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le 11 juin 2004

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N° 1621

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mai 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne (ensemble une annexe comportant six déclarations),

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à la procédure simplifiée d'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne,

- LE PROJET DE LOI n° 1508 autorisant l'approbation de la convention établie par le Conseil conformément à l'article 34 du traité sur l'Union européenne relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne,

- LE PROJET DE LOI n° 1509 autorisant l'approbation du protocole à la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne, établi par le Conseil conformément à l'article 34 du traité sur l'Union européenne,

PAR M. CHRISTIAN PHILIP,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 84, 85 rectifié (2001-2002), 5 et T.A. 4, 5 (2002-2003)

Assemblée nationale : 263, 264

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA COOPÉRATION JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE AU SEIN
     DE L'UNION EUROPÉENNE : UNE NÉCESSITÉ IMPÉRATIVE
     DIFFICILE À METTRE EN PLACE
7

A - LE CARACTÈRE IMPÉRATIF DE LA COOPÉRATION JUDICIAIRE EUROPÉENNE 7

B - UNE MISE EN œUVRE LENTE 7

II - L'EXTRADITION ENTRE LES MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE 9

A - L'ARTICULATION DES CONVENTIONS DU 10 MARS 1995 ET DU
      27 SEPTEMBRE 1996 AVEC LE MANDAT D'ARRÊT EUROPÉEN
9

B - LES PRINCIPALES STIPULATIONS DES CONVENTIONS 10

1) La Convention du 10 mars 1995 relative à la procédure simplifiée
    d'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne
10

2) La Convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre
    les Etats membres de l'Union européenne
11

III - L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ENTRE
      LES MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE
13

A - LA CONVENTION DU 29 MAI 2000 RELATIVE À L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN
      MATIÈRE PÉNALE ENTRE LES ETATS MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE
13

B - LE PROTOCOLE DU 16 OCTOBRE 2001 À LA CONVENTION RELATIVE À
      L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ENTRE LES ETATS
      MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE.
14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

ANNEXE : état des ratifications des conventions et du protocole 21

Mesdames, Messieurs,

Notre Assemblée est saisie de quatre projets de loi autorisant l'approbation de conventions dont l'objet est de développer la coopération judiciaire au sein de l'Union européenne :

- deux de ces projets de loi ont été adoptés par le Sénat : ils concernent des conventions signées en 1995 et 1996 pour assouplir les conditions de l'extradition,

- les deux autres textes, signés en 2000 et 2001, visent à faciliter les procédures d'entraide judiciaire en matière pénale entre Etats membres de l'Union européenne.

Ces quatre conventions ont en commun de participer à la mise en place d'un même espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l'Union européenne. Par ailleurs, les mesures nécessaires à la transposition en droit français du contenu de ces conventions ont été prises pour chacune de ces conventions à l'occasion du vote de la loi du 9 mars 2004 relative à l'adaptation de la justice aux nouvelles formes de criminalité (dite « loi Perben II »).

Enfin, compte tenu des délais de ratification, il est intéressant de constater que ces conventions, signées il y a déjà quelques années, sont finalement moins ambitieuses que des textes adoptés plus récemment, mais avec une procédure, celle de la décision-cadre, beaucoup plus rapide. C'est par exemple le cas du mandat d'arrêt européen, qui va beaucoup plus loin que les conventions d'extradition visées par ces projets de loi.

I - LA COOPÉRATION JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE
AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE :
UNE NÉCESSITÉ IMPÉRATIVE DIFFICILE À METTRE EN PLACE

A - Le caractère impératif de la coopération judiciaire européenne

La criminalité a parfaitement réussi à s'adapter à la mondialisation, voire à prospérer grâce à elle. Utilisant les réseaux financiers, de télécommunications et de transports qui couvrent la planète, les criminels se jouent des frontières et agissent dans une gamme très diverse d'activités, illégales et légales, ce qui rend la lutte contre la criminalité extrêmement complexe.

Qu'il s'agisse du terrorisme, du trafic de drogue, des réseaux de prostitution ou de « passeurs » d'immigrés clandestins, du blanchiment d'argent sale etc., les activités criminelles connaissant le plus grand développement et ne peuvent pas être combattues à l'intérieur des seules frontières nationales.

