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le 1er avril 2003

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N° 754

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mars 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE PAR M. DIDIER QUENTIN (n° 715), sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique (15748/02 / E 2210) ,

PAR M. RENAUD DONNEDIEU DE VABRES,

Député

--

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - DES ACCORDS UTILES POUR RENFORCER LA LUTTE CONTRE
     LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE
7

II - LA PROCÉDURE SUIVIE : UN VÉRITABLE IMBROGLIO JURIDIQUE 9

III - LES STIPULATIONS DES ACCORDS : UN CONTENU
       LARGEMENT SATISFAISANT
13

A - DES ACCORDS UTILES ET ÉQUILIBRÉS 13

B - QUELQUES POINTS À ÉCLAIRCIR AVANT L'ADOPTION
      DÉFINITIVE DE L'ACCORD
14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

PROPOSITION DE RESOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION 23

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes aujourd'hui appelés à nous prononcer sur une proposition de résolution de M. Didier Quentin, adoptée par la Délégation pour l'Union européenne de notre Assemblée le 19 mars dernier, en vertu de l'article 151-2 de notre Règlement.

Cette proposition de résolution sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique concerne deux projets d'accords sur l'extradition et l'entraide judiciaire.

Le Conseil « Justice et Affaires intérieures » de l'Union a décidé de suspendre les négociations le 28 février 2003, notamment pour permettre aux délégations nationales de consulter leurs Parlements. Le Gouvernement français a donc transmis à l'Assemblée nationale et au Sénat les projets d'accords d'extradition et d'entraide judiciaire.

Cette consultation semble en effet indispensable dans la mesure où ces accords concernent un domaine particulièrement sensible en raison de leurs effets sur les libertés individuelles. De plus, en ce qui concerne la France, la ratification de ce type d'accord doit être autorisée par le Parlement, en application de l'article 53 de la Constitution qui dispose que « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ».

Or, les accords qui nous sont aujourd'hui soumis sont négociés en application d'une procédure, l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, dont la généralisation pourrait réduire considérablement le pouvoir d'autorisation du Parlement sur les accords internationaux.

I - DES ACCORDS UTILES POUR RENFORCER LA LUTTE
CONTRE LA CRIMINALITÉ TRANSNATIONALE

L'internationalisation des marchés, notamment de capitaux, l'interdépendance croissante des économies et des réseaux, les progrès rapides des modes de communications et des transports, se sont accompagnés d'un essor parallèle d'une criminalité transnationale organisée. En effet, dans ce dernier domaine, la mondialisation semble avoir été beaucoup plus rapide et efficace que dans ceux de la justice et de la police.

Les activités criminelles les plus « prospères » - terrorisme, trafic de drogue, réseaux de prostitution ou de « passeurs » d'immigrés clandestins, blanchiment d'argent sale... - ne peuvent pas être combattues à l'intérieur des seules frontières nationales, et profitent au contraire de celles-ci pour échapper plus facilement aux systèmes policiers et judiciaires, qui restent fortement cloisonnés.

Ce constat n'a rien de nouveau, mais les attentats terribles du 11 septembre lui ont donné une nouvelle dimension. Ces derniers sont en effet le reflet très caractéristique de l'internationalisation des réseaux criminels : les attentats ont eu lieu aux Etats-Unis, ils ont été perpétrés par des terroristes de nationalité saoudienne et égyptienne, longtemps installés en Allemagne, les donneurs d'ordre étaient issus d'une nébuleuse terroriste, Al Qaeda, elle-même transnationale et basée en Afghanistan. De plus, l'enquête a également mis en cause dans cette affaire un citoyen français d'origine marocaine, devenu fondamentaliste islamiste lors de son séjour au Royaume-Uni.

Certes, il existe des dispositifs très anciens de coopération judiciaire, les traités d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale : le premier accord internationale organisant l'extradition est ainsi le Traité de paix et de reconnaissance entre l'Egypte de Ramsès II et les Hittites, en 1279 avant JC. D'ailleurs, il existe des traités bilatéraux d'extradition entre les Etats-Unis et chacun des quinze membres de l'Union européenne, mais des traités d'entraide judiciaire en matière pénale avec seulement onze pays. Par ailleurs, les traités d'extradition sont souvent anciens - ce qui n'est pas le cas de celui conclu avec la France, signé en 1996 et ratifié en 2001 - et incomplets. En conséquence, les attentats de New York et Washington ont fait prendre conscience de la nécessité d'intensifier la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Ainsi, le principe de la négociation d'accords en matière d'extradition et d'entraide judiciaire avec les Etats-Unis a été décidé par le Conseil « Justice et Affaires intérieures » extraordinaire du 20 septembre 2001, confirmé lors des Conseils européens de Bruxelles, le 21 septembre 2001, et de Gand, le 19 octobre 2001. Les négociations proprement dites ont débuté en juin 2002.

