maintenant préciser les raisons pour lesquelles nous sommes contre le protocole. Tout le monde connaît les arguments « pour », ils font partie de notre dossier. Je voudrais par contre répondre de façon très précise aux arguments de ceux qui sont en faveur du protocole et notamment aux cinq présupposés qui sont à la base de celui-ci. Je vais les passer rapidement en revue.

Premier présupposé : le coût le plus élevé dans un brevet européen résulterait des traductions des descriptions nécessaires aux validations nationales.

J'ai bien entendu : dès 1999, on nous annonçait que les traductions représenteraient entre 40 et 60 % du coût d'un brevet européen maintenu 10 ans. C'est dans le rapport de Monsieur VIANES, pages 33 et 34. L'OEB l'affirmait récemment, avec un triptyque que vous connaissez, Monsieur le Président, et que je cite : « Les coûts de traduction représentent près de 40 % du coût d'un brevet européen standard. » Dans le journal Libération du 27 février, Madame Catherine TASCA et Monsieur Richard YUNG, qui ne déposent pas de brevets que je sache, avancent un coût de traduction de 58 %. Quant au Figaro, il annonce 150 000 €.

Ces coûts sont erronés : venons-en à la réalité. Nous, conseils, facturons nos clients et nous savons ce que nous facturons. Quelle est l'hypothèse la plus fréquente ? Il s'agit d'un brevet moyen pour une PME validé dans six pays (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne et Belgique), ce qui correspond à quatre traductions. Naturellement, pour augmenter le poids relatif des traductions, on oublie le maintien en vigueur. Comment cela est-il possible ? Comment penser qu'on dépose un brevet et qu'on oublie le maintien en vigueur ? Cela revient à acheter une machine et ne pas payer le service après-vente, cela ne se peut pas. Il faut bien entendu prendre en compte le maintien en vigueur. D'ailleurs, j'observe que Monsieur VIANES dans son rapport prenait en compte le maintien en vigueur.

Quels sont alors les chiffres ? Pour un brevet européen maintenu en vigueur pendant 10 ans, dans les six pays indiqués, le coût total des traductions représente 22 % du coût total et si le brevet est maintenu 20 ans, 10 %. Voilà la réalité. On est en train de parler de quelques milliers d'euros, nous ne sommes pas en train de parler de 150 000 €. Jamais le coût des traductions n'a représenté 40 %, a fortiori 60 %. On peut faire des hypothèses pour une validation dans 30 pays, mais cela n'existe pas, sauf dans des cas tout à fait marginaux. On peut prendre les cas marginaux mais à ce moment, les choses n'ont pas de sens. Surtout que le plus coûteux n'est pas les traductions mais les annuités et, ici, cette réalité est presque toujours occultée.

Deuxième présupposé : la traduction de la description serait inutile (je répète ce qui a été dit).

Or, les entreprises qui peuvent se voir opposer des brevets doivent pouvoir en apprécier exactement la portée et la validité. Cela nécessite de comprendre précisément la description, conformément aux articles 69 et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen. La description n'est pas seulement indicative : elle va conditionner à la fois la validité et la portée du brevet. Pour le tiers qui va être confronté au brevet, il est pour lui de la plus haute importance de comprendre cette description. Bien entendu, si la description est en allemand ou en anglais, nos entreprises doivent avoir accès à une traduction française dès la délivrance du brevet, parce que c'est à ce moment qu'elle risque d'être poursuivie en contrefaçon par les tribunaux. Cette traduction doit être mise en ligne par l'INPI, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous proposons d'ailleurs que l'INPI mette en place un dépôt électronique de validation : ce sera plus facile, plus rapide et moins coûteux.

L'information des tiers s'impose d'autant plus que la contrefaçon de brevet est un délit pénal, comme cela est prévu par l'article 615-14 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Qui doit payer les frais de traduction ? Il nous semble équitable que ce soit celui qui bénéficie des avantages du monopole conféré par le brevet, comme l'a dit le Président FOYER, qui ait à supporter le coût. Ce ne sont pas les tiers subissant le monopole qui devraient en plus supporter le coût de traduction. Avec le protocole, l'appréciation de la validité et de la portée d'un brevet serait rendue plus complexe et plus incertaine pour les tiers. Est-ce acceptable ? Nous répondons non.

Nous avons vu le premier volet du brevet qui est la protection. Le brevet a un deuxième rôle : un rôle informatif. On sait que l'information fournie au public est la contrepartie du monopole et il est admis que les brevets sont une source d'information extraordinaire, 75 % de l'information qu'ils contiennent n'étant contenue dans aucun autre document.

A terme, avec le protocole, si le nombre de brevets européens continue de croître comme il le fait depuis des années, c'est de l'ordre de 100 000 brevets par an (60 000 aujourd'hui) qui cesseront d'être accessibles en français. Bien entendu, les bases de connaissance françaises seront appauvries. L'usage de la langue française comme langue technique et d'intelligence économique sera affaibli. Est-ce acceptable ? Nous répondons encore une fois par la négative.

J'observe d'ailleurs que d'autres personnes que la Compagnie soutiennent la création de fonds documentaires francophones, y compris sur les brevets : j'en veux pour preuve une chronique de Jacques ATTALI dans l'Express, le 23 mars dernier. On ne peut être plus clair.

Troisième présupposé : les francophones comprendraient l'anglais et l'allemand des brevets.

C'est le grand argument des promoteurs du protocole : tout le monde comprend et pratique l'anglais. On rêve ! Un brevet n'est pas une documentation, ce n'est pas un article de vulgarisation, c'est un texte juridique par nature, technique par son objet et stratégique par sa finalité : il est d'une subtilité extrêmement importante. Par conséquent, le langage des brevets n'est pas accessible à tout un chacun. Ce qui pour un francophone est déjà complexe en français sera a fortiori immaîtrisable en anglais ou en allemand. Certes, nombre de nos concitoyens comprennent plus ou moins l'anglais courant ou l'anglais des affaires. Mais l'anglais des affaires n'est pas l'anglais des brevets. C'est la raison pour laquelle il existe d'ailleurs des spécialistes de la traduction de brevets.

J'ajouterai qu'il n'y a pas que l'anglais : on parle de l'anglais parce que l'anglais est facile et que le tout anglais constitue la menace. Mais l'allemand... Aujourd'hui, 27 % des brevets européens délivrés sont en allemand. Si un certain nombre d'ingénieurs comprennent l'anglais, combien sont-ils dans les entreprises et PME françaises, sauf dans l'est de la France, à comprendre l'allemand juridico-technique des brevets ? Très peu, voire pas du tout. La réalité est là.

Soyons clairs : le protocole ne simplifie rien, il complique. Il n'éclaire pas, il obscurcit. Le protocole n'aide pas, il handicape.

Quatrième présupposé : en supprimant la traduction, on abaisserait significativement le coût du brevet.

Parmi les grands pays de dépôt, seules la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont ratifié le protocole. Théoriquement, le coût d'une traduction en anglais ou en allemand pourrait être économisé. Il faut être un peu plus précis parce que les choses ne sont pas aussi définitives.

D'abord, le breveté français a le plus souvent déjà déposé son brevet aux Etats-Unis : par conséquent, il a déjà engagé des frais de traduction en anglais. Il ne fera donc pas d'économie : il a le texte. Quant à la traduction en allemand, elle restera indispensable si le breveté veut être protégé en Autriche, car l'Autriche n'a pas signé et a fortiori ratifié le protocole de Londres. Quant aux autres pays, l'Espagne ou l'Italie, ils n'ont ni signé, ni ratifié le protocole. Par conséquent, une traduction sera nécessaire dans ces pays.

Bien entendu, les promoteurs du protocole de Londres surévaluent l'économie qui serait réalisée si le protocole était ratifié. Je crois qu'il faut dire les choses clairement : si le protocole est ratifié, l'économie sera au mieux de l'ordre de 5 % ou, en valeur absolue, de quelques milliers d'euros. On est très loin des 50 % annoncés. Cela n'est pas une réalité.

On nous dit que le monde entier, l'Europe entière a les yeux fixés sur cette salle et attend que vous ratifiiez le protocole de Londres et après tout le monde va se précipiter pour le ratifier. Pourquoi tous ces pays n'ont-ils pas été parties au protocole de Londres ? Qu'est-ce qui vous permet de penser que demain, ils vont se précipiter pour le ratifier ? J'ajoute que les échos que nous avons ne sont pas du tout ceux-là. Je vois mal les Espagnols abandonner demain l'espagnol, les Italiens abandonner l'italien et les Grecs le grec.

Cinquième présupposé : grâce à l'économie réalisée par les traductions, les entreprises françaises déposeraient plus de brevets.

C'est la solution miracle. Naturellement, cela paraît une évidence et paraît s'imposer. Mais je le conteste pour de nombreuses raisons.

D'abord les entreprises françaises ne feront aucune économie marginale, comme je l'ai expliqué.

Ensuite, faute de disposer de brevets européens qui leur sont opposables en français, elles vont dépenser de l'argent pour traduire les brevets des tiers, soit directement, soit par l'intermédiaire des Conseils en Propriété Industrielle ou d'un traducteur. Elles vont perdre du temps et de l'énergie en R&D inutile, inopportune ou qui mène sur des voies de garage, en frais d'évaluation de risques de contrefaçon ou en actions défensives. Ce qu'elles vont gagner d'un côté, elles vont le perdre de l'autre.

Troisièmement, avant de déposer un brevet européen, les entreprises françaises déposent un brevet français. Les comparaisons sont intéressantes : nous savons que pour un Allemand, un Américain ou un Japonais, le coût correspondant au dépôt dans leur pays est généralement au moins égal sinon plus élevé que le coût de dépôt en France. Pourtant, les Français déposent comparativement moins de brevets. C'est le problème. Cela prouve s'il en était besoin que le coût n'est pas le facteur clé de décision de dépôt de brevet. D'ailleurs, les chiffres sont éloquents : avec l'entrée en vigueur du brevet européen que j'ai vécu ainsi que d'autres autour de cette table, on nous annonçait des merveilles, on allait voir les dépôts de brevets français décoller. Pourtant, cela n'a pas décollé. Par contre, ceux qui ont décollé, ce sont les Japonais, les Américains et les Allemands, contrairement aux Français.

D'ailleurs, l'INPI en 1990 écrivait dans un rapport très intéressant dont je recommande à tous la lecture, au titre tout à fait révélateur, « Les brevets d'invention, instrument d'expansion... ou risque d'asservissement » : « toute mesure facilitant la protection par brevet en Europe bénéficie en premier lieu aux principaux utilisateurs du système, à savoir les Etats-Unis, le Japon, et l'Allemagne. Les mécanismes internationaux sont des facteurs d'aggravation. L'augmentation du nombre de protections d'origine étrangère tient au fait que ce sont les étrangers qui profitent le plus des facilités de procédure qu'offrent le PCT et surtout la Co

J'ajouterai que les traductions ne sont pas effectuées lors du dépôt mais quatre à cinq ans après le dépôt et que le breveté n'y procède que si le brevet le justifie. Le plus souvent, ces traductions ne concernent que trois à six pays et non pas une trentaine comme on le prétend.

Le vrai problème, et c'est de cela dont il faut parler, c'est l'insuffisance des brevets français, et cette insuffisance a d'autres causes que le coût. Mon temps de parole étant limité, je ne voudrais pas évoquer ce sujet.

Bien entendu, le protocole sera un cadeau fait sans contreparties aux Américains et aux Japonais qui sont les premiers déposants de brevets. En revanche, il sera un handicap réel pour nos entreprises qui feront face à beaucoup plus de brevets de concurrents, qu'elles comprendront mal ou qu'elles ne comprendront pas du tout.

Cela aura un effet très clair : le protocole ne renforcera pas la position à long terme de la France en matière d'innovation. En revanche, il encouragera à court terme la position des plus gros déposants de brevets qui malheureusement ne sont pas français. Pour eux, le protocole sera une aubaine (j'ai retenu, Monsieur le Président que vous repreniez l'expression d'« effet d'aubaine ») ; ils seront poussés à déposer davantage de brevets, pour mieux les opposer à leurs concurrents français en vue de les exclure du marché.

D'ailleurs, ces stratégies ont été conceptualisées aux Etats-Unis, notamment par un auteur américain, Carl CHAPIRO, dans un article bien connu : « Navigating the patent thicket ». C'est la théorie des « buissons de brevets » : je dépose des brevets et je passe subrepticement d'un monopole de droit à un monopole de fait. C'est un fait majeur et c'est ce qui attend demain les entreprises françaises. Ces stratégies sont perverses et j'ajoute qu'elles dissuaderont les entreprises françaises de croire au système des brevets : nous ne déposons pas assez de brevets parce que la culture de la propriété industrielle est insuffisante dans notre pays. Les Français sont sceptiques face au système des brevets. Qu'allez-vous faire ? Vous allez augmenter le scepticisme : demain vous aurez encore moins de brevets. Demain, le travail que nous faisons dans les entreprises et partout en vue de promouvoir le brevet sera réduit à néant. Nous ne le voulons pas.

Enfin, et ce sera le dernier point, la soi-disant défense de la langue française et la menace du tout anglais. On me dit que l'abandon du français sera la meilleure arme pour la défense de notre langue. J'avoue que l'étrangeté de l'affirmation me rend perplexe et ne me semble absolument pas crédible. La réalité est qu'une langue que l'on cesse d'utiliser meurt. Avec le protocole, le français cessera d'être utilisé : il mourra comme langue technique et comme l'a expliqué le Président FOYER, il mourra comme langue véhiculaire. C'est la réalité, il faut en avoir conscience. La ratification du protocole de Londres est présentée comme une victoire du français. Mais quelle victoire ? Le français est déjà une des langues officielles de l'OEB. Pour faire peur, on agite alors la menace du tout anglais. Mais comment le français cesserait-il d'être une des langues officielles de l'OEB ? Il faudrait que la France le veuille. Si un certain nombre d'Etats veulent renoncer à leur langue nationale au profit de l'anglais, c'est leur problème et je ne vois pas en quoi cela impacte la France. Ce n'est pas un problème ou un dommage pour la France qu'ils le fassent. D'ailleurs, l'article 65 de la Convention des Brevets Européens (CBE) laisse cette possibilité aux Etats sans la nécessité d'un accord international.

Défendre le français comme langue des brevets est indispensable à la défense de la place des conceptions et pratiques françaises, du droit et de l'attractivité juridique de notre pays. C'est indispensable à l'avenir des structures professionnelles françaises, du droit en général et de la propriété intellectuelle en particulier.

Je conclus, Monsieur le Président. Nous, CPI, souhaitons essentiellement aider les PME à déposer des brevets plutôt que de les défendre contre les brevets des tiers. Si nous étions convaincus que le protocole aide les entreprises et singulièrement les PME, croyez-moi, nous soutiendrions le protocole nonobstant les questions de défense de la langue française. Mais ce n'est pas le cas : le multilinguisme est une réponse à la mondialisation et bien entendu, les CPI ne sont pas contre l'anglais ou l'allemand mais pour le multilinguisme.

Accepter le protocole, nous pensons que c'est démissionner. Refuser le protocole, nous croyons que c'est courageux et que c'est une voie d'avenir. Je vous remercie.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Vous voyez que j'ai été généreux Monsieur le Président : je vous ai laissé 25 minutes.

Nous allons interroger Monsieur Arnold MIGUS qui est directeur général du CNRS et représente Madame Catherine BRECHIGNAC, qui ne peut pas être avec nous cet après-midi. Pourquoi avoir choisi le CNRS parmi les instituts de recherche ? Le CNRS mène une activité de valorisation importante. Il n'est pas le seul, mais son domaine est extrêmement large, ce qui permettra d'apprécier si le protocole de Londres est susceptible d'avoir des incidences communes ou différentes selon les disciplines. Enfin, il y a quelques années la Direction Générale du CNRS a pris position pour le protocole, mais chacun sait que les directions générales du CNRS vivent comme les roses, le temps d'une direction générale. J'aimerais savoir si l'actuelle Direction Générale est toujours de cet avis ou bien s'il y a eu une évolution et pourquoi.

