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le 20 avril 2004

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N° 1545

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 avril 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 1478) DE M. THIERRY MARIANI, sur la proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (COM [2003] 687 final / E 2447).

PAR M. THIERRY MARIANI,

Député.

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Voir le numéro : 1478.

INTRODUCTION 5

I. -  LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L'UNION : UNE CONDITION SINE QUA NON DE LA CONSTRUCTION D'UN ESPACE EUROPÉEN DE SÉCURITÉ 7

A.  AVANT L'ÉLARGISSEMENT ET APRÈS MADRID : LA GESTION INTÉGRÉE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L'UNION, UNE QUESTION RÉCURRENTE DEVENUE UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE 7

B.  DES OUTILS INADAPTÉS AUX ENJEUX 8

II. -  L'AGENCE POUR LA GESTION DE LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE AUX FRONTIÈRES : VERS L'INSTAURATION D'UNE SOLIDARITÉ ENTRE LES ÉTATS MEMBRES POUR LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES DE L'UNION 9

A.  UNE STRUCTURE LÉGÈRE AUX COMPÉTENCES NOMBREUSES 10

1.  Une structure légère 10

2.  Des compétences larges... 11

3.  ... Qui ne remettent cependant pas en cause la responsabilité des États membres en matière de contrôle des frontières extérieures 12

B.  APRÈS L'AGENCE : VERS UNE POLICE EUROPÉENNE DES FRONTIÈRES ? 14

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 17

MESDAMES, MESSIEURS,

Si, dès l'émergence de l'espace Schengen, la question du contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne est devenue un sujet de préoccupation permanent au sein de l'Union, c'est avec la perspective de l'élargissement qu'est apparue la nécessité de donner corps à ce problème. En effet, alors que l'élargissement à dix nouveaux membres réconcilie enfin l'histoire et la géographie européennes, il représente également un défi considérable, notamment au regard de la capacité de l'Europe à assurer un véritable contrôle de ses frontières extérieures. Il en va, en effet, de sujets aussi divers que la lutte contre la criminalité internationale, le terrorisme, la corruption, la fraude, la traite des êtres humains et les trafics, comme l'avait souligné la Commission européenne dans sa communication « Vers une gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l'Union européenne », du 7 mai 2002. Les événements dramatiques qui ont frappé Madrid le 11 mars 2004 ont, hélas, montré la pertinence de cette définition large de la sécurité des frontières extérieures.

Dans l'optique de l'élargissement, les chefs d'État et de gouvernement ont donc, lors du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, demandé à la Commission d'examiner, sur la base des actions déjà entreprises au niveau communautaire, s'il était nécessaire de « créer de nouveaux mécanismes institutionnels y compris éventuellement une structure opérationnelle communautaire », afin de renforcer la coopération opérationnelle en matière de gestion des frontières extérieures. En réponse, la Commission européenne a proposé, le 11 novembre 2003, la création d'une Agence européenne chargée de soutenir et d'assister les États membres dans la mise en œuvre de la législation communautaire en matière de gestion des frontières extérieures (1). Elle aurait notamment pour mission de coordonner les opérations conjointes de contrôle aux frontières extérieures et l'organisation de retours groupés des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Dans ses grandes lignes, la proposition de la Commission européenne a fait l'objet d'un accord politique du Conseil le 27 novembre 2003. Quant au dispositif lui-même, il a été approuvé lors du conseil « Justice et affaires intérieures » qui s'est tenu le 30 mars dernier. Cependant, le projet d'acte n'a fait l'objet que d'un « accord politique informel », en raison des réserves d'examen parlementaire française et néerlandaise. En effet, si la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale a examiné le projet de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne le 3 mars dernier, le processus parlementaire restait en suspens en l'absence de prise de position de la commission des Lois sur la proposition de résolution n° 1478 de la délégation pour l'Union européenne. Le présent rapport vient donc clore le processus parlementaire français, alors que l'accord politique sur le projet de règlement devrait être formellement constaté lors du prochain conseil « Justice et affaires intérieures », les 29 et 30 avril prochains, une fois levées les réserves parlementaires.

