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le 10 mai 2005

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N° 2289

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mai 2005

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 2011) DE M. JEAN-PIERRE KUCHEIDA, créant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées,

PAR M. JEAN-PIERRE KUCHEIDA,

Député.

--

INTRODUCTION 5

I.- LA NÉCESSITÉ D'UNE GARANTIE EFFECTIVE DE LA FOURNITURE D'ÉNERGIE 9

A.- UNE OBLIGATION JURIDIQUE 9

B.- UN PRINCIPE PROGRESSIVEMENT MIS EN œUVRE DANS NOTRE DROIT 9

C.- DES DIFFICULTÉS D'APPLICATION RELATIVISENT LA RÉALITÉ DU DROIT AU MAINTIEN DE LA FOURNITURE D'ÉNERGIE 10

D.- UNE RÉFORME UTILE MAIS QUI NE RÈGLE PAS VÉRITABLEMENT LE PROBLÈME 11

II.- L'INACCEPTABLE REMISE EN CAUSE DE LA SOLIDARITÉ NATIONALE 13

A.- L'ÉTAT DU DROIT AVANT LA LOI DE DÉCENTRALISATION DE 2004 13

B.- LE DÉFAUSSEMENT DE L'ÉTAT PAR LA LOI DE DÉCENTRALISATION DE 2004 14

C.- LES INÉGALITÉS ENTRE DÉPARTEMENTS IMPOSENT DE RÉTABLIR UN DISPOSITIF REPOSANT SUR LA SOLIDARITÉ NATIONALE 15

EXAMEN EN COMMISSION 17

MESDAMES, MESSIEURS,

Dans la nuit du 17 au 18 août dernier, une fillette de six ans et son père ont péri dans l'incendie de leur appartement de Saint-Denis, incendie qui semble avoir été déclenché par des bougies avec lesquelles cette famille était contrainte de s'éclairer, l'électricité leur ayant été coupée.

Au-delà de ce drame particulièrement choquant, qui n'est malheureusement pas le premier de cette nature, des dizaines de milliers de familles se voient, chaque année, privées du confort le plus élémentaire de la modernité que constituent l'électricité et le gaz naturel parce qu'elles ne sont plus en mesure de payer leurs factures.

En théorie, toutefois, aux termes de l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles, « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l'insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture (...) d'énergie(...) dans son logement » et « en cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie (...) est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide. »

Malheureusement, il y a loin de ces principes à la réalité comme l'illustrent l'expérience de terrain, chaque élu rencontrant des familles privées d'énergie, et les statistiques. EDF reconnaît, en effet, avoir interrompu, en 2004, la fourniture d'électricité de 189 000 foyers. Manifestement, le dispositif de prévention des coupures fonctionne donc mal et ce, en particulier parce que les foyers ayant des impayés ne saisissent pas les services sociaux.

La présente proposition de loi vous propose donc, en premier lieu, de poser clairement le principe de l'interdiction des coupures pour les foyers confrontés à des difficultés économiques ou sociales soudaines.

Il s'agit donc d'instituer une couverture énergétique universelle répondant à la même logique que la couverture maladie universelle mise en place par le Gouvernement de Lionel Jospin. Contrairement à la présentation caricaturale qui a pu être faite de ce dispositif, il ne s'agit nullement d'établir la gratuité de l'énergie. De même que la CMU n'avait pas pour vocation et n'a eu pour effet de se substituer aux régimes de protection sociale ouverts à ceux pouvant y avoir droit mais visait à assurer à tous un réel accès aux soins, la couverture énergétique universelle dont la création vous est proposée n'a pas pour objet d'ouvrir un droit universel à l'énergie gratuite mais tend simplement à garantir réellement aux personnes provisoirement en difficulté une fourniture d'énergie essentielle à des conditions décentes d'existence dans la société contemporaine.

Votre rapporteur développera ci-dessous les arguments le conduisant à juger indispensable la garantie de ce droit.

Il convient toutefois de rappeler qu'à l'occasion de l'examen en deuxième lecture du projet de loi d'orientation sur l'énergie, votre rapporteur a repris, sous la forme d'amendements, les principales dispositions de la présente proposition de loi. Lors de la discussion de l'un de ces amendements, le jeudi 24 mars 2005, M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, a admis que le dispositif actuel de prévention des coupures fonctionnait mal et a indiqué que le Gouvernement préparait un décret visant à garantir qu'« il n'y aura plus de coupures brutales » et faisant en sorte que « dorénavant, en cas d'impayé », EDF avertisse « immédiatement les services sociaux en amont » en prévoyant que « dès que le fonds de solidarité logement (FSL) aura été saisi, EDF ne pourra plus procéder à des coupures avant qu'il n'ait répondu ».

Le décret annoncé n'est pas encore paru mais un projet a été communiqué à votre rapporteur. Malgré les avancées réelles qu'il comporte, le nouveau dispositif prévu ne semble pas de nature à garantir pleinement que des drames analogues à celui d'août dernier ne se reproduisent pas pour les raisons développées ci-dessous.

