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le 30 janvier 2004

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N° 1382

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 janvier 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI (n° 1378) relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics,

PAR M. Jean-Michel DUBERNARD,

Député

-

Voir le numéro : 1381.

INTRODUCTION 5

TRAVAUX DE LA COMMISSION 13

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 13

II.- EXAMEN DES ARTICLES 15

Article 1er : Interdiction dans les écoles, les collèges et les lycées publics du port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse 15

Article 2 : Application territoriale de la loi 24

Article 3 : Entrée en vigueur de la loi 28

INTRODUCTION

L'année prochaine sera célébré le centième anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : un siècle au cours duquel le principe de laïcité énoncé dans ce texte, après avoir fait l'objet des plus vives querelles au cours de sa discussion et de son entrée en application, s'est inscrit durablement dans la société française au point d'être repris dans notre Constitution et de recueillir aujourd'hui l'unanimité des citoyens français par-delà les croyances ou les convictions de chacun.

Pierre angulaire de l'édifice républicain, la laïcité est bien plus qu'un simple principe organisant les relations entre les Eglises et l'Etat ; elle définit une certaine façon d'envisager la vie en société : le refus du repli communautaire, la primauté donnée à la cohésion nationale. En rompant le lien qui unissait l'Etat aux Eglises, la France a choisi une voie singulière ; aucun pays dans le monde n'a poussé aussi avant la logique de séparation des Eglises et de l'Etat. La conception française de la laïcité est la traduction, dans les faits, des ambitions affirmées par le triptyque révolutionnaire devenu devise nationale : « Liberté, égalité, fraternité ». En délimitant strictement le champ du politique et du religieux, elle permet à chacun de vivre librement la foi qu'il s'est choisi, en conscience, sans craindre que l'exercice de celle-ci ne lui soit ni refusé ni imposé. La laïcité est ainsi, d'abord et avant tout, un principe de tolérance. Comme telle, elle garantit des droits ; en contrepartie, elle définit un certain nombre de devoirs.

Loin de marquer, avant l'heure, la célébration du centenaire de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, le présent projet de loi constitue la réponse contemporaine à un problème actuel : comment réaffirmer le principe républicain de laïcité dans une école publique confrontée à la montée des communautarismes, phénomène dont témoigne le développement du port des symboles d'appartenance religieuse lesquels constituent autant de défis à l'unité de la seule communauté qui doive s'exprimer à l'intérieur de l'enceinte d'un établissement public d'enseignement, à savoir la communauté éducative ?

Adapté au temps présent, le projet de loi s'inscrit également dans la longue tradition initiée par les deux grandes lois scolaires de la IIIe République. Anticipant de près d'un quart de siècle la laïcisation de la société française, les lois du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire et du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire ont permis l'enracinement de l'idée républicaine dans notre pays. Dans une école devenue obligatoire, chargée de recevoir tous les enfants, sans distinction d'aucune sorte, Jules Ferry avait lucidement perçu la nécessité d'imposer une laïcité conçue non comme la censure des convictions de chacun mais comme un principe de pudeur, seul capable de permettre la cohésion de la communauté éducative et la transmission des savoirs universels. Sa célèbre Lettre aux instituteurs, adressée à l'ensemble du corps enseignant à la rentrée scolaire de 1883, est l'expression la plus achevée de cette exigence en vertu de laquelle, comme l'a rappelé récemment le Président de la République, « il n'avait jamais fait de doute pour personne que les élèves, naturellement libres de vivre leur foi, ne devaient pas pour autant venir à l'école, au collège ou au lycée en habit de religion1 ».

Force est de constater que cette évidence n'est plus. Ayant peu à peu conquis, au fil d'un siècle d'existence, le caractère de la chose acquise, la laïcité a, dans le même temps, perdu le sens de son impérieuse nécessité. Chaque Français se l'est appropriée à sa manière tant et si bien que les réalités qu'elle recouvre, les raisons qui ont conduit à la mettre en œuvre, sa finalité, sont devenues floues.

La table ronde sur le thème « Ecole et laïcité aujourd'hui », réunie le 22 mai 2003 à l'initiative de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, avait mis en lumière les difficultés rencontrées par l'institution scolaire liées aux entorses faites au principe de laïcité. De nombreux intervenants -  parmi lesquels les intellectuels MM. Alain Finkielkraut et Alain-Gérard Slama, le juriste, maître des requêtes au Conseil d'Etat, M. Rémy Schwartz, ainsi que Mme Gaye Petek Salom, membre du Haut conseil à l'intégration -  avaient fait part aux membres de la commission de leur inquiétude. Le débat avait révélé les empiétements successifs et de plus en plus nombreux des communautarismes au sein du système scolaire.

Les auditions et les travaux réalisés par la mission d'information parlementaire2 - créée à l'initiative de la conférence des présidents de l'Assemblée nationale, installée le 4 juin 2003 et présidée par le président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré -  et par la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République -  installée à l'initiative du Président de la République, M. Jacques Chirac, le 3 juillet 2003 et présidée par M. Bernard Stasi -  ont confirmé le développement inquiétant des manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires et leurs conséquences néfastes sur l'accomplissement des missions de l'école publique.

Il n'est pas question de redéfinir, ni de refonder le principe de laïcité dans notre pays. Mais il importe de le faire vivre. La laïcité n'est pas un dogme, gravé dans le marbre de toute éternité, mais un concept vivant, forgé par les hommes, et qu'il appartient, comme tel, de faire évoluer au gré des mutations sociales afin que le but qu'elle se propose d'atteindre - la cohésion de la communauté nationale et le respect de la liberté de conscience de chacun - puisse se réaliser.

Le présent projet de loi ne constitue donc pas, comme d'aucuns le prétendent, un texte d'exclusion pas plus qu'il ne témoigne d'une vision archaïque et nostalgique de la laïcité considérée comme un rejet des religions. Au contraire, en rompant avec les outils juridiques utilisés jusqu'alors pour mettre en œuvre ce principe, il prétend maintenir la tradition vivante. La jurisprudence du Conseil d'Etat, et notamment l'avis du 27 novembre 1989 qui fonde l'état du droit en matière de port des signes religieux à l'école, a démontré son insuffisance pour parvenir à régler les conflits actuellement rencontrés par l'institution scolaire. L'idéal n'est pas en cause ; ce sont les moyens mis à sa disposition pour le faire vivre qu'il s'agit de renouveler afin que l'ambition républicaine d'émancipation des individus puisse véritablement s'accomplir.

Dans l'histoire, comme dans la culture française, l'idéal de la laïcité est associé à l'idéal de l'école publique émancipatrice et pourvoyeuse d'égalité des chances. L'universalité des savoirs transmis à l'école a pour corollaire l'universalité des élèves accueillis. L'école républicaine est universelle parce qu'elle est destinée à tous les enfants et qu'elle dispense à tous un savoir identique fondé sur la raison.

L'école est le lieu et la laïcité est le moyen pour apprendre à vivre ensemble dans une société qui se diversifie et se fragmente.

Un processus préoccupant de ségrégation ethnique à l'école, conséquence directe de la ségrégation par l'habitat sur le territoire national, a ouvert une large brèche dans les fondements universalistes de l'école. L'ambiance générale dans certains quartiers ghettoïsés est marquée par un retour aux normes islamiques radicales. C'est par cette brèche, amplifiée par le recul du rôle intégrateur de l'école, que s'est engouffrée la perte du sens et du respect de la laïcité. Peu à peu on a vu apparaître dans des écoles marquées par un environnement déshérité, des revendications de certains élèves visant à transformer la tradition conciliatrice de la laïcité qui respecte toutes les religions, en droits spécifiques propres à chacune. Les revendications, dans le cadre scolaire, de droits ou d'avantages en référence à des spécificités religieuses tendent à faire de l'école un champ clos d'affrontements reproduisant celui des adultes.

Les travaux de la mission Debré comme ceux de la commission Stasi ont montré que le port du voile par de très jeunes filles est rarement un choix réellement libre. Il est le plus souvent le résultat d'une pression familiale ou environnementale ou une façon de se protéger de l'agressivité masculine. Il est parfois aussi un moyen de pression ou de culpabilisation des jeunes filles qui ne souhaitent pas le porter et qui constituent la grande majorité des élèves. Il a été constaté que le plus souvent, lorsqu'une élève exprime un sentiment religieux sincère elle est ouverte au dialogue avec l'équipe enseignante qui lui demande d'ôter son voile ou de le porter plus discrètement.