La procédure consistant à afficher un accord politique tout en relevant les réserves parlementaires de certains pays (France et Pays-Bas) est assez inédite et, en tout état de cause, peu respectueuse des prérogatives des Parlements, en assimilant leur intervention à un mécanisme exclusivement formel. Sans doute le contexte dramatique de l'après-11 mars qui entoure la finalisation de ce projet justifie-t-il une action rapide ; dans une Europe dont les lourdeurs sont connues, il est difficile de reprocher aux instances communautaires de mettre à profit les trop rares moments où la volonté politique commune prime sur les susceptibilités nationales et où la volonté d'agir gomme les différences ponctuelles de points de vue. Néanmoins, il serait hautement souhaitable que ce genre de procédure restât exceptionnel.

I. -  LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L'UNION : UNE CONDITION SINE QUA NON DE LA CONSTRUCTION D'UN ESPACE EUROPÉEN DE SÉCURITÉ

Dans sa résolution sur les effets de l'élargissement de l'Union européenne sur la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures de 1998, le Parlement européen proposait « la création d'une académie européenne de la sécurité intérieure dans la région des frontières actuelles entre l'Union européenne et les pays candidats ». Ces appels ont eu lieu alors qu'aux yeux de la Commission, la protection des frontières extérieures ne pouvait être que du seul ressort des États membres.

Aujourd'hui, la nécessité d'une gestion intégrée des frontières extérieures fait l'objet d'un consensus et, depuis 2002, les avancées se sont multipliées en la matière.

A.  AVANT L'ÉLARGISSEMENT ET APRÈS MADRID : LA GESTION INTÉGRÉE DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L'UNION, UNE QUESTION RÉCURRENTE DEVENUE UNE NÉCESSITÉ ABSOLUE

La problématique des frontières extérieures n'est pas née avec la perspective de l'élargissement. Dès les accords de Schengen en effet, la question est posée. Toutefois, lors de la mise en place de l'espace Schengen, même s'il était admis que les disparités de la qualité du contrôle des frontières extérieures induisaient des risques pour la sécurité de l'ensemble des États membres, le choix fut fait de laisser à chaque État membre la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures. Aucune gestion opérationnelle intégrée au niveau communautaire n'a donc été prévue, même si des coopérations bilatérales ont pu se développer.

La perspective de l'élargissement a mis à mal cette conception traditionnelle de la gestion des frontières. Il est désormais acquis en effet que l'impératif de sécurité des frontières européennes est voué à l'échec s'il ne se double pas d'un impératif de solidarité : élargir, cela signifie en effet transférer le contrôle des frontières aux nouveaux États membres, dont nul n'ignore les défis multiples qu'ils ont à affronter à ce titre.

Quelques chiffres donnent la mesure du problème : l'Union européenne comptera 6 000 kilomètres de frontières terrestres et 85.000 kilomètres de frontières maritimes à la suite de l'élargissement à dix nouveaux États membres, auxquelles il faut ajouter les frontières aéroportuaires. Le contrôle de la frontière orientale, allongée d'environ 3.000 kilomètres, sera transféré à de nouveaux États membres (Hongrie, Pologne, Slovaquie, États baltes) tandis que, du point de vue de la sécurité des frontières maritimes, Chypre et Malte représentent également un enjeu important. Parmi les nouveaux États membres, seule la République tchèque n'aura pas la charge d'une frontière extérieure terrestre ou maritime. Ajoutons que le produit intérieur brut par habitant est de 7 926 dollars en Russie (2), 5 344 en Biélorussie et 4 174 en Ukraine, à comparer aux 24 000 dollars de moyenne de l'Union européenne, leur nouvelle voisine. D'autres données, telles que le modèle social européen, la stabilité économique de la zone et le respect des droits de la personne représentent autant de facteurs qui expliquent la force d'attraction de l'Union.