Cette problématique du développement de la criminalité transnationale prend une dimension encore plus importante au sein d'un espace aussi intégré que l'Union européenne. En effet, la libre circulation totale des hommes, des marchandises et des capitaux entre les pays de l'Union européenne - qui va jusqu'à la suppression des frontières « physiques » dans l'espace Schengen - rend les contrôles beaucoup plus difficiles.

Face à cette situation, l'intégration judiciaire européenne est encore balbutiante et l'existence de l'espace unifié que constitue l'Union européenne ne s'est pas accompagnée d'une disparition des frontières judiciaires entre les Etats. Le représentant français auprès d'Eurojust, M. Olivier de Baynast, a ainsi pu dire récemment que les seules personnes à qui des frontières sont encore opposées au sein de l'Union européenne sont les juges.

B - Une mise en œuvre lente

Avant la mise en œuvre du Traité de Maastricht en 1993, il n'existait pas de cadre organisant la coopération judiciaire en matière pénale entre les membres de la Communauté européenne. Certes, cette coopération n'était pas inexistante mais elle s'établissait sur la base des procédures classiques de coopération judiciaire internationale. Ainsi, s'il existait déjà une convention européenne d'extradition, signée en 1957, une convention européenne sur l'entraide judiciaire en matière pénale, signée en 1959, ou encore une convention européenne sur le terrorisme de 1977, ces textes ont été adoptés en dehors du cadre communautaire puisqu'il s'agit de conventions du Conseil de l'Europe, dont la ratification est facultative.

La mise en œuvre du traité de Maastricht a donc fait entrer la coopération judiciaire dans le champ de l'Union européenne, sans en faire pour autant une matière communautaire. Il en résultait donc que le seul instrument permettant d'harmoniser les législations restait celui de la convention internationale classique, qui devait ensuite être ratifiée par tous les Etats membres. Or ce processus est souvent très lent puisque les deux conventions d'extradition que nous examinons aujourd'hui ont été signées en 1995 et 1996 !

La coopération judiciaire s'est accélérée avec le Traité d'Amsterdam de 1997, qui a notamment modifié les règles applicables pour l'adoption des textes de coopération en matière pénale, la Commission européenne disposant désormais d'un droit d'initiative dans cette matière. Les modalités d'entrée en vigueur des conventions ont été assouplies, la ratification par la moitié des Etats membres suffisant à leur entrée en application. Par ailleurs, le Traité d'Amsterdam autorise désormais le Conseil à prendre des décisions-cadres, qui lient « les Etats membres quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

Même si elle ne possède pas d'effet direct, la procédure de la décision-cadre constitue une avancée notable par rapport à celle, classique, de la convention internationale. Les différents textes que nous examinons aujourd'hui en sont la preuve :

- la volonté d'assouplir les conditions de l'extradition au sein de l'Union européenne a conduit les Etats membres à conclure les conventions de 1995 et 1996, qui n'ont donc toujours pas été ratifiées près de dix ans plus tard. Ainsi, quand les Etats membres ont voulu aller beaucoup plus loin en créant le mandat d'arrêt européen, ils l'ont fait au moyen d'une décision-cadre, du 13 juin 2002, entrée en vigueur dès le 1er janvier 2004 ;

- la convention d'entraide judiciaire pénale a été conclue le 29 mai 2000. A l'époque, la France, qui en était l'initiatrice, avait souhaité qu'elle entre en vigueur dès le 1er janvier 2002. Deux ans et demi plus tard, notre pays ne l'a toujours pas ratifiée. Cette lenteur dans les processus de ratification a donc conduit les Etats membres à adopter par anticipation certaines stipulations de cette convention au moyen d'une décision-cadre, c'est par exemple le cas des équipes communes d'enquête.

Ainsi, la coexistence d'instruments classiques du droit international comme la convention internationale et d'outils issus du droit communautaire reflète bien la nature mixte de la coopération judiciaire européenne.

II - L'EXTRADITION ENTRE LES MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE

A - L'articulation des conventions du 10 mars 1995 et du 27 septembre 1996 avec le mandat d'arrêt européen

Les conventions que nous examinons aujourd'hui avaient pour objectif, quand elles ont été conclues au milieu des années 1990, de simplifier et d'accélérer les procédures d'extradition entre Etats membres de l'Union européenne. Or, depuis cette date est intervenue la décision de mettre en œuvre une procédure entièrement nouvelle en matière d'extradition : le mandat d'arrêt européen.

