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le 3 février 2006

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N° 2810

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 janvier 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure,

PAR M. PHILIPPE COCHET,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 430 (2003-2004), 214 et T.A. 78 (2004-2005).

Assemblée nationale : 2174.

INTRODUCTION 5

I - LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE EN COLOMBIE : UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE QUI HANDICAPE LA CROISSANCE 7

A. LA VIE POLITIQUE COLOMBIENNE EST MARQUÉE PAR LA PERMANENCE DES CONFLITS ARMÉS 7

1) Un contexte politique difficile 7

2) Un processus de paix ancien et laborieux 8

B. LA SOCIÉTÉ COLOMBIENNE SUBIT LA VIOLENCE DES GROUPES ARMÉS 11

1) Les conséquences sociales de la violence 11

2) Les conséquences économiques de la violence 12

II - LA NÉCESSAIRE COOPÉRATION FRANCO-COLOMBIENNE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE 15

A. UNE COOPÉRATION BILATÉRALE ANCIENNE, DONT LA NÉCESSITÉ NE SE DÉMENT PAS 15

B. L'ACCORD DU 22 JUILLET 2003 : UN CADRE JURIDIQUE SPÉCIFIQUE POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET LA COLOMBIE 16

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 20

Mesdames, Messieurs,

L'image de la Colombie dans le monde demeure associée à la violence endémique et au trafic de drogues, la Colombie étant de très loin le premier producteur mondial de cocaïne. Cette réalité n'est pourtant pas la seule : qui sait que la Colombie est aussi le pays qui renferme le deuxième écosystème le plus riche de la planète ? De même, on oublie souvent que la troisième économie d'Amérique du Sud est aussi l'une des plus diversifiées du continent.

De longue date, la France entretient avec la Colombie une coopération étroite, notamment dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Alors que notre implication politique dans la résolution du conflit entre les autorités colombiennes et les mouvements de guérilla est entière et que la France entretient des liens économiques étroits avec la Colombie, il est nécessaire de conforter la coopération franco-colombienne en matière de sécurité intérieure et de disposer d'instruments juridiques adaptés pour collaborer plus efficacement.

Tel est l'objet de l'accord de coopération signé par la France avec la Colombie à Bogota, le 22 juillet 2003, aujourd'hui soumis à l'approbation de notre Assemblée, déjà adopté par le Sénat le 22 mars 2005.

I - LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE EN COLOMBIE : UNE VIOLENCE ENDÉMIQUE QUI HANDICAPE LA CROISSANCE

A. La vie politique colombienne est marquée par la permanence des conflits armés

Depuis une cinquantaine d'années, les partis politiques traditionnels en Colombie sont confrontés à des mouvements de guérilla d'extrême gauche, combattus, depuis les années 1980, par les paramilitaires d'extrême droite. Le processus de paix actuellement à l'œuvre doit permettre de mettre fin à une violence endémique, qui pèse lourdement sur la croissance colombienne.

1) Un contexte politique difficile

Depuis le 9 avril 1948, la Colombie est confrontée à une violence endémique, du fait de l'apparition de groupes armés illégaux, en lutte contre les partis traditionnels. A cette date, l'assassinat de Jorge Eliecer Gaitán, chef de file du parti libéral, ouvre une période de guerre civile appelée « Violencia ».

Cinq ans plus tard, en 1953, la Colombie connaît un coup d'Etat militaire du général Rojas Piniella. Pour s'y opposer, les deux forces politiques traditionnelles s'allient et forment un Front national. Le parti conservateur et le parti libéral vont pratiquer l'alternance au pouvoir pendant seize ans et, de fait, continueront à diriger seuls le pays.