Si l'élargissement a permis à l'Union européenne de prendre conscience de la nécessité de disposer d'une gestion intégrée des frontières extérieures, les événements dramatiques qui viennent de frapper Madrid ne font que conforter cette démarche. Le 11 mars 2004, l'Europe a, à son tour, fait la cruelle expérience de ce que certains ont appelé l'hyperterrorisme. Ces attentats sont en effet venus rappeler brutalement que l'Europe restait vulnérable au terrorisme international. Non que les citoyens des États membres de l'Europe découvrent le terrorisme : Espagnols, Britanniques, Français, Italiens hier, vivent avec cette menace depuis des années, voire des décennies. A Madrid toutefois, c'est un attentat qui, par le nombre de ses victimes, par sa logistique (cellules dormantes autonomes, simultanéité des explosions) et par ses motivations, est d'un type nouveau, qui concerne tous les pays d'Europe. Ne nous y trompons pas en effet : la capitale espagnole a été touchée mais c'est sur l'Europe entière que l'extrémisme islamique rattaché à Al Qaida fait peser une menace. La déclaration du Conseil sur la lutte contre le terrorisme du 25 mars 2004 ne dit pas autre chose : « La menace terroriste nous concerne tous. Un acte terroriste contre un pays touche la communauté internationale dans son ensemble. Aucun pays au monde ne peut se considérer comme étant à l'abri. ».

B.  DES OUTILS INADAPTÉS AUX ENJEUX

C'est au printemps 2002 que la politique européenne de contrôle des frontières extérieures prend un tournant concret. A la suite de la communication de la Commission européenne « Vers une gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l'Union européenne » du 7 mai 2002, le Conseil « Justice et affaires intérieures » du 13 juin 2002 a adopté le plan pour la gestion intégrée des frontières extérieures des États membres de l'Union européenne. Les gouvernements ont largement entériné les propositions de la Commission, notamment celles consistant à améliorer la coordination entre les gouvernements et les services chargés du contrôle des frontières. Il s'agissait de créer une instance commune de praticiens des frontières extérieures, composée des chefs des services de contrôle aux frontières des États membres et chargée de coordonner les mesures figurant dans le plan. Cependant, les États membres ont repoussé à plus tard la mise en place d'un corps européen de garde-frontières.

Dans le courant du second semestre 2002, l'instance commune a approuvé un certain nombre de programmes, de projets-pilotes et d'opérations conjointes, dont l'initiative revient à chaque fois à un ou plusieurs États membres en application des conclusions de Séville.

Sans prétendre à l'exhaustivité, citons, parmi les programmes mis en œuvre l'élaboration d'un modèle d'analyse commune des risques, à l'initiative de la Finlande, la création d'un tronc commun pour la formation des gardes frontières, avec, pour chefs de file, l'Autriche et la Suède, ou encore, à l'initiative de l'Allemagne la création du centre pour les frontières terrestres, conçu pour organiser des échanges de personnel et mettre en œuvre des opérations conjointes en des points déterminés des frontières extérieures terrestres, dans le but d'harmoniser et d'améliorer les pratiques des services nationaux compétents.

Quant aux projets-pilotes, ils concernent aussi bien la normalisation des mesures de sécurité applicables au rapatriement des étrangers par voie maritime, aérienne ou terrestre et la coordination de l'organisation de vols groupés européens (chef de file : France) que la coordination des enquêtes transfrontalières relatives aux infractions touchant à l'immigration clandestine (chef de file : France, avec le soutien d'Europol). L'Italie, pour sa part, est à l'initiative d'un projet-pilote dans les aéroports internationaux en vue de créer une banque de données en temps réel et de procéder à des échanges d'informations et de personnel. Enfin, le Royaume-Uni est à l'origine d'un projet de détachement d'experts des États membres auprès de la Turquie et de la Serbie, aux fins de dispenser des formations ou recueillir des renseignements sur les filières dans la perspective d'un réseau d'officiers de liaison Immigration.

Par ailleurs, plusieurs opérations conjointes ont été organisées concernant le contrôle des frontières terrestres, aériennes (Rio III, opération visa) et maritimes (Ulysse, Triton, Rio IV, orca). A titre d'exemple, l'opération Triton, coordonnée par la Grèce et conduite en mars 2003, s'est traduite par l'arraisonnement de 200 navires et l'interpellation de 226 immigrés clandestins et de six passeurs.