Le Conseil de l'Union européenne du 13 juin 2002 a en effet adopté une décision-cadre mettant en place un mandat d'arrêt européen, qui modifie fondamentalement la philosophie de la remise des personnes soupçonnées d'une infraction à l'intérieur de l'Union européenne. Le mandat d'arrêt européen substitue au système actuel de l'extradition une procédure exclusivement judiciaire, sans intervention du pouvoir politique. Il ne s'agit donc plus d'une coopération accordée par un Etat à un autre Etat, mais de l'exécution directe d'une décision judiciaire prise dans un Etat dans l'ensemble de l'Union européenne en application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice.

Le mandat d'arrêt européen pourra être émis pour des faits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an ou lorsque la personne recherchée a été condamnée à une peine d'emprisonnement au moins égale à quatre mois. Pour trente-deux catégories d'infractions limitativement énumérées, le mandat d'arrêt européen devra donner lieu à une remise de la personne recherchée sans contrôle du principe, essentiel en matière d'extradition, de la double incrimination. Rappelons que ce principe suppose que les faits fondant la poursuite ou la condamnation soient constitutifs d'une infraction dans les deux Etats membres en cause. En conséquence, le champ d'application du mandat d'arrêt européen est large et ne laissera donc que peu de place aux conventions de 1995 et 1996 lorsqu'elles seront ratifiées.

En effet, le mandat d'arrêt européen est entré en vigueur le 1er janvier 2004, il est applicable en France depuis la promulgation de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite Loi Perben II, qui assure la transposition en droit français de la décision-cadre du 13 juin 2002). Dans quels cas les conventions de 1995 et de 1996 s'appliqueront-elles, une fois ratifiées ? 

Tout d'abord, la France a choisi d'appliquer le mandat d'arrêt européen, uniquement pour des demandes fondées sur des faits antérieurs au 1er janvier 1993. En conséquence, les procédures d'extradition demandées sur des faits antérieurs à 1993 seront régies par les stipulations de ces conventions. Les cas concernés ne sont pas théoriques, puisqu'il s'agira par exemple des demandes d'extradition formulées par l'Italie à l'encontre de personnes soupçonnées d'avoir participé à des attentats pendant les « années de plomb » ;

Deux pays, l'Autriche et l'Italie, n'appliqueront le mandat d'arrêt européen que pour des faits intervenant après le 7 août 2002. Les conventions de 1995 et 1996 trouveront donc à s'appliquer pour les demandes d'extradition faites par la France à ces Etats ;

Tous les pays de l'Union européenne n'ayant pas transposé la décision-cadre du 13 juin 20021, les conventions de 1995 et de 1996 régiront ainsi temporairement les relations d'extradition entre la France et ces pays, à condition qu'ils aient eux-mêmes ratifié ces conventions.

B - Les principales stipulations des conventions

Même si les cas d'application des deux nouvelles conventions d'extradition restent peu nombreux, leur entrée en vigueur entraînera une évolution substantielle du droit de l'extradition pour les affaires concernées, sans aller cependant aussi loin que le mandat d'arrêt européen.

1) La Convention du 10 mars 1995 relative à la procédure simplifiée d'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne

La convention du 10 mars 1995 crée une procédure simplifiée d'extradition lorsque la personne demandée ne s'oppose pas à l'extradition. En effet, bien que dans environ 30 % des cas la personne demandée ne s'oppose pas à son extradition, la procédure classique dure au minimum six mois, en raison des délais inhérents à la présentation d'une demande d'extradition et des formalités qui en découlent (phase judiciaire et phase administrative).

La procédure d'examen simplifiée, uniquement judiciaire, est beaucoup plus rapide. Après que le consentement de la personne demandée a été obtenu dans un délai de dix jours, l'autorité judicaire décide son extradition : cette décision est communiquée à l'Etat requérant dans un délai de vingt jours, ce dernier dispose également de vingt jours pour se faire remettre la personne.

