![]() ![]() Document mis en distribution le 14 mars 2003 ![]() N° 637 ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 février 2003. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique et l'Agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties en France, PAR M. RICHARD CAZENAVE, Député -- Voir les numéros : Sénat : 199, 398 (2001-2002) et T.A. 13 (2002-2003) Assemblée nationale : 272 Traités et conventions SOMMAIRE ___ INTRODUCTION 5 I - LA FRANCE ET LA LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE 7 A - UNE PROLIFÉRATION CROISSANTE 7 B - LE SOUTIEN DE LA FRANCE A UNE APPROCHE MULTILATÉRALE. 8 II - LE PROGRAMME DE RENFORCEMENT DES GARANTIES A - LA NÉCESSITÉ DE MODERNISER UN SYSTÈME DE CONTRÔLE B - LE PROTOCOLE ADDITIONNEL DE 1998 SIGNÉ PAR LA FRANCE 10 CONCLUSION 11 EXAMEN EN COMMISSION 13 ANNEXE : Etats ayant signé ou ratifié un protocole additionnel 14 Mesdames, Messieurs, Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à autoriser la ratification du protocole additionnel à l'accord entre la France, la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom)1 et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) relatif à l'application de garanties en France. Le régime international de lutte contre la prolifération nucléaire est en effet fondé sur l'existence de règles, inscrites dans le Traité de non-prolifération (TNP) signé en 1968, et de mécanismes de contrôles confiés à l'AIEA, organisation internationale créée en 1956. Ces contrôles sont essentiels pour vérifier le respect de leurs engagements par les différentes parties au TNP : - ceux qui disposaient de l'arme nucléaire avant le 1er janvier 1968 sont qualifiés d'EDAN (Etats disposant de l'arme nucléaire), ils s'engagent à ne pas favoriser l'exportation de leur maîtrise de la technologie nucléaire militaire, - les autres Etats sont des ENDAN (Etats ne disposant pas de l'arme nucléaire) : ils s'engagent à ne pas se lancer dans un programme nucléaire militaire. Par ailleurs, trois Etats qui disposent de l'arme nucléaire - l'Inde et le Pakistan qui ont procédé à des essais, et Israël - ne sont pas parties au TNP. Bien que parfois critiqué, le régime international de non-prolifération, auquel la France s'est rallié en 1992, est un instrument essentiel. Les critiques qui lui sont adressés tiennent d'ailleurs moins aux principes qui le guident qu'à ses modalités d'application. Ainsi, le présent accord a pour objet de rendre ces dernières plus contraignantes, rendant par là plus crédible le régime international de lutte contre la prolifération nucléaire. I - LA FRANCE ET LA LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE A - Une prolifération croissante Certes, en nombre, les armes nucléaires sont moins nombreuses aujourd'hui qu'à la fin de la guerre froide. Mais cela s'explique avant tout par le démantèlement partiel des arsenaux nucléaires gigantesques des Etats-Unis et de l'Union soviétique, dont l'ampleur permettait la « destruction mutuelle assurée », interdisant de facto tout conflit armé ouvert entre les deux blocs. La chute du communisme a été à l'origine de nombreux accords de désarmement nucléaire. Dès avant la fin de la guerre froide, en 1987, le traité FNI (forces nucléaires intermédiaires) a permis la disparition des armes nucléaires de petite et de moyenne portée (de 500 à 5000 Km). Puis, les traités START I (1991) et START II (1993) se sont traduits par une diminution des armes stratégiques russes et américaines de l'ordre de 70 %. Enfin, les Etats-Unis et la Russie ont conclu, le 13 mai 2002 un accord de réduction des deux tiers de leurs arsenaux nucléaires stratégiques, à un niveau de 1 700 à 2 200 ogives de chaque côté. La portée de cet accord est en réalité limitée puisqu'il ne contraint pas à une destruction des têtes nucléaires qui pourront être stockées, et donc éventuellement redéployées. Par ailleurs, d'autres succès ont été obtenus dans le domaine de la non-prolifération au cours des années 1990, principalement la renonciation par certains pays à leurs armes nucléaires ou à leurs programmes de mise au point de telles armes. Ainsi, les Etats issus de l'ex-URSS sur le sol desquels des armes nucléaires étaient déployées, en dehors bien entendu de la Russie, ont renoncé à l'arme nucléaire : il s'agit de l'Ukraine, de la Biélorussie et du Kazakhstan qui ont donc signé le TNP en tant qu'Etats non nucléaires. De la même façon, l'Afrique du Sud (1991) qui disposait d'ores et déjà de six bombes, l'Argentine (1994) et le Brésil (1995) ont abandonné leur programme nucléaire militaire et adhéré au TNP. Cependant, en dépit de ces efforts méritoires, la prolifération s'est accentuée. En effet, un très petit nombre d'armes nucléaires donne déjà une très forte capacité de destruction massive, et la prolifération nucléaire s'évalue moins par le nombre total de têtes nucléaires que par celui des Etats, ou des organisations, disposant de telles armes. Or il est indéniable que le « club nucléaire » s'est élargi depuis la fin de la guerre froide. Ainsi, en procédant à un essai nucléaire en 