Certes pertinentes dans leurs objectifs, ces actions ont débouché sur des résultats inégaux, essentiellement imputables à un manque patent de coordination et de suivi, ainsi que, dans certains cas, à l'insuffisante motivation des participants. Tel est le constat principal qui ressort de l'évaluation de la mise en œuvre du plan de gestion intégrée réalisée par la présidence grecque en juin 2003. En bref, en l'absence d'une structure communautaire, les projets ne fonctionnent que si leurs promoteurs s'impliquent véritablement et en fonction du nombre d'États prêts à s'y associer. Sans compter les doublons qui sont apparus, conduisant, au total, à une faible lisibilité des initiatives. Enfin, le rapport de la présidence grecque a constaté l'absence d'un mécanisme de surveillance et « d'une méthode d'évaluation indépendante et approfondie, ainsi que d'une méthode pour traiter et utiliser les résultats [de ces projets] ».

II. -  L'AGENCE POUR LA GESTION DE LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE AUX FRONTIÈRES : VERS L'INSTAURATION D'UNE SOLIDARITÉ ENTRE LES ÉTATS MEMBRES POUR LE CONTRÔLE DES FRONTIÈRES DE L'UNION

Le foisonnement d'initiatives prises dans le cadre de l'instance commune a souligné, a contrario, la nécessité d'un modèle centralisé et institutionnalisé. Que l'élargissement se traduise par un affaiblissement du contrôle de ses frontières par l'Union européenne n'est, en effet, pas envisageable : conformément au principe de solidarité, que le projet de Constitution européenne prévoit d'ailleurs de consacrer, la responsabilité de cette gestion incombe à tous les États membres.

Tel est l'objectif de la création de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, agence communautaire qui respecte cependant la compétence des États membres en matière de contrôle aux frontières.

Si les négociations au sein du Conseil ont permis de faire évoluer le projet de règlement dans le sens d'un renforcement de l'agence, certains points restent toujours en suspens, même alors qu'un accord politique informel est intervenu.

A.  UNE STRUCTURE LÉGÈRE AUX COMPÉTENCES NOMBREUSES

1.  Une structure légère

La structure retenue dans la proposition de la commission est celle d'une agence communautaire, indépendante et dotée de la personnalité juridique. Elle aurait la possibilité d'établir dans les États membres des bureaux spécialisés avec l'accord des États membres concernés.

Par ailleurs, suivant la proposition de la Commission, les États membres ont choisi de créer une structure légère, dont les effectifs devraient comprendre une trentaine de personnes (des experts nationaux détachés ou des agents recrutés directement par l'Agence), auxquelles s'appliqueront le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ou le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes. Son budget devrait s'élever à 6 millions d'euros en 2005 et 10 millions en 2006.

Le conseil d'administration de l'Agence comprendrait douze membres, nommés par le Conseil, et deux représentants de la Commission, nommés par celle-ci. Leur mandat serait de quatre ans, renouvelable une fois. Son président et son vice-président seraient élus parmi ses membres. Le conseil d'administration statuerait à la majorité simple, sauf pour l'adoption du programme de travail de l'Agence (majorité des trois quarts de ses membres) et l'élection de son directeur exécutif (majorité des deux tiers). Il adopterait chaque année le rapport général de l'Agence, transmis au Parlement européen, au Conseil, à la Commission, au Conseil économique et social et à la Cour des comptes. Le conseil se réunirait deux fois par an en session ordinaire et, le cas échéant, à l'initiative de son président ou d'un tiers de ses membres.

Le conseil d'administration nommerait un directeur exécutif, pour cinq ans, sur proposition de la Commission. Il serait totalement indépendant dans l'exercice de ses fonctions, « ne sollicitant ni n'acceptant aucune instruction d'aucun gouvernement ni d'aucun autre organisme », mais pourrait être révoqué par le conseil d'administration (à la majorité des deux tiers). Le Parlement européen et le Conseil pourraient l'inviter à rendre compte de l'exécution de ses tâches. Il devrait notamment préparer chaque année le projet de programme de travail et un rapport d'activité et les présenter au conseil d'administration ; préparer et exécuter les décisions, les programmes et les activités approuvés par le conseil d'administration ; établir un état prévisionnel des recettes et des dépenses et exécuter le budget de l'Agence.