Or la première responsabilité de l'Etat laïque et de l'école laïque est de protéger la liberté de conscience de chacun, dans son expression ou sa non-expression. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait librement leur choix ont droit à la protection de leur liberté de conscience. C'est donc bien l'exigence du respect mutuel à travers la manifestation la plus discrète possible d'une appartenance religieuse qui garantit le mieux la liberté de conscience de tous les élèves.

Il y a incontestablement un lien, au moins chronologique, entre le développement du port du voile à l'école ou d'autres signes d'appartenance religieuse ou communautaire (keffieh, kippa...) et la montée de la violence et des affrontements communautaristes dans certains établissements, certains signes en appelant d'autres en riposte. Cette violence n'est évidemment pas le fait des jeunes filles voilées même si certaines d'entre elles adoptent des comportements très conflictuels, souvent soutenues par des réseaux ou des associations intégristes très organisés. Il s'agit de la violence qui a explosé ces dernières années, de la part des garçons à l'égard des filles et notamment des filles non voilées et des violences antisémites.

Une part importante de ces problèmes de manifestation identitaire est liée à la situation internationale et notamment au conflit israélo-palestinien. Beaucoup d'enseignants notent la coïncidence entre l'irruption des voiles, des kippas et des keffiehs, parfois associés à des violences, avec le début de la deuxième Intifada en 2001. La dramatique méconnaissance culturelle, politique et religieuse des problèmes conduit de nombreux jeunes à identifier leur propre malaise aux actions les plus indéfendables et à de véritables détournements des valeurs religieuses.

Ainsi, la ligne de partage entre le licite et l'illicite en matière d'expression religieuse à l'école est devenue floue, tant pour les enseignants que pour les élèves, sans doute parce que la mission de l'école n'est elle-même plus clairement perçue.

L'école est beaucoup plus qu'un service public où les usagers, les élèves, viendraient collecter des savoirs qu'ils pourraient de surcroît sélectionner, en zappant selon leurs désirs.

L'école a parmi ses missions celle de contribuer à la formation d'esprits libres et aptes au jugement autonome. Cet apprentissage est exigeant tant pour les enseignants que pour les élèves puisqu'il nécessite, sans heurter aucune croyance, de s'affranchir de toutes.

L'école a besoin de distance par rapport aux conflits et aux problèmes qui traversent la société et de ce point de vue les symboles qui pénètrent l'enceinte scolaire peuvent jouer un rôle négatif.

L'école, pour accomplir sa mission éducative, doit privilégier l'universel sur le particulier, elle doit aider les élèves à se distancier de l'emprise familiale, religieuse et culturelle.

Enfin, l'école accueille des jeunes en construction, le plus souvent mineurs, pour lesquels certaines restrictions aux libertés individuelles peuvent constituer une protection à laquelle l'école est d'ailleurs tenue.

Pour toutes ces raisons, la liberté de conscience et la liberté d'expression dans le domaine du religieux, qui sont des droits individuels attachés à la personne privée, ne peuvent recevoir la même application dans l'enceinte d'une école et dans le reste de la sphère publique. Des restrictions à ces droits, justifiées par la spécificité de la communauté éducative et strictement limitées au besoin de neutralité et de sérénité de la mission éducative, doivent être définies par le législateur.

La jurisprudence du Conseil d'Etat a déjà formulé une liste d'interdits et de limites à la liberté de conscience des élèves au regard du bon fonctionnement du service public éducatif. Le refus d'assister à certains cours, la contestation du contenu de certains enseignements en histoire ou en sciences de la vie, les actes de pression ou de prosélytisme n'entrent pas dans le champ de la liberté d'expression des élèves à l'école, ils sont interdits et peuvent être sanctionnés.

La question du port d'un signe qui manifeste ostensiblement une conviction religieuse doit donc être appréhendée à l'aune d'un ordre public scolaire dont le fondement prioritaire est le bon fonctionnement du service public de l'enseignement et l'accomplissement des missions dévolues à l'école.

La première de ces missions est de transmettre un enseignement neutre et objectif, détaché de toute croyance. Il est nécessaire pour cela que les enseignants soient à l'abri de toute pression et de toute contrainte y compris venant des élèves. L'affichage par ces derniers d'un signe religieux, imposant ainsi à l'enseignant de prendre en considération cette appartenance religieuse constitue incontestablement une forme de pression et une atteinte au respect du pluralisme.

Dans leur démarche d'apprentissage et de découverte des valeurs et des croyances, les élèves doivent être maintenus à l'abri et protégés autant que possible des pressions extérieures et des pressions entre élèves.

Dans l'espace scolaire, la liberté d'expression reconnue aux élèves par l'article 10 de la loi du 10 juillet 1989 (article L. 511-2 du code de l'éducation), notamment en ce qui concerne l'expression religieuse trouve nécessairement très vite ses limites dans le respect de la liberté des autres élèves. La loi de 1989 l'exprime en précisant que cette liberté s'exerce dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité et à condition de ne pas porter atteinte aux activités d'enseignement.

De surcroît l'article L.111-2 du code de l'éducation impose à l'Etat de garantir le respect de la personnalité de l'enfant et de l'action éducative des familles, ce qui ne peut se concevoir que dans une claire obligation de neutralité de la part de tous.

Force est de constater que ces principes tels qu'ils sont formulés, actuellement, sont d'application délicate créant une grande incertitude tant juridique que pédagogique. Il est temps que le législateur précise le cadre normatif au sein duquel l'activité éducative doit se dérouler et redéfinisse le sens et la portée des notions de neutralité et de liberté d'expression dans l'ordre intérieur scolaire.

On ne saurait nier que le port, dans l'enceinte scolaire, du voile islamique, de la kippa juive, d'une grande croix catholique ou de tout autre signe exprimant une appartenance religieuse clairement proclamée, heurte les principes de neutralité et de respect de la liberté d'autrui tels qu'ils ont été rappelés par le Président de la République dans son discours solennel du 17 décembre 2003.

On rappellera les mots forts qui ont été prononcés à ce sujet par le Chef de l'Etat : « L'école est un sanctuaire républicain que nous devons défendre, pour préserver l'égalité devant l'acquisition des valeurs et du savoir, l'égalité entre les filles et les garçons, la mixité de tous les enseignements, et notamment du sport. Pour protéger nos enfants. Pour que notre jeunesse ne soit pas exposée aux vents mauvais qui divisent, qui séparent, qui dressent les uns contre les autres. »

L'apprentissage de l'altérité doit se faire à travers l'enseignement lui-même et par les échanges sereins entre les élèves et entre les élèves et les professeurs et il n'est pas nécessaire pour cela, au contraire, que chacun arbore ses croyances et ses traditions familiales.

L'école est également confrontée à travers le port du voile et certains comportements d'élèves à la remise en cause de l'égalité des garçons et des filles et du principe de la mixité du fonctionnement de l'institution.

Il s'agit là aussi de l'irruption dans le cadre scolaire, de la remise en cause du processus d'égalisation entre les sexes et d'un regain de violence faite aux femmes, dans de nombreux secteurs de la société. C'est dans les cités et les quartiers livrés au repli identitaire que la condition des femmes est la plus dégradée et que la contrainte masculine est la plus lourde. Les jeunes femmes sont l'objet de pressions sexistes qui leur imposent de porter des tenues jugées suffisamment pudiques et de baisser le regard.

Or c'est à l'école que cet acquis essentiel - l'égalité des hommes et des femmes - doit s'apprendre et se vivre. Les garçons doivent apprendre à respecter les filles quelle que soit leur tenue vestimentaire, aucune pratique ségrégative ne doit pouvoir s'instaurer dans les piscines et dans les gymnases.

Les jeunes filles doivent apprendre à l'école que si elles persistent dans leur volonté de porter le voile elles s'interdisent, notamment, toute possibilité d'accéder plus tard à la fonction publique où il est interdit et que si l'objectif proclamé de ceux qui les encouragent à porter le voile n'est pas de les maintenir dans un statut social d'infériorité, c'est en tout cas le résultat qui sera obtenu. Dans le même ordre d'idée on peut remarquer que dans le pays où le port du voile est obligatoire, aucune femme ne participe aux compétitions sportives, notamment aux Jeux olympiques.

Il est donc établi que les manifestations d'appartenance religieuse à travers des signes ou des comportements perturbent gravement le fonctionnement normal de la vie scolaire et qu'il est temps d'y mettre un terme.