M. Arnold MIGUS, Directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Merci Monsieur le Président de m'épargner mon introduction sur le CNRS. Je pense qu'il y a une continuité de logique, quelles que soient les directions générales.

Je vous rappelle que le CNRS est l'une des plus grandes organisations mondiales de recherche. Nous avons 30 000 personnes, 26 000 permanents et 4 000 non permanents. Nous travaillons dans 1 200 unités dont 1 000 sont dans les universités. De ce fait, par effet de levier, dans nos unités mixtes, dans toutes les applications de valorisation, nous couvrons à peu près le champ de travail de 60 000 à 70 000 personnes : c'est l'équivalent d'un groupe industriel. Comme vous l'avez remarqué, nous couvrons tous les domaines de la connaissance, depuis les sciences dures jusqu'aux sciences de l'homme et de la société. La protection du patrimoine scientifique national fait partie de ces missions. Comme vous l'avez signalé, le CNRS a fait des efforts importants pour accroître le transfert de ses compétences et de ses avancées technologiques développées dans ses laboratoires vers le monde économique. Nous avons donc un travail important de rationalisation de notre portefeuille de brevets et nous sommes en train de l'organiser en grands domaines technico-économiques. Nous avons des partenariats importants avec les grands groupes, mais nous avons aussi un travail très intense qui s'appuie sur des dispositifs locaux d'animation à base de PME. Ces PME doivent aussi pouvoir bénéficier de la recherche et du partenariat avec le CNRS et tous ses laboratoires.

En 2004, le CNRS est passé au premier rang des institutions publiques pour le dépôt de brevet, devenant sixième en France : nous avons cinq groupes industriels devant nous. Je ne compte pas dans ces statistiques tous les brevets dont le CNRS est à l'origine et qui sont passés par des entreprises : par contrat, nous leur laissons l'entière propriété industrielle et nous recevons simplement des redevances. Pour cette même année 2004, 85 % des brevets ont été déposés en français à l'INPI, 8 % ont été déposés en anglais, directement aux Etats-Unis et le reste, soit directement à l'OEB, soit en PCT et dans d'autres pays comme le Canada et le Japon. Il faut signaler que 75% des brevets ont une extension en PCT et cette extension se fait sur un nombre limité de langues pour des raisons de coût. En général, nous traduisons en anglais, en japonais et dans six langues de l'Europe, c'est-à-dire que nous ne couvrons absolument pas toute l'Europe.

L'anglais représente un coût de traduction, sur la base du prix standard par rapport à l'épaisseur de nos brevets, de l'ordre de 1 350 € ; en japonais, c'est à peu près le double, et en général nous prenons six langues européennes, les traductions revenant à 12 500 €. On notera que la couverture à partir des six langues n'est pas totale. L'ensemble de ces coûts de traduction revient à trois millions d'euros annuels pour le CNRS.

Je reviens maintenant aux chercheurs car la position des scientifiques est légèrement différente de celle des entreprises. Philippe POULETTY a comparé le système français et le système outre-Atlantique, puisque ce sont en fait nos gros concurrents. Il faut que vous sachiez que nous avons un désavantage concurrentiel qui n'a rien à voir avec le protocole de Londres ou le régime actuel : nos collègues américains peuvent publier directement leurs articles scientifiques puisque c'est la date d'invention qui est prise en compte, contrairement à notre cas où c'est la date de dépôt. Ils ont donc une certaine liberté de publication dès la date d'invention. De ce fait, nos chercheurs sont extrêmement pénalisés : on n'en parle jamais mais des mesures s'imposent car il s'agit d'un frein extrême. Les chercheurs sont évalués principalement sur leurs publications parce que la réputation d'un chercheur se fonde sur les publications, ils donneront donc toujours la priorité à une publication, sauf si le brevet est évident. Ceci est le premier obstacle.

Le deuxième obstacle résulte des coûts élevés de dépôt d'extension qui finissent par les dissuader. D'où le peu d'empressement des chercheurs.

Philippe POULETTY le remarquait, la moindre idée aux Etats-Unis et dans les universités américaines débouche sur un brevet. En France, tous ces obstacles font qu'on ne dépose pas. Le système européen ne changera pas parce que le désavantage, me semble-t-il, du système outre-Atlantique, est constitué par les contentieux, plus importants, du fait du flou des dates de dépôt.

Je dois dire aussi que le français est certainement une langue plus précise que l'anglais et qu'il vaut peut-être mieux rédiger ses brevets en français.

En définitive, cela s'équilibre du point de vue coût que ce soit aux Etats-Unis ou en France, mais il y a un frein de ce côté.

Sachant que le système ne changera pas en France, nous avons étudié attentivement les effets d'une application du protocole de Londres au CNRS, avec un œil neuf et non pas en s'alignant sur ce qu'avaient dit nos prédécesseurs. Je crois que le Président Alain POMPIDOU est passé très vite sur un graphe qui dessinait la courbe décroissante, au niveau de l'OEB, des dépôts en français. Il y a une diminution d'un facteur deux en sept ou huit ans. Par extrapolation, dans sept ou huit ans, il n'y aura plus de dépôts en français à l'OEB. Heureusement que l'INPI est là et donne des facilités. Mais écrire un brevet en français représente un effort pour les chercheurs ; tous leurs articles étant en anglais : faire des « copier-coller » et mettre cela dans un style brevet est quand même nettement plus facile. L'aide de l'INPI compense en partie l'effort demandé pour produire un brevet en français.

Si le protocole de Londres est ratifié, il y a une traduction des seules revendications dans les deux langues officielles. Uniquement avec cela, j'ai déjà 1,5 million d'euros d'économie par an. Ce montant est-il réinvesti dans des brevets ? Ce montant est réinvesti dans les brevets parce qu'actuellement nous refusons de couvrir beaucoup de brevets, de payer les brevets : le Directeur de la politique industrielle du CNRS à côté de moi peut le confirmer. Nous ne sommes pas une PME, nous avons un afflux d'étudiants en laboratoire et nous faisons un tri. Nous pensons que la protection du patrimoine national est mieux assurée dès lors que le français est l'une des trois langues officielles. Je n'ai pas compris tous les raisonnements, mais il me semble qu'il existe une opportunité avec le français. A notre avis, si nous ne faisons rien, il est évident que la courbe pessimiste va converger vers zéro. De ce point de vue, le protocole de Londres est une chance pour stabiliser le dépôt de brevet en français.

Je pense aussi que rédiger en français constitue un avantage concurrentiel. Précédemment, j'avais comparé les brevets européens et américains pour les chercheurs, j'avais mentionné que la langue française présente quelques avantages. Puisqu'en cas de litige, la langue de dépôt fait foi, autant avoir une langue très précise. Est-ce suffisant pour convaincre les chercheurs de déposer en français ? Non, mais je rappelle que le principe d'un brevet est de protéger et de dire. Si on veut être bien protégé, il faut bien dire : on a donc intérêt à avoir une description complète. La position asymétrique est souvent un avantage et l'utilisation d'une langue moins parlée est un avantage. Certes, comme cela a été relevé, l'anglais des brevets présente des spécificités, mais pour la communauté des chercheurs, cela ne pose strictement aucun problème, nous savons faire et nous savons lire. Si nous rédigeons en français, nous avons un petit avantage. Si la description est en français, soit les personnes à l'étranger ne comprennent pas la description et cela les oblige à traduire, soit ils ne cherchent pas à traduire et ils n'auront pas une compréhension complète de la description. Je retourne l'argument avancé sur le fait qu'on comprend mal l'allemand. C'est aussi un avantage qu'on comprenne mal le français.

Quels que soient les cas, nous protégeons notre patrimoine et de ce fait, nous continuerons à déposer nos brevets en français. C'est pour toutes ces raisons et en accord avec l'Académie des Technologies, que le CNRS reste dans sa logique et continue de soutenir la ratification du protocole de Londres.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur MIGUS. Avant de donner la parole à Monsieur Thierry SUEUR, je voudrais faire une petite remarque pour détendre un peu l'atmosphère.

Lorsque j'étais un jeune thésard, mon directeur de thèse me disait : « N'oubliez jamais que quand vous faites une communication dans une conférence, vous devez être suffisamment clair pour que les gens vous comprennent, mais pas trop quand même pour qu'ils ne se disent pas que ce que vous recherchez est à la portée du premier imbécile venu. » Pour ce qui est des brevets, autant que je me souvienne dans mes recherches bibliographiques, c'était amplifié et magnifié parce qu'en général, entre ce qu'on voyait dans l'index des publications et ce qu'on trouvait dans le brevet, beaucoup de difficultés se posaient : c'était à peu près incompréhensible, que ce soit en français, en anglais ou dans n'importe quelle autre langue. J'avais même une collègue qui avait fait traduire un brevet japonais, parce qu'elle avait lu le résumé en anglais qui lui paraissait particulièrement intéressant. Elle a obtenu quelque chose de très poétique mais qui n'avait absolument rien à voir avec son sujet de recherche.

J'en viens donc à Monsieur Thierry SUEUR qui est Président du comité « propriété intellectuelle » du MEDEF. Les entreprises sont bien sûr parties prenantes. Le MEDEF représente les grands groupes, les PME et PMI. Les intérêts des unes et des autres sont-ils les mêmes au regard des incidences du protocole de Londres ? Y a-t-il des points communs ou des divergences selon les secteurs industriels ? Vous allez vous exprimer au nom du MEDEF ; même si vous êtes vice-Président d'Air Liquide, c'est la position du MEDEF que vous allez nous donner.

M. Thierry SUEUR, Président du comité
« propriété intellectuelle » du MEDEF

Merci infiniment de me donner la parole. Beaucoup de choses ont été dites, j'ai notamment beaucoup adhéré à ce qu'a dit Monsieur POULETTY, parce que ce sont des arguments vécus. Je suis un peu un « dinosaure » puisque que je dois être un de ceux qui a franchi toutes les étapes depuis le rapport Lombard, demandé par Monsieur BOROTRA et confirmé par Monsieur PIERRET : le rapport VIANES, la représentation de l'industrie européenne comme observateur à la conférence intergouvernementale à Paris, le suivi des groupes de travail ... C'est le privilège de l'âge.

J'essaierai donc de rendre compte du vécu et de vous donner des exemples concrets. Dans ce débat, on produit beaucoup de données chiffrées, et probablement que tous les chiffres annoncés sont bons mais il faut essayer de ramener les choses au concret. C'est ce que j'essayerai de faire et excusez-moi si de temps en temps je prends des exemples tirés du fonctionnement de mon entreprise.

Comme l'a dit Monsieur POULETTY, le sujet, ce sont les brevets, mais incidemment l'important est cette croissance, ce processus de Lisbonne qui, en ce moment, « patine » un peu. Le fond de l'affaire, c'est le progrès économique, la création d'entreprises et d'emplois. Cette croissance et cette création d'emploi s'obtiennent par l'innovation : l'innovation au sens large, comprenant la recherche et tous les progrès qu'on peut faire, y compris dans l'organisation, est la clé. On sait que l'innovation et la recherche sont un métier à risque : techniquement, économiquement, cela ne marche pas toujours. En outre, les concurrents ont de bonnes idées en même temps que vous et vous compliquent un peu la tâche.

Le brevet est le mécanisme, créé par le législateur, qu'utilise la société pour donner une chance à l'entrepreneur de rentabiliser son investissement et de faire du profit en minimisant ce risque. C'est une chance conditionnelle puisque tous les brevets ne sont pas accordés, ils doivent correspondre à certains critères. En dehors de cette chance qui va pousser l'entrepreneur à mettre son argent, son temps et son risque sur la table, le brevet a d'autres avantages en dehors du droit exclusif qui lui est attaché.

Le deuxième avantage que j'y vois est cette dissémination de technologie. J'y reviendrai tout à l'heure parce que c'est lié à la veille technologique et qu'il s'agit d'un aspect tout à fait important du brevet.

Le troisième avantage, que j'aborderai moins, consiste à favoriser les transferts de technologies car le système codé identifiable permet de retrouver les brevets facilement : chacun sait qu'il est plus facile de faire un transfert de technologie à partir d'un brevet avec la notice juridique définie plutôt qu'à partir d'un savoir-faire car, dans ce cas, tout repose sur la confiance et les règles du jeu sont vraiment très peu claires.

Un autre avantage réside dans le droit temporaire accordé à l'entrepreneur : on sait qu'il est limité à 20 ans et, dans la réalité, une protection de 20 années est rare. Généralement les brevets durent huit, neuf ou dix ans en moyenne. Dans mon entreprise, selon les technologies, quand il s'agit d'ingénierie, on va jusqu'à 13 ou 14 ans ; quand il s'agit d'applications des gaz, on est à huit ou neuf ans parce que les technologies changent et qu'on abandonne un brevet qui n'a plus lieu d'être.

Nous pensons que les bases du système européen des brevets sont bonnes. Il est certainement perfectible, mais c'est un bon système. Néanmoins, ce système n'est pas fini car il lui manque un volet judiciaire ; si le Président m'en laisse le temps, je dirai un mot sur ce point.

Je voudrais maintenant aborder le premier point, à savoir la veille technologique. Je l'ai vécue et mise en place quand j'ai rejoint l'entreprise. Nous avons notamment mis en place, dans l'ingénierie, des systèmes de surveillance des concurrents où nous passons en revue tous les trois ou quatre mois leurs brevets. Nous n'examinons pas des brevets mais des demandes de brevet, disponibles à 18 mois. 18 mois, c'est le premier moment où la demande apparaît. Tout le monde travaille sur les mêmes choses en même temps : nos concurrents ne nous attendent pas, même si nous sommes numéro un mondial et nous regardons ce que font nos concurrents allemands, britanniques, américains.

Cela nous renseigne sur l'activité de nos concurrents. D'abord, cela provoque des chocs parce que nous nous apercevons qu'ils ont eu de bonnes idées avant nous, puis cela nous donne des idées. Dans nos réunions, l'ingénieur est souvent un peu désespéré dans un premier temps parce qu'il travaillait sur un sujet. Dans un deuxième temps, le défi reprend, on se dit qu'on peut faire mieux, et cela lui donne d'autres idées. Je peux vous dire que nos meilleures inventions se sont appuyées sur ce qu'ont fait les autres.

Deuxième point important : les responsables du marketing vont venir me voir pour savoir s'ils peuvent faire ou pas. Il y a deux réponses possibles : la mauvaise et la bonne. La mauvaise est de dire : « je ne sais pas revenez me voir dans cinq ans et le brevet sera accordé. » La bonne réponse est de regarder le brevet, d'étudier le rapport de recherche et, en tant que professionnel, je vais faire mon estimation. C'est ma vie de tous les jours. Je fais cela à 18 mois. A 18 mois, j'ai les brevets de mes concurrents en allemand et en anglais. Depuis 1973, je n'ai jamais eu de traduction. Il faut quand même rappeler que l'accord de Londres ne change rien sur ce point.

La deuxième fonction du brevet est le monopole qu'il accorde. C'est un droit exclusif, essentiellement à partir de la délivrance.