En outre, votre rapporteur estime que le Parlement s'honorerait en traitant directement de cette question, compte tenu de son importance politique et sociale, plutôt qu'en laissant le Gouvernement prendre seul des décisions à ce sujet. On notera, de plus, que le Gouvernement ne peut évidemment intervenir que par décret, forme juridique moins solennelle que ne l'est la loi et bien plus facile à modifier. Il importe donc de préférer la voie législative pour assurer que la garantie effective du droit à l'énergie ne sera pas, ultérieurement, remise en cause.

Par ailleurs, la réforme annoncée par le Gouvernement ne concerne pas le second objet de la présente proposition de loi qui est de revenir, s'agissant de la gestion et du financement du dispositif de prévention des coupures, à l'état du droit antérieur à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.

Cette loi a, en effet, transféré aux départements la gestion et le financement des fonds de solidarité pour le logement (FSL) et étendu la compétence de ces fonds à l'attribution d'aides aux personnes se trouvant dans « l'impossibilité d'assumer leurs obligations relatives au paiement des fournitures d'eau, d'énergie et de services téléphoniques » (article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement).

Elle a donc, de fait, renoncé à la solidarité nationale en la matière, l'Etat se défaussant sur les départements de ces responsabilités. Or, chacun sait que des inégalités considérables existent entre les départements et qu'en l'espèce, ces inégalités sont d'autant plus lourdes de conséquences, que les départements ayant le moins de ressources sont ceux appelés à supporter les plus lourdes charges au titre de la prise en charge des impayés puisque ce sont ceux qui comptent le plus de résidents connaissant des difficultés économiques et sociales.

Votre rapporteur regrette vivement que le Gouvernement n'ait pas accepté, lors de la discussion des amendements précédemment évoqués, de discuter sérieusement de cette question, le ministre délégué à l'industrie se bornant à indiquer qu'« un pauvre est aussi pauvre dans les Hauts-de-Seine que dans le Pas-de-Calais ».

Ce n'est évidemment pas la question car si un pauvre peut être aussi pauvre dans les Hauts-de-Seine que dans le Pas-de-Calais, il n'en reste pas moins que le potentiel fiscal par habitant (c'est-à-dire la somme que produiraient les quatre taxes directes d'un département si les taux d'imposition étaient égaux aux taux moyens nationaux) des Hauts-de-Seine est le triple de celui du Pas-de-Calais et que les dépenses liées à la gestion du RMI par habitant sont, dans les Hauts-de-Seine, inférieures de 40 % au Pas-de-Calais.

La remise en cause du financement par la solidarité nationale de la prise en charge des impayés d'eau, d'électricité et de gaz n'est donc pas admissible.

En conclusion, votre rapporteur souhaite préciser que l'objet de la présente proposition de loi est d'instituer une couverture énergétique universelle et d'organiser son financement. Pour les raisons précédemment évoquées, il est proposé que ce financement soit assuré selon les modalités en vigueur avant le désengagement de l'Etat opéré par la loi du 13 août 2004. Le rétablissement de l'état du droit antérieur à cette loi conduit donc votre rapporteur à proposer un dispositif de financement incluant la prise en charge des impayés d'eau, réglé, avant 2004, par la même disposition législative que la prise en charge des impayés d'électricité et de gaz.

C'est pour cette raison technique que l'article 2 de la présente proposition de loi concerne également la prise en charge des impayés liés à la consommation d'eau. Ceux-ci ne sont toutefois pas directement dans l'objet de la présente proposition de loi, comme son titre l'indique d'ailleurs. Il est toutefois clair que le raisonnement développé dans le présent rapport s'agissant de l'énergie est tout à fait transposable à l'eau qui est tout autant nécessaire à la garantie de conditions décentes d'existence. Votre rapporteur appelle donc de ses vœux la discussion rapide d'une initiative législative permettant de garantir également la continuité de la fourniture d'eau.

I.- LA NÉCESSITÉ D'UNE GARANTIE EFFECTIVE
DE LA FOURNITURE D'ÉNERGIE

A.- UNE OBLIGATION JURIDIQUE

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui conserve une pleine valeur constitutionnelle, dispose que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. »

Votre rapporteur estime qu'on ne peut contester aujourd'hui, compte tenu du progrès des techniques et de l'évolution des modes de vie, qu'une personne privée d'énergie, et, en particulier, d'électricité, ne peut avoir des conditions d'existence convenables. Tous ceux qui ont fait l'expérience d'une coupure d'électricité, et notamment les foyers victimes des grandes coupures résultant des tempêtes de décembre 1999, en attesteront.

Etablir, au bénéfice de ceux que la situation économique prive de revenu, un droit au maintien de leur fourniture d'énergie constitue donc l'actualisation nécessaire des principes constitutionnels régissant notre droit.

B.- UN PRINCIPE PROGRESSIVEMENT MIS EN œUVRE DANS NOTRE DROIT

C'est la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle qui a posé le principe d'un droit au maintien de la fourniture d'eau et d'énergie.