Dans le même temps, les mouvements de guérilla apparus dans les années soixante, qui, à l'origine, luttaient contre les inégalités sociales, ont peu à peu acquis une dynamique politique propre. Outre des mouvements de guérilla, qui ont aujourd'hui disparu en tant que groupes armés illégaux (le M19, l'EPL et le PRT, le Quintin Lame), les principaux mouvements de guérilla sont les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le plus ancien mouvement d'idéologie marxiste dans le pays, et l'Armée de Libération Nationale (ELN), d'inspiration « guévariste ». Avec 17 000 hommes armés, le chef des FARC, Manuel Marulanda Velez, est à la tête d'une réelle puissance militaire constituée grâce à des financements privés en partie liés à la drogue. Moins puissante, l'ELN compte aujourd'hui environ 3000 hommes.

Face à ces groupes d'extrême-gauche, sont apparus des groupes paramilitaires d'extrême-droite, les Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), qui combattent la guérilla grâce à un arsenal militaire lui aussi très important. Ces groupes armés ont su mettre au point, dès l'origine, un système de réseau entre les différents fronts de paramilitaires répartis dans le pays, en plus du commandement central. Dans les années récentes, ils ont connu un taux de croissance très élevé : de 10 000 combattants en 2000, ils seraient forts aujourd'hui d'environ 20 000 combattants, dont la moitié auraient rendu les armes dans le cadre du processus de paix lancé par le Président Uribe.

La production et le trafic de drogue sont depuis des décennies la cause principale des guerres colombiennes. La guérilla d'extrême gauche et les paramilitaires d'extrême droite se sont disputés le contrôle des régions enrichies par la culture de la coca et celui des voies de communication stratégiques. D'après les experts, ces groupes armés illégaux, qui rémunèrent leurs combattants grâce au commerce de la drogue, sont présents dans les deux tiers des municipalités.

2) Un processus de paix ancien et laborieux

L'ampleur des mouvements de guérilla a conduit les partis politiques traditionnels à composer avec eux et à s'engager dans un dialogue politique. C'est ainsi que la présidence de M. Belisario Betancourt, conservateur, a permis l'instauration d'un dialogue, poursuivi par M. Virgilio Barco, libéral, avec plusieurs mouvements de guérilla ; avec les FARC et l'ELN, les négociations ont commencé en juin 1991.

Après la présidence de M. Ernesto Samper, du parti libéral (1994-1998), le président conservateur Andrés Pastrana, élu le 21 juin 1998, a relancé le dialogue avec les guérillas des FARC et de l'ELN, en entamant une politique de négociation et de compromis. Le Président Pastrana avait ainsi défini, avec les Etats-Unis, un « Plan Colombie », auquel l'Union européenne ne s'est pas ralliée, préférant conduire, de son côté, un programme d'appui au processus de paix.

Ces deux démarches, indépendantes, ont permis au Président Pastrana de progresser dans les négociations avec les guérillas :

- Avec les FARC, tout d'abord.

Ainsi, dès le début de son mandat, le 9 juillet 1998, le Président Pastrana rencontra le chef des FARC et lui accorda, en août, un statut politique puis, en novembre, une zone de détente démilitarisée, soit un territoire de 42 000 km2 - la taille de la Suisse - autour de San Vicente del Caguan, peuplé de 150 000 personnes. Cette zone de détente, parfois appelée zone de « distension », a permis de mener des négociations dans des conditions de sécurité.

En mai 1999, un agenda en douze points a pu être défini sous l'égide de Camilo Gomez, Haut commissaire pour la paix. Le gouvernement et les FARC se sont entendus sur le mécanisme et le contenu des négociations de paix. Par exemple, la réforme agraire, les droits de l'homme, la lutte contre la drogue, ou encore la réforme des forces armées sont autant de thèmes de l'agenda sur lesquels les parties entendent trouver un accord. Dans ce but, vingt-cinq audiences publiques furent organisées et 25 000 personnes entendues, à l'issue de quoi Manuel Marulanda, responsable des FARC, accepta finalement de négocier avec la communauté internationale.

