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le 23 juillet 2002

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N° 103

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de l'accord aux fins de l'application des dispositions de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s'effectuent tant à l'intérieur qu'au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (ensemble deux annexes),

PAR M. GUY LENGAGNE,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 2, 327 et T.A. 91 (2001-2002)

Assemblée nationale : 39

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I . LA NÉCESSAIRE LUTTE CONTRE LA SUREXPLOITATION
DES RESSOURCES HALIEUTIQUES
8

A - LA SUREXPLOITATION : UN CONSTAT PERSISTANT 8

B - UNE PRÉOCCUPATION POUR LA FRANCE, PAYS DE PÊCHE 9

1) Le secteur de la pêche en France 9

2) L'incidence de l'accord sur les stocks de poissons chevauchants

   et grands migrateurs pour la pêche française 10

C - MIEUX GÉRER LES RESSOURCES HALIEUTIQUES SANS METTRE
EN DANGER UN SECTEUR ÉCONOMIQUE
11

II . L'ACCORD RELATIF A LA CONSERVATION DES STOCKS
     CHEVAUCHANTS ET DES POISSONS GRANDS MIGRATEURS :
     UNE APPROCHE INTÉRESSANTE
13

A - LA SITUATION JURIDIQUE ACTUELLE DES STOCKS CHEVAUCHANTS
     ET DE POISSONS GRANDS MIGRATEURS
13

B - UNE APPROCHE PLUS CONTRAIGNANTE QUE CELLE DU DROIT
INTERNATIONAL CLASSIQUE
14

1) La genèse de l'accord sur les stocks chevauchants et les poissons
grands migrateurs 14

2) Les principales stipulations de l'accord 14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 18

ANNEXE 20

Mesdames, Messieurs,

Le débat sur l'avenir de la politique communautaire de la pêche a été relancé par le projet de réforme de « l'Europe bleue » préparé par le Commissaire Fischler. Si les remèdes proposés semblent inadaptés, le constat de départ d'une surexploitation des ressources de poisson a malheureusement une part de vérité.

Ainsi, dans le cadre d'une politique commune, qui a conduit à des restructurations nombreuses et douloureuses, il est très difficile de mettre en place une gestion véritablement équilibrée des ressources halieutiques. On peut ainsi imaginer l'état des ressources halieutiques de la haute mer où les règles sont beaucoup moins nombreuses, et le contrôle de leur application presque inexistant.

En effet, la mer a longtemps été considérée, en dehors de la mer territoriale, comme res nullius, c'est-à-dire n'appartenant à personne, et donc à tout le monde, avant que le débat juridique ne rebondisse après la deuxième guerre mondiale. C'est en effet le 28 septembre 1945 que le Président des Etats-Unis, Harry Truman, a introduit dans une célèbre déclaration le concept de « plateau continental », c'est-à-dire l'appropriation par l'Etat côtier des portions se trouvant à moins de 200 mètres de profondeur. Par la suite, certains Etats, qui ne disposaient pas d'un tel plateau continental, notamment le Pérou, le Chili et l'Equateur, ont revendiqué la souveraineté sur la bande des 200 miles nautiques. Progressivement, la majorité des Etats s'est dotée d'une telle zone économique exclusive (ZEE) avant que ce concept juridique ne soit conforté par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay en 1982.

En ce qui concerne la pêche, la ZEE donne à l'Etat côtier des droits souverains sur les ressources halieutiques. Mais, en dépit de la considérable évolution que l'émergence de la ZEE a induite, qui constitue l'une des plus grandes révolutions pacifiques de l'histoire de l'humanité, elle n'a pas réglé tous les problèmes de police de la pêche.

En effet, si à l'intérieur de chaque ZEE la situation est relativement claire, tel n'est pas le cas en haute mer et pour la pêche de poissons chevauchant plusieurs ZEE différentes. Si le problème de la surexploitation des ressources halieutiques concerne tout autant les espèces vivant à l'intérieur des ZEE, il est encore plus difficile à résoudre pour les espèces chevauchantes et migratrices, pour lesquelles une coopération internationale est indispensable.