II - LA PROCÉDURE SUIVIE :
UN VÉRITABLE IMBROGLIO JURIDIQUE

Le Rapporteur de la Délégation pour l'Union européenne, M. Didier Quentin, insiste fortement sur la curiosité de la procédure de conclusion des accords.

Ces deux accords ont été négociés, et devraient être conclus, sur la base de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, introduit par le Traité d'Amsterdam. Il s'agira de la première application de cette procédure :

- à un texte relevant du pilier « Justice et Affaires intérieures »

- à un accord dont la ratification doit être autorisée en France par le Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution.

La mise en œuvre de cet article 24 telle qu'elle a été décidée par le service juridique du Conseil de l'Union européenne pose un certain nombre de problèmes et pourrait remettre en cause le pouvoir d'autorisation du Parlement en ce qui concerne les traités et accord cités à l'Article 53 de la Constitution.

M. Didier Quentin nous apprend dans l'exposé des motifs de sa proposition de résolution que « les projets d'accords ont été négociés et seront conclus sur le fondement de l'article 24 du traité sur l'Union européenne (...) [qui] permet au conseil de l'Union d'autoriser la présidence à négocier des accords avec les pays tiers, ces accords étant ensuite « conclus par le conseil sur recommandation de la présidence ». La rédaction de cet article est très ambiguë. Elle ne précise pas au nom de qui ces accords seront conclus par le conseil de l'Union : les Etats membres ou l'Union européenne ? Les deux interprétations ont été défendues par la doctrine. Le service juridique du conseil de l'Union a adopté la seconde, selon laquelle les accords conclus sur ce fondement le sont au nom de l'Union européenne. L'Union serait donc la seule partie contractante à ces accords, avec le pays tiers concerné ».

Quelles sont les conséquences concrètes sur les pouvoirs des Parlements nationaux, du choix de l'une ou l'autre interprétation de l'article 24 du Traité ?

- si les accords sont conclus uniquement au nom de l'Union européenne, cela signifie qu'ils entrent en vigueur dès leur conclusion avec l'autre Partie, en l'occurrence les Etats-Unis, et s'appliquent sur l'ensemble du territoire de l'Union, sans qu'il soit nécessaire pour chacun des Etats membres de ratifier l'accord, et sans même aucune intervention du Parlement européen,

- si les accords sont conclus par le Conseil de l'Union, au nom des Etats, cela signifie que seul le pouvoir de négociation est transféré au Conseil, mais que chaque Etat peut continuer de ratifier l'accord en fonction de ses règles constitutionnelles propres. D'ailleurs le cinquième alinéa de l'article 24 permet explicitement à un Etat membre de ne pas être lié par l'accord conclu par le Conseil de l'Union, s'il invoque la nécessité de « se conformer à ses propres règles constitutionnelles ».

La première interprétation d'une conclusion de ces accords au seul nom de l'Union européenne, sans l'intervention des Etats, a donc été retenue, ce qui pose deux séries de questions, quant à la sécurité juridique des futurs accords en France, et quant aux prérogatives constitutionnelles du Parlement.

· En ce qui concerne tout d'abord le problème de la sécurité juridique des futurs accords, il semble, comme l'indique M. Didier Quentin dans son rapport1, que l'article 24 n'ait pas été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel, lorsqu'il s'est prononcé sur le Traité d'Amsterdam, car celui-ci avait retenu la seconde interprétation, selon laquelle l'accord serait conclu au nom des Etats membres. Dans ce dernier cas, la France aurait donc pu appliquer ses propres règles constitutionnelles de ratification des traités, comme l'autorise le cinquième alinéa de l'article 24.

Ainsi, s'il se confirme que la constitutionnalité de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne dépend d'une interprétation qui ne s'est pas imposée, l'on peut donc s'interroger sur la régularité des actes qui seront pris en application des accords d'extradition et d'entraide judiciaire.