Je reviens encore sur les faits : un taux de consultation de 1,7 % ... Je ne vais pas aller voir la traduction. On dit que tout cela est de la théorie. Est-ce que cela marche ? Oui, parce qu'on a expérimenté cette démarche. Les Anglais ont essayé. Je crois que les Anglais ont une caractéristique, leur don des langues est assez limité, ils sont enfermés dans leur certitude de la primauté de l'anglais et les langues étrangères leur sont inconnues. De 1977 à 1987, les Anglais n'ont pas demandé de traduction : ils n'ont pas utilisé l'article 65. Les Allemands l'ont fait 15 ans, de 1977 à 1992. Cela a très bien marché. Pourquoi ont-ils demandé à nouveau les traductions ? Pour ne pas être les seuls, en particulier ils souhaitaient que les Français prennent la même position. C'est pour cela que dans l'accord de Londres, dans les négociations (j'y étais, je le rappelle), les Etats voulaient les Anglais, les Français et les Allemands. La solution a donc un sens, elle est praticable, on l'a essayée, elle fonctionne et on ne prend donc pas de risques.

On oppose souvent le breveté et le tiers : il ne faut vraiment pas être dans l'industrie pour les opposer. C'est vraiment un « truc de conseil », car en fait ce sont les mêmes personnes : je suis plus souvent un tiers qu'un breveté. Il s'avère que nous sommes leader mondial : nous avons 20 ou 25 % du marché mondial. Mais je dois dire que mes concurrents tous ensemble auront toujours plus de brevets que moi. Je passe plus de temps sur les brevets des autres que sur les miens. Je suis le tiers.

Je trouve remarquable que toutes les entreprises, les inventeurs indépendants, les PME, PMI et les grandes entreprises soient d'accord : il n'y a pas de fausse note. Monsieur VIANES l'a dit et mentionné dans son rapport et Monsieur PIERRET l'a rappelé tout à l'heure. Je ne vois vraiment pas où est le problème.

Il est vrai que de ne plus faire de traductions va entraîner des pertes pour ceux qui en bénéficiaient. Tout à l'heure, Christian DERAMBURE disait qu'il a épousé la profession de conseil, moi j'ai épousé un conseil, ma femme est conseil. Il s'avère qu'elle est aussi pour l'accord de Londres.

En ce qui concerne la langue française, je reviens sur ce que disait tout à l'heure Monsieur BATTISTELLI : d'abord, le système pour faire valoir ses droits est celui de 1973. Depuis 1973, les brevets peuvent être portés en langue étrangère, on peut le regretter mais depuis les premiers brevets de 1977, cela fait 29 ans que cela dure.

Deuxièmement, lorsque je vais déposer, je vais désigner la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Suisse, sachant que la Suisse a entrepris le processus de signature et de ratification, et je n'aurai pas à traduire. Vous allez avoir environ 140 ou 150 millions de citoyens allemands, anglais ou suisses qui vont devoir lire du français : je trouve cela bien. Je crois qu'on fait autant pour la promotion de la langue française en se disant que 140 millions d'étrangers vont lire le français qu'en demandant la traduction de brevets que personne ne consulte.

Je voudrais vous donner une référence de coût : j'ai pris un cas réel car il n'y a pas de cas type : certains brevets comportent 70 pages et d'autres se limitent à 10 pages. Je me suis adressé à un grand laboratoire pharmaceutique, une entreprise française qui n'est pas cotée, qui appartient à un propriétaire et dont le siège est à Neuilly. Elle m'a donné un texte de 46 pages. Cette société m'a dit qu'elle n'utilisait pas un conseil français, elle a donc évité la marge légitime que peut prendre un conseil français. Cette société a précisé qu'avec ses correspondants étrangers, elle a négocié les prix. Elle a déposé une demande de brevet européen dans 25 pays. Coût de la traduction : 34 675,96 €. J'ai le détail pour chaque pays : 4 046 € pour les Suédois, 3 500 € pour les Danois... J'ai fait le calcul après accord de Londres : 19 447 € soit une différence de 15 228, 96 €. Pour une entreprise qui va déposer 40 brevets européens par an, certains font beaucoup plus, cela représente une économie d'un million d'euros, c'est quelque chose ! Pour moi, 22 % de réduction sur le budget, c'est quelque chose. Le rapport Lombard regrettait que les entreprises travaillent avec un budget. Nous travaillons avec un budget. Mon Président alloue des sommes et avec ces sommes, je fais des choix. Quand j'économise un million d'euros par an, je peux en faire des choses : je peux déposer des brevets, dans plus de pays, je peux faire de la recherche, je peux faire des activités productrices, plutôt que demander des traductions que personne ne va lire. Je vous parle du concret, je ne fais pas de théorie.

Je vais m'avancer sur un terrain qui n'est pas forcément le mien. Que va-t-il se passer si nous ratifions l'accord de Londres ? Je crois que si nous le faisons, nous avons vraiment une chance. Je reconnais que je peux me tromper.

Le rapport Lombard ou VIANES mentionnait une étude menée par Roland Berger, institut économique, qui estimait, pages 35 et 36, que l'accord devrait augmenter le nombre de dépôts de l'industrie européenne et en particulier française. Nous ne sommes pas mauvais mais nous pouvons être meilleurs notamment en ce qui concerne les PME. Il existe un effet de seuil et il faut dire que depuis 30 ans, tous les gouvernements ont fait des efforts. L'INPI fait des tarifs, récemment les taxes pour les PME ont été réduites, malheureusement c'est passé dans une indifférence générale. On bouge un peu, on fait 0,5 % une année et 1,5 % une autre, mais on ne change pas la situation. Je pense que si la France ratifie, si nous nous associons à cette démarche, si nous allons voir le tissu des PME en leur disant qu'elles vont économiser les coûts qu'ils découvrent quatre ou cinq ans après le dépôt et qu'elles en profitent pour déposer plus de brevets. Si on fait cela, on change la donne, on a une chance. Ce n'est pas gagné, je peux me tromper.

J'ai suivi les négociations sur le brevet communautaire et sur l'accord de Londres. Je trouve qu'aujourd'hui, l'image de notre pays dans ce domaine est brouillée. Elle est brouillée parce que beaucoup de mes collègues de l'industrie européenne disent qu'ils ne savent pas où nous sommes, si nous sommes du côté de l'Espagne ou du côté de l'Allemagne, du côté de ceux qui innovent ou des autres. Je vous rappelle qu'il n'existe pas de services de brevet en Espagne : il n'y a pas d'entreprises disposant de services dédiés aux brevets, il n'y a que des conseils. Ils ne sont pas dans le jeu, ce qui explique leur décision. Je pense que si nous ratifions l'accord de Londres, je suggérerai, l'allusion a été faite tout à l'heure par Monsieur BATTISTELLI, de proposer la candidature de Paris pour l'EPLA. La France n'a pas aujourd'hui de siège en matière de propriété industrielle : les Espagnols ont Alicante pour l'Office des Marques, les Allemands ont Munich, les Néerlandais ont La Haye, les Autrichiens ont Vienne. Je pense sincèrement que si nous créons ce choc avec la ratification et l'EPLA (European Patent Litigation Agreement), nous avons une possibilité de rafler la mise parce que nous allons prendre beaucoup de monde à contre-pied.

Dernier point, je pense que tout cela montre le chemin vers le brevet communautaire que j'appelle de mes vœux depuis 10 ans.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur SUEUR. Je voudrais juste dire, au moment où tout le monde se demande pourquoi en France nous déposons moins de brevets, que j'ai rencontré en 1999 des responsables de l'université de Louvain La Neuve. Si vous avez une journée de libre, vous pouvez prendre le TGV et aller voir à Louvain La Neuve : vous comprendrez pourquoi ils déposent des brevets. Cela ne leur pose aucun problème : c'est une question d'état d'esprit, avec une structure légère. Il y a 22 personnes qui s'occupent de l'administration et de la recherche, c'est-à-dire les négociations des contrats européens, les interfaces avec les entreprises privées, le dépôt de brevet, le maintien des brevets, la création de « start up », les fonds d'amorçage : tout cela est à l'intérieur de l'université. Si vous avez encore un peu de temps, vous irez jusqu'à l'université Twente qui s'est créée sur une friche industrielle du textile il y a 20 ans et où ont été créés 600 entreprises et 6 000 emplois à partir de l'université. Allez voir et essayez de transposer.

M. Benoît BATTISTELLI, Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) : Monsieur le Président, on vient de dire à plusieurs reprises qu'en France le nombre de brevets baisse ou n'augmente pas. Je voudrais juste citer les chiffres : depuis 10 ans les brevets déposés par les personnes morales de droit français augmentent en moyenne de 2 % par an. Le nombre global est stable et correspond à la fois aux personnes morales de droit français, plus les entreprises étrangères, celles qui ont déjà déposé une fois dans leur pays et qui déposent chez nous en deuxième priorité, c'est ce nombre qui baisse. Les dépôts des inventeurs indépendants sont stables. Je voudrais simplement rectifier ce point : il est vrai que nous pouvons faire mieux, mais depuis 10 ans les politiques menées aboutissent à une augmentation moyenne de 2 à 3%. C'était 4 % l'année dernière. Merci.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : J'ouvrirai la discussion après les deux derniers intervenants. Je souhaiterais qu'ils puissent faire leur présentation. Monsieur PATRY de l'Association des Professionnels de la Traduction des Brevets d'Invention, vous allez nous dire ce qu'il en est du coût de la traduction, de sa valeur juridique, du temps nécessaire et si, à votre avis, la question de la traduction est déterminante.

M. Alain PATRY, Président de l'Association des Professionnels de la Traduction des Brevets d'Invention (APROBI)

Merci Monsieur le Président. Je serai bref puisque c'est ce que vous souhaitez. Notre situation est difficile aujourd'hui car nous sommes très minoritaires. Notre position est très claire : nous sommes contre la ratification du protocole de Londres. Je vais essayer de vous expliquer en quelques mots pourquoi c'est dangereux pour la langue française.

Les partisans de l'accord de Londres nous expliquent qu'il garantira le rayonnement du français : il faut beaucoup d'audace. Je vais rassurer le Président DERAMBURE qui s'est présenté comme un mouton noir. Il y a des moutons encore plus noirs : nous sommes carrément accusés, puisque l'APROBI représente les professionnels de la traduction des brevets, parmi lesquels des non traducteurs, parce qu'il y a aussi tous les personnels des traducteurs (secrétaires, dactylos...). Depuis quelques mois, notamment dans la presse, on nous a accusés de tous les maux : c'est à cause des traductions que la France ne déposerait pas suffisamment de brevets d'invention. Nous avons donc été les boucs émissaires dans ce dossier, ce qui n'a pas été dit aujourd'hui de la part des intervenants précédents et je leur en suis reconnaissant. On nous a plus d'une fois accusés d'avoir une démarche purement corporatiste ce qui n'est pas le cas : nous sommes conscients de l'importance de la langue française et j'ose espérer que personne n'accusera Monsieur le Ministre FOYER d'avoir une démarche corporatiste et nous le remercions d'ailleurs de son soutien.

L'APROBI a eu l'occasion de développer ses arguments à maintes reprises auprès des parlementaires. Nous avons également essayé auprès de la presse, ce qui a été un peu plus compliqué. Monsieur VIANES nous avait donné la possibilité de nous exprimer lors des tables rondes organisées en 2001 à Bercy. Je souhaite donc répondre par rapport à ce qui nous est reproché brièvement mais avec des arguments dont nous sommes convaincus.

Les traductions coûtent trop cher, c'est le cœur du problème d'après ce qu'on nous dit. Les traductions ne servent à rien et l'accord de Londres garantirait donc le rayonnement de la langue française, notamment en Europe.

Nous, traducteurs, savons ce que cela coûte. Nous ne faisons pas les traductions pour rien, c'est évident.

Tout le monde a pris ses exemples : je vais prendre un brevet moyen de 30 pages, 300 mots par pages. Si je prends le coût facturé globalement d'abord par les traducteurs, à quoi on doit ajouter la marge des conseils qui font un travail : j'arrive à 1 800 € pour une langue. 1 800 €, sachant que cette protection peut durer 20 ans. 1 800 € pour une protection qui dure 20 ans représente un investissement de 90 € par an, pour la langue française. J'aimerais savoir quelle est l'entreprise qui n'a pas les moyens d'investir 90 € par an pour défendre son brevet pendant 20 ans en français. Si on prend cinq pays, on arrive à 450 € par an, ce qui n'est pas non plus énorme. Nous sommes conscients qu'on ne peut pas traduire dans toutes les langues, notamment des brevets qui peuvent faire 1000 pages, c'est un cas très marginal, mais cela peut arriver.

La traduction, qui plus est, est une garantie de qualité. Je ne dis pas cela pour « défendre mon bifteck » mais c'est bien la réalité. Quand un déposant s'engage à payer une traduction, il ne va pas le faire pour jeter l'argent par les fenêtres mais parce qu'il est conscient que son invention est exploitable, qu'il en tirera des bénéfices plus importants que le financement de la traduction.

Quand on nous dit que la langue est un faux problème, c'est le coût de la traduction qui est un faux problème. Ce n'est pas parce que demain on ne traduira plus qu'il y aura davantage de brevets.

J'enchaîne avec le point suivant : les traductions ne servent à rien.

Il y a un point sur lequel tout le monde est d'accord : les traductions arrivent trop tardivement. La veille technologique ne se fait pas essentiellement sur la base des traductions quand elles arrivent quatre ou cinq ans après.

Je lance un appel au Président de l'OEB pour étudier ce que l'OEB pourrait engager afin que précisément les traductions soient disponibles dans un délai plus rapide. Si nous améliorions cette situation, l'intérêt documentaire serait déjà plus important.

Je ne suis pas d'accord avec l'argument qui consiste à dire que les traductions ne servent à rien et que l'aspect documentaire est très faible. Je prends le problème en sens inverse : faisons en sorte que l'aspect documentaire soit plus important, que les traductions soient disponibles dans un délai plus bref. Evidemment, dans ce cas, je formule la même demande auprès de Monsieur le Directeur Général de l'INPI, à savoir que les traductions soient disponibles rapidement sur le site internet de l'INPI, ce qui augmenterait considérablement les consultations. On ne peut pas se fonder uniquement sur le nombre de consultations des brevets pour juger de leur utilité.

Il est clair qu'un brevet d'invention ne sera jamais le roman à succès de l'été. Mais la langue française comme toutes les langues n'est pas qu'un ensemble de mots : on ne pense pas en français comme on pense dans une autre langue. C'est le vecteur de la structuration de la pensée, elle entraîne une méthode de raisonnement, une dialectique qui lui est propre. Nous traducteurs, sommes bien placés pour le savoir : les langues, la traduction, c'est notre métier, on les pratique tous les jours. Ne plus rédiger un brevet d'invention en français, c'est tout simplement ne plus raisonner en français, ne plus innover en français.

On nous dit également qu'une PME française pourrait faire protéger son invention dans toute l'Europe en rédigeant son brevet en français, sans traduction. C'est oublier qu'il y a des pays qui ont pris conscience du fait que leur langue est un atout économique qui compte. Les traductions seront donc exigées de toute façon pour les pays qui ont refusé de signer le protocole de Londres : l'Irlande, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce, l'Autriche ne se contenteront pas d'un brevet non traduit. Le France serait « le » pays qui renoncerait à sa langue, puisque nous savons que la décision dépend maintenant d'elle.

Le rayonnement de la langue française, avec le protocole de Londres, pourrait donner envie de sourire. Mais le sujet est suffisamment grave. Un brevet déposé dans l'une des trois langues officielles de l'OEB s'appliquerait sans traduction. Des chiffres ont été cités, que je reprends, car c'est un point crucial. Je parle sous le contrôle des autorités compétentes car nous sommes traducteurs, je n'aborderai pas les modalités de dépôt qui ne relèvent pas de notre compétence. Actuellement, 93 % des brevets sont rédigés en anglais et en allemand, essentiellement en anglais. Seulement 7 % des brevets sont rédigés en français.