C'est pourquoi les signataires de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982 ont cherché à compléter celle-ci par des stipulations plus précises en ce qui concerne la pêche de certaines espèces. Ces négociations ont abouti le 4 août 1995 sur la signature de la convention dont le projet de loi que nous examinons aujourd'hui doit autoriser l'approbation.

I . LA NÉCESSAIRE LUTTE CONTRE LA SUREXPLOITATION
DES RESSOURCES HALIEUTIQUES

A - la surexploitation : un constat persistant

La surexploitation des ressources halieutiques n'est pas un phénomène récent, puisque dès 1946 s'est tenue à Londres une Conférence internationale sur la surpêche. Pour autant, ce phénomène a pris ces dernières décennies une ampleur très inquiétante. Il n'est plus guère d'espèces ou de zones de pêche qui ne soient aujourd'hui épargnées.

En effet, pendant longtemps, les captures mondiales ont pu augmenter régulièrement sans que les stocks ne semblent s'épuiser. Entre 1945 et 1972, les captures mondiales ont presque quadruplé pour atteindre 60 millions de tonnes de prise. Mais, c'était oublier que la pêche est, contrairement à l'agriculture, l'une des dernières activités de « cueillette » dans la société moderne. Même l'aquaculture, c'est-à-dire la production de poissons d'élevage, ne peut s'affranchir de la nécessité de gérer le stock de poissons, puisque cette activité est une grande consommatrice d'aliments à base de poissons.

Certes, la pêche, contrairement aux activités minières, concerne un produit qui se reproduit, mais uniquement à la condition que les captures n'atteignent pas un niveau entraînant une baisse du stock global. Or l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (OAA/FAO) estimait en 1994 que plus des deux tiers des stocks de poissons marins étaient en état de surexploitation. Cette même organisation estime qu'il serait nécessaire de baisser de 25 % le nombre de bateaux de pêche pour retrouver une situation soutenable à long terme.

Les causes de cette surexploitation sont à rechercher tant du côté de l'offre que de la demande. Tout d'abord, la demande de poisson est en hausse constante dans les pays développés, alors que le poisson reste souvent dans les pays du Sud la principale, sinon la seule, source de protéines. Ensuite, le nombre de bateaux de pêche, et surtout leur tonnage, n'a fait qu'augmenter donnant naissance à une pêche de plus en plus industrialisée. Les progrès technologiques (sonars, congélation à bord...) et l'instauration de la zone économique exclusive (ZEE) ont également contribué à cette surexploitation des ressources halieutiques.

Ainsi, les captures mondiales s'élèvent aujourd'hui à plus de 90 millions de tonnes chaque année, ce qui a conduit à une décroissance des stocks de presque toutes les espèces, qu'ils s'agissent des espèces se trouvant majoritairement dans les zones économiques exclusives (morue, merlu...) ou des espèces migratrices pélagiques (thon, espadon), qui sont plus particulièrement concernées par l'accord que nous examinons aujourd'hui. Au total, on estime que plus de 75 % des stocks de poissons sont en situation d'exploitation maximale ou de surexploitation.

B - Une préoccupation pour la France, pays de pêche

1) Le secteur de la pêche en France

La France qui est à la fois pays côtier et de pêche est doublement concernée par la baisse des ressources halieutiques.

Du fait de son importante façade maritime (6200 kilomètres) et de ses territoires et départements d'outre-mer, la France dispose de la deuxième plus grande zone économique exclusive dans le monde (plus de 10 millions de kilomètres carrés). A cet égard, la France a tout intérêt à la préservation de la richesse naturelle que constituent les stocks halieutiques. Il faut cependant nuancer ce constat dans la mesure où les eaux françaises sont assez peu poissonneuses. Les poissons débarqués dans les ports français ne sont issus que pour 25 % des eaux françaises, et pour 55 % de celles de l'Union européenne, dont il faut rappeler qu'elles sont librement accessibles à tous les pêcheurs de l'Union européenne. En effet, « l'Europe bleue » est l'une des politiques communautaires les plus abouties. Quant à la pêche lointaine, plus particulièrement concernée par cet accord, elle ne représente qu'environ 25 % des prises.