1998, l'Inde et le Pakistan ont officialisé leur maîtrise du nucléaire militaire. La confirmation d'un potentiel nucléaire dans une région aussi sensible de la part de deux Etats en guerre ouverte ou larvée depuis 1947 est particulièrement inquiétante. D'autres Etats ont également conduit un programme nucléaire : cela a été prouvé dans le cas de la Corée du Nord et dans celui de l'Irak - et il faudra attendre le résultat des inspections pour savoir si ce programme a été entièrement démantelé - et dans celui de la Corée du Nord. Celle-ci, après avoir accepté de renoncer au nucléaire militaire en 1994, a récemment admis qu'elle avait continué son programme avant de dénoncer sa participation au TNP. Ainsi, ces quelques exemples démontrent que des pays du Sud sont en mesure de produire des armes nucléaires, y compris des pays peu fiables qui n'hésiteraient pas à faire commerce de leur technologie à d'autres Etats ou à des agents non-étatiques comme des organisations terroristes. Il est par exemple aujourd'hui admis que la Corée du Nord, qui a une capacité balistique reconnue, et le Pakistan, qui maîtrise l'arme nucléaire, ont coopéré en échangeant des informations. B - Le soutien de la France à une approche multilatérale Longtemps, la France a contesté les modalités du système international de non-prolifération. En effet, ce dernier était fondé sur le principe de la discrimination (entre les super-puissances ayant droit à l'arme nucléaire et les autres pays) alors que toute la politique étrangère de la France visait à préserver son indépendance nationale. Pour autant, la France partageait les objectifs du TNP et a ainsi signé un premier accord de garanties avec l'AIEA le 27 juillet 1978. Avec la fin de la guerre froide, l'attitude de la France vis-à-vis du système international de non-prolifération a totalement changé, au point qu'elle en est devenue l'un des acteurs les plus actifs. Les initiatives prises par notre pays dans le domaine de la non-prolifération depuis son adhésion au TNP en 1992 sont en effet impressionnantes : - désarmement nucléaire unilatéral le plus important des EDAN en proportion de son arsenal - démantèlement des installations de production de matières fissiles - après une dernière campagne d'essais nucléaires en 1995/96, pour pouvoir passer à la simulation, ratification du TICE (traité d'interdiction complète des essais nucléaires) et démantèlement des centres d'essais du pacifique (contrairement aux autres Etats nucléaires) - rôle majeur dans les négociations de 1995 qui ont abouti à la prorogation indéfinie du TNP (conclu en 1968 pour 30 ans). En effet, dans le nouveau contexte géopolitique, la France prend très au sérieux la menace de la prolifération et estime que le cadre multilatéral est le mieux adapté pour obtenir des résultats. Pour autant, cette approche ne signifie en rien une quelconque faiblesse ni une volonté de conciliation à l'égard des Etats proliférants. Ainsi, face aux critiques portant sur l'efficacité des contrôles de l'AIEA, la France plaide pour un renforcement de ceux-ci, ce que devrait permettre la mise en œuvre des protocoles additionnels aux accords de garanties conclus avec l'AIEA, sur le modèle de celui que nous examinons aujourd'hui. II - LE PROGRAMME DE RENFORCEMENT DES A - La nécessité de moderniser un système de contrôle qui avait montré ses limites Au début des années 1990, deux crises ont révélé les limites du régime de non-prolifération nucléaire. La guerre du Golfe tout d'abord a montré que l'Irak avait mis en place un programme nucléaire militaire pendant la décennie 1980, en marge de son programme civil, régulièrement contrôlé par les inspecteurs de l'AIEA. En effet, le principe des accords de garanties est que les Etats parties au TNP acceptent des contrôles dans des sites qu'ils déclarent eux-mêmes. Le cas de la Corée du Nord est plus nuancé en ce qui concerne l'efficacité des contrôles de l'AIEA. En effet, le programme nucléaire coréen a débuté dans les années 1960, mais la Corée du Nord n'a adhéré au TNP qu'en 1985, et à un accord de garanties avec l'AIEA qu'en 1992. Or, les contrôles de l'AIEA, qui n'ont donc commencé qu'en mai 1992, ont rapidement permis de découvrir une distorsion entre les déclarations coréennes et la réalité de son programme nucléaire, même s'ils n'ont pas pu en révéler l'ampleur. Par ailleurs, la crise ouverte de 1994 débouche sur un accord bilatéral avec les Etats-Unis qui marginalise quelque peu l'AIEA. Il est donc difficile de considérer que la poursuite du programme nucléaire coréen après 1994 s'explique uniquement par l'inefficacité des contrôles de l'AIEA. Néanmoins, ces deux crises de prolifération, ainsi que les soupçons portant sur un certain nombre d'autres pays signataires du TNP, ont conduit à s'interroger sur les mécanismes de contrôle de l'AIEA et à justifier la réflexion mise en place à ce sujet à partir de 1993. Cette réflexion, dite « programme 93+2 »2, avait pour objet de compléter les accords de garanties entre l'AIEA et les Etats parties au TNP par des protocoles additionnels afin