Le 9 février 2001, le Président Pastrana et le chef des FARC signèrent l'accord dit « de Los Pozos » qui relançait les négociations et reconduisit la zone de détente du Caguan accordée à la guérilla jusqu'au 9 octobre 2001. Les parties réaffirmèrent à cette occasion leur volonté de rechercher une issue au conflit par le dialogue, au regard d'un agenda de douze points, d'examiner la possibilité d'un cessez-le-feu, et de procéder à l'éradication manuelle des cultures illicites et à leur substitution, sous réserve de l'accord des communautés locales. Les parties invitèrent la communauté internationale à faciliter le processus de paix. Un groupe élargi de dix pays amis et « facilitateurs » (1), dont la France, se réunit désormais tous les deux mois dans la zone du Caguan pour accompagner le processus de paix. Il était prévu d'organiser tous les six mois une réunion internationale avec vingt-six pays, les Etats-Unis ayant refusé d'y participer. En février 2002 cependant, les négociations furent rompues, les FARC reprenant le contrôle de la zone du Caguan, véritable centre d'entraînement et de repli pour la population.

- Avec l'ELN ensuite.

L'ELN a cherché à privilégier le dialogue avec des représentants de la société civile et de l'épiscopat au sein d'une « assemblée nationale de paix ». Elle obtint en 1998 la signature d'un accord-cadre sur la méthode de dialogue et sur les mesures humanitaires, sans que le Gouvernement colombien ne se sente vraiment engagé. Par des enlèvements, l'ELN obligea par conséquent le Gouvernement à reprendre le processus de négociation ; les deux parties se rencontrèrent à Genève, les 24 et 25 juillet 2000, avec également 80 représentants de la société civile et des pays « facilitateurs » : France, Cuba, Espagne, Norvège, Suisse. En janvier 2001 les parties parvinrent à un accord préliminaire sur l'instauration d'une « zone de rencontre » démilitarisée, où les autorités civiles colombiennes continuaient à fonctionner, et sur la mise en place d'un dispositif de vérification nationale (100 personnes) et internationale (50 observateurs internationaux) (2) du respect de la réglementation de la zone de dialogue.

Les paramilitaires, hostiles à la création de la zone, dans le département du Bolivar, lancèrent des offensives de grande ampleur à l'encontre de la guérilla. Les forces armées légales n'ayant pas obtenu de résultats probants pour repousser les paramilitaires, l'ELN suspendit les négociations le 19 avril 2001, en dénonçant les collusions entre l'armée et les paramilitaires sur le terrain.

La présidence de M. Alvaro Uribe, élu le 26 mai 2002, marque un tournant dans la conduite du processus de paix : prônant la restauration de l'autorité de l'Etat et de la sécurité, la lutte contre la corruption et la libéralisation de l'économie, M. Alavaro Uribe, libéral dissident, se fait élire sur un programme sécuritaire et de fermeté vis-à-vis des groupes armés, qualifié de politique de « sécurité démocratique ». La politique de sécurité démocratique repose sur la restauration de l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national afin de permettre un rapport plus favorable au gouvernement. Ainsi, les moyens des forces armées et de police ont augmenté de façon continue : 30 000 soldats professionnels ont été recrutés, des milices rurales ont été créées et un réseau de surveillance citoyenne d'un million de personnes a été mis en place. Confronté à une criminalité extrême et au narco trafic, le président colombien doit en effet faire face à la puissance accrue et aux actes de terrorisme de la guérilla et des groupes para-militaires.

La répression a conduit en 2002 à l'arrestation de plus de 16 000 trafiquants, la saisie de 120 tonnes de cocaïne et le démantèlement de plus de 1 400 laboratoires. En 2003, face aux actions violentes des FARC, la politique du Président Uribe a obtenu des résultats réels : recul de la violence, diminution du nombre d'homicides et d'enlèvements, renforcement de la sécurité des axes de communication et baisse des attaques contre les infrastructures. Par ailleurs, d'importants dirigeants des FARC, dont Ricardo Palmera, ont été arrêtés puis extradés vers les Etats-Unis et une large offensive de l'armée de plus de 15 000 militaires, appelée « opération patriote » et lancée début 2004 dans le sud du pays, a permis de désorganiser quelque peu la guérilla des FARC.