Permettez-moi d'insister sur ce point : avec le système actuel, la francophonie existe à 100 % dans le domaine des brevets d'invention. Tout brevet déposé en anglais ou en allemand est traduit en français. Si demain, le protocole de Londres est ratifié, les brevets rédigés en anglais ou en allemand, soit 93%, n'existeront plus en français. Cette part de la francophonie dans le domaine des brevets d'invention passera donc de 100 % à 7 % dans un premier temps. Je suis désolé, je suis Français, j'aime ma langue et, Monsieur le Président, je préfère 100 % à 7 %. Si on considère que 7 % est un rayonnement de la langue française, il est clair que je suis en désaccord. Qui plus est, cela représenterait environ 100 000 brevets par an qui ne seraient plus disponibles en langue française et auxquels seraient confrontées les entreprises françaises, y compris les très petites entreprises. Comme cela a été dit précédemment, c'est une douce illusion que d'imaginer que tous les gérants de PME-PMI maîtrisent l'anglais et encore moins l'allemand scientifique et technique ; les professionnels de la traduction et les conseils sont, quand même, parfois confrontés à des textes difficiles à comprendre ! L'encouragement du dépôt de brevet nous conduira à faire de la veille technologique dans une langue que ces personnes ne maîtriseront pas obligatoirement.

On nous dit aussi qu'il n'y a pas de problèmes, que le français n'est pas menacé parce que les revendications seront toujours traduites dans les trois langues et dans les autres langues d'ailleurs, en ce qui concerne uniquement les revendications. J'ai l'impression qu'il y a des personnes qui parlent des brevets mais qui n'en ont pas lu beaucoup. Je peux vous dire, comme tous les traducteurs et conseils, que la plupart du temps, les revendications sont absolument incompréhensibles si on ne se réfère pas à la partie descriptive des brevets. A quoi aboutirions-nous avec l'accord de Londres ?

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Ne vous laissez pas détourner de votre propos.

M. Alain PATRY, Président de l'Association des professionnels de la traduction des brevets d'invention (APROBI) : Monsieur le Député, ce n'est pas le nombre de consultations qui compte. Les revendications seront disponibles en français, les descriptions ne le seront plus. Dans un brevet, pour décrire un nouveau procédé, une nouvelle molécule ou le sujet de l'invention, il y a aussi des mots nouveaux qui sont créés.

Ces mots nouveaux ne se trouvent pas dans les revendications mais dans la partie descriptive. Peu importe qu'il y ait 2 % ou 10 % de personnes à consulter les traductions. C'est un problème pour l'avenir de la langue française. Le protocole de Londres, dans ces conditions, est la mort annoncée de la langue française. Je vois que vous êtes dubitatif, mais nous sommes confrontés à ce problème avec des mots nouveaux tous les jours. Si on renonce à la traduction des descriptions, dans 93 % des cas, les descriptions seront disponibles uniquement en anglais. Cela veut dire que les mots nouveaux existeront en anglais mais n'existeront plus ni en allemand, ni en français. Au niveau de la terminologie, on renonce à l'enrichissement de notre langue : renoncer à l'enrichissement de sa langue, c'est accepter sa mort annoncée. On a parlé tout à l'heure de douce euthanasie, c'est une réalité Monsieur le Député.

Nous avons une proposition à faire. Monsieur le Président de l'OEB a rappelé que le français n'est pas menacé parce qu'il reste une des langues officielles de l'OEB. Certes. Je vais prendre une image qui peut faire sourire : j'ai l'impression que c'est un peu comme une kermesse. Il y a la reine sur son trône, la langue anglaise, et il y a deux demoiselles d'honneur avec un strapontin, dont la langue française avec un tout petit strapontin. La moindre des choses pour maintenir ce multilinguisme qui a fait la richesse de l'Europe depuis des siècles serait un principe simple : demander la traduction obligatoire des brevets d'invention, avec ou sans protocole de Londres, dans leur intégralité au moins dans les trois langues officielles de l'OEB. A partir du moment où le français est une langue officielle, je ne vois pas pourquoi on ne demanderait pas la description du brevet dans une langue officielle. Sinon, on renonce aussi à la langue officielle dans la pratique, on la garde dans la théorie mais elle ne s'applique plus dans les faits.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Monsieur PATRY, venez-en à votre conclusion.

M. Alain PATRY, Président de l'Association des professionnels de la traduction des brevets d'invention (APROBI) : J'ai été interrompu, Monsieur le Président.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Vous ne devez pas vous laisser interrompre, ne quittez pas votre idée.

M. Alain PATRY, Président de l'Association des professionnels de la traduction des brevets d'invention (APROBI) : Je ne me laisse plus interrompre jusqu'à la fin puisque j'arrive à la conclusion.

C'est justement au nom de l'avenir de la langue française que nous demandons à la représentation nationale de ne pas ratifier l'accord de Londres dont les conséquences sont beaucoup plus importantes que ce qu'on voudrait bien nous dire, et de continuer les négociations vers un brevet communautaire, en ayant toujours le respect des langues officielles de l'OEB des brevets. Je vous remercie.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Nous allons ouvrir le débat après l'intervention de Madame DANLOS.

Monsieur le Président FOYER ?

M. Jean FOYER, Membre de l'Académie des Sciences morales et politiques : Monsieur PATRY a parlé tout à fait gentiment de mes positions corporatistes. C'est considérer en quelque sorte que je constituerais une corporation à moi tout seul car dans la circonstance, je n'ai aucune espèce d'intérêt, de quelque nature que ce soit. Je suis indépendant, depuis toujours et à jamais.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Mais vous avez une autorité naturelle à vous tout seul, Monsieur le Président. Madame DANLOS, professeur de linguistique informatique à l'université de Paris VII, membre de l'Institut Universitaire de France, peut-on utiliser de nouvelles technologies ? La traduction automatique peut-elle offrir de nouvelles perspectives?

Mme Laurence DANLOS, Professeur de linguistique informatique à l'Université Paris VII, Membre de l'Institut Universitaire de France

Je vais tâcher d'être très brève. Je rappelle que la traduction automatique consiste à prendre un texte sous forme électronique en langue source, à le passer dans un ordinateur doté d'un système de traduction qui produit le texte sous forme électronique en langue cible et qui est donc prêt à être imprimé ou diffusé sur internet.

Les recherches sur la traduction automatique datent des premiers ordinateurs, c'est un fait qui n'est pas très connu, mais dès que les ordinateurs sont nés, cela s'appelait des machines à calculer, on a tout de suite inventé les premiers systèmes qui étaient des systèmes de traduction mot à mot. Les informaticiens s'amusaient mais on connaît les limites de la traduction mot à mot en particulier quand il y a des expressions composées : « un pied noir a mangé une pomme de terre » donne « a black foot ate an apple of earth ». Ce sont les perles de la traduction automatique qu'on voit souvent dans les médias et qui ont fait le succès de Jean-Louis Chiflet.

Si je continue mon bref historique, il y a eu beaucoup de crédits aux Etats-Unis pendant la Guerre Froide en direction de la paire russo-française (traduction mot à mot). Il y a ensuite eu le rapport Bar-Hillel en 1965 qui a affirmé que la traduction automatique était impossible. Un des arguments avancés était qu'un système de traduction automatique ne peut pas traduire Shakespeare, ce qui est un argument idiot puisque dans la même lignée, on ne demande pas à un robot de danser le Lac des Cygnes. Je ne vois donc pas pourquoi on demanderait à un système de traduction automatique de traduire Shakespeare.

Dans les années 80, il y a eu un gros projet de recherche européen, EUROTRA, que je connais bien puisque je l'ai dirigé pour la France au nom du CNRS. A l'époque, il y avait 13 pays membres, après l'adhésion de l'Espagne et du Portugal et neuf langues officielles. Il s'agissait d'encourager la R&D en traduction automatique pour les besoins de la Communauté Européenne.

A la même époque, il y a eu un projet qui avait la même idée mais à visée industrielle. C'était au moment où le Japon commençait à inonder le marché de ses produits : il fallait donc traduire les manuels de maintenance et les modes d'emploi. Il y a donc eu un gros effort de traduction automatique dirigée par le Japon et dans les langues de l'Asie du Sud-Est. Les Japonais étaient très enthousiastes : ils disaient qu'on pouvait faire de la traduction automatique, même par téléphone. C'est-à-dire que vous prenez votre téléphone en français et il va traduire la conversation en japonais. Il ne faut pas exagérer, il y a déjà des difficultés avec la traduction automatique, si on ajoute la reconnaissance vocale et la synthèse de la parole, tout cela avec un son bruité par le téléphone, on est quand même loin des téléphones traducteurs.

Aux Etats-Unis, les recherches sont reparties en particulier sur la paire arabe- anglais. Le paradigme de recherche a changé grâce à l'usage de plus en plus fréquent d'ordinateurs. On a des corpus bilingues alignés.

Il y a donc des méthodes probabilistes qui sont très étudiées par opposition aux méthodes symboliques qui reposent sur des règles linguistiques. Deux géants, Microsoft et Google, promettent depuis un ou deux ans des systèmes à base de méthodes probabilistes totalement révolutionnaires. Je veux bien les croire mais on ne les a toujours pas vus. Pour l'instant, ce sont donc toujours des produits dits symboliques sur des bases linguistiques. Les plus connus sont Systran et Reverso. L'exemple de deux traductions, l'une par Reverso, l'autre par Systran, montre qu'il y a encore des efforts à faire.

On a tous appris qu'on ne peut pas traduire sans comprendre. Idéalement, il faudrait qu'un système de traduction automatique calcule le sens. Techniquement pour un ordinateur cela veut dire être capable de faire des règles d'inférences. Or, pour l'instant, les systèmes de traduction automatique qui existent ne comprennent rien. Ce qui est développé, ce sont des systèmes à transfert qui sont donc intermédiaires et nettement plus évolués que les systèmes de traduction mot à mot développés pendant la Guerre Froide, mais ce n'est pas du tout de la traduction humaine avec compréhension. Ce sont des systèmes qui reposent sur une analyse morpho-syntaxico-sémantique et qui se heurtent à des difficultés dues aux innombrables ambiguïtés de la langue. Je peux simplement vous rappeler que la langue compte une infinité d'ambiguïtés, tant dans un sens - une forme linguistique a plusieurs sens - que dans l'autre - un sens donné peut s'exprimer par plusieurs formes linguistiques.

Nous avons des chances de réussite dans les textes techniques car dans un texte technique, dans un domaine donné, on va réduire les ambiguïtés tant lexicales, en particulier les termes analogiques, que syntaxiques et conceptuelles. On peut adapter un système de traduction automatique à un domaine technique particulier. C'est comme un traducteur humain : un traducteur humain sera spécialisé dans un domaine particulier. Il faut aussi voir qu'un système de traduction automatique doit être spécialisé dans un domaine. On peut ainsi espérer des résultats d'une qualité à peu près acceptable. On peut utiliser la sortie d'un système de traduction automatique, la traduction brute, pour faire de la veille technologique, mais si on veut aller plus loin on va faire de la traduction assistée par ordinateur, c'est-à-dire que le texte traduit automatiquement est révisé par un humain.

Puisque la qualité produite par le système de traduction automatique n'est pas parfaite, il va y avoir un traducteur qui va réviser cette traduction. C'est donc une nouvelle définition du travail du traducteur. Souvent les traducteurs m'accusent de vouloir les mettre au chômage : loin de là. Je pense que le travail du traducteur doit être défini d'une nouvelle façon. Au lieu que le traducteur parte d'un texte brut à traduire, il faudrait qu'il parte de la traduction fournie par un système automatique et qu'il révise cette traduction avec tout un ensemble d'outils. Manifestement, cela peut réduire énormément le coût et le délai de la traduction.

Cela peut être tout à fait utile en particulier pour la traduction automatique de brevets. Il y a eu un système appelé PaTrans, un système de traduction automatique de brevet de l'anglais vers le danois et qui est utilisé dans une société de traduction de brevets pour accélérer la traduction et en diminuer le coût.

Je pense donc que la traduction automatique de brevet avec une révision humaine est possible et souhaitable. Sans révision humaine, c'est à éviter à l'heure actuelle sauf si c'est uniquement pour de la veille technologique.

On pourrait donc dire que si la traduction automatique progressait encore plus, cela éviterait des conflits du type de celui qui a lieu dans cette salle.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Madame. Nous allons en venir au débat. Si vous le permettez, je souhaiterais que nous commencions par les parlementaires qui se sont tenus très sages.

Débat

M. Jacques MYARD, Député des Yvelines : Comme vous le savez, Monsieur le Président, nous avons aussi des engagements, je vais donc être très bref. J'ai été extrêmement frappé par le décalage entre le discours des chefs d'entreprises et des experts économiques dont l'objet principal est le manque d'innovation et le protocole de Londres en lui-même. Je ne vois pas le lien. Je pense que le dépôt de brevets en France ne va pas être démultiplié par l'accord de Londres. Je crois qu'il faut être tout à fait clair : cela n'a rien à voir.

Je ne vais pas porter le débat sur l'aspect constitutionnel car il y a un problème réel, n'en déplaise au Conseil d'Etat. A mon avis le Conseil Constitutionnel conclurait différemment. Je laisse donc ce problème soulevé par le Président FOYER.

Quels sont les avantages qu'en tireraient nos sociétés dans une concurrence mondiale ? J'ai été extrêmement frappé par ce qu'a dit Monsieur SUEUR sur la veille technologique. Regardez maintenant ce qui se passe en Chine, au Japon. Je suis sûr que vous pratiquez très bien l'anglais, moi je peux être le correspondant de la BBC à Paris. Je peux vous dire que, pour le chinois, il va falloir passer par la traduction. Vous allez avoir le problème de la traduction en japonais parce que les Nippons sont les champions du nationalisme linguistique.

Je voudrais quand même attirer votre attention : j'ai bien suivi ce qu'à dit Monsieur MIGUS du CNRS quand il disait que déposer en français éviterait de traduire mais dans le même temps, il nous disait que nombre de nos chercheurs ne s'exprimaient qu'en anglais dans des revues. Cela pose un problème à mon avis, ils feraient mieux d'écrire en français.

Mais on ne voit pas, avec le protocole de Londres, l'avantage de déposer en langue française. Il n'y a pas que l'Europe : il y a le fameux accord PCT (Traité sur la coopération en matière de brevet). Quelle est la société française qui va désigner six Etats et qui ne va pas demander l'extension aux Etats-Unis ? Elle paiera la traduction en anglais parce que les Etats-Unis ne font pas partie de l'OEB. Retour à la case départ. En revanche, la multinationale américaine va déposer en anglais : si nous ratifions le protocole de Londres, ce sera immédiatement applicable en France sans traduction. Vous mettez donc les entreprises françaises en position de concurrence déloyale.

C'est cela le problème majeur sur le plan économique. Vous allez l'avoir de la même manière avec des puissances émergentes, comme la Chine, ou avec le Japon. Ces pays vont certainement passer par l'anglais : ils ne passeront pas par le français pour déposer à Munich. Mais lorsque l'entreprise française va vouloir avoir une couverture en Chine ou ailleurs, il est bien clair qu'on va passer par la traduction en langue chinoise et japonaise. Il me semble que de ce côté, on va accentuer le déséquilibre concurrentiel international au détriment des entreprises françaises.

Sur la veille technologique, je pense effectivement qu'on a un problème. Nous avons un avantage avec Munich, je viens de le vérifier, mais les Suédois et les Danois doivent traduire immédiatement dans une langue officielle de l'OEB les dépôts effectués en langue suédoise ou danoise. Nous avons donc le privilège de la langue française mais il est bien évident que je doute fort que ces Etats choisissent le français.

On voit donc très bien les limites du système. Nous n'avons pas intérêt à mettre la langue française mais aussi les entreprises françaises en position de déséquilibre face aux multinationales qui vont privilégier l'anglais. L'inverse ne sera pas vérifié pour la langue française parce que, qu'on le veuille ou non, la convention de Munich est limitée à l'Europe.