Par ailleurs, le fait d'accepter cette procédure simplifiée peut entraîner la renonciation au principe de spécialité, qui est pourtant l'un des principes traditionnels de l'extradition : ce principe empêche de poursuivre un individu pour des faits autres que ceux qui ont motivé l'extradition. A ce sujet, la Convention précise dans son article 9 que chaque Etat décide si cette renonciation au bénéfice de la règle de spécialité est automatique en cas d'application de la procédure simplifiée, ou non. La France a indiqué (comme l'Allemagne, le Danemark, la Grèce, la Suède et la Finlande) qu'une personne consentant à son extradition pourra refuser de perdre le bénéfice de la règle de la spécialité.

Enfin, il faut préciser que les modifications nécessaires à la mise en œuvre de la procédure d'examen simplifiée ont été introduites dans le code de procédure pénale (article 696-25 à 696-33) à l'occasion de l'adoption de la loi du 9 mars 2004 (dite « Perben II »). Ainsi, le consentement éventuel de la personne réclamée sera demandé lors d'une comparution devant le Procureur général, puis devant la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel. Si la personne recherchée confirme son consentement à l'extradition, la Chambre de l'instruction rend un arrêt donnant acte du consentement de la personne réclamée à l'extradition, ainsi que, le cas échéant, de sa renonciation à la règle de la spécialité. C'est cet arrêt qui autorise l'extradition, contrairement à la procédure de droit commun où l'extradition est autorisée par un décret.

Précisons enfin que la procédure prévoit de nombreuses garanties, et notamment des règles strictes en ce qui concerne les modalités de consentement à l'extradition. Comme l'article 7 lui en donne le droit, la France considérera qu'une personne qui a pourtant donné son consentement tout au long de la procédure pourra revenir sur cette décision en se pourvoyant en cassation contre l'arrêt de la chambre de l'instruction.

2) La Convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne

La convention du 27 septembre 1996 devait rendre les extraditions entre Etats membres de l'Union européenne plus faciles. En effet, lorsque cette convention a été conclue, les membres de l'Union européenne appliquaient principalement entre eux des conventions du Conseil de l'Europe (convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977). La nouvelle convention visait ainsi à compléter ces règles pour les pays de l'Union européenne, afin de tenir compte de la mise en place progressive d'une espace européen de sécurité et de justice. Depuis, le mandat d'arrêt européen est allé beaucoup plus loin en supprimant la procédure d'extradition entre Etats membres de l'Union européenne. Néanmoins, la ratification de la Convention du 27 septembre 1996 permettra de faciliter l'acceptation des quelques demandes d'extradition qui continueront à être formulées.

Par rapport aux règles classiques de l'extradition, la Convention de 1996 rend plus difficile le refus par un Etat d'une extradition, en apportant les modifications principales suivantes :

- sur le plan procédural, la voie diplomatique traditionnelle pour la transmission des demandes d'extradition est remplacée par des relations directes entre « autorités centrales » (en France, le ministère de la justice),

- les infractions fiscales peuvent dorénavant donner lieu à extradition (article 6), de même que les infractions punies d'au moins six mois (contre un an auparavant),

- il n'est plus possible d'arguer du caractère politique d'une infraction pour refuser une extradition (article 5). Cependant, la France a déposé une déclaration indiquant que cette « clause de dépolitisation » ne s'appliquera que pour les infractions à caractère terroriste. En effet, le Conseil d'Etat estime que l'interdiction d'accorder une extradition demandée dans un but politique ou pour une infraction à caractère politique est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Ainsi, par un avis du 26 septembre 2002, il a indiqué que la transposition en droit français de la décision-cadre créant le mandat d'arrêt européen nécessitait au préalable une révision de la Constitution (intervenue grâce à la loi constitutionnelle du 25 mars 2003). En effet, la décision-cadre ne prévoyait pas de possibilité de formuler une déclaration interprétative telle que celle faite par la France à propos de l'article 5 de la Convention du 27 septembre 1996,

- les Etats membres doivent autoriser l'extradition de leurs nationaux (article 7). Cette innovation constitue un bouleversement en France où l'interdiction d'autoriser l'extradition des citoyens français n'a jamais connu d'exception jusqu'à l'entrée en vigueur du mandat d'arrêt européen. Pour autant, le Conseil d'Etat estime que cette règle inscrite dans la loi de 1927 sur l'extradition ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République (avis du 24 novembre 1994 et du 4 juillet 1996). On peut en effet estimer que cette règle n'a pas de justification au sein d'un espace intégré comme l'Union européenne où prévaut le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, d'autant que reste reconnu le droit pour une personne condamnée de purger sa peine dans son pays d'origine,

- le principe de double incrimination ne s'applique pas pour les faits de conspiration ou d'association de malfaiteurs en matière terroriste. En effet, dans certains pays de l'Union européenne, l'infraction d'association de malfaiteurs n'existe pas, c'est le cas par exemple en Suède ou aux Pays-Bas, ce qui complique considérablement la coopération judiciaire en matière terroriste, de l'avis des magistrats spécialisés dans ces questions.