C'est la raison d'être du présent projet de loi qui ne vise nullement, comme l'a précisé le ministre de la jeunesse de l'éducation nationale et de la recherche lors de son audition du 20 janvier par la commission des lois et la commission des affaires culturelles, à stigmatiser telle ou telle religion ni à inventer une nouvelle étape dans l'histoire de la laïcité.

La finalité du projet de loi est de clarifier la règle juridique applicable en introduisant un nouvel article dans le code de l'éducation visant à interdire, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Le terme ostensiblement, préféré à ostentatoire ou à visible, doit permettre d'interdire ce qui est destiné à être montré, tels que le voile, la kippa ou la grande croix, sans risquer de porter atteinte au port de signes religieux discrets.

Ces dispositions ne seront pas applicables aux établissements privés sous contrat d'association avec l'Etat, dont il faut préserver le caractère propre. Elles seront applicables sur tout le territoire et notamment en Alsace-Moselle et outre-mer en tenant compte de certaines spécificités locales et de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités concernées. Enfin elles seront applicables dans les établissements français d'enseignement à l'étranger.

Si la loi est nécessaire, elle ne sera néanmoins pas suffisante pour ramener à elle seule le calme dans les esprits et dans les salles de classe.

Outre un traitement de fond des problèmes liés au communautarisme tels que la ségrégation urbaine, les discriminations sociales à l'encontre des jeunes d'origine maghrébine ou africaine et l'échec scolaire dont ils sont particulièrement victimes, une véritable pédagogie de la laïcité, comme apprentissage du « vivre ensemble », doit être développée.

La mission parlementaire a constaté que là où l'on trouve des équipes pédagogiques soudées, harmonisées dans ses méthodes, notamment, par rapport à la discipline et au comportement des élèves et capables de se faire obéir sans osciller entre autoritarisme et laxisme, les foulards mais aussi les casquettes et toutes les marques de refus de la règle commune tombent beaucoup plus vite.

Confortés par un contexte juridique clarifié, les enseignants et les chefs d'établissement devront être encouragés et aidés à sensibiliser les élèves à la signification profonde du principe de laïcité et à ses modalités d'application à l'école.

Un gros effort pédagogique doit être entrepris dans tous les établissements scolaires afin de présenter le principe de laïcité comme le bien commun des élèves, ce qui les rapproche et les aide à trouver le cheminement vers leur liberté personnelle.

Le délai prévu pour l'entrée en vigueur de la loi, soit la rentrée scolaire suivant sa publication, devra être mis à profit pour favoriser un travail important dans les établissements, de dialogue, d'explication et de médiation.

Le ministère de l'éducation nationale doit impulser le plus rapidement possible, après le vote de la loi, cette phase préparatoire à l'adoption des nouveaux règlements intérieurs des établissements, en s'appuyant, notamment, sur la médiatrice de l'éducation nationale qui dispose d'une solide expérience, souvent fructueuse, dans la négociation avec les familles et les élèves.

Il est important également de préciser que la loi, lorsqu'elle sera applicable devra l'être avec modération et discernement en privilégiant toujours le dialogue même si le refus de se conformer au nouveau règlement intérieur sera nécessairement passible de sanctions. Ces sanctions devront être graduées et proportionnées et ne devraient intervenir qu'après une phase aussi longue que possible de négociation et de réflexion.

L'exclusion pour port d'un signe religieux et notamment du voile restera toujours un échec de la mission éducative, surtout lorsqu'elle s'appliquera à des jeunes filles dont la liberté d'action a pu être entravée.

Le rapporteur pour avis et la commission des affaires culturelles s'engagent à exercer un véritable suivi de la mise en œuvre de la loi et de ses conséquences sur le fonctionnement de l'école publique. Dans un premier temps, seront examinés avec intérêt les décrets d'application et les circulaires qui devraient intervenir rapidement ainsi que le guide de la laïcité annoncé par le ministre de l'éducation nationale qui devrait être distribué très prochainement dans les établissements scolaires.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Bernard Perrut, président, après avoir remercié le rapporteur pour avis pour la qualité de son exposé, a rappelé que la laïcité garantit la liberté de conscience et ne porte pas atteinte à la liberté religieuse.

M. Yves Durand a souligné que le sujet abordé est à la fois difficile et important et qu'il y a en effet lieu d'exclure du débat toute attitude mesquine ou partisane au profit d'une certaine solennité. Dans cet esprit, le groupe socialiste présentera trois amendements.

Ce sujet touche aux convictions intimes de chacun, notamment dans l'affirmation d'une croyance ou d'une non-croyance. Ainsi, la laïcité constitue le fondement de la liberté de conscience. Elle est le point de séparation des sphères publiques et religieuses. Ce débat a agité les esprits pendant tout le XIXe siècle jusqu'à l'adoption de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat souhaitée par Jean Jaurès et Aristide Briand. Ce texte a garanti un équilibre satisfaisant jusqu'à un passé récent. En 1989, le ministre chargé de l'éducation nationale constatant des entorses au principe de laïcité à l'école a demandé au Conseil d'Etat de fournir un avis juridique sur cette question. Force est de constater que cet avis n'a pas suffi à sécuriser les équipes éducatives ni à leur donner les moyens juridiques de remplir leur mission. De fait, l'école constitue un lieu public particulier : elle a pour mission de former les esprits et de forger la liberté de conscience. Cette mission lui confère un caractère un peu sacré qui doit être respecté par tous : familles, enfants, enseignants.

Aujourd'hui, une réflexion collective débouche sur un texte.

M. Yves Durand a rappelé qu'à l'occasion du colloque sur la laïcité organisé en mai 2003 il s'était montré réservé sur la possibilité de faire appliquer une loi dans ce domaine. Depuis, les travaux menés tant sous l'égide de M. Jean-Louis Debré que de M. Bernard Stasi ont montré la situation de fragilité juridique dans laquelle se trouvent désormais placés les chefs d'établissement et les équipes éducatives. Dans ces conditions, le groupe socialiste est favorable à une loi de sécurisation rappelant le principe de l'interdiction du port visible de tout signe d'appartenance religieuse.

Le vote favorable du groupe socialiste sera subordonné à l'applicabilité effective de la loi. Trois conditions doivent être remplies pour rendre le dispositif applicable, ces trois conditions faisant chacune l'objet d'un amendement. Premièrement, la loi doit être claire. Elle ne doit donc pas pouvoir faire l'objet d'interprétation ou de contestation. C'est précisément le défaut de l'avis du Conseil d'Etat de 1989, qui, en utilisant le mot « ostentatoire » a plongé les équipes éducatives dans l'embarras. Le juge a même été conduit à intervenir dans les règlements intérieurs des établissements, ce qui n'est pas de son ressort. Le groupe socialiste estime préférable l'emploi du terme « visible » plutôt que la forme adverbiale d' « ostensible ». Cet adjectif avait été retenu par les membres de la mission présidée par M. Jean-Louis Debré. La clarté de la loi sera la garantie de son égale application pour tous. En effet, le risque est de donner l'impression que le Parlement vote une loi contre le voile. Le Parlement doit voter un rappel du principe de laïcité, en interdisant tous les signes religieux dans l'espace de l'école. Dans cette perspective, l'adverbe « ostensiblement » n'est pas plus clair que l'adjectif « ostentatoire ».

Deuxièmement, il faut insister sur le fait que la laïcité ne se réduit pas à une interdiction, mais qu'elle est l'affirmation de la plus grande des libertés, celle qui garantit la liberté de conscience même si comme toute règle elle peut souffrir des limites. Il est donc nécessaire d'inscrire dans la loi, de manière symbolique, la nécessité de la pédagogie et du dialogue - ce qui est différent de la négociation - pour expliquer aux élèves ce qu'est la laïcité. Or, le projet n'inclut pas cette nécessaire pédagogie et réduit la laïcité à une simple interdiction.

Troisièmement, le Parlement ne va pas légiférer sur la laïcité, qui repose sur la loi de 1905 qui reste inchangée. Il s'agit plutôt d'une loi de sécurisation juridique en matière de signes religieux. Or, le titre comporte le mot « laïcité », ce qui peut semer la confusion.

Le groupe socialiste n'est pas a priori opposé à cette loi. Le projet gagnera d'ailleurs en force s'il est voté, par un grand nombre de députés. Grâce à l'initiative du président Jean-Louis Debré, le débat parlementaire sera large et ouvert, chaque député disposant de dix minutes pour son intervention. En définitive, le sort réservé aux amendements du groupe socialiste conditionnera le vote de ses membres.

