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le 6 juin 2003

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N° 894

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juin 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 820) DE M. JACQUES FLOCH, sur l'avenir d'Europol (documents E 2064, E 2197 à E 2200),

PAR M. Alain MARSAUD,

Député.

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Voir les numéros : 819 et 820.

Politiques communautaires.

INTRODUCTION 5

I. - EUROPOL : UN RÔLE CROISSANT DANS LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE 6

A. DES COMPÉTENCES ET DES MOYENS IMPORTANTS 7

1. Un champ d'intervention étendu 7

2. Des mission diversifiées 8

a) L'échange d'informations par les officiers de liaison 8

b) L'analyse criminelle 8

c) La coordination opérationnelle 9

3. Des moyens en progression 9

B. UN RÔLE DESTINÉ À CROÎTRE : VERS UNE POLICE CRIMINELLE EUROPÉENNE 10

1. La mise en place du système d'informations 10

2. Le développement de compétences opérationnelles 11

3. Les perspectives ouvertes dans le cadre de la Convention européenne 11

a) Les propositions franco-allemandes 11

b) Le projet d'article présenté par le Praesidium de la Convention 12

II. - UN ORGANISME QUI CONNAÎT DES DIFFICULTÉS DE FONCTIONNEMENT ET DEMEURE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉ PAR LA FRANCE 12

A. DES DIFFICULTÉS DE FONCTIONNEMENT 12

1. Des instances de décision qui ne remplissent pas leur rôle 12

a) Un conseil d'administration impuissant 12

b) Un Conseil des ministres peu présent 13

2. Des difficultés de financement 13

3. Un régime linguistique coûteux 13

4. Un contrôle externe insuffisant 13

a) Une autorité de contrôle trop dépendante 13

b) Un contrôle juridictionnel réduit 14

c) Un contrôle parlementaire limité 14

5. Un frein culturel 14

B. UNE INSUFFISANTE VALORISATION PAR LA FRANCE 15

1. Une sous-utilisation chronique 15

2. Une sous-représentation qui s'accentue 15

III. - DIX PISTES DE RÉFLEXION POUR ASSURER UNE MEILLEURE PARTICIPATION DE LA FRANCE À EUROPOL ET ACCROÎTRE LA LÉGITIMITÉ ET L'EFFICACITÉ DE CETTE INSTITUTION 16

A. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LES PROJETS D'ACTES COMMUNAUTAIRES 16

1. Le développement des relations avec les États tiers : les accords projetés avec Chypre, la Bulgarie, la Slovaquie et la Russie 16

2. L'initiative du Royaume du Danemark 16

a) L'assouplissement du monopole détenu par les « Unités nationales Europol » 17

b) Les règles nouvelles concernant le traitement des données 17

c) Le renforcement du contrôle exercé par le Parlement européen 18

B. LES AVANCÉES PRÉCONISÉES PAR LA RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE 18

1. Promouvoir un usage optimal d'Europol par la France 18

a) Une meilleure utilisation d'Europol par la France 18

b) Une présence française accrue au sein d'Europol 19

2. Renforcer le contrôle démocratique d'Europol 19

a) La mise en place d'une commission mixte composée de parlementaires européens et nationaux 19

b) Une présidence permanente pour le conseil d'administration d'Europol 20

c) Une autorité de contrôle plus indépendante 20

d) Un parquet européen supervisant les activités d'Europol 20

3. Rationnaliser le fonctionnement d'Europol 21

a) La simplification du régime linguistique 21

b) La fusion d'Europol et de l'olaf 21

DISCUSSION GÉNÉRALE 21

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION SUR L'AVENIR D'EUROPOL 23

MESDAMES, MESSIEURS,

Organisme intergouvernemental de coopération policière installé à La Haye, l'Office européen de police (Europol) a été créé par une convention signée par les 15 États membres de l'Union, le 26 juillet 1995. Il a succédé à l'« Unité drogues Europole », instituée le 3 janvier 1994, et dont la compétence se limitait à la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Alors que la lutte contre la criminalité devient une question cruciale pour l'Union dans un contexte marqué par l'élargissement, Europol à l'instar d'Eurojust est aujourd'hui au coeur des débats européens, notamment au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe. La France et l'Allemagne, dans une contribution commune présentée en novembre 2002, ont souhaité qu'il devienne « une autorité coercitive européenne », dotée du droit de mener des enquêtes.

La délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a adopté le 29 avril dernier une proposition de résolution sur une initiative du Royaume du Danemark, tendant à modifier la Convention Europol (E 2064), et sur quatre projets d'accords entre l'Office et la République slovaque, la Bulgarie, Chypre et la Fédération de Russie (E 2197 à 2200) (1).

Ces projets d'actes devraient être adoptés par le Conseil « Justice et Affaires Intérieures » du 6 juin prochain et ne soulèvent pas de difficultés. Ils ont constitué l'occasion pour la délégation de se livrer à une analyse approfondie du fonctionnement actuel d'Europol et de formuler une série de recommandations pour améliorer son fonctionnement et permettre à la France d'en faire un usage optimal.

Les recommandations de la délégation rejoignent parfaitement les préoccupations de la commission des Lois et il était souhaitable que notre assemblée prenne position sur le débat en cours au sein de la Convention européenne. Notre Parlement doit saisir toutes les occasions pour s'exprimer sur l'évolution d'Europol, qui, conçu à l'origine comme un simple centre d'échanges d'informations, pourrait devenir une véritable police criminelle européenne.

I. - EUROPOL : UN RÔLE CROISSANT DANS LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE

Le rôle d'Europol dans la lutte contre la criminalité organisée s'est considérablement développé depuis l'entrée en vigueur de sa convention institutive le 1er octobre 1998. Intégré dans le système institutionnel de l'Union européenne mais globalement soumis aux règles de la coopération intergouvernementale, au sein du « troisième pilier », Europol ne disposait à l'origine d'aucune compétence opérationnelle. Mais depuis le traité d'Amsterdam, il évolue vers une véritable police criminelle européenne.

CHRONOLOGIE D'EUROPOL
Huit ans de travaux, de l'idée politique à un organisme opérationnel

Juin 1991 : Initiative fondatrice du Chancelier Kohl.

Octobre 1991 : Début des travaux Europol, sur la base de l'« acquis du groupe de trevi » de créer une « Unité européenne de renseignements sur les stupéfiants ».

2 juin 1993 : « Accord ministériel » (décision intergouvernementale) de Copenhague des ministres de l'Intérieur pour créer l'« Unité drogues Europol » (ude).