En effet, cette question est loin d'être uniquement théorique, elle peut avoir des conséquences pratiques majeures. Depuis 1998, le Conseil d'Etat n'hésite pas annuler des actes pris sur le fondement d'un accord international irrégulièrement entré en vigueur (CE, 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim). Concrètement, cela signifie qu'il pourrait par exemple annuler les décrets d'extradition pris en application de l'accord entre l'Union européenne et les Etats-Unis, s'il estimait que la procédure suivie n'était pas conforme à la Constitution, ce qui mettrait alors la France dans une position très difficile vis-à-vis de ses partenaires. La proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne demande avec raison que le Gouvernement demande un avis au Conseil d'Etat sur la procédure d'adoption de ces accords.

· En ce qui concerne ensuite la question des prérogatives constitutionnelles du Parlement vis-à-vis d'accords internationaux conclus entre l'Union européenne et un pays tiers, il convient de préciser que la généralisation de la procédure suivie reviendrait à dessaisir le Parlement d'une part importante de son pouvoir d'autorisation en matière de traités et accords internationaux.

En effet, de tels accords pourraient se substituer à des accords bilatéraux existants dont la ratification a été autorisée par le Parlement, sans qu'aucune nouvelle autorisation parlementaire ne soit nécessaire. L'Assemblée nationale et le Sénat, et en premier lieu leurs commissions des affaires étrangères, pourraient donc perdre une prérogative très importante. Dans le domaine des conventions judiciaires, ce pouvoir d'autorisation n'est pas seulement symbolique : compte tenu du caractère très sensible de ces accords, le Parlement exerce sur celles-ci un contrôle rigoureux et n'hésite parfois pas à refuser son autorisation, ou à la conditionner à des précisions quant à son interprétation. C'est ainsi que la Commission des Affaires étrangères avait suspendu l'examen du Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis, le 28 mars 2001, et ne l'avait repris que le 10 octobre 2001, après avoir obtenu un certain nombre de précisons quant à la non application de la peine de mort.

M. Didier Quentin a donc formulé le souhait que le Parlement puisse continuer à autoriser la ratification de tels accords, en vertu de l'article 53 de la Constitution, ou, qu'à tout le moins, la procédure de consultation du Parlement sur de tels actes soit notablement renforcée. En effet, s'agissant de domaines aussi sensibles que ceux concernés par le pilier « Justice-Affaires intérieures », il est indispensable que les Parlements nationaux puissent être étroitement associés aux décisions prises, et non pas seulement informés comme c'est le cas actuellement avec l'article 88-4 de la Constitution. D'ailleurs, dans certains pays (Danemark, Finlande, Suède) les avis donnés par le Parlement sont contraignants pour le Gouvernement dans la négociation, il faudrait au moins que cela soit le cas en France pour les domaines relevant de la mise en place de l'« espace de liberté, de sécurité et de justice ».

III - LES STIPULATIONS DES ACCORDS :
UN CONTENU LARGEMENT SATISFAISANT

A - Des accords utiles et équilibrés

Par rapport aux traités bilatéraux d'extradition et aux traités d'entraide judiciaire, quand ils existent, les deux accords Union européenne/Etats-Unis apporteront des compléments intéressants.

Dans le domaine de l'entraide judiciaire, les progrès par rapport aux procédures actuelles ne sont pas négligeables. Cela est d'autant plus remarquable que les enquêtes dans le domaine du terrorisme requièrent une coopération étroite entre systèmes judiciaires dans la mesure où les réseaux sont transnationaux et où les éléments nécessaires à une enquête donnée doivent souvent être recherchés dans un pays étranger. Ainsi, le projet d'accord renforce la coopération judiciaire pour la recherche d'informations bancaires, il ne sera donc plus possible d'opposer le secret bancaire pour refuser une demande d'assistance. Il s'agit là d'une avancée importante dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.

La longueur et la lourdeur des procédures limitent parfois l'efficacité de la coopération judiciaire. Or l'entrée en vigueur des accords entraînera de vrais progrès dans ce domaine. En matière d'entraide judiciaire, l'accord prévoit la mise en place d'équipes communes, la possibilité de visioconférences ou l'utilisation éventuelle de télécopies ou de courriers électroniques pour formuler les demandes d'entraide. En ce qui concerne l'extradition, le futur accord simplifie les procédures de transmission et d'authentification des demandes et prévoit des procédures d'extradition simplifiée en cas de consentement de la personne recherchée.