2.  Des compétences larges...

Les tâches principales de l'Agence consisteront à :

-  coordonner la coopération opérationnelle entre États membres en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures (terrestres, maritimes et aériennes) ;

-  prêter assistance aux États membres pour la formation de leurs gardes-frontières nationaux, en fournissant une formation au niveau européen pour les formateurs nationaux de gardes-frontières, en organisant des séminaires et en offrant une formation complémentaire aux agents des administrations compétentes ;

-  effectuer des évaluations des risques générales ou spécifiques ;

-  suivre l'évolution de la recherche en matière de contrôle et de surveillance des frontières extérieures ;

-  assister les États membres confrontés à une situation exigeant une assistance opérationnelle et technique renforcée à leurs frontières extérieures ;

--  coordonner la coopération opérationnelle entre États membres en matière d'éloignement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans les États membres.

Ces missions sont, pour l'essentiel, similaires à celles de l'instance commune, à l'exception de ses compétences en matière d'éloignement et de formation.

Au titre de la coordination de la coopération opérationnelle, l'Agence examinerait, approuverait et coordonnerait les propositions d'opérations conjointes et de projets pilotes faits par les États membres. Elle pourrait elle-même prendre l'initiative d'opérations conjointes ou de projets pilotes. Les résultats de ces opérations et projets seraient évalués par l'Agence, qui pourrait également décider de les cofinancer. Ces activités seraient exercées par l'intermédiaire des bureaux spécialisés de l'Agence dans les États membres. Les centres actuels, dotés d'une organisation plutôt informelle, seraient ainsi transformés en structures communautaires.

En matière d'appui aux États membres confrontés à une situation exigeant une assistance opérationnelle et technique renforcée, l'Agence pourrait dépêcher ses experts et mettre à disposition des équipements techniques de contrôle et de surveillance.

En ce qui concerne la coopération en matière de retour, l'Agence pourrait coordonner ou organiser des opérations de retour conjointes, et faire l'inventaire des meilleures pratiques en matière d'obtention de titres de voyage et d'éloignement.

L'Agence ne jouera, en revanche, aucun rôle dans l'élaboration des politiques, ne fera pas de propositions législatives et n'exercera pas de compétences d'exécution. L'exposé des motifs de la proposition précise que ses agents n'auront aucun pouvoir répressif dans les États membres, et n'effectueront donc pas de contrôles aux frontières extérieures.

Sur proposition du Conseil, les compétences de l'Agence en matière de formation des gardes-frontières ont été renforcées :

-  l'Agence pourra ainsi établir des normes communes de formation et organiser des activités de formation en coopération avec les États membres, sur le territoire de ces derniers.

-  par ailleurs, les possibilités de coopération entre l'Agence, d'une part, et Europol, les organisations internationales et les pays tiers, d'autre part, ont été accrues. La proposition initiale limitait cette coopération à l'échange d'informations stratégiques non personnelles. Cette limitation a été supprimée, ce qui permettrait à l'Agence de conclure des accords de travail autorisant l'échange de données à caractère personnel.

La délégation française s'est interrogée sur la possibilité même de reconnaître à l'Agence la capacité à conclure des accords avec des organisations internationales et des pays tiers, une agence communautaire ne pouvant, selon elle, être dotée de la personnalité juridique internationale. Il existe cependant des précédents en ce sens : l'Agence européenne sur la sécurité aérienne, par exemple, peut conclure des « arrangements de travail » avec des organisations internationales et des pays tiers. Le gouvernement français est, a priori, réservé sur la possibilité que ces accords puissent inclure l'échange de données à caractère personnel.

Le texte actuel n'est pas satisfaisant sur ce point et, à l'instar de ce que propose la délégation pour l'Union européenne, il conviendrait soit de rétablir l'exclusion des données à caractère personnel (cette option ayant la préférence du rapporteur), soit d'introduire des dispositions relatives à la protection des données personnelles (droit d'accès et de rectification, durée de conservation des données, etc.). A cet égard, la commission des Lois souscrit pleinement au point 3 de la proposition de résolution adoptée par la délégation le 3 mars dernier, même si elle remarque que le projet de règlement ayant fait l'objet d'un accord politique « informel » le 30 mars dernier n'a pas pris en compte cette préoccupation.