En complément de ce droit, ouvert à « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité », cette loi a également établi en faveur des mêmes personnes « un dispositif national d'aide et de prévention pour faire face à leurs dépenses d'électricité et de gaz ».

Il convient, en effet, de distinguer deux questions distinctes, celle, la plus évidente et la plus immédiate, du maintien de la fourniture et celle, de fait aussi importante, du règlement des dettes constituées par les impayés susceptibles de conduire à la coupure. La loi du 29 juillet 1992, comme la présente proposition de loi, a naturellement traité des deux questions afin d'éviter que le maintien de la fourniture n'aboutisse, en l'absence d'aide, à l'accumulation d'une dette insupportable.

La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a consolidé, pour ce qui concernait son champ, c'est-à-dire la seule électricité, ce droit à l'énergie.

Son article premier a ainsi proclamé « le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité ». Son article 4 a, par ailleurs, institué une tarification spéciale « produit de première nécessité » tenant compte « pour les usagers dont les revenus du foyer sont, au regard de la composition familiale, inférieurs à un plafond, du caractère indispensable de l'électricité ». Souvent appelée « tarif social », cette tarification nouvelle répond évidemment à la même problématique de garantie du droit des personnes les plus modestes à l'électricité et permet, concrètement, d'alléger les factures des personnes concernées ce qui est évidemment de nature à prévenir les impayés.

C.- DES DIFFICULTÉS D'APPLICATION RELATIVISENT LA RÉALITÉ DU DROIT AU MAINTIEN DE LA FOURNITURE D'ÉNERGIE

Compte tenu de la codification partielle des dispositions, modifiées à diverses reprises, de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion, c'est, aujourd'hui, l'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles qui pose le principe du maintien de la fourniture d'énergie aux personnes en difficulté.

Le deuxième alinéa de cet article dispose, en effet, qu'en « cas de non-paiement des factures, la fourniture d'énergie, d'eau ainsi que d'un service téléphonique restreint est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide ».

Le maintien de la fourniture est donc garanti aux termes de cet article jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide mais à la condition qu'une telle demande ait été formulée.

En pratique, selon les informations communiquées par EDF à votre rapporteur, la procédure suivie est, en effet, la suivante :

- l'usager en situation d'impayé est invité par EDF à prendre contact avec les services sociaux s'il est en situation de précarité ;

- EDF sollicite de cet usager un rendez-vous pour mettre en place sur son compteur un interrupteur limitant la puissance maximale de sa consommation à 3 000 watts et, si cet interrupteur est mis en place et si l'intéressé a pris contact avec les services sociaux, garantit le maintien de la fourniture correspondante (prestation dite « service maintien d'énergie » ou SME) pendant le temps nécessaire au traitement par les services sociaux du dossier ;

- en l'absence de réaction de l'usager, EDF limite la puissance de la consommation à 1 000 watts et assure l'alimentation correspondante (prestation dite de « service minimum » ou SMI) pendant une période de cinq jours au cours de laquelle il appartient au client de prendre contact avec son agence ;

- au terme de ce délai et toujours sans réaction de l'usager, EDF interrompt la fourniture.

Il apparaît que, pour diverses raisons, des personnes qui pourraient légitimement bénéficier d'une aide n'en formulent pas la demande et voient conséquemment leur fourniture interrompue.

La prise de conscience de cette situation après le drame de l'été dernier à Saint-Denis, et la pression politique mise par les groupes de l'opposition, notamment par le dépôt par votre rapporteur d'amendements au cours de la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie, ont conduit le Gouvernement à annoncer une réforme du dispositif de prévention des coupures par décret.

D.- UNE RÉFORME UTILE MAIS QUI NE RÈGLE PAS VÉRITABLEMENT LE PROBLÈME

Le Gouvernement a communiqué à votre rapporteur le projet de décret envisagé qui est très avancé.

Ce décret prévoit la procédure suivante :

- en cas d'impayé, le fournisseur informe le consommateur que sa fourniture sera réduite dans quinze jours et l'informe également de la possibilité de saisir le fonds de solidarité pour le logement (FSL), susceptible de l'aider à prendre en charge sa facture ;

- simultanément, le fournisseur prévient également le consommateur que, sauf opposition de sa part dans un délai minimal de huit jours, il informera, d'une part, le président du conseil général et, d'autre part, le maire (c'est-à-dire, concrètement, les services sociaux) de sa situation d'impayé ;

- en l'absence de règlement de l'impayé, le fournisseur réduit la puissance fournie et en informe les services sociaux en leur transmettant des éléments d'appréciation de la situation de l'intéressé (nom, adresse, option tarifaire, montant de la dette du consommateur) ;

- l'alimentation à une puissance réduite est assurée pendant une période de 15 jours afin de permettre le dépôt d'un dossier auprès du Fonds de solidarité pour le logement ;

- en cas de dépôt d'un dossier auprès du Fonds de solidarité pour le logement, le Fonds en informe le fournisseur et, à compter de cette date, le consommateur bénéficie du maintien de la fourniture d'électricité jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande d'aide.

