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N° 3791

___

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DouziÈme législature

__________________________________

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Le 28 mars 2007

 

N° 285

___

SÉNAT

Session ordinaire de 2006 - 2007

________________________________

Annexe au procès-verbal

de la séance du 29 mars 2007

     

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

La tuberculose constitue-t-elle un problème

majeur de santé publique ?

(compte rendu de l'audition publique du 22 février 2007)

Organisée par

M. Jean-Pierre Door, Député, et

Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice

_________

Déposé sur le Bureau
de l'Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX,

Premier Vice-Président de l'Office

 

_________

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL,

Président de l'Office

     

_______________________________________________________________________

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Henri REVOL

Premier Vice-Président

M. Claude BIRRAUX

Vice-Présidents

M. Claude GATIGNOL, Député M. Jean-Claude ÉTIENNE, Sénateur

M. Pierre LASBORDES, Député M. Pierre LAFFITTE, Sénateur

M. Jean-Yves LE DÉAUT, Député M. Claude SAUNIER, Sénateur

Députés

Sénateurs

M. Jean BARDET

M. Christian BATAILLE

M. Claude BIRRAUX

M. Jean-Pierre BRARD

M. Christian CABAL

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Francis DELATTRE

M. Jean-Marie DEMANGE

M. Jean DIONIS DU SÉJOUR

M. Jean-Pierre DOOR

M. Pierre-Louis FAGNIEZ

M. Claude GATIGNOL

M. Louis GUÉDON

M. Christian KERT

M. Pierre LASBORDES

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Pierre-André PÉRISSOL

M. Philippe ARNAUD

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

M. Jean-Claude ÉTIENNE

M. Christian GAUDIN

M. Pierre LAFFITTE

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-François LE GRAND

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Henri REVOL

M. Claude SAUNIER

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

Office parlementaire d'évaluation des choix

scientifiques et technologiques

(OPECST)

______________

« La tuberculose constitue-t-elle un problème majeur de santé publique ? »

_____________

Compte rendu de l'audition publique du

Jeudi 22 février 2007

Sénat

Table des matières

Synthèse de l'audition organisée par
M. Jean-Pierre Door, Député, et
Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice

La tuberculose, qui tue 1,6 million de personnes par an, préoccupe l'OMS. Elle a donné lieu récemment à des publications inquiétantes sur le développement de la tuberculose multirésistante, mortelle dans un grand nombre de cas, qui touche environ 450 000 nouveaux patients par an, et la tuberculose ultrarésistante, mortelle dans quasiment tous les cas, identifiée plus récemment. De surcroît, l'exemple new-yorkais a montré qu'une épidémie de tuberculose multirésistante pouvait survenir dans un grand pays industrialisé. Aussi, M. Jean-Pierre Door, Député, et Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice, ont-ils souhaité compléter sur ce point le rapport qu'ils avaient présenté en 2005 sur « le risque épidémique » en organisant une audition publique.

I - Un constat contrasté

A. La tuberculose constitue un problème majeur de santé publique au niveau mondial

Jusque vers les années 90, le déclin de cette maladie était relativement constant, à tel point que la tuberculose a été oubliée des scientifiques vers la fin des années 80.

Or, les chiffres de 2005 font apparaître 1 600 000 décès, dont 98 % ont eu lieu dans les pays en développement. 8 800 000 nouveaux cas ont été dénombrés en 2005, 80 % de ces derniers se situent dans les 22 pays les plus touchés.

La tuberculose à résistance multiple aux médicaments est présente dans 102 pays. Environ 2 cas de tuberculose sur 3 se situent en Asie. L'Afrique représente 28 % des cas mais le taux de malades par habitant y est le plus élevé au monde.

L'Afrique a connu une croissance considérable de la maladie qui serait, semble-t-il, en cours de stabilisation. Il faut néanmoins rester prudent, car de nombreux pays d'Afrique se trouvent dans une situation catastrophique. Le Zimbabwé, le Kenya, la Tanzanie ont des taux de VIH très élevés ; 50 % seulement des cas existants sont détectés ; 500 000 décès annuels y sont dénombrés, dont la moitié associés au VIH.

La situation de l'Afrique est donc largement liée au problème du VIH et de l'afflux de malades dans des services sanitaires pauvres, mal équipés, trop peu dotés en personnel. La gestion des malades est devenue un véritable casse-tête pour certains pays.

En Europe, la tuberculose présente deux visages. En Europe de l'Ouest, la courbe montre un déclin peu accentué. L'Europe de l'Est, par contre, connaît une augmentation de cas très impressionnante, due à de nombreux facteurs et, notamment, au chaos du système de soins, avec une quantité significative de malades multirésistants. De ce fait, dans ces pays, la prise en charge des malades est très complexe.

La tuberculose est aussi un problème familial et social, micro et macroéconomique. Une augmentation de 10 % des cas de tuberculose fait chuter la croissance de 0,2 à 0,4 % par an dans les pays en développement. Or, sauver une année de vie coûte moins de 2 euros.

La lutte contre la tuberculose constitue l'objectif 6 du millénaire pour l'OMS : il s'agit de maîtriser la tuberculose et de commencer à infléchir sa croissance d'ici à 2015.

Le Plan mondial 2006 - 2015 énumère les actions à entreprendre et chiffre leur coût au niveau mondial à 56 milliards de dollars. Environ 26 milliards sont déjà disponibles, si le financement reste au même niveau qu'en 2006. Il faudra encore accroître l'effort financier des États, en particulier des pays endémiques et des plus riches, pour couvrir ce déficit.

B. Un problème d'une ampleur limitée en France

6400 cas ont été déclarés en 2001 au niveau national entraînant environ 600 décès. Mais la tuberculose concerne pour le moment essentiellement l'Ile-de-France (Paris concentre 20% du total des malades) et une grande partie des patients sont originaires de zones d'endémies.

Le programme national de lutte contre la tuberculose s'inscrit dans le cadre de la loi de santé publique votée en août 2004. L'objectif des pouvoirs publics est de stabiliser l'incidence globale de la tuberculose en renforçant la stratégie de lutte sur les groupes et sur les zones à risque.

II - La politique française de lutte contre la tuberculose

A. La stratégie de vaccination

Les avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et du Comité technique des vaccinations du 30 septembre 2006 relatif à la vaccination par le BCG recommandent le renforcement de la lutte contre la tuberculose dans le cadre d'un programme national et évoquent la possibilité d'une suspension de l'obligation vaccinale, mais sous la condition d'un renforcement du dispositif de prévention. Par ailleurs, les évolutions liées à la mise à disposition exclusive d'un vaccin intradermique (plus difficile à administrer que la bague traditionnelle et susceptible d'entraîner des complications) ont ajouté une difficulté technique supplémentaire dans le débat sur la stratégie de vaccination.

Le programme proposé par le Comité d'élaboration du programme national de lutte contre la tuberculose fixe deux objectifs généraux : consolider la diminution progressive de l'incidence de la tuberculose-maladie et réduire les disparités.

Sans se prononcer sur l'obligation vaccinale, le Comité propose 3 mesures dès ce stade :

- vacciner durant le premier mois de vie, quel que soit le contexte retenu, les nouveaux nés à risque ;

- mieux former à l'utilisation et à la technique du BCG intradermique ;

- suivre la couverture vaccinale des enfants à risque.

B. Les cinq axes de la politique suivie

1 - Assurer un diagnostic précoce et un traitement adapté pour tous les cas de tuberculose-maladie

Pour cela, il convient de favoriser l'accès aux soins et de développer la confiance dans le dispositif de soins, plus particulièrement pour les personnes en situation précaire, par exemple, les étrangers en situation irrégulière qui doivent être informés de leurs droits et du dispositif de dépistage et de soins.

Dans le cadre de la prévention de l'émergence de souches multirésistantes, il est nécessaire de renforcer la stricte observation des traitements. En effet, la prise régulière du traitement antituberculeux jusqu'à son terme est la condition indispensable de la guérison du patient et de la prévention de l'émergence de souches multirésistantes. Cette question est particulièrement aigue pour les personnes sans domicile fixe.

2 - Améliorer le dépistage de la tuberculose, notamment en renforçant le dépistage de ses formes les plus contagieuses, en réduisant le délai précédant le diagnostic et en systématisant les enquêtes autour d'un cas.

3 - Maintenir la résistance aux antibiotiques à un faible niveau

Les mesures primordiales pour la prévention des multirésistances sont le diagnostic précoce, les traitements adaptés et les mesures spécifiques concernant la prise en charge des tuberculoses multirésistantes. Il convient de :

- les diagnostiquer le plus rapidement possible ;

- transmettre rapidement les cultures aux centres nationaux de référence (CNR), en cas de suspicion de multirésistance ;

- définir les modalités pratiques d'application des tests moléculaires de détection de la résistance à la Rifampicine ;

- consolider l'aide à la décision et la disponibilité des traitements des tuberculoses multirésistantes ;

- renforcer le rôle de conseil et d'information sur la tuberculose multirésistante liée aux CNR ;

- assurer la continuité d'approvisionnement en médicaments de deuxième ligne.

4 - Améliorer la surveillance épidémiologique et les connaissances sur les déterminants de la tuberculose

Il s'agit de disposer d'outils permettant de suivre l'évolution et la dynamique de l'épidémiologie et d'y adapter la politique de lutte, en particulier :

- améliorer l'exhaustivité de la documentation microbiologique des déclarations obligatoires ;

- favoriser l'implication de tous les intervenants ;

- développer la fonction des professionnels de santé en charge de la coordination et du suivi dans les hôpitaux ;

- systématiser la collecte des informations faisant actuellement défaut, en particulier sur les groupes à risque.

5 - Adapter le dispositif de lutte antituberculeuse aux nouveaux enjeux

Les disparités existantes justifient en effet que l'organisation de lutte contre la tuberculose soit adaptée en intensifiant les efforts vers les populations et les zones les plus touchées.

L'objectif poursuivi est donc d'organiser un pilotage régional de lutte contre la tuberculose et de décliner les orientations nationales au niveau des régions, sachant que la lutte contre la tuberculose a été « recentralisée » depuis le 1er janvier 2006.

III - Des questions éthiques non résolues

Les données nouvelles concernant la tuberculose nous conduisent à poser des questions qui touchent étroitement à l'éthique, la plus importante d'entre elles étant la limitation de l'obligation vaccinale aux populations les plus exposées.

A. Les avis favorables à une politique de lutte ciblée sur des populations exposées au risque de contracter la maladie

Pour la section « maladies transmissibles » du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, le BCG ne peut éliminer la tuberculose en France à lui seul et le plan annoncé par le gouvernement doit donc être opérationnel avant d'envisager l'arrêt du BCG.

La section s'est prononcée en faveur du ciblage de la vaccination obligatoire, en la réservant aux migrants, aux Français autochtones voyageant dans les pays à risque, ou à ceux qui ont eu des antécédents tuberculeux dans la famille, et à certaines personnes en situation de précarité.

La Haute Autorité de lutte contre les discrimination a également émis un avis favorable au ciblage de la lutte contre la tuberculose. Elle ne considère pas comme discriminatoires la vaccination et le dépistage ciblés de certaines populations, notamment en fonction de leur origine géographique.

Son avis est clair :  « Nous ne pouvons pas nous abriter derrière la peur d'être accusés de discrimination pour prendre une décision concernant les groupes à risque. C'est un problème de santé publique ; ce n'est pas un problème concernant la discrimination ».

B. Les avis opposés à une politique de lutte ciblée sur des populations exposées au risque de contracter la maladie

Le Comité consultatif national d'éthique est opposé à ce ciblage. Sa réponse négative à la question « Est-il éthiquement acceptable de supprimer le caractère obligatoire de la vaccination généralisée par le BCG en France, pour ne la réserver qu'aux seules populations dites à risque ? » s'est fondée sur plusieurs considérations.

L'analyse selon laquelle la différence de risques de contracter la tuberculose auxquels sont exposés, d'une part des groupes vulnérables globalement définis et, d'autre part, le reste de la population, justifierait que, dans le cadre d'un programme de vaccination, on cible les enfants de la seule première catégorie, ne prend pas en compte un fait essentiel: ces populations ne sont pas isolées, pour ne pas dire « ghettoïsées », comme on pourrait
l'imaginer de manière non éthique, et la tendance actuelle est même de les intégrer dans une démarche d'entraide et de solidarité. Le risque de contamination entre différents types de populations reste donc grand, tant qu'une politique de lutte contre la tuberculose n'est pas mise en place à l'échelle de toute la population, et cela est particulièrement sensible dans les régions très urbanisées à forte densité d'individus.

Il deviendrait alors paradoxal de « cibler » le programme de vaccination par le BCG sur les seuls enfants estimés à risque, alors que n'auraient pu en bénéficier leurs camarades estimés « non à risque », mais en contact avec les personnes contaminantes proches des premiers, à moins qu'on ne les isole - ce qui est éthiquement inacceptable.

Supprimer le caractère obligatoire ne signifie pas supprimer la vaccination elle-même. Mais quelle signification donne-t-on alors à ne la réserver qu'aux populations à risque ?

Pour ces dernières, il n'y aurait pas grand choix ; il leur appartiendrait de bien comprendre que l'acceptation de la vaccination dans leur groupe ciblé serait dans leur intérêt, certes, mais aussi dans celui du reste de la population : vaccinons ces populations pour protéger le reste de la population.

Des études ont en effet montré que l'arrêt de la vaccination au sein de ces populations entraînait non seulement un accroissement d'incidence chez elles, mais également dans le reste de la population. Comment ne pas parler alors de stigmatisation ? ...

L'arrivée à nos portes de cas de tuberculoses BK résistants plaide également en faveur du maintien de l'obligation vaccinale car le BCG offre une protection identique contre tous les types de tuberculose.

Aussi le CCNE recommande-t-il la plus grande prudence quant à la suppression du caractère obligatoire de la vaccination généralisée par le BCG, avant que ne soit atteint en France le niveau d'incidence recommandé par l'Union internationale de lutte contre la tuberculose, soit 5 pour 100 000.

Il prône le développement d'une politique efficiente et évaluée de dépistage et de lutte contre la tuberculose, pour l'ensemble de la population au sein de laquelle une attention particulière sera réservée aux populations vulnérables sans ciblage : une politique généralisée, avec un ciblage ayant cette fois-ci un sens au plan éthique, destinée à faciliter l'accès aux soins et au dépistage de la tuberculose des plus démunis, avec la création de structures de soins anonymes et gratuits, à l'instar de ce qui est fait pour le VIH.

IV - Les perspectives ouvertes par la recherche

A. Les nouveaux vaccins antituberculeux

La recherche de nouveaux vaccins antituberculeux a été très active au plan international et en France, où l'on dénombre quatre candidats vaccins, testés sur animaux de laboratoires, qui restent cependant à améliorer avant de commencer les essais cliniques chez l'homme.

Pour la première fois, certains de ces candidats vaccins, obtenus en France ou dans un autre pays européen, se sont révélés plus protecteurs que le BCG chez les animaux de laboratoire : c'est une très grande avancée qu'il convient de souligner.

La recherche a donc vraiment progressé au cours de ces 10 dernières années, et devrait livrer d'ici peu des produits réellement intéressants.

B. Le diagnostic rapide

Grâce aux progrès de la biologie moléculaire, des bacilles, même en très petite quantité, peuvent être détectés par l'amplification des gènes que l'on peut faire in vitro. Les technologies doivent être améliorées, afin de pouvoir les utiliser pour détecter rapidement les bacilles.

C. Les nouveaux médicaments

La recherche de nouveaux médicaments concerne, par exemple, de nouveaux antibiotiques issus des études réalisées sur l'interaction entre les bacilles de la tuberculose et les cellules de l'hôte.

A ce jour, plusieurs molécules sont en cours de test. La structure de composants importants du bacille a été résolue et l'étape du criblage des inhibiteurs a été engagée.

Aujourd'hui, les agences internationales de financement dans le secteur de la recherche soutiennent surtout le développement, et assez peu la recherche fondamentale. Cette première étape, préalable au développement, est pourtant essentielle et trop souvent délaissée ; l'avenir quant à la découverte de nouveaux médicaments plus efficaces s'en trouve obscurci.

Conclusion

Les pouvoirs publics vont prochainement devoir faire des choix en particulier sur la vaccination par le BCG.

Si son caractère obligatoire est remis en cause, les populations exposées au bacille de la tuberculose devront continuer à être protégées car le vaccin permet de prévenir chez l'enfant les formes graves de la maladie.

Il est vrai que cette évolution a été précipitée par l'arrêt de la fabrication du vaccin administré par une bague qui est remplacé par un produit qui doit être injecté par la voie intradermique, piqûre délicate avec laquelle les médecins sont peu familiarisés.

Le sujet est très sensible.

Le ciblage peut être analysé comme une discrimination positive. Il peut également être considéré sous l'angle de la stigmatisation. Aussi, la présentation et la pédagogie sont-elles essentielles dans un débat qui ne saurait se réduire à un dialogue entre médecins.

Le choix est complexe. Deux structures éminentes de la République - la HALDE et le Comité consultatif national d'éthique - ne tirent pas les mêmes conclusions.

Le choix est par ailleurs incomplet puisque la lutte contre la tuberculose n'est pas réductible à la vaccination par le BCG.

En revanche, les voyages, les flux migratoires, les déplacements des hommes nous invitent d'une part à rester vigilant, et, d'autre part, certains facteurs jouent un rôle majeur, tels que la qualité de la prise en charge, les moyens de diagnostic rapide, l'existence de traitements efficaces, l'organisation de dialogues personnalisés, par exemple les enquêtes dans l'entourage.

En tout cas, nous n'en avons pas fini avec le risque épidémique, et l'apparition de tuberculose multi et ultrarésistante nous interdit de baisser la garde.

Ouverture par Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice,
et M. Jean-Pierre Door, Député

Mme Marie-Christine BLANDIN, Sénatrice du Nord : Monsieur le Directeur général de la Santé, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs, nous avons besoin de vous pour nous éclairer ! Il me revient de vous accueillir avec un objectif particulièrement ciblé. Cette audition publique se situe dans le cadre du suivi du rapport que Jean-Pierre DOOR et moi-même avions réalisé sur le risque épidémique il y a 2 ans1.

Un certain nombre de maladies infectieuses demeurent présentes en France. Leur impact sur la santé publique demande à être évalué.

La tuberculose affectait 6 714 malades en 2000. Cette maladie demeure grave, puisque l'on estime que la mortalité par tuberculose correspond actuellement à 10 % des cas déclarés, soit environ, nous dit-on, 670 décès par an. Plus que tout, l'apparition de formes extrêmement graves de cette maladie nous inquiète.

Cette réunion remplit donc deux objectifs : préciser le diagnostic et l'importance de ces nouvelles formes de tuberculose, et évoquer les actions à mener.

Le Directeur général de la Santé va nous parler en premier lieu de l'approche française, en nous indiquant les mesures que le Gouvernement compte prendre. Nous essayerons ensuite de la mettre en perspective avec la situation mondiale, en examinant les déclinaisons françaises, puis franciliennes. La mondialisation concerne aussi l'état sanitaire de la population.

Ce panorama nous conduira à nous interroger sur les moyens de lutte, sur la vaccination, et surtout sur la possibilité d'avoir une politique de santé publique actualisée et adaptée au terrain.

Avant que les pouvoirs publics ne fassent les bons choix pour actualiser les politiques de santé publique en la matière, en garantissant à chacun le droit à la protection sans l'imposer à ceux qui ne courraient plus de risques, notre rôle, au sein de l'Office parlementaire, est de faire le point en entendant scientifiques et praticiens impliqués.

Cette discussion fera l'objet d'un compte rendu intégral. Publié sous la forme d'un rapport parlementaire, il sera accompagné de quelques observations de notre part. Ce travail est destiné à éclairer la représentation nationale, aussi est-il important que vous soyez brefs dans vos interventions pour que le dialogue puisse s'établir autour de cette table.

Je passe la parole à mon collègue Député, Monsieur DOOR.

M. Jean-Pierre DOOR, Député du Loiret : Mes chers collègues, Monsieur le Directeur général de la Santé, Mesdames et Messieurs, merci à Madame BLANDIN, avec qui j'ai en effet déjà travaillé sur le risque épidémique, de nous recevoir au Sénat pour étudier les questions liées à la tuberculose.

À la différence de la grippe aviaire sur laquelle j'ai beaucoup travaillé et qui, fort heureusement ne constitue qu'un risque, nous savons que la tuberculose tue 1,7 million de personnes par an. Les médecins que nous rencontrons régulièrement, s'ils relativisent le danger, estiment que l'opinion ne prête pas assez attention à cette maladie. Il est vrai que la tuberculose concerne essentiellement, pour le moment, l'Ile-de-France et ne constituerait pas une question majeure de santé publique pour la France. Nous pensons cependant que sa prévention pose aujourd'hui des problèmes complexes, car une grande partie des patients sont originaires de zones d'endémie.

Le développement de tuberculoses multirésistantes ou ultrarésistantes préoccupe l'OMS, et a donné lieu à des publications inquiétantes. Aussi, avec Marie-Christine BLANDIN, nous a-t-il semblé, dans le cadre du suivi du rapport que nous avons rendu, en 2005, sur le risque épidémique, que nous devions aborder cette question.

Les données nouvelles concernant ce problème conduisent à poser des questions qui relèvent de la compétence du législateur. Je vous poserai donc des questions auxquelles je souhaite que nous puissions répondre ce matin.

Pouvons-nous limiter l'obligation vaccinale à des populations qu'il convient de protéger ?

Peut-il en être de même pour les opérations de suivi et pour la médecine du travail ?

Le développement de tuberculoses multirésistantes est-il lié à un traitement interrompu trop tôt, et faut-il instaurer, dans ce cas, une injonction thérapeutique ?

Les structures de suivi des soins, surtout pour les personnes en grandes difficultés sociales, sont-elles insuffisantes et inadaptées ?

Enfin, le retour vers l'État d'une compétence aujourd'hui dévolue au département constitue-t-il un précédent intéressant à analyser ?

D'autres questions méritent d'être relevées, relatives notamment à la recherche sur l'antibiothérapie. Nous pourrions également évoquer la coopération internationale qui constitue une dimension à prendre en compte, mais aussi l'Europe qui en est le premier niveau.

Tels sont les thèmes que nous souhaitons aborder avec vous, en ayant à l'esprit qu'il s'agit d'une audition et non d'un colloque. Les travaux de cette matinée ont avant tout l'ambition d'éclairer la représentation nationale sur les mesures qu'elle doit ou devrait prendre pour accompagner le plan de lutte contre la tuberculose dont je remercie le Directeur général de la Santé, Monsieur Didier HOUSSIN, de bien vouloir nous faire la présentation, en l'absence du Ministre retenu par ses fonctions.

Monsieur le Directeur général, je vous invite à ouvrir les débats par la présentation du plan national de lutte contre la tuberculose et répondre ensuite aux nombreuses questions que ne manquera pas de soulever ce sujet.