En outre, la pêche en France joue un rôle économique important. Troisième productrice de l'Union européenne, derrière l'Espagne et l'Italie, la pêche française emploie 67 000 personnes et engendre un chiffre d'affaires de près d'un milliard d'euros, pour environ 280 000 tonnes de captures par an..

La flotte de pêche française est très diversifiée. Elle est constituée à la fois de navires de pêche côtière et de pêche hauturière. À la fin des années 80, la raréfaction des ressources et l'ouverture croissante du marché intérieur ont imposé un ajustement très sensible de la capacité globale de capture et une profonde restructuration de la flotte française, opérés dans le cadre des dispositifs nationaux et communautaires de la politique de la pêche. Entre 1995 et 2001, le nombre de navires de moins de 16 mètres a diminué de 5 712 à 4 829 (recul de 15,45 %), reflétant les obligations de réduction de l'effort de pêche imposées par la réglementation communautaire. Entre 1995 et 2001, au total, la flotte métropolitaine a diminué de 11,97 % en nombre d'unités, avec une contraction concomitante de 9,13 % de la puissance.

2) L'incidence de l'accord sur les stocks de poissons chevauchants et grands migrateurs pour la pêche française

La pêche française est tout à fait concernée par l'application de l'accord sur la conservation et la gestion des stocks de poissons chevauchants et grands migrateurs. En effet, son champ d'application se définit par un critère biologique et par un critère géographique.

Tout d'abord, l'accord s'applique aux espèces de poissons grands migrateurs - c'est le critère biologique -, qui sont limitativement énumérées. Il s'agit globalement des thonidés, des cétacés, des requins...

Or certaines de ces espèces jouent un rôle majeur pour la pêche française, notamment hauturière : les différentes espèces de thon (thon rouge, thon tropical, germon) représentent 15 % de la valeur totale des pêches françaises, soit environ le double de leur part en volume. Cette pêche concerne essentiellement les ports de la Méditerranée pour le thon rouge (20 millions d'euros correspondant à 7000 tonnes de capture), et surtout de l'Atlantique (Concarneau, Île d'Yeu...) pour le germon pêché sur la côte atlantique (12 millions d'euros correspondant à 6500 tonnes de capture) et pour le thon tropical pêché dans l'Océan Atlantique tropical et dans l'Océan Indien (85 millions d'Euros correspondant à 130 000 tonnes de capture par an. Ajoutons d'ailleurs que l'efficacité du présent accord dépend de l'existence d'organisations régionales de pêche. Or la France est justement membres de deux organisations puissantes dans le domaine de la pêche thonière, la commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (CICTA) et la Commission des thons de l'Océan indien (CTOI).

Dans le domaine de la pêche des grands migrateurs, la France a également des intérêts dans la pêche de l'espadon à la Réunion (8 millions d'Euros correspondant à 1800 tonnes de captures par an).

En outre, l'accord concerne les stocks chevauchants, c'est-à-dire les stocks se déplaçant au travers de plusieurs ZEE, ou d'une ZEE et de la haute mer : il s'agit du critère géographique. Les navires de pêche français pêchent en effet certaines de ces espèces :

- il s'agit tout d'abord d'une partie des espèces pêchées en Méditerranée. Du fait du régime juridique particulier de cette mer semi-fermée, dans certaines zones, les stocks démersaux (mollusques, sole, morue, merlu) sont considérés comme étant des stocks chevauchants. En l'absence de zone économique exclusive en Méditerranée, de très nombreux stocks sont en effet considérés comme chevauchants.

- il s'agit également de certaines espèces pêchées en haute mer, ou dans la ZEE de l'Union européenne, par des pêcheurs français mais à proximité de la ZEE d'un autre pays. Cela concerne certaines espèces profondes de l'Atlantique du Nord-Est (lingues bleues, grenadiers de roches, empereurs...), qui représentent une part croissante de la pêche hauturière française (16 000 tonnes de capture par an représentant 31 millions d'Euros. Par ailleurs, certains incidents intervenus avec le Canada concernaient des stocks chevauchants, comme le flétan par exemple.