Le Président Uribe a exigé un cessez-le-feu unilatéral et l'arrêt des hostilités pour entamer toute négociation avec les guérillas. En juillet 2005, il a assoupli ses positions et laissé entrevoir la possibilité de rencontrer la guérilla des FARC, en vue d'un échange humanitaire (3) à un an des élections présidentielles. Après de nombreux revirements, le 13 décembre dernier, une proposition de médiation présentée par la France, la Suisse et l'Espagne permettait d'envisager un échange humanitaire de 58 otages des FARC contre 500 guérilleros emprisonnés. Cette proposition, acceptée par le Président Uribe, a toutefois été rejetée par les FARC, qui contestent la manœuvre électorale utilisée par le Président colombien. Ce dernier a, par ailleurs, été critiqué pour ses prises de positions vis à vis des paramilitaires d'extrême droite, avec lesquels un processus de paix est en cours, qui prévoit leur démantèlement en 2006.

B. La société colombienne subit la violence des groupes armés

Le peuple colombien est la première victime de ce climat de violence entretenu par la guérilla et les paramilitaires. C'est pour répondre aux attentes de paix des Colombiens qu'en juillet 2005, le Président Uribe a présenté un plan « Colombie bicentenaire » (4), visant à éradiquer la drogue et les guérillas d'ici à 2019, soutenu par une très importante aide militaire des Etats-Unis.

1) Les conséquences sociales de la violence

Il s'agit d'un plan aussi ambitieux que nécessaire, dans un pays où le trafic de drogues représente environ 8 % du PIB. La Colombie est en effet le principal producteur de cocaïne dans le monde (environ 520 tonnes par an) et d'héroïne (environ 6 tonnes par an), à destination des marchés américain et européen. Les cultures de coca sont situées essentiellement dans les régions de Putumayo-Caqueta, au sud, et de Guaviare, au centre, et la surface totale des cultures illicites dans le pays représenterait environ 110 000 hectares.

La violence liée au commerce de la drogue entraîne des mouvements de population - les « déplacés » - jusqu'aux villes. Ces « déplacés », c'est-à-dire toutes les personnes qui ne se rallient pas au système d'un groupe armé dans un lieu donné, représentent la manifestation directe de la violence exercée sur la population par les groupes armés, guérillas ou paramilitaires, aggravée par la carence de l'Etat. Pour beaucoup, il s'agit de paysans qui ont dû quitter leur terre ; sans travail, ils s'improvisent vendeurs ambulants, s'agrègent au marché noir et parfois se retrouvent mêlés à la petite délinquance.

Cette situation économique et sociale favorise les conditions d'une violence politique et d'une forme de guérilla urbaine, peut-être plus radicale encore. Dans l'objectif de prévenir ce risque, le plan « Colombie bicentenaire » de M. Uribe vise à doubler le PIB, afin de ramener le taux de pauvreté à 15 % contre 57 % aujourd'hui. Il entend également favoriser la hausse des exportations et des investissements étrangers. Autant de perspectives dont la réalisation est directement liée aux résultats qui seront obtenus pour assurer la sécurité en Colombie.

2) Les conséquences économiques de la violence

Malgré la violence, qui demeure un mode de gestion des différends, une guérilla vieille de quarante ans, des paramilitaires infiltrés dans toutes les sphères de la société, la drogue omniprésente, le système démocratique colombien a survécu à des maux qui ont eu raison d'autres régimes.

Son économie - troisième du sous-continent (avec un PIB estimé à 87 milliards de dollars en 2004) - est diversifiée et compétitive, tant dans les secteurs agricole et industriel que dans les services. Elle bénéficie d'une main d'œuvre bien formée et adaptable, d'administrations et de services publics de bon niveau.