10 mars 1995 : « Action commune » (fondée sur l'article K3 du traité de Maastricht) étendant le mandat de l'ude au trafic de substances nucléaires et de véhicules volés, et à l'immigration illégale.

26 juillet 1995 : Signature de la convention Europol.

23 juillet 1996 : Signature du protocole prévoyant la compétence préjudicielle de la cjce.

16 décembre 1996 : « Action commune » étendant le mandat de l'ude au trafic d'êtres humains.

19 juin 1997 : Signature du protocole « privilèges et immunités » des agents d'Europol.

1er octobre 1998 : Entrée en vigueur de la convention Europol.

Entre novembre 1998 et juin 1999 : Adoption des mesures d'application nécessaires par le Conseil (des ministres) et le conseil d'administration d'Europol.

29 décembre 1998 : Entrée en vigueur du protocole cjce.

30 juin 1999 : Entrée en vigueur du protocole « privilèges et immunités ».

1er juillet 1999 : Démarrage des activités d'Europol.

A. DES COMPÉTENCES ET DES MOYENS IMPORTANTS

1. Un champ d'intervention étendu

Le champ de compétence d'Europol, déterminé par sa convention institutive, a été considérablement étendu depuis sa création. Il comprend les matières listées à l'article 2 de la Convention, et sur décision du Conseil statuant à l'unanimité, tout ou partie de celles qui sont répertoriées en annexe. Depuis le 1er janvier 2002, grâce à une décision du Conseil de décembre 2001, l'Office peut s'attaquer à toutes les formes graves de criminalité internationale énumérées à l'annexe de la Convention, soit à 25 types d'infractions. Une fois entré en vigueur, le protocole du 30 novembre 2000 modifiant l'article 2 de la Convention étendra par ailleurs la compétence de l'Office au blanchiment d'argent (2). L'intervention d'Europol reste soumise toutefois à deux conditions : que deux États membres au moins soient affectés et qu'une organisation criminelle soit impliquée.

Liste des infractions pour lesquelles Europol est compétent

- trafic illicite de stupéfiants,
- trafic illicite de matières nucléaires et radioactives,
- filières d'immigration clandestine,
- traite des êtres humains,
- trafic de véhicules volés,
- infractions commises ou susceptibles d'être commises dans le cadre d'activités de terrorisme portant atteinte à la vie, à l'intégrité physique, à la liberté des personnes ainsi qu'aux biens,

- homicide volontaire, coups et blessures graves,
- trafic illicite d'organes et de tissus humains,
- enlèvement, séquestration et prise d'otage,
- racisme et xénophobie,
- vols organisés,
- trafic illicite de biens culturels y compris antiquités et
œuvres d'art,
- escroqueries et fraudes,
- racket et extorsion de fonds,
- contrefaçon et piratage de produits,
- falsification de documents administratifs et trafic de faux,
- faux monnayage, falsification de moyens de paiement,
- criminalité informatique,
- corruption,
- trafic illicite d'armes, de munitions et d'explosifs,

- trafic illicite d'espèces animales menacées,

- trafic illicite d'espèces et d'essences végétales menacées,

- criminalité au détriment de l'environnement,

- trafic illicite de substances hormonales et autres facteurs de croissance,

- blanchiment d'argent se rapportant à ces infractions et infractions qui leur sont connexes.

2. Des mission diversifiées

Europol exerce actuellement trois types de missions : l'échange d'informations, l'analyse criminelle et la coopération opérationnelle.

a) L'échange d'informations par les officiers de liaison

L'échange d'informations se fait par le biais des officiers de liaison qui sont détachés et rémunérés par les États membres auprès d'Europol. Chaque État membre dispose ainsi, dans l'enceinte de l'Office, d'un bureau « des officiers de liaison ». La France compte cinq officiers de liaison : un commissaire principal, deux officiers de police judiciaire, un officier de gendarmerie et un inspecteur des douanes sur un total de 66 officiers de liaison détachés auprès d'Europol.

Grâce aux bureaux de liaison, Europol réunit au sein d'une même structure des représentants de tous les services répressifs des États membres, ce qui en fait un lieu opérationnel unique d'échanges et de vérification d'informations. Les officiers de liaison prennent en charge la transmission d'informations dans les deux sens (de leurs autorités nationales vers les partenaires et Europol et inversement) après un travail de traduction.

L'activité d'échange d'information par le biais des bureaux de liaison a connu une progression spectaculaire : en 2000, 8 300 demandes ont été transmises donnant lieu à 9 409 réponses ; en 2001, les chiffres correspondants sont passés à 11 212 et 11 803. Il est très difficile d'apprécier le résultat de ces échanges d'informations. Dans certains cas, ils se révèlent très fructueux, notamment dans la lutte contre le trafic de drogue où ils ont permis, par exemple, la saisie de 12 kg d'héroïne à Roissy le 18 mai 2002.

b) L'analyse criminelle

Europol assure le traitement de « fichiers d'analyse ». Ces fichiers sont créés par le conseil d'administration à la demande des représentants des États membres, sur un thème précis lié à la criminalité internationale, en fonction des besoins et des objectifs des polices nationales. Ils sont destinés au traitement en commun de données (identités, adresses, numéros de téléphone, réseaux de contacts) se rapportant à des enquêtes achevées ou en cours et permettent d'opérer des rapprochements et des recoupements, afin de démanteler les groupes criminels qui relèvent du domaine d'intervention d'Europol. Chaque État membre fournit les données dont il dispose et reçoit en retour des rapports d'analyse stratégique ou opérationnelle.

Les fichiers d'analyse prennent une importance croissante dans la lutte contre la criminalité organisée et peuvent permettre d'obtenir des résultats significatifs grâce à la mobilisation conjointe des forces de police des États membres concernés. Une vingtaine de fichiers d'analyse ont été ouverts par Europol, dont notamment les fichiers « Monitor », sur les groupes de motards, « Iraqui Kurds » sur l'immigration clandestine kurde, « Islamic » sur le terrorisme islamiste, « Top 100 » sur la criminalité de l'Est, « Twins » sur les réseaux pédophiles et « Kuala Lumpur » sur les réseaux malais organisant des falsifications de cartes de crédit. Le fichier d'analyse « Girasol », crée en 2001, à la demande des Italiens sur les filières de traite des êtres humains, a ainsi permis de réaliser une opération dans six États membres conduisant à l'interpellation de quatre-vingt personnes, essentiellement en Italie.

c) La coordination opérationnelle

Europol oriente de plus en plus ses activités vers l'action opérationnelle. Il le fait avec une réelle valeur ajoutée en appuyant des opérations de police organisées par les États membres. Cet appui consiste à mettre à disposition des matériels techniques et des traducteurs. L'Allemagne fait souvent appel à l'expertise d'Europol et à ses moyens de traduction, notamment en matière d'interception des communications. La France se montre plus réticente en raison des problèmes que soulève l'utilisation de données extraites directement d'enquêtes en cours.