J'ajoute, et nous l'avons vu, que ce n'est pas un problème de coût, même si ce n'est pas négligeable. Pour le cas standard, on voit très bien que le coût reste acceptable. Je suis d'accord avec Monsieur SUEUR mais je rappelle que, de l'autre côté, il y a les mêmes coûts. Vous dites que vous allez faire des économies mais vos camarades américains et japonais vont faire des économies bien supérieures aux vôtres. Vous passerez par la langue anglaise pour les Etats-Unis, ne vous en déplaise, alors qu'eux ont déjà fait des économies.

C'est un marché de dupes : nous ne sommes pas dans la même position économique dans la défense des intérêts des entreprises françaises. Je ne nie pas qu'il faille baisser les coûts : sans doute l'INPI doit-il encore faire des progrès et l'OEB également. Mais il n'en demeure pas moins que nous ne sommes pas dans la même position que les Américains ou les Anglais. Vous allez effectivement fragiliser la capacité de concurrence des entreprises françaises.

Voilà ce que je voulais dire, en rappelant qu'il existe quand même un problème constitutionnel.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur MYARD.

Monsieur Jean-Michel FOURGOUS, vous avez la parole.

M. Jean-Michel FOURGOUS, Député des Yvelines : J'ai été ingénieur au CNRS, il y a quelques années, et j'ai très bien connu les difficultés rencontrées par les déposants, notamment en raison du coût des brevets. Ces difficultés m'ont personnellement marqué.

Quand j'ai été élu député, je me suis penché sur ce dossier pour comprendre pourquoi les petits chercheurs ou patrons n'ont pas accès au dépôt de brevet.

J'ai découvert un certain nombre de paramètres dont certains ont été cités aujourd'hui.

J'ai créé une entreprise. D'ailleurs je voudrais dire au CNRS que déposer des brevets c'est bien, mais ce serait mieux s'il y avait plus de chercheurs qui créent des entreprises. Car c'est cela l'enjeu.

Nous vivons dans un contexte de mondialisation ; c'est une forme de guerre mondiale économique entre quelques grands continents. Il y a le continent asiatique dont le taux de croissance est supérieur à 10 %. En second lieu, il y a le modèle libéral américain qui est autour de 4 % de croissance en moyenne. Et il y a le modèle européen qui est un modèle standard socio libéral qui fonctionne encore, qui est toujours autour de 2 % de croissance. Tout le monde est fixé sur cet objectif de croissance, qu'on soit de gauche ou de droite. Ce mot figure dans tous les discours.

Qu'est ce que la croissance ? La croissance dépend de trois variables. Il faut de l'argent, du travail, et de l'intelligence, c'est-à-dire de l'innovation. Mais comprend-t-on en France comment on transforme l'intelligence, comment on la matérialise ? Il est évident que l'intelligence se développe particulièrement dans l'entreprise. Les intellectuels sont utiles ... j'ai moi-même un doctorat de psychologie, mais ce n'est pas en ayant un doctorat de psychologie ou de sociologie, ou en ayant fait Sciences Po, voire même cette grande école, l'ENA, que l'on appelle avec humour l'Ecole Nationale des Artistes, que vous allez influencer le monde. Si vous n'avez pas exercé dans une entreprise ou vécu dans le monde de l'économie réelle, vous ne pesez plus grand-chose.

Je suis enchanté d'entendre de grands discours et je me flatte du niveau intellectuel de chacun et de votre culture générale, mais malheureusement il faut bien vous dire que le monde d'aujourd'hui, ce n'est ni vous ni moi qui allons le changer.

Est-on capable de comprendre comment il fonctionne ? Est-on capable de faire son expérience dans le monde économique, dans l'économie réelle qui est l'économie marchande ? Et non pas l'économie administrée qui est malheureusement une très mauvaise école qui met en difficulté directement la France aujourd'hui et qui est certainement responsable de la chute des positions concurrentielles de la France dans le monde. Mais il y a un très grand potentiel. Aujourd'hui le potentiel n'est pas ici, je suis désolé de vous le dire. Le potentiel qui va faire gagner la France est dans nos entreprises.

Or, que disent nos entreprises ?

J'ai une lettre des deux plus grandes organisations professionnelles, que ce soit la CGPE, le MEDEF, ou d'autres fédérations. Elles ont le même discours. Elles nous disent bien que le brevet européen coûte actuellement quatre à cinq fois plus cher qu'un brevet américain.

Qui prend la peine de lire les traductions des brevets comprend assez vite qu'elles ne font rien pour la promotion de notre langue, ce combat est mené par certains en mal d'existentialisme. Comme député, dans ce pays, il faut exister. Alors c'est mignon, adorable, fascinant et drôle. Il faut exister. Les médias ont dit que c'était une attaque contre la langue française. Mais l'expérience économique des personnes qui sont « montées au créneau », malheureusement, avec le plus grand respect que j'ai pour elles et la plus grande amitié, est extrêmement modeste.

Or, aujourd'hui, si vous voulez vraiment apporter une valeur ajoutée à votre pays, il faut une expérience économique avant d'aborder des sujets de cet ordre. Ce n'est pas du tout pour donner des leçons de morale, mais concrètement j'ai vécu l'affaire deux fois de suite car j'ai déposé deux brevets dans ma vie et j'ai connu beaucoup de difficultés. Il serait bon que dans le processus décisionnel français, il y ait un peu plus de responsables qui aient eu une expérience économique réelle et pas uniquement des personnes qui écrivent bien, qui parlent bien. Il serait bon qu'on mette d'abord en avant la compétence, la rencontre entre une formation adéquate et surtout une expérience. Il n'y a pas de compétences sans expérience. Pour aborder le dossier des brevets dans le monde économique, c'est-à-dire la matérialisation de l'intelligence dans le secteur marchand, il serait bon d'abord de s'intéresser aux réalités de l'entreprise.

Nous avons créé un petit groupe de députés de l'entreprise avec Olivier Dassault, car nous avons ressenti que le vrai clivage n'est pas gauche / droite mais « famille marchande » et « famille administrative ». On est souvent d'accord sur un certain nombre de questions et on vit très mal ce qui se passe lors des arbitrages dans notre pays. On a eu la chance d'aller voir ce qui se passait à l'étranger, de vendre des produits à un client, de faire de l'international, de diriger des hommes dans le secteur concurrentiel, de diriger une chaîne de production et de déposer des brevets. Vous ne voyez pas les choses de la même manière lorsque vous avez cette expérience.

Par ailleurs notre pays a signé la « stratégie de Lisbonne », donc il va falloir qu'on se donne les moyens d'augmenter notre recherche et nos dépôts de brevets. C'est dans ce contexte que s'inscrivait mon amendement parlementaire, qui se transformera en proposition de loi, avec le soutien d'un certain nombre de mes collègues.

Mes propos irritent certains d'entre vous, mais je ne suis pas là pour vous séduire et vous plaire, je suis là, avec ma modeste expérience et quelques-uns de mes amis, pour faire gagner notre pays. Si à un moment on n'est pas d'accord, on se le dit. C'est ainsi dans l'entreprise où il y a plutôt moins de conflits que dans le monde politique. On n'y utilise pas un métalangage.

Si on veut atteindre cet objectif de Lisbonne, il faut s'en donner les moyens. Pour la Chine, la France n'existe plus. Eventuellement, ce qui existe encore c'est l'Europe. Si vous voulez réussir demain, vous avez intérêt à avoir un bon partenaire allemand ou d'Europe du Nord. Il est évident que dès que vous êtes européen avec un projet cohérent, vous avez beaucoup plus de chances de réussir.

Le combat franco-français, j'y suis très sensible car je suis Français et je n'ai de leçons à recevoir de personne en matière de défense de la langue française.

Vous savez que pour certaines langues, le slovène par exemple, il est beaucoup plus facile de traduire d'abord en anglais et non pas en français. C'est pour cela qu'on assiste à une baisse des dépôts de brevets en français. Nos partenaires nous regardent. Les Allemands commencent à être très agacés par cette situation. Notre pays a des atouts, mais du fait de sa classe politique, que ce soit de gauche ou de droite, il donne une image d'obscurantisme économique qui commence à avoir des effets secondaires extrêmement coûteux sur notre croissance. Donc nos partenaires nous regardent. Ils regardent l'élite politique qui veut être élue et décider. Mais au nom de quoi ? Quelle est son expérience économique ? En général elle est pratiquement inexistante. Il faut comprendre que les grands enjeux sont avant tout économiques et non plus d'ordre sociologique ou administratif ou culturel. Nos partenaires, l'Europe, ont compris ce qu'est l'économie de marché. Nous aussi nous l'avons compris. L'entreprise l'a compris et continue à fonctionner. Mais la classe politique n'a toujours pas ou mal compris l'économie de marché.

Je vous rappelle que les Allemands sont prêts à bloquer le brevet européen. Ils sont agacés de voir que la France piétine depuis cinq ans et que le système coûte aux déposants de brevets en allemand. L'agacement est donc au maximum, d'autant plus que la grande majorité des brevets est issue de pays qui ont déjà ratifié, à l'exception de la France. On parle de l'Espagne, pays peu représentatif des 90% de déposants. On peut s'interroger sur un « plan B ». Nos autres partenaires européens risquent de revenir à la première version de l'accord de Londres : le « tout en anglais ». Cela peut être très coûteux pour la France. Plus affaiblie qu'il y a quelques années, elle peut perdre l'avantage que lui accorde le Protocole.

A propos de la défense de la langue française, qui constitue un objectif commun à nous tous, je crois que la meilleure défense, c'est l'attaque. Dans l'entreprise, on discute beaucoup moins que dans le monde politique, mais par contre on agit. Si nous bénéficions du niveau de vie qui est le nôtre aujourd'hui et qui est le cinquième ou le sixième et si on continue à abandonner le processus décisionnel français à une élite qui ne comprend rien à l'économie, demain nous serons septième, huitième et cela va continuer. La meilleure défense est donc l'attaque, grand principe en entreprise.

Se servir des traductions comme des barrières douanières est une erreur et une illusion et traduit un manque d'expérience de la conquête de marché et surtout une faible connaissance de la réalité économique. On ne pourra pas se battre dans la compétition mondiale sans une politique européenne beaucoup plus volontariste et la France donne une image qui est peu volontariste.

Je ne reviendrai pas sur de très bonnes déclarations formulées tout à l'heure sur les effets du coût des brevets. Certains étaient surpris qu'une économie de l'ordre de 20 % pour une PME ce ne soit pas rien. Quand vous dégagez une marge de 2, 3 ou 4 %, vous changez votre politique de R&D, vous changez votre logique de marché, vous relancez un projet d'investissement. Comment peut-on être aussi éloigné des réalités des entreprises en France ? C'est une question que je me pose et qui m'inquiète beaucoup. On a parlé de 22 %, tout à l'heure, de coût total. Les chiffres varient. Mais même 22 %... Les entreprises, PME ou grosses entreprises, nous ont passé un message : nous devons mettre un terme à cette ignorance des réalités de nos entreprises ! Il ne suffit pas de faire des colloques, d'organiser des dialogues entre M. MYARD, M. DUPONT-AIGNAN et d'autres tout à fait sympathiques au demeurant... Je vous rappelle que si mon amendement avait été adopté, nous ne serions pas là. Cet amendement doit passer, pour l'intérêt général, dans l'intérêt de l'Union Européenne, dans l'intérêt de nos entreprises. Qu'on cesse de faire des débats d'un autre temps !

S'agissant des traductions automatiques, je me demande quelle sera la situation en 2010 ou 2015. Les Japonais travaillent sur un projet de traduction en temps réel permettant un niveau de compréhension nettement meilleur que ce qui a été évoqué. Cela dit, il était utile d'aborder ces problèmes.

Je vous remercie.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur FOURGOUS. Pour détendre l'atmosphère, quand vous courez sur un stade d'athlétisme et quand vous courez dans la nature, c'est de la « croix de campagne », traduction de « cross country ».

M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, Député de l'Essonne : Je voudrais d'abord dire à M. FOURGOUS que ce n'est pas en disqualifiant ses collègues qu'il convaincra l'ensemble de l'assistance, sauf à considérer que les représentants de la nation doivent être estampillés pour pouvoir parler ou pour pouvoir voter.

Je persiste à croire que je représente autant que vous les électeurs de mon pays. Avant de parler, il faut aussi réfléchir, et avant de critiquer les gens, il faut savoir ce qu'ils ont fait. Pour avoir vécu aux Etats-Unis et travaillé en entreprise aux Etats-Unis, je peux vous dire que les hommes d'entreprise américains savent défendre les intérêts de leur pays et ne jouent pas à ce rôle permanent qui consiste à toujours décrier leur propre pays et croire ainsi qu'on est dans le vent.

Quant à la mondialisation, bien évidemment il faut renforcer nos entreprises, il faut alléger nos charges, il y a quantité de choses à faire. Les pays qui combattent le mieux la mondialisation sont ceux dont les chefs d'entreprise marchent main dans la main avec leurs hommes politiques. Je dis donc sincèrement que ce discours démagogique commence à lasser. En tout cas, il me lasse.

Revenons sur le sujet de l'accord de Londres. J'ai beaucoup travaillé ce dossier, sans doute moins que ceux qui sont ici. Je pense que cet accord de Londres est un véritable marché de dupes, parce que les avantages qu'il peut apporter sont mille fois inférieurs aux inconvénients et aux dangers qu'il représente pour notre pays dans son ensemble et pour ses entreprises en particulier. Certains arguments ont sans doute été donnés et je ne vais pas les répéter.

D'abord, il n'y aura pas un monde sans traduction. Les traductions seront bien évidemment nécessaires pour les Etats-Unis et il y aura donc une traduction en anglais. Les pays qui, comme la France je l'espère, restent attachés à leur langue, ne signeront pas cet accord parce qu'ils ont compris que c'était un accord inégal, comme l'a très bien expliqué aujourd'hui Jacques MYARD : accord inégal entre les Européens, les Américains et les Japonais qui se voient offrir sur un plateau d'argent le marché européen avec des réductions de coût considérables alors même que les entreprises européennes seront obligées d'aller traduire en anglais leurs brevets, sauf à considérer, comme certains, qu'il faut abandonner la langue française dans les affaires, passer à un monde où tout est en anglais. A ce moment, je propose à M. FOURGOUS qu'on s'exprime tous en anglais à l'Assemblée, ce sera plus simple. Les traductions seront toujours nécessaires et la réduction de coût sera inférieure à ce que l'on pense.

De surcroît, je me permets d'insister sur la situation des PME qui ne sont pas bien représentées dans cette affaire. Les PME seront obligées de mettre en place une veille technologique de traduction puisque 93% aujourd'hui, 99% demain des brevets en Europe, seront déposés en anglais si cet accord est ratifié. Obligatoirement, les entreprises françaises seront donc obligées de passer à l'anglais dans leur mode de fonctionnement et pas seulement les grandes entreprises multinationales. Cela veut dire très clairement qu'on met le doigt dans un engrenage sans fin. Soit les entreprises sont obligées de traduire pour comprendre ce qu'elles lisent et pour se mettre au courant de ce qui se passe, soit elles seront obligées de passer complètement en anglais dans leur mode de fonctionnement et c'est en cela que la responsabilité du Parlement français est considérable dans cette affaire.

Nous prenons une décision pour très longtemps, parce que voter et ratifier cet accord de Londres, c'est mettre un doigt dans l'engrenage. L'ensemble de notre monde économique va fonctionner totalement en anglais. Sauf à considérer les quelques économies que vont faire certaines entreprises, les coûts vont se reporter sur les PME qui seront obligées de payer des traducteurs, de payer plus cher, de trouver les personnes qui peuvent comprendre et lire en anglais ou en allemand. Ce sera en anglais très vite et en allemand accessoirement.