La Colombie a connu une croissance positive pratiquement ininterrompue depuis 70 ans - ce qui confirme que les opérateurs économiques ont intégré, depuis longtemps, les paramètres de la violence dans leurs stratégies d'expansion. Elle est le seul pays de la région à n'avoir jamais été en défaut de paiement, ni à rééchelonner sa dette extérieure, dont le poids (37 milliards de dollars, soit 40,3 % du PIB) devrait être relativisé par la dépréciation du dollar par rapport au peso (- 14 % en 2004).

Cela lui permet de jouer un rôle majeur au sein de la communauté andine des nations, qui reçoit 19 % de ses exportations. Elle restera un point d'entrée sur le marché des pays andins, voire - dans la perspective de l'entrée en vigueur du traité de libre commerce - vers les Etats-Unis, qui absorbent 45 % des exportations colombiennes (globalement accrues de 23 % en 2004) loin devant l'Union européenne (13,5 %).

Quatre facteurs principaux freinent cependant le dynamisme de l'économie colombienne, liés à la situation sécuritaire dans le pays :

- l'insécurité.

Sur ce point, il est incontestable que le premier mandat du Président Uribe aura été marqué par une baisse très substantielle de la délinquance et une amélioration des conditions de sécurité. Les statistiques officielles font, par exemple, état d'une baisse des homicides de 10 % en 2005 par rapport à 2004 et d'une diminution des enlèvements de 44,5 %. Elles ne doivent cependant pas occulter la réalité des chiffres, si on se réfère aux homicides (49,5 par jour, soit deux par heure) ou aux enlèvements (plus de deux par jour), par exemple, qui situent toujours la Colombie parmi les pays les plus violents de la planète. En bref, l'amélioration des chiffres de la délinquance n'entraîne pas nécessairement une amélioration des conditions de sécurité à due concurrence. Quant aux conséquences économiques d'une telle situation, elles sont très importantes : l'ampleur de la violence, selon certaines estimations, entraînerait une perte pour l'économie de deux à quatre points de croissance par an.

- la contrebande et la contrefaçon.

Il existe en Colombie une économie parallèle de la contrebande et de la contrefaçon, qui s'explique en partie par le blanchiment de l'argent du trafic de drogues, à hauteur environ de 4 milliards de dollars américains par an. D'autre part, le pouvoir d'achat limité d'une partie de la population explique également l'ampleur de la contrebande, qui conduit les revendeurs à proposer des produits à des prix 20 à 30 % moins chers que sur le marché officiel. Tous secteurs confondus, la contrebande représenterait 3 à 7 % du PIB par an.

- la corruption.

En la matière, la Colombie a enregistré des progrès récents. Les dernières études de Transparency international ont noté les efforts accomplis par la Colombie dans le sens de la transparence et de la lutte contre la corruption. L'indice de perception de la corruption pour 2003 situe la Colombie devant le Vénézuela, le Mexique ou l'Argentine.

Il est d'autant plus important pour la Colombie de lever les hypothèques qui freinent sa croissance qu'il s'agit d'un pays riche, peuplé de 45 millions d'habitants, concentrés dans quatre villes principales, Bogota (8 millions), Medellin (2,8 millions), Cali (2,3 millions) et Barranquilla (1,8 million). On estime que 34 % de la population colombienne, soit 14 millions de personnes, a accès aux biens de consommation courante de façon régulière, et que quatre millions de colombiens disposent d'un pouvoir d'achat très élevé. Ces consommateurs réguliers ou favorisés ont un mode de consommation proche du modèle européen ou nord-américain.

Par ailleurs, la Colombie présente des richesses naturelles extraordinaires, vers lesquelles les autorités colombiennes, qui poursuivent une politique économique d'ouverture internationale depuis 1991, entendent d'ailleurs favoriser les investissements étrangers. Ainsi, troisième économie d'Amérique du Sud, la Colombie est le cinquième producteur et le quatrième réservoir de gaz de l'Amérique latine, le quatrième pays pour les réserves de pétrole. L'exportation de charbon occupe la troisième place après le pétrole et le café. Le pays détient également 1 % des réserves mondiales de nickel, 50 % de la production mondiale d'émeraudes et des réserves d'or importantes.