Le rapporteur pour avis a salué l'esprit dans lequel les membres du groupe socialiste abordent l'examen du projet de loi.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Interdiction dans les écoles, les collèges et les lycées publics du port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse

Cet article constitue le cœur du projet de loi. Il formule la nature et l'étendue, au sein de l'institution scolaire, de l'interdiction du port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Ces dispositions font l'objet d'un nouvel article (L. 141-5-1) du code de l'éducation intégré dans le chapitre unique du titre IV du livre Ier du dudit code qui rassemble l'ensemble des dispositions relatives à l'application du principe de laïcité dans l'enseignement public.

Si la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école, créée le 27 mai 2003 et présidée par M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, et la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République installée, à l'initiative du Président de la République, M. Jacques Chirac, le 3 juillet 2003, et présidée par M. Bernard Stasi, ont toutes deux conclu, à l'issue de leurs travaux respectifs, à la nécessaire réaffirmation du principe de laïcité à l'école3, les moyens proposés par chacune d'entre elles pour y parvenir présentent des différences.

Ainsi, la problématique du port des signes religieux à l'école -  qui a constitué l'essentiel des travaux de ces deux organes de réflexion et nourri le débat au sein de la société civile, comme en témoigne le nombre considérable d'articles parus dans la presse et d'ouvrages édités à ce sujet au cours des derniers mois - a abouti à proposer des solutions qui pour être proches n'en sont pas moins différentes. Une fois retenu le principe de légiférer, les diverses discussions ont montré que trois qualificatifs étaient envisagés pour qualifier les signes religieux qu'il convenait d'interdire à l'école : les signes ostentatoires, les signes visibles (ou apparents) ou les signes ostensibles4.

La querelle n'est pas que sémantique dans la mesure où l'adoption de l'un ou l'autre de ces termes dans le texte de loi aura des conséquences concrètes dans le droit positif.

Le terme « ostentatoire » est celui retenu dès 1989 par le Conseil d'Etat pour qualifier les signes d'appartenance religieuse susceptibles d'être interdits au motif qu'ils constitueraient, dès lors, « un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, qui porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service5 ». Toutefois, le Conseil d'Etat n'a jamais défini avec précision ce que recouvre le mot ostentatoire. Au terme d'une jurisprudence demeurée constante au long des nombreuses décisions aux contentieux qui ont suivi son avis rendu le 27 novembre 1989, le juge administratif a toujours estimé qu'un signe d'appartenance religieuse, quel qu'il soit, ne pouvait pas, par lui-même, être considéré comme ostentatoire. Seule la manière dont ce signe est porté - et donc le comportement qui en résulte - peut être qualifiée telle. La subtilité de cette argumentation, qui distingue le signe du comportement l'accompagnant, a suscité de nombreuses incompréhensions au sein de la communauté enseignante et nourri le désarroi de professeurs et de chefs d'établissements qui peinent à établir la frontière entre ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. L'annulation, par les tribunaux administratifs, de nombreuses décisions d'exclusion d'élèves au motif qu'elles portaient un voile islamique en classe, ne doit pas se mesurer autrement qu'à l'aune de cette difficulté à appréhender la complexité de la règle de droit en vigueur.

Pour remédier à cette situation et assurer le strict respect du principe de laïcité, la mission d'information sur la question des signes religieux à l'école, présidée par M. Jean-Louis Debré, a proposé que soit interdit dans l'enceinte scolaire le port de tout signe « visible » d'appartenance religieuse. En raison de sa simplicité et du fait que sa définition ne fait pas l'objet d'interprétations, le choix de ce terme aurait permis, selon les membres de la mission, la mise en place d'une règle claire, aisément compréhensible par tous. Cependant, l'adoption d'une telle rédaction serait par trop attentatoire aux libertés religieuses et de conscience, de rang constitutionnel, lesquelles ont vocation, y compris dans le cadre scolaire et sans déroger au principe de la laïcité, à s'exprimer, fusse dans des limites raisonnables. C'est ce qu'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis du 27 novembre 1989 en fondant son appréciation notamment sur les dispositions de l'article 10 de la loi du d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 qui précise que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression » (article L. 511-2 du code de l'éducation).

C'est dans cet esprit, de conciliation de deux principes à valeur constitutionnelle - la liberté de religion et de conscience d'un côté, la laïcité de l'école publique de l'autre -, que le Chef de l'Etat, qui « veille au respect de la Constitution »6, a rendu son arbitrage lors de son allocution du mercredi 17 décembre 2003 au cours de laquelle il a indiqué, suite à la publication des rapports de la mission parlementaire et de la commission Stasi, la voie à suivre en matière de respect du principe de laïcité dans la République. Ainsi, le Président de la République, M. Jacques Chirac, a affirmé que « le port de tenues ou de signes qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse doit être proscrit dans les écoles, les collèges et les lycées publics ». Il a ainsi repris très largement les conclusions du rapport de la commission Stasi : interdire de l'espace scolaire le port des tenues et signes ostensibles (tels qu'une grande croix, une kippa ou un voile islamique) sans toutefois prohiber les signes discrets (tels que les médailles, petites croix, mains de Fatima ou étoiles de David). La rédaction de l'article 1er du présent projet de loi est la traduction, dans le texte gouvernemental, du discours présidentiel. Elle témoigne d'un compromis entre la nécessaire réaffirmation du principe de laïcité et le respect des libertés individuelles fondamentales. A ce titre, les dispositions de l'article s'inscrivent dans la tradition historique, initiée par Jules Ferry et la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement obligatoire, d'équilibre entre la fermeté quant à l'application de la règle laïque, fondement de notre République, et le respect des droits et libertés des individus, indissociable de la vie démocratique.

Selon la définition usuelle, « ostensible » désigne ce « qui est fait sans se cacher ou avec l'intention d'être remarquée » (Le Robert). Le terme se distingue ainsi du qualificatif « visible » en ce que son adoption autoriserait le port des signes discrets d'appartenance religieuse. Il diffère également de l'adjectif « ostentatoire » - « qui témoigne d'une mise en valeur excessive et indiscrète d'un avantage » (Le Robert) - puisqu'il contient, en lui-même, une volonté revendicatrice : qui arbore un signe ostensible marque le désir de se faire remarquer et d'attirer l'attention sur lui. Dès lors, le port d'un tel signe témoigne, par lui-même, d'un comportement répréhensible au regard des règles de la laïcité. L'ambiguïté de la règle de droit énoncée par le Conseil d'Etat, dans son avis du 27 novembre 1989, est de la sorte levée. Actuellement, l'autorisation du port des signes religieux à l'école est la règle, son interdiction l'exception. Le projet de loi constitue donc une rupture avec l'état actuel du droit puisque sont clairement prohibés de l'espace scolaire les signes et les tenues qui manifestent une appartenance religieuse, à l'exception des signes discrets.

De plus, le choix du mot ostensible dans sa forme adverbiale permet simultanément une grande fermeté dans la réaffirmation du principe de laïcité au sein des établissements d'enseignement primaire et secondaire et une grande souplesse dans l'application du dispositif législatif. Si, comme le précise l'exposé des motifs du projet de loi, le texte à vocation à interdire « les signes et tenues dont le port conduit à se faire reconnaître immédiatement par son appartenance religieuse » (tels que la kippa, le voile ou une croix de taille manifestement excessive), la rédaction retenue par le gouvernement permettra, à l'avenir, d'inclure dans le champ de l'interdit d'autres signes que l'imagination féconde des adolescents ne manquera pas de faire apparaître pour contourner la loi. Ainsi, des signes jusqu'alors inconnus, mais qui, par leur généralisation et par la volonté marquée de ceux qui les arborent de les revendiquer comme des emblèmes religieux, manifesteront ostensiblement une appartenance religieuse, pourront entrer dans le champ d'application de la loi. Là est le mérite de cette rédaction. En ne se bornant pas à interdire les signes ou les tenues ostensibles en eux-mêmes, mais en incluant, par le choix de la forme adverbiale et le choix de viser le port des signes plutôt que le signe seul, le comportement des élèves pour motiver l'interdit, elle apporte à la fois une réponse immédiate et durable aux menaces qui pèsent aujourd'hui sur le principe de laïcité.