La simplification dont vous parlez existe déjà. L'économie globale pour le système sera quasi nulle et même les économies que certaines grandes entreprises françaises feront, qui décident pour des dizaines de milliers de PME, seront reportées sur les PME qui auront la tâche extrêmement difficile.

Deuxième point : au-delà de ce petit gain qui se retournera contre les entreprises, tant vis-à-vis de leurs concurrentes que pour le poids que cela représente pour les PME, derrière cet accord de Londres, il y a la conception que nous avons dans notre pays de notre langue, et la conception que nous avons du monde de demain. Ce n'est pas faire injure aux chefs d'entreprise qui sont acteurs de la cité de leur demander de prendre en considération aussi cet enjeu.

D'abord, il faudra réviser la constitution parce que l'article 2 énonce très clairement que la langue de la République est le français. Cela oblige à une révision constitutionnelle. Ce texte serait inconstitutionnel. Le Conseil d'Etat a donné un avis, mais pas le Conseil Constitutionnel. J'en suis absolument convaincu, avec tous les constitutionalistes que j'ai pu consulter sur cette affaire. Nous avons déjà préparé un recours si demain par malheur la faiblesse conduisait à ratifier cet accord. A partir du moment où vous acceptez que fasse foi un texte en anglais, cela veut dire que vous créez une rupture et mettez fin à l'égalité des citoyens devant leur langue, qui est un acquis depuis François 1er. C'est une rupture fondamentale et il faut en être conscient.

Ensuite, il faut se préoccuper de la francophonie : comment peut-on donner des leçons de francophonie alors même que la France abandonnerait sa langue pour son développement économique et scientifique et passerait complètement dans le champ de l'anglais ? Cela veut dire que la politique de la francophonie ne serait plus qu'une mascarade.

Enfin, cela pose la question du rôle de notre pays, de son rapport à sa langue, de sa volonté à défendre ses intérêts. Je ne veux pas être grandiloquent, mais M. Claude Hagège l'a très bien dit, faut-il défendre les intérêts d'une poignée de producteurs, ou ceux de plusieurs centaines de millions de consommateurs et de citoyens ?

C'est pourquoi ce débat n'est pas un débat anodin. On peut prendre le temps et se respecter en discutant, quelle que soit la position de chacun. Il faut éviter de mettre le doigt dans un engrenage et faire de l'anglais la langue de l'Europe et la langue du monde économique français, introduisant des inégalités considérables dans notre pays. C'est pourquoi avec quelques-uns nous pensons qu'il est utile de se battre, et cela dépasse la petitesse de quelques commentaires. Merci.

Mme Christine DURBAN, Présidente de la Société française des traducteurs : Je suis Présidente de la Société Française des Traducteurs. Nous réunissons 1 100 adhérents en France. Nous avons réagi surtout à la notion de coût de la traduction car nous pensons qu'on surestime le coût de la traduction dans la plupart des calculs présentés à propos du protocole de Londres. Il y a aussi la notion de loi en France, la constitutionnalité.

Cela dit, je voudrais insister sur le fait que toute personne qui évoque les langues nationales soulève les passions des uns des autres car ce sont des sujets « chauds ». Il n'y a pas plus « chaud » que cela.

On a parlé des traducteurs comme étant des barrières au commerce et aux échanges. Nous, dans notre syndicat national, nous préférons penser aux traducteurs comme des ponts vers l'étranger, dans l'intérêt des pays en Europe et du commerce, pour une meilleure compréhension internationale.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Madame. J'ai quelques demandes d'intervention. Monsieur SANTARELLI.

M. Luc SANTARELLI, vice-Président de la CNCPI : Je vous remercie Monsieur le Président. J'aimerais en deux minutes évoquer plusieurs points.

Premièrement le tout anglais. On nous dit que les Allemands seraient agacés et qu'ils envisageraient de prendre la première partie du protocole de Londres et d'évincer le français. J'aimerais rappeler ici avec force que pour que le français soit abandonné comme langue officielle à l'OEB il faudra l'accord de la France. Et j'imagine que dans cette salle, il y a peu ou pas de personnes qui le donneront et à l'Assemblée, encore moins.

Deuxième point : j'aimerais rectifier ce qu'ont dit certains. Dans les 93%, c'est-à-dire 93 000 brevets qui seront en langues étrangères, il y en aura 27 000 en allemand. Et même si l'allemand décroît, ils seront là et c'est encore pire que le tout anglais.

Troisième point : j'aimerais qu'on regarde la réalité en face. On est en train de parler de l'opportunité extraordinaire de la propriété industrielle. Il faut abaisser les coûts. On est tous d'accord sur l'objectif. Mais à côté de l'opportunité de la propriété industrielle, il y a un risque, et le risque est cent fois plus grand que l'opportunité. Il faut avoir eu un PDG quasiment en pleurs au téléphone pour savoir qu'il risque de fermer son entreprise parce qu'il n'avait pas lu les brevets, qu'il n'avait pas compris leur signification.

Dernier point : j'aimerais prendre l'exemple d'une « start up » qui se développe dans le téléphone. On nous a parlé avec talent et brio de la question de la veille technologique, à 18 mois. Mais aujourd'hui une « start up » qui se développe dans le téléphone doit au minimum prendre en compte les brevets existants. Il y a 2 jours, elle a donc fait une interrogation sur les bases de données des brevets existant dans le domaine de la téléphonie et des télécoms en langue allemande depuis 10 ans. Si le protocole de Londres était passé il y a 10 ans, ces brevets seraient en allemand. On en compte 6 643 brevets, dont 1 440 brevets rien que pour Siemens qu'il faudrait lire et apprécier en allemand. On nous a parlé avec brio de la veille technologique. C'est un autre problème. Il faut prendre en compte ce qui existe et ce qui a force de loi aujourd'hui. Ces 1 440 brevets de Siemens ont force de lois : s'ils n'étaient pas traduits, il faudrait les comprendre en allemand.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur SANTARELLI.

Monsieur BATTISTELLI.

M. Benoît BATTISTELLI, Directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) : Merci. J'aborderai juste deux ou trois points pour réagir à ce que j'ai entendu.

Premièrement, l'argument qui consiste à dire que si le protocole de Londres est ratifié, il y aura une invasion de brevets américains et japonais sur la France : cet argument me paraît assez curieux car il faut savoir que d'ores et déjà, parmi les brevets européens dont beaucoup sont d'origine américaine ou japonaise, la France est désignée dans 95 % des cas. La marge de progression serait de désigner dans 100 % des cas au maximum. Mais d'ores et déjà, notre pays est désigné dans 95 % des cas. Cela ne parait donc pas un argument exact.

Deuxième argument, on nous dit que cela va profiter aux entreprises américaines. Je voudrais souligner que c'est un argument qui a été utilisé systématiquement depuis 1958, dès qu'on a voulu faire progresser la construction européenne. Dès qu'on a construit un marché intérieur, dès qu'on a aboli une barrière, on nous a dit que cela profiterait d'abord aux entreprises américaines et japonaises. Je dis non, cela profite d'abord aux entreprises européennes parce que le marché européen est leur marché principal et si vous réduisez les coûts sur leur marché principal, cela leur profite d'abord.

J'ai ensuite écouté avec beaucoup d'intérêt Monsieur PATRY et sa proposition que je trouve très sympathique : il faudrait que les brevets soient systématiquement traduits de manière intégrale au moment de leur publication. Je trouve que c'est une excellente idée. Le seul problème est que l'Europe n'est pas la France : nous ne sommes pas seuls en Europe et les autres n'en veulent pas. On peut continuer à faire le village d'Astérix et avoir raison tout seul, nous n'obtiendrons jamais d'accord de nos partenaires sur ce point.

Enfin, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce qu'a dit Monsieur DUPONT-AIGNAN et je suis d'accord avec lui sur la plupart des choses. Le problème est que ce n'est pas l'accord de Londres qui est en jeu, c'est beaucoup plus que l'accord de Londres : il n'aura ni l'excès d'effets, ni l'excès d'indignité que vous lui prêtez. Tous les spécialistes savent et disent que la veille technologique se fait au moment de la publication et non au moment de la traduction. Toute votre démonstration sur la nécessité de connaître tous les brevets en langue étrangère ne se pose pas au moment de la traduction, c'est-à-dire au moment de la délivrance, il se pose plus tôt. A l'heure actuelle, cela se fait dans les autres langues et non en français.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Monsieur DERAMBURE, pour une minute.

M. Christian DERAMBURE, Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) : Premièrement, le considérant de la décision du Conseil d'Etat dispose : « Aucune des stipulations de ce projet d'accord n'a pour objet, ni pour effet d'obliger ni les personnes morales de droit public, ni les personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public français à utiliser une langue autre que le français. » Je crois que cela est clair et que cela n'a rien à voir avec la question de savoir si le protocole de Londres est ou non constitutionnel, qui est un autre problème.

Deuxièmement, vous avez dit que 2 % des traductions sont consultées. On m'a dit hier 4 % mais arrondissons à 2 %. 2 % de 60 000, cela fait 1 200 et ce n'est pas négligeable. Monsieur FOURGOUS, je tiens à vous rappeler qu'il y a 300 à 400 litiges en matière de brevet en France par an. A vous suivre, on supprimerait les actions en contrefaçon et les tribunaux de grande instance pour poursuivre les actions en contrefaçon. 1 200 est un chiffre important qui représente quatre fois plus que le nombre de litiges en matière de brevet portés devant les tribunaux.

Enfin, le système des brevets est un système extrêmement subtil d'équilibre entre les droits de ceux qui innovent et se protègent et les tiers. Les tiers, ce sont aussi bien les compétiteurs que la société dans son ensemble. Je dis qu'aujourd'hui cet équilibre existe. Avec le protocole, cet équilibre est rompu. Ce que vous rompez, c'est le pacte social, c'est extrêmement grave pour le système des brevets et pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle, dans l'intérêt général, nous refusons la ratification du protocole de Londres. Merci.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur DERAMBURE.

Monsieur SUEUR pour deux minutes.

M. Thierry SUEUR, Président du comité « propriété intellectuelle » du MEDEF : Le pacte social a été rompu pendant 15 ans en Allemagne et ils ne s'en étaient même pas aperçu.

Je voudrais revenir sur un ou deux points évoqués par Monsieur MYARD. Je viens d'une entreprise pour laquelle la langue française est importante. Nous avons à peu près 45 % de nos actionnaires qui sont des individuels français. Nous avons découvert au fur et à mesure des années à quel point l'usage du français nous apporte quelque chose, en particulier cela nous permet de recruter des gens qu'on ne recruterait pas autrement, parce qu'ils sont différents. En ce moment, nous recrutons en Chine et quand ils parlent français, ils parlent aussi anglais. Mais cela nous apporte quelque chose. Je n'ai donc pas un mot à retirer sur l'importance de la langue française.

Je ne vais pas reprendre ma démonstration de tout à l'heure sur la veille technologique. Je peux vous rassurer, il n'y a pas une personne dans le monde qui va vous dire que cela change quelque chose. La veille se fait sur les brevets à 18 mois : j'ai expliqué le cas de ma société, c'est le cas de toutes les entreprises. Les brevets ne sont pas traduits à ce moment et cela fait 29 ans que cela dure et que cela marche. Le protocole de Londres ne touche pas à cela.

Vous avez parlé des PME. Je vais d'abord vous dire que le nombre de PME qui déposent aux Etats-Unis est très limité, trop probablement. Déjà, il n'y a que 60 % des dépôts français qui sont déposés hors de nos frontières : 40 % restent en France. Dans les 60 % qui sont déposés hors de nos frontières, ils sont essentiellement déposés en Europe, très peu aux Etats-Unis. Même les grandes entreprises ne déposent pas assez : Air Liquide se retrouve deuxième ou troisième déposant aux Etats-Unis alors que cette société se place dans les 15 premiers déposants français. On ne dépose donc pas suffisamment.

Il y a deux points qui me gênent. Le premier, l'argument du citoyen, du pacte social. Il faut quand même rappeler quelque chose, sans revenir sur les souvenirs pénibles de la discussion sur la directive sur les droits d'auteur. En matière de brevet, le citoyen, le non-entrepreneur, n'est pas atteint, parce que le principe des brevets est que l'on ne peut pas opposer de brevet pour des actes effectués à titre particulier ou individuel. Je ne peux opposer mes brevets que dans un cadre commercial. Je ne peux donc pas faire valoir mon brevet à l'encontre d'un citoyen « de la rue », de même que pour les actes expérimentaux. C'est donc une affaire entre entrepreneurs.

Dernier point et je vous avoue que je suis surpris. Qu'est-ce qu'être entrepreneur ? C'est prendre des risques, tous les jours, constamment. On gagne ou on perd mais c'est le métier. Si on ne prend pas de risques, cela ne marche pas. Je peux vous dire que toutes les entreprises que nous représentons ici, en particulier les petites puisque vous avez vu que toutes les entreprises se sont manifestées, y compris les inventeurs indépendants, ont mesuré leurs risques. Faites-nous la grâce de croire que nous ne prenons pas de risques inconsidérés. Nous avons pesé ces risques : nous savons qu'il n'y aura pas d'impact négatif et qu'il n'y aura qu'un impact positif. Si nous avions le moindre doute, nous ne défendrions pas l'accord de Londres. Je pense qu'il faut prendre les personnes responsables pour ce qu'elles sont. Je crois qu'il ne faut pas nous sous-estimer, ni considérer que nous ne savons pas prendre nos responsabilités. La responsabilité, c'est notre vie. En assumant nos responsabilités, nous vous disons : nous avons besoin de l'accord de Londres.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur SUEUR. Je ne suis pas sûr que nous ayons encore le temps de rouvrir le débat.

M. Jean-Michel FOURGOUS, Député des Yvelines : Cette notion de responsabilité est très importante. La responsabilité d'un élu n'a rien à voir avec la responsabilité d'une entreprise. L'entrepreneur peut être traduit en justice ; il peut être tenu responsable des licenciements. La responsabilité d'un chef d'entreprise dans le secteur marchand en France est différente de celle d'un homme politique. J'ai été chef d'entreprise, et je peux vous assurer que cela n'a rien à voir.

M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, Député de l'Essonne : Je voudrais souligner que nous sommes responsables devant la Nation et devant notre pays et qu'à ce titre, nous avons aussi des responsabilités.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Monsieur le Président POMPIDOU, nous allons nous partager les cinq minutes qui restent.

M. Alain POMPIDOU, Président de l'Office européen des brevets (OEB) : Merci Monsieur le Président. Je voudrais intervenir sur trois points.

Tout d'abord, reconnaître les mérites des mandataires français dans leur ensemble et de l'INPI. A l'heure actuelle, sur les 200 000 brevets que l'OEB reçoit chaque année, il en refuse 75 %. Sur les 8 000 brevets que l'OEB reçoit de l'INPI, il en délivre 50 %. Cela veut dire que ces brevets sont d'excellente qualité. Il faut le reconnaître, grâce au travail des mandataires, grâce au travail mené par l'INPI, qui a eu la bonne idée de sous-traiter ses travaux à l'OEB. En tout cas, 50 % des brevets français sont d'excellente qualité.

Deuxième constatation, nous avons parlé géopolitique tout à l'heure, j'ai lancé volontairement le terme d'effet d'aubaine, pour les Etats-Unis et le Japon. L'objectif de l'accord de Londres est de contrebalancer cet effet d'aubaine, grâce à un effet d'entraînement des innovateurs français. Monsieur DUPONT-AIGNAN, j'ai travaillé comme vous aux Etats-Unis, dans des laboratoires de recherche où on faisait aussi de la valorisation, mais il est certain que ce qui nous manque en France par rapport aux Etats-Unis, c'est une capacité de développement, de valorisation et de conquête des marchés. Nous avons la capacité des idées. Mais laissons-nous exprimer ces idées en français, les faire circuler en français et valoriser en français. Je crois que contre l'effet d'aubaine, il faut que nous ayons la possibilité avec nos organisations industrielles, avec le réseau des PME et des laboratoires publics et privés de pouvoir contrebalancer des possibilités qui sont ouvertes à nos compétiteurs. C'est effectivement par l'accord de Londres que nous aurons le moyen de le faire.