Introduction :
Présentation du programme de lutte contre la tuberculose

Professeur Didier HOUSSIN, Directeur général de la Santé : Le sujet du programme national de lutte contre la tuberculose s'inscrit dans le cadre de la loi de santé publique votée en août 2004. L'un de ses objectifs, parmi les 100 qu'il s'est fixés, est de stabiliser l'incidence globale de la tuberculose en renforçant la stratégie de lutte sur les groupes et sur les zones à risques. Ce double objectif est né de plusieurs constats.

La baisse régulière de l'incidence moyenne nationale de la tuberculose en France est une réalité qui cache - et c'est là le point essentiel - de fortes, voire de très fortes disparités sur le territoire et selon certains groupes de population. Globalement, une amélioration est constatée mais, en revanche, certaines zones et populations subissent une aggravation sérieuse. Par ailleurs, les pratiques de lutte contre la tuberculose sont elles-mêmes variables. Il est donc nécessaire, dans le cadre de cette lutte, de s'adapter aux évolutions tant épidémiologiques et sociodémographiques que des connaissances. Il s'agit donc pour nous de conduire une lutte dans un esprit de discernement.

Un point important à souligner est la recentralisation de la lutte contre la tuberculose depuis le 1er janvier 2006. Le débat s'est récemment développé autour de la stratégie de vaccination, en particulier depuis l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France et du Comité technique des vaccinations du 30 septembre relatif à la vaccination par le BCG, recommandant le renforcement de la lutte contre la tuberculose dans le cadre d'un programme national, et évoquant la possibilité d'une suspension de l'obligation vaccinale, mais sous la condition d'un renforcement de cette lutte.

Par ailleurs, des évolutions liées à la mise à disposition unique d'un vaccin intradermique ont ajouté une difficulté technique supplémentaire dans le débat sur la stratégie de vaccination.

Le comité d'élaboration du programme national de lutte contre la tuberculose a été mis en place en février 2006. Il associe l'ensemble des représentants des acteurs de la lutte antituberculeuse, et ses propositions ont été élaborées à partir des éléments de diagnostics disponibles en France que j'ai évoqués. Trois groupes de travail se sont rassemblés sur les thèmes de la tuberculose-maladie, de l'infection tuberculeuse latente, de l'information, la sensibilisation et de la communication. Ce Comité a remis un rapport à la Direction générale de la santé fin janvier 2007.

Le programme proposé fixe deux objectifs généraux, avec un objectif plus ambitieux que celui prévu dans la loi : consolider la diminution progressive de l'incidence de la tuberculose-maladie, et réduire les disparités. Je vais en évoquer successivement les 6 axes :

I - Assurer un diagnostic précoce et un traitement adapté pour tous les cas de tuberculose-maladie. On pourrait dire qu'il s'agit du minimum minimorum

Sensibiliser et informer sur la tuberculose, en essayant en priorité de prévenir les retards de diagnostic. Cela conduira à sensibiliser et informer les personnes les plus exposées et développer les outils nécessaires, sensibiliser les professionnels de santé au diagnostic et à la prise en charge de la tuberculose, améliorer l'information des professionnels hors santé susceptibles d'être confrontés à un cas de tuberculose et à une action de dépistage.

Favoriser l'accès aux soins et développer la confiance dans le dispositif de soins. Ces mesures concernent plus particulièrement les personnes en situation précaire. Par exemple, les étrangers en situation irrégulière doivent être informés de leurs droits et de la couverture maladie, du dispositif de dépistage et de soins, ainsi que des garanties qu'il apporte, afin d'adapter le service aux caractéristiques des populations auxquelles il s'adresse.

Maintenir la qualité des soins en assurant la disponibilité des protocoles, le maintien de la qualité des laboratoires, le renforcement de la prévention, la transmission dans les milieux de soins, et l'évaluation des pratiques professionnelles.

Le dernier point vous concerne tout particulièrement aujourd'hui dans le cadre de la prévention de l'émergence de souches multirésistantes. C'est la question du renforcement de l'éducation thérapeutique et de la facilitation de l'observance. En effet, la prise régulière du traitement antituberculeux jusqu'à son terme est la condition indispensable de la guérison du patient et de la prévention de l'émergence de souches multirésistantes. Le traitement long et contraignant impose de mettre en œuvre une démarche d'éducation thérapeutique, de formaliser l'accompagnement des patients durant leur traitement, de mettre à disposition et de promouvoir l'utilisation de formes galéniques adaptées (association d'antibiotiques à doses fixes et formes pédiatriques).

II - Améliorer le dépistage de la tuberculose, notamment en renforçant le dépistage des formes contagieuses

Ces mesures visent à réduire le délai précédant le diagnostic, ainsi qu'à diminuer le risque de contamination secondaire. Pour cela, il est nécessaire de clarifier les recommandations de dépistage systématique et les modalités de sa réalisation, au niveau national, en diffusant les recommandations sur le dépistage de la tuberculose-maladie, et en adaptant les moyens mis en œuvre dans le cadre de la politique de dépistage de la tuberculose aux besoins estimés dans chaque région, lesquels varient beaucoup selon la situation épidémiologique.

La deuxième orientation vise à systématiser les enquêtes autour d'un cas. Ces mesures visent à identifier rapidement les contaminations secondaires à partir d'un cas contagieux, afin de proposer un traitement aux personnes infectées, ce traitement ayant démontré son intérêt dans le cas de contaminations récentes. Elles visent aussi à identifier le contaminateur, notamment dans le cas des tuberculoses pédiatriques. Ces mesures d'enquête autour d'un cas nécessitent d'être menées de façon méthodique, systématique, et peuvent, dans certaines zones, se heurter à des difficultés pratiques. Une réflexion sur la place de nouveaux outils de diagnostic de l'infection tuberculose a eu lieu en parallèle pour former les acteurs de la lutte antituberculose à l'enquête autour d'un cas, et adapter les moyens aux besoins de chaque région.

III - Stratégie vaccinale par le BCG

Le comité n'a pas pris position sur l'obligation vaccinale. En effet, à la suite des expertises réalisées et des propositions de vaccination centrées sur les enfants à risque formulées par le CTV et le Conseil supérieur d'hygiène publique de France en 2005, une réflexion éthique a été demandée, d'une part au Comité consultatif national d'éthique et, d'autre part, à la HALDE, afin de mesurer si derrière ces recommandations de vaccination pouvaient se manifester des aspects de discrimination à récuser.

Une audition publique a été organisée, à la demande du Ministre de la Santé, par la Société française de santé publique. Sa proposition serait de revenir sur l'obligation vaccinale, sauf en Guyane, et de procéder à des recommandations vaccinales à un niveau faible et à un niveau fort pour les personnes résidant dans des zones ou appartenant à des groupes à risque. Ces recommandations ont pour l'instant été enregistrées, mais le Ministre n'a pas encore pris de décision à ce sujet. Une saisine préalable du Comité technique de vaccination est prévue. La recommandation formulée au cours de cette audition publique semble une orientation très intéressante.

Le comité propose toutefois 3 mesures dès ce stade :

Vacciner durant le premier mois de vie, quel que soit le contexte retenu, les nouveaux nés à risque ;

Mieux former à l'utilisation et à la technique du BCG intradermique ;

Suivre la couverture vaccinale des enfants à risque.

IV - Maintenir la résistance aux antibiotiques à un faible niveau

Le comité a rappelé les mesures primordiales pour la prévention des multirésistances que sont le diagnostic précoce, les traitements adaptés et les mesures spécifiques concernant la prise en charge des tuberculoses multirésistantes. Il convient de :

- les diagnostiquer le plus rapidement possible ;

- transmettre rapidement les cultures aux CNR en cas de suspicion de multirésistance ;

- définir les modalités pratiques d'application des tests moléculaires de détection de la résistance à la Rifampicine ;

- consolider l'aide à la décision et la disponibilité des traitements des tuberculoses multirésistantes ;

- renforcer le rôle de conseil et d'information sur la tuberculose multirésistante liée aux CNR ;

- assurer la continuité d'approvisionnement en médicaments de 2e ligne.

V - Améliorer la surveillance épidémiologique et les connaissances sur les déterminants de la tuberculose

Il s'agit là de disposer d'outils permettant de suivre l'évolution et la dynamique de l'épidémiologie et d'y adapter la politique de lutte, en particulier :

- améliorer l'exhaustivité de la documentation microbiologique des déclarations obligatoires ;

- favoriser l'implication de tous les intervenants ;

- développer la fonction des professionnels de santé en charge de la coordination et du suivi dans les hôpitaux ;

- systématiser la collecte des informations manquantes.

Les issues de traitement doivent être mieux documentées en :

- développant les connaissances complémentaires à la déclaration obligatoire ;

- assurant la promotion du recueil d'informations par des enquêtes ponctuelles ;

- développant l'utilisation des données de mortalité dans la surveillance ;

- évaluant l'apport possible des méthodes de typage moléculaire pour l'épidémiologie ;

- développant la surveillance des infections à mycobactérie atypique chez les enfants ;

- évaluant la couverture de la vaccination BCG dans les groupes à risque.

VI - Adapter le dispositif de lutte antituberculeuse aux nouveaux enjeux

Les disparités justifient en effet que l'organisation de lutte contre la tuberculose soit adaptée en intensifiant les efforts vers les populations et les zones les plus touchées afin de tenir compte des disparités.

La diversité et la multiplicité des acteurs, les caractéristiques de l'épidémiologie de la tuberculose et les mesures préconisées nécessitent en particulier des partenariats entre différents intervenants de terrain. L'objectif est d'organiser un pilotage régional de lutte contre la tuberculose et de décliner les orientations nationales au niveau des régions.

La loi de santé publique a mis l'accent sur la régionalisation : il s'agit de faire de la tuberculose un champ particulier de régionalisation des actions de santé publique, et notamment :

- développer les outils de pilotage et de suivi du programme ;

- articuler la lutte contre la tuberculose avec des politiques sociales et de la ville ;

- coordonner les acteurs locaux du secteur de la santé (médecins, établissements de santé) ou du secteur associatif.

En conclusion, ce programme doit être mis en place sur la période 2007 - 2009. Une dynamique et une mobilisation de terrain sont déjà perceptibles. Certaines actions sont en cours de mise en œuvre, aussi bien les formations que les déclarations des issues de traitement.

Les mesures proposées sont prioritaires, sans exclure la réflexion sur les initiatives dans d'autres domaines, et notamment celui de la recherche. Il est en effet fondamental pour l'avenir de disposer de nouveaux outils diagnostiques, tant de l'infection latente que de la tuberculose-maladie, de traitements plus performants qui puissent être prescrits pendant des périodes plus courtes et, pour le traitement des souches multirésistantes, d'un vaccin antituberculeux plus efficace que ne l'est l'actuel BCG.

Au plan national, un groupe constitué autour de la Direction générale de la Santé aura pour mission le suivi, l'analyse et l'évaluation des stratégies mises en place. Il proposera, le cas échéant, une réorientation des stratégies et une mise à jour du programme en fonction de l'évolution des connaissances et de l'épidémiologie de la tuberculose.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci Monsieur le Directeur de nous avoir présenté ce vaste programme qui ouvre bien le débat.

Nous allons maintenant faire l'état des lieux aux niveaux international, national et local avec, tout d'abord, Monsieur BLANC qui va évoquer pour nous la situation internationale.

Le constat

La situation internationale

Docteur Léopold BLANC, Coordinateur de la lutte contre la tuberculose à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : Je tiens en premier lieu à vous remercier, Madame BLANDIN et Monsieur DOOR, de votre invitation.

L'OMS est particulièrement intéressée par la démarche de la France. En effet, si la tuberculose existe en un lieu, elle se propagera partout, comme vous allez le constater. C'est une maladie transmissible dont on peut néanmoins enrayer l'évolution parce qu'elle est peut-être guérie.

Il y a seulement un siècle, la tuberculose était un énorme problème dans nos pays, aussi bien en France qu'en Angleterre, en Italie ou en Allemagne. Lorsqu'une personne infectée éternue ou tousse, ou lorsque son expectoration contient des bacilles, nous imaginons aisément comment se produit la transmission... La transmission se fait par l'air. La transmission par le lait est maintenant tout à fait anecdotique dans nos pays, mais demeure en revanche un vecteur important dans certains autres. Un malade à crachats positifs infecte en moyenne 20 personnes.

Environ 2 milliards de personnes dans le monde sont infectées par la tuberculose sans pour autant être malades : elles hébergent le bacille. Sur 100 personnes infectées, 10 feront une tuberculose-maladie au cours de leur vie. Si ces personnes sont aussi infectées par le VIH, chaque année, 10 % d'entre elles verront la maladie se déclarer.

Quelles sont les interventions possibles contre la tuberculose ?

Monsieur HOUSSIN les a déjà énumérées, et je les évoquerai donc rapidement.

La prévention par le BCG : pour l'OMS, le BCG est efficace uniquement pour les formes graves de l'enfant.

Le traitement de l'infection : il est difficile à mettre en place, l'identification de l'infection n'étant pas toujours aisée.

La prévention de l'infection en milieu hospitalier : elle concerne surtout les formes résistantes sur lesquelles j'insisterai particulièrement avec la leçon que constitue la situation d'Afrique du Sud.

L'identification et le traitement rigoureux des patients : ces points constituent les interventions de choix pour combattre la tuberculose.

Les données

Les chiffres de 2005 (les chiffres de 2006 ne nous étant pas encore parvenus) font apparaître 1 600 000 décès.

- 98 % des décès ont eu lieu dans les pays en développement.

- 195 000 des décès sont dus à la co-infection tuberculose-VIH, soit un peu plus de 10 % des décès dans le monde.

- 8 800 000 nouveaux cas ont été dénombrés en 2005, à 80 % dans 22 pays les plus touchés.

La tuberculose à résistance multiple aux médicaments est présente dans 102 des 109 pays étudiés et documentés.

En nombre de cas, la Chine et l'Inde dominent le tableau de la charge mondiale de la tuberculose. Environ 2 cas de tuberculose sur 3 se situent en Asie. L'Afrique représente 28 % des cas, bien que le taux de cas par habitant soit le plus élevé.

Quelle est l'évolution de la tuberculose dans le monde ?

La tuberculose marque le pas en Asie. L'évolution dans l'Asie Pacifique ou le Sud-est asiatique est très lente. Si l'on ajoute la Méditerranée orientale, qui dans les régions OMS inclut le Pakistan et l'Afghanistan, une décroissance peut être constatée. 99 % des cas ne sont pas associés au VIH en Asie et représentent environ 1 million de décès annuels.

En Amérique latine, la tuberculose décline régulièrement grâce à une très bonne notification et une prise en charge qui s'améliore : 80 % des cas existants sont notifiés.

En Europe, la tuberculose a deux visages. En Europe de l'Ouest et en Europe centrale, la courbe montre un déclin, certes peu accentué. L'Europe de l'Est connaît une augmentation de cas très impressionnante, due à de nombreux facteurs à partir des années 90, et notamment un système qui s'est difficilement adapté à la nouvelle économie. Il y a une urgence dans les pays de l'Europe de l'Est et d'Asie centrale, ce chaos ayant généré une quantité impressionnante de malades multirésistants. Actuellement, dans ces pays, les problèmes thérapeutiques et de prise en charge des malades sont très complexes.

Je veux souligner ici que la tuberculose peut réapparaître à tout moment, que ce soit en Europe de l'Ouest, en Europe centrale ou dans le Moyen Orient. Jusque vers les années 90, le déclin était relativement constant. La tuberculose a été oubliée vers la fin des années 80 et est réapparue, non seulement en Europe, mais aussi en Amérique du Nord. Ainsi, à New York, une véritable épidémie de tuberculose multirésistante s'est déclarée. Elle était due à la mauvaise gestion du patient, qui était pourtant bien diagnostiqué et bénéficiait d'un accès à des médicaments de très haut niveau, mais la prise en charge et le suivi du patient ont été oubliés. La preuve est faite que la plus belle technologie ne donne aucun résultat, si le malade ne suit pas son traitement.

L'évolution de l'incidence dans le monde

L'Afrique a connu une croissance considérable, et serait, semble-t-il, en cours de stabilisation. Il faut néanmoins rester prudent, car de nombreux pays d'Afrique se trouvent dans une situation catastrophique. Le Zimbabwé, le Kenya, la Tanzanie ont des taux de VIH très élevés ; 50 % seulement des cas existants sont détectés ; 500 000 décès annuels y sont dénombrés, dont la moitié associée au VIH.

La situation de l'Afrique est donc largement liée au problème du VIH et de l'afflux de malades dans des services sanitaires pauvres, mal équipés, avec trop peu de personnel. La gestion des malades est devenue un casse-tête impossible pour certains pays.

Deux maladies, un seul patient : la tuberculose, le VIH

Ce problème est crucial en Afrique, ainsi que dans certaines autres zones du globe. Cependant, la grande majorité des cas de tuberculose n'est pas associée au VIH.

Il faut permettre aux patients de mieux suivre leur traitement, améliorer les résultats en prenant en même temps en charge le problème de VIH.

Un graphique illustre la présence de la tuberculose multirésistante chez les nouveaux cas qui représentent environ 450 000 patients par an. Cette évaluation est basée sur une enquête réalisée dans quelques pays du monde : ces chiffres sont donc à considérer avec prudence.

La tuberculose ultrarésistante est un problème identifié récemment, comme étant particulièrement aigu et directement lié à des problèmes de gestion et de prise en charge des malades : l'Afrique du Sud l'a illustré de façon évidente sur les cas documentés. Pour les autres cas, moins visibles, une grande majorité de pays est dans la même situation.

La tuberculose est aussi un problème familial et social, micro- et macroéconomique. Cet exemple, basé sur quelques pays d'Afrique, l'illustre bien. Investir dans la tuberculose est rentable. Une augmentation de 10 % des cas de tuberculose fait chuter la croissance de 0,2 à 0,4 % par an dans les pays en développement. Sauver une année de vie coûte environ 2 US dollars (moins de 2 euros).

Les objectifs du millénaire

La tuberculose est l'objectif 6 du millénaire. Il s'agit de maîtriser la tuberculose et de commencer à infléchir sa croissance d'ici à 2015.

La nouvelle stratégie « Halte à la tuberculose » se propose de répondre à ces défis. En outre, le Plan mondial 2006 - 2015 indique les actions à entreprendre et leur coût au niveau mondial. Le coût de 56 milliards mentionné inclut tous les financements que les pays allouent à leur système de santé pour lutter contre la tuberculose. Environ 26 milliards sont déjà disponibles, si le financement est du même niveau qu'en 2006. Il faudra encore accroître ce financement qui est de la responsabilité des pays, en particulier des pays endémiques et des plus riches, pour couvrir ce déficit.

Il reste un long chemin à parcourir. Plusieurs priorités ont été définies :

- le renforcement du partenariat « Halte à la tuberculose » ;

- l'intensification et la coordination de l'assistance technique et la présence dans les pays ;

- la promotion de la recherche pour de nouveaux tests diagnostiques de médicaments et de vaccins qui faciliteront la lutte contre la tuberculose dans les années à venir.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci pour ce tour d'horizon planétaire. J'ai retenu qu'un tiers de la population de la planète serait contaminé ...

Docteur Léopold BLANC : C'est une estimation qui varie selon les zones, mais c'est en effet l'ordre de grandeur.

Docteur Francis VARAINE, Médecins sans frontières : Je vous remercie de m'avoir invité à cette session sur la situation de la tuberculose dans le monde.

Le Docteur BLANC ayant déjà présenté une description générale de la situation, j'ai choisi d'axer ma présentation plus particulièrement sur la tuberculose à bacilles résistants. J'ai estimé qu'il serait plus parlant de vous présenter quelques cas de patients réels et, à partir de ces histoires singulières, de brièvement exposer et discuter la difficulté de la prise en charge et les limites de nos moyens actuels.

La méthode

J'ai effectué une sélection subjective de dossiers de patients diagnostiqués et traités dans notre programme de prise en charge de la tuberculose à l'hôpital de Gurilipchi, en Abkhasie dans le Caucase.

Les cultures, les antibiogrammes et les empreintes ADN des bacilles ont été réalisés dans des laboratoires supranationaux de référence en Europe occidentale.

Rappel des définitions

On appelle tuberculose monopolyrésistante, une tuberculose présentant une résistance à 1 ou plusieurs antibiotiques de première ligne comme les résistances à l'isoniazide et à l'éthambutol qui sont parmi les plus fréquentes.

Sont définies comme multirésistantes ou MDRTB, les souches résistant à au moins l'isoniazide et à la rifampicine, les 2 antituberculeux majeurs. Cela signifie en pratique que ces patients ne peuvent pas être guéris par les traitements standards et que des médicaments de deuxième ligne devront être utilisés.

Sont définies comme ultrarésistantes ou XDR, les souches présentant une multirésistance et une résistance à au moins un injectable de deuxième ligne et au quinolone, selon la définition retenue internationalement depuis octobre 2006.

En pratique, ces tuberculoses sont résistantes à tous les médicaments bactéricides, sont de très mauvais pronostics, voire incurables par la chimiothérapie.

Le traitement

En Abkhasie, comme dans la plupart des programmes, le traitement était adapté en fonction de l'antibiogramme de chaque patient.

Il incluait au moins 4 antituberculeux efficaces ; 1 antituberculeux injectable avait été administré pendant au minimum 6 mois, et le traitement poursuivi pendant au moins 18 mois après la négativation des cultures. La durée totale du traitement est donc en général de 2 ans ou plus.

Certains médicaments, dits de troisième ligne, ont parfois été ajoutés au traitement, bien que leur efficacité in vivo n'ait pas été démontrée. Le suivi des patients et les définitions des résultats étaient conformes aux recommandations internationales. Ce programme a été approuvé par le Green Light Comittee en 2004.

Le cas d'Alexéï

Alexéï avait 41 ans lorsqu'il a consulté pour la première fois à notre clinique.

Son antibiogramme à l'admission fait apparaître les résultats pour chacun des médicaments testés, de première ligne et de deuxième ligne. À l'admission, Alexéï présentait une résistance à la streptomycine, l'isoniazide, la rifampicine et était sensible à l'éthambutol et tous les médicaments de deuxième ligne. Son antibiogramme à 5 mois reste inchangé par rapport à l'admission. Alexéï a tout d'abord été traité par un traitement standard. Un traitement approprié à son profil de résistance avec 5 médicaments efficaces a commencé en octobre 2002. Ses cultures sont devenues négatives après 4 mois, et le sont restées pendant 13 mois. Alexéï et l'équipe médicale étaient convaincus qu'il allait guérir.

Puis les cultures sont devenues positives, avec l'apparition d'une résistance au quinolone. Nous avons pensé qu'il s'agissait peut-être d'une réinfection, et le traitement a été recommencé du début avec un nouvel injectable. Après avoir été alternativement négatives et positives pendant 10 mois, les cultures sont redevenues positives de manière permanente et la résistance s'est inexorablement amplifiée à la cyclosérine, la kanamycine, l'éthionamide, pour devenir ultrarésistante.