En 2001, à neuf reprises, l'Office européen de police a apporté son expertise technique pour le démantèlement de laboratoires de fabrication de drogue synthétique. Il a aussi assuré la coordination de plusieurs actions conjointes de police liées à la lutte contre l'immigration illégale.

3. Des moyens en progression

Parallèlement à l'augmentation de son activité, Europol a été doté de moyens croissants depuis le démarrage effectif de la structure, le 1er juillet 1999.

Les effectifs d'Europol, s'élevaient à 210 personnes (dont 40 officiers de liaison des États membres) en 1999. Ils représentent aujourd'hui 386 personnes si l'on inclut les 59 officiers de liaison et le personnel de sécurité et devraient continuer de croître pour atteindre le chiffre de 496 à la fin de cette année 2003. En 2003, les dépenses de personnel devraient représenter plus de 25 millions d'euros, soit 45 % environ du budget global de l'Office. L'affectation des deux tiers des nouveaux personnels à l'unité de la criminalité grave témoigne de la priorité accordée à cette activité, conformément aux orientations du programme de travail d'Europol pour 2003.

Le budget d'Europol est alimenté par des contributions des États membres calculées en fonction de leur pnb. De 19 millions d'euros en 1999, il est passé à 55,5 millions d'euros en 2003. En 2003, la France a contribué à 16 % de ce budget, soit plus de 8 millions d'euros, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Sa contribution pour 2004 devrait s'élever à 8,5 millions d'euros. Le tableau ci-après retrace l'ensemble des contributions des États membres.

PNB 2002
en millions d'euros

Part du budget

Contribution
pour 2004 en euros

A

B

C

D

Autriche

217 633,3

2,35 %

1 220 574

Belgique

274 265,4

2,97 %

1 542 598

Danemark

188 472,4

2,04 %

1 059 562

Finlande

143 588,4

1,55 %

805 059

France

1 527 822,9

16,52 %

8 580 375

Allemagne

2 162 668,8

23,38 %

12 143 413

Grèce

142 978,7

1,55 %

805 059

Irlande

110 569,7

1,20 %

623 272

Italie

1 271 692,3

13,75 %

7 141 656

Luxembourg

21 364,0

0,23 %

119 460

Pays-Bas

462,919,8

5,00 %

2 596 966

Portugal

126 835,3

1,37 %

711 569

Espagne

677 458,6

7,32 %

3 801 598

Suède

246 069,8

2,66 %

1 381 586

Royaume-Uni

1 674 905,3

18,11 %

9 406 211

Total

9 249 244,7

100,00 %

51 939 319

Solde 2002

4 019 681

Autres recettes

2 800 000

Total des recettes

58 759 000

B. UN RÔLE DESTINÉ À CROÎTRE : VERS UNE POLICE CRIMINELLE EUROPÉENNE

Le rôle d'Europol va être prochainement accru par la mise en place de son système d'information et l'entrée en vigueur du protocole adopté en novembre 2002 à l'initiative de la Belgique et de la Suède, qui renforcera considérablement ses compétences opérationnelles. Les propositions formulées dans le cadre la Convention européenne devraient conduire le futur traité constitutionnel à parachever cette évolution.

1. La mise en place du système d'informations

La convention d'Europol prévoit la création d'un système d'informations informatisé, alimenté directement par les États membres et par Europol qui pourront le consulter directement. Cette base de données comprendra toutes les informations relatives à une infraction criminelle de dimension internationale et recensera par exemple toutes les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction ou de vouloir en commettre une et toutes les personnes condamnées. Ce sera le premier fichier d'information européen de police criminelle.

La mise en place du système d'informations a pris beaucoup de retard. La livraison, prévue en juin 2002, a été repoussée à juin 2003, et il est vraisemblable que cette échéance ne soit pas tenue en raison de difficultés liées au régime linguistique d'Europol. Seule une première version, qui contient les principales fonctionnalités relatives à la lutte contre la contrefaçon de l'euro, est opérationnelle depuis le 30 décembre 2001.

2. Le développement de compétences opérationnelles

Le développement de compétences opérationnelles d'Europol a été envisagé par le traité d'Amsterdam. Celui-ci a en effet invité le Conseil, dans les cinq ans suivant son entrée en vigueur (soit le 1er mai 2004 au plus tard), à autoriser l'Office à donner aux autorités nationales des instructions afin qu'elles mènent ou coordonnent des enquêtes et, à participer lui-même à des opérations policières conjointes menées par plusieurs services nationaux pour soutenir ces investigations (article 30.2 du traité sur l'Union européenne).

Conformément à ces orientations, le Conseil a adopté, en novembre 2002, à la suite d'une initiative de la Belgique et de la Suède, un protocole modifiant la Convention Europol, qui permet la participation de l'Office aux équipes communes d'enquête mises en place par plusieurs États membres (3) et l'autorise par ailleurs à demander aux États membres d'ouvrir des enquêtes dans des affaires précises. Dans cette dernière hypothèse, l'État concerné devra motiver son éventuel refus. Les agents d'Europol seront habilités à prêter leur concours à toutes les activités et à échanger des informations avec tous les membres de l'équipe commune. Toutefois, ils ne pourront pas exercer de mesure coercitive liée à l'arrestation ou la détention.

Actuellement, Europol mène un travail d'analyse, de coordination et de liaison depuis ses locaux de La Haye. La participation à des équipes communes d'enquête aura un impact sur son évolution et transformera l'Office en une véritable force d'appoint opérationnelle. Dans l'attente d'une entrée en vigueur du protocole de novembre 2002, la Représentation permanente de la France auprès de l'Union a proposé que les officiers de liaison affectés à Europol puissent participer aux équipes commues d'enquête afin d'accroître l'implication opérationnelle de l'Office le plus rapidement possible.