Comme on le constate, ce dispositif vise à permettre l'information des services sociaux même en l'absence d'initiative du consommateur ayant des impayés, celui-ci conservant toutefois la possibilité de s'opposer à l'information de ces services. Ce dispositif ouvre donc aux services sociaux la possibilité de contacter le consommateur en difficulté et introduit, en quelque sorte, une possibilité d' « autosaisine » de ces services.

L'avancée est donc réelle mais l'efficacité du nouveau dispositif reste toutefois dépendante de la diligence des services sociaux, dont l'intervention possible en amont de la coupure et sans initiative de l'usager, constitue la principale évolution proposée. On notera, en outre, que, fondamentalement, ce nouveau dispositif ne modifie rien dans l'hypothèse, qui n'a malheureusement rien d'un cas d'école, où l'usager en grande difficulté resterait sans réaction face aux diverses sollicitations dont il pourrait faire l'objet.

II.- L'INACCEPTABLE REMISE EN CAUSE
DE LA SOLIDARITÉ NATIONALE

A.- L'ÉTAT DU DROIT AVANT LA LOI DE DÉCENTRALISATION DE 2004

Jusqu'en 2004, le financement des dispositifs de prévention des coupures d'eau, d'électricité et de gaz reposait essentiellement sur la solidarité nationale tout en associant les acteurs locaux.

La loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle prévoyait, en effet, pour organiser le financement de la prise en charge des factures impayées d'électricité et de gaz :

- une convention nationale entre l'Etat, Electricité de France et Gaz de France et

- des conventions départementales passées entre le préfet et les représentants d'Electricité de France et de Gaz de France et, le cas échéant, des collectivités territoriales ou des centres communaux ou intercommunaux d'action sociale et des organismes de protection sociale.

La loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a établi un dispositif similaire pour le financement de la prise en charge des factures impayées d'eau, les distributeurs d'eau jouant dans le dispositif un rôle similaire à celui assuré par EDF et GDF s'agissant de l'électricité et du gaz.

En pratique, selon les chiffres communiqués à votre rapporteur par EDF, en 2003, le financement du « fonds de solidarité énergie » a été assuré :

- par EDF pour 27 %,

- par l'Etat pour 20 %,

- par les conseils généraux pour 19 %,

- par GDF pour 10 % et

- par d'autres organismes (tels que les caisses d'allocations familiales, d'autres collectivités notamment par le biais des centres communaux d'action sociale ou les associations caritatives) pour 24 %.

B.- LE DÉFAUSSEMENT DE L'ÉTAT PAR LA LOI DE DÉCENTRALISATION DE 2004

L'article 65 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales fusionne les fonds de solidarité eau et énergie au sein des fonds de solidarité logement (FSL) et, surtout, transfère la gestion et le financement de ce fonds aux départements.

La rédaction de l'article 6-3 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement issue de la loi du 13 août 2004 est, en effet, toutefois explicite :

« Art. 6-3. - Le financement du fonds de solidarité pour le logement est assuré par le département.

Une convention est passée entre le département, d'une part, et les représentants d'Electricité de France, de Gaz de France et de chaque distributeur d'énergie ou d'eau, d'autre part, afin de définir le montant et les modalités de leur concours financier au fonds de solidarité pour le logement.

Les autres collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale et les autres personnes mentionnées au premier alinéa de l'article 3 (c'est-à-dire l'Etat et les « autres personnes morales concernées, notamment les associations dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées et les associations de défense des personnes en situation d'exclusion par le logement, les caisses d'allocations familiales, les caisses de mutualité sociale agricole, les distributeurs d'eau et d'énergie, les opérateurs de services téléphoniques, les bailleurs publics ou privés et les collecteurs de la participation des employeurs à l'effort de construction ») peuvent également participer au financement du fonds de solidarité pour le logement. »

Comme on le voit :

- le principe est le financement par le département,

- le concours financier d'EDF, de GDF, des autres distributeurs d'énergie et des distributeurs d'eau est obligatoire mais réglé par convention,

- enfin, la participation de l'Etat n'est, elle, qu'une faculté, au même titre que l'est, par exemple, celle des bailleurs publics ou privés.

C.- LES INÉGALITÉS ENTRE DÉPARTEMENTS IMPOSENT DE RÉTABLIR UN DISPOSITIF REPOSANT SUR LA SOLIDARITÉ NATIONALE

Chacun sait que la richesse des collectivités locales est, quel que soit l'indicateur de référence, très inégale. De même, les charges nécessairement supportées, c'est-à-dire les dépenses obligatoires, sont également très variables.

S'agissant des départements, la question a été étudiée de manière approfondie par un groupe de travail commun à la commission des finances, à la commission des affaires économiques et à la délégation à l'aménagement et du développement durable du territoire du Sénat qui a publié, en octobre 2003, un rapport sur la péréquation interdépartementale.

