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le 21 mars 2006

N° 2971

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 mars 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 2679 de M. Jacques Myard, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la langue française au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde ,

PAR M. ANDRÉ SCHNEIDER,

Député

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INTRODUCTION 5

I - LE RECUL DE LA LANGUE FRANÇAISE EST PRÉOCCUPANT ET APPELLE UNE MOBILISATION DES POUVOIRS PUBLICS 7

A - UN RECUL PRÉOCCUPANT 7

B - LA NÉCESSAIRE MOBILISATION DES POUVOIRS PUBLICS 8

II - LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR CE SUJET EST RECEVABLE, MAIS PEU APPROPRIÉE 9

A - LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EST RECEVABLE 9

B - MAIS LA CRÉATION D'UNE MISSION D'INFORMATION SERAIT PRÉFÉRABLE 9

CONCLUSION 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Affaires étrangères est saisie d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la langue française au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde (n° 2679).

Cette proposition de résolution a été déposée par M. Jacques Myard le 16 novembre 2005. Elle se fonde sur un constat préoccupant : langue de la diplomatie et des traités, langue officielle des Nations unies et de nombreuses organisations internationales, langue parlée dans 56 pays par près de 180 millions de personnes, la langue française est bel et bien en recul face à l'anglais. Votre Rapporteur partage ce constat préoccupant établi par l'auteur de la proposition de résolution. Il ne semble toutefois pas que la création d'une commission d'enquête constitue le moyen le plus approprié de traiter de cette question. Son importance justifierait toutefois que la Commission des Affaires étrangères s'en saisisse et crée en son sein une mission d'information chargée d'établir un diagnostic et des propositions pour défendre l'usage de notre langue.

I - LE RECUL DE LA LANGUE FRANÇAISE EST PRÉOCCUPANT ET APPELLE UNE MOBILISATION DES POUVOIRS PUBLICS

A - Un recul préoccupant

Depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, le français est devenu la langue juridique par excellence. Dans ses articles 110 et 111, l'ordonnance énonce : « Afin qu'il n'y ait cause de doutes sur l'intelligence des arrêts de justice, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement, qu'il n'y ait, ni puisse avoir, aucune ambiguïté ni incertitude, ni lieu à demander interprétation. » «  Et pour ce que de telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence de mots latins contenus esdits arrests, nous voulons dorénavant que tous arrests, ensembles toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, commissions, sentences, testaments et autres quelconques, actes et exploits de justice, ou qui en dépendent soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ».

Cette longue tradition du français comme langue juridique lui a permis par le passé de supplanter le latin. S'il est aujourd'hui langue officielle des Nations Unies et langue de travail des institutions européennes, il n'en est pas moins de plus en plus en recul face à l'anglais, tant dans les réunions de ces instances internationales, que dans leurs documents de travail ou leurs relevés de décision. Le récent élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres a aggravé la situation, car ceux-ci pratiquent plus volontiers l'anglais que le français.

Dans son rapport au Parlement sur l'emploi de langue française pour 2005, les chiffres transmis par le Gouvernement sont éloquents : de 1996 à 2004 le nombre de documents de la Commission rédigés à l'origine en anglais est passé de 45,7 % à 62 %, tandis que celui des documents rédigés en français passait de 38 % à 26 %. Sur les sites Internet de la Commission, le nombre de pages en anglais représente 67,3 % du total, contre seulement 11,6 % pour le français.

Cette situation est d'autant plus regrettable que de nombreux responsables français renoncent à s'exprimer dans leur langue devant les instances internationales. Votre Rapporteur a ainsi assisté à une intervention en anglais de M. Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, devant l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, alors même que le français est l'une des langues de travail du Conseil. Cette situation qui a conduit au départ de la délégation française en guise de protestation n'est malheureusement pas un cas isolé : nombreux sont ceux qui renoncent aujourd'hui à parler la langue française, pensant qu'il s'agit là d'un gage de modernité ! Une telle situation est tout à fait regrettable et elle appelle une réaction des pouvoirs publics.