3.  ... Qui ne remettent cependant pas en cause la responsabilité des États membres en matière de contrôle des frontières extérieures

L'Agence ne remet pas en cause la compétence propre des États membres en matière de contrôle aux frontières, seule la coordination de la coopération opérationnelle entre États membres devenant communautaire. Ainsi, l'article 1er de la proposition a été modifié, afin de préciser que « la responsabilité du contrôle et de la surveillance des frontières extérieures incombe aux États membres ». Cette réaffirmation du rôle des États membres s'est traduite par un accroissement de leur représentation au sein du conseil d'administration, où chaque État membre disposera d'un représentant (au lieu de douze représentants pour l'ensemble des États membres). Pour compenser cette augmentation de l'effectif du conseil (qui risque de porter atteinte à la réactivité de l'Agence), un bureau exécutif a été créé. Il aura pour mission d'assister le conseil d'administration et le directeur exécutif, et supervisera la gestion quotidienne de l'Agence par le directeur. Il serait composé de cinq membres élus par le conseil d'administration parmi les représentants des États membres et de deux représentants de la Commission (ce dernier chiffre devrait vraisemblablement être réduit à un, et celui des représentants des États membres porté à six) et statuerait à l'unanimité. L'accroissement de l'effectif du conseil rend cependant l'assouplissement des règles de vote du conseil d'administration (notamment pour l'adoption du programme de travail) d'autant plus nécessaire.

Les compétences de l'Agence en matière d'éloignement ont également été réduites. L'Agence ne coordonnera, ni n'organisera d'opérations de retour conjointes ; elle se contentera de fournir l'assistance nécessaire à l'organisation de ces opérations. L'analyse des risques a également remplacé leur évaluation. Il a aussi été précisé que c'est le conseil d'administration de l'Agence qui décidera de l'ouverture de bureaux spécialisés dans les États membres, sous réserve de l'accord de ces derniers.

Certains États membres (le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Allemagne notamment) souhaiteraient également préciser que les compétences de l'Agence en matière de coordination de la coopération opérationnelle ne sont pas exclusives, afin de laisser les États membres libres de mener une coopération entre eux ou avec des pays tiers. La France a, sur cette question, une approche équilibrée, visant à permettre aux États membres de continuer à mener de telles opérations, mais sans porter atteinte au bon fonctionnement de l'Agence. Cette possibilité devrait donc être maintenue mais encadrée par une série de conditions (informer l'Agence de ces opérations, en limiter le champ géographique, etc.) qui permettront à cette coopération de compléter l'action de l'Agence, sans la concurrencer.

Par ailleurs, la compétence des États membres n'étant pas remise en cause, c'est à eux qu'il revient de décider s'ils souhaitent accorder des compétences d'exécution au personnel de l'Agence et aux experts des États membres détachés auprès d'elle. Cette disposition a évolué au cours de la négociation : ainsi, la version du projet examinée par la délégation pour l'Union européenne, qui datait du 12 février dernier, mentionnait les compétences « répressives » pouvant être reconnues aux personnel et experts de l'Agence. Sur ce fondement, votre rapporteur avait fait valoir que cette disposition rendait problématique l'application à l'Agence du protocole sur les privilèges et immunités des communautés européennes : un tel régime, inspiré des privilèges et immunités diplomatiques, paraît en effet difficilement acceptable si certains États autorisent le personnel à exercer des compétences répressives - problème existant également pour les agents d'Europol. La proposition de résolution de la délégation fait référence, en son point 2, à cette question : si la disposition est approuvée, c'est sous réserve que la France n'en fera pas usage et le protocole relatif aux privilèges et aux immunités des Communautés européennes ne leur sera pas applicable. Les compétences « d'exécution » mentionnées dans le texte adopté le 30 mars incluant ces compétences répressives, votre rapporteur propose le maintien en l'état du point 2 de la proposition de résolution adoptée par la délégation le 3 mars dernier.