Ce rapport rappelle, sur la base des chiffres de 2003, quelques faits bien connus s'agissant des ressources :

- la base de taxe professionnelle était de 3 830 euros par habitant dans les Hauts-de-Seine et de 581 euros par habitant (soit près de sept fois moins) dans la Creuse, la moyenne nationale s'établissant à 1 519 euros par habitant ;

- la base de taxe d'habitation était de 2 135 euros par habitant dans les Hauts-de-Seine et de 589 euros par habitant dans le Gers ou de 648 euros par habitant dans le Pas-de-Calais, la moyenne nationale s'établissant à 1 043 euros par habitant ;

- la base de taxe foncière sur les propriétés bâties était de 2 017 euros par habitant dans les Hauts-de-Seine et de 417 euros par habitant dans le Gers, la moyenne nationale s'établissant à 808 euros par habitant ;

- le potentiel fiscal, c'est-à-dire la somme que produiraient les quatre taxes directes d'un département si les taux d'imposition étaient égaux aux taux moyens nationaux, était de 652 euros par habitant dans les Hauts-de-Seine et de 148 euros par habitant dans la Creuse, la moyenne nationale s'établissant à 274 euros par habitant.

Ces inégalités fiscales traduisent évidemment les différences de niveaux de vie des populations. Selon l'INSEE, le produit intérieur brut par habitant atteignait, en 2000, 67 870 euros à Paris et 62 374 euros dans les Hauts-de-Seine contre 15 109 euros dans la Creuse, 16 121 euros dans le Pas-de-Calais et 18 979 euros dans l'Hérault. En conséquence, en 2001, 76 % des ménages des Hauts-de-Seine étaient imposés au titre de l'impôt sur le revenu contre 48,9 % des ménages du Pas-de-Calais.

Les mêmes inégalités sont apparentes s'agissant du taux de chômage. Selon l'INSEE, au quatrième trimestre 2004, celui-ci atteignait ainsi 14,6 % dans l'Hérault, département où le chômage est le plus élevé, 12,6 % dans le Pas-de-Calais mais seulement 6,2 % en Mayenne, 6,9 % en Haute-Savoie, 8,4 % dans le Bas-Rhin ou 9,3 % dans les Hauts-de-Seine.

Evidemment, les départements les plus pauvres sont également ceux qui supportent les charges les plus lourdes au titre de leurs actions d'aide sociale.

Ainsi, les dépenses relatives à la gestion du RMI, qui sont probablement un bon indicateur des dépenses susceptibles d'être supportées au titre de la prise en charge des impayés d'eau, d'électricité et de gaz sont, en moyenne nationale, de 9,58 euros par habitant mais la Mayenne supporte, à ce titre, une charge de 3,34 euros par habitant tandis que le Pas-de-Calais supporte une charge de 14,01 euros par habitant (4,2 fois plus) et les Bouches-du-Rhône, une charge de 22,7 euros par habitant soit près de 7 fois plus.

Comme on le voit, le département dont le potentiel fiscal par habitant est le plus élevé est près de cinq fois plus riche que ne l'est le département dont le potentiel fiscal est le plus faible tandis que les dépenses de gestion du RMI par habitant varient de un à sept.

La comparaison de la situation d'ensemble de quatre départements est ainsi éclairante :

Pas-de-Calais

Creuse

Hérault

Mayenne

Hauts-de-Seine

Revenu imposable moyen (euros/habitant)

5 694

5 915

6 380

6 232

11 708

Potentiel fiscal

(euros/habitant)

216

148

230

225

652

Part des bénéficiaires du RMI dans la population totale

2,3 %

1,3 %

3,2 %

0,6 %

1,4 %

Dépenses relatives à la gestion du RMI

(euros/habitant)

14,01

7,2

17,72

3,34

8,37

Source : Rapport d'information n° 40 (2003-2004) de MM. Jean François-Poncet et Claude Belot, fait au nom de la Délégation à l'aménagement du territoire du Sénat, déposé le 22 octobre 2003

La remise en cause du financement par la solidarité nationale des dépenses les plus liées à la précarité des personnes, et notamment de celles relatives à la prise en charge des impayés d'eau, d'électricité et de gaz, est donc tout à fait inadmissible.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mardi 3 mai 2005, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Pierre Kucheida, la proposition de loi de M. Jean-Pierre Kucheida et créant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées (n° 2011).

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur, s'est tout d'abord déclaré heureux et honoré d'être à nouveau membre de la Commission des affaires économiques comme il l'avait été lors de son premier mandat, à partir de 1981.

Puis, il a indiqué que la proposition de loi qu'il présentait avait vocation à rassembler tous les élus dans la mesure où elle concerne une question dépassant les clivages partisans. Il a d'ailleurs indiqué que de nombreux députés de la majorité lui avaient exprimé leur soutien à cette initiative.

Il a précisé que l'objet de la proposition de loi était d'instituer une couverture énergétique universelle et que la nécessité d'une telle mesure lui était apparue après le drame de Saint-Denis et au vu de l'accroissement du nombre de coupures qu'il avait constaté sur le terrain en raison du développement de la précarité.