B - La nécessaire mobilisation des pouvoirs publics

Depuis le vote de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, les pouvoirs publics sont intervenus à plusieurs reprises pour défendre la place de la langue française. Ces efforts demeurent malheureusement insuffisants.

La circulaire du Premier ministre du 12 avril 1994 a ainsi rappelé que la langue était « un élément important de la souveraineté nationale et un facteur de la cohésion sociale ». Elle invite les agents publics à promouvoir son usage correct et son rayonnement, dans leurs activités en France, comme dans les instances internationales, pour que le français reste une lange de communication internationale de premier plan.

La circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 est pour sa part revenue sur les obligations particulières incombant aux agents publics dans le double souci d'assurer la présence du français sur le territoire national et d'affirmer la place du français sur la scène internationale.

Le Parlement est pour sa part mobilisé en faveur de l'usage du français dans le monde et en Europe. L'Assemblée nationale a ainsi adopté le 22 octobre 2005 sur proposition de la Commission des Affaires étrangères une résolution visant à faire du français la langue juridique de référence de l'Union européenne. Le Sénat a pour sa part adopté le 10 novembre 2005 une proposition de loi de M. Philippe Marini complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dans le but d'en améliorer l'application.

Enfin, l'examen des projets de loi de finances permet de contrôler les actions conduites par les pouvoirs publics pour promouvoir l'enseignement du français à l'étranger, favoriser la venue d'étudiants étrangers en France et diffuser la culture française par le biais du réseau culturel dépendant du Ministère des Affaires étrangères. Force est toutefois de constater que les budgets consacrés au rayonnement culturel extérieur sont en baisse constante depuis de nombreuses années, alors même qu'il s'agit d'un outil indispensable pour enrayer le recul de notre lange en Europe et dans le monde.

La mobilisation des pouvoirs publics en faveur du français apparaît donc aujourd'hui insuffisante eu égard au caractère extrêmement préoccupant de la situation. Ce contraste a motivé le dépôt de la proposition de résolution par M. Jacques Myard, dont votre Rapporteur partage le constat et les préoccupations.

II - LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR CE SUJET EST RECEVABLE, MAIS PEU APPROPRIÉE

A - La proposition de résolution est recevable

L'article 140 du Règlement dispose que les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doivent « déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ».

L'article de la proposition de résolution vise « la situation de la langue française en Europe et dans le reste du monde » : il peut à ce titre être considéré comme satisfaisant le critère de recevabilité exigeant que les faits visés soient précis.

Par ailleurs, l'article 141 du Règlement dispose qu'en cas de poursuites judiciaires sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Compte tenu du sujet de la proposition, la proposition de résolution n'encourt pas d'irrecevabilité en raison d'une procédure judiciaire en cours.

La proposition de résolution de M. Jacques Myard est donc recevable.

B - Mais la création d'une mission d'information serait préférable

Cependant, la mise en place d'une commission d'enquête sur la place du français en Europe et dans le monde n'apparaît pas comme la procédure la plus adaptée. En effet, compte tenu de l'objectif de la proposition de résolution, il apparaît indispensable que des investigations soient entreprises à l'étranger et qu'un certain nombres de responsables d'organisations internationales et d'instances européennes soient entendus.

Les dispositions de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui limitent à six mois la durée des travaux des commissions d'enquête, et qui prévoient que les personnes entendues prêtent serment devant elles, ne sont pas adaptées au but recherché, ne serait-ce que parce qu'une part importante des investigations doivent être conduites à l'étranger ou auprès d'organisations internationales. Les commissions d'enquête ont en effet davantage pour objet de procéder à des investigations portant sur des services publics nationaux ou des entreprises publiques.

Pour ces raisons, la création d'une Mission d'information sur ce sujet apparaît à la fois plus opérante et plus opportune.