S'agissant de coopération judiciaire avec les Etats-Unis, un point doit particulièrement attirer notre attention : celui de la peine de mort. Or les garanties prévues par le projet d'accord d'extradition (article 13) relatives à l'application de la peine de mort aux Etats-Unis nous semblent pleinement satisfaisantes. Le principe retenu reprend celui qui fonde la pratique des juridictions françaises en la matière, formalisée par la suite dans le Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis de 1996 : ce principe revient à conditionner l'extradition, vers les Etats-Unis, d'un suspect qui encoure la peine de mort, à l'obtention d'assurances satisfaisantes que la peine de mort ne sera pas prononcée ou pas exécutée.

De plus, la procédure envisagée pour s'assurer du respect de ce principe semble même plus protectrice que celle prévue dans le traité bilatéral franco-américain. En effet, la formulation de l'article 7 de ce Traité - selon laquelle la peine de mort ne sera pas infligée ou, si elle est prononcée qu'elle ne sera pas exécutée - avait entraîné un certain émoi au sein de la Commission des Affaires étrangères, car elle pouvait donner l'impression que la peine de mort n'était pas interdite par le Traité, mais seulement que son exécution était impossible. A cet égard, le projet d'accord contient une disposition beaucoup plus satisfaisante, puisqu'il affirme clairement que le non prononcé de la peine de mort est le principe. Une peine de mort non exécutée pourrait cependant être prononcée dans les cas où, pour des raisons procédurales liées au système pénal de certains Etats américains, il n'est pas possible d'obtenir l'assurance que la peine de mort ne sera pas prononcée.

Plus globalement, l'article 16 bis du projet d'accord prévoit que « les principes constitutionnels de l'Etat requis sont de nature à faire obstacle à son obligation d'extradition ».

B - Quelques points à éclaircir avant l'adoption définitive de l'accord

La proposition de résolution qui nous est soumise relève un certain nombre de points sur lesquels la délégation française au Conseil devrait encore demander des améliorations.

Une première série d'interrogations a trait à des demandes d'extradition que le projet d'accord ne prévoit pas de pouvoir refuser, mais qui ne pourraient pas pour autant être acceptées par les juridictions nationales, car elles contreviendraient à certaines règles procédurales, notamment celles inscrites dans la Convention européenne des droits de l'Homme. Il s'agit par exemple de :

- l'existence aux Etats-Unis de juridictions militaires spécialisées pour les terroristes étrangers. Manifestement, extrader des suspects vers de tels tribunaux serait contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme : certes, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que cet article n'interdit pas, par principe, l'instauration de juridictions spécialisées, à condition qu'elles répondent aux critères de cet article (tribunaux établis par la loi, impartiaux et indépendants). En l'occurrence, il faut rappeler que ces tribunaux ont été créés par un acte du Président des Etats-Unis, sont composés de militaires nommés par le Secrétaire à la défense et peuvent juger des civils, tout en instaurant une discrimination de traitement entre citoyens américains et étrangers. Il serait donc préférable que l'accord d'extradition prévoie explicitement qu'il est possible de refuser une extradition devant ces juridictions d'exception,

- l'absence, dans le projet d'accord d'extradition, de dispositions relatives aux personnes jugées par défaut alors que les tribunaux français n'autorisent pas l'extradition de personnes condamnées dans de telles conditions lorsque celles-ci ne peuvent pas bénéficier d'un nouveau procès.

Concernant ces interrogations, l'absence de dispositions précises dans l'accord d'extradition n'entraînera aucune conséquence dommageable pour les personnes extradables, puisque les autorités exécutives et juridictionnelles devront faire prévaloir les dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme. Cependant, il serait préférable d'éviter que les Etats européens ne se mettent, en une telle circonstance, en violation de l'accord d'extradition.

Une deuxième série d'interrogations pourrait avoir des conséquences plus directes pour les personnes extradables. Il s'agit de circonstances dans lesquelles il ne serait pas possible d'écarter l'application de l'accord d'extradition, l'auteur de la proposition de résolution cite notamment :

- le problème des peines perpétuelles incompressibles. L'existence de telles peines ne permettrait pas de s'opposer à une extradition (sauf si son interdiction est un principe constitutionnel comme au Portugal). Jusqu'ici, les juridictions françaises n'ont jamais demandé de garanties à ce sujet : demander au Gouvernement d'obtenir une modification de projet d'accord d'extradition sur ce point ne nous semble donc pas judicieux,

- la question du lien entre mandat d'arrêt européen et demande d'extradition de la part des Etats-Unis. Dans l'état actuel de la rédaction du projet d'accord, un mandat d'arrêt européen n'est pas prioritaire par rapport à une demande d'extradition formulée par les Etats-Unis, ce qui n'est pas cohérent avec le désir affiché de construire un véritable espace judiciaire européen.