Enfin, dans la mesure où, sur le fond, la compétence des États membres n'est pas remise en cause, la question du contrôle de l'Agence doit être posée. Dans son rapport du 3 mars dernier, votre rapporteur avait soulevé le problème du contrôle parlementaire de l'Agence et proposé la mise en place d'une commission mixte, composée de parlementaires européens et nationaux, sur le modèle de ce qui est préconisé pour Europol et pour Eurojust. Force est de constater que cette proposition, relayée dans le point 4 de la proposition de résolution, n'a pas été reprise dans le projet de règlement. En vue du prochain conseil « Justice et affaires intérieures » qui devrait entériner l'accord politique informel du 30 mars, la commission des Lois réitère donc cette demande : les missions de l'Agence touchant à des prérogatives de puissance publique et à l'exercice des libertés fondamentales, ce contrôle parlementaire devrait faire intervenir les Parlements nationaux, dont le rôle essentiel en matière de justice et d'affaires intérieures a été reconnu par la Convention.

B.  APRÈS L'AGENCE : VERS UNE POLICE EUROPÉENNE DES FRONTIÈRES ?

L'accord politique « informel » sur la proposition de la commission n'a pas réglé toutes les questions en suspens, sauf celle du régime linguistique de l'Agence. Dans le rapport qu'il avait présenté à la délégation pour l'Union européenne le 3 mars dernier, votre rapporteur s'était ainsi fait l'écho de la proposition de la Commission visant à laisser au conseil d'administration de l'Agence toute latitude pour en définir le régime linguistique. Fort heureusement, la France a obtenu au cours des négociations qu'il soit fait référence au régime linguistique de la Communauté économique européenne (onze langues officielles, bientôt vingt, peut-être 21 si Chypre est réunifiée avant le 1er mai). Il faut maintenant espérer, pour le bon fonctionnement de l'Agence, que le conseil d'administration de l'Agence saura définir un régime simplifié, reposant sur un nombre limité de langues de travail, s'inspirant des règles générales applicables dans les institutions européennes (donc incluant le français) (point 5 de la résolution).

Par ailleurs, d'ici à l'adoption formelle du texte, la question de l'application de ce texte à Gibraltar devrait être réglée, l'Espagne devant vraisemblablement aboutir, au cours de ce mois d'avril, à un accord avec le Royaume-Uni en vue de rendre ce règlement applicable à Gibraltar.

Quant à la question du siège de l'Agence, elle reste en suspens, même si la France a obtenu que cette décision soit prise à l'unanimité. Rappelons que cinq États adhérents se sont portés candidats pour l'accueillir : l'Estonie, la Hongrie, la Pologne, Malte et la Slovénie. Un consensus semble se dessiner en faveur d'une localisation dans un des nouveaux États membres, ce qui n'a rien d'illogique, dans la mesure où ils assureront, à terme, le contrôle d'une part importante des nouvelles frontières extérieures de l'Europe réunifiée, et où aucun de ces États n'a été retenu lors de la répartition des sièges des agences lors du Conseil européen de Bruxelles. Rappelons que, par la voix du président de la République, M. Jacques Chirac, la France a apporté son soutien à la candidature de Budapest, lors de la visite officielle du chef de l'État en Hongrie, les 23 et 24 février 2004.

Au-delà de ces questions ponctuelles, la véritable interrogation concernant l'Agence réside dans la manière dont les États membres entendent s'en servir. De fait, il n'est pas absurde de se demander dans quelle mesure la mise en place de l'Agence ne constitue pas les prémisses d'une police européenne des frontières. Cette question fait l'objet d'âpres débats entre les États membres, dont certains ne veulent voir dans l'Agence que l'aboutissement d'un processus et en aucun cas le premier pas vers un projet plus ambitieux.