Alexéï a finalement été déclaré en échec thérapeutique et après 55 mois, soit 4 ans 1/2, le traitement a été arrêté. Alexéï est décédé 3 mois plus tard. Ultérieurement, la même souche a été retrouvée par empreinte ADN durant tout le suivi.

Alexéï était très adhérent à son traitement. Sans domicile, il est resté hospitalisé pendant toute la durée du traitement administré sous stricte supervision médicale. Pendant ces 4 années, Alexéï a souffert de nombreux effets secondaires liés au traitement : nausées, vomissements, insomnies, dépression, arthralgie, décoloration de la peau due à la clofazimine.

J'ai choisi de parler d'Alexéï parce qu'il a été l'un de nos premiers patients MDR en Abkhasie et que ce genre de patients n'est pas du tout exceptionnel. En effet, si les tuberculoses sont relativement rares à l'admission dans notre programme - 1 % en Ouzbékistan, 4 % en Abkhasie -, comme Alexéï, environ 10 % de nos patients MDR développent une tuberculose ultrarésistante au cours de leur traitement. Cela ne devrait pas être une surprise, car nous savons que le traitement de la tuberculose multirésistante est peu efficace.

Les publications montrent que dans la plupart des programmes, les résultats de traitement défavorable varient de 30 à 40 %, avec des taux d'échecs, de décès et d'abandon souvent supérieurs à 10 % : aux Philippines, 15 % de décès, 13 % d'échecs, 15 % d'abandons, en Estonie, 11 % de décès, 9 % d'échecs ...

Par ailleurs, le traitement de la tuberculose multirésistante est toxique. Comme nous le constatons chaque jour dans nos projets et comme le montre la littérature, dans environ un tiers des cas au moins un des médicaments doit être stoppé en raison de graves effets secondaires.

Le traitement multirésistant est donc long, toxique, peu efficace et produit inévitablement des tuberculoses ultrarésistantes, même dans les meilleurs programmes.

Le cas de Nikolaï

Nikolaï avait 36 ans lorsqu'il a consulté à l'hôpital de Gurilipchi. Il a été mis sous traitement standard, et son antibiogramme montrait une souche sensible à tous les médicaments antituberculeux de première et deuxième lignes.

Son évolution clinique et radiologique était satisfaisante, le patient était adhérent à son traitement, puis, presque à la fin du traitement, la culture est redevenue positive. L'antibiogramme a montré subitement une résistance à tous les médicaments de première ligne, sauf à l'éthambutol.

L'empreinte ADN a donné l'explication de cette évolution : la deuxième souche était différente de la première. Cette souche était la même que celle d'un patient admis à l'hôpital en même temps que Nikolaï : il est donc probable qu'il ait été infecté durant son séjour à l'hôpital.

Le traitement MDR a été commencé ; Nikolaï a présenté des nausées, des vomissements et de violentes douleurs épigastriques après la prise des médicaments. Après 6 mois de traitement, les cultures sont enfin devenues négatives, et le sont restées pendant 16 mois. Puis Nikolaï a développé une hépatite médicamenteuse et tous les médicaments ont dû être stoppés pendant 1 mois. Les cultures sont redevenues positives, avec l'apparition d'une résistance au quinolone - donc pas encore une tuberculose ultrarésistante, mais déjà de mauvais pronostic.

Aujourd'hui, Nikolaï présente toujours des cultures positives, plus de 3 ans après sa première consultation à l'hôpital de Gurilipchi où il était venu initialement avec une tuberculose complètement sensible.

Cet exemple illustre clairement le danger de la transmission nosocomiale. Pourtant, l'hôpital de Gurilipchi est divisé en différents secteurs en fonction de la contagiosité et du risque de résistance. Tous les secteurs ont des entrées séparées desservies par des escaliers indépendants. Une fois détectés, les patients atteints de tuberculose résistante sont hospitalisés seuls dans des chambres. Cependant, pendant l'attente de l'antibiogramme, ils doivent partager une chambre avec deux ou trois autres patients : cela n'est bien sûr pas optimal, et c'est probablement à ce moment-là que Nikolaï a été contaminé. On peut aisément imaginer les conséquences dans un pays à forte prévalence du VIH, comme cela a été mis en évidence récemment en Afrique du Sud.

Que peut-on faire ? En Abkhasie, comme dans la plupart des régions du monde, l'antibiogramme pour les médicaments de première ligne prend environ 50 jours avec les techniques rapides, et presque 3 mois avec les techniques conventionnelles.

L'antibiogramme pour les médicaments de deuxième ligne prend environ deux mois et demi avec les techniques rapides, et trois mois et demi avec les techniques conventionnelles. Ces chiffres doivent être présents à l'esprit lorsque l'on parle de prévention de la transmission nosocomiale.

Tous les patients atteints de tuberculose doivent-ils être hospitalisés en chambre seule, en attendant leur antibiogramme ? Faut-il reconstruire d'immenses sanatoriums ? Ou bien peut-être devrions-nous envisager de traiter les patients à domicile ?

Le cas de la famille d'Oleg

Il s'agit d'une famille de 5 frères et sœurs qui ont tous présenté une tuberculose entre 2001 et 2004 : deux d'entre eux, une tuberculose multirésistante, et deux autres une tuberculose ultrarésistante.

Les empreintes ADN ont mis en évidence, une transmission intrafamiliale, mais également depuis et vers la communauté. Deux de ces patients sont décédés, deux ont guéri, et la dernière, Anna, présente toujours des cultures positives 28 mois après le début de son traitement.

L'histoire dramatique de la famille d'Oleg nous rappelle que la transmission de la tuberculose ultra et multirésistante dans la famille, et dans la communauté, est une réalité.

Le traitement ambulatoire de patients contagieux n'est certainement pas optimal. C'est pourtant ce que nous faisons au Kenya, en Ouganda, dans les pays africains, parce qu'il n'existe pas de structure appropriée pour une hospitalisation dans des conditions satisfaisantes. Des résultats très contrastés ont été publiés sur le traitement ambulatoire des patients multirésistants : les meilleurs résultats ont été rapportés par le programme du Pérou.

Qu'en est-il de la transmission dans la famille et la communauté ? Le dilemme qui se pose à nous est celui de choisir entre deux maux : transmission nosocomiale ou transmission dans la communauté. Il est parfois difficile de déterminer lequel des deux est le moindre...

Nous savons tous que le meilleur moyen de prévenir la transmission n'est ni l'isolement des patients, ni les masques, ni les ultraviolets : c'est le dépistage précoce et le traitement efficace des patients contagieux. Malheureusement, avec les moyens actuels, nous ne pouvons faire ni l'un ni l'autre.

En conclusion, le traitement MDR est donc peu efficace, long, toxique, conduisant à des taux élevés de décès, d'échecs et d'abandons et menant inévitablement à l'apparition de tuberculose ultrarésistante. Nos moyens de diagnostic sont inadaptés, conduisant à un retard au diagnostic et au début du traitement, rendant quasi impossible la prévention de la transmission.

Nous avons besoin, en urgence, pour la tuberculose ultrarésistante, d'un diagnostic rapide, et d'un traitement efficace de la tuberculose multirésistante.

Enfin, la liste des médicaments antituberculeux actuellement utilisés avec la date de leur découverte montre qu'aucun nouveau médicament n'est apparu depuis 40 ans, le dernier en date étant la rifampicine en 1966.

Les médicaments de deuxième ligne utilisés pour le traitement de la tuberculose résistante sont en fait d'anciens médicaments, comme le PAS découvert en 1946 que l'on a pour ainsi dire « ressorti des placards », faute de mieux.

Je souhaiterai à mon tour lancer un appel. La tuberculose tue chaque année 2 millions de personnes. C'est la deuxième cause de décès par maladie infectieuse, après le SIDA. Les financements pour la recherche clinique se sont élevés à 20 millions d'euros à l'échelle mondiale en 2005 que l'on peut comparer aux 300 millions d'euros pour le SIDA pour les seuls États-Unis.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci de ces exemples très parlants qui nous montrent un tableau de la tuberculose impressionnant, voire inquiétant.

Nous allons entendre Mme ANTOINE qui va évoquer la situation française.

La situation française

Docteur Delphine ANTOINE, Institut national de veille sanitaire (InVS) : Je vais vous présenter la situation épidémiologique en France. Les données de surveillance nationales de la tuberculose en France reposent sur trois sources principales, les données de la déclaration obligatoire étant majoritairement utilisées.

La tuberculose-maladie fait l'objet d'une déclaration obligatoire depuis 1964. Nous collectons des informations depuis 2003 pour l'infection tuberculose-latente, pour les enfants de moins de 15 ans.

En complément, les laboratoires, et en particulier le Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance aux antituberculeux, rassemblent des données sur les souches, notamment l'identification de spécimens, antibiogrammes, typage moléculaire, etc.

Des données de mortalité sont collectées par l'INSERM. Nous pouvons y repérer les décès liés à la tuberculose-maladie, primo-infection et séquelles, avec une information sur le décès en cause initiale ou en cause associée.

Je voudrais en premier lieu rappeler la définition de cas utilisée pour la surveillance, différente par rapport à la perspective du clinicien. Dans la déclaration obligatoire, les informations collectées concernent les maladies confirmées par la culture, ainsi que des informations sur les cas pour lesquels le clinicien, au vu des signes cliniques et radiologiques, a posé le diagnostic de la tuberculose et décidé d'un traitement complet.

Les tendances en France

La morbidité

En observant les courbes des cas déclarés et des décès liés à la tuberculose, on peut constater la diminution très importante du taux de déclaration lié à la tuberculose qui est passé de 60,3 en 1972 (30 000 cas) à 30 pour 100 000 en 1980 (15 000 cas), et 5 374 cas en 2005, correspondant à un taux de 8,9 pour 100 000 habitants.

Le taux des décès liés à la tuberculose est passé de 3,7 en 1981 à 1,6 en 2003 - dernière année actuellement connue.

En 2005, ont été déclarés :

- 5 374 cas de tuberculose-maladie dont 5 195 en France métropolitaine et 179 dans les DOM ;

- 463 infections tuberculeuses latentes.

Je parlerai essentiellement de la maladie, les informations sur les infections tuberculeuses latentes étant recueillies depuis peu et très difficiles à interpréter par manque d'exhaustivité (beaucoup de départements ne disposent pas de données).

En 2003, 942 décès ont eu lieu en France métropolitaine, et 89 % après 64 ans.

La répartition géographique 

Dans la majorité des régions, y compris les DOM, le taux de déclaration est inférieur à 10 pour 100 000, mais est supérieur en Ile-de-France - aux alentours de 20 en 2005 - et en Guyane - 44 pour 100 000 habitants.

Dans 33 départements, le taux de déclaration est faible (inférieur à 5 pour 10 000).

Dans 56 départements, ce taux se situe entre 5 et 9,9. Il est supérieur à 10 dans 11 départements (région parisienne, Guyane, l'Oise, Alpes Maritimes, Nièvre, etc.). J'ai retenu ici le seuil de 10 pour 100 000 admis pour considérer l'incidence comme faible.

Au niveau de la ville, Marseille, par exemple, a des quartiers dans le Nord où l'incidence est très élevée avec des taux de 40 pour 100 000 habitants, comme à Paris d'ailleurs.

La répartition par âge et origine

- Les cas déclarés sur la France entière concernent 15 hommes pour 10 femmes.

- Les moins de 15 ans représentent 6 % des cas.

- L'âge médian des cas est de 43 ans.

- Le taux de déclaration par âge - indiquant l'incidence et le risque de tuberculose-maladie - est beaucoup plus élevé chez les personnes de 80 ans et plus (22 pour 100 000).

- 13 % des tuberculoses déclarées en 2005 concernent des personnes vivant en collectivité : 1 % vivent en prison, soit un taux de 90 pour 100 000 -184 cas déclarés pour les SDF, soit un taux de 214 pour 100 000, d'après une estimation de l'INSEE.

- Les cas déclarés parmi la population française ont baissé considérablement entre 1993 et 2005, et sont restés stables ou ont légèrement augmenté parmi la population étrangère. La proportion que représentent les cas d'origine étrangère parmi les cas de tuberculose a augmenté de façon importante, et représente environ la moitié des cas en 2005.

- Les taux de déclaration par âge des personnes nées en France sont le plus importants chez les personnes âgées.

- Pour les personnes nées à l'étranger, les taux sont relativement importants chez les jeunes enfants, mais le nombre de cas reste faible.

- Les taux sont beaucoup plus importants chez les jeunes adultes : entre 80 et 100 chez les adultes de 20 à 30 ans.

- Les taux restent moins importants chez les personnes âgées.

- Les données sur les continents de naissance font apparaître que les cas les plus nombreux se déclarent dans la population d'Afrique subsaharienne.

- Plus l'arrivée en France est récente, plus le risque de tuberculose est important, soit 251 pour 100 000 en 2005 pour les personnes arrivées depuis moins de 2 ans. Ce taux diminue avec l'ancienneté.

- L'augmentation du nombre de cas d'Afrique subsaharienne est récente, et correspond bien à celle de l'immigration de ces populations.

- En Europe, l'augmentation du nombre des cas correspond probablement à des cas récents en Europe centrale, mais nous ne connaissons pas le pays.

- Pour les personnes nées en France, on constate une stabilisation, voire une diminution chez les personnes plus âgées, mais une relative stabilisation, voire une augmentation en début de période, chez les 0-14 ans entre 2000 et 2005.

- Pour les personnes nées à l'étranger, l'augmentation s'est faite dans la tranche d'âge des 0 à 39 ans, mais la diminution semble s'amorcer dans les années récentes et rester stable après 40 ans.

Les caractéristiques cliniques 

- 79 % des tuberculoses sont des cas respiratoires, en majorité pulmonaires.

- 57 % de l'ensemble des cas déclarés sont potentiellement contagieux (cas à microscopie positive, à microscopie négative ou inconnue et à cultures positives). Il convient de souligner que les informations manquent en particulier sur la culture.

La résistance

Nous avons des informations sur la résistance dans le cadre de la déclaration obligatoire. Elles sont cependant difficilement interprétables. Les résultats sont ceux du Centre national de référence.

La résistance à l'isoniazide est de l'ordre de 5,2 % pour l'ensemble des cas.

La multirésistance est de 1,5 % pour l'ensemble des cas, avec des différences selon les antécédents en matière de tuberculose et le lieu de naissance (France ou étranger), avec des proportions parfois très importantes, si les personnes ont à la fois un antécédent de tuberculose et sont nées à l'étranger.

Les infections à VIH

Nous connaissons la relation entre VIH et tuberculose. Nous ne pouvons plus collecter de données depuis 2003, en raison de l'anonymisation des déclarations du VIH. Les données de 2002 montrent la proportion relativement élevée d'infection à VIH parmi les cas de tuberculose chez les jeunes adultes.

Les limites des données

- L'exhaustivité des données de déclaration. On estime au niveau national qu'elle est de 65 à 70 %, mais probablement variable selon des départements.

- La complétude des données. Les informations manquent, en particulier les données bactériologiques.

Le calcul des risques de tuberculose. Il doit non seulement prendre en compte le numérateur (le nombre de cas de tuberculose), mais aussi les données de population basées, en l'occurrence, sur le recensement de 1999 : des évolutions ont pu avoir lieu.

Les personnes en situation irrégulière. Seules des estimations concernant les immigrés peuvent être prises en compte.

Synthèse

En France, l'incidence de la tuberculose-maladie est considérée comme faible. Elle est inférieure à 10 pour 100 000, et baisse au niveau national.

Cependant, de grandes disparités existent, et les incidences sont plus élevées dans certaines zones géographiques (Ile-de-France, Guyane), dans certains groupes de populations : les immigrants de pays à haute incidence, les nouveaux arrivés, les personnes avec une infection VIH, les personnes SDF, les personnes en prison, les personnes de 80 ans et plus... Des risques importants peuvent cependant concerner d'autres groupes de populations.

Parmi les personnes nées en France, l'incidence reste stable chez les moins de 15 ans, alors qu'elle baisse dans tous les autres groupes d'âge. Il faut être attentif à ce signal qui pourrait montrer une circulation des bacilles dans la communauté.

Parmi les personnes nées à l'étranger, l'incidence est en augmentation chez les moins de 15 ans, alors qu'elle se stabilise, voire baisse récemment, dans les autres groupes d'âge.

En matière de surveillance, la fiche de déclaration a été changée en 2007 pour améliorer la description des populations le plus à risque.

La surveillance des issues de traitement est mise en place : il n'existait pas de données jusqu'à présent.

La déclaration est un des outils de surveillance : il en faudrait d'autres. Des études sur la mortalité vont être développées. En outre, il faudrait disposer d'études plus qualitatives et plus ponctuelles pour approcher les populations le plus à risque.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci pour ce tableau socio-géographique de la tuberculose.

Peut-on dire qu'une contamination existerait avant l'entrée en France des personnes d'origine étrangère ?

Docteur Delphine ANTOINE : Il est difficile d'avoir des informations en la matière. Il est certain qu'avant de développer la maladie, la personne a été infectée : cette infection est en général acquise dans le pays d'origine. Le développement de la maladie se fait en général après l'immigration pour des raisons diverses, plus ou moins explicables.

M. Jean-Pierre DOOR : La qualité des déclarations est variable d'un département à l'autre. Pourquoi ?

Docteur Delphine ANTOINE : Plusieurs raisons en sont probablement la cause. L'une d'entre elles est que la France, comme d'autres pays, est un pays à faible incidence.

On a considéré, il y a quelques années, que la tuberculose était une maladie en voie de disparition. Une baisse de vigilance en matière de contrôle et de surveillance explique probablement cela. Nous savons qu'il existe des variations. L'exhaustivité est probablement assez bonne là où les personnes sont sensibilisées à la tuberculose comme le démontre une étude sur Paris ou l'exhaustivité est de l'ordre de 80 %. Les systèmes, les moyens sont d'autres explications possibles.

M. Jean-Pierre DOOR : Nous avons baissé la garde...

Docteur Delphine ANTOINE : En effet, mais la garde a repris. En Guyane, par exemple, on sous-estimait de moitié le taux de déclaration, il y a encore 2 ou 3 ans. L'amélioration de l'exhaustivité est assez constante, avec cependant des disparités.

M. Jean-Pierre DOOR : Nous allons maintenant étudier la situation de la ville de Paris qui va conclure le chapitre sur le constat.

La situation à Paris

Docteur Fadi ANTOUN, Responsable de la cellule tuberculose de la ville de Paris : Je suis heureux de vous présenter la situation de la tuberculose à Paris, conjointement avec le Docteur MALLET. J'en suis d'autant plus heureux qu'elle connaît depuis 4 ans une nette amélioration.

En 2002, l'incidence était de 54 pour 100 000, ce qui représentait plus de 1 100 cas de tuberculose à Paris. En 2005, elle est de 31 pour 100 000, voire de 28 pour 100 000 en 2006, soit 650 cas.

Néanmoins l'incidence reste légèrement supérieure à celle de la tuberculose en Ile-de-France, en dessous de celle du département de la Seine Saint-Denis, et trois fois supérieure à l'incidence nationale qui se situe à 9 pour 100 000.

Toutes les capitales européennes connaissent le même phénomène. Pour mémoire Londres est à plus de 40 pour 100 000, soit 4 fois l'incidence de la Grande-Bretagne.

La baisse est donc de 40 % en 3 ans et se poursuit encore aujourd'hui.

Les caractéristiques parisiennes

Les arrondissements les plus touchés sont ceux de l'Est et du Nord-est où les populations vivent probablement dans des conditions de collectivité plus difficiles et proviennent de pays à forte prévalence de tuberculose.

Certains arrondissements dépassaient, il y a 3 ans, l'incidence de 100 pour 100 000 : actuellement, le chiffre se situe autour de 50 à 60 pour 100 000 dans l'Est et le Nord-Est.

Les caractéristiques parisiennes reflètent essentiellement la fréquence à Paris et dans les grandes métropoles de populations migrantes, avec toutes les particularités démographiques qu'elles entraînent.

À Paris, prédominent les tuberculoses dans les classes d'âge jeunes, essentiellement les 25 - 39 ans. L'amélioration de la situation tend à rendre cette particularité moins importante, puisqu'en 2005 et 2006, cette proportion de jeunes se rapproche davantage du profil de la France en général.

La situation de la tuberculose à Paris est particulière. En effet, les nouveaux arrivants viennent dans la métropole. Les 2/3, voire les 3/4, des cas de tuberculose proviennent de personnes nées à l'étranger : 29 % sont nées à l'étranger, 29 % sont nées en Afrique subsaharienne, et les autres sont nées essentiellement en Asie et en Afrique du Nord.

Nous avons connu, il y a 4 ans, un pic important de tuberculose. La tendance est aujourd'hui à la baisse pour la plupart des populations, et notamment celle d'Afrique subsaharienne, grâce à une action intensive dans le dépistage, le traitement et le suivi.

Le logement constitue une particularité à Paris, avec 20 à 30 % de personnes, soit 200 sur 600, vivant dans de logements précaires (centres d'hébergement sociaux, hôtels sociaux, voire des foyers). Nous avons obtenu d'excellents résultats dans les foyers de migrants, avec une baisse en nombre et en pourcentage des tuberculoses.

L'habitat individuel reste néanmoins le lieu où se développent le plus les tuberculoses, même si l'habitat en collectivités est un facteur de risque.

Les actions

Monsieur HOUSSIN a présenté précédemment les actions qui sont menées, à Paris, comme dans les autres départements. Elles se résument en 3 grands axes pour les services de lutte antituberculeux :

1. Dépister les tuberculoses là où elles se trouvent

Ces dépistages sont effectués depuis 20 ou 30 ans. Ils ont été intensifiés depuis 5 ou 6 ans. Nous dépistons annuellement 70 sites de tuberculoses, essentiellement des foyers d'hébergement sociaux et de travailleurs. Nous faisons 12 000 radiographies dans ces lieux à risque et avons dépisté 13 tuberculoses en 2005. En 2002, au moment du pic épidémique, nous avions dépisté 100 tuberculoses dans les foyers de migrants et les centres d'hébergement sociaux. Les dépistages sont une des raisons pour lesquelles la tuberculose a nettement décru à Paris.

2. Enquêtes autour d'un cas pour dépister les gens contaminés secondairement 

Associé aux dépistages, cet axe doit se renforcer encore pour diminuer l'incidence de la tuberculose dans Paris, et d'une façon générale, dans les pays développés.

Nous avons rénové ce dispositif avec des protocoles de dépistage, des entretiens avec les malades dans les hôpitaux, des radiographies pulmonaires et des intradermoréactions dans les centres médico-sociaux.

Nous avons doublé, voire triplé la qualité et la quantité des enquêtes autour d'un cas. Nous sommes passés de 200 enquêtes sur 1000 cas en 2002 à plus de 400 enquêtes sur 600 cas actuellement. Nous faisons les 2/3 des enquêtes pour des cas de tuberculose, ce qui nous permet de dépister un nombre plus important de tuberculoses-maladies, et un nombre encore plus important de tuberculoses-infections.