Enfin, l'accord a une influence importante sur la partie des stocks de poissons chevauchants se trouvant à l'intérieur de sa zone économique exclusive. En effet, de nombreuses études ont montré les interactions existant entre stocks de haute mer et stocks de la ZEE dans la mesure où les espèces concernées se déplacent de l'une à l'autre. La pêche excessive d'une espèce à proximité de la ZEE française a ainsi pour conséquence d'appauvrir nos ressources halieutiques, en dehors même du problème de la pêche sauvage à l'intérieur même de la ZEE. A cet égard, la France dispose, grâce aux Terres australes et antarctiques françaises, d'un stock important de légines, espèce à très forte valeur ajoutée (6500 tonnes de capture par an). Ce stock est l'objet d'une pêche pirate, particulièrement préoccupante, de la part de navires battant pavillon de complaisance. Or l'étendue de la zone en question (1,3 millions de kilomètres carrés) et son isolement rendent assez peu efficaces les contrôles par la marine française. L'entrée en vigueur de l'accord, en permettant une meilleure gestion des stocks de poissons chevauchants, pourra contribuer à améliorer cette situation.

C - Mieux gérer les ressources halieutiques sans mettre en danger un secteur économique

Le 28 mai dernier, le Commissaire européen chargé de l'agriculture et de la pêche, M. Franz Fischler, a présenté ses propositions de réforme de la politique communautaire de la pêche. En apparence, cette réforme se fonde sur le constat de l'épuisement progressif des ressources halieutiques, dangereux pour la survie à long terme de la filière pêche.

Face à ce problème complexe, le plan de M. Fischler se contente de prôner une réduction drastique du nombre de bateaux de pêche dans l'Union européenne. L'objectif est de réduire de 8,5 % la flotte européenne d'ici 2006, soit le retrait de 8600 bateaux et la suppression de 28 000 emplois, alors même que les précédents plans ont déjà réduit de 40 % l'importance de la flotte. Comme le dit le ministère français de l'agriculture, ce projet ne prend manifestement pas « suffisamment en compte la dimension économique, sociale et territoriale de la pêche ».

En effet, l'application de ce plan aurait d'abord des conséquences dramatiques pour la pêche artisanale, alors même qu'il ne prend pas suffisamment en compte les effets de la pêche minotière, dont la persistance est un véritable scandale. Invoquer le fait que cette pêche est nécessaire aux élevages de poissons, c'est oublier qu'il faut en moyenne 8 kilos de poissons sauvages transformés en farines pour obtenir 1 kilo de poisson d'élevage, et jusqu'à 25 kilos pour l'élevage d'un kilo de saumon. Une approche plus fine du problème de la surexploitation est donc indispensable. Tout d'abord en agissant afin d'imposer des méthodes de pêche plus sélectives : on sait en effet que la pêche faite avec des filets au maillage trop étroit entraîne accidentellement la capture de jeunes poissons d'autres espèces, déstabilisant le cycle reproductif de celles-ci. Par ailleurs, il est nécessaire de limiter les prises volontaires de poissons juvéniles car elles entraînent également une baisse à long terme des stocks.

Ainsi, plutôt que d'amplifier une politique malthusienne aux effets désastreux pour des régions entières, il est indispensable d'adopter une politique de gestion plus raisonnable des stocks halieutiques, avec des engins de capture plus sélectifs, des zones de repos biologiques pour la faune marine, et un contrôle efficace de l'application de ces mesures.

De plus, au-delà des eaux territoriales communautaires, il faut prendre en compte la question de l'épuisement des ressources halieutiques dans sa globalité. A cet égard, la convention que nous examinons aujourd'hui peut constituer un outil intéressant.