Il a estimé que la croissance économique devait, dans une nation civilisée, se traduire par la création de nouveaux droits sociaux, comme cela avait été le cas dans notre histoire récente, de la création de la sécurité sociale à la mise en place de la couverture maladie universelle. Il a précisé que sa proposition s'inscrivait dans cette tendance de long terme en proposant la création d'une couverture énergétique universelle permettant de garantir un droit effectif à une fourniture continue d'énergie pour les personnes confrontées à des difficultés économiques ou sociales soudaines. Il a souligné que seules les personnes incapables de régler leurs factures en raison d'éléments indépendants de leur volonté étaient concernées. Il a toutefois insisté sur l'injustice consistant à sanctionner des enfants du fait du comportement de leurs parents.

M. Jean-Pierre Kucheida a ajouté que disposer d'une fourniture d'énergie constituait aujourd'hui incontestablement une nécessité vitale dans la mesure où l'on ne peut plus vivre décemment, dans le monde moderne, sans électricité ou sans gaz.

Puis, il a rappelé qu'il avait interpellé, à l'occasion de l'examen en deuxième lecture du projet de loi d'orientation sur l'énergie, le 24 mars dernier, M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, et que celui-ci avait reconnu l'existence de difficultés liées notamment au fait que les services sociaux ne pouvaient, en l'état du droit, être informés des coupures d'énergie. Il a précisé que le ministre avait annoncé l'intention du Gouvernement de publier un décret permettant l'information des services sociaux, décret dont l'examen par le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz est prévu la semaine prochaine.

M. Jean-Pierre Kucheida a indiqué que le projet de décret qui lui avait été communiqué constituait une avancée mais que la question lui paraissait devoir être traitée de manière plus ambitieuse et par la loi. Il a, en effet, jugé que la loi apportait davantage de garanties quant à la pérennité du dispositif.

Puis, il a indiqué que le deuxième objectif de la proposition de loi était de réformer le financement de la prise en charge des impayés pour revenir sur le transfert de la charge correspondante aux départements par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.

Il a ensuite rappelé l'extrême inégalité des départements tant sur le plan des ressources que sur celui des charges auxquelles ils ont à faire face compte tenu de la situation sociale de leurs habitants, inégalité qui justifie l'intervention de la solidarité nationale. Il a estimé qu'il s'agissait là d'une mesure de justice.

Enfin, il a indiqué que la proposition de loi qu'il présentait concernait la fourniture d'électricité et de gaz et non la fourniture d'eau mais que la garantie de celle-ci lui paraissait tout aussi essentielle de sorte que si la présente proposition de loi devait être adoptée, il conviendrait d'adopter un dispositif similaire concernant l'eau.

Intervenant au nom du groupe UMP, M. Jean-Claude Lenoir a estimé qu'aucun élu ne pouvait être indifférent à la question évoquée par la proposition de loi présentée par M. Jean-Pierre Kucheida.

Il a d'ailleurs rappelé que le problème de l'interruption de la fourniture d'énergie aux ménages en difficulté n'était pas nouveau et qu'au fil du temps, des dispositifs avaient été mis en place pour prévenir les coupures.

Il a indiqué que des efforts avaient d'abord été entrepris par les opérateurs historiques, en particulier EDF, permettant une très forte réduction du nombre de coupures d'électricité puisque celles-ci sont passées de 670 000 en 1993 à 189 000 en 2004.

Il a également rappelé que la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle avait créé un dispositif national d'aide à la prise en charge des dépenses d'électricité et de gaz, reposant sur les fonds de solidarité énergie, fonds intégrés, depuis la loi du°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, aux fonds de solidarité pour le logement (FSL) gérés par les conseils généraux dans le cadre d'un plan départemental d'action associant l'ensemble des partenaires intéressés.

Il a ensuite évoqué le tarif social prévu par la loi n° 2000-18 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ; il a néanmoins déploré que les décrets conditionnant sa mise en œuvre n'aient été pris qu'en 2004 par l'actuelle majorité.

Il a également estimé que la prévention demeurait insuffisante du fait de l'impossibilité de transmettre aux services sociaux les informations relatives aux coupures d'électricité, en application des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Il a néanmoins rappelé qu'à la suite d'un dramatique accident, M. Patrick Devedjian, ministre de l'industrie, avait mis en place un groupe de travail dont les conclusions ont inspiré deux décrets qui devraient être pris prochainement. Il a indiqué que le premier de ces décrets, qui doit effectivement être examiné la semaine prochaine par le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, améliore la prévention des coupures en permettant l'information des services sociaux. Il a également précisé qu'un second décret est en préparation pour mettre en œuvre l'extension du tarif social aux services liés à la fourniture ce qui permettra, par exemple, de réduire très fortement le coût du rétablissement d'une fourniture normale.

Il a estimé que ces décrets en complétant le dispositif existant répondaient aux préoccupations légitimes exprimées par la proposition de loi de sorte qu'il a appelé les commissaires à ne pas adopter celle-ci.