Je terminerai en disant que je suis venu ici en tant que Président français de l'OEB. Je me mobilise depuis huit mois en tant que Français. L'OEB : 6 500 personnes, 1 700 francophones, 1 100 Français. On parle le français tous les jours et dans toutes les réunions de l'OEB. C'est la raison pour laquelle je suis là. Je voudrais dire que, dans ce domaine, nos partenaires européens nous regardent : ils attendent de nous que nous participions à la construction européenne. C'est un des éléments pour lequel je me bats à l'heure actuelle pour la ratification de l'accord de Londres. Ce n'est pas en tant que Président de l'OEB, mais en tant que Président français.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Merci Monsieur le Président POMPIDOU. J'aimerais donner une information avant de conclure : ceux qui souhaitaient intervenir et qui n'ont pas pu le faire peuvent nous faire parvenir une contribution écrite qui sera intégrée au rapport donnant le compte rendu intégral de cette audition.

Je crois que l'Office Parlementaire a parfaitement rempli son rôle d'information qui était le sien sur un sujet difficile. Tout à l'heure, un des participants m'a dit que le débat serait extrêmement agité. Vous avez vu que les choses se sont passées calmement.

M. Denis GREISMAR, Denis GRIESMAR, Ancien Vice-Président de la Société Française des Traducteurs, Délégué à la diversité culturelle du Forum Francophone International : Je déplore qu'on ne puisse pas donner la parole aux participants alors qu'on s'est inscrit expressément à une réunion, en sachant qu'on aurait le droit de parler ne serait-ce qu'une ou deux minutes... Le débat étant déjà très orienté, très déséquilibré, tout cela porte atteinte à ce qui était prévu au départ.

M. Claude BIRRAUX, Premier Vice-Président de l'OPECST : Cher Monsieur, tout en remerciant mes collègues parlementaires qui sont venus, j'observe que le débat était suffisamment difficile pour qu'on m'ait laissé tout seul ici alors que j'avais d'autres impératifs. Je l'assume. J'ai organisé le débat, j'ai permis, je crois, à tous ceux qui étaient présents ou à la majorité d'entre eux de formuler un avis. Chacun était légitime pour s'exprimer. J'offre une possibilité d'envoyer une contribution écrite pour ceux qui n'ont pas pu s'exprimer. S'ils ne veulent pas nous envoyer leur contribution écrite, elle ne sera pas publiée.

Je crois que nous avons rempli notre rôle et que nous avons eu une audition particulièrement intéressante et dense. Je voudrais vous remercier les uns et les autres d'avoir participé et contribué à ce débat. Le rôle de l'Office Parlementaire était d'organiser ce débat, cette rencontre. Nous allons publier les actes et, conformément à notre règlement, les commissions compétentes au fond pourront se saisir de ce débat pour aller plus loin, pour proposer ou ne pas proposer de ratifier le protocole de Londres. Mais c'est une affaire qui dépasse largement le modeste Premier Vice-Président de l'Office Parlementaire que je suis.

Merci beaucoup.

Annexe 1 : Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973
(Convention sur le brevet européen)
(Extraits)
et modifications introduites à l'article 65 par l'Accord de Londres

Art. 14 - Langues de l'Office européen des brevets (OEB)

(1) Les langues officielles de l'Office européen des brevets sont l'allemand, l'anglais et le français. Les demandes de brevet européen sont déposées dans une de ces langues.

(2) Néanmoins, les personnes physiques et morales ayant leur domicile ou leur siège sur le territoire d'un Etat contractant ayant une langue autre que l'allemand, l'anglais ou le français comme langue officielle, et les nationaux de cet Etat ayant leur domicile à l'étranger peuvent déposer des demandes de brevet européen dans une langue officielle de cet Etat. Toutefois, une traduction dans une des langues officielles de l'Office européen des brevets doit être produite dans le délai prévu par le règlement d'exécution ; pendant toute la durée de la procédure devant l'Office européen des brevets, cette traduction peut être rendue conforme au texte original de la demande.

(3) La langue officielle de l'Office européen des brevets dans laquelle la demande de brevet européen a été déposée ... doit être utilisée... dans toutes les procédures devant l'Office européen des brevets relatives à cette demande ou au brevet délivré à la suite de cette demande.

...

(5) Si une pièce qui n'est pas comprise dans les pièces de la demande de brevet européen n'est pas produite dans la langue prescrite par la présente convention ou si une traduction requise en application de la présente convention n'est pas produite dans les délais, la pièce est réputée n'avoir pas été reçue.

(6) Les demandes de brevet européen sont publiées dans la langue de la procédure.

(7) Les fascicules de brevet européen sont publiés dans la langue de la procédure ; ils comportent une traduction des revendications dans les deux autres langues officielles de l'Office européen des brevets.

(8) Sont publiés dans les trois langues officielles de l'Office européen des brevets :

a) le Bulletin européen des brevets ;

b) le Journal officiel de l'Office européen des brevets.

(9) Les inscriptions au Registre européen des brevets sont effectuées dans les trois langues officielles de l'Office européen des brevets. En cas de doute, l'inscription dans la langue de la procédure fait foi.

Art. 44 - Contenu du rapport de recherche européenne

...

(5) Le rapport de recherche européenne est rédigé dans la langue de la procédure

...

Art. 65 - Traduction du fascicule du brevet européen

(1) Tout Etat contractant peut prescrire, lorsque le texte dans lequel l'Office européen des brevets envisage de délivrer un brevet européen pour cet Etat... n'est pas rédigé dans une des langues officielles de l'Etat considéré, que le demandeur ou le titulaire du brevet doit fournir au service central de la propriété industrielle une traduction de ce texte dans l'une de ces langues officielles, à son choix, ou, dans la mesure où l'Etat en question a imposé l'utilisation d'une langue officielle déterminée, dans cette dernière langue. La traduction doit être produite dans un délai de trois mois à compter de la date de publication au Bulletin européen des brevets de la mention de la délivrance du brevet européen ..., à moins que l'Etat considéré n'accorde un délai plus long.

(2) Tout Etat contractant qui a adopté des dispositions en vertu du paragraphe 1 peut prescrire que le demandeur ou le titulaire du brevet acquitte, dans un délai fixé par cet Etat, tout ou partie des frais de publication de la traduction.

(3) Tout Etat contractant peut prescrire que, si les dispositions adoptées en vertu des paragraphes 1 et 2 ne sont pas observées, le brevet européen est, dès l'origine, réputé sans effet dans cet Etat.

Accord sur l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens

(« Protocole de Londres »)

Art. 1 - Renonciation aux exigences en matière de traduction

(1) Tout Etat partie au présent accord ayant une langue officielle en commun avec une des langues officielles de l'Office européen des brevets renonce aux exigences en matière de traduction prévues à l'article 65, paragraphe 1 de la Convention sur le brevet européen.

(2) Tout Etat partie au présent accord n'ayant aucune langue officielle en commun avec une des langues officielles de l'Office européen des brevets renonce aux exigences en matière de traduction prévues à l'article 65, paragraphe 1 de la Convention sur le brevet européen, si le brevet européen a été délivré dans la langue officielle de l'Office européen des brevets prescrite par cet Etat, ou traduit dans cette langue et fourni dans les conditions prévues à l'article 65, paragraphe 1 de la Convention sur le brevet européen.

(3) Les Etats visés au paragraphe 2 conservent le droit d'exiger qu'une traduction des revendications dans une de leurs langues officielles soit fournie dans les conditions prévues à l'article 65, paragraphe 1 de la Convention sur le brevet européen.

(4) Le présent accord ne saurait être interprété en vue de restreindre le droit des Etats parties au présent accord de renoncer à toute exigence en matière de traduction ou d'appliquer en matière de traduction des règles moins contraignantes que celles visées aux paragraphes 2 et 3.

Article 2 - Traductions en cas de litige

Le présent accord ne saurait être interprété en vue de restreindre le droit des Etats parties au présent accord de prescrire que, en cas de litige relatif à un brevet européen, le titulaire du brevet fournit, à ses frais,

a) à la demande du prétendu contrefacteur, une traduction complète du brevet dans une langue officielle de l'Etat où la contrefaçon alléguée du brevet a eu lieu,

b) à la demande de la juridiction compétente ou d'une autorité quasi-juridictionnelle dans le cadre d'une procédure, une traduction complète du brevet dans une langue officielle de l'Etat concerné.

Article 3 - Signature - Ratification

...

Article 4 - Adhésion

...

Article 5 - Interdiction des réserves

Aucun Etat partie au présent accord ne peut faire de réserves à son égard.

Article 6 - Entrée en vigueur

(1) Le présent accord entre en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant le dépôt du dernier des instruments de ratification ou d'adhésion de huit Etats parties à la Convention sur le brevet européen, dont les trois Etats dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens a pris effet en 1999.

(2) ...

Article 7 - Durée de l'accord

...

Article 8 - Dénonciation

Tout Etat partie au présent accord peut à tout moment le dénoncer, dès lors que ce dernier a été en vigueur pendant trois ans. (...) En ce cas, il n'est pas porté atteinte aux droits acquis antérieurement à la prise d'effet de cette dénonciation.

Article 9 - Champ d'application

...

Article 10 - Langues de l'accord

Le présent accord est rédigé en un exemplaire en langues allemande, anglaise et française... , les trois textes faisant également foi.

Art 67 - Droits conférés par la demande de brevet européen après sa publication

...

(3) Chaque Etat contractant qui n'a pas comme langue officielle la langue de la procédure peut prévoir que la protection provisoire visée aux paragraphes 1 et 2 n'est assurée qu'à partir de la date à laquelle une traduction des revendications, soit dans l'une des langues officielles de cet Etat, au choix du demandeur, soit, dans la mesure où l'Etat en question a imposé l'utilisation d'une langue officielle déterminée, dans cette dernière langue :

a) a été rendue accessible au public, dans les conditions prévues par sa législation nationale, ou

b) a été remise à la personne exploitant, dans celui-ci, l'invention qui fait l'objet de la demande de brevet européen.

...

Art 69 - Etendue de la protection

(1) L'étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par la teneur des revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications.

Art 70 - Texte de la demande de brevet européen ou brevet européen faisant foi

(1) Le texte de la demande de brevet européen ou du brevet européen rédigé dans la langue de la procédure est le texte qui fait foi dans toutes les procédures devant l'Office européen des brevets et dans tous les Etats contractants.

...

(3) Tout Etat contractant peut prévoir qu'une traduction dans une langue officielle de cet Etat, ainsi qu'en dispose la présente convention, est considérée dans ledit Etat comme étant le texte qui fait foi, hormis les cas d'actions en nullité, si la demande de brevet européen ou le brevet européen dans la langue de la traduction confère une protection moins étendue que celle conférée par ladite demande ou par ledit brevet dans la langue de la procédure.

(4) Tout Etat contractant qui arrête une disposition en application du paragraphe 3,

a) doit permettre au demandeur ou au titulaire du brevet européen de produire une traduction révisée de la demande ou du brevet. Cette traduction révisée n'a pas d'effet juridique aussi longtemps que les conditions fixées par l'Etat contractant en application de l'article 65, paragraphe 2 et de l'article 67, paragraphe 3, n'ont pas été remplies ;

b) peut prévoir que celui qui, dans cet Etat, a, de bonne foi, commencé à exploiter une invention ou a fait des préparatifs effectifs et sérieux à cette fin, sans que cette exploitation constitue une contrefaçon de la demande ou du brevet dans le texte de la traduction initiale, peut, après que la traduction révisée a pris effet, poursuivre à titre gratuit son exploitation dans son entreprise ou pour les besoins de celle-ci.

Art. 78 - Conditions auxquelles doit satisfaire la demande de brevet européen

(1) La demande de brevet européen doit contenir :

a) une requête en délivrance d'un brevet européen ;

b) une description de l'invention ;

c) une ou plusieurs revendications ;

d) les dessins auxquels se réfèrent la description ou les revendications ;

e) un abrégé.

...

Art. 80 - Date de dépôt

La date de dépôt de la demande de brevet européen est celle à laquelle le demandeur a produit des documents qui contiennent :

...

d) une description et une ou plusieurs revendications dans une des langues visées à l'article 14, paragraphes 1 et 2, même si la description et les revendications ne sont pas conformes aux autres exigences de la présente convention.

Art. 88 - Revendication de priorité

(1) Le demandeur d'un brevet européen qui veut se prévaloir de la priorité d'un dépôt antérieur est tenu de produire une déclaration de priorité, une copie de la demande antérieure accompagnée de sa traduction dans une des langues officielles de l'Office européen des brevets si la langue de la demande antérieure n'est pas une des langues officielles de l'Office.

...

Art. 90 - Examen lors du dépôt

...

(3) ... si, dans le cas visé à l'article 14, paragraphe 2, la traduction de la demande dans la langue de la procédure n'a pas été produite dans les délais, la demande de brevet européen est réputée retirée.

Art. 93 - Publication de la demande de brevet européen

(1) Toute demande de brevet européen est publiée dès que possible après l'expiration d'un délai de dix-huit mois à compter de la date de dépôt (...).

(2) Cette publication comporte la description, les revendications et, le cas échéant, les dessins, tels que ces documents ont été déposés, ainsi que, en annexe, le rapport de recherche européenne et l'abrégé, pour autant que ces derniers documents soient disponibles avant la fin des préparatifs techniques entrepris en vue de la publication. (...).

Art. 97 - Rejet de la demande ou délivrance du brevet

...

(5) Le règlement d'exécution peut prévoir que le demandeur produira une traduction des revendications figurant dans le texte dans lequel la division d'examen envisage de délivrer le brevet européen, dans les deux langues officielles de l'Office européen des brevets autres que celle de la procédure. Dans ce cas, le délai prévu au paragraphe 4 ne peut être inférieur à trois mois. Si la traduction n'est pas produite dans les délais, la demande est réputée retirée.

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Art. 98 - Publication du fascicule du brevet européen

L'Office européen des brevets publie simultanément la mention de la délivrance du brevet européen et le fascicule du brevet européen contenant la description, les revendications et, le cas échéant, les dessins

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Annexe 2 : Avis de l'Académie française sur le projet de réforme du brevet européen du 21 juin 2001

AVIS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
SUR LE PROJET DE RÉFORME DU BREVET EUROPÉEN
du 21 juin 2001

 

     Mieux protéger la recherche française en diminuant le coût des brevets, nul ne contestera cet objectif des plus légitimes.

     Mais le projet d'accord discuté à Londres ne nous semble pas emprunter la bonne voie. Non content de remettre en cause des principes considérés comme fondamentaux par notre pays, il se trompe de bataille.

     Le français étant la langue de la République, la France ne peut accepter que des textes en langues étrangères aient force de droit sur son territoire.

     De même, elle ne peut admettre la perte de statut international qu'entraînerait, pour la langue française, la signature du protocole.

     En fait, par le biais des brevets, se trouve une nouvelle fois posée la question que nul n'ose aborder de front : quelle langue, quelles langues doit parler l'Europe ? Question centrale, question décisive, question politique s'il en est et qu'on ne peut trancher morceau par morceau, dossier par dossier, guidé par le seul souci de la commodité pratique. D'autres méthodes existent pour soutenir l'innovation française. Economiser sur les traductions, c'est non seulement mettre en péril les langues nationales, mais aussi amputer la plus irremplaçable richesse de notre continent : sa diversité.