II . L'ACCORD RELATIF A LA CONSERVATION DES STOCKS CHEVAUCHANTS ET DES POISSONS GRANDS MIGRATEURS :
UNE APPROCHE INTÉRESSANTE

A - La situation juridique actuelle des stocks chevauchants et de poissons grands migrateurs

L'accord que nous examinons aujourd'hui concerne plusieurs types d'espèces dont la gestion est rendue difficile par leurs caractéristiques mêmes. Il s'agit tout d'abord des poissons qui chevauchent des zones sous juridiction d'un ou plusieurs Etats côtiers et des zones de haute mer, ainsi que des poissons grands migrateurs, tels les thons qui peuvent parcourir jusqu'à 80 kilomètres par jour. Il en résulte une situation juridique assez complexe pour les bancs de poissons concernés, et surtout une difficulté à faire appliquer des règles de gestion équilibrée.

En effet, si dans les zones sous juridiction des Etats côtiers, la police des pêches est exercée par l'Etat côtier, en revanche, dans les eaux internationales, elle relève exclusivement de l'Etat de pavillon du navire concerné. Or la pêche illégale est majoritairement le fait de navires bâtant pavillon de complaisance, lesquels n'ont pas à craindre par nature de contrôles de la part de l'Etat dont ils relèvent. Certes, il existe depuis 1993 un Accord visant à favoriser le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion. Mais cet accord constitue davantage un code de conduite pour les acteurs de la pêche qu'un instrument contraignant.

Par ailleurs, les espèces en question étant particulièrement lucratives, et donc exposées à une pêche excessive, elles ont parmi les premières fait l'objet d'une gestion internationale par des organisations régionales de pêche. Celles-ci jouent un rôle majeur dans la gestion des thonidés par exemple, en définissant des quotas par pays, des règles de pêche etc. Les plus importantes organisations régionales de pêche sont la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, la Commission des thons de l'Océan indien ou l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest. Mais là encore, les règles définies par ces organismes ne s'appliquent qu'aux Etats qui en font partie ou en acceptent les règles. Les navires battant pavillon d'un Etat non membre peuvent pêcher sans limite dans les zones de haute mer couvertes par ces organisations.

B - Une approche plus contraignante que celle du droit international classique

1) La genèse de l'accord sur les stocks chevauchants et les poissons grands migrateurs

Le droit de la mer en général se prête particulièrement bien à la mise en place d'outils juridiques novateurs autour du concept de « patrimoine commun de l'humanité ». L'application de ce concept conduit à la conclusion d'accords internationaux plus contraignants que les accords internationaux classiques, uniquement fondés sur la réciprocité et la volonté des Parties. En effet, dans le cas du droit de la haute mer, il s'agit non pas de simplement coordonner des législations, mais aussi de définir un statut pour des zones qui échappent actuellement à toute règle juridique contraignante. Par définition, ce droit nouveau devrait s'appliquer à tous les Etats, qu'ils y consentent ou non.

Mais l'application concrète des principes qui fondent la convention de 1982 sur le droit de la mer ne se fait pas sans difficulté et sans résistance. Ainsi, bien que la convention de 1982 contienne des dispositions relatives à la pêche, il est vite apparu nécessaire de conclure une convention contraignante afin de permettre l'application des principes du droit de la mer au cas particulier des ressources halieutiques.

Par ailleurs, dans le même temps, la réflexion sur le développement durable a progressé, débouchant notamment sur le Sommet de la terre de Rio en 1992 qui en a consacré les fondements, tel le principe de précaution.

La conférence des Nations unies sur la pêche en haute mer a ainsi abouti le 4 août 1995 à New York à un traité administrant la pêche en haute mer, adopté par 112 pays et l'Union européenne.

2) Les principales stipulations de l'accord

L'accord précise tout d'abord les principes de gestion d'une pêche responsable. Il affirme que la pêche en haute mer sera gérée sur la base de recommandations scientifiques fiables (article 5). L'accord est également fondé sur le respect du principe de précaution (article 6) - la règle de prudence sera de mise lors de la fixation de quotas et restrictions, ainsi que de leur application - et sur le principe de la coopération entre Etats dans la gestion de la pêche.