Par ailleurs, il est à remarquer que l'interdit formulé à l'article 1er du projet de loi ne vise que les signes et les tenues manifestant une appartenance religieuse et non ceux manifestant une appartenance politique comme l'avaient recommandé de concert la mission d'information parlementaire présidée par M. Jean-Louis Debré et la commission de réflexion présidée par M. Bernard Stasi. En effet, les auditions menées par ces deux organes de réflexion ont convaincu leurs membres que la frontière entre les signes témoignant d'une appartenance religieuse et ceux exprimant une appartenance politique est dans certains cas devenue floue. Ainsi, le port, par les élèves, d'un voile islamique ou d'une kippa, peut répondre tout autant à la volonté d'affirmer une identité religieuse qu'à la volonté d'afficher des options politiques en liaison avec les événements au Proche-Orient. Pour autant, le présent projet de loi entend se borner à une réaffirmation stricte du principe de laïcité lequel organise les relations entre l'Etat et le domaine de la religion. De plus, cette extension est inutile puisque la circulaire du 1er juillet 1936 relative à l'interdiction du port d'insignes politiques dans les établissements scolaires est toujours en vigueur. Etendre les dispositions de l'article 1er aux signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance politique reviendrait de facto à affaiblir la portée du droit en vigueur puisque ne seraient plus interdits que les signes définis comme tels alors que la législation actuelle vise l'ensemble des signes politiques, quels qu'ils soient.

Il convient également de noter que la disposition de l'article 1er ne vise que les établissements scolaires publics. Les établissements scolaires privés qu'ils aient ou non passé un contrat d'association avec l'Etat sont exclus du champ d'application de cette mesure. La liberté de l'enseignement est en effet un principe fondamental reconnu par les lois de la République (décision du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977, DC n° 77-877).

Dans la mesure où ils ne sollicitent aucun subside de l'Etat, les établissements dits « hors contrat » sont libres d'organiser l'enseignement qu'ils dispensent. Le contrôle de l'Etat se borne à veiller « aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale » (article L. 442-2 du code de l'éducation nationale).

En cas de « contrat simple » liant l'établissement scolaire à l'Etat, ce dernier exerce un contrôle pédagogique et financier sur l'établissement qui conserve une certaine autonomie dans l'organisation de l'enseignement et la répartition des horaires des matières enseignées.

Dans les deux cas, l'indépendance de l'établissement vis-à-vis de l'Etat justifie que les dispositions de l'article 1er du projet de loi ne s'y appliquent pas.

Par contre, la signature d'un « contrat d'association » entre l'établissement scolaire et l'éducation nationale entraîne pour celui-ci l'obligation d'aligner strictement son enseignement sur celui dispensé dans les écoles publiques. En contrepartie, l'Etat assure les dépenses de fonctionnement de l'établissement sur les mêmes bases que celles en vigueur pour les établissements publics.

Néanmoins, ces règles ne remettent pas en cause l'existence du « caractère propre » de l'établissement qui peut s'exprimer dans les activités extérieures au secteur sous contrat8 ou bien, à l'intérieur même de ce secteur, par une approche pédagogique différente qui peut tenir compte du caractère confessionnel de l'établissement (article L. 442-5 du code de l'éducation).

En vertu de ce « caractère propre », il n'y a pas lieu d'étendre l'interdiction de certains signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse aux établissements scolaires privés sous contrat.

En outre, les dispositions de l'article 1er ne visent que les élèves et ne concernent pas les établissements d'enseignement supérieur.

Le régime juridique actuel relatif au port des signes religieux à l'école établit clairement une distinction entre les élèves, « usagers du service public », et les agents de ce même service. Ainsi, par un avis contentieux du 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, le Conseil d'Etat a jugé que le « fait pour un agent du service de l'enseignement de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ». La jurisprudence administrative n'établit aucune différence selon que la personne intéressée est ou non enseignante - dans le cas d'espèce, il s'agissait d'une surveillante - ou bien qu'elle est ou non en contact avec les usagers. Les principes de laïcité et donc de neutralité doivent uniformément s'appliquer à tous les agents du service public sans distinction d'aucune sorte. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé que figurent au nombre des principes fondamentaux du service public « le principe d'égalité et son corollaire, le principe de neutralité du service » (DC n° 86-217, 18 septembre 1986, Liberté de communication). L'état du droit assurant un strict respect du principe de laïcité de la part des agents du service public de l'éducation, il n'y a pas lieu d'étendre les dispositions de l'article 1er à ces catégories de personnels.

En ce qui concerne, l'enseignement supérieur, les libertés universitaires consacrées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 (DC n° 83-165) visent moins la liberté de l'enseignement que « l'organisation du service public [universitaire] et [les] droits et obligations des enseignants et chercheurs chargés de l'exécution de ce service ». Dès lors, il n'aurait pas été inconcevable que les dispositions de l'article 1er s'appliquent également à l'enseignement supérieur. Cependant, il ne fait pas de doute que celui-ci revêt certaines spécificités qu'il importe de prendre en compte. Ainsi, la quasi-totalité des étudiants inscrits au cycle supérieur sont majeurs et l'instruction qui y est donnée n'a pas de caractère obligatoire. La mission de l'université est donc différente de celle des établissements d'enseignement primaire et secondaire. Elle s'adresse à des jeunes plus âgés dont on peut estimer qu'ils sont moins susceptibles d'être soumis à des pressions extérieures. Les raisons qui ont conduit le législateur à intervenir pour réaffirmer l'application des principes de laïcité à l'école ne se posant pas à l'université dans les mêmes termes, la présente loi n'a pas de raison de s'y appliquer. Toutefois, il est important de rappeler que le principe de neutralité des agents publics est, à l'université comme dans le reste de la fonction publique, un principe intangible et qu'un étudiant ne saurait arguer d'une prescription religieuse pour récuser un examinateur ou être dispensé du suivi d'un cours obligatoire.

Enfin, certains se sont interrogés sur la conformité de l'interdiction du port des signes ou des tenues religieuses dans l'enceinte des établissements scolaires publics au regard de la Constitution et des engagements internationaux de la France.

En ce qui concerne la compatibilité des dispositions de l'article 1er du présent projet de loi avec le texte constitutionnel, il est nécessaire de rappeler que le juge constitutionnel admet l'intervention du législateur pour réglementer l'exercice d'une liberté fondamentale lorsque celle-ci poursuit deux objectifs : rendre la liberté en question plus effective ou bien la concilier avec d'autres principes à valeur constitutionnelle9. Or, au même titre que la liberté de religion, le principe de laïcité est de rang constitutionnel puisqu'il est consacré par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. De plus, il convient de souligner que la restriction apportée par l'article 1er du présent projet de loi à la libre manifestation de l'appartenance religieuse est strictement limitée puisqu'elle ne déborde pas du cadre des établissements d'enseignement public.

Qu'en est-il de la conformité de l'article 1er du présent projet de loi avec les engagements internationaux de la France et plus particulièrement avec l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales qui protège la liberté de pensée, de conscience et de religion ? Aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme, une mesure aboutissant à restreindre la liberté de manifester ou de pratiquer sa religion n'est compatible avec la Convention que si elle remplit trois conditions : la mesure doit être prévue par la loi, elle doit poursuivre un but légitime et, enfin, elle doit être proportionnée à l'objectif poursuivi. L'intervention prévue par le législateur remplit les deux premières conditions puisqu'elle s'inscrit dans le cadre de la loi et répond à une préoccupation réelle et fondée, comme l'a démontrée l'introduction du présent rapport. La question qui se pose est en fait la suivante : les dispositions de l'article 1er du présent projet de loi constituent-elles une mesure proportionnée au but poursuivi ? Dans la mesure où la Cour n'a encore jamais eu à juger un tel cas d'espèce, il ne peut être donné de réponse définitive10. A défaut d'offrir des certitudes, la jurisprudence européenne permet néanmoins d'apporter quelques éléments de réponse. D'une part, la Cour reconnaît le caractère relatif de la liberté religieuse et admet que la liberté de manifester sa religion soit assortie de « limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes religieux » sous réserve que pareilles restrictions correspondent à un « besoin social impérieux »11. Par ailleurs, en matière scolaire, la Cour tient compte de la possibilité offerte aux élèves exclus pour avoir outrepassé une restriction à leur liberté religieuse de suivre un enseignement de substitution à distance ou bien dans un autre établissement12. Enfin, le juge européen reconnaît le principe de laïcité13 ; une incertitude demeure cependant sur la portée et la signification données à ce principe par la Cour. Au vu de tous ces éléments, il n'apparaît pas que les dispositions du présent article méconnaissent les libertés garanties par l'article 9 de la Convention telles qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le présent projet de loi n'a pas d'autre objet que de réaffirmer le principe de laïcité à l'école en rendant plus claire la ligne de partage entre le licite et l'illicite en la matière. Le dispositif de l'article 1er répond à cet objectif : simplifier la règle de droit afin de rendre son application plus aisée et assurer la sécurité juridique à la fois des élèves (en dissipant toute ambiguïté sur les signes qu'il leur est ou non permis d'arborer) et des enseignants et des chefs d'établissements chargés de sanctionner le non-respect de la règle de droit. Si celui-ci pose un interdit, la rédaction retenue par le gouvernement offre également la souplesse nécessaire pour permettre une application sereine et bien délimitée de ce dernier. Les signes, qu'ils soient ou non religieux, sont par nature mouvant. Le législateur, respectueux des libertés constitutionnelles, n'entend pas tous les prohiber. Selon l'admirable formule de Jean Zay, il ne cherche à exclure que les signes « dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire14 » afin de préserver l'ordre et la sérénité dans l'espace scolaire en évitant que les élèves ne se structurent en communautés immédiatement identifiables et antagonistes. La rédaction de l'article 1er répond parfaitement à cet objectif et il convient de l'adopter en l'état.