La mise en œuvre des stipulations de la Convention de 1996 rendait nécessaire des modifications substantielles de la loi du 10 mars 1927 sur l'extradition. La loi « Perben II » a permis de le faire, tout en codifiant l'ensemble du droit de l'extradition (article 696 à 696-48 du Code de procédure pénale).

III - L'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE
ENTRE LES MEMBRES DE L'UNION EUROPÉENNE

A - La Convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne

La nouvelle Convention sur l'entraide judiciaire pénale signée le 29 mai 2000 entre les Etats membres de l'Union européenne a été adoptée à l'initiative de la France lorsqu'elle exerçait la présidence de l'Union européenne. L'objectif poursuivi consiste à parvenir à une entraide judiciaire aussi rapide, efficace et complète que possible entre les Etats de l'Union pour lutter de façon optimale contre l'ensemble de la criminalité affectant les Etats membres, chacun de ceux-ci exprimant sa confiance dans la structure et le fonctionnement des systèmes juridiques des autres Etats de l'Union. En effet, la mise en œuvre de cette convention permettra une coopération beaucoup plus étroite entre les systèmes judiciaires des Etats membres que celle qui est permise par les textes applicables actuellement2.

Parmi les nombreuses innovations apportées à l'entraide judiciaire traditionnelle, plusieurs points essentiels sont à souligner :

- le texte consacre une « judiciarisation » de l'entraide dans l'espace européen en posant le principe de la transmission directe des demandes d'entraide entre les autorités judiciaires de l'Union. Pour les besoins de la coopération judiciaire, les juges européens pourront ainsi communiquer entre eux sans entrave et mener leurs investigations par delà les frontières sans passer par le filtre de la voie diplomatique ou d'une administration centrale. Cette transmission directe des demandes d'entraide était réclamée par de nombreux magistrats européens, notamment ceux spécialisés en matière économique et financière, depuis « l'appel de Genève » d'octobre 1996,

- la convention intègre les évolutions technologiques pour faciliter la coopération judiciaire : ainsi, les magistrats pourront procéder à une audition dans l'un quelconque des Etats de l'Union par le moyen de la vidéoconférence, procédé qui évitera des déplacements et sera un gain de temps. Le juge pourra aussi faire procéder directement et en temps réel à l'interception d'une télécommunication sur le territoire de l'Union sans utiliser le procédé classique de la commission rogatoire internationale. Il y gagnera en temps et en efficacité, même si ces interceptions sont fortement encadrées,

- la Convention innove également en instituant des moyens d'investigation plus opérationnels : c'est en particulier le cas des « livraisons surveillées » et des « enquêtes discrètes ». Ces procédures sont très novatrices car elles permettent à des agents d'un Etat de poursuivre dans un autre Etat une opération d'infiltration, en y utilisant leurs propres règles de procédure. En outre, les autorités judiciaires d'un pays peuvent recourir à des agents étrangers pour une opération d'infiltration dans le cadre d'une procédure strictement nationale,

- l'une des grandes avancées de la Convention du 29 mai 2000 était la création des « équipes communes d'enquête ». Cependant, compte tenu des retards dans la ratification de la Convention, le Conseil a décidé de créer ces équipes de façon anticipée par la décision-cadre du 13 juin 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, mais transposé en droit français seulement depuis le 9 mars 2004. L'article 13 de la convention du 29 mai 2000 permet donc aux autorités compétentes d'au moins deux Etats membres de créer une équipe commune d'enquête, avec un objectif précis et pour une durée limitée, afin d'effectuer des enquêtes pénales dans un ou plusieurs Etats membres. La rédaction de la Convention permet aux agents d'Europol de participer à ces équipes ;3