Cependant, cet accord ne se contente pas d'énoncer des principes, il se caractérise en effet par son approche contraignante, tout d'abord en ce qui concerne les organisations régionales de pêche. Il indique que ces organisations sont le meilleur outil de gestion équilibrée des ressources halieutiques. L'accord réserve ainsi aux navires des Etats membres de ces organisations, ou qui en acceptent les règles, l'accès aux zones de pêche couvertes par ces organisations, y compris en haute mer (article 8). Il s'agit là dans le principe d'une disposition assez audacieuse qui déroge au principe traditionnel de la liberté totale en haute mer, en dehors de certains cas extrêmes (piraterie...). En revanche, son application sera beaucoup plus difficile, notamment vis-à-vis des Etats qui ne ratifieront pas cet accord. En effet, l'interdiction de pêcher en haute mer dans une zone couverte par une organisation régionale de pêche ne sera effective que pour les Etats non membres de ces organisations, mais néanmoins Parties à l'accord de 1995.

Par ailleurs, le traité contient des décisions très importantes pour le contrôle de la pêche en haute mer (articles 19 à 23). Il est vrai qu'un traité de gestion des ressources halieutiques serait sans grande valeur s'il ne s'accompagnait de mesures efficaces de contrôle et de mise en oeuvre de la réglementation préconisée. C'est probablement là que se trouve la principale innovation de cet accord. Pour la première fois, d'autres Etats que ceux dont le navire porte le pavillon auront le droit d'effectuer des contrôles et de faire respecter la réglementation de pêche. D'une manière générale, le traité autorise donc les Etats membres des organes régionaux de coopération à arraisonner en haute mer les bateaux de pêche d'autres Etats. L'accord prévoit que le pays où le navire est enregistré et le pays effectuant le contrôle collaboreront pour veiller au respect des mesures d'application, tant au niveau de l'enquête sur d'éventuels délits que du remorquage vers un port d'un navire sur lequel des infractions graves auront été constatées.

Cependant, lors de la négociation, la France a émis de fortes réserves sur ce pouvoir de contrôle étendu accordé à l'Etat d'inspection. Elle envisage donc de déposer une déclaration interprétative pour éviter toute interprétation extensive de ces stipulations au-delà du seul secteur de la pêche marine.

Enfin, plusieurs articles (articles 24 à 26) traitent des besoins des pays en développement. Ceux-ci ont en effet des problèmes spécifiques : le poisson y est souvent l'unique source de protéines, ils sont donc très fragilisés par la raréfaction de la ressource. De plus, bien souvent, ils n'exploitent pas directement leurs zones de pêche mais les ouvrent en échange d'une redevance à des navires de pays avec lesquels ils signent des accords de pêche. L'accord prévoit donc diverses formes d'assistance et de coopération à l'égard des pays en développement.

CONCLUSION

Alors que cet accord est entré en vigueur à la fin de l'année 2001, après le dépôt d'un trentième instrument de ratification, la France doit marquer son attachement à une gestion coordonnée des ressources halieutiques en procédant rapidement à sa ratification.

Le Conseil de l'Union européenne a quant à lui autorisé la ratification de l'accord le 8 octobre 1998, il attend pour déposer son instrument que tous les Etats-membres aient déposé le leur, la pêche étant une compétence partagée entre l'Union et les Etats. Cette ratification par l'Union européenne et les Etats qui la composent donnera du poids à cet accord ambitieux. Cependant, il faut garder à l'esprit que les instruments juridiques ne peuvent pas tout. La France par exemple n'est pas en mesure de mettre fin aux activités de pêche illicite dans sa zone économique exclusive. Il n'est en effet pas possible de contrôler tous les navires circulant dans cette zone de 10 millions de kilomètres carrés. A plus forte raison, en haute mer, le contrôle de l'application de règles strictes est une véritable gageure.