3. Les perspectives ouvertes dans le cadre de la Convention européenne

La Convention européenne a formulé des propositions ambitieuses pour Europol, qui renforceront son évolution vers une police criminelle européenne.

a) Les propositions franco-allemandes

Plusieurs chefs d'État ou de Gouvernement ont en appelé à la constitution d'une police criminelle européenne tandis qu'au sein du groupe de travail de la Convention européenne consacré à l'espace de liberté, sécurité et justice, un consensus s'est également dégagé en ce sens. La contribution franco-allemande déposée par MM. Dominique de Villepin et Joschka Fischer le 27 novembre 2002 (4) prévoit d'attribuer à Europol le droit de mener des enquêtes pour en faire une « autorité coercitive européenne ». Le rapport final du groupe de travail affirme aussi que le futur Traité constitutionnel devrait permettre à Europol de réaliser des enquêtes et de participer à des actions opérationnelles menées conjointement avec les services des États membres ou au moyen d'équipes communes. Les mesures coercitives devraient cependant toujours être appliquées par les agents compétents des États membres.

En mars 2003, la France a également proposé à la Convention européenne, cette fois avec l'Espagne, de renforcer la coopération policière opérationnelle en créant un comité de sécurité intérieure (COSI), dont le président pourrait être membre du conseil d'administration d'Europol. Ce comité se substituerait à la « task force » des chefs de police dont l'efficacité n'a pas, à ce stade, été démontrée.

b) Le projet d'article présenté par le Praesidium de la Convention

Le projet d'article sur Europol présenté par le Praesidium de la Convention le 14 mars 2003, et dont la Convention a débattu lors de sa session plénière du 3 avril 2003, prévoit que l'Office sera compétent en ce qui concerne « la coordination, l'organisation et la réalisation d'enquêtes et d'actions opérationnelles, menées conjointement avec les services des États membres ou dans le cadre d'équipes conjointes d'enquête » (5). Il précise cependant que l'application de mesures de contrainte relèvera exclusivement des autorités nationales compétentes, ce qui apparaît en deçà de ce qui est proposé dans la contribution franco-allemande.

II. - UN ORGANISME QUI CONNAÎT DES DIFFICULTÉS DE FONCTIONNEMENT ET DEMEURE INSUFFISAMMENT EXPLOITÉ PAR LA FRANCE

Au cours de ces dernières années, Europol a connu une progression spectaculaire, reflet des besoins croissants en matière de coopération policière dans l'Union européenne. Cependant, l'organisation souffre d'une série dysfonctionnements et demeure sous-utilisée par la France.

A. DES DIFFICULTÉS DE FONCTIONNEMENT

1. Des instances de décision qui ne remplissent pas leur rôle

a) Un conseil d'administration impuissant

Le conseil d'administration d'Europol dispose de pouvoirs très importants. Ses missions comprennent notamment l'adoption du rapport annuel d'activité, la préparation des règles d'adoption des fichiers, l'approbation des instructions de création de fichiers, la participation à la nomination et à la révocation éventuelle du directeur et des directeurs-adjoints, et la participation à l'établissement du budget.

Or ce conseil est souvent divisé et plus porté à des négociations interminables qu'à la décision opérationnelle. Il est incapable de définir une ligne d'action cohérente pour Europol. En effet, son effectif est d'abord trop important. Si chaque État membre est en théorie représenté au conseil d'administration par un représentant doté d'une voix, en pratique chaque délégation compte près de quatre personnes, portant le nombre des participants à 60 membres. En outre, les différentes délégations ne sont pas homogènes, ni en compétence, ni en niveau hiérarchique.

En outre, le conseil d'administration n'entretient pas de relations suffisamment suivies avec la direction d'Europol pour peser sur son action et ses orientations. Cela vient notamment du fait que sa présidence est assurée par l'État qui préside l'Union et change en conséquence chaque semestre.

b) Un Conseil des ministres peu présent

Le Conseil des ministres, dans sa formation « Justice et Affaires Intérieures », est en mesure d'exercer un certain contrôle sur Europol. Toutes les propositions de nomination à des emplois de direction, le projet de budget, les projets de décision ou de modification de la Convention qui le régit et ses relations avec les États tiers ou d'autres institutions sont soumis à la décision du Conseil. En outre, le Conseil des ministres est destinataire du rapport annuel établi par le conseil d'administration sur les activités d'Europol et du rapport prévisionnel sur ses activités futures. Toutefois, le Conseil connaît mal la réalité de l'activité d'Europol et a du mal à définir les grandes orientations de son action.

2. Des difficultés de financement

Si le budget d'Europol a fortement augmenté, il ne permet pas, selon le directeur de l'Office, de satisfaire les besoins de financement de l'institution. Les demandes des États sont croissantes, mais ils refusent d'augmenter parallèlement leur contribution. Le budget de 2003 - 58,3 millions d'euros - sera ainsi insuffisant selon le directeur d'Europol pour faire face au besoin de recrutement. En outre, aucun crédit n'est prévu pour financer l'accueil des dix pays candidats à partir de 2004. Or si ceux-ci représenteront 5 % de la contribution au budget d'Europol, ils pourraient introduire, selon les estimations du directeur d'Europol, 30 % de la criminalité en plus.

3. Un régime linguistique coûteux

L'une des difficultés du fonctionnement d'Europol est liée à son régime linguistique. L'anglais constitue la langue de travail la plus courante dans les entretiens informels, mais les réunions s'effectuent avec des traductions dans les onze langues communautaires. Les travaux d'Europol, notamment pour les fichiers d'analyse, engendrent un lourd et coûteux travail de traduction.

4. Un contrôle externe insuffisant

a) Une autorité de contrôle trop dépendante

Les conditions des échanges d'informations entre les États membres et Europol ne sont pas définies sur des bases suffisamment claires. L'utilisation faite par Europol des données transmises pars les États fait parfois l'objet de critiques.

En vertu des articles 23 et 24 de sa Convention, Europol doit se soumettre aux autorités de contrôle que chaque État doit désigner, ainsi qu'à une autorité de contrôle commune indépendante (ACC). Composée de représentants de chacune des autorités de contrôle nationales, l'ACC est chargée de s'assurer qu'Europol respecte les dispositions de la Convention sur la protection des données. L'autorité établit à intervalles réguliers un rapport qui est transmis au Conseil. Un organe spécifique, le comité des recours, émanation de l'ACC, a quant à lui pour mission d'examiner les recours formés par les personnes à l'occasion de l'exercice de leur droit d'accès aux fichiers détenus par Europol.