     Pour ces raisons, l'Académie française demande solennellement aux pouvoirs publics de ne pas signer le projet de protocole discuté à Londres.

Annexe 3 : Motion émise par l'Académie des technologies dans sa séance du 12 avril 2006 sur la ratification de l'Accord de Londres

La France est l'un des acteurs majeurs en matière de propriété industrielle en Europe et dans le monde. Sa contribution au patrimoine technologique de l'humanité est reconnue par tous. En conséquence, la langue française est considérée comme une langue technologique majeure. À ce titre, le français est, depuis l'origine, une des langues officielles de procédure de l'office européen des brevets et du Patent Cooperation Treaty (PCT) géré par l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Cette position privilégiée et pleinement justifiée, nul n'imagine la remettre en cause.

L'accord de Londres non seulement maintient cette position mais la renforce puisque tout brevet européen délivré en français sera validé dans les grands pays européens et notamment l'Allemagne et la Grande-Bretagne sans obligation de traduction. En d'autres termes, le texte français d'un brevet européen aura force de loi dans ces pays, ce qui constitue une nouveauté tout à fait remarquable.

En limitant les coûts de traduction, l'accord de Londres répond au besoin impératif des entreprises européennes, et notamment françaises, de protéger leurs inventions ou leurs innovations sur l'ensemble du marché européen, qui est leur premier marché, à un coût acceptable.

L'accord de Londres ne dispense pas, en cas de litige, de traduire le texte intégral d'un brevet dans la langue du tribunal appelé à statuer, tout en sachant que, conformément à la convention sur le brevet européen (CBE), le texte original fait foi.

L'accord de Londres est donc :

 -positif pour le  renforcement de la position du français comme langue technologique,

 -bénéfique pour les entreprises françaises et leur compétitivité sur le marché européen, notamment en ouvrant la voie au brevet communautaire,

 -favorable au bon fonctionnement des procédures de litige.

L'Académie des technologies considère indispensable une ratification rapide de l'accord de Londres.

Annexe 4 : Position de l'INSERM

Présentation générale de la politique de valorisation de l'Inserm :

La valorisation de la recherche biomédicale est au cœur des préoccupations de l'Inserm. En effet, aux termes de la loi du 15 juillet 1982, la valorisation industrielle de la recherche menée au sein de l'Institut doit faire partie des priorités principales de l'Inserm.

Marquant ainsi sa pleine adhésion à la politique de valorisation et d'innovation, l'Inserm s'est doté dès 1983 d'un service consacré à cette mission. Les principales missions de ce département consistaient à conseiller et aider les équipes de recherche, à faire émerger ou identifier des projets susceptibles d'intéresser des partenaires, à proposer des procédures et des outils permettant de les organiser, à multiplier les contacts avec des entreprises de la pharmacie, de la biopharmacie, des biotechnologies et des technologies biomédicales. A titre d'exemple, les activités de transfert ont produit en 2005 un revenu brut de 13,3 M€, soit une croissance de 12 % par rapport à 2004. On notera que les contrats de transfert concernent en particulier les licences de brevet concédées aux entreprises.

La filiale privée de l'Inserm, Inserm-Transfert SA, a été créée fin 2001 pour favoriser la création d'entreprises innovantes et le transfert de technologies issues des laboratoires de l'Inserm. Les champs d'activités d'Inserm-Transfert SA comprenaient la gestion des projets européens, le soutien à la recherche clinique, l'accompagnement des chercheurs entrepreneurs et de certains partenariats industriels.

Le 1er janvier 2006, l'Inserm a délégué à Inserm-Transfert SA l'ensemble des activités de gestion de la propriété intellectuelle, de transfert de technologie et des partenariats industriels de l'institut. Aujourd'hui Inserm-Transfert SA regroupe au sein d'une même structure opérationnelle, l'ensemble des activités qui constituent la valorisation renforçant ainsi le processus de transfert technologique menant des premières découvertes en laboratoire jusqu'au développement de nouveaux produits de santé.

La place des brevets dans la politique de valorisation de l'Inserm

Pour l'Inserm et maintenant Inserm-Transfert SA, la protection industrielle notamment par brevet est un outil indispensable pour valoriser l'innovation et organiser le transfert de technologies vers des entreprises qui contribueront au progrès médical et à la croissance économique. La propriété industrielle contribue en effet à la structuration des échanges et des collaborations entre les équipes de recherche et les entreprises. Elle est aussi un élément clé de la création d'entreprises.

L'histogramme ci-dessous représente l'évolution du portefeuille de brevets de l'Inserm :

Évolution du portefeuille brevets de l'Inserm (1999-2005)

La stratégie internationale de dépôt de l'Inserm :

Dans le domaine de la santé, la couverture brevet doit être envisagée au niveau international. Dans ce contexte, l'Inserm dépose de plus en plus de demandes par la voie européenne (doublement en 3 ans). En 2006, la tendance des dépôts des demandes prioritaires indique que plus de 80% des demandes de brevets seront déposées par la voie Européenne et que plus de 10% des brevets seront déposées aux USA. Aussi, plus de 90% des demandes de brevets déposées par l'Inserm le sont en lange anglaise.

Le dépôt européen présente plusieurs avantages : la rédaction des demandes est facilitée puisque les cabinets de brevet travaillent à partir de projets de publications scientifiques rédigés en anglais. De plus, la recherche de partenaires industriels internationaux est facilitée et les frais de traduction au moment des phases nationales sont limités. Enfin, une première opinion sur la brevetabilité est délivrée par l'Office européen des brevets simultanément au rapport de recherche (c'est-à-dire 8 à 9 mois après le dépôt), ce qui permet de guider la stratégie de protection industrielle.

Les extensions internationales des demandes prioritaires se font systématiquement par la voie internationale PCT.

Le coût de la propriété industrielle à l'Inserm :

Etant donné qu'une large protection internationale s'avère indispensable pour encourager les investissements longs et risqués d'un développement de produit à visée diagnostique ou thérapeutique, le coût d'entretien d'un portefeuille de l'Inserm reste coûteux.

Le dépôt d'une demande de brevet coûte de 10 à 15 000 € et son extension internationale représente 5 à 10 000 € par pays. Il faut ensuite compter 15 à 20 000 € par pays jusqu'à la délivrance, et encore environ 250 000 € pour le maintien dans 8 à 10 pays. Aussi, en 2005, l'entretien du portefeuille de près de 600 familles de brevet a coûté environ 1,5 K€ à l'Inserm. Le coût des traductions des demandes de brevets représente un peu plus de 20% des frais de brevets.

L'activité de valorisation de l'Inserm au niveau international

Un récent benchmarking des activités de valorisation entre les principaux organismes internationaux de valorisation en recherche biomédicale indiquait que le ratio « revenus de licences » sur « montant du budget de recherche alloué » de l'Inserm était comparable à celui de la moyenne des universités américaines. Par ailleurs, ce benchmarking indiquait aussi que le ratio « frais de brevets » sur « revenus de licences » apparaissait être comparable à celui du MRC (Medical research Council, UK).

D'une manière générale ce benchmarking révélait que la performance du dispositif de valorisation de l'Inserm en terme de retour sur licences était dans la moyenne des grandes institutions internationales.

La position de l'Inserm sur le Protocole de Londres

Le protocole de Londres est un accord prévoyant que seul le texte de la demande telle que délivrée par l'Office Européen, à savoir en anglais, allemand ou français, fasse juridiquement foi dans tous les pays contractants à la Convention sur le Brevet Européen. Aussi, par cet accord, l'Inserm pourrait envisager de réduire significativement ses frais de traduction. En effet, actuellement, les frais de traduction des demandes de brevets européens délivrées constitue un frein certain à une validation des droits acquis sur les territoires européens en l'absence d'un partenaire industriel. Ce même frein est constaté d'autant plus pour les jeunes sociétés de biotechnologies partenaires de l'Inserm, qui ne peuvent alors assurer une protection de leur propriété industrielle à une échelle européenne vaste.

Pour être concret il faut savoir que l'Inserm estime que les frais de traduction d'une demande de brevet européen délivrée représente un peu plus de 40% des frais que l'Inserm engagent pour obtenir la délivrance d'un brevet sur les 5 principaux territoires européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne et Irlande).

Aussi, l'Inserm est donc hautement favorable à la ratification du protocole de Londres, et ceci dans un but de faire valoir ses droits de propriété industrielle en Europe à des coût plus raisonnables et parce que l'Inserm pense aussi que ce protocole une fois ratifié contribuera à encourager l'innovation biomédicale pour laquelle la majorité des acteurs sont des sociétés émergentes dont les budgets sont limités.

Enfin s'agissant des considérations linguistiques, l'Inserm estime que le Protocole de Londres n'affecte en rien l'utilisation du Français comme langue officielle de l'Office Européen des brevets. En effet, même si l'Inserm dépose ses demandes de brevets principalement en Anglais, les règles de procédures écrites et orales autorisent tout à fait l'Inserm à utiliser le français dans ses relations avec l'Office Européen des Brevets. Par ailleurs, les revendications délivrées demeureront traduites en langue française, ainsi assurant la sécurité juridique des droits de propriétés industrielle en France.

Annexe 5 : Note transmise par M. Denis Griesmar, ancien Vice-Président de la société française des traducteurs, délégué à la diversité culturelle du
Forum francophone international

Il convient tout d'abord de noter le déséquilibre entre la représentation des partisans et des adversaires du Protocole de Londres (lequel prévoit la renonciation à la traduction en français des brevets d'invention), ainsi que la censure exercée par la suppression du débat prévu, auquel plusieurs orateurs étaient inscrits.

Ce déséquilibre est constant dans toutes les manifestations organisées depuis des années sur le sujet, et ne peut être dû au hasard.

On notera simplement quelques points :

_ Le français étant langue officielle de l'Office Européen des Brevets (OEB) de Munich, si l'on veut le « pérenniser » véritablement, il suffit d'édicter l'obligation d'établissement des textes de brevet dans chacune des trois langues officielles, soit : anglais ET français ET allemand.

_ Il semble que les négociateurs français n'aient à aucun moment envisagé cette solution, encore moins déployé d'efforts pour la défendre.

_ Elle serait cependant de nature à maintenir un équilibre géopolitique indispensable.

_ Au surplus, devant la nécessité de disposer d'un texte anglais pour les Etats-Unis et allemand pour l'Autriche, pays non signataire, il s'agit d'un garde-fou incontournable pour éviter l'élimination systématique du français.

_ Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas que l'Europe, et que la langue française n'appartient pas qu'à la France. Il serait paradoxal de renoncer unilatéralement à la Francophonie et aux moyens d'influence qu'elle procure.

_ Le fait que l'Angleterre et l'Allemagne aient, aux premiers temps de l'établissement de l'OEB, renoncé à la traduction systématique (pour ensuite la rétablir !), ne doit pas induire en erreur : il y a asymétrie fondamentale entre la ou les puissances dominantes, d'une part, et le ou les joueurs en second, d'autre part. Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste de la théorie des jeux pour le comprendre. Encore faut-il vouloir défendre un intérêt français.

_ Rappelons qu'il y a un siècle, la grande langue scientifique était l'allemand. Pour autant, si l'ouverture à la culture allemande et l'apprentissage de la langue étaient à l'ordre du jour, personne ne prétendait remplacer, en France, le français par l'allemand. Et le chinois peut très bien, d'ici quelques décennies, déplacer l'équilibre en sa faveur. Mais rien de cela ne saurait constituer un argument pour cesser de vouloir persévérer dans l'être.

_ A propos d'Europe, il est extravagant de prétendre attribuer le retard de croissance de la zone à la non-ratification du Protocole de Londres ... plutôt qu'à des raisons fondamentales de politique économique et monétaire !

_ C'est la politique constante de l'OEB, consistant à abaisser les critères de brevetabilité, dans le but de faire du chiffre, qui est responsable du déséquilibre de la balance des brevets.

_ Le « pragmatisme », constamment mis en avant, oblige à constater que Renault s'est allié à Nissan, entreprise non européenne, et que l'ambition, initialement proclamée, d'y instituer le « tout anglais » a dû reculer devant les réalités. Le retour au français est d'ailleurs signalé par la presse économique (Les Echos, 10-11 février 2006).

_ Aucune réflexion n'est menée sur la perte d'identité que représente le passage à l'anglais, avec l'impossibilité de peser sur l'orientation de la recherche et de mener une quelconque politique. Ni les scientifiques, ni les déposants de brevets, ne sont au-dessus des lois.

_ Les entreprises multinationales ne sont puissantes que parce qu'elles ont des consommateurs, qui sont aussi des citoyens, représentés par l'Etat, garant de l'intérêt général, qui octroie le monopole qu'est le brevet. Le brevet est un donnant-donnant : monopole contre description dans la langue de la République.

_ Le faible taux apparent de consultation des brevets ne doit pas tromper, d'abord parce que tous les efforts n'ont pas été faits, loin de là, pour les rendre facilement accessibles, et ensuite parce que le nombre de consultations est plusieurs fois supérieur à celui des litiges. Et il est essentiel de maintenir cette possibilité de consultation en français. Ce n'est pas parce que relativement peu de personnes consultent les textes de lois qu'il ne doit plus être possible de se les procurer. Il s'agit là d'une condition indispensable sans laquelle il ne saurait y avoir de règle de droit - donc non plus de sécurité juridique pour les déposants.

_ Si la plus grande partie de la veille technologique se fait dans la langue d'origine, principalement pour les grandes entreprises - mais non pour les PME - il s'agit là d'une situation qui demande à être corrigée ou atténuée, et non d'un argument pour rendre les brevets encore plus lointains pour les PME et les consommateurs, ce qui délégitimerait le système des brevets.

_ Le représentant du CNRS confirme l'avantage comparatif du français et sa plus grande précision. Il confirme également la diminution de la proportion de brevets originellement déposés en français à l'OEB, ce qui réduit à néant l'argument de pérennisation du français affirmé par les partisans de la ratification.

_ Une des principales raisons de l'insuffisance du nombre de brevets déposés en français est que, dans notre pays, la publication d'un article annonçant une découverte empêche le dépôt ultérieur d'un brevet, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. Une modification de la règle sur ce point serait de nature à remédier à la situation beaucoup mieux qu'une euthanasie de la langue française.

_ La compétence en linguistique n'ayant pas été représentée dans cette Audition, en-dehors de la question de l'impossibilité démontrée de la traduction automatique, aucune réflexion n'a été menée sur l'étroit rapport existant entre ambiguïté de la langue naturelle et créativité.

_ Sans oublier qu'un Louis de Broglie, prix Nobel de physique, avait également une formation historique et littéraire...

_ L'argument démagogique d'une économie de bouts de ficelle (un traducteur facture quelque 23 € par page !) pour les entreprises ne tient pas, d'abord parce que les traductions seront toujours nécessaires pour les pays non signataires, parce qu'une PME ne comprenant pas un texte étranger devra le faire traduire à ses frais, et enfin parce que les traducteurs et entreprises de traduction sont aussi des entreprises, qui n'ont aucune raison d'être discriminées.

_ Le bilan comptable de la traduction est favorable à la France, et une suppression, même limitée, offrirait un avantage comparatif aux multinationales anglo-saxonnes.

_ Bien évidemment, une telle ratification serait contraire à la loi, à la Constitution et aux Principes généraux du Droit (égalité entre les citoyens, principe du « nul n'est censé ignorer la loi »...).

Au total, il paraît clair qu'il ne saurait être question d'abandonner la proie pour l'ombre, ou de vendre son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.

Annexe 6 : Réflexions de la CGPME

Annexe 7 : Observations de M. Claude Jacobson, Vice-Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI)

Annexe 8 : Documents transmis par
M. Christian Derambure, Président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI)

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N° 3169 - Compte rendu de l'audition publique du 11 mai 2006 sur le protocole de Londres relatif au brevet européen

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