En outre, la Colombie dispose du deuxième plus riche écosystème de la planète, avec plus de 10 % des espèces animales et végétales mondiales. Il est donc d'autant plus nécessaire de résoudre le problème du trafic de stupéfiants dans ce pays que la production de drogue porte une atteinte sérieuse à l'environnement. Pour obtenir une tonne de feuilles de coca, 100 hectares de forêts sont en effet endommagés, le renouvellement des forêts tropicales demandant 70 ans environ. De plus, les composants liquides servant à la fabrication de la coca sont déversés, après leur utilisation, dans les rivières, ce qui entraîne leur pollution jusqu'aux sous-sols.

II - LA NÉCESSAIRE COOPÉRATION FRANCO-COLOMBIENNE
EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Partenaire économique proche de la Colombie - la France est le troisième investisseur en Colombie -, impliquée dans le processus de règlement politique, la France entretient des liens étroits avec la Colombie. Qui plus est, compte tenu de l'impact en France des activités de narco-trafic, et notamment du trafic de cocaïne, notre pays se doit de disposer des instruments juridiques permettant une collaboration efficace et soutenue avec les autorités colombiennes. Tel est l'objet de l'accord sur la coopération franco-colombienne en matière de sécurité intérieure, aujourd'hui soumis à notre approbation.

A. Une coopération bilatérale ancienne, dont la nécessité ne se dément pas

La coopération franco-colombienne en matière de sécurité intérieure est ancienne : s'il en enrichit les composantes et la solennise, l'accord signé à Bogota le 22 juillet 2003 ne crée pas la collaboration entre les deux pays en matière de sécurité intérieure.

Celle-ci était fondée jusqu'à présent sur un accord général de coopération technique et scientifique conclu le 18 septembre 1963, complété par un accord signé le 30 août 1993, relatif au renforcement de la coopération dans les domaines spécifiques liés à la lutte contre l'offre et la demande des stupéfiants, la lutte contre le terrorisme et le renforcement de la lutte contre le crime organisé. Cet accord de 1993 prévoyait notamment de développer l'échange d'informations, la fourniture d'équipements et la formation technique dans les domaines du trafic des stupéfiants, du terrorisme et de la lutte contre le crime organisé.

La nécessité d'une telle coopération ne se dément pas, alors que le trafic de stupéfiants à destination du continent européen s'accroît. Ainsi, sur une production mondiale de cocaïne estimée à près de 1.000 tonnes (650 à 700 tonnes produites en Colombie, 150 à 200 tonnes produites au Pérou et 60 tonnes en Bolivie), les experts internationaux estiment que la quantité de cocaïne importée d'Amérique latine à destination du marché européen ne cesse de croître et dépasserait actuellement 200 tonnes. Le flux de trafic en direction de l'Europe transite principalement par les pays sud-américains de la côte est et la zone caraïbe, notamment par nos départements d'outre-mer. Le grand trafic est maritime et aboutit principalement en Espagne sur les côtes de Galice, au Portugal, aux Pays-Bas dans le port de Rotterdam, mais il met également à profit la sous-organisation de certains pays de la côte ouest africaine où il trouve aisément des portes d'entrées.

Par ailleurs, un trafic régulier par voie aérienne est opéré par des petits porteurs (souvent in corpore), qui alimentent également notre marché. Ainsi en France, le trafic des passeurs aux aéroports continue d'augmenter de façon considérable à l'image de ce que connaissent tous les aéroports européens.

Plus de 800 kilogrammes de cocaïne ont été saisis, principalement aux aéroports de Roissy et d'Orly, et près de 280 passeurs, recrutés par les cartels de la drogue pour transporter in corpore, à corps ou dans leurs bagages des quantités de cocaïne allant de 300 grammes à cinq kilogrammes, ont été interpellés en 2003.