Le contrôle exercé par l'autorité de contrôle connaît d'importantes limites. La première tient à sa dépendance budgétaire à l'égard d'Europol. L'ACC n'a pas de moyens financiers suffisants pour faire appel à l'expertise nécessaire pour l'examen de certains dossiers. En outre, le recours croissant aux « MSOPES » (« Member State Operational Projects With Europol Support », que l'on pourrait traduire par « projets opérationnels des États membres avec le soutien d'Europol ») limite son contrôle, car ils permettent aux autorités nationales de s'adresser directement à Europol pour créer des fichiers d'analyse, sans recourir à la procédure prévue par la Convention.

b) Un contrôle juridictionnel réduit

La compétence de la Cour de justice des Communautés européennes à l'égard d'Europol est réduite. La compétence préjudicielle de la Cour reste facultative, le recours en annulation n'est ouvert ni au Parlement européen ni au personnes physiques, et le recours en manquement est réservé aux États, à l'exclusion de la Commission (article 35 du traité sur l'Union européenne).

c) Un contrôle parlementaire limité

Les compétences du Parlement européen à l'égard d'Europol sont limitées en raison de la nature intergouvernementale de l'Office. Le Parlement européen est destinataire, chaque année, d'un rapport spécial sur l'activité d'Europol, qui est une version retouchée du rapport général annuel qui est présenté au Conseil de l'Union. Il est également consulté avant toute modification de la Convention et pour l'adoption des actes du titre VI (décisions-cadre, décisions et conventions) concernant Europol. Cette intervention demeure peu importante, et le Parlement européen a exprimé dans plusieurs recommandations sa volonté que soit renforcé le contrôle parlementaire d'Europol. Il souhaite ainsi qu'Europol soit intégré au sein du premier pilier communautaire et que son budget soit mis à la charge de l'Union européenne, afin de renforcer son contrôle sur l'Office.

5. Un frein culturel

La qualité des échanges d'informations dans le domaine policier repose sur la confiance et les relations personnelles qu'entretiennent les agents. Or, Europol reste mal connu des services répressifs des États membres. La transmission d'informations à une organisation anonyme de coopération policière est moins facile qu'entre deux services qui ont noué de longue date des relations directes. Cet obstacle, de nature subjective, nuit au développement d'Europol et explique son échec dans le domaine précis de la lutte contre le terrorisme issu des réseaux islamistes. L'unité spécialement créée à cet effet après les événements du 11 septembre 2001 a ainsi été supprimée après une année d'existence.

B. UNE INSUFFISANTE VALORISATION PAR LA FRANCE

Troisième contributeur au budget d'Europol, la France n'est pas impliquée dans le fonctionnement de cet organisme à hauteur de son engagement financier. Selon le directeur de l'Office, M. Jürgen Storbeck,  « La France n'est pas un bon partenaire. » Cette faible implication se traduit de deux manières. La France sous-alimente Europol en informations et sous utilise ses services. Elle est par ailleurs sous-représentée dans ses structures administratives.

1. Une sous-utilisation chronique

En 2001, la France se situait au 3e rang des pays utilisateurs pour les échanges d'informations avec 7,74 % des échanges, loin derrière le Royaume-Uni (18,32 %) ou l'Allemagne (14,40 %). Ces échanges concernaient principalement les domaines de l'immigration et des stupéfiants. S'agissant de la police nationale, les flux de demandes sont très concentrés géographiquement : sur 113 demandes émanant des services régionaux de la police judiciaire, la moitié provenait de Montpellier et un quart de Lille. Les 25 demandes formulées par la gendarmerie nationale émanaient elles d'unités réparties sur l'ensemble du territoire.

Selon le bureau de liaison français d'Europol à la Haye, les services français tardent à répondre ou ne répondent pas aux questions des bureaux de liaison des autres États membres, ce qui nuit à l'image de la France. Il en est de même s'agissant de la mise en place, de l'alimentation et de l'exploitation des fichiers d'analyse d'Europol.

Cette faible implication française peut trouver plusieurs explications. Les services français connaissent mal Europol et privilégient la coopération bilatérale ou les services d'Interpol, créés en 1923 et installés à Lyon. À cette difficulté de se tourner vers une nouvelle source de renseignement récente et mal connue, s'ajoutent des différences de méthode d'investigation : les techniques d'analyse criminelle d'Europol sont mal connues de la France et des les pays du sud de l'Europe, plus familiers des enquêtes de terrain.

2. Une sous-représentation qui s'accentue

La France est sous-représentée au sein de la structure administrative d'Europol. Sans compter les cinq officiers de liaison affectés auprès de l'Office, seulement vingt-trois nationaux français travaillent en son sein, soit 9 % de l'effectif total de l'institution, (à comparer avec une participation financière qui représente 16,33 % du budget). À titre de comparaison, les Pays-Bas comptent 55 agents, Royaume-Uni 33, la Belgique 27 et l'Allemagne 24.

En outre, les Français n'occupent pas de position stratégique. La France n'est plus représentée au niveau le plus élevé du directorat (le directeur et ses trois adjoints), ni au niveau hiérarchique des chefs de division.

Cette situation s'explique par l'absence de stratégie de placement ; la présentation des candidatures françaises s'effectue sur une base purement individuelle et en l'absence de toute coordination entre les différents acteurs de la sécurité intérieure.

III. - DIX PISTES DE RÉFLEXION POUR ASSURER UNE MEILLEURE PARTICIPATION DE LA FRANCE À EUROPOL ET ACCROÎTRE LA LÉGITIMITÉ ET L'EFFICACITÉ DE CETTE INSTITUTION

La délégation pour l'Union européenne de notre assemblée a été saisie de cinq projets d'actes du Conseil concernant Europol : quatre projets d'accords avec des États tiers et un projet de protocole modifiant la Convention Europol présenté par le Royaume du Danemark qui comporte un certain nombre d'avancées. Au-delà de ces actes, la délégation formule dans sa proposition de résolution une série de recommandations pour l'avenir d'Europol, auxquelles la commission des Lois adhère pleinement.

A. LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LES PROJETS D'ACTES COMMUNAUTAIRES 

1. Le développement des relations avec les États tiers : les accords projetés avec Chypre, la Bulgarie, la Slovaquie et la Russie

Europol a renforcé sa coopération en matière répressive en signant de nombreux accords bilatéraux avec des organisations et des pays tiers. Des accords bilatéraux ont été conclus avec l'Estonie, les États-Unis, la Hongrie, l'Islande, la Norvège, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie. Quatre projets d'accords entre Europol et Chypre, la Bulgarie, la Slovaquie et la Fédération Russie ont été transmis au Parlement français en février 2003. Le projet d'accord avec la Fédération de Russie n'organise pas l'échange de données personnelles contrairement aux projets d'accords avec les trois États adhérents ou candidats (Chypre, la Slovaquie et la Bulgarie), qui prévoient en outre la désignation par les autorités de ces pays d'un point de contact national et d'un ou plusieurs officier(s) de liaison détaché(s) auprès d'Europol. Ces projets, d'une importance cruciale pour accroître l'efficacité de la lutte contre la criminalité organisée, ne soulèvent pas de difficultés particulières.