Les obstacles pour mener des enquêtes persistent dans les milieux précaires et les milieux de SDF où les personnes sont difficiles à rencontrer et à convaincre en raison de leurs problèmes sociaux et psychologiques : la tuberculose n'est pas une préoccupation majeure pour eux.

Il existe également des problèmes de prise en charge et de suivi dans les collectivités, les hôpitaux, les universités, les lycées et surtout les collectivités d'enfants (écoles, crèches).

3. Traitement des cas

Les tuberculoses sont déclarées et le traitement est assuré essentiellement par les hôpitaux publics à 80 % dans Paris, 10 % par les cliniques, et 5 % par les centres de lutte antituberculeux.

La prise en charge par les centres de lutte antituberculeux de Paris assure 80 % de succès dans le traitement. C'est une donnée dont peu de structures disposent : nous nous battons en effet pour avoir un suivi et une déclaration des fins de traitement. À Paris, nous le faisons régulièrement depuis 5 ans, et nos chiffres atteignent 80 %.

A Paris, comme dans les grandes métropoles, le suivi correct des personnes SDF est un point qu'il convient de souligner particulièrement. Il faut assurer une observance, une qualité de suivi et une réussite du traitement particulières pour ces personnes. La majorité des Français ne posent pas de problèmes de suivi et d'observance, mais une partie d'entre eux, pour des raisons sociales, psychologiques, financières, culturelles, d'éducation posent des problèmes : les actions menées par le SAMU social depuis quelques années doivent être amplifiées et pérennisées. Comme je vous l'ai montré, 200 tuberculoses sur 600 à Paris proviennent de personnes précaires qui peuvent développer des tuberculoses multirésistantes par défaut de traitement.

La tuberculose de migrants, l'un des problèmes majeurs de la tuberculose en France et à Paris, a fait en 2005 l'objet d'un rapport au sein du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, pour donner des préconisations d'actions efficaces envers ces populations.

Selon le rapport LEBON de 2006 de la Direction de la population et des migrations, 200 000 migrants légaux arrivent en France. La migration n'est pas le problème en soi, mais c'est la conjonction de différents facteurs qui pose problème : une population à faibles revenus, avec différents niveaux de précarité et la population migrante.

Ont donc été recommandés :

· Le dépistage radiologique de la tuberculose-maladie pour tous les migrants, quel que soit leur statut ;

· La radiographie pulmonaire systématique pour les plus de 15 ans, et un suivi sur 2 ans pour les personnes venant de pays à forte prévalence ;

· Le dépistage de la tuberculose-infection latente chez les moins de 15 ans (intradermoréaction), suivi d'une radiographie pulmonaire ;

· Le renforcement des enquêtes autour d'un cas ;

· Le renforcement des actions dans les foyers de migrants ;

· Le travail en réseau.

Quels risques pour la France ?

Nous pensons qu'il n'existe pas, d'une manière générale, de risque majeur pour la population vivant en France.

Cependant, l'incidence chez les SDF et dans la population migrante nouvellement arrivée ne baisse pas. Les difficultés de suivi de ces populations doivent être combattues : les risques de microépidémie localisés aux collectivités ne peuvent être écartés (foyers, ou collectivités d'enfants) et ne pourront pas être totalement empêchés.

Les risques liés aux flux migratoires Est-Ouest et Sud-Nord sont potentiellement dangereux avec les problèmes de multirésistance et d'ultrarésistance. Le bilan de santé à l'arrivée et le suivi des populations exposées, sans les discriminer ou leur faire peur, sont donc nécessaires. Un appui au programme de lutte antituberculeux dans les pays en développement constituerait un retour certain sur investissements, aussi choquant que ce terme puisse paraître.

M. Jean-Pierre DOOR : J'ai retenu que le tableau de Paris était identique à celui de toutes les capitales d'Europe.

Docteur Fadi ANTOUN : La Mairie de Paris a organisé il y a un an un symposium réunissant 7 ou 8 représentants des capitales de l'Europe : le tableau est celui d'Amsterdam, Londres, Madrid, etc.

M. Jean-Pierre DOOR : Nous avons bien reçu votre message, en constatant que les problèmes sont le suivi et l'observance des SDF.

Professeur Marc GENTILINI : Tout ce que nous avons entendu est passionnant. Ces données correspondent à ce que nous savions déjà depuis 1970, au début de l'immigration en provenance du Sahara. Elles sont aujourd'hui mieux chiffrées et présentées, et permettent de tirer des conclusions scientifiques.

Cependant, je n'ai pas entendu, dans les groupes examinés, de différences entre les hommes et les femmes et la part des enfants. Au début de l'immigration, ces enfants n'existaient pas ; ce n'est qu'à partir de 1974, date du regroupement familial, que les femmes sont venues en grand nombre et en toute clandestinité. Si les hommes bénéficiaient, à l'époque, d'un travail et d'un contrôle - comme au dispensaire Bossuet près de l'hôpital de Lariboisière qui effectuait un dépistage efficace de la tuberculose et des maladies parasitaires -, ce n'était pas le cas pour les femmes. Ces hommes et ces femmes ont eu des enfants : peut-on prendre en compte ces enfants, quel rôle jouent-ils dans la remontée de la tuberculose des migrants à Paris ? Je suis satisfait de constater que mon département est le mieux placé d'Ile-de-France, l'Essonne étant l'équivalent de la Nièvre.

Je voudrais également que le sentiment d'impuissance devant l'arrivée des résistances et des ultrarésistances soit combattu. J'ai eu le privilège de commencer mes études de médecine avec l'arrivée du rimifon, et de voir l'évolution de la tuberculose grâce à ce médicament. La transformation a été extraordinaire : il faut donc rester optimiste sur les avancées de la recherche.

Enfin, l'Ile-de-France et la Guyane sont en première ligne pour les mêmes raisons : l'immigration, la promiscuité-précarité-pauvreté, ainsi que le VIH.

Professeur Jean-Pierre DUPRAT, Université de Bordeaux IV : Je suis juriste, et voudrais attirer votre attention sur la complexité du phénomène.

Vous semblez vouloir le réduire à cette migration Sud-Nord ; les manifestations en sont beaucoup plus complexes.

Mme ANTOINE nous a alertés sur le problème de la contamination parmi les jeunes de moins de 15 ans. J'imagine qu'il ne concerne pas uniquement les enfants des milieux démunis, même s'ils sont les premiers concernés : le développement pourrait aussi gagner des milieux qui ne le sont pas... Certaines observations - que j'ai sollicitées dans ma région à Bordeaux - du corps médical, ainsi que des travailleurs sociaux, semblent aller dans ce sens : la contamination semble dépasser ces milieux ciblés. La détermination causale du phénomène doit donc être examinée avec prudence.

La migration Est-Ouest ne doit pas non plus être négligée.

Il me paraît intéressant, à ce stade, que notre attention soit attirée sur la dimension multifactorielle du phénomène, bien qu'il s'agisse toujours de flux. De ce point de vue, la remarque du Docteur ANTOUN concernant la précarité est intéressante, et nous connaissons les problèmes qu'elle génère depuis le XIXsiècle.

Aux yeux du profane que je suis, le tableau que les uns et les autres nous ont dépeint me semble donc intéressant par la richesse, la variété et les nuances qu'il nous apporte.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Nous gardons en tête la question du Professeur GENTILINI concernant les femmes à laquelle les orateurs pourront répondre en fin d'exposé.

Nous abordons maintenant les caractéristiques de cette maladie, et la problématique du BCG : est-il efficace ? L'Académie nationale de médecine va nous présenter son point de vue.

Les caractéristiques de la maladie

Le BCG est-il efficace ? L'avis de l'Académie nationale de médecine

Professeur Jacques FROTTIER, Académie nationale de médecine : Je me suis permis de demander au Professeur Pierre BEGUE, appartenant également à l'Académie de médecine et qui dirige un groupe de travail sur la vaccination, de m'accompagner pour prendre lui aussi la parole.

L'Académie de médecine s'est préoccupée de l'avenir de la vaccination par le BCG en France, compte tenu de la modification du vaccin BCG actuel. Le nouveau vaccin dont nous disposons ne s'administre non plus par multiponcture et bague, mais par injection intradermique. Force est de reconnaître que certains praticiens, et en particulier les plus jeunes, n'avaient pas l'expérience de la vaccination intradermique qui ne se faisait plus depuis très longtemps.

La vaccination intradermique chez le jeune nourrisson n'est pas évidente. Elle peut exposer à des complications locorégionales, et il est tout à fait regrettable que l'ancien vaccin par multiponcture et bague ne soit plus disponible. Cette réalité s'impose néanmoins à nous : nous devons nous y adapter. L'Académie a, à deux reprises, publié un communiqué, ainsi qu'un rapport fin 2005 sur l'avenir de la vaccination par le BCG en France.

Il convient en premier lieu de rappeler que la vaccination par le BCG a un objectif prioritaire : la prévention des formes graves de tuberculose (méningites tuberculeuses, miliaires) chez le nourrisson et l'enfant. Il n'a jamais été précisé, affirmé ou démontré que le BCG avait une action préventive efficace sur la tuberculose de l'adulte.

Faut-il supprimer totalement la vaccination par le BCG en France, faut-il en modifier les indications ? L'Académie de médecine a préconisé dans ses communiqués les recommandations suivantes :

- La suppression totale de la vaccination par le BCG en France ne paraît pas possible à ce jour, en raison de la persistance de la maladie tuberculeuse.

- Par conséquent, une vaccination ciblée des enfants à risque, qui vivent en général dans des familles originaires de pays en forte endémie, serait une orientation possible, mais dont l'application effective est à l'évidence difficile.

- Toute modification de la politique vaccinale du BCG implique donc incontestablement la refonte du plan de lutte antituberculeuse en France, en particulier la politique de dépistage, de traitement et de surveillance qui doit être révisée et appliquée avec rigueur dans toutes les régions - notamment en Ile-de-France.

- Une redéfinition des moyens à l'échelon départemental ou régional semble le préalable à toute modification de la politique actuelle de vaccination par le BCG en France.

Bien entendu, la vaccination ciblée semble une piste intéressante à adopter, à la condition d'une refonte très stricte du plan de lutte antituberculeuse en France.

Pierre BEGUE va apporter quelques précisions à ce communiqué.

Professeur Pierre BEGUE, Académie nationale de médecine : Le Professeur a résumé le rapport de l'Académie de médecine avec précision. Le BCG s'adresse à l'enfant de moins de 15 ans. Les études européennes d'arrêt du BCG l'ont démontré : l'enfant est le bénéficiaire, et en priorité le nourrisson qui est le plus exposé au contact avec les parents tuberculeux.

Il est évident que si nous gardions le BCG obligatoire pour toute la population, nous serions un des deux ou trois derniers pays d'Europe occidentale à maintenir cette politique.

Il ne faut pas entretenir d'illusions. Aujourd'hui, tout comme il y a 15 ans, la loi n'empêche pas que certaines régions de France, en particulier au sud, n'aient que 70 % de couverture vaccinale par le BCG contre 98 % pour le tétanos et la diphtérie.

Lorsque j'étais Président du Comité technique des vaccinations, en 1988 nous nous sommes posé la même question qu'aujourd'hui. Nous en avons présenté les réflexions au Conseil supérieur d'hygiène de l'époque. Nous avons reculé devant le terme de ciblage, déjà utilisé par les Britanniques, nous disant que nous ne saurions pas, dans notre pays, faire passer cette notion auprès des populations. La création d'une commission, d'un groupe de travail très actif sur le BCG et la tuberculose en a néanmoins résulté, permettant en 1995 de toiletter le texte du BCG, puis en 2004, d'aboutir à la suppression de la revaccination par le BCG. Finalement, nous sommes sur ce chemin... La situation, et je rejoins là le Professeur GENTILINI, était connue depuis fort longtemps, mais nous ne disposions pas des chiffres d'aujourd'hui. Nous avons écrit en gras dans le rapport de l'Académie de médecine que nous étions pour une politique de ciblage, à condition que la lutte antituberculeuse soit organisée.

En 2005, nous n'étions pas à jour sur cette lutte renouvelée : sur le plan médico-légal et humain, il aurait été extrêmement grave de cesser l'obligation vaccinale pour toute la population, et de devoir, par méconnaissance du problème et de sa gestion, faire face, de nouveau, à une petite remontée, aussi faible soit-elle, de méningites tuberculeuses de nourrissons, avec fatalement des décès ou des séquelles imputables à une décision trop abrupte. En effet, nous aurions préféré commencer par la réorganisation de lutte antituberculeuse, décider ensuite du moment opportun pour arrêter le Monovax et enfin, refaire la loi, comme cela s'impose dans un pays comme le nôtre.

À mon sens, les choses ont été conduites à l'envers... L'arrêt du Monovax, annoncé en 2003 auprès des autorités de santé publique et réalisé le 1er septembre 2005, a poussé tout le monde, l'épée dans les reins, à trouver une autre direction de stratégie vaccinale.

Aujourd'hui l'obligation vaccinale, qui existe toujours pour les enfants avant 6 ans, n'est pas appliquée. En tant que membre du réseau InfoVac, je puis assurer que nous avons des questions sur ce qui doit être fait à l'entrée dans les crèches, pour les écoles : beaucoup de médecins ne savent pas ou n'arrivent pas à faire correctement le BCG intradermique.

J'ai beaucoup entendu dire que les médecins ou les pédiatres ne voulaient pas réapprendre à faire le BCG intradermique, mais pourquoi la France, Mérieux France en l'occurrence, a-t-elle inventé le Monovax ?

J'étais externe en 1959, au moment de l'expérimentation du Monovax, la bague tuberculinique. Nous étions alors un pays où la tuberculose était très importante. Nous savions que les nourrissons devaient être vaccinés, et non les adultes de 40 ans... Malgré notre entraînement à faire des piqûres, il était difficile de vacciner un nourrisson : le Monovax, malgré ses imperfections et sa qualité inférieure à celle de l'intradermique, a permis d'appliquer la loi aux nourrissons. Il n'est donc pas venu pour rien ; il n'est pas une fantaisie de l'industrie.

Inversement, malgré une AMM renouvelée régulièrement depuis les années 1970, les dossiers européens de Monovax se sont révélés insuffisants, et le laboratoire a reculé devant le prix effarant pour les refaire. Le Monovax a donc été arrêté.

Si nous avons pu maintenir, en France, la vaccination obligatoire, contrairement à l'Espagne ou l'Angleterre, sans parler de l'Allemagne qui l'a supprimée, c'est parce que nous, nous avions la bague tuberculinique dont l'Angleterre et l'Afrique du Sud disposaient moins largement.

Les pédiatres ont donc dû faire face, en 2005, à des réclamations justifiées. En effet, si la vaccination est pratiquée avec des incidents secondaires dont les parents aujourd'hui font le reproche, et si la protection vaccinale n'est pas assurée, où est l'obligation, où est la loi, où est le sérieux ? C'est ce qu'ont voulu dire les pédiatres que je défends ici, l'étant moi-même.

Aujourd'hui, l'Académie de médecine a pris cette option en connaissance de cause, en insistant cependant sur la lutte antituberculeuse. Le risque est majeur dans les populations migrantes, mais la tuberculose peut aussi exister dans des arrondissements plus privilégiés, parce que le dépistage de la personne venant à la crèche comme aide-soignante pour les petits, n'a pas été correct : il y a 2 ans, en région PACA, un problème de contamination a eu lieu par un pédiatre non dépisté sur le plan professionnel ! Cela est possible ! Ce sont des faits connus ; il ne faudrait pas les laisser se produire de nouveau...

Voilà le sens de la décision de l'Académie nationale de médecine. Tout en tenant compte de cet ensemble, elle a choisi le mot de « ciblage » qui déplaît aujourd'hui, bien qu'il soit un terme d'épidémiologie ancien largement utilisé à l'OMS, qui n'a rien de choquant en soi. Je comprends néanmoins qu'il soit mal perçu : il veut dire que nous agissons de façon spécifique, comme toujours en vaccinologie.

Voici l'état d'esprit dans lequel l'Académie de médecine avait opté finalement pour une vaccination spécifique dirigée sur les populations à haut risque de tuberculose.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Vous avez évoqué des pays ayant renoncé à la vaccination. Nous serions curieux de savoir ultérieurement si les effets de cette décision sont déjà visibles.

Nous allons maintenant entendre Mme Sylvie LARNAUDIE, médecin-chef du Service de vaccination de la ville de Paris qui va nous présenter la mise en œuvre de cette vaccination par le BCG.

La mise en œuvre de la vaccination par le BCG

Mme Sylvie LARNAUDIE, médecin-chef du Service de vaccination de la ville de Paris : Je vous présenterai ici l'application très pratique de la vaccination par le BCG dans les structures parisiennes.

L'organisation de la vaccination à Paris

Deux services sont concernés :

- le service de PMI qui s'adresse aux enfants petits, majoritairement jusqu'à 2 ans,

- le service de vaccination qui prend le relais pour les enfants plus grands et les adultes.

Ces deux services existent depuis longtemps : la PMI depuis 1945 et le service départemental de vaccination par le BCG depuis décembre 1948.

La vaccination par le BCG a connu de nombreuses évolutions législatives. Les chiffres issus de ces 2 services ont suivi l'évolution de la législation et celle des vaccins. Le Monovax, apparu en 1973, a disparu en 2005, comme cela a été rappelé. Il était essentiellement utilisé chez les nourrissons : la PMI a donc acquis une expérience de la vaccination par le Monovax, alors que le service des vaccinations que je dirige utilisait un vaccin par voie intradermique pour les enfants plus grands et les adultes, suivant les recommandations de médecine du travail qui perdurent.

Ce service des vaccinations participe également à la lutte antituberculeuse mentionnée par M. ANTOUN. À ce titre, nous effectuons 15 000 intradermoréactions par an, qui nous ont donné une certaine technique.

Depuis 2004 et 2005, la PMI a effectué des primo-vaccinations sur des bébés, et le service de vaccinations assurait plutôt la revaccination quand elle était encore autorisée jusqu'en 2004.

En reprenant tous les dossiers des patients vaccinés par le BCG, j'ai constaté que la vaccination concernait les enfants primo-arrivants d'âge scolaire, venant de pays où ils n'étaient pas vaccinés, avec un test tuberculinique négatif : ces enfants avaient donc besoin d'un vaccin pour entrer à l'école.

J'ai eu la surprise de constater que nous avons également vacciné de jeunes professionnels, notamment de jeunes infirmières espagnoles venant travailler en France dans les hôpitaux.

Ce sont les chiffres de ces dossiers que je vais vous présenter.

Quelques chiffres

Ils ont suivi l'évolution de la législation et surtout celle des techniques vaccinales.

Ainsi, la PMI a acheté :

- 49 000 doses de Monovax en 2003,

- 24 000 doses en 2004,

- 13 000 doses en 2005,

- après l'arrêt du Monovax, la PMI a fait 5 700 vaccins en 2006.

Parallèlement, le service des vaccinations a effectué :

- 2 400 vaccins intradermiques en 1997,

- ayant anticipé l'arrêt de la revaccination, nous n'en faisions plus que 672 en 2003,

- 140 vaccins en 2004,

- 100 vaccins en 2006.

Les effets secondaires répertoriés

En 2006, la PMI a répertorié 29 cas d'effets secondaires qui ont fait l'objet d'une déclaration de pharmacovigilance.

- 9 cas liés à des mésusages,

- 8 abcès,

- 11 cas que le médecin de PMI a déclarés limites (vaccins ayant probablement évolué plus longtemps que prévu).

Le service des vaccinations a notifié très peu de cas.

- 1 abcès a été notifié en 1981,

- 1 adénopathie axillaire en 1984,

- 2 cas en 1998 : 1 abcès ponctionné, 1 lésion locale que le médecin a traitée par antibiotique. Ces cas étaient des revaccinations.

Depuis lors, nous n'avons aucune déclaration.

Le vaccin

Le vaccin est un vaccin vivant atténué qui se présente sous forme lyophilisée à reconstituer. Avant 3 mois, il est appliqué sans test tuberculinique préalable ; après 3 mois, avec un test tuberculinique. La posologie avant 1 an est de 0,05 ml, ce qui explique la difficulté de la pratique ; après 1 an, la posologie est de 0,1 ml.

Le matériel est très important : l'aiguille de 0,45 mm sur 10 mm à utiliser n'est pas celle commercialisée avec le vaccin. Le site d'injection est la face antérieure du deltoïde ; l'administration se fait par voie intradermique stricte.

Pour réussir ce vaccin et limiter les effets secondaires, il me paraît nécessaire d'avoir l'habitude de le faire. Nous avons la grande chance, à la fois grâce à notre pratique de l'intradermoréaction et de ce vaccin, de connaître peu d'effets secondaires.

De plus, il me semble nécessaire de passer du temps avec les parents pour leur donner toutes les explications, obtenir leur pleine adhésion et leur accord sur l'acte qui va être pratiqué sur leur bébé.

L'évolution de ce vaccin et les effets secondaires possibles doivent être également expliqués et nous avons élaboré un petit document à destination des parents leur indiquant que ce vaccin va couler pendant un certain temps, voire 3 semaines - 1 mois, qu'il ne faut pas y ajouter de traitement, et qu'ils peuvent revenir chaque fois qu'ils sont inquiets. Ce document est remis aux parents dans le carnet de santé.

Si le vaccin ne fait pas mal majoritairement, l'enfant doit en revanche être fermement tenu et ne pas bouger. Il est probable que dans un cabinet de médecine libérale, ces conditions sont plus difficiles à remplir.

Nous avons également la chance de participer au dépistage de la tuberculose. Nous pouvons constater que notre action de vaccination est importante, au vu des risques auxquels sont confrontés les bébés à Paris. Lors de dépistages que nous avons menés dans les collectivités en 2006, nous avons repéré 2 cas dans des écoles maternelles (aides maternelles contaminées), 5 cas en école élémentaire et 2 cas dans des structures d'aide sociale à l'enfance.

Nous avons le sentiment d'avoir pu protéger ces petits enfants en contact avec des adultes malades, grâce à ces 2 volets - vaccination et dépistage.

En conclusion, il me semble important d'être formé et de pratiquer régulièrement cette technique pour la réaliser correctement et éviter les effets secondaires. Il faut également disposer du temps nécessaire, être capable d'évaluer le bénéfice pour l'enfant et de l'exposer aux parents avec précision. Il faut enfin bénéficier de bonnes conditions d'installation et pouvoir assurer un suivi post vaccinal.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Nous allons maintenant entendre le Docteur Isabelle DEVAUX de l'Institut national de veille sanitaire au sujet des nouvelles tuberculoses.

Les nouvelles tuberculoses

Docteur Isabelle DEVAUX, Institut national de veille sanitaire (InVS) : Je participe au programme européen de surveillance de la tuberculose EURO TB et vais vous parler des tuberculoses multirésistantes déjà évoquées précédemment.

On distingue les tuberculoses multirésistantes et les tuberculoses ultrarésistantes. Les résistances primaires - acquisition directe de la souche - sont différenciées des résistances développées lors du traitement.