CONCLUSION

Si votre Rapporteur partage les préoccupations formulées par M. Jacques Myard dans sa proposition de résolution et qu'il souhaite que les pouvoirs publics se mobilisent davantage pour défendre le rang de la langue française dans le monde, il estime qu'une mission d'information créée par la Commission des Affaires étrangères serait préférable à la constitution d'une commission d'enquête, dont les règles apparaissent trop contraignantes et inadaptées à la conduite d'investigations au sein d'instances internationales. Pour ces raisons, votre Rapporteur propose de rejeter la proposition de résolution.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné la présente proposition de résolution au cours de sa réunion du mercredi 15 mars 2006.

Après l'exposé du Rapporteur, le Président Edouard Balladur a estimé que la défense de la langue française relevait du mythe de Sisyphe dans la mesure où la puissance économique et l'influence de la France dans le monde ne sont plus ce qu'elles étaient. Pour autant il faut continuer. A cet égard, il a fait part de trois expériences récentes en la matière qui s'étaient avérées décourageantes.

Ainsi, il y a deux ans, le ministère des Affaires étrangères a-t-il diffusé des télégrammes diplomatiques à tous les chefs de poste énonçant la position du gouvernement français qui étaient rédigés en anglais au motif que dans cette négociation, les documents de référence et les discussions étaient en anglais.

De la même manière, alors que la Commission des Affaires étrangères a adopté à l'unanimité, le 11 octobre 2005, une proposition de résolution visant à faire du français la langue juridique de référence de l'Union européenne, le Gouvernement déclare ne pas être en mesure d'y donner suite.

Enfin, dernièrement, la Commission des Affaires étrangères a appris l'adoption par la Commission des Finances d'un amendement au projet de loi sur la recherche visant à autoriser la ratification du protocole de Londres sans aucune consultation de la Commission des Affaires étrangères. Le Gouvernement s'est opposé à l'adoption de cet amendement et son auteur l'a retiré. La ratification du protocole de Londres aurait pour conséquence de rendre applicables en France des brevets déposés en allemand ou en anglais, sans que puisse être exigée une traduction en français.

En définitive, le plus difficile n'est pas d'établir un constat ou d'affirmer l'intérêt de parler français, mais de formuler des propositions concrètes pour que notre langue soit davantage utilisée. Il y a une incohérence à insister sans cesse sur la nécessité de promouvoir notre langue tout en fermant des établissements culturels à l'étranger et en n'augmentant pas les crédits correspondants.

M. Jacques Myard a exprimé son accord avec la constitution d'une mission d'information sur la situation de la langue française dans l'Union européenne et dans le reste du monde car cela manifeste une volonté politique de défense de la langue française. Il faut faire valoir les atouts de la langue française sans restreindre les travaux de la mission aux institutions de l'Union européenne et à l'action culturelle extérieure : la dimension économique ne doit pas être occultée. Trop souvent les entreprises françaises privilégient l'anglais à l'étranger par une sorte de masochisme incompréhensible.

M. François Rochebloine a plaidé pour que les mesures existantes soient appliquées faisant observer que l'anglais et le français étaient langues officielles en vertu de la charte olympique, mais qu'aux derniers Jeux, la France n'avait pas voulu insister en faveur de l'usage du français craignant de s'aliéner le soutien de certains pays à la candidature de la ville de Paris pour les Jeux de 2012. Le résultat est maintenant connu, c'est Londres qui a été retenue.

S'agissant du protocole de Londres, il est grave que les brevets déposés en France en langue anglaise puissent produire des effets juridiques sans être traduits. La Commission des Affaires étrangères doit être saisie du projet de loi qui en autorisera la ratification.

M. Lionnel Luca s'est dit choqué par le fait que les autorités françaises elles-mêmes renonçaient à utiliser le français. Cette sorte de complexe n'est pas acceptable. A cet égard, il serait sans doute utile de regarder ce qui se passe au Canada où l'on utilise une langue dominante tout en préservant la langue française.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution (n° 2679) et a décidé la création d'une mission d'information sur le même sujet.

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La Commission vous demande donc de rejeter, dans les conditions prévues à l'article 140 du Règlement, la présente proposition de résolution.

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N° 2971 - Rapport de M. André Schneider sur la proposition de résolution n 2679 de M. Jacques Myard, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la langue française au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde


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