Le fait est qu'en l'état, l'Agence, pour importante qu'elle soit dans la mise en place d'une gestion intégrée des frontières extérieures, ne représente encore qu'une avancée limitée. Les missions confiées à l'Agence ne font en effet, pour l'essentiel, que reprendre celles dévolues à l'instance commune de praticiens des frontières extérieures, et son rôle opérationnel sera limité. Le chemin est donc encore long d'ici à la création d'un corps européen de gardes-frontières, que la France et l'Allemagne ont appelé de leurs vœux. De nombreux États, actuels (Royaume-Uni, pays scandinaves) ou nouveaux (Pologne) restent en effet réticents à cet égard. Une police européenne des frontières, composée de contingents nationaux qui pourraient venir en appui des polices locales et les soutenir en cas de besoin, devrait pourtant constituer une perspective de moyen ou long terme. Le recours aux coopérations renforcées dans ce domaine pourrait la faire utilement progresser, comme le suggère la délégation pour l'Union européenne du Sénat dans une proposition de résolution récente. De même, des événements aussi dramatiques que les attentats de Madrid suggèrent que, face à des menaces qui pèsent sur l'Europe entière, les solutions ne sauraient être dispersées.

*

* *

Après avoir indiqué que son groupe soutenait la proposition de résolution, M. Jacques Floch a jugé que le contrôle des frontières orientales de l'Europe élargie posait un véritable problème, de même que celui des frontières maritimes, dont il a suggéré d'insérer la mention dans la proposition de résolution. Il a ajouté que l'intégration future de la Roumanie et la Bulgarie à l'Union posait le même problème. Il s'est réjoui de ce que l'entrée probable de la Turquie dans l'Union permette à celle-ci, de disposer, au sud, d'un véritable contrôle de ses frontières. Il a enfin estimé que la France aurait tout intérêt à s'impliquer fortement dans le fonctionnement de l'agence, la protection des frontières de l'Union étant l'un des sujets majeurs de son avenir.

Approuvant la suggestion de M. Jacques Floch visant à mentionner, dans le texte de la résolution, les frontières terrestres, aériennes et maritimes, M. Thierry Mariani a fait écho à ses propos sur les failles du contrôle des frontières orientales de l'Union élargie et évoqué le statut de contractuels des garde-frontières polonais. Il a estimé inéluctable, au vu de cette situation, la constitution d'une police européenne de garde-frontières, notant d'ailleurs la communautarisation croissante de la politique d'immigration.

La Commission a adopté l'amendement de M. Jacques Floch puis la proposition de résolution ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter la proposition de résolution dans le texte figurant ci-après.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION SUR LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT
DU CONSEIL PORTANT CRÉATION D'UNE AGENCE EUROPÉENNE
POUR LA GESTION OPÉRATIONNELLE AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES
DES ÉTATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE

Article unique

L'Assemblée nationale,

-  Vu l'article 88-4 de la Constitution,

-  Vu la proposition de règlement du Conseil portant création d'une Agence européenne pour la gestion opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne [COM (2003) 687 final / E 2447],

1. Se félicite de la proposition de créer l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle aux frontières extérieures, qui permettra, à la veille de l'élargissement, de renforcer l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures, terrestres, aériennes et maritimes ;

2. Approuve les dispositions permettant aux États membres qui le souhaitent d'accorder des compétences répressives au personnel de l'Agence et aux experts des États membres détachés auprès d'elle, dans la mesure où la France n'en fera pas usage et sous réserve que le protocole relatif aux privilèges et aux immunités des Communautés européennes ne leur soit pas applicable ;

3. Estime que la coopération de l'Agence avec des organisations internationales ou des pays tiers ne devrait pas inclure l'échange de données à caractère personnel ou, à défaut, que des dispositions relatives à la protection des données personnelles devraient être prévues ;

4. Souhaite qu'une commission mixte, composée de parlementaires européens et nationaux, soit mise en place, pour assurer un contrôle parlementaire adéquat de l'Agence ;

5. Recommande la définition d'un régime linguistique simplifié, reposant sur un nombre limité de langues de travail et s'inspirant des règles générales applicables aux institutions européennes ;

6. Suggère que la mise en place d'une police européenne des frontières, éventuellement dans le cadre d'une coopération renforcée, soit examinée.

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N° 1507 - Rapport sur la proposition de résolution sur la proposition de règlement du Conseil créant une agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières des Etats membres de l'Union européenne (M. Thierry Mariani)

1 () COM (2003) 687 final, 11 novembre 2003.

2 () Source : onu, Eurostat, chiffres 2002.


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