Les informations recueillies dans le cadre du programme EURO TB marquent trois situations en Europe, selon les zones géographiques.

- Dans les années 80 - 90, l'Europe de l'Ouest connaît une stagnation de l'incidence, mais le pourcentage de tuberculoses parmi les cas d'origine étrangère augmente. Ces années sont marquées également par le début des problèmes de résistances.

- En Europe centrale, dans les Balkans, l'incidence baisse régulièrement.

- En Europe de l'Est, l'incidence augmente de façon importante, avec notamment des problèmes de prise en charge et de multirésistances.

À l'échelle européenne, des recommandations ont été émises sur le plan de la surveillance et du contrôle. Le programme EURO TB a été mis en place en 1996, ainsi que des programmes spécifiques de surveillance de la multirésistance depuis 1998. Depuis 2005, un programme de surveillance moléculaire des tuberculoses résistantes a été lancé, couplant les données de génotypage et les données épidémiologiques.

Les données de surveillance vont être transférées à Stockholm, au Centre européen de surveillance des maladies, créé en 2005. Le forum européen ministériel prévu à la fin 2007 en sera l'événement important de l'année.

Dans les pays situés à l'Est, le taux de déclaration est supérieur à 50 cas pour 100 000 habitants, alors que les taux, en moyenne, sont inférieurs en France et dans les pays d'Europe de l'Ouest à 10 cas pour 100 000 habitants.

Les cas de tuberculoses d'origine étrangère constituent une proportion élevée dans les pays d'Europe de l'Ouest et l'Union Européenne, au-delà de 39 %.

La proportion de cas multirésistants parmi les cas de tuberculoses repertoriées dans 23 pays européens va au-delà de 19 % au Kazakhstan et dans les états baltes (Lituanie, Estonie, Lettonie).

L'étude de l'évolution dans le temps du nombre de cas multirésistants fait apparaître une augmentation depuis 1998 dans les états baltes, avec 600 cas dans les années 2000. Dans les autres pays de l'UE, le nombre de cas est resté stable.

En Europe de l'Ouest et dans l'UE, la proportion de cas multirésistants est beaucoup plus élevée parmi les patients d'origine étrangère que parmi les patients originaires du pays de déclaration.

Une étude sur l'origine des cas multirésistants montre que 15,5 % des cas MDR se situent dans l'ex-URSS et les états baltes.

Le terme de tuberculose ultrarésistante, XDR en anglais, est utilisé depuis mars 2006, à l'occasion de la publication de la situation internationale par l'OMS et les CDC, et depuis l'épidémie d'Afrique du Sud, en mai 2006, où 53 personnes, également contaminées par le VIH ? sont décédées. Des experts se sont réunis en septembre 2006 en Afrique du Sud, et un groupe de travail s'est constitué en octobre à l'OMS pour mettre en place une politique contre les cas ultrarésistants et définir l'ultrarésistance au plan international.

Une estimation du nombre de cas ultrarésistants, effectuée dans 19 pays européens dans le cadre du projet sur la surveillance moléculaire mis en place depuis 2005, met en évidence les différences d'un pays à l'autre. La plupart des cas sont déclarés dans les pays baltes ; un seul cas a été recensé en France. La moyenne s'établit à 6,4 % dans les 19 pays et peut atteindre 23 % en Estonie.

La fréquence des cas de tuberculoses multirésistantes dans l'UE et l'Europe de l'Ouest est faible, à l'exception des états baltes et certains groupes de populations avec antécédent de tuberculose d'origine étrangère. En Europe de l'Est, les niveaux sont élevés, mais les données restent partielles : il serait important d'avoir des données plus complètes.

Comme nous l'avons déjà constaté, l'apparition des cas de multi - et ultrarésistances est liée aux problèmes de prise en charge, notamment les recommandations sur l'adaptation des traitements et leur observance.

La politique de lutte contre la tuberculose

L'expertise médicale de la lutte contre la tuberculose

Docteur Nicolas VERIZIS, Directeur-adjoint du Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux : Je suis ici au nom du Centre national de référence, et vais plus particulièrement parler de tuberculose et de résistance aux antibiotiques en France. C'est en effet une des principales missions du Centre national de référence, avec à la fois l'expertise microbiologique réalisée par Chantal TRUFFAUT-PERNOD, la résistance dont le docteur Jérôme ROBERT est en charge, et les conseils thérapeutiques dont je m'occupe. Cette structure est dirigée par le professeur Vincent JARLIER.

La difficulté dans le traitement de la tuberculose vient de l'association de quatre antibiotiques administrés pendant 6 mois : il est compliqué, long et explique pour une bonne part les problèmes de compliance. De plus, il existe très peu d'autres antibiotiques efficaces, comme les termes de multi et d'ultrarésistance déjà évoqués l'ont souligné.

Des résistances primaires ou secondaires peuvent se développer. L'acquisition des résistances est le résultat de la mauvaise qualité de la prise en charge, soit que le médecin a mis en place un mauvais traitement, soit que le patient n'a pas correctement observé son traitement pour les raisons que j'énonçais précédemment.

La surveillance de la résistance aux antituberculeux en France

Cette surveillance est coordonnée par le Centre de référence. La surveillance de la résistance aux antituberculeux de première ligne - ceux du traitement - est assurée par un réseau sentinelle de laboratoires dans les centres hospitaliers universitaires, et la surveillance de la multirésistance - celle aux 2 antituberculeux majeurs - est faite sur l'ensemble des laboratoires ayant une activité de mycobactéries, afin de connaître de façon exhaustive le nombre de souches multirésistantes isolées.

Les résultats

Je vous présenterai tout d'abord la résistance générale aux antituberculeux, puis la multirésistance pour aborder enfin brièvement les ultrarésistances.

Les données sur 10 ans de la résistance aux antituberculeux de première ligne (résistance à au moins 1 antituberculeux) font apparaître trois notions essentielles :

Les patients qui ont des antécédents de traitement hébergent beaucoup plus souvent une souche résistante que les autres : lorsqu'ils sont nés en France, ils représentent 7 à 14 %, et 11 à 29 % lorsqu'ils sont nés à l'étranger.

Le pays de naissance est un facteur de risque de résistance. Avec des antécédents de traitement, on passe de 14 à 29 % pour les personnes nées à l'étranger : c'est là que se trouve la plus forte proportion de souches résistantes.

Les patients qui ont des antécédents de traitement sont une minorité : les patients les plus à risque de résistance ne représentent donc que 10 % du total.

La multirésistance est la résistance à l'isoniazide et à la rifampicine, les deux antituberculeux majeurs du traitement de la tuberculose. Les quelques exemples des cas cliniques déjà évoqués sont très parlants.

Les chiffres utilisés ici émanent soit de l'OMS ou de programmes de lutte antituberculeuse et font apparaître que :

- Le pourcentage de guérison d'une souche sensible est de 85 % ;

- Pour les souches multirésistantes, il baisse à 67 % ;

- Le cumul échec-décès augmente de 4 à 20 %.

L'impact est donc majeur sur le résultat du traitement.

Dans les années 90, le nombre total de souches multirésistantes isolées était de 30 à 50 tous les ans. Depuis les années 2000, et singulièrement depuis 2002, ce nombre a augmenté pour atteindre 60 à 70 souches par an. Je ne dispose pas des données 2005-2006 qui devraient se situer aux alentours de 50 à 60 souches.

La question est de connaître les raisons de cette augmentation, et en particulier si elle est due à un problème de prise en charge. Les données font apparaître que :

- le nombre de patients nés en France hébergeant une souche multirésistante a plutôt diminué au cours de ces années ;

- le nombre de patients nés à l'étranger, et singulièrement sans antécédents de traitement, a augmenté.

L'augmentation de souches multirésistantes n'est donc pas due à un problème de prise en charge, avec une pérennisation des malades, mais elle est due à l'arrivée de nouveaux malades.

Pour les tuberculoses ultrarésistantes, le succès thérapeutique est de 20 %. L'impact est donc majeur sur le devenir du traitement. Nous avons compté, pour l'année 2006, trois cas de tuberculose ultrarésistante en France : le nombre reste donc très faible.

La prise en charge

Les recommandations de l'OMS sont très standardisées :

- Un engagement politique soutenu ;

- Un réseau de laboratoires de qualité et un laboratoire de référence par pays ;

- Des stratégies thérapeutiques appropriées, et notamment des experts maîtrisant les tuberculoses résistantes ;

- Un approvisionnement continu en antituberculeux ;

- Un système d'évaluation de la prise en charge.

En France, la tuberculose résistante a commencé à retenir l'attention dans les années 90. Les résultats d'une étude menée en 1994 sur les patients multirésistants et donnant un état des lieux des pratiques étaient assez alarmants.

- 51 % des patients atteints d'une tuberculose multirésistante étaient pris en charge dans 42 services différents, personne ayant vraiment d'expertise en la matière.

- Ces patients avaient des tests de sensibilité pour 5 antibiotiques de deuxième ligne : tout n'avait donc pas été testé, et l'information sur le traitement était donc incomplète.

- 9 % des patients n'avaient pas été traités.

- 41 % de succès thérapeutique avaient été constatés.

Suite à ce constat, la prise en charge a été modifiée. Il est demandé que toutes les souches de bacilles multirésistants soient systématiquement envoyées au Centre de référence où est effectué le test de sensibilité à l'ensemble des antibiotiques de deuxième ligne. De plus, les études moléculaires de la résistance donnent des informations plus rapidement que l'antibiogramme, et enfin, un typage moléculaire est effectué.

En outre, le Centre de référence met son expertise au service des collègues en proposant une aide à la prise en charge, au travers de conseils thérapeutiques. En effet, en étudiant toutes les souches, le Centre de référence a acquis une expertise étendue sur le maniement des antibiotiques, alors que les collègues en voient moins d'une par an.

Les résultats de la prise en charge

Ils ont été évalués, et la prise en charge s'est améliorée.

- 8 antibiotiques, contre 5 auparavant, sont testés par malade.

- La proportion de malades ayant reçu au moins 3 antibiotiques actifs a doublé, passant de 47 à 84 %.

- Le nombre de succès thérapeutiques a significativement augmenté en passant de 41 à 67 %, au niveau des chiffres internationaux.

La situation est plus satisfaisante, mais certains problèmes persistent :

- Des cas difficiles, même pour les experts ;

- Le traitement des enfants ;

- Le traitement des femmes enceintes, cas néanmoins assez rares ;

- Les cas de résistances extrêmes (ultrarésistants) ;

- La standardisation des pratiques.

Pour pallier ces problèmes, le Centre de référence a mis en place un groupe Traitement réunissant des pneumologues, des infectiologues, et des pédiatres impliqués dans le traitement des tuberculoses résistantes. Ces spécialistes se rencontrent tous les deux mois pour discuter du traitement des cas difficiles, essayer de standardiser les pratiques et mettre en place une cohorte avant d'évaluer efficacement cette prise en charge.

Au total, les cas de tuberculose résistante restent peu nombreux en France ; il existe peu de transmission de bacilles, et les rares épidémies sont des histoires familiales. Si la tuberculose résistante reste un problème de santé publique au plan international, elle est à mon sens, en France, un problème de prise en charge individuelle.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci pour cette conclusion optimiste...

La levée de l'obligation vaccinale par le BCG

Professeur Christian PERRONNE, Président de la section maladies transmissibles du Conseil supérieur d'hygiène publique de France : L'obligation vaccinale par le BCG est à considérer dans le contexte général des vaccinations. Le sujet a été débattu au sein du Ministère, à la Direction générale de la Santé, où l'on s'est demandé s'il ne fallait pas, comme dans d'autres pays, abroger les obligations vaccinales. Très peu de vaccins sont obligatoires : le BCG, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite. Je ne parle pas bien sûr des obligations concernant les voyageurs, ou du cas particulier de la fièvre jaune en Guyane, ou encore des vaccins obligatoires pour les professionnels de la santé (hépatite B).

Les obligations vaccinales se justifient lorsqu'il est nécessaire de garantir une couverture vaccinale élevée, dans des situations de maladies redoutables avec des mortalités élevées. La première obligation a été, pour de nombreux pays, la variole qui fort heureusement a disparu maintenant, même si le virus persiste et qu'il peut exister une menace terroriste. Diphtérie, tétanos, poliomyélite, dont les vaccins sont arrivés dans les années 50, étaient des maladies courantes dans les familles et provoquaient une mortalité infantile élevée ou des séquelles (paralysies). Ces vaccinations n'étaient donc l'objet d'aucune hésitation dans les familles ni dans la classe politique, bien au contraire.

La vaccination par le BCG, rendue obligatoire assez tôt après la dernière guerre mondiale, a été très longue à se mettre en place, et se justifiait à l'époque par la mortalité très élevée des cas de tuberculose. La tuberculose terrorisait les familles, et dans ce contexte, l'obligation a été bien acceptée. La couverture vaccinale à 90 - 95 % ne s'est produite qu'après la généralisation du Monovax, dans les années 70 - 80.

Tous les vaccins récents n'ont jamais été obligatoires, même si certains rencontrent un vif succès - comme l'hémophylus influenzae, l'une des premières causes de méningites du nourrisson -, avec une couverture vaccinale dépassant largement 90 %, à l'exception cependant de la rougeole qui stagne. Ce succès s'explique grâce à l'obligation sur les autres vaccins, le pédiatre recommandant les vaccins non obligatoires en même temps que les vaccins obligatoires. De plus, tous les fabricants mélangent les vaccins recommandés dans l'ensemble des pays.

L'obligation vaccinale peut également avoir un effet délétère. Recommandée et obligatoire, la vaccination ne se fait jamais pour autant à 100 %, comme les statistiques le prouvent : tout le monde peut tourner la loi par des certificats de contre-indication, des faux certificats de vaccination. L'obligation n'entraîne pas toujours une meilleure couverture. Ainsi, l'analyse des luttes antivaccinales en Europe et aux Etats-Unis, qu'a menée un sociologue travaillant au Comité technique des vaccinations et du Conseil supérieur d'hygiène, établit clairement que l'obligation attise des luttes antivaccinales virulentes, alors que l'information et la conviction produisent d'excellents résultats : la levée d'une obligation permet parfois même d'améliorer la situation.

Peut-on abroger des obligations vaccinales ? La réponse est probablement positive si une information majeure des professionnels et des familles est menée : il faut prendre le temps de fournir les explications aux parents, disposer de moyens humains, financiers et surveiller attentivement la couverture vaccinale. Le ciblage du BCG vers les migrants, par exemple, deviendrait très difficile, puisqu'il n'est pas éthique en France d'établir un fichier spécifique des migrants.

Le tétanos, la diphtérie et la poliomyélite pourraient ne plus être obligatoires, puisque ces maladies ont presque disparu. Il faut cependant rappeler que le tétanos n'est pas une maladie transmissible : le réservoir est dans la terre. De même, des épidémies de diphtérie se déclarent encore, tout comme la poliomyélite qui connaît une nouvelle flambée en Afrique, notamment au Nigéria à la suite des événements politico-religieux que l'on sait.

Il nous est reproché d'être retardataires en la matière, alors que dans certains pays nordiques ou aux États-Unis les vaccins ne sont plus obligatoires. Dans les faits, force est de constater que ce débat est faussé. Aux États-Unis, l'état fédéral n'impose pas en effet la vaccination, mais le président de l'université ou la directrice d'école l'exigent.

L'abrogation de l'obligation exigerait une information importante. De nombreuses consultations de prévention sont maintenant prévues dans le cadre juridique pour garantir un échange réel entre les médecins et les parents sur la balance bénéfices-risques des vaccins ; à mon sens, le refus de vaccination de la part du médecin ou des parents devrait être clairement notifié dans le carnet de santé, documenté et signé, dans une démarche positive. Il est vrai que l'abolition des obligations vaccinales peut s'inscrire dans une démarche globale de démocratie sanitaire à laquelle je suis plutôt favorable.

Pour ce qui concerne le BCG en particulier, nous sommes dans une période où l'incidence globale est à la baisse : nous sommes en dessous des seuils de l'OMS pour envisager de lever la pression sur le BCG. Les traitements sont efficaces, malgré les cas de multi- ou d'ultrarésistance évoqués, qui, je l'espère, ne prendront pas d'ampleur en France.

En tout état de cause, le BCG ne peut éliminer la tuberculose en France à lui seul. La République française semble s'être cachée derrière ce vaccin qui affichait une certaine activité contre la tuberculose, tout en se voilant la face sur les carences de la lutte antituberculeuse. La décentralisation a accentué ce phénomène : certains départements ne s'estimant plus concernés par la tuberculose ont fermé des dispensaires, attendu que les infirmières partent à la retraite et que les camions radio rouillent pour les jeter... Une chute dans la lutte tuberculeuse s'est produite, alors même qu'un rebond de la maladie se produisait avec le sida. Une mobilisation générale a arrêté la tendance, mais depuis plusieurs années nous disons, avec l'Académie, qu'il est nécessaire de renforcer la lutte par d'autres moyens que le BCG.

Jusqu'à l'année dernière, le BCG ne gênait personne grâce à la facilité d'utilisation de la bague, bien acceptée par tous les médecins généralistes. Nous avions anticipé de quelques années sa disparition, en l'évoquant au Conseil supérieur d'hygiène et en demandant l'expertise collective de l'Inserm ; de plus, l'Académie de médecine a fait connaître son avis à la même période.

Le Ministre a écouté nos recommandations de mettre en place d'urgence un plan national de lutte contre la tuberculose : nous espérons qu'il l'annoncera prochainement. Le travail du Comité de pilotage se révèle donc positif.

Le plan doit donc être opérationnel avant d'envisager l'arrêt du BCG. La loi de recentralisation l'organise désormais également au niveau de chaque département. Il s'agissait pour nous d'éviter le scénario suédois où les médecins, estimant qu'il n'était pas politiquement correct de cibler les migrants, avaient complètement arrêté le BCG, avant qu'un plan de lutte antituberculeuse n'ait été organisé : une recrudescence de la tuberculose s'en était suivie...

Nous nous sommes prononcés favorablement sur le ciblage. Les aspects éthiques, qui seront développés ultérieurement, ont été importants dans la décision. Après l'audition publique de la société nationale française de santé publique, et au vu de ses conclusions de janvier, nous devons rendre notre avis sur le BCG avant le 14 mars, date de la disparition du Conseil supérieur d'hygiène remplacé par le Haut conseil de la santé publique.

Nous nous orientons vers une recommandation forte pour les populations visées dans les avis précédents : les migrants, les Français autochtones voyageant dans les pays à risque, ou ceux qui ont eu des antécédents tuberculeux dans la famille, certaines situations de précarité. Nous avons tenu compte de la discussion qui s'est produite lors de l'audition publique et notamment la recommandation pour les régions à incidence élevée (Ile-de-France et Guyane).

L'audition publique a émis un avis favorable, comme le Conseil supérieur de l'hygiène l'avait demandé l'année dernière, pour la levée de l'obligation. Cependant, la société française a souhaité que l'obligation soit maintenue en Guyane française et abolie dans les autres départements. Une telle demande semble difficile compte tenu des données purement épidémiologiques, d'autant que, comme le soulignait M. Gentilini, certains quartiers du XVIIIe à Paris ont la même incidence que la Guyane ... À mon sens, si l'obligation est levée, autant la lever partout ; les médecins guyanais sont suffisamment mobilisés, et je ne pense pas que l'obligation règle le problème de la couverture vaccinale en Guyane.

Par ailleurs, nous ne pourrons pas rendre d'avis le 13 mars sur l'obligation concernant les professionnels de santé et certaines autres professions prévues par la loi (ambulanciers, etc.). Nous avons besoin d'y réfléchir davantage, avec la Médecine du travail, sachant que l'efficacité de la vaccination chez l'adulte n'est pas démontrée : là aussi, nous nous orientons vers la recommandation d'abolir l'obligation vaccinale, avec le maintien éventuel d'une recommandation forte si besoin est.

En conclusion, nous serions d'accord pour une levée vaccinale. Après les avis finalisés du Conseil supérieur d'hygiène sur le BCG, il faudra définir la stratégie nationale de lutte contre la tuberculose, et il devient urgent que ce plan national soit annoncé.

Par ailleurs, si la vaccination se fait sur des populations ciblées, elle se fera de plus en plus dès la naissance ou le premier mois de vie. De ce point de vue, les maternités ont un rôle important à jouer, bien que les obstétriciens aient récemment déclaré qu'ils ne voulaient pas prendre la vaccination en charge et que les sages-femmes ne souhaitent pas vacciner, même si elles en ont le droit depuis quelques années. Les pédiatres, dont le nombre chute en France, ont de moins en moins de temps pour leur visite en maternité... L'idéal serait que la vaccination soit faite à la maternité, d'autant que si l'obligation est levée à l'entrée à la crèche ou à l'école, la couverture vaccinale sera très difficile à surveiller dans les populations à risque. Les Anglais, qui se sont orientés vers le ciblage, ont résolu le problème en formant des infirmières à la pratique des intradermiques sur prescription médicale, comme la loi l'autorise également en France.

M. Jean-Pierre DOOR : Une loi transposant une directive européenne a été votée dans les deux chambres, il y a une quinzaine de jours, relative à la politique européenne des médicaments. Peut-on rêver de voir adopter un jour une directive européenne de politique vaccinale consensuelle ?

Professeur Christian PERRONNE : Je rêve depuis quelques années de rapprochements entre les politiques de la vaccination en Europe, mais il ne faudrait pas s'engager dans une politique monolithique. L'épidémiologie peut varier d'un pays à l'autre et justifier des calendriers vaccinaux différents : les Anglais, par exemple, ont compté 8 fois plus de cas de méningites à méningocoques qu'en France. Dans un premier temps, un meilleur échange des politiques et des informations pourrait se faire par un site Internet et conduire à terme à une harmonisation. En tout état de cause, les pays européens n'accepteront pas une politique uniforme qui provoquerait des affrontements : ils voudront garder leurs prérogatives en la matière.

M. Jean-Pierre DOOR : Le Professeur GENTILINI va intervenir maintenant pour évoquer le point de vue de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) dont il est membre, au sujet du ciblage qui a suscité tant d'interrogations.

Une politique de lutte ciblée sur des populations
peut-elle être mise en place ?

Le point de vue de la HALDE

Professeur Marc GENTILINI, Rapporteur de l'avis de la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) : Je représente ici la HALDE, mais ne la préside pas. La HALDE est un collège de onze membres dont le Président, nommé par le Président de la République, est Monsieur Louis SCHWEITZER. Je suis le seul médecin de ce groupe restreint dont les débats vont au-delà des aspects médicaux, même s'il est question, comme ici, d'un problème médical.

En mai 2006, le Directeur général de la Santé a saisi la Haute autorité en lui demandant de se prononcer sur le caractère discriminatoire ou non d'un ciblage sur les groupes à risque de l'administration du vaccin BCG. La Haute autorité, qui a des moyens, mais ne peut faire la loi pour autant, s'est prononcée, et a clairement dit qu'elle ne considérait pas comme discriminatoires la vaccination et le dépistage ciblés de certaines populations, notamment en fonction de leur origine géographique.