*

La commission a examiné un amendement présenté par M. Yves Durand visant à interdire le port visible de tout signe d'appartenance religieuse, plutôt que le port de signes et de tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

M. Yves Durand a rappelé que le terme « visible » avait été adopté par la commission Debré à la quasi-unanimité de ses membres.

Le rapporteur pour avis a d'abord estimé qu'il s'agit d'une question difficile, à laquelle la réponse de chacun a pu varier dans le temps. Le dictionnaire définit de la manière suivante les différents qualificatifs proposés :

- « Visible » est ce qui peut être vu. C'est la proposition de la mission parlementaire qui prohibe les signes apparents, même discrets (médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatima...).

- « Ostensible » se réfère à ce qui est fait sans se cacher ou avec l'intention d'être remarqué. Le projet de loi interdit les signes et les tenues par lesquelles les élèves manifestent ostensiblement (avec l'intention d'être remarqué) leur appartenance religieuse. La forme adverbiale exige à la fois le port du signe et l'intention d'être remarqué, ce qui est le cas pour le voile, la kippa ou la grande croix.

- « Ostentatoire » signifie la mise en valeur excessive et indiscrète d'un avantage. L'emploi de ce terme par le Conseil d'Etat, qui a donné lieu à des interprétations divergentes, doit être abandonné.

Il ne semble pas opportun d'adopter l'adjectif « visible » car en interdisant le port discret de signes religieux, il met en cause la liberté de conscience et la liberté religieuse, protégées par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'Homme. Ensuite, l'emploi du terme « visible » ne serait pas dénué d'ambiguïté et poserait des problèmes pratiques d'application : que faire si une élève laisse échapper un médaillon de manière involontaire et l'expose aux regards des autres élèves ? La rédaction proposée offre un meilleur équilibre entre l'application du principe de laïcité dans les écoles et le nécessaire respect de la liberté de conscience. Elle permet en outre une plus grande souplesse dans son application. Enfin, elle est de nature à prendre en compte les nouveaux signes religieux qui ne tarderont pas à émerger. Adopter le terme « visible » ne permet pas de moduler l'application de la loi en fonction du comportement des élèves concernés. Comme l'a affirmé le Président de la République dans son discours du 17 décembre dernier, l'école ne doit pas être le lieu de l'uniformité. La laïcité, ce n'est pas l'anti-religieux, ce n'est pas le laïcisme, c'est exiger que le sentiment religieux s'accompagne d'un scrupule, d'une retenue et d'une pudeur.

M. Yves Durand a rappelé que le projet de loi a vocation à apporter une sécurité juridique aux chefs d'établissements. La longueur des explications données par le rapporteur sur la portée du terme « ostensiblement » augure mal de l'application de la loi et peut laisser craindre des débats infinis sur la réalité du caractère ostensible du port de certains signes. Le problème est le même qu'avec le terme « ostentatoire » : il s'agit de mots qui laissent une large part à la subjectivité. Le projet ne répond donc pas à l'attente des chefs d'établissements qui souhaitent disposer d'une règle claire, afin de prendre des décisions incontestables qui ne seront pas cassées par le juge.

M. Dominique Richard a considéré au contraire que c'est bien la rédaction proposée par l'amendement qui fragilise le dispositif, puisqu'elle le rendrait incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme. Il ne s'agit pas d'entraver, par ce texte, l'expression de la liberté de conscience. C'est pourquoi la rédaction proposée est la meilleure possible.

Le rapporteur pour avis a rappelé qu'un long cheminement avait été nécessaire pour parvenir à la loi de 1905, que chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître comme un texte d'équilibre. La laïcité ne doit pas être vécue comme un combat contre les religions : le projet de loi tel qu'il est présenté prolonge cet état d'esprit et il faut s'en féliciter.

Conformément au souhait du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

M. Yves Durand a rappelé que le groupe socialiste, tout en souhaitant que ce texte soit adopté par la plus forte majorité possible, réserverait son vote sur l'ensemble du dispositif jusqu'à l'issue du débat en séance publique.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1er sans modification.

Après l'article 1er

La commission a examiné un amendement de M. Yves Durand prévoyant que le règlement intérieur des établissements devra définir les conditions d'application de la loi en mentionnant que, sauf dans les cas de récidive, la sanction ne pourra intervenir qu'après une phase de dialogue.

M. Yves Durand a rappelé que l'école n'est pas faite pour exclure. Si la sanction - c'est-à-dire l'exclusion de l'établissement - apparaît comme automatique, la loi sera mal reçue et n'aura donc pas atteint son but. En revanche, si la loi prévoit la nécessité d'un temps de dialogue et d'explication en préalable au prononcé de la sanction, et que l'élève persiste dans son choix, ce ne sera plus l'école qui exclura mais bien l'élève qui s'exclura de lui-même. En rappelant la mission avant tout pédagogique de l'école, une telle mention permettrait de donner plus de force à la loi.

Le rapporteur pour avis a considéré que les dispositions proposées ne relèvent pas du domaine de la loi mais du règlement et de la circulaire. De plus, on ne renforce pas la loi en la surchargeant. Il est de toute façon acquis que les chefs d'établissement accorderont la priorité au dialogue sur la sanction et prendront le temps de l'explication et de la pédagogie. Cela est précisé dans l'exposé des motifs du projet de loi qui prévoit de surcroît un délai pour l'entrée en application de la loi. Enfin, des médiations sont déjà en place dans chaque académie.

M. Yves Durand a observé que si le préalable du dialogue ne figure pas dans la loi, il ne constituera pas une obligation, et rien n'empêchera un chef d'établissement ou un conseil d'administration de prononcer une exclusion sans explication préalable.

M. Dominique Richard, tout en comprenant les motivations de l'amendement, s'y est opposé en considérant qu'une loi forte est avant tout une loi simple. L'intention du législateur est claire en la matière et des engagements pourront être demandés au ministre lors du débat en séance publique.

Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

La commission a examiné un amendement de Mme Martine Billard visant à abroger le statut local en vigueur dans les établissements scolaires des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

Mme Martine Billard a tout d'abord évoqué son sentiment partagé à l'égard du projet loi, en précisant qu'elle était tout à la fois contre le développement du port de signes religieux à l'école, et notamment du foulard qui infériorise les filles par rapport aux garçons, et contre l'élaboration d'une loi hostile à une religion particulière. Si le texte est ce qu'en dit son titre, c'est-à-dire un projet de loi sur la laïcité, il faut montrer qu'il s'applique à toutes les religions et qu'il est un texte de pédagogie et d'explication, qui permettra de renforcer l'égalité culturelle, sociale, religieuse et ethnique à l'école de la République. Malheureusement, ce projet de loi ne donnera lieu qu'à un débat tronqué, car les véritables raisons du mal être des jeunes, qui se manifeste par le port de signes religieux, ne sont pas abordées.

En outre, il ne paraît pas conforme au principe de laïcité que les cours de religion soient obligatoires dans les écoles de la République, comme cela est le cas en Alsace-Moselle. La moindre des choses serait de renverser la situation en rendant ces cours facultatifs.