2. L'initiative du Royaume du Danemark

Le projet de protocole modifiant la Convention Europol (6), présenté par le Royaume du Danemark alors qu'il assurait la présidence de l'Union, a considérablement évolué au cours des négociations et devrait permettre d'améliorer le fonctionnement d'Europol sur plusieurs points.

Le texte initial prévoyait d'élargir les compétences d'Europol à toutes les formes de criminalité transnationale, en abandonnant la référence à une liste d'infractions et l'exigence d'avoir des indices concrets relevant une forme organisée de ce type de criminalité. Finalement, la formulation retenue n'apporte qu'une modification mineure : la compétence d'Europol est étendue aux infractions visées lorsqu'il « y a raisonnablement lieu de croire qu'une structure ou organisation criminelle est impliquée » et non plus seulement « lorsqu'il existe des exemples concrets. » (article 2 de la Convention).

En revanche, des innovations sont prévues en ce qui concerne le rôle des unités nationales Europol, le traitement des données et le contrôle du Parlement européen.

a) L'assouplissement du monopole détenu par les « Unités nationales Europol »

Les échanges d'informations entre les services de police, de gendarmerie et de douanes des États membres sont assurés par une structure intermédiaire dénommée « Unité Nationale Europol » (UNE). L'UNE française siège à Nanterre dans les locaux de la police judiciaire au sein d'une plate-forme baptisée SCOPOL, qui comprend aussi les interfaces du système de Schengen et Interpol.

Le texte initial de l'initiative danoise avait prévu de remplacer le système actuel de collaboration indirecte par l'intermédiaire des UNE par une collaboration directe entre l'Office et les autorités compétentes des États. Finalement, le rôle prééminent des unités nationales comme « relais de transmission » entre l'Office et les autorités nationales a été confirmé. Toutefois, les États membres pourront autoriser des contacts directs entre les services compétents désignés et Europol. L'unité nationale recevra toutes les informations échangées au cours de ces contacts directs (article 4 de la Convention). Cette évolution permettra de renforcer la connaissance et la confiance des enquêteurs à l'égard d'Europol tout en garantissant la cohérence du système.

b) Les règles nouvelles concernant le traitement des données

Le projet danois prévoit de nouvelles dispositions en matière de traitement des données par Europol. Un nouvel article 6 bis à la Convention autorise l'Office à constituer des fichiers de données pour ses missions. Il prévoit que le Conseil fixera à la majorité des deux tiers les conditions dans lesquelles ces données pourront être traitées ainsi que leur délai de stockage et de suppression (qui ne ne devra pas être supérieur à six mois).

S'agissant des fichiers d'analyse, il est prévu d'étendre le champ des données personnelles auxquelles Europol pourra avoir accès. L'Office sera en outre autorisé à inviter des experts d'États tiers ou d'organismes tiers à s'associer à l'analyse des informations récoltées, moyennant accord entre les parties (article 10 de la Convention).

c) Le renforcement du contrôle exercé par le Parlement européen

Le projet de protocole propose de renforcer le contrôle exercé par le Parlement européen (article 24, paragraphe 6, 28 paragraphe 10, 32 bis, 34 et 35 paragraphe 4 de la Convention). Il prévoit que les rapports d'activité établis par l'Autorité de contrôle, le rapport annuel et le programme de travail établi par le conseil d'administration et le plan financier quinquennal seront communiqués au Parlement européen. Celui sera également informé de toutes les mesures importantes prises dans le cadre d'Europol. En outre, il pourra auditionner la présidence du Conseil ou son représentant au sujet d'Europol, accompagné éventuellement du directeur de l'Office. Le Parlement européen a cependant considéré que les changements prévus étaient insuffisants et a rejeté l'initiative du Danemark.

Enfin, le texte prévoit l'accès de tout citoyen à tout document d'Europol dans des les conditions prévues par le droit communautaire et après l'avis du conseil d'administration de l'Office statuant à la majorité des deux tiers.

B. LES AVANCÉES PRÉCONISÉES PAR LA RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

La proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne dépasse largement l'objet des textes qui lui était soumis.

La résolution comporte trois série de recommandations : la première vise à promouvoir un usage optimal d'Europol par la France et pourrait être mise en œuvre rapidement, la seconde et la troisième séries, qui concernent le contrôle démocratique de l'Office et son efficacité, s'inscrivent dans une perspective de plus long terme.

1. Promouvoir un usage optimal d'Europol par la France

Incontestablement, une nouvelle impulsion doit être donnée aux rapports que la France entretient avec Europol. Il s'agit de promouvoir une meilleure utilisation de cet organisme par nos services et de renforcer notre présence en son sein.

a) Une meilleure utilisation d'Europol par la France

Afin de favoriser une meilleure utilisation d'Europol par la France, la délégation pour l'Union européenne formule deux recommandations. Elle préconise d'abord la désignation formelle d'un « correspondant Europol » au sein des principaux services concernés : les neuf directions interrégionales de police judiciaire (DIPJ), les sept régions de gendarmerie, les offices centraux et le service technique de rapprochement judiciaire et de documentation (STRJD) de la Gendarmerie. Cette mesure permettrait d'assurer une meilleure connaissance d'Europol auprès des enquêteurs. Les services concernés pourraient avoir un accès direct, en consultation, au système d'informations d' Europol, ce qui devrait générer une alimentation plus soutenue des fichiers de l'Office et permettrait en retour une meilleure réponse aux besoins français. Les transmissions d'informations continueraient de transiter par l'Unité nationale Europol, mais selon des modalités assouplies, comme le permet le protocole proposé par le Danemark.

La délégation pour l'Union européenne souhaite également que l'émergence d'une culture policière commune soit encouragée par le développement d'actions de sensibilisation et de formation. Ces actions pourraient être mises en place avec le concours d'Europol et du Collège européen de police (CEPOL), tant à La Haye que dans les structures de formations des États membres. Il est certain que la connaissance réciproque des agents des différents services répressifs compétents au niveau européen est une des conditions essentielles du développement de la coopération dans ces domaines. Au-delà de la meilleure utilisation d'Europol par la France, cela permettrait d'accroître l'efficacité globale du système.

b) Une présence française accrue au sein d'Europol

Afin d'accroître la présence d'agents français au sein d'Europol, la délégation pour l'Union européenne préconise la mise en œuvre d'une stratégie concertée entre les différents services de recrutement et de placement concernés ainsi qu'une politique active de valorisation des détachements effectués. Le développement d'une véritable politique de placement se heurte aujourd'hui à l'éclatement des services concernés. Il est indispensable de développer davantage de coordination au sein du ministère de l'Intérieur, où trois services sont concernés, mais aussi dans un cadre interministériel, avec les autres services de la gendarmerie nationale et les douanes.