Après discussions, - et Alain GRIMFELD me pardonnera de me répéter -, la Haute autorité qui, dans le domaine de la discrimination a plutôt tendance, selon certains, à pécher par excès, a exprimé un accord unanime. Après avoir pris connaissance des rapports du Conseil supérieur d'hygiène publique, de l'Académie nationale de Médecine, et quelques jours auparavant, celui du Comité consultatif national d'éthique, nous avons considéré qu'il n'y avait pas de caractère discriminatoire à faire un dépistage et une vaccination ciblés.

Ce verdict est clair : nous ne pouvons pas nous abriter derrière la peur d'être accusés de discrimination pour prendre une décision concernant les groupes à risque. C'est un problème de santé publique ; ce n'est pas un problème concernant la discrimination. La question pourrait se poser de savoir s'il n'y aurait pas discrimination à imposer à la grande majorité de la population une vaccination au résultat aléatoire et d'indication également aléatoire, pour être sûr que le groupe à risque soit bien vacciné.

La position de la HALDE est donc simple et précise. Je vous la rapporte telle qu'elle a été consignée ; pas de caractère discriminatoire à une vaccination ciblée.

J'ajouterai qu'en tant que membre de l'Académie de Médecine, je me suis appuyé sur les 2 collègues que nous avons entendus, et en particulier sur le travail que m'avait remis Pierre BEGUÉ, pour fournir indications et informations à la HALDE.

Par ailleurs, je pense que si l'Académie de Médecine avait entendu ce qu'a dit le Directeur général de la Santé ce matin, elle serait certainement rassurée, et conviendrait que la condition qu'elle avait mise à la levée du caractère obligatoire de la vaccination par le BCG était acquise dans le plan annoncé, qui, je l'espère avec Monsieur PERONNE, sera promu avant la fin de la législature. Je n'ai donc pas d'avis personnel à émettre, et c'est préférable pour tout le monde : j'en ai un, mais le garderai pour moi.

Le constat

Docteur Marc WLUCZKA, Chef du service de santé publique de l'ANAEM (Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations) : Je me heurte à une difficulté particulière et ne peux pas vraiment donner une opinion raisonnable et objective sur ce sujet. En effet, par définition, le service dont je m'occupe fait de la lutte ciblée, et ne s'occupe que d'une population ciblée. À cette réserve près, je peux donc donner une opinion : celle de la mise en application sur le terrain de cette stratégie définie par voie réglementaire - l'arrêté du 6 juillet 1999 suivi de l'arrêté du 11 janvier 2006 -, qui a d'ailleurs singulièrement simplifié et rendu plus opérationnelle la lutte contre la tuberculose auprès des populations migrantes que nous prenons en charge.

Quelles sont, en premier lieu, les populations migrantes prises en charge par mon service qui est l'une des directions de l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations ?

Elles sont, par définition, constituées des migrants légaux. En effet, lorsqu'une personne se présente dans notre service, elle a déjà son titre de séjour ; cela exclut donc toute l'immigration irrégulière.

Ce premier point doit cependant être légèrement nuancé, car nous avons pris également en charge, depuis 2004, la supervision sanitaire du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, c'est-à-dire les 6 000 à 6 500 personnes des Centres d'accueil pour demandeurs d'asile, et des Centres provisoires d'hébergement. C'est une partie minoritaire de la population des demandeurs d'asile et des réfugiés, qui deviennent vraiment réfugiés quand ils sortent par le haut de ce dispositif. Néanmoins, cette responsabilité constitue pour nous une interface avec une partie de l'immigration qui, sans être irrégulière, est dans une situation intermédiaire. De ce point de vue, j'ai remarqué, en comparant l'état de santé des migrants réguliers à celui des migrants en partie réguliers et en partie irréguliers que sont les demandeurs d'asile, qu'il existe une échelle dans la qualité de la santé entre les uns et les autres : la santé des migrants réguliers est moins bonne que celle de la population en général, mais meilleure que celle des demandeurs d'asile pris en charge dans le dispositif. On peut raisonnablement en exciper que celle des migrants qui ne sont pas pris en charge dans le dispositif doit être moins bonne encore, et que la santé de ceux qui ne sont pas pris du tout en charge doit être la plus mauvaise de toutes.

Sur la question de la tuberculose, la réglementation antérieure était marquée d'une redoutable ambiguïté. Si l'on avait dû suivre l'arrêté de 1999 à la lettre, dès lors que le diagnostic de tuberculose évolutive et contagieuse était posé, il aurait fallu refuser le titre de séjour à la personne, et suivre les dispositions réglementaires antérieures. Après une étude des textes, j'ai constaté que les réglementations remontant à 1984 avaient simplement été copiées/collées et que cette disposition avait toujours été reprise.

Lorsque, avec la Direction générale de la santé et la Direction de la population et des migrations, nous avons mis en route le chantier d'un nouvel arrêté, nous avons donc supprimé cette obligation. Je tiens à vous préciser - du moins depuis que j'ai été nommé médecin-chef de cette agence -, que cette disposition n'a jamais été mise en application : nous n'avons jamais refusé un titre de séjour à quelqu'un pour la simple raison qu'il était porteur d'une tuberculose évolutive et contagieuse. Tout le monde comprendra, comme je l'ai lu quelque part, que nul n'est obligé d'observer un règlement, quand il est idiot. Et celui-ci était particulièrement idiot et contre-productif en termes de santé publique !

Il m'est toutefois arrivé de constater, sans donc l'avoir vraiment décidé, que je ne pouvais laisser une personne obtenir son titre de séjour, car malgré un diagnostic de tuberculose évolutive et contagieuse, elle refusait de se soigner. Cette situation est différente de celle prévue par le texte de l'arrêté de 1999. Elle figure désormais dans le texte de l'arrêté de 2006 : une personne souffrant d'une tuberculose évolutive et contagieuse et refusant de se soigner peut se voir refuser son titre de séjour pour des raisons médicales. C'est une mesure très forte pour les personnes concernées, « l'arme atomique »... Il en va de même pour les maladies mentales présentant un risque de dangerosité. Ce sont là les 2 seules situations de refus. Je tiens à préciser cependant que sur les 200 000 personnes que nous voyons par an, ces situations sont extrêmement rares : une seule main suffit à les compter ! Lorsqu'elles se produisent, nous sommes particulièrement embarrassés, car il faut beaucoup de temps pour les résoudre.

Je voulais également vous faire part de la situation que nous avons dû gérer, il y a 2 semaines, dans cette partie de la Meurthe-et-Moselle, pleine de carcasses d'usines et d'anciens foyers de travailleurs migrants reconvertis pour la plupart en CADA (Centre d'accueil des demandeurs d'asile). Un directeur me signale un cas de tuberculose dans son centre. Dans tout foyer d'hébergement, sont entassés et se côtoient non seulement des migrants, mais aussi des personnes qui sortent de prison ou d'institutions psychiatriques, etc. La peur de devoir faire face, comme il y a quelques années, à 200 cas de tuberculose en l'espace de quelques semaines est toujours présente à l'esprit au sein de l'agence : c'est une situation qui exige la plus grande vigilance.

J'ai appris avec stupéfaction que cette personne séjournait là depuis 6 mois avec sa tuberculose contagieuse, sans qu'aucun dépistage ait été effectué dans l'entourage. Une convention avec un hôpital du nord du département existe pourtant pour assurer la prévention et les enquêtes auprès des familles ; mais l'hôpital, n'ayant pas reçu sa dotation de la DDASS, ne l'avait pas fait. Une fois le diagnostic posé, le malade avait reçu un traitement et un masque, avec la recommandation de ne pas sortir de chez lui ; portant ou non son masque, il avait reçu dans le CADA la visite de ses compatriotes ... Je vous laisse imaginer notre panique, lorsque nous l'avons appris ! Nous avons dépisté 2 cas secondaires, et réussi à contrôler la situation.

Voilà l'illustration de la lutte contre la tuberculose que mène un service opérationnel, sur le plan pratique. De tels incidents - car ce n'est qu'un incident - se produisent régulièrement. Nous recevons environ 150 cas de tuberculose évolutive par an, soit 2 à 3 cas par semaine, et il est important de connaître l'historique, car la personne a séjourné dans la salle d'attente, a été en contact avec d'autres personnes et avec le personnel.

La question des procédures à mettre en place avec les services de lutte contre la tuberculose, et des enquêtes autour d'un cas est désormais résolue. Néanmoins, ces situations restent complexes à gérer sur le plan pratique.

Les grands départements ne posent pas de réelles difficultés, et je me félicite de notre collaboration avec le département de Paris et ceux de la région Île-de-France. D'autres n'ont pas l'habitude de gérer ce genre de problème, et des quiproquos parfois difficiles peuvent survenir. Ainsi, une personne originaire d'Eure-et-Loir, soupçonnée de tuberculose évolutive, qui nous avait été envoyée dans le cadre des missions de l'hôpital, a reçu une note conséquente à payer !

Nous perdons un temps précieux à résoudre ces problèmes, qui, au quotidien, empoisonnent en permanence la vie d'un service opérationnel.

Nous avons le sentiment d'agir en première ligne pour lutter contre un problème sévère, mais il existe un décalage permanent entre ce que les dispositifs prévoient et ce qui est effectivement mis en œuvre en aval de notre action. L'information est passée, mais n'a pas été intégrée par certains services administratifs, financiers, voire même, dans le cas de la Meurthe-et-Moselle, par certains services hospitaliers.

Que pouvons-nous faire pour ces populations, et quelle est notre position vis-à-vis des questions d'obligation vaccinale et de l'IDR (Intra dermo Réaction) ?

Depuis l'arrêté, nous sommes tenus de prescrire l'IDR à tous les enfants de moins de 15 ans. Cette population est peu importante, et nous traitons, à une écrasante majorité, des adultes jeunes de 20 à 40 ans.

Ne voyant qu'une seule fois des personnes qui viennent de loin, nous ne pouvons malheureusement pas faire les IDR nous-mêmes, et les reconvoquer 3 jours plus tard. Nous sommes donc contraints de prescrire l'IDR, et de mettre en place une procédure avec les services du département. Lorsque la reconcentration a été bien faite et que le service est simplement transféré du département à l'État, la situation est simple et facile. En revanche, lorsqu'un hôpital s'en charge, certains problèmes peuvent se poser, car envoyer un enfant à l'hôpital pour une IDR n'est pas toujours simple à organiser.

Nous pensons parfois qu'il serait préférable qu'un médecin généraliste, un pédiatre ou un pneumologue - quand ils existent encore - en soient chargés. Force est de constater cependant, comme vous l'avez évoqué précédemment, qu'il n'est pas toujours simple de trouver les médecins généralistes ou les pédiatres qui savent faire des IDR, ou acceptent de les faire, en arguant de problèmes de technique ou de responsabilité. Néanmoins, nous réussissons à gérer les IDR chez les moins de 15 ans.

Pour les autres, nous vérifions le statut vaccinal, et recueillons leur déclaration. Les personnes ne savent pas toujours si elles ont eu le BCG, et l'interprétation d'une cicatrice n'est pas chose facile : elle peut ressembler à une blessure par balle, car je parle là des réfugiés qui ont vécu des situations difficiles. Le taux d'ignorance est donc assez conséquent.

Pour les vaccinations comme le DTP (Diphtérie, Tétanos, Poliomyélite), cela a peu d'importance : la vaccination peut être refaite à son début sans porter à conséquence. En revanche, la question de l'utilité ou de l'efficacité du BCG pour un adulte se pose toujours.

Pour conclure, je rappellerais que je dirige un service de première ligne, et j'aimerais que vous puissiez retenir la recommandation majeure qui ressort de vos précédentes auditions : tout migrant devrait se voir offrir une seconde visite médicale. Vous le savez sans doute : la première année est la période où de nombreuses pathologies apparaissent. Il faudra sans doute passer par la voie réglementaire pour mettre cette recommandation en place.

M. Jean-Pierre DOOR : Comment se décline l'agence nationale dans les départements ?

Docteur Marc WLUCZKA : Nous sommes en pleine réorganisation. Il y aura au moins une délégation par région, voire davantage dans certaines régions.

M. Jean-Pierre DOOR : Pour le moment tout est centralisé...

Docteur Marc WLUCZKA : Non, la décentralisation a déjà eu lieu, mais les délégations de compétences n'étaient pas faites : désormais ce sera très déconcentré.

Le point de vue du Comité national d'éthique

Professeur Alain GRIMFELD, Rapporteur de l'avis du Comité consultatif nationale d'éthique (CCNE) sur le dépistage de la tuberculose et la vaccination par le BCG : Madame la Sénatrice, Monsieur le Député, merci d'avoir permis au Comité consultatif national d'éthique de s'exprimer sur ce sujet de la lutte contre la tuberculose. Comme Marc GENTILINI je vous ferai part des résultats des réflexions de ce comité sans autre commentaire.

Le 11 janvier 2006, date de promulgation de l'arrêté dont il vient d'être question, nous avons eu une saisine de la Direction générale de la Santé. Le libellé de la saisine était en résumé : suppression du caractère obligatoire et les questions de la vaccination généralisée par le BCG pour la réserver aux populations « à risque », dépistage systématique de la tuberculose par intradermoréaction à la tuberculine ciblée chez certains enfants en milieu scolaire, et dépistage systématique de la tuberculose par radiographie pulmonaire et intradermoréaction à la tuberculine à l'embauche de toute personne amenée à travailler au contact d'enfants concernés par la vaccination et ce dépistage.

D'emblée a donc émergé la question centrale posant un problème d'éthique : le ciblage de populations, d'enfants susceptibles de contracter la tuberculose et donc d'être vaccinés et dépistés en premier lieu, et de toute personne au contact de ces enfants.

Les bases de la réflexion éthique ont porté sur 4 points :

- Dans la situation actuelle de la tuberculose en France, est-il justifié de cibler d'une part des populations d'enfants plus susceptibles que d'autres de contracter la maladie pour leur réserver la vaccination et le dépistage, d'autre part des personnes-contacts pour leur faire bénéficier d'un programme particulier de dépistage ?

- Dans l'affirmative quels seront les critères de ciblage ?

- Si des réponses satisfaisantes éthiquement sont apportées aux questions précédentes, alors quand et comment vacciner, quand et comment dépister ?

- Est-il éthiquement acceptable de supprimer le caractère obligatoire de la vaccination généralisée par le BCG en France, pour ne la réserver qu'aux seules populations dites à risque ?

Ce dossier fait apparaître de manière exemplaire la nécessité dans une réflexion éthique de prendre en compte le contexte sociétal et socio-économique de la question posée : nous n'assimilons pas éthique et morale contemplative.

Je vous citerai les bases de nos réflexions qui ont déjà été évoquées précédemment.

I - La situation de la tuberculose en France

- Une incidence annuelle stable depuis 1997, autour de 9 pour 100 000 en moyenne, même si des progrès ont été fort heureusement accomplis, ce qui ne place pas notre pays parmi les meilleurs d'Europe.

- De fortes variations selon les populations. Incidence significativement plus élevée parmi les personnes vulnérables du fait de leurs conditions socio-économiques défavorables : migrants, précaires, immunodéprimés, et dans certaines régions à forte densité de population de France notamment, voire importants flux migratoires comme en Guyane, et inversement.

En première analyse, on pourrait estimer que la différence de risque de contracter la tuberculose entre populations vulnérables ainsi globalement définies et les autres en France, est suffisante pour que l'on cible les enfants de la première catégorie dans un programme de vaccination et uniquement la première.

Ce n'est pas prendre en compte un fait essentiel : ces populations ne sont pas isolées, pour ne pas dire « ghettoïsées », comme on pourrait l'imaginer de manière non éthique dans un plan expérimental, et la tendance actuelle est même de les intégrer dans une démarche d'entraide et de solidarité. Le risque de contamination entre différents types de populations reste donc grand, tant qu'une politique de lutte contre la tuberculose n'est pas mise en place à l'échelle de toute la population, et cela est particulièrement sensible dans les régions très urbanisées à forte densité d'individus.

Il deviendrait alors paradoxal de « cibler » le programme de vaccination par le BCG sur les seuls enfants estimés à risque, alors que leurs camarades estimés « non à risque », mais en contact avec les personnes contaminantes proches des premiers, à moins qu'on ne les isole - ce qui est éthiquement inacceptable -, n'auraient pu en bénéficier.

À ce stade de la réflexion et avant de poursuivre, certaines données ont été prises en compte :

- En France la vaccination par le BCG est encore obligatoire dans tous les cas avant 6 ans, et bien souvent exigée avant l'entrée en crèche.

- Le taux de couverture vaccinale était jusqu'à présent excellent : 84 % à 2 ans, et 95 % à 6 ans, ce qui présupposait que les gens étaient acquis à cette vaccination et qu'elle était réellement effectuée.

- Cependant, l'efficacité de la vaccination n'est pas uniforme. Non discutée dans la prévention des formes graves de tuberculose méningite et miliaire, elle ne prévient que 50 % - mais 50 % quand même -, des formes dites communes, pulmonaires et extra pulmonaires, ce qui justifie, comme la représentante de Guyane le demandait, le fait qu'à forte incidence de tuberculose, on veuille quand même maintenir la vaccination.

- Jusqu'en 2005, la vaccination en France pouvait se faire grâce à la souche Mérieux administrée par une technique dite de bague multiponcture facile à effectuer et pratiquement sans effet secondaire. Depuis, la seule souche disponible est danoise. Le BCG ainsi administrable l'est uniquement par voie intradermique, plus délicate, et pourvoyeuse d'effets secondaires locaux régionaux, mais dans une proportion autour de 3 % à 3 pour 1 000 selon les études, les pays et surtout la qualité de la technique et l'âge des enfants, d'autant plus fréquents que les vaccinants sont moins entraînés et les vaccinés plus jeunes, âgés de moins de 6 mois. Cependant, il est difficile, maintenant, de comparer l'efficacité des deux techniques. Il faut bien dire que cette modification de pratique a été l'une des causes majeures de relance du débat sur l'obligation vaccinale.

- Quant aux dépistages de la tuberculose, ils se font, de même que le premier élément, le diagnostic de la maladie, sur l'analyse de la réaction à l'injection, elle aussi intradermique, de tuberculine standardisée : le Tubertest. Sans entrer dans les détails, certains contestent la validité de ce test, notamment quant à son pouvoir discriminant entre témoin d'une efficacité de la vaccination, et dépistage d'une tuberculose-infection. Le reproche majeur qui peut être fait, dans l'ensemble, à cette approche est qu'elle ne tient pas compte des protocoles d'étude, et notamment des moments où sont effectués ces tests, par rapport à la date de la vaccination et/ou à l'histoire de l'infection.

- Les rapports récents font état de l'arrivée en Europe de cas de tuberculose à bacilles multirésistants. Or, que l'on sache actuellement, selon les spécialistes de la question, en particulier les bactériologistes, le BCG pourrait prévenir aussi bien les tuberculoses à BK (bacille de Koch) normaux résistants que multirésistants.

II - Comment définir les critères de ciblage ?

D'après ce qui a été dit précédemment, ils sont pour certains assez simples et décrits par ailleurs dans les publications que ceux-ci ont fait paraître, ou qu'ont fait paraître certaines équipes de pays déjà cités où ce ciblage est pratiqué.

Les paramètres essentiels sont le statut socio-économique et immunitaire, sachant que pour ce dernier point, certaines personnes déficientes risquent particulièrement de contracter et de disséminer la maladie. Elles ne peuvent évidemment bénéficier de la vaccination par le BCG qui est un vaccin vivant.

C'est dans ce cadre qu'a été soulevée la question d'une possible discrimination de ces populations cibles estimées à risque pour elles-mêmes, mais aussi pour les populations voisines, et ainsi d'une possible stigmatisation de ces populations qui sont en fait les plus vulnérables.

Le problème est évidemment beaucoup plus simple pour ce qui concerne la manœuvre de ciblage des populations exposées professionnellement au contact d'enfants à risque. C'est, pour répondre à la saisine, une question de fond qui reste ici posée. En effet, les enfants atteints de tuberculose sont rarement les sources de contamination, à la différence des adolescents et surtout des adultes. Il s'agit donc là de dépister les adultes porteurs de tuberculose occulte, avant qu'ils ne contaminent les enfants cibles en situation de vulnérabilité, ce qui ne pose pas vraiment de problème.

On distingue ici le caractère quelque peu artificiel, pour ne pas dire théorique, du ciblage, qui considère, de fait, les populations d'enfants « non à risque » comme pratiquement exemptes de risque de contamination, et cela, par principe.

III - Si le ciblage est adopté, quand et comment vacciner ? Quand et comment dépister ?

Il est licite de vacciner le plus tôt possible à la maternité où lors de l'entrée en crèche, et chez les enfants vaccinés il est recommandé de faire, dans les 2 à 3 mois qui suivent, un test tuberculinique par voie intradermique.

La discussion qui s'est développée pour savoir si le test pratiqué à ce moment reflète ou non l'immunisation effective par le vaccin n'a, à notre avis, aucun sens.

L'objectif est de savoir si l'ensemble « vaccination et test positif » peut être différencié dans les premiers mois de la vie, d'une positivation liée à une tuberculose-infection, avant la mise au point de tests sériques, actuellement encore à l'étude, qui seraient discriminants entre positivité liée à une vaccination par le BCG efficiente, - faite et efficace -, et une tuberculose maladie.

Quant au dépistage par test tuberculinique intradermique - le seul validé dorénavant -, rien n'est totalement défini ; mais il est licite de recommander sa pratique une fois par an, notamment chez les enfants qui n'auraient pas été vaccinés avant 6 ans - le mieux serait en milieu scolaire.

À ce stade de la réflexion, si tout ce qui vient d'être exposé ne s'adresse qu'aux enfants cibles, et en dehors de toute considération de discrimination, force est de relever le caractère incongru de ce programme qui, dans l'état actuel de la politique de lutte contre la tuberculose en France, sans vouloir péjorer le problème, et du fonctionnement actuel de notre société, considérerait les enfants non cibles comme majoritairement exempts de risque de contamination.

IV - Est-il finalement éthiquement acceptable de supprimer le caractère obligatoire de la vaccination généralisée par le BCG, pour ne la réserver qu'aux populations à risque que l'on aura ciblées ?

Supprimer le caractère obligatoire ne signifie pas supprimer la vaccination elle-même. Nous l'avons certes bien compris, mais quelle signification donne-t-on alors à ne la réserver qu'aux populations à risque ?

Pour ces populations-là, il n'y aurait pas grand choix ; il leur appartiendrait de bien comprendre que l'acceptation dans leur groupe ciblé de la vaccination serait dans leur intérêt, certes, mais aussi dans celui du reste de la population : vaccinons ces populations pour protéger le reste de la population.

Des études ont en effet montré que l'arrêt de la vaccination au sein de ces populations entraînait non seulement un accroissement d'incidence chez elles, mais également dans le reste de la population, accroissement qu'il était difficile pour le moins de réfréner par la suite. Comment ne pas parler alors de stigmatisation ?