- enfin, le texte atténue les rigueurs du principe de territorialité pour donner plus d'efficacité à l'entraide judiciaire : les juges appliqueront pour le traitement des demandes d'entraide judiciaire les formes et les modalités indiquées par l'Etat requérant, dès lors qu'il n'y a pas incompatibilité avec les principes fondamentaux de la procédure pénale de leur Etat. Ce principe nouveau, qui repose sur une confiance mutuelle forte des Etats de l'Union, constitue une avancée majeure pour la coopération. Celle-ci n'a en effet d'intérêt que si les preuves recueillies dans le cadre de l'entraide judiciaire sont utilisables dans l'État requérant, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque le juge applique sa propre procédure pour exécuter les actes d'entraide.

L'ensemble des modifications législatives nécessaires à l'application par la France des stipulations de la Convention du 29 mai 2000 a été prise à l'occasion du vote de la loi du 9 mars 2004.

B - Le protocole du 16 octobre 2001 à la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne.

Le protocole du 16 octobre 2001 constitue une avancée parfois sous-estimée dans la lutte contre le blanchiment de l'argent sale. En effet, il complète la convention du 29 mai 2000, en y introduisant des stipulations particulières dans le domaine de la lutte contre la délinquance financière.

Le protocole comporte des mesures permettant de développer l'entraide judiciaire dans le domaine bancaire ou fiscal, où elle est traditionnellement difficile à obtenir.

La disposition la plus spectaculaire de ce texte est qu'elle interdit d'invoquer le secret bancaire pour refuser une demande d'entraide. (article 7). L'article 8 rend, lui, inapplicable entre Etats membres le motif de refus de l'entraide judiciaire en cas d'infraction fiscale.

Par ailleurs, le protocole contient une autre stipulation, inhabituelle dans ce genre de texte, il impose aux Etats signataires (article 1er) de prendre les mesures nécessaires afin de disposer de l'équivalent d'un fichier national des comptes bancaires, ou du moins de disposer d'un outil permettant d'identifier tous les détenteurs de comptes bancaires.

Le protocole (article 2) prévoit aussi l'obligation de fournir tout renseignement affectant un compte bancaire, y compris les informations relatives aux transactions bancaires, c'est-à-dire par exemple sur les comptes émetteurs ou récepteurs d'un virement effectué sur un compte bancaire.

La surveillance des transactions peut aussi être demandée pour une période déterminée, sachant que les Etats doivent prendre les dispositions nécessaires pour que les banques ne préviennent pas leurs clients qu'elles fournissent des renseignements sur eux à la justice.

Enfin, le protocole met en place un mécanisme de surveillance de l'application du protocole, afin de contrôler le bien-fondé des éventuels refus d'entraide par un Etat, notamment en donnant un rôle à Eurojust. En cas de difficulté liée à une demande d'entraide, Eurojust pourra être saisi par l'Etat requérant et proposer une solution pratique.

Ainsi, le protocole du 16 octobre 2001 contient des mesures concrètes très intéressantes qui devraient permettre de réduire les cas de refus d'entraide judiciaire en matière financière.

*

*       *

Enfin, il est indispensable de préciser que les stipulations de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale et celles de son protocole s'appliqueront également à la Norvège et à l'Islande, qui ont conclu le 19 décembre 2003 un accord avec l'Union européenne en ce sens.

En effet, cet accord a été conclu sur la base de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, il a donc été directement conclu par l'Union européenne, et non pas « au nom de celle-ci », ce qui a pour conséquence que les Etats membres, signataires de la Convention du 29 mai 2000, ne sont pas directement Parties à l'Accord qui en étend le champ d'application à la Norvège et à l'Islande.

En conséquence, cet accord entrera en vigueur sans autorisation parlementaire préalable, puisque la France a renoncé à faire usage de réserve de l'article 24 §5 du Traité qui permet à un Etat membre de « se conformer à ses propres règles constitutionnelles », avant que l'accord ne lui soit applicable.