M. Frédéric Reiss s'est opposé à l'amendement en rappelant que l'application du principe de laïcité dans les écoles d'Alsace-Moselle n'a jamais posé aucun problème. Par ailleurs, il est faux de dire que les cours de religion sont obligatoires : seule leur organisation l'est puisqu'au moment des inscriptions, les élèves peuvent tout à fait demander à en être dispensés.

M. Jean Ueberschlag a considéré qu'il s'agit là du type même d'amendement qui pourrait « mettre le feu » à l'Alsace-Moselle et qui constitue, en sus, un véritable cadeau au Front national. Les Alsaciens tiennent à leur droit local, dont le statut scolaire est un des éléments. De plus, si la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas eu lieu en Alsace-Moselle, c'est parce qu'en 1905, ces départements n'étaient pas français mais allemands. En 1919, lors de leur restitution, la France s'est engagée à maintenir les éléments du droit local. D'ailleurs, en matière scolaire, ce régime, loin de constituer une régression, a permis d'éviter toute guerre scolaire. En Alsace, il n'y a qu'une école, celle de la République !

M. Yves Durand a rappelé les raisons historiques qui sont à l'origine de la non application de la loi de 1905 en Alsace-Moselle. Il a ensuite souligné que cet amendement illustre bien le risque de réouverture du débat sur la laïcité si ce terme figure dans le titre de la loi ce que ne souhaite pas le groupe socialiste. Certains pourraient en arriver à demander la généralisation du régime concordataire à l'ensemble du pays. Le véritable enjeu de cette loi c'est la sécurisation juridique des enseignants et des responsables d'établissements et non pas la laïcité en elle-même.

Mme Martine Billard a indiqué que son amendement tend à généraliser à l'ensemble du territoire l'application du principe de laïcité sans mettre en cause les habitants d'Alsace-Moselle. Si ce projet de loi porte en effet sur la laïcité il convient d'aborder l'ensemble des questions y afférent. La laïcité c'est aussi le droit de ne pas avoir de religion et de ne pas suivre d'enseignement religieux contrairement à l'obligation posée par le décret du 3 septembre 1974 relatif à l'aménagement du statut local en vigueur dans les établissements du premier degré des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Il convient simplement d'inverser ce principe pour le rendre compatible avec le principe de laïcité tel qu'il est appliqué sur le reste du territoire.

Le rapporteur pour avis a souligné que le débat ne peut être qualifié de tronqué car il est ouvert et porte sur tous les aspects de la laïcité à l'école.

Le droit local applicable en Alsace-Moselle concerne uniquement l'enseignement des religions et pas du tout la question du port des signes religieux. En conséquence le présent projet à vocation à s'appliquer de plein droit en Alsace-Moselle.

Conformément au souhait du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement.

Article 2

Application territoriale de la loi

Le présent article précise les conditions d'application de la loi dans les départements et collectivités d'outre-mer et dans les établissements français situés à l'étranger.

Il convient tout d'abord de rappeler que la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, tout en récrivant les articles 73 et 74 de la Constitution, a maintenu les deux catégories juridiques qui caractérisent les diverses collectivités d'outre-mer.

La première catégorie visée à l'article 73 de la Constitution, est régie par le principe de l'assimilation législative. Il s'agit des départements ou régions d'outre-mer, c'est-à-dire les anciens DOM : Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion. Les lois et les règlements y sont applicables de plein droit. Cependant ce principe fait l'objet d'assouplissements et les normes nationales peuvent être adaptées pour tenir compte des conditions et des contraintes locales particulières. Ces collectivités, à l'exception de la Réunion, peuvent être habilitées par la loi à décider elles-mêmes de ces adaptations dans leurs domaines de compétences.

La seconde catégorie juridique, dénommée « collectivités d'outre-mer », par l'article 74 de la Constitution, dispose d'une spécialité législative. Elle englobe les anciens TOM (la Polynésie française et Wallis-et-Futuma) mais aussi, les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Ces quatre collectivités exercent des compétences propres dans des matières qui relèvent du domaine de la loi et notamment en matière d'éducation. En conséquence, les textes qui ne sont pas propres à ces collectivités doivent pour leur être applicables, comporter une mention expresse dans ce sens ou leur être étendu par une loi ultérieure. Toutefois, s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, la loi s'appliquera de plein droit en vertu de la loi du 11 juin 1985 relative au statut de cette collectivité.

La Nouvelle-Calédonie reste en dehors de cette classification. Elle continue d'être régie par un statut particulier transitoire (articles 76 et 77 de la Constitution) qui lui confère une large autonomie et dans certains domaines une souveraineté partagée avec l'Etat.

La mission d'information parlementaire, sur la question des signes religieux à l'école15, présidée par la président Jean-Louis Debré, avait conclu qu'en raison des spécificités juridiques de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en matière d'enseignement, et de la compétence de certaines de ces collectivités en matière d'enseignement, il ne fallait pas leur étendre le dispositif législatif proposé.

Par souci de cohérence et parce que les règles de la laïcité constituent un pilier de la cohésion nationale, le présent projet de loi a vocation à s'appliquer sur tout le territoire national et notamment outre-mer, même si son application nécessitera la prise en compte de certains contextes particuliers. C'est pourquoi le présent article propose d'étendre l'interdiction des signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuma, et à Mayotte où il sera tenu compte des circonstances locales.

En Nouvelle-Calédonie, la loi sera directement applicable dans les établissements publics d'enseignement du second degré, puisqu'ils relèvent actuellement de la compétence de l'Etat.

En revanche l'interdiction ne sera pas applicable en Polynésie française car, en vertu de son statut, les établissements concernés relèvent de la compétence des autorités territoriales.

Compte tenu de ce qui a été indiqué précédemment, dans les départements et régions d'outre-mer, l'interdiction s'appliquera de plein droit comme sur tout le reste du territoire.

Cela conduit à aborder le statut particulier de l'Alsace-Moselle où la présente loi sera bien sûr applicable pour les raisons évoquées ci-dessus.

Sous l'Ancien Régime, l'Alsace bénéficiait déjà d'une législation spécifique en matière religieuse. Le culte catholique jouissait d'une relative indépendance par rapport au pouvoir central. Les religions luthérienne et israélite étaient également régies par des statuts particuliers qui leur garantissaient le libre exercice de leurs cultes. Après la période révolutionnaire, les cultes sont rétablis, en Alsace, comme ailleurs, par le régime concordataire. Jusqu'en 1871, l'Alsace va ainsi connaître le même statut cultuel que les autres provinces françaises. L'annexion, par l'Allemagne, des départements du Rhin et de la Moselle qui suit la défaite de 1870 ne modifie pas le régime cultuel hérité du Consulat. Néanmoins, le redécoupage des frontières et la mise en place d'un droit fédéral, entraînent la création de nouveaux organes cultuels, conformes à la structure fédérale de l'Etat allemand. La loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat n'a pas été rendue applicable, après 1919, aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, qui demeurent donc sous le régime des quatre cultes reconnus : l'Eglise catholique, la Confession d'Augsburg, le culte réformé d'Alsace et de Lorraine et le judaïsme.

Le régime applicable à l'enseignement public, en Alsace-Moselle, est abusivement dénommé « régime concordataire » en référence au Concordat de 1801. Le statut scolaire résulte en fait d'un droit local fortement marqué par la présence de la religion dans les écoles publiques comme dans les écoles privées. Ces dispositions particulières sont consacrées par l'article L.481-1 du code de l'éducation. Ce droit ne concerne pas l'organisation globale du système éducatif. Il prévoit, essentiellement, que l'enseignement religieux est obligatoirement organisé par les établissements publics pour les quatre cultes historiquement reconnus et que le suivi de ce cours est obligatoire pour l'élève, sauf dispense de celui-ci auprès du directeur de l'établissement par son représentant légal. L'élève dispensé est alors tenu de suivre un enseignement de morale. En revanche, aucune disposition du droit local d'Alsace-Moselle ne concerne la tenue que les élèves doivent porter dans les écoles, collèges ou lycées publics. Le fait qu'un enseignement religieux soit organisé dans les établissements scolaires n'a pas pour effet d'autoriser le port de signes religieux dans des conditions autres que celles qui ont été jusqu'à présent fixées par la jurisprudence du Conseil d'Etat et la circulaire Bayrou et qui seront désormais fixées par la loi, c'est-à-dire dans les mêmes conditions que sur le reste du territoire national.

L'application du présent projet de loi ne remet donc en cause aucune disposition du droit local en Alsace-Moselle.