Pour autant, cet accord constitue un pas encourageant dans la voie d'une gestion plus équilibrée des stocks halieutiques, et votre Rapporteur vous recommande donc d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 17 juillet 2002.

Après l'exposé du Rapporteur, le Président Edouard Balladur a souhaité savoir quelle réponse apportaient les autres pays à la question des sanctions qui manifestement n'est pas claire, en particulier en zone de haute mer.

M. Guy Lengagne a répondu qu'il fallait distinguer les pays signataires de l'accord et les autres. Pour les premiers, la situation est assez claire puisque l'accord prévoit un certain nombre de sanctions. Pour les seconds, la situation est plus complexe : si le navire de pêche « pirate » se trouve dans la zone économique exclusive, il peut être arraisonné, mais s'il est en haute mer, il n'est pas possible d'agir si son Etat de pavillon refuse la coopération internationale. On peut d'ailleurs se demander si ce type de comportement ne conduira pas un jour les Etats côtiers à souhaiter augmenter leur emprise territoriale sur l'ensemble des océans, ce qui serait regrettable.

M. René-Paul Victoria a rappelé que la Commission européenne avait pour principe de veiller tout particulièrement à la préservation de l'agriculture pour les départements d'outre-mer. Il a souligné que, dans les années à venir, la pêche allait y devenir la principale activité, avant le tourisme et l'économie sucrière, d'où l'importance des moyens qu'il convient d'accorder à la surveillance des océans et à la protection des richesses marines.

M. Guy Lengagne a indiqué que la pêche pouvait être potentiellement une activité très importante pour la Réunion, même si malheureusement les zones de thon se trouvent plus au nord, profitant donc bien davantage aux ports des Seychelles où ils sont déchargés. En ce qui concerne les ressources des Terres australes et antarctiques françaises, le problème réside dans le contrôle des ces zones du fait de leur éloignement et de leur étendue, mais il est incontestable qu'elles constituent une potentialité intéressante pour la Réunion.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (no39).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 39).

ANNEXE

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES ÉTATS SIGNATAIRES
DE LA CONVENTION AU 30 MAI 2002

Etats

Date de ratification

Allemagne

Argentine

Australie

23 décembre 1999

Autriche

Bahamas

16 janvier 1997

Bangladesh

Barbade

22 septembre 2000

Belgique

Belize

Brésil

8 mars 2000

Burkina Faso

Canada

3 août 1999

Chine

Iles Cook

1er avril 1999

Costa Rica

18 juin 2001

Côte d'Ivoire

Danemark

Egypte

Emirats arabes Unis

Espagne

Etats-Unis d'Amérique

21 août 1996

Communauté européenne

Fidji

12 décembre 1996

Finlande

France

Gabon

Grèce

Guinée-Bissau

Indonésie

Iran

17 avril 1998

Irlande

Islande

14 février 1997

Israël

Italie

Jamaïque

Japon

Luxembourg

Maldives

30 décembre 1998

Malte

11 novembre 2001

Iles Marshall

Maroc

Ile Maurice

25 mars 1997

Mauritanie

Micronésie (Etats Fédérés)

23 mai 1997

Monaco

9 juin 1999

Namibie

8 avril 1998

Nauru

10 janvier 1997

Niue

Nouvelle-Zélande

18 avril 2001

Norvège

30 décembre 1996

Ouganda

Pakistan

Papouasie-Nouvelle-Guinée

4 juin 1999

Pays-Bas

Philippines

Portugal

République de Corée

Royaume-Uni

10 décembre 2001

Russie

4 août 1997

Sainte-Lucie

9 août 1996

Iles Salomon

13 février 1997

Samoa

25 octobre 1996

Sénégal

30janvier 1997

Seychelles

20 mars 1998

Sri Lanka

24 octobre 1996

Suède

Tonga

31 juillet 1996

Ukraine

Uruguay

21 août 1996

Vanuatu

Total

31

En gras, les Etats qui ont déjà ratifié l'accord

N° 0103 - Rapport M. Guy Lengagne sur le projet d'application de la convention sur le droit de la mer relatif aux ressources halieutiques


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