d'accroître l'étendue et la précision des contrôles. Les accords conclus dans ce cadre constituent une évolution profonde du régime de contrôle de la prolifération nucléaire. Jusque là, l'Agence se contentait de vérifier l'exactitude des déclarations des Etats soumis aux garanties, alors que, dans le nouveau système, l'Agence pourra enquêter directement sur les activités nucléaires des Etats signataires. Cette évolution du rôle de l'AIEA conforte donc la position exigeante et ambitieuse de la France à l'égard du régime de non-prolifération. Malheureusement, ces contrôles étendus ne concerneront qu'un petit nombre de pays, et aucun de ceux sur lesquels existent des soupçons. Ainsi, au 7 février 2003, seuls 74 protocoles avaient été conclus, 28 seulement étant entrés en vigueur. On remarquera que sur cette liste3 ne figurent pas les Etats nucléaires non signataires du TNP - Inde, Pakistan et Israël4 - ni l'Irak, ni la Corée du Nord, qui vient d'ailleurs de dénoncer le TNP. Plus globalement, dans une zone aussi sensible que le Moyen-Orient, un seul pays a signé un tel protocole, il s'agit de la Jordanie. B - Le protocole additionnel de 1998 signé par la France Le modèle de protocole additionnel aux accords de garanties entre les Etats parties au TNP et l'AIEA a été adopté le 15 mai 1997. A l'origine, il était destiné aux Etats non nucléaires, les ENDAN, mais il a également servi de base aux protocoles signés par les cinq Etats nucléaires officiels, les EDAN. Le protocole entre la France, l'AIEA et l'Euratom a été signé le 22 septembre 1998, de même que le protocole, similaire, signé par le Royaume-Uni et que celui conclu avec les treize autres membres de l'Union européenne. Ces accords entreront en vigueur lorsque tous les Etats membres de l'Union européenne auront achevé leur procédure de ratification. Près de cinq ans après la signature, cinq Etats ne l'ont pas encore fait : le Danemark, l'Italie, l'Irlande, le Luxembourg, et la France. Les stipulations des protocoles additionnels ont donc pour but de permettre un contrôle plus strict et plus étendu des installations nucléaires des Etats signataires : - la France s'engage ainsi à fournir à l'AIEA des informations supplémentaires dans de nouveaux domaines (relatives à la coopération nucléaire en matière civile concernant les opérations du cycle du combustible nucléaire, à l'exportation ou à l'importation de certains déchets nucléaires et de certains équipements...). - la France accorde également un droit d'accès complémentaires à ses installations pour des contrôles de l'AIEA. Ce droit qui n'est pas systématique - il ne s'agit pas d'inspections - est destiné à vérifier l'exactitude et l'exhaustivité de renseignements fournis par la France, dans certaines conditions, et à permettre d'effectuer des prélèvements dans l'environnement. La politique étrangère de la France est fondée sur des principes, que sa position sur la crise irakienne a confirmés. Parmi ces principes figurent la priorité donnée au multilatéralisme et un engagement très fort dans le domaine du désarmement. S'agissant du désarmement nucléaire, la France a concrétisé cet engagement plus que tout autre pays dans le monde, il est normal qu'elle soutienne actuellement le régime international de lutte contre la prolifération confié à l'AIEA. Afin de compléter son engagement, il est donc devenu urgent pour elle de ratifier dans les meilleurs délais le protocole qu'elle a signé à son accord de garanties. Pour ces raisons, votre Rapporteur vous recommande l'adoption du présent projet de loi. La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 26 février 2003. Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 272). * * * La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi. NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 272). ANNEXE Etats ayant signé ou ratifié un protocole additionnel à leur accord de garanties
(1) Les Quinze Etats de l'Union européenne ont signé l'un des trois protocoles additionnels avec Euratom et l'AIEA ; un pour la France, un pour le Royaume-Uni et un pour tous les Etats non-nucléaires · Chacun de ces Etats a indiqué à l'AIEA que toutes les conditions internes sont remplies pour son entrée en vigueur. Les protocoles additionnels entreront en vigueur à réception d'une notification écrite de l'Union européenne et de Euratom, indiquant que leurs propres conditions internes à l'entrée en vigueur sont remplies. N° 0637 - Rapport sur le projet de loi de ratification de l'accord France-communauté européenne de l'énergie atomique et agence internationale de l'énergie atomique (Sénat, 1ère lecture)(M. Richard Cazenave) 1 Il s'agit d'un accord tripartite afin de tenir compte des compétences de l'Euratom en matière de sécurité des installations nucléaires. 2 Lancé en 1993, le programme était censé aboutir deux ans plus tard, au moment de la conférence de prorogation du TNP 3 Voir en annexe 4 Ces trois pays ont néanmoins conclu avec l'AIEA des accords de garanties spécifiques qui ne concernent qu'un petit nombre d'installations. © Assemblée nationale |