M. François Brottes, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a estimé que M. Jean Claude Lenoir n'avait pu avancer de raison convaincante pour justifier son appel à rejeter cette proposition de loi et a jugé qu'il n'aurait pas, compte tenu de sa connaissance parfaite de ces questions, recouru à une démonstration aussi alambiquée si la conclusion en était évidente.

M. François Brottes a ensuite estimé que l'élargissement de l'ouverture à la concurrence des marchés électrique et gazier et l'évolution du statut des opérateurs historiques créaient un contexte nouveau de nature à poser de nouvelles difficultés aux clients les plus fragiles. Il a notamment souligné la perspective d'intervention de nouveaux opérateurs, pouvant ne pas avoir de tradition de service public, et face auxquels il importe de pérenniser, en l'inscrivant dans la loi, un dispositif de prévention des coupures d'électricité plus efficace que ceux qui existent déjà.

Reconnaissant que les deux décrets annoncés allaient dans le bon sens pour améliorer l'existant, il a cependant déploré leur manque d'ambition en estimant qu'ils ne répondraient pas pleinement au problème soulevé par le rapporteur.

Considérant qu'aucun texte actuel ne donnait de garantie aussi forte que celle proposée par la proposition de loi, il a souhaité que la commission des affaires économiques adopte celle-ci.

Il a, en outre, indiqué que le fait que la majorité ait refusé de fixer, dans la loi, les missions de service public d'EDF constituait un autre élément justifiant l'adoption de la proposition de loi.

Puis, il a rappelé que le lien social était souvent coupé avec les familles les plus en difficulté et que les services sociaux eux-mêmes pouvaient ne pas parvenir à prendre contact avec elles. Il a donc conclu qu'il était indispensable d'introduire une garantie du maintien de la fourniture pour éviter que ne se reproduisent des drames.

En conclusion, M. François Brottes a estimé que l'article premier de la proposition de loi ne pouvait qu'être approuvé de manière unanime par les commissaires.

M. François Sauvadet, s'exprimant au nom du groupe UDF, a estimé qu'il fallait se méfier des effets pervers pouvant résulter de la mise en œuvre de mesures conçues avec les meilleures intentions.

Après avoir rappelé le débat ayant eu lieu, sous la précédente législature lors de la discussion du projet de loi sur l'eau, quant à l'équilibre à trouver entre l'aide systématique et le principe de la responsabilité individuelle, il s'est déclaré convaincu qu'il n'y avait pas de solution à apporter aux familles en situation de fragilité extrême sans accompagnement social permettant de les responsabiliser.

Il a indiqué que si les situations difficiles étaient souvent liées à la situation économique, elles résultaient parfois aussi d'un manque de rigueur dans la gestion des budgets familiaux notamment face aux offres de crédits.

Considérant que ces situations devaient être traitées au cas par cas, il a refusé le système d'assistance automatique que le texte proposait de mettre en place à l'échelle nationale, qui risquait de contrevenir à l'objectif affiché de solidarité du fait d'une déresponsabilisation excessive.

Il a également souligné que tout ce qui n'était pas payé par les uns devrait l'être par les autres et s'est montré soucieux de prendre aussi en compte la situation des classes moyennes.

M. François Sauvadet a conclu en déclarant partager l'objectif pousuivi mais pas les moyens retenus pour l'atteindre et s'est prononcé contre l'adoption de la proposition.

M. Jean-Paul Charié a remercié le rapporteur de faire réfléchir les membres de la commission sur cette situation et s'est félicité de la qualité de la distribution de l'électricité en France, à la différence de l'Italie par exemple, qui fait que la question des coupures accidentelles ne se pose pas dans notre pays.

Il a affirmé que personne n'était insensible à la situation des familles connaissant des difficultés économiques pour des raisons indépendantes de leur volonté. Il a également souligné l'attitude responsable de tous les distributeurs d'électricité à l'égard des familles en situation de réelle détresse et a estimé que la solution à leurs problèmes ne passait pas par la loi car la mesure proposée encouragerait la déresponsabilisation. Il a rappelé que les élus de toutes tendances politiques intervenaient pour éviter des coupures d'électricité et constataient parfois, à cette occasion, qu'étaient concernés des foyers pourtant fort bien équipés.

Il a, en outre, estimé que la mesure proposée pouvait créer de l'exaspération et que la solidarité ne s'édictait pas par la loi.

Enfin, M. Jean-Paul Charié a évoqué la situation des petites et moyennes entreprises victimes de coupures d'électricité lors de grèves et s'est demandé si cette proposition de loi, si elle était votée, leur serait applicable.

M. Pierre Cohen a estimé que la discussion engagée traduisait des divergences politiques profondes.

Il a admis qu'il était impossible d'éviter que des mesures de solidarité puissent être détournées et conduire à certains abus mais qu'il estimait néanmoins, pour sa part, que ce risque limité ne devait pas empêcher de garantir la protection des plus faibles.