Il conviendrait en effet de sélectionner à l'avance les fonctionnaires susceptibles de poser leur candidature à des postes au sein de la structure centrale d'Europol, qu'il s'agisse de postes de direction, de chefs d'unités ou de postes d'exécution et de renforcer leur formation en anglais et dans les techniques d'analyse criminelle. En outre, cette démarche devrait être accompagnée d'un meilleur suivi des carrières durant le détachement de ces personnels auprès de l'Office, et de l'utilisation des compétences qu'ils auront acquises à leur retour en France.

2. Renforcer le contrôle démocratique d'Europol

a) La mise en place d'une commission mixte composée de parlementaires européens et nationaux

Après s'être réjoui des mesures prévues dans le projet de protocole présenté par le Royaume du Danemark pour renforcer le rôle du Parlement européen, la délégation pour l'Union européenne préconise d'abord la mise en place d'une commission mixte composée de parlementaires européennes et nationaux pour contrôler l'Office.

Dans la perspective d'une « communautarisation » d'Europol envisagée par la Convention pour l'avenir de l'Europe, le rôle du Parlement européen sera considérablement accru. En revanche, celui des parlements nationaux diminuera, puisqu'il ne sera plus nécessaire d'obtenir la ratification des protocoles modifiant la Convention Europol. La Convention pour l'avenir de l'Europe souhaite que les parlements nationaux soient associés au contrôle politique des activités d'Europol, mais elle n'a pas prévu les modalités de cette association.

La mise en place d'une commission mixte composée de parlementaires européennes et nationaux pour contrôler l'Office a été proposée lors de la conférence interparlementaire de La Haye, organisée par le Parlement néerlandais, les 7 et 8 juin 2001, et par la Commission européenne, dans sa communication du 26 février 2002 consacrée au contrôle démocratique d'Europol. Le Parlement européen y a récemment apporté son soutien, lors du vote de recommandations sur Europol, le 9 avril dernier. Elle figurait enfin dans le texte initial du projet de protocole présenté par le Royaume du Danemark. Cette commission permettrait de mettre en place un contrôle structuré et unifié d'Europol à l'échelle de l'Union européenne.

b) Une présidence permanente pour le conseil d'administration d'Europol

La délégation pour l'Union européenne suggère également que le contrôle de la direction d'Europol par son conseil d'administration soit renforcé grâce à l'adoption d'une présidence permanente de ce conseil. Ce président permanent pourrait être parallèlement responsable de la coopération policière auprès du Conseil « Justice et Affaires intérieures ». Cela permettrait ainsi d'assurer une meilleure coordination des travaux du conseil d'administration avec la direction d'Europol d'une part, et avec les instances du Conseil responsables de définir les orientations d'Europol, d'autre part. La généralisation de la règle de la majorité qualifiée au sein du conseil d'administration, évoquée dans le rapport de M. Jacques Floch (7), devrait également être envisagée.

c) Une autorité de contrôle plus indépendante

On ne peut qu'adhérer au souhait de la délégation pour l'Union européene de voir les pouvoirs de l'Autorité commune de contrôle renforcés. Il s'agit de doter cette autorité de l'autonomie financière et de clarifier le recours aux « Member State Operational Projects with Europol Support ».

d) Un parquet européen supervisant les activités d'Europol

La délégation pour l'Union européenne recommande qu'à terme les compétences opérationnelles d'Europol soient placées sous le contrôle d'un parquet européen. Le principe de la création d'un parquet européen, chargé de la répression des eurocrimes, semble aujourd'hui acquis. Comme l'y invitait notre commission, notre Assemblée s'est prononcée pour la création d'une telle structure à partir d'une transformation par étapes d'Eurojust (8).

Dans l'hypothèse où Europol disposerait de véritables pouvoirs judiciaires au niveau européen, notamment en matière de crimes communautaires, Eurojust pourrait être doté de pouvoirs contraignants de coordination des enquêtes menées par Europol, de déclenchement des enquêtes et de pouvoirs de dessaisissement. À terme, le Parquet européen devrait logiquement se substituer à Eurojust dans le contrôle d'Europol.

3. Rationnaliser le fonctionnement d'Europol

Afin de rationaliser le fonctionnement de l'Office européen de police, la délégation pour l'Union européenne propose deux mesures d'inégale portée.

a) La simplification du régime linguistique

En premier lieu, elle prône une simplification du régime linguistique d'Europol et l'adoption d'un nombre limité de langues de travail. Le nombre des langues « officielles » utilisées pourrait se réduire à trois (anglais, français et allemand), comme c'est déjà le cas de façon officieuse au Parlement européen. Cela permettrait de réduire considérablement les coûts de traduction.

b) La fusion d'Europol et de l'olaf

La délégation préconise enfin de fusionner Europol avec l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF). L'OLAF est chargé, sous l'égide de la Commission européenne, de la répression de la fraude aux intérêts communautaires. Dans le contexte de la grande criminalité organisée, les objectifs des deux offices sont souvent communs. Dans le cadre des perspectives de renforcement du concept des eurocrimes, dont la répression sera attribuée à Europol, les convergences entre ces deux institutions vont inévitablement se renforcer et un rapprochement entre les deux structures paraît inévitable. Actuellement, un accord de coopération entre Europol et l'OLAF est en cours de négociation. La fusion peut toutefois sembler prématurée, compte tenu des différences existant tant au niveau structurel que fonctionnel.

*

* *

Plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Évoquant les problèmes de fonctionnement d'Europol, M. Jacques Floch a souligné que la France en portait une part de responsabilité, la police française ne recourant que très rarement à ses services, puisqu'elle n'est à l'origine que de 6 % des demandes. Tout en observant que ce manque d'intérêt français à l'égard de l'Europe se retrouvait dans le recrutement de l'ensemble des institutions européennes, il a regretté que la France ne fasse pas d'effort particulier pour envoyer des fonctionnaires à Europol, rappelant que le directeur adjoint français avait été récemment remplacé par un Danois. Il a évoqué la question du contrôle d'Europol, qui a fait l'objet d'une discussion approfondie lors des débats sur le procureur européen, soulignant que ce contrôle devait être à la fois politique, par l'intermédiaire des députés européens et nationaux, et juridique, par le biais d'Eurojust. Il s'est ensuite interrogé sur la forme que pourra revêtir la participation d'Europol aux enquêtes nationales, soulignant que l'absence de dispositions législatives adaptées risquait de conduire à des annulations de procédure. Abordant la question de l'élargissement, il a fait valoir que les problèmes de confidentialité n'étaient pas limités aux relations avec les pays candidats, citant le cas des États-Unis, qui sont actuellement dans l'incapacité de garantir cette confidentialité.