Le I de l'article énumère les collectivités où le projet de loi sera applicable en vertu d'une mention particulière:

1. Dans les îles de Wallis-et-Futuma.

La collectivité de Wallis-et-Futuma compte 15 000 habitants qui sont très majoritairement catholiques. Son statut est proche de l'administration directe. Toutefois l'enseignement élémentaire est géré par l'église catholique dans le cadre d'une convention passée avec l'Etat. Les collèges et les lycées relèvent de l'enseignement public.

2. A Mayotte.

La situation à Mayotte présente des particularités. Cette île des Comores compte 160 000 habitants à forte majorité musulmane. En application de l'article 75 de la Constitution, les habitants sont autorisés à conserver leur statut personnel traditionnel, dérogatoire sur certains points, du droit commun. Ce statut dérogatoire devrait permettre une grande souplesse d'adaptation de la loi par rapport aux tenues mahoraises traditionnelles qui comportent un petit voile, le « kichali ».

3. Dans les établissements d'enseignement publics du second degré de Nouvelle-Calédonie.

On compte, en Nouvelle-Calédonie, environ 8 000 musulmans sur 240 000 habitants et l'enseignement privé catholique et protestant y est très développé.

L'article 21 de la loi organique du 19 mars 1999, relatif aux compétences respectives de l'Etat et de la Nouvelle-Calédonie, attribue à l'Etat les compétences dans le domaine de l'enseignement du second degré public et privé. Toutefois ces compétences devraient être transférées à la Nouvelle-Calédonie au cours de la période correspondant aux mandats du congrès commençant en 2004 et 2009. L'enseignement primaire relève de la compétence des provinces et du gouvernement territorial.

Le II de l'article, modifie et met en cohérence avec ce qui précède les dispositions concernées du code de l'éducation.

1. Il est ajouté à l'article L.161-1 du code de l'éducation, qui énumère les dispositions de ce code applicables dans les îles de Wallis-et-Futuma, l'article L.141-5-1 introduit par le projet de loi.

2. Il est ajouté à l'article L.162-1 du code de l'éducation, relatif aux dispositions applicables à Mayotte, l'article L.141-5-1 introduit par le projet de loi.

3. L'article L.163-1 du code de l'éducation qui vise les dispositions applicables en Polynésie française est modifié afin d'exclure l'application de l'article L.141-5-1 introduit par le projet de loi.

4. L'article L.164-1 du code de l'éducation qui vise les dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie est doublement modifié :

- l'application, dans son intégralité, du nouvel article L.141-5-1 est exclue ;

- un nouvel alinéa précise que l'interdiction prescrite par l'article L.141-5-1 est applicable dans les établissements publics d'enseignement du second degré.

Le III de l'article prévoit l'application de la loi dans les établissements français d'enseignement à l'étranger.

La loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 prévoit que les dispositions relatives à l'éducation nationale s'appliquent de plein droit aux établissements scolaires publics situés à l'étranger. Toutefois l'article L. 451-1 du code de l'éducation énumère un certain nombre de dispositions de ce code pour lesquelles un décret en Conseil d'Etat est nécessaire pour leur application dans les établissements situés à l'étranger afin de tenir compte des situations particulières et des accords conclus avec les Etats concernés.

Le présent projet de loi prévoit donc d'ajouter à cette liste l'article L. 141-5-1.

En conséquence des décrets en Conseil d'Etat devront intervenir pour fixer les conditions dans lesquelles les nouvelles dispositions relatives au respect de la laïcité s'appliqueront dans les différents établissements concernés.

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La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 2 sans modification.

Article 3

Entrée en vigueur de la loi

Les travaux de la mission parlementaire comme ceux de la commission désignée par le Président de la République ont démontré à la fois l'importance primordiale du dialogue pour faire appliquer les règles sur la laïcité et la méconnaissance de ces règles au sein de la communauté éducative, notamment chez les élèves.

Conformément aux demandes de tous les spécialistes il est impératif que le temps nécessaire à l'explication, au dialogue et à la pédagogie, soit accordé aux établissements d'enseignement pour préparer la mise en place du nouveau texte.

C'est pourquoi il prévu que l'entrée en vigueur de la loi soit différée jusqu'à la prochaine rentrée scolaire, après la mise à jour des règlements intérieurs des établissements.

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La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 3 sans modification.

Titre

La commission a ensuite examiné un amendement proposant une nouvelle rédaction du titre du projet de loi présenté par M. Yves Durand.

M. Yves Durand a estimé que l'objet de ce projet de loi doit se limiter à résoudre le problème du port de signes religieux dans les établissements scolaires et qu'il convient en conséquence de ne pas introduire un élément de confusion dans le débat en faisant référence à la laïcité dans l'intitulé.

Le rapporteur pour avis a observé que la référence à l'application du principe de laïcité présente une dimension plus générale et par conséquent plus forte que la simple référence au port des signes religieux. En outre, le texte proposé par l'amendement n'est pas satisfaisant puisqu'il fait référence aux établissements publics d'enseignement ce qui inclut les universités et les grandes écoles. Le présent projet n'a pas pour seule vocation de réglementer le port des signes religieux à l'école mais de clarifier les conditions d'application du principe de laïcité et concerne donc également les comportements qui y sont contraires. En conséquence, le titre du projet de loi est parfaitement conforme à son objet.

M. Yves Durand a proposé de rectifier son amendement pour circonscrire le champ d'application de la loi aux seuls établissements publics scolaires.

Suivant l'avis du rapporteur pour avis, la commission a rejeté l'amendement ainsi rectifié.

M. Yves Durand a confirmé que les députés du groupe socialiste réservent leur vote jusqu'à l'issue du débat en séance.

Mme  Martine Billard a indiqué qu'elle s'abstiendra sur le vote de ce texte.

La commission a ensuite donné un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du projet de loi sans modification.

En conséquence, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l'Assemblée nationale d'adopter le projet de loi n° 1378 sans modification.

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N° 1382 - Avis sur le projet de loi relatif au principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (M. Jean-Michel Dubernard)

1 Discours relatif au respect du principe de laïcité dans la République (mercredi 17 décembre 2003).

2 La laïcité à l'école : un principe républicain à réaffirmer (rapport n° 1275 du 4 décembre 2003).

3 Les conclusions de la mission d'information sur la question du port des signes religieux à l'école ont été adoptées à la très grande majorité de ses membres, celles de la commission Stasi l'ont été à l'unanimité moins une abstention.

4 L'extension de l'interdit aux tenues religieuses s'inscrit dans les conclusions de la mission d'information parlementaire et de la commission de réflexion mise en place par le Président de la République dans la mesure où celle-ci n'a d'autre but que de renforcer, par une forme de redondance, le sens du mot « signe » entendu dans son acception la plus large.

5 Avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 sur le port par les élèves des établissements publics d'enseignement de signes distinctifs religieux.

6 Article 5 de la Constitution.

7 Aucun texte du bloc de constitutionnalité ne mentionne expressément la liberté de l'enseignement. Pour fonder son appréciation, le Conseil constitutionnel s'est notamment reporté à une disposition de l'article 91 de la loi du 31 mars 1931 portant fixation du budget général de l'exercice 1931-1932 qui fait de la liberté d'enseignement un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

8 L'établissement a en effet la possibilité de solliciter un contrat portant sur certaines classes uniquement.

9 Décision n° 84-181 DC du 10 octobre 1984 relative à la loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Cette jurisprudence a été reprise par le Conseil notamment dans la décision du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure.

10 La seule décision concernant le port, par un usager du service public, d'un signe religieux concerne une étudiante turque sanctionnée pour avoir refusé de fournir aux autorités universitaires laïques turques une photographie d'identité conforme au règlement en vigueur, c'est-à-dire tête nue. La Cour européenne a confirmé la sanction prononcée par les tribunaux nationaux. Cependant, cette jurisprudence ne peut pas être transposée au cas français dans la mesure où la Cour a notamment fondée son appréciation de la réglementation turque sur la nécessité de protéger les minorités non musulmanes dans un pays à très forte majorité musulmane. (Cour européenne des droits de l'homme, Karadum c/ Turquie, 1993)

11 CEDH, Serif c/ Grèce, 1999.

12 CEDH, Kjeldsen, 1976.

13 CEDH, Refah c/ Turquie, 2001.

14 Circulaire du 1er juillet 1936 relative au port d'insignes.

15 La laïcité à l'école : un principe républicain à réaffirmer. Rapport n° 1275 du 4 décembre 2003.


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