Il a également souligné que la proposition de loi évitait, en outre, de faire peser la charge de tout le dispositif de financement sur les communes, qui participaient déjà amplement à l'aide au logement et à la fourniture d'énergie aux publics en difficulté à travers les centres communaux d'action sociale. Il a remarqué que les familles en situation de précarité vivaient souvent dans des collectivités territoriales dont les moyens étaient faibles.

Il a, en outre, insisté sur l'intérêt d'organiser un dispositif de soutien très en amont.

Enfin, M. Pierre Cohen a exprimé ses craintes devant les conséquences de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie voire de la privatisation des opérateurs historiques sur les comportements de terrain, les personnels aujourd'hui très attentifs aux difficultés sociales risquant de se voir imposer une préoccupation exclusive de rentabilité.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a souhaité insister sur l'une des nombreuses raisons qu'elle voyait d'adopter la proposition de loi. En réponse aux propos de M. Jean-Paul Charié, elle a estimé que si la solidarité ne s'édictait pas par la loi, elle passait en revanche nécessairement par la loi. Elle a reconnu les avancées que constituaient les décrets préparés par le Gouvernement, mais a réaffirmé qu'un texte de nature législative serait mieux à même d'obliger tous les partenaires à trouver des solutions très en amont.

Le président Patrick Ollier a estimé qu'un décret ou une loi auraient le même effet.

Puis, il a rappelé que la question de l'interdiction des coupures avait déjà donné lieu à des débats nourris en commission le 9 mars à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative au droit à vivre dans la dignité puis, en séance, d'abord sur le même texte, le 15 mars, puis à l'occasion de la deuxième lecture de la loi d'orientation sur l'énergie, le 24 mars. Il a rappelé qu'à chacune de ces occasions, la majorité avait repoussé des initiatives tendant à interdire les coupures compte tenu de la possibilité d'apporter des réponses plus concrètes, le Gouvernement ayant, en séance, présenté des projets de décrets.

Il a indiqué que l'un de ces décrets donnait à EDF la responsabilité de prévenir les services sociaux pour que ceux-ci puissent préparer une demande d'aide au titre du FSL. Or, il a rappelé que la loi prévoyait déjà l'interdiction des coupures d'énergie pour les ménages ayant demandé une aide du FSL.

Il a estimé qu'il n'y avait donc pas lieu de voter la proposition de loi.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur, a indiqué que l'une des principales raisons l'ayant conduit à déposer cette proposition de loi était le net raidissement des comportements d'EDF vis-à-vis des personnes en difficulté qu'il avait constaté immédiatement après l'adoption de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières qui a changé le statut de cette entreprise.

Il a ainsi pris l'exemple du maire de Givenchy-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, qui, saisi du cas d'une famille ayant 200 euros de dettes vis-à-vis d'EDF, avait été jusqu'à proposer à l'entreprise de régler sur le champ la moitié de cette dette sur ses deniers propres pour éviter la coupure sans que cela empêche EDF d'y procéder. Il a également rappelé que, face à de tels comportements, une centaine de maires du bassin minier du Nord-Pas de Calais, constatant la multiplication des coupures compte tenu de ce raidissement et du développement de la précarité, avaient réagi en interdisant par arrêté les coupures.

M. Jean-Pierre Kucheida a expliqué que, compte tenu de ce changement de comportement d'EDF, il lui était apparu nécessaire de protéger par la loi les personnes en réelle difficulté économique ou sociale. Il a jugé que ce type de problème avait vocation à se multiplier en particulier si de nouveaux opérateurs intervenaient sur le marché et que les élus de tous bords seraient alors confrontés au problème.

S'agissant du financement, il a estimé qu'il devait impérativement relever de la solidarité nationale, d'autant que le montant des dépenses supplémentaires susceptibles de résulter d'un maintien systématique de la fourniture aux personnes en réelle difficulté resterait très modeste au regard du coût considérable des missions de service public de l'électricité qui atteint environ 1,7 milliard d'euros.

Enfin, il a estimé nécessaire le recours à une loi, compte tenu du risque qu'un décret soit écarté ou remis en cause. Il a également jugé absolument nécessaire d'aider les personnes rencontrant des difficultés temporaires pour leur permettre d'en sortir. Il a donc vivement appelé l'ensemble des commissaires à adopter sa proposition de loi dans un contexte où les difficultés sociales s'accroissent fortement.

M. François Brottes a dénoncé la fausse alternative présentée par la majorité entre le soutien aux populations en détresse et la responsabilité individuelle. Rappelant que des gens en difficulté pouvaient refuser de faire appel à l'aide sociale, il a estimé qu'il convenait de ne pas leur couper l'énergie en établissant ainsi un véritable droit à la décence. Il a donc appelé avec gravité l'ensemble des commissaires à se rassembler autour de la proposition de loi.

La Commission a alors décidé de ne pas passer à la discussion des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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N° 2289 : Rapport sur la proposition de loi (n° 2011), créant une couverture énergétique universelle pour les personnes défavorisées (Jean-Pierre Kucheida)


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