En France, les études épidémiologiques validées font état d'un triplement de l'initiation à ce produit entre 1992 et 2002. 850 000 personnes l'auraient déjà expérimenté et on dénombre actuellement 150 000 usagers à des degrés divers. Cette consommation ne se retrouve plus seulement parmi les couches privilégiées de notre société, mais également dans les tranches d'âges de plus en plus jeunes. On peut dire que, dans notre pays, la consommation de cocaïne fait maintenant jeu égal avec celle de l'héroïne. Sous sa forme de crack, beaucoup plus addictif, elle est utilisée par les toxicomanes les plus désocialisés, particulièrement dans le nord de la capitale, la Seine-Saint-Denis et la région des Antilles.

On ajoutera que, de longue date, le banditisme français est impliqué dans ce trafic.

B. L'accord du 22 juillet 2003 : un cadre juridique spécifique pour renforcer la coopération entre la France et la Colombie

C'est à la demande du Président Uribe, afin de renforcer la coopération entre la France et la Colombie et d'en étendre les mesures et les domaines d'application, qu'un nouvel accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure a été signé le 22 juillet 2003 à Bogota.

L'accord de Bogota présente une rédaction proche des accords bilatéraux de même nature, au nombre d'une vingtaine, déjà conclus par la France. Son apport principal tient dans le renforcement des dispositifs de coopération dans les domaines de la lutte contre la criminalité internationale, le terrorisme, le trafic des stupéfiants, le trafic d'armes et le blanchiment d'actifs sont renforcés.

Notamment, il organise, dans un cadre juridique précis, les échanges d'informations et la communication de données à caractère personnel entre les deux Parties. Ces dispositions permettront de faciliter les procédures en la matière et de traiter plus facilement les demandes dans un délai écourté. A ce titre, l'article 2 reprend les règles habituelles en la matière et vise à garantir la protection des données nominatives échangées dans le cadre de la coopération :

- Les données reçues par l'un des deux pays ne peuvent être utilisées qu'aux fins et conditions définies par la partie émettrice.

- La partie émettrice doit être informée de l'usage qui est fait des données nominatives et doit donner son accord écrit préalablement à la transmission à d'autres autorités que celles initialement prévues.

- La partie émettrice doit garantir l'exactitude des données nominatives et vérifie en amont par un contrôle de proportionnalité la nécessité et l'adéquation de la communication à l'objectif recherché.

- Toute personne, conformément à la législation en vigueur, a le d'obtenir communication des informations la concernant.

- Ces données nominatives doivent être détruites dès qu'elles n'ont plus d'usage pour la partie qui les avait demandées. La partie émettrice en est informée.

Les articles 3 à 8 détaillent le contenu de la coopération en visant les différents types d'activités criminelles concernées : blanchiment d'actifs ; trafic illicite d'armes, de munitions, d'explosifs et de substances dangereuses ; faux monnayage ; traite des personnes et immigration illégale ; trafic illégal d'organes ; trafic de biens culturels, trafic illégal de ressources naturelles ; trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes ; terrorisme.

D'une manière générale, la coopération en matière de sécurité intérieure porte sur :

- l'établissement de moyens de communication institutionnels permanents entre les unités compétentes pour les différentes activités criminelles ;

- l'échange régulier d'informations relatives aux activités des organisations criminelles, ainsi que sur leurs méthodes et habitudes ;

- la coopération dans la fourniture et l'évaluation d'équipements et de technologies utilisées dans la prévention et la lutte contre les activités criminelles ;

- l'établissement, en tant que de besoin, de mécanismes de coordination lors d'investigations conjointes réalisées contre les organisations criminelles, dans le respect de la législation interne de chaque pays.

Des dispositions supplémentaires sont prévues pour les activités les plus sensibles.

En matière de trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, l'article 4 mentionne particulièrement la coopération et les échanges d'informations visant à lutter contre le trafic illicite des précurseurs chimiques pouvant être détournés en vue de la production de stupéfiants. Il vise la lutte contre le trafic illicite d'armes et de munitions au profit des organisations se livrant au trafic de stupéfiants. Il prévoit aussi des échanges d'informations en vue d'identifier les actifs des organisations de trafiquants de drogue et de toutes les personnes qui les soutiennent de quelque manière que ce soit.