CONCLUSION

Au-delà des problèmes constitutionnels bien réels qui entourent la procédure d'adoption de ces accords d'extradition et d'entraide judiciaire, il faut rappeler que l'initiative prise après les attentats du 11 septembre constitue un progrès dans la lutte contre l'impunité. La mondialisation du droit est en effet très en retard par rapport à celle du crime.

Cependant, s'agissant de matières aussi sensibles, le Parlement doit exercer un contrôle vigilant, et c'est pourquoi nous vous demandons d'adopter la proposition de résolution de M. Didier Quentin, adoptée par la Délégation pour l'Union européenne, complétée par les amendements proposés par votre Rapporteur.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa réunion du mercredi 26 mars 2003.

Après l'exposé du Rapporteur, Le Président Edouard Balladur a observé que les deux points de l'ordre du jour soulevaient des questions de procédure parlementaire. Il a invité le Rapporteur à résumer les deux questions soumises à l'adoption de la commission.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a précisé que la première question avait trait au rôle du Parlement national dans la ratification d'un traité, dans les conditions crées par l'article 24 du Traité d'Amsterdam. Celui-ci permet la négociation directe d'un accord entre le Conseil de l'Union européenne et des entités extérieures - s'agissant en ce cas précis des Etats-Unis. Il convient de savoir à quel moment et avec quelle force juridique le Parlement national doit intervenir pour autoriser l'approbation d'un tel texte.

A la question du Président Edouard Balladur demandant si tel était le souhait de la Délégation pour l'Union européenne et du Rapporteur de la Commission, M. Renaud Donnedieu de Vabres a précisé que cela méritait un débat. L'amendement proposé demande qu'une réflexion soit engagée afin de définir les nouvelles modalités d'intervention du Parlement français préalablement à l'adoption de tels accords, notamment par une modification de l'article 88-4 de la Constitution conférant au Parlement, dans les matières relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le pouvoir d'établir des mandats de négociation impératifs.

M. Guy Lengagne a indiqué qu'il serait favorable à une telle procédure qui ne peut que préserver les droits du Parlement, et que la position que l'on peut prendre sur cette question dépasse, comme le dossier précédent, les clivages politiques. En outre, il s'agit pour le moment d'ouvrir une réflexion sur l'évolution des dispositions actuelles relatives à l'examen des projets d'actes de l'Union.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a confirmé ce dernier point, ajoutant que l'avis du Conseil d'Etat est souhaité, afin de contribuer à ce débat.

Le Président Edouard Balladur a remarqué que, dans les Affaires européennes, on reste souvent à la moitié du chemin. La conclusion du service juridique du Conseil de l'Union n'est pas étonnante en soi, mais si elle a pour conséquence qu'aucune autorité législative européenne ou nationale n'intervient pour la ratification, la question est très sérieuse. L'avis du Conseil d'Etat serait en effet utile pour éclairer cette question complexe.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ajouté que cette question n'est pas théorique, car s'agissant de coopération judiciaire, de décrets d'extradition, de procédure judiciaire dans un pays tiers, il peut y avoir des conséquences considérables en termes de procédures. Si un accord apparaît comme contraire à la constitution, et que le décret d'extradition est annulé par le Conseil d'Etat, les répercussions négatives pourraient être importantes dans les rapports bilatéraux entre Etats.

Le Président Edouard Balladur a qualifié de sage et raisonnable la position de la Délégation et estimé qu'elle pouvait être soutenue par la Commission avant de mettre aux voix l'amendement du Rapporteur visant à engager une réflexion sur l'article 88-4 de la Constitution.

La Commission a adopté l'amendement du Rapporteur.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ensuite rappelé les termes de la deuxième question posée à la Commission. Le seul amendement proposé est de ne pas ouvrir le débat sur les peines incompressibles, sachant que l'existence de telles peines ne permet pas de s'opposer à une extradition, sauf si cela est formulé comme principe constitutionnel comme au Portugal. Les juridictions françaises n'ont d'ailleurs jamais demandé de garanties à ce sujet.

M. Roland Blum a demandé si, aux Etats-Unis, la procédure de demande d'extradition relevait du niveau de compétence fédéral ou local.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a répondu qu'en vertu de la hiérarchie des normes américaines, les traités et conventions ratifiés s'appliquent uniformément dans tous les Etats et sont supérieurs aux normes émanant des Etats.