M. Daniel Vaillant a observé que, pendant longtemps, la sécurité n'avait pas été considérée comme une priorité dans la construction européenne, ce qui a retardé toute avancée significative dans ce domaine. Il a cité, à cet égard, les difficultés rencontrées dans l'installation du collège européen de police et les réticences formulées à l'encontre de la proposition italienne de créer une police européenne des frontières, alors même qu'il s'agit du seul moyen de permettre la mise en place effective d'un espace de sécurité. Il a expliqué que les forces de police françaises s'interrogeaient sur la confidentialité des informations transmises à Europol et préféraient travailler avec Interpol, institution ayant déjà fait ses preuves. Après avoir souligné la nécessité de mettre en place un contrôle d'Europol, en dépit des difficultés rencontrées pour déterminer la forme de ce contrôle, il s'est interrogé sur l'état d'avancement de la transformation du système d'information Schengen (SIS).

M. Robert Pandraud a fait part de son inquiétude sur l'avenir d'Europol, observant que les difficultés actuelles risquaient de s'aggraver avec l'élargissement, alors même que le bon fonctionnement de cette institution suppose un minimum de confiance commune. Il a expliqué les bonnes relations de la police française avec Interpol par l'ancienneté de cet organisme, qui a été créé bien avant la seconde guerre mondiale.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué que la participation des agents d'Europol aux enquêtes communes était prévue par le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Il ajouté que ce texte déterminait les conditions et les limites de l'intervention des agents étrangers détachés auprès des équipes communes d'enquête, le nouvel article 695-2 du code pénal leur donnant des pouvoirs de police judiciaire analogues à ceux d'un agent de police judiciaire et une compétence nationale. S'agissant des menaces que faisait peser l'élargissement sur Europol, il a fait observer que des accords entre Europol et les pays candidats permettraient de préparer leur adhésion.

Suivant son rapporteur, la Commission a adopté sans modification la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
SUR L'AVENIR D'EUROPOL

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption d'un acte du Conseil portant établissement, sur la base de l'article 43, paragraphe 1, de la convention portant création d'un Office européen de police (Convention Europol), d'un protocole modifiant la dite Convention (10307/02 / E 2064),

Vu les projets d'accords entre Europol, d'une part, et la République slovaque, la Bulgarie, Chypre, et la Fédération de Russie, d'autre part (15747/02 / E 2197 ; 15749/02 / E 2198 ; 15750/1/02 / E 2199 ; 15751/02 / E 2200),

I. -  En ce qui concerne le renforcement de la participation française au fonctionnement d'Europol :

1. Se félicite de l'assouplissement du monopole détenu par les « Unités nationales Europol » dans les relations des États membres avec Europol, qui permettra d'accroître la connaissance par les enquêteurs français des services offerts par Europol ;

2. Recommande la désignation, au sein de chacune des directions interrégionales de police, d'un « correspondant Europol », afin de rendre clairement identifiable le réseau français Europol auprès des enquêteurs ;

3. Souhaite que l'émergence d'une culture policière commune soit encouragée grâce au développement de formations communes aux États membres, en liaison avec le Collège européen de police ;

4. Estime qu'une stratégie concertée entre les différents services de recrutement et de placement, ainsi qu'une politique active de valorisation des détachements d'agents français au sein d'Europol devraient être promues.

II. -  En ce qui concerne le contrôle démocratique d'Europol :

5. Approuve le renforcement du contrôle exercé par le Parlement européen sur Europol prévu par le projet de protocole présenté par le Royaume du Danemark ;

6. Demande qu'une commission mixte composée de parlementaires européens et de parlementaires nationaux soit mise en place pour contrôler l'Office européen de police ;

7. Suggère que le contrôle de la direction d'Europol par son conseil d'administration soit renforcé par l'adoption d'une présidence permanente de ce conseil ;

8. Souhaite que l'Autorité de contrôle commune soit dotée d'une autonomie financière et que le recours aux « Member State Operational Projects With Europol Support » soit davantage encadré et placé sous son contrôle ;

9. Recommande, qu'à terme, les compétences opérationnelles d'Europol soient placées sous le contrôle d'un parquet européen.

III. -  En ce qui concerne l'efficacité d'Europol :

10. Estime qu'une simplification du régime linguistique d'Europol, à travers l'adoption d'un nombre limité de langues de travail, est indispensable ;

11. Suggère que l'Office européen de lutte anti-fraude, dans un souci de rationalisation, soit fusionné avec Europol.

 

N° 0894 - Rapport sur la proposition de résolution sur l'avenir d'Europol (M. Alain Marsaud)

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1 () Proposition de résolution n° 820 sur l'avenir d'Europol, présentée par M. Jacques Floch.

2 () Acte du Conseil 2000/C358/01 du 30 novembre 2000, établissant, sur la base de l'article 43, § 1, de la Convention portant création d'un Office européen de police (Convention Europol), le protocole modifiant l'article 2 et l'annexe de ladite convention (JO CE C358/1 du 13 décembre 2000).

3 () La création d'équipes communes d'enquête a été inscrite à l'article 13 de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale conclue le 29 mai 2000. L'absence de ratification par tous les États membres de cette convention a entraîné l'adoption d'une décision-cadre du Conseil le 13 juin 2002, applicable au 1er janvier 2003 qui fixe le régime des équipes communes d'enquête.

4 () Propositions conjointes franco-allemandes pour la Convention européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, 27 novembre 2002, WGX-WD, page 3.

5 () Projet d'article 31, partie I, projet d'articles de la partie II, 14 mars 2003, CON 614/03.

6 () Initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption d'un acte du Conseil établissant, sur la base de l'article 43, § 1, de la Convention portant création d'un Office européen de police (Convention Europol), un protocole modifiant ladite convention, du 2 juillet 2002, JOCE C 172/15 du 18 juillet 2002.

7 () Rapport d'information n° 819 du 29 avril 2003 : « L'avenir d'Europol : vers une police criminelle européenne ? ».

8 () Résolution n° 139 du 22 mai 2003 sur la création d'un procureur européen.


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