Lors du premier cas d'utilisation de cette procédure, à l'occasion de la négociation d'un accord sur l'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis, l'Assemblée nationale avait adopté une résolution, sur proposition de la délégation pour l'Union européenne et de la Commission des Affaires étrangères, critiquant l'utilisation de cette procédure et demandant au Gouvernement de demander l'avis du Conseil d'Etat. Or, ce dernier a estimé que l'article 24 §5 avait uniquement pour objet de permettre aux Etats membres d'assurer le respect des règles de fond d'ordre constitutionnel ; il en a déduit qu'elle ne pouvait être invoquée pour procéder à une ratification parlementaire. Pourtant douze Etats sur quinze ont fait une telle déclaration, en indiquant explicitement que cela s'expliquait par l'obligation de respecter leurs procédures constitutionnelles nationales en matière de ratification de traités.

Le Gouvernement ayant choisi de suivre l'avis du Conseil d'Etat, en dépit des résolutions adoptées par l'Assemblée nationale et par le Sénat, les conventions d'entraide judiciaire que nous examinons aujourd'hui pourront donc s'appliquer en Norvège et en Islande, sans nouvelle autorisation parlementaire.

CONCLUSION

Dépasser les frontières dans le domaine judiciaire est une nécessité impérative pour s'adapter au caractère de plus en plus transnational de la criminalité. Les conventions que nous examinons aujourd'hui sont donc un pas dans la bonne direction qu'il faut souligner.

Cependant, les délais mis pour leur ratification justifient pleinement que d'autres outils juridiques que la convention internationale classique soient aujourd'hui privilégiés pour accélérer la mise en place d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

Votre Rapporteur vous recommande donc d'adopter les quatre projets de loi qui sont soumis à notre examen.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 26 mai 2004.

Après l'exposé du Rapporteur, notant que le protocole à la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne n'accordait pas la possibilité d'invoquer le secret bancaire pour refuser une demande de coopération judiciaire, le Président Edouard Balladur a fait observer que par ailleurs, la presse avait récemment fait état d'un accord sur la fiscalité de l'épargne conclu entre ces mêmes Etats et la Suisse qui accorde au Luxembourg un traitement équivalent à celui de la Confédération helvétique. Il a demandé comment dans ces conditions ces différentes dispositions se conciliaient.

M. Christian Philip a répondu que l'interdiction pour les Etats membres d'invoquer le secret bancaire, inscrite dans le protocole du 16 octobre 2001, concernait uniquement la question spécifique des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale. Or, le problème de l'opposabilité du secret bancaire est très vaste et se pose dans de nombreux autres domaines.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 263, 264, 1508 et 1509).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Les textes des conventions et du protocole figurent respectivement en annexe aux projets de loi (nos 263, 264, 1508 et 1509).

Etat des ratifications

Pays

Convention d'extradition du 10/03/1995

Convention d'extradition du 27/09/1996

Convention d'entraide judiciaire du 29/05/2000

Protocole du 16/10/2001 à cette convention

Autriche

27/06/2000

12/04/2001

Belgique

16/07/2002

25/07/2001

Allemagne

11/12/1998

11/12/1998

Danemark

19/11/1996

17/09/1997

24/12/2002

Espagne

22/01/1999

09/12/1997

27/01/2003

France

Royaume-Uni

20/12/2001

20/12/2001

Grèce

20/06/2000

26/07/1999

Italie

Irlande

28/06/2002

28/06/2002

Luxembourg

08/08/2001

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28/05/2004

28/05/2004

28/05/2004

N° 1621 - Rapport de la commission des affaires étrangères sur quatre projets de loi autorisant la ratification de conventions, établies sur la base des article K.3 et 34 du traité sur l'Union européenne, relatives à l'extradition et à l'entraide judiciaire en matière pénale (rapporteur : M. Christian Philip)

1 A ce jour, l'Allemagne, la Grèce et l'Italie n'ont pas encore transposé la décision-cadre du 13 juin 2002, alors qu'elles devaient le faire avant le 1er janvier 2004.

Depuis le 1er mai 2004, le Mandat d'arrêt est aussi applicable aux dix nouveaux Etats membres : cinq d'entre eux - Chypre, la Hongrie, la Lituanie, la Pologne et la Slovénie - ont pris les dispositions législatives nécessaires.

2 Convention du Conseil de l'Europe d'entraide judiciaire du 20 avril 1959, son protocole d'application du 17 mars 1978, la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1990.

3 Cette possibilité sera concrétisée avec la mise en œuvre du protocole modifiant la convention Europol, dont la Commission des Affaires étrangères est saisie du projet de loi autorisant la ratification (n°1348).


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