Supprimer la généralisation de la vaccination antituberculeuse ne signifie pas qu'elle disparaisse totalement, mais qu'elle soit en quelque sorte choisie en fonction de chaque cas, et c'est effectivement ce qui devrait être retenu : une vaccination choisie, décidée entre la famille et l'acteur de soins - médecin ou infirmière -, et bien comprise, notamment quant à son efficacité. Cela demande du dialogue, du temps et des moyens humains.

À ce propos, certains qualifient la vaccination par le BCG de vaccination égoïste, ne protégeant que l'enfant vacciné peu contaminateur, par opposition aux vaccinations dites altruistes, protégeant aussi le reste de la population, notamment pédiatrique, d'une contamination par le sujet vacciné, telle que la vaccination antipneumococcique contre les infections pneumococciques invasives par exemple.

Cette distinction n'a rien d'éthique, car d'une part, la médecine est d'abord au service de l'individu en péril avant d'être au service de la société, et d'autre part, comment faire comprendre l'intérêt de réserver une vaccination égoïste à des populations à risque, sans que le reste de la population puisse aussi en bénéficier ?

Enfin, tout cela doit être mis en perspective sans catastrophisme et avec lucidité, avec l'annonce de l'arrivée à nos portes de cas de tuberculoses BK résistants.

Les recommandations du CCNE

Sans citer ici toutes les recommandations, c'est en suivant cette démarche que le CCNE a finalement émis, en réponse à la saisine du Directeur général de la Santé, dix recommandations qui sont détaillées par ailleurs, mais dont l'essentiel repose sur :

- La plus grande prudence quant à la suppression du caractère obligatoire de la vaccination généralisée par le BCG, avant que ne soit atteint en France le niveau d'incidence recommandé par l'Union internationale de lutte contre la tuberculose, soit 5 pour 100 000.

- Le développement d'une politique efficiente et évaluée de dépistage et de lutte contre la tuberculose dans notre pays, pour l'ensemble de la population au sein de laquelle une attention particulière sera réservée aux populations vulnérables sans ciblage : une politique généralisée, avec un ciblage, qui a cette fois-ci un sens au plan éthique, pour les populations les plus vulnérables.

- La facilitation de l'accès aux soins et au dépistage de la tuberculose pour les plus démunis, avec la création de structures de soins anonymes et gratuits à l'instar de ce qui est fait pour le VIH.

- Enfin, pour y parvenir, le choix des moyens, notamment pour ce qui concerne la formation des médecins en général, et le renforcement de la médecine scolaire en particulier.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci pour la richesse de cet exposé. Tous les mots ont un sens au Comité consultatif national d'éthique, comme nous le savons. Nous relirons votre procès-verbal avec attention.

Nous allons demander le point de vue du juriste à Monsieur DUPRAT.

Le point de vue des juristes

Professeur Jean-Pierre DUPRAT, Université de Bordeaux IV : Je n'ai évidemment pas un avis de nature médicale. Néanmoins, ayant à côtoyer de manière habituelle les praticiens, puisque je préside également le Comité de protection de personnes de Bordeaux, je suis amené fort heureusement à travailler avec eux et avec d'autres représentants de professions concernées.

De retour de Grande-Bretagne, j'ai effectué avant mon départ, une petite enquête très pragmatique, sans caractère scientifique, en sollicitant l'avis de professeurs de médecine ou de praticiens hospitaliers, ainsi d'ailleurs que d'assistantes sociales qui sont confrontées à ces problèmes.

Chez les uns comme chez les autres, j'ai été très surpris de rencontrer une attitude assez prudente, voire assez réservée, face à la perspective d'une suppression de l'obligation vaccinale du BCG. Tous les praticiens que j'ai pu contacter m'ont alerté et informé sur des cas qui s'étaient déclarés au sein de l'hôpital, notamment parmi les personnels administratifs et aussi probablement médicaux.

On m'a cité une anecdote qui a sa signification. Au sein de l'animalerie, la contamination d'un singe n'a pu être provoquée que par un membre de l'équipe médicale : cet événement a été matière à interrogation pour les praticiens et leur a posé problème. Sur ce terrain-là, le personnel de l'hôpital est très conscient des risques de contamination qui peuvent se produire en interne : il faut donc être prudent pour aborder ces problèmes.

Un deuxième aspect m'a été souligné. Certes, les contaminations venant d'enfants de milieux défavorisés à d'autres qui n'en viendraient pas peuvent être évoquées. Il semble cependant que les choses sont beaucoup plus complexes, et qu'il existe un risque d'échange entre les enfants, quel que soit par ailleurs le milieu social. Là encore, il faut rester prudent lorsque l'on évoque cette question, du moins pour les enfants.

À titre personnel, j'ajouterais que, lorsque l'on évoque des comparaisons internationales, et ceci a été souligné du point de vue de la situation juridique des états considérés, la décision n'émane pas nécessairement d'un État centralisé, mais peut, au contraire, être extrêmement décentralisée. L'absence apparente d'encadrement juridique est parfois trompeuse : en effet, soit des comtés par exemple, soit des institutions à caractère privé, peuvent rendre obligatoires ces vaccinations.

De plus, en établissant la distinction entre obligatoire et recommandé, il ne faut pas oublier que, dans des pays où le comportement social est plus civique ou plus grégaire, une recommandation, dès lors qu'elle est formulée par une autorité, est ressentie comme étant une obligation.

Ensuite, je voudrais évoquer, dans le débat actuel, le risque - que je qualifierais sans caractère péjoratif -, de corporatisme : il ne faudrait pas tirer argument du fait que le corps médical concerné - ou une partie de celui-ci -, ne sait pas réaliser la vaccination dans des conditions nouvelles, pour justifier l'abrogation de l'obligation vaccinale. Cette situation purement instrumentale ne doit pas revêtir une dimension causale dans la décision à prendre.

D'autre part, les praticiens respectueux de leurs obligations déontologiques ne manquent pas de rappeler à leurs patients que s'ils ne peuvent pratiquer eux-mêmes cet acte, ils peuvent les diriger vers les centres agréés où travaille du personnel compétent. La solution envisagée ici, du recours à l'infirmière, me paraît tout à fait adéquate, à condition qu'elle reçoive la formation nécessaire pour accomplir cet acte : il n'y a, à mon sens, aucune difficulté. Cette solution avait été évoquée au cours des travaux qui ont conduit au rapport sur le risque épidémique, et nous allons certainement vers un transfert de compétence en direction du corps infirmier, comme d'autres pays.

Sur le fond, et du point de vue des conditions juridiques, il est évident qu'il y a pour l'État une obligation de mettre en œuvre les moyens qui assurent un niveau satisfaisant de protection de la santé, quelles que soient les catégories de personnes visées.

Les dispositions du 11e alinéa du préambule de 1946 sont suffisamment larges pour concerner l'ensemble des personnes, et par ailleurs les textes votés récemment, notamment en 2004, prennent en compte également la situation de personnes d'abord, et ensuite d'usagers du système de santé, sans se préoccuper de leur nationalité. Il y a là un substrat qui donne la possibilité à l'État de prendre les moyens appropriés pour assurer le niveau de protection de la personne.

Reste à ne pas introduire de discrimination entre les personnes auxquelles le corps médical va être confronté, à la fois pour des raisons déontologiques et éthiques, mais également pour des raisons juridiques. Il faut rappeler, à cet égard, l'importance que revêt la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui, malgré des dispositions extrêmement vagues, donne de plus en plus lieu à des interprétations extensives de la part de la Cour européenne. On pourrait très bien imaginer qu'une personne traitée de manière discriminatoire ou non conforme au respect de la dignité de la personne, pourrait être recevable dans la plainte qu'elle viendrait à formuler.

En outre, je soulignerai les situations probablement très difficiles à appréhender, matériellement et juridiquement, des migrants irréguliers. C'est la situation la plus difficile : en effet, il n'existe pas de filtre pour détecter les maladies qu'elles peuvent avoir, et ce n'est qu'à l'occasion de visites organisées, entre autres par des ONG, que cette situation extrêmement critique peut être diagnostiquée et accompagnée par les médecins qui se dévouent dans ces contextes-là. Il y a là incontestablement un problème : à vouloir trop encadrer, on risque parfois de laisser passer des problèmes de santé publique réels.

Sur le fond, je suis en accord aussi bien avec ce qui a été dit par l'Académie nationale de Médecine que par le Comité consultatif national d'éthique, dont j'ai lu le rapport. Il convient de ne pas abolir une obligation, sans qu'auparavant aient été mises en place les conditions efficaces et acceptables nécessaires pour que la maladie puisse donner lieu à traitement ou à prévention. Il ne s'agit donc pas de décider ex abrupto de l'abolition de l'obligation, sans qu'on ait mis en place un certain nombre de conditions. De ce point de vue, les conditions énoncées par le Comité consultatif national d'éthique sont, je le reconnais, assez exigeantes et certainement assez longues à mettre en œuvre en pratique de manière concrète.

Cela soulève le problème de l'articulation entre les différents niveaux d'action. Il faut, non pas exclure des acteurs, mais au contraire réaliser une meilleure coordination entre les acteurs concernés : le niveau régional paraît pertinent pour l'assurer, sans se dissimuler le fait que ces problèmes se trouvent être traités dans la proximité. Les départements ont donc toute leur place et une grande expérience dans ces domaines. Il serait regrettable de ne pas profiter des structures, des femmes et des hommes qui les font vivre, ainsi que de toute une tradition qui a été maintenue dans ce cadre. Une meilleure coordination doit être assurée au niveau régional, avec une action départementale qu'il me paraît nécessaire de maintenir.

Voilà les quelques observations que je voulais vous communiquer. Il revient aux experts de s'exprimer sur la situation médicale réelle. Du point de vue épidémiologique, d'après ce que j'ai lu au travers de travaux de l'INSERM, des progrès restent à accomplir dans la connaissance de la maladie, en raison du taux encore insuffisant de déclarations obligatoires des maladies : les informations dont nous disposons pour nous prononcer sont partiellement tronquées. Il nous faut améliorer également ces données, les mettre en relation avec d'autres informations, par exemple le VIH, pour nous éclairer sur les risques de propagation de la maladie.

Voilà les remarques qu'a suscitées pour moi cette matinée extrêmement intéressante, et je voudrais remercier à titre personnel tous les spécialistes qui sont intervenus pour éclairer le juriste que je suis.

M. Jean-Pierre DOOR : Merci Monsieur DUPRAT. Nous ne pouvions pas terminer cette réunion sans avoir l'avis de l'Institut Pasteur que Madame GICQUEL va nous présenter.

L'effort de recherche de l'Institut Pasteur

Mme Brigitte GICQUEL, Directrice de l'Unité de génétique mycobactérienne, à l'Institut Pasteur : Je vous parlerai essentiellement de la recherche sur la tuberculose. Nous avons surtout discuté aujourd'hui du BCG dont nous avons vu les limites quant à la protection qu'il confère contre la tuberculose de l'adulte. Nous avons aussi vu que la tuberculose est un problème majeur de santé publique au plan mondial. La contagion a lieu par aérosol, et en conséquence, n'importe qui peut être infecté et ensuite être malade.

Il reste donc beaucoup à faire au niveau de la recherche pour proposer un vaccin plus efficace que le BCG, pour disposer de médicaments permettant de raccourcir le traitement - dont nous avons vu qu'il était très long et très contraignant -, et de le rendre plus efficace, en particulier en cas de résistance aux antibiotiques utilisés habituellement.

Il faut aussi des outils, de nouveaux diagnostics pour dépister facilement et rapidement qui est infecté et qui est malade, afin d'offrir un traitement adapté le plus tôt possible.

La recherche s'oriente autour de 3 secteurs : les vaccins, les médicaments et le diagnostic qui font l'objet de programmes très actifs en France, à l'Institut Pasteur, au CNRS et à l'INSERM. Au cours des dernières années, les programmes européens ont permis au niveau français de fédérer la recherche en termes de vaccins, de diagnostics et de thérapeutiques.

Les nouveaux vaccins antituberculeux

J'aimerais souligner que la recherche de nouveaux vaccins antituberculeux a été très active au plan international et en France, où l'on dénombre 4 candidats vaccins, testés sur animaux de laboratoires, qui restent cependant à améliorer avant de commencer les essais cliniques chez l'homme.

Pour la première fois, certains de ces candidats vaccins, obtenus en France ou dans un autre pays européen, se sont avérés plus protecteurs que le BCG chez les animaux de laboratoire : c'est une très grande avancée qu'il convient de souligner.

La recherche a donc vraiment progressé au cours de ces 10 dernières années, et devrait livrer d'ici peu des produits réellement intéressants, si elle continue à être soutenue sur le plan financier.

Les nouveaux médicaments

La recherche de nouveaux médicaments concerne, par exemple, de nouveaux antibiotiques qui devraient venir des études de l'interaction des bacilles de la tuberculose avec des cellules de l'hôte, humaines ou d'animaux de laboratoire.

La compréhension de ces interactions entre bacilles et hôtes devrait permettre de connaître les composants des bacilles de la tuberculose qui jouent un rôle dans le développement de la maladie. Le but est ensuite de rechercher des molécules, capables d'empêcher l'action de ces composants du bacille qui jouent un rôle néfaste chez l'hôte infecté, le faisant basculer, par exemple, de l'infection à la maladie.

L'étude des interactions entre bacilles de la tuberculose et hôte doit aussi permettre de comprendre quelles sont les réponses de défense de l'hôte pour lutter efficacement contre le développement de la maladie. Ce sont ces réponses que l'on cherchera à stimuler en utilisant divers composés, et en particulier des composants purifiés des bacilles.

Aujourd'hui, cette étude des interactions entre les bacilles de la tuberculose et l'hôte est possible par différentes approches, et tout d'abord des approches génétiques qui permettent d'identifier les gènes des bacilles et leur fonction.

La connaissance du génome des bacilles de la tuberculose donne accès à la structure de tous les gènes du bacille et permet de faire des prédictions sur la structure des composants du bacille, d'en déterminer aussi la structure de façon précise, grâce à la purification de ces composants en utilisant, pour certains, les techniques du génie génétique.

Une fois purifiée, la structure de ces composants du bacille est déterminée au niveau atomique, puis des inhibiteurs capables de bloquer leur action sont prédits grâce à l'analyse de cette structure par les moyens de la biologie structurale.

Des inhibiteurs sont ensuite synthétisés chimiquement pour bloquer l'action des composants de virulence du bacille, et leur effet est testé sur des bacilles.

À ce jour, plusieurs molécules sont en cours de test. La résolution de la structure de composants importants du bacille a donc été résolue et nous en sommes à l'étape de criblage des inhibiteurs.

Le diagnostic rapide

Grâce aux progrès de la biologie moléculaire, des bacilles, même en très petite quantité, peuvent être détectés par l'amplification des gènes que l'on peut faire in vitro. Les technologies doivent être améliorées, afin de pouvoir les utiliser pour détecter rapidement les bacilles dans plusieurs cas de figure, et surtout dans les échantillons pathologiques, en priorité lorsqu'il s'agit de bacilles résistants aux antibiotiques. L'objectif est donc d'identifier et de détecter les résistances aux antibiotiques le plus rapidement possible, ces épidémies étant responsables de tuberculoses très mortelles en Afrique du Sud.

Dans ce panorama de la recherche, j'aimerais souligner l'une des spécificités de l'Institut Pasteur : son orientation « maladies infectieuses », et les possibilités de partenariat dont il dispose, grâce au réseau des Instituts Pasteur situés pour la plupart dans des pays en développement, qui sont les plus touchés. J'insisterai particulièrement sur l'utilité de ce lien entre les laboratoires de recherche des pays industrialisés et les centres de recherche et de santé des pays en développement : il permet de formuler les questions importantes, au moment d'entamer des programmes de recherche qui visent à mieux contrôler les maladies infectieuses affectant essentiellement ces pays.

La démarche d'associer les centres de recherche du Nord et du Sud - pour être rapide - est aussi importante que l'étape suivante qui va consister à tester de nouveaux vaccins et de nouveaux médicaments dans les pays en développement pour s'assurer de leur efficacité pour les populations qui en ont le plus besoin.

Définir les questions que l'on va poser à la recherche et mener cette recherche dans le cadre d'un partenariat, sont les objectifs pour, au final, tester les produits avec les populations qui en ont vraiment besoin et s'assurer de leur efficacité.

Aujourd'hui, les agences internationales de financement dans le secteur de la recherche soutiennent surtout le développement, et assez peu la découverte de nouveaux produits utiles. Cette première étape de découverte, avant le développement, est pourtant essentielle et trop souvent délaissée, trop souvent en souffrance : l'avenir quant à la découverte de nouveaux médicaments plus efficaces s'en trouve obscurci.

M. Jean-Pierre DOOR : Je voudrais très simplement vous remercier toutes et tous de vos interventions, et puisque nous sommes au Sénat, je demanderai à Marie-Christine BLANDIN de conclure en notre nom.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Pour reprendre un point abordé dans les premières interventions, avez-vous des déclinaisons particulières qui marquent une différence d'incidence entre hommes et femmes ?

Docteur Delphine ANTOINE : Pour la France, comme je l'ai indiqué, les cas déclarés de tuberculose en 2005 concernent à 60 % les hommes. L'incidence, d'une façon générale, est plus élevée chez les hommes, 11 pour 100 000, contre 7 pour 100 000 chez les femmes. Il faut cependant faire attention et regarder dans les parages. Ainsi, cette différence est très importante, par exemple, chez les personnes de plus de 80 ans, ce qui s'explique facilement : les hommes ont en général été plus exposés à la tuberculose que les femmes ; il y a 40 ans, ils travaillaient plus, avaient une vie sociale plus importante, étaient exposés à la guerre, etc. Des explications comme celles-ci sont donc à prendre en compte, mais, en général, les taux d'incidence sont plus élevés chez les hommes que chez les femmes.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Vous avez évoqué des pays qui ont depuis longtemps renoncé à la vaccination obligatoire. Avons-nous des modifications lisibles des taux d'incidence dans ces pays, suite à un changement de stratégie ?

Docteur Léopold BLANC : Aucune donnée au niveau international ne permet de dire que la suppression de la vaccination a entraîné une augmentation de la tuberculose dans le monde. Il y a des pays, je voudrais le souligner, qui n'ont jamais vacciné par le BCG, comme les États-Unis, et qui ont les mêmes taux qu'en Europe. Ceci doit être très clair, et des documents extrêmement bien établis à ce sujet ont été publiés par l'OMS.

Docteur Marc WLUCZKA : Il faut aussi se rapporter à une situation que nous connaissons bien : celle des pays dans lesquels la surveillance sanitaire s'est dégradée brutalement, bien que l'obligation vaccinale existe peut-être toujours sur le papier. Dans la réalité, le système sanitaire est devenu de si mauvaise qualité qu'elle n'est plus respectée, et tout particulièrement dans les pays de l'ex-Union soviétique.

Ce phénomène s'observe après un délai d'une dizaine d'années environ pour la tuberculose, correspondant à l'inertie du phénomène épidémique. En revanche, des maladies comme la diphtérie ont immédiatement réapparu, dès que le système s'est affaissé. Les Géorgiens, Azéris, Arméniens sont les populations les plus touchées par la tuberculose parmi les demandeurs d'asile originaires d'ex-Union soviétique et représentent la majorité des personnes qui sont dans les CADA.

De toute évidence, le phénomène est lié au fait que, même si l'obligation vaccinale existe toujours, il est impossible de la faire respecter. Comment faire en Tchétchénie, alors que les droits de l'homme eux-mêmes ne sont pas respectés ?

Sans aucun doute, lorsque la vaccination n'existe plus, la tuberculose réapparaît par flambée, mais avec un retard d'environ une dizaine d'années par rapport aux autres maladies.

Docteur Fadi ANTOUN : Je voudrais simplement préciser qu'à Paris, la tendance nationale est un peu plus accentuée, comme toujours. Nous avons eu en 2005, 69 % d'hommes tuberculeux et 4 % de moins de 15 ans, alors qu'il y a 3 ans nous avions 10 % de moins de 15 ans.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Madame LARNAUDIE a évoqué, au détour d'une phrase, les aiguilles livrées avec les vaccins qui n'étaient pas les mieux adaptées à la pratique de cette injection...

Mme Sylvie LARNAUDIE : Dans notre pratique, il est vrai que nous utilisons des aiguilles très petites et très fines qui nous conviennent bien. Celles qui sont encore livrées avec le pack de vaccin - mais cela va probablement changer -, ont un biseau un peu plus long et nous font passer plus facilement en voie sous-cutanée.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Pardonnez la curiosité du législateur : quand vous avez une observation très pratique de bon sens, d'expertise et d'usage finalement, comment faites-vous remonter la remarque pertinente pour qu'elle devienne opérationnelle ?

Mme Sylvie LARNAUDIE : On peut la faire remonter d'une manière informelle ; j'en avais fait part à Monsieur PERRONNE, qui lui-même a communiqué cette observation.

Mme Marie-Christine BLANDIN : D'une manière informelle ?

Mme Sylvie LARNAUDIE : Oui, on peut écrire aussi, bien sûr.

Professeur Christian PERRONNE : Grâce à Sylvie LARNAUDIE, j'en ai parlé au sein du Conseil supérieur d'hygiène. Ce point sera mentionné dans le prochain avis : sans préciser une marque d'aiguille, nous préconiserons d'utiliser des aiguilles ultra-fines, etc. Cette information est également remontée auprès de la Direction générale de SANOFI PASTEUR, dont le Président-directeur Général m'a dit qu'il était en train de travailler sur la modification de l'aiguille dans la boîte. Grâce à Sylvie LARNAUDIE, j'ai fait remonter le message et nous avons été écoutés.

Mme Marie-Christine BLANDIN : Y a-t-il des questions parmi les participants ? Je précise que nous n'entamons pas un débat ; ce sont des questions sur des informations que nous nous sommes mutuellement livrées et sur lesquelles il y aurait un point à éclaircir.

Docteur Marc WLUCZKA : Je voudrais rajouter un mot sur la question du ciblage dans le cadre de la tuberculose, et dire que nous n'allons pas être amenés à nous poser des questions sur ce sujet uniquement pour les populations d'immigrés.

Je dirais même que nous allons être amenés à nous poser de plus en plus la question du ciblage, au fur et à mesure que la santé des migrants va vraiment nous intéresser. Tel n'est pas le cas aujourd'hui en France, même pour les spécialistes en santé publique, comme on peut le constater par le peu de publications sur le sujet.

Nous travaillons sur deux autres types de ciblages.

L'OMS a observé actuellement une épidémie d'obésité dans le monde ; un dépistage ciblé du diabète a été organisé en se basant sur l'âge et l'indice de masse corporelle. Personne ne songerait à voir la moindre discrimination dans la recherche de diabète de type 2 principalement chez les gens qui ont le plus grand facteur de risque, à savoir les gens qui ont un excès de poids ...