L'article 5 porte quant à lui sur la lutte contre le terrorisme. Il mentionne lui aussi le trafic d'armes et de munitions au profit des groupes terroristes ainsi que les échanges d'information en vue d'identifier les actifs des organisations terroristes et de toutes les personnes qui les soutiennent de quelque manière que ce soit.

L'article 6 concerne la coopération en matière de sécurité publique. Il prévoit des échanges d'expérience en matière de programmes de protection des citoyens, de lutte contre la délinquance, de programme de participation citoyenne à la prévention des délits, de police de proximité, d'opérations en zone rurale, de contrôle des foules, de sécurité des manifestations de masse ou encore de groupes d'intervention.

L'article 7 définit le contenu de la coopération en matière de formation théorique et pratique. Il cite notamment plusieurs domaines spécialisés (séquestration, extorsion, recherche en criminalistique, déminage, enquêtes sur les catastrophes).

L'article 8 mentionne, à titre complémentaire, plusieurs autres domaines de coopération. Il cite notamment l'action des officiers de liaison et des attachés de police.

Dans ses dispositions finales, l'accord prévoit la désignation, par chaque partie, de représentants chargés de la coordination et du contrôle de sa mise en œuvre.

CONCLUSION

Les accords bilatéraux en matière de sécurité intérieure donnent un cadre juridique à la coopération opérationnelle et technique de la France avec ses partenaires. Ils contribuent à accélérer le développement de la coopération française, notamment avec les pays considérés comme essentiels du point de vue des retombées pour la sécurité intérieure de notre pays.

Le renforcement de notre coopération policière avec la Colombie est donc pleinement justifié afin de lutter plus efficacement contre le trafic et la consommation de stupéfiants en France. En outre, au delà de son intérêt pour la sécurité intérieure française, cet accord s'inscrit dans la démarche d'aide à la Colombie par la communauté internationale, pour y mettre fin aux conflits et restaurer l'état de droit.

C'est pourquoi votre Rapporteur vous recommande l'adoption de ce projet de loi par la Commission des Affaires étrangères.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 25 janvier 2006.

Après l'exposé du Rapporteur, revenant sur les propos de celui-ci concernant la richesse de l'écosystème colombien, qu'il a attribuée à la proximité du Brésil, pays frontalier de la Colombie et premier écosystème du monde, le Président Edouard Balladur a souligné l'importance du problème de la culture de la coca dans des milieux ruraux où elle représentait bien souvent une source de revenus majeure, en Colombie comme en Bolivie, par exemple. Dans cette perspective, il a souhaité que la capacité du Gouvernement colombien à mettre en œuvre le type d'accords qu'il avait signé avec la France soit la plus forte possible.

Rappelant que 70 % de la population mondiale était composée d'agriculteurs, M. Philippe Cochet, rapporteur, a souligné la nécessité de leur donner accès à des types d'agriculture leur permettant d'avoir un niveau de vie correct tout en ne se prêtant pas à des trafics illégaux : là réside l'enjeu clé pour la Colombie.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2174).

*

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l'accord figure en annexe au projet de loi (n° 2174).

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N°2810 Rapport de M. Philippe COCHET au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure

1 () Canada, Cuba, Espagne, France, Italie, Mexique, Norvège, Suède, Suisse, Venezuela.

2 () Un groupe de cinq pays « vérificateurs » a été constitué (l'Allemagne, le Canada, le Japon, le Portugal et la Suède).

3 () Les FARC détiennent environ 1600 otages dont 58 politiques et militaires, depuis plus de 7 ans. Ingrid Bétancourt, enlevée le 23 février 2002, est détenue depuis bientôt 4 ans. Dans le cadre d'un accord humanitaire, et en échange d'otages des FARC le gouvernement colombien libérerait des guérilleros prisonniers.

4 () Date anniversaire de l'indépendance du pays proclamée en 1819 par Simon Bolivar.


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