Le Rapporteur indiquant que dès lors que l'extradition au motif que la personne suspectée risque une peine de prison perpétuelle incompressible n'existe pas en droit français, l'introduction d'une référence explicite n'apparaissait pas nécessaire.

M. Guy Lengagne a approuvé l'idée d'une référence expresse aux droits fondamentaux, en lien avec l'action qu'un certain nombre de députés ont menée pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis.

M. François Loncle a dit partager la réflexion précédente, dans la mesure où il s'agit d'un vœu que formule l'Assemblée nationale, considérant que notre pays comme l'Union européenne, notamment à travers la Charte des droits fondamentaux, défendent des valeurs partagées que l'on peut mentionner.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a souligné que cette proposition ne concerne pas l'application de la peine de mort. Les dispositions qui nous sont proposées vont plus loin et offrent encore davantage de garanties que celles de l'accord adopté par la Commission des Affaires étrangères en 2001. Les points 7 et 8 font d'ailleurs référence à l'article 6 du Traité sur l'Union européenne. Les juridictions françaises n'ont jamais demandé de garanties sur le prononcé de peines de prison perpétuelle incompressibles, et il n'est donc pas utile d'ouvrir le débat sur ce sujet. En outre la Convention européenne des droits de l'Homme reste une norme supérieure en la matière.

Le Président Edouard Balladur a ajouté qu'il serait préférable de ne pas adopter une décision qui pourrait, dans les circonstances actuelles, être interprétée comme une marque de défiance envers la procédure pénale américaine.

Il a ensuite mis aux voix l'amendement présenté par le Rapporteur, visant à supprimer le point 9 de la résolution, ainsi formulé « émet le vœu ardent d'une disposition spécifique introduite dans le projet d'accord en ce qui concerne les peines perpétuelles incompressibles, ou qu'à défaut il soit inscrit une référence expresse aux droits fondamentaux tels que garantis par le traité sur l'Union européenne ».

La Commission a adopté l'amendement du Rapporteur supprimant le point 9 de la proposition de résolution.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté la proposition de résolution (n° 715) ainsi modifiée.

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 151-1 du Règlement, la présente proposition de résolution, dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire (15748/02 / E 2210),

1. Réaffirme sa volonté de renforcer la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique dans la lutte contre la criminalité et, en particulier, contre le terrorisme ;

I. En ce qui concerne la procédure de conclusion des accords :

2. Souhaite que le gouvernement français saisisse le Conseil d'Etat d'une demande d'avis concernant la régularité juridique de la procédure de conclusion envisagée, tant au regard du droit international et européen applicable que de la Constitution française, et en communique le contenu au Parlement ;

3. Estime que la France devrait invoquer la nécessité de se conformer « à ses propres règles constitutionnelles » prévue à l'article 24 du traité sur l'Union européenne, et soumettre ces projets d'accords au Parlement au titre de l'article 53 de la Constitution, si cette procédure est juridiquement envisageable ;

4. Demande qu'à défaut, une réflexion soit engagée afin de définir de nouvelles modalités d'intervention du Parlement français préalablement à l'adoption de ces accords, notamment par une modification de l'article 88-4 de la Constitution conférant au Parlement, dans les matières relevant de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, le pouvoir d'établir des mandats de négociation impératifs.

5. Recommande qu'au niveau européen, un droit « d'alerte précoce » soit conféré aux parlements nationaux, lorsqu'une proposition porte atteinte aux droits fondamentaux ou aux aspects fondamentaux de leur droit pénal national.

II. En ce qui concerne le contenu des accords :

6. Souhaite que le gouvernement français saisisse le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la conformité de ces projets d'accords à la Constitution et aux engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l'homme ;

7. Demande qu'une disposition spécifique soit introduite dans les projets d'accords en ce qui concerne les juridictions militaires spécialisées existant aux Etats-Unis ou, à défaut, que soit inscrite une référence expresse aux droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

8. Suggère qu'une disposition spécifique soit introduite dans le projet d'accord d'extradition, en ce qui concerne les décisions rendues par défaut ou, qu'à tout le moins y soit inscrite une référence expresse aux droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

9. Demande que la référence au mandat d'arrêt européen mentionnée dans le projet d'accord d'extradition soit supprimée, afin de préserver la possibilité d'établir une priorité en faveur de l'espace judiciaire européen.

N° 0754 - Rapport sur la proposition de résolution sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique (M. Renaud Donnedieu de Vabres)

1 Rapport d'information n° 716 - XIIème législature, de M. Didier Quentin, pour la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne (p. 18)


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