Le deuxième domaine sur lequel j'essaie d'avancer notamment avec la ville de Paris qui est pilote en la matière, est la drépanocytose, première maladie génétique du monde, considérée en France comme une maladie orpheline. Je suis toujours effaré qu'une maladie qui touche 25 millions de personnes dans le monde soit qualifiée d'orpheline ! La drépanocytose est la première maladie dépistée, et il est très important de la dépister le plus tôt possible et notamment quand les personnes arrivent en France. Il faudrait pouvoir être en mesure de proposer un dépistage de cette maladie à toutes les personnes originaires des pays dans lesquels on sait, de façon sûre et certaine, que la maladie a une très forte incidence, déterminée notamment par les travaux du Professeur GALACTEROS dans ce qu'on appelle la zone 1 : l'Afrique Centrale - la zone 2 : la côte Atlantique de l'Afrique - la zone 3 : les Caraïbes qui comprennent d'ailleurs les départements français d'Amérique. Je ne peux imaginer qu'on puisse utilement et raisonnablement faire un dépistage autrement qu'en le ciblant par rapport à ces zones géographiques, car il n'y a aucun intérêt à le faire ailleurs.

D'autres maladies pourraient être soumises à la même problématique : les hémoglobinoses comme la thalassémie doivent être ciblées par rapport à certains pays, etc.

Il est intéressant que nous ayons avancé sur ce problème, mais je tiens à vous avertir: le problème se reposera dans le futur pour d'autres maladies et dans des termes que nous n'imaginons pas aujourd'hui.

Professeur Pierre BÉGUÉ : Vous me donnez précisément l'occasion de prendre l'exemple de la drépanocytose que je connais bien, ayant créé le groupe parisien et français de drépanocytose il y a plus de 20 ans à Paris.

Cette maladie peut en effet nous servir d'exemple : nous sommes arrivés à faire le dépistage néonatal de la drépanocytose dans tous les services de nouveaux nés en France depuis une dizaine d'années. Qui nous a aidés ? Les associations de parents, qui étaient partie prenante pour proposer aux mères Antillaises ou Maliennes d'effectuer ce dépistage chez le nourrisson, en leur expliquant - et elles le savaient très bien - que ce dépistage évitait la mort par infection pneumococcique. C'est un excellent exemple qui nous montre que ce ciblage était indispensable ; nous ne pouvions pas proposer 750 000 électrophorèses de l'hémoglobine à la naissance ; nous en proposons plus de 100 000, et l'impact sur les parents a été extrêmement positif. Ce sont donc les associations de parents qui nous ont aidés vis-à-vis des pouvoirs publics à déclencher cette action, et nous en sommes très heureux.

Professeur Alain GRIMFELD : Cette discussion a eu lieu au sein du Comité consultatif national d'éthique en ce qui concerne le ciblage. Il en est de même pour ceux qui sont prédisposés à développer une hypertension artérielle ou tel ou tel type de névropathie, etc.

Ces cas sont complètement différents du ciblage concernant la tuberculose ; l'obésité, la drépanocytose, l'hypertension artérielle, ne sont pas contaminantes. Qu'on fasse bénéficier des populations qui sont à risque de développer individuellement une maladie, ne pose de problème à personne, notamment pas aux intéressés ! Dépister et cibler des populations qui sont à risque de développer une tuberculose, et qui sont aussi distinguées et désignées du doigt comme étant possiblement contaminantes pour les autres est complètement différent.

Docteur Fadi ANTOUN : Ma question s'adresse au Professeur GRIMFELD. Dans votre énoncé des recommandations de l'OMS, vous avez cité une incidence de 5 pour 100 000. S'agit-il de 5 pour 100 000 BAR (Bacille Acido-Alcoolo-Résitant) plus ou d'incidence tuberculose en général ?

Docteur Delphine ANTOINE : Permettez-moi de répondre à cette question. Dans les recommandations de l'Union et de l'OMS, le chiffre de 5 pour 100 000 à atteindre, avec d'autres indicateurs pour envisager la révision de la politique sur le BCG, concerne les BAR plus uniquement et non l'ensemble des cas. Les BAR plus correspondent aux cas les plus contagieux qui sont les cas pulmonaires à microscopie positive. Vous avez raison d'évoquer ce chiffre, car, finalement, compte tenu de l'exhaustivité, la France se situe entre 4 et 5,5 à peu près. En tenant compte de la non-réponse à la microscopie qui avait été corrigée et des problèmes d'exhaustivité, nous serions relativement proches de 5.

Professeur Pierre BÉGUÉ : Les critères recommandés par l'OMS et l'UICTMR (Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires), concernent les pays qui veulent envisager l'arrêt ou la modification de leur politique du BCG.

Trois critères sont retenus. Nous ne pouvons pas utiliser le premier, puisque nous vaccinons par le BCG. Il n'en reste que 2 qui sont à l'origine de cette confusion : l'un qui concerne les maladies à bacilles, qui sont très contagieuses, et l'autre les méningites tuberculeuses de l'enfant de moins de 6 ans.

Sur ces critères, la situation de la France est bonne depuis plusieurs années : nous sommes tout à fait stables avec un taux très bas qui permet d'envisager l'arrêt du BCG. Je suis d'accord pour ce qui concerne les BAR : nous sommes à la limite - parfois à 6, parfois à 4 - entre les deux, et ce sont justement les contagieux les plus dangereux.

Ces deux critères ont été le moteur qui a permis à la France d'envisager la modification de la politique vaccinale du BCG, et pas seulement en raison de l'arrêt du Monovax. Inversement, le Monovax a été arrêté un peu tôt en pensant que nous allions prendre nos décisions très rapidement : cette anticipation nous laisse un peu embarrassés.

Conclusion

Mme Marie-Christine BLANDIN : Merci. Vous nous avez beaucoup aidés, mais vous ne nous avez évidemment pas donné la clef : ce n'était pas la raison pour laquelle nous nous rassemblions ce matin. Nous sommes beaucoup moins doués que vous sur les chiffres et les critères, et nous sommes face à un arbre de choix :

- poursuivre la vaccination pour tous en France : oui ou non ?

- dans le cas du non, est-ce pour personne ou bien avec ciblage ?

Ce sont à ces choix que les pouvoirs publics vont être confrontés. Vous nous avez éclairés sur le choix, ses conditions et ses conséquences.

Tout d'abord, je soulignerai que nous n'avons peut-être pas assez dénoncé ce préambule choquant : c'est bien, au départ, une cause industrielle et économique qui mobilise pouvoirs publics, parlementaires, épidémiologistes, professeurs et médecins. Sans la disparition d'un process, nous ne nous serions peut-être pas aussi vite réunis autour de la table.

Ensuite, le choix est complexe. Deux structures éminentes de la République - la HALDE et le Comité d'éthique - ne tirent pas les mêmes analyses et les mêmes conclusions. De plus, notre ami juriste a la prudence de mettre en perspective les réactions possibles de la Cour européenne des droits de l'Homme et éventuellement de l'Union européenne et les recours qu'un citoyen peut faire auprès d'elle.

Enfin, le choix est incomplet puisque la tuberculose, comme nous l'avons vu, n'est pas soluble dans le BCG.

En revanche, cette table ronde nous a permis de comprendre que, d'une part, l'état du monde et des flux nous invite à ne pas baisser la garde sur la planète, et que d'autre part, certains facteurs jouent un rôle majeur que vous nous avez donné à voir : la qualité de la prise en charge, les moyens du diagnostic rapide, des traitements efficaces, des dialogues personnalisés, par exemple les enquêtes dans l'entourage, ou la conviction des parents d'assister leur bébé.

Les académies nous disent vouloir avant tout une politique de santé revisitée en matière de tuberculose : c'est votre condition.

Notre expérience de députés et sénateurs nous conduirait à dire qu'il conviendrait d'évaluer les effets de la politique de santé qui se serait mise en place, d'examiner les faits quelques années plus tard, et de prendre les décisions après. Nous connaissons tous les discours, mais certaines choses tardent à se mettre en place...

Le sujet est très sensible. Le ciblage peut être vendu comme une discrimination positive : tous ensemble indigènes de la République, revendiquons le droit à une couverture vaccinale dont on voudrait nous priver !

Il peut aussi être considéré sous l'angle de la stigmatisation : on nous pointe du doigt ! On nous laisse entendre que nous allons ramener des maladies aux autres ! Nous sommes obligés de subir une mesure contraignante !

Je caricature ce jeu de rôles. Néanmoins, nous entendrons les deux discours dans les couloirs et les banlieues, lorsque le débat aura lieu. De ce point de vue, le Préfet de Seine-Saint-Denis a été très prudent en jugeant peu « opportun » que l'intervenant de la DDASS, prévu à cette audition, vienne s'exprimer sur ce département.

Lorsque Monsieur PERONNE évoque le ciblage pour la Guyane - dont les chiffres sont frappants -, je me souviens dans le même temps que Monsieur GENTILINI a dit que l'Ile-de-France et la Guyane se ressemblaient : taux élevés, immigration et promiscuité importantes... Imaginez un instant que nous choisissions de faire la préconisation suivante : nous proposons de ne plus vacciner les Français, à l'exception des Franciliens dans leur ensemble. Il me semble que, culturellement, nous pourrions nous accommoder d'une telle proposition pour la Guyane, alors que nous serions en première page de tous les journaux, si elle concernait les Franciliens. Le législateur devra prendre en compte tous ces éléments.

Nous avons bien noté le diagramme de Monsieur ANTOUN: migrants, SDF, bas revenus, et les risques accrus pour ceux qui cumulent tous ces facteurs.

Pour ce qui concerne les perspectives de recherche, sachez que nous nous battons pour une épidémiologie mieux équipée, disposant de plus de ressources humaines et de davantage de moyens : que ce soit pour le cancer ou toute autre maladie, l'excès d'anonymat en France prive l'épidémiologiste de données.

Nous avons également dénoncé, dans notre rapport, les problèmes posés par l'aide médicale d'État, suspendue dans les 3 premiers mois d'accueil des migrants ; si elles n'ont pas été changées, les restrictions sont néanmoins limitées : le Sida en est exclu, les accueils augmentent dans les 3 premiers mois.

Nous avons donc été entendus, même si nous n'avons pas encore obtenu le droit à la visite médicale, sur le modèle de la médecine du travail, pour tout migrant arrivant.

Nous avons des espoirs sur les nouvelles vaccinations et les thérapies : sachez qu'au Sénat, les partenariats Sud-Nord ont été portés par un amendement dans la loi sur la Recherche, sous réserve d'une mobilisation du Sud simultanée à celle des chercheurs du Nord.

Nous allons dans le même sens ; mais quoi que l'on découvre, rien ne remplacera l'humain pour l'accueil et les conditions de vie.

Là s'arrête le rôle de l'Office. Nous n'arbitrons rien. Un compte rendu sera remis à nos pairs qui s'en saisiront, en feront une loi, interpelleront un ministre ou le rangeront au placard. Voilà pour l'honnêteté intellectuelle...

La séance est levée à 13 heures.

Annexes

Annexe 1 :
Documents présentés par le Docteur Delphine Antoine

Annexe 2 :
Documents présentés par le Docteur Fadi Antoun

Annexe 3 : Projet de délibération du 18 septembre 2006 de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité

Annexe 4 : Avis du Comité consultatif national d'éthique
pour les Sciences de la vie et de la santé

Annexe 5 : Rapport de l'Académie nationale de médecine

Annexe 6 :
Lutte mondiale contre la tuberculose 2007 : principales constatations de l'Organisation mondiale de la santé
(24 mars 2007)

Épidémie mondiale

La tuberculose reste l'une des principales causes de mortalité dans le monde, mais l'épidémie mondiale est sur le point de décliner.

1. Selon les estimations, il y a eu 8,8 millions de nouveaux cas de la tuberculose dans le monde, dont 7,4 millions en Asie et en Afrique subsaharienne. Au total, 1,6 millions de personnes sont mortes de la tuberculose, dont 195 000 patients infectés par le VIH.

2. La prévalence de la tuberculose et les taux de mortalité ont probablement diminué à l'échelle mondiale pendant plusieurs années. En 2005, l'incidence est restée stable ou a diminué dans les six régions de l'OMS, un pic mondial ayant été atteint. Toutefois, le nombre total de nouveaux cas de tuberculose a continué d'augmenter lentement à cause des chiffres observés dans les régions de l'Afrique, de la Méditerranée orientale et de l'Asie du Sud-Est.

DOTS et la stratégie Halte à la tuberculose

La plupart des services publics de santé reconnaissent désormais que la lutte antituberculeuse doit aller au-delà du DOTS, mais la stratégie Halte à la tuberculose, plus globale, n'est pas encore pleinement opérationnelle dans la plupart des pays.

3. Plus de 90 millions de cas ont été notifiés à l'OMS de 1980 à 2005 ; 26,5 millions ont été notifiés par les programmes DOTS entre 1995 et 2005 ; 10,8 millions de nouveaux cas à frottis positif ont été inscrits pour le traitement dans le cadre de programmes DOTS entre 1994 et 2004.

4. Le DOTS, fondement de la stratégie Halte à la tuberculose, a été appliqué dans 187 pays en 2005 ; 89% de la population mondiale vivait dans des régions où les services publics de santé le mettaient en œuvre.

5. Au total, 199 pays et territoires ont notifiés 5 millions d'épisodes de tuberculose en 2005 (nouveaux cas ou rechutes) ; les programmes DOTS ont signalé 2,3 millions de nouveaux cas de tuberculose pulmonaire à frottis positif en 2005 et 2,1 millions ont été enregistrés pour le traitement en 2004.

6. Disposer de personnel qualifié et très motivé est essentiel dans un programme de santé publique et pourtant, les plans de développement des ressources humaines élaborés par les programmes nationaux de lutte antituberculeuse (PNT) en 2005-2006 étaient de qualité très variable. Sur les 22 pays fortement touchés, 7 (dont 5 pays africains) avaient des plans avec une portée limitée ou en cours d'élaboration.

7. Pour un diagnostic rapide et un traitement efficace, il faut des laboratoires pleinement opérationnels et un approvisionnement fiable en médicaments. Pourtant, malgré certaines améliorations, dans toutes les régions de l'OMS des PNT ont signalé des ruptures de stock, un nombre trop faible de laboratoires, une faiblesse des contrôles de qualité et un nombre limité d'établissements pouvant faire des cultures et des tests de sensibilité aux médicaments. De nombreux programmes ont demandé une assistance technique à des organismes externes.

8. Dans le cadre du DOTS, près de 5 millions de patients ont été notifiés en 2005 et on s'attend à ce que le nombre total de cas diagnostiqués et traités en 2006 soit globalement conforme au Plan mondial « Halte à la tuberculose » 2006-2015. Toutefois, la détection des cas à frottis positif par les programmes DOTS a été variable selon les régions de l'OMS en 2005, de 35% (Europe) à 76% (Pacifique occidental). Ces variations devraient persister en 2006.

9. Bien qu'en augmentation, le nombre de patients VIH positifs et ceux présentant une tuberculose à bacilles multirésistants diagnostiqués et traités en 2005 a été beaucoup plus bas que celui envisagé par le Plan mondial pour 2006. Le dépistage du VIH chez les patients tuberculeux se développe rapidement dans la Région africaine, mais peu d'efforts ont été faits pour dépister la tuberculose chez les personnes infectées par le VIH, bien qu'il s'agisse d'une méthode relativement efficace de détection des cas. Les établissements pour diagnostiquer et traiter les tuberculoses à bacilles multirèsistants, y compris les tuberculoses à bacilles ultrarésitants, sont peu nombreux; on ne connaît pas encore la véritable ampleur du problème posé par les tuberculoses à bacilles ultrarésistants.

10. Le taux de réussite des traitements pour les patients atteints de tuberculose à bacilles multirésistants dans les projets approuvés par le Comité Feu Vert (CFV) a dépassé les 60%, ce qui est plus élevé que dans les projets hors de ce cadre.

11. La stratégie Halte à la tuberculose est un dispositif pour établir des liens entre les PNT, acteurs due secteur de sante et les communautés. Les connexions établies par l'intermédiaire des soins de la tuberculose dans les communautés, par le DOTS associant le public et le privé ou encore par l'approche pratique de la santé respiratoire (APSR) ont réussi, à petite ou moyenne échelle, à améliorer l'accès au diagnostic et au traitement. Pour autant, aucun pays n'est encore parvenu à rendre toutes ces activités pleinement opérationnelles à l'échelle nationale.

12. Peu de PNT ont une vue d'ensemble de la recherche sur la tuberculose dans leur pays et peu ont le personnel qualifié et les financements nécessaires pour mener à bien des travaux essentiels de recherche opérationnelle.

Financement de la lutte antituberculeuse

Bien que les fonds disponibles se soient considérablement accrus depuis 2002 et atteignent US $2 milliards en 2007, il faudra disposer de US $1,1 milliard de plus pour exécuter les interventions de l'ampleur requise par le Plan mondial « Halte à la tuberculose » en 2007.

13. Les analyses financières données dans ce rapport reposent sur les données provenant de 90 pays, cumulant 90% des nouveaux cas en 2005, dont les 22 pays fortement touchés et 84 des pays étudiés dans le Plan mondial.

14. Pour l'ensemble des 90 pays analysés, le total des budgets des PNT indiqués pour 2007 se monte à US $1,6 milliard, avec un coût total de US $2,3 milliards (budgets des PNT plus les coûts des personnels des services de santé généraux et des infrastructures utilisés pour les traitements de la tuberculose), alors que la somme disponible est de US $2,0 milliards (il y a ainsi un déficit de financement de US $0,3 milliards).

15. Si les plans des pays étaient conformes au Plan mondial, le déficit de financement serait encore plus important que le chiffre indiqué pour 2007. La mise en œuvre du Plan mondial dans 84 pays coûterait US $3,1 milliards en 2007, soit 1,1 milliard de plus que ce dont on dispose. Pour les 22 pays fortement touchés, l'écart entre le Plan mondial et les fonds disponibles est de US $0,8 milliard.

16. Le Plan mondial est plus coûteux que les budgets des pays en premier lieu parce qu'il anticipe une activité plus importante pour la prise en charge de la tuberculose et du VIH, et pour le plaidoyer, la communication et la mobilisation sociale, en particulier dans les régions de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est. Si certains des coûts des activités de collaboration pour la lutte contre la tuberculose et le VIH sont couverts par les programmes de lutte contre le VIH/SIDA (par exemple les traitements antirétroviraux), les PNT proposent de faire moins que ce qui est décrit dans le Plan mondial. Ce dernier prévoit un budget important pour les activités de plaidoyer, communication et mobilisation sociale mais, en l'absence d'orientations systématiques en 2006 (devant être publiées en 2007), les budgets des PNT étaient réduits et les activités menées inégales.

17. On peut évaluer les tendances budgétaires sur la période 2006-2007 pour les 22 pays fortement touchés. Les budgets des PNT sont passés d'un peu plus de US $500 millions en 2002 à US $1,25 milliard en 2007, les coûts totaux de US $644 millions en 2002 à US $1,65 milliard en 2007 et les financements de US $644 millions en 2002 à US $1,4 milliard en 2007 (US $241 millions des donateurs, dont US $168 millions du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial), et US $1,2 milliard des gouvernements nationaux).

18. En 2007, six pays ont représenté à eux seuls les trois quarts du budget total des PNT indiqués pour les pays fortement touchés : le Brésil, la Fédération de Russie, la Chine, l'Afrique du Sud, l'Inde et l'Indonésie.

19. Entre 2002 et 2007, on a observé une forte augmentation des financements nationaux en Chine, en Fédération de Russie et en Afrique du Sud ; dans les autres pays, la plupart de l'augmentation provenait du Fonds mondial.

20. En 2005, 11 pays fortement touchés (sur les 19 ayant fourni des données) ont dépensé au moins 90% des fonds disponibles, parmi lesquels le Brésil, la Chine, l'Inde, le Myanmar et le Viet Nam. L'Afghanistan et le Pakistan ont dépensé moins de la moitié des fonds disponibles. Le Kenya, le Mozambique et la République-Unie de Tanzanie en ont dépensé au moins les deux tiers, contre moins de la moitié en 2004.

21. Il y a une forte corrélation entre l'augmentation des dépenses et l'amélioration de la détection des cas au Bangladesh, en Chine, en République démocratique du Congo, en Inde, en Indonésie, au Kenya, au Myanmar et au Nigéria. Mais il n'y a pas de relation systématique entre l'augmentation des dépenses et l'amélioration de la détection des cas dans l'ensemble des pays fortement touchés. Cette relation devra être étudiée et comprise pays par pays.

22. La plupart des PNT des pays fortement touchés ont des plans stratégiques de lutte à moyen terme (5 ans par exemple). Dans quelques pays, Brésil, Chine (à l'exception du traitement de la tuberculose MR), Kenya, Philippines et Viet Nam, ils sont conformes au Plan mondial. Les autres pays doivent aligner davantage leur budget sur ce que prévoit le Plan mondial.

Réalisation des buts et des cibles

Plus de 26 millions de patients ont été traités avec le DOTS, mais les programmes de lutte dans le monde ont manqué de peu les cibles fixées pour la détection des cas et la guérison en 2005 et ne sont toujours pas dans les temps pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement d'ici à 2015.

23. Les cibles fixées par l'OMS aux programmes DOTS pour 2005, soit la détection de 70% des cas et un taux de réussite des traitements de 85%, ont été manquée de peu à l'échelle mondiale : la détection des cas a été 60% (IC 95% : 52-69%) et le taux de réussite des traitements de 84%. Cependant, ces deux cibles ont été atteintes dans la Région du Pacifique occidental et le taux de réussite a dépassé les 85% en Asie du Sud-Est.

24. Vingt-six pays ont atteint les deux cibles, dont la Chine, les Philippines et le Viet Nam ; 67 pays ont atteint au moins 70% de détection des cas en 2005 et 57 pays ont notifiés des taux de réussite des traitements d'au moins 85% pour la cohorte 2004.

25. Si l'incidence mondiale est bien en train de diminuer, alors l'objectif 6 du Millénaire pour le développement (cible 8) a déjà été atteint, plus de 10 ans avant la date butoir de 2015.

26. Bien que la charge de la tuberculose semble diminuer à l'échelle mondiale, cette baisse n'est pas assez rapide pour atteindre les cibles fixées par le partenariat Halte à la tuberculose : réduire de moitié la prévalence et le taux de mortalité d'ici à 2015 par rapport à 1990. Les régions des Amériques, de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental sont dans les temps pour y parvenir ; les régions de l'Afrique, de la Méditerranée orientale et de l'Europe ne le sont pas. Les pays et les régions auront de plus grandes chances d'atteindre les cibles s'ils peuvent augmenter les budgets et renforcer les activités, en accord avec le Plan mondial.

27. Les procédures de collecte des données financières, épidémiologiques et des informations sur le fonctionnement des programmes doivent être améliorées. Un système global de surveillance et de suivi, ainsi que des enquêtes bien conçues, sont les conditions indispensables à une évaluation précise des progrès de la lutte antituberculeuse.

1 Rapport n° 2327 (Assemblée nationale) et n° 332 (Sénat) - mai 2005.