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AVANT L'ART. PREMIER
N° 295 (2ème rect.)
ASSEMBLÉE NATIONALE
24 septembre 2011

PROTECTION DES CONSOMMATEURS - (n° 3632)

Commission
 
Gouvernement
 

AMENDEMENT N° 295 (2ème rect.)

présenté par

Mme Le Loch, M. Montebourg, M. Gaubert, M. Brottes, Mme Got, Mme Erhel,
M. Grellier, Mme Massat, M. Le Bouillonnec, M. Peiro, M. Marsac, M. Jung,
M. Boisserie, M. Garot, Mme Mazetier, Mme Marcel
et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L'ARTICLE PREMIER, insérer l'article suivant :

I. – Après l’article 2061 du code civil, est inséré un titre XVI bis ainsi rédigé :

« Titre XVI bis.

« De l’action de groupe

« Chapitre I

« Dispositions générales

« Art. 2061-1. – L’action de groupe est celle par laquelle une association saisit un juge pour le compte d’un ensemble de personnes, physiques ou morales, agissant dans un cadre non-professionnel, et ayant subi un préjudice similaire du fait d’un même professionnel. ».

« Art. 2061-2. – L’action de groupe peut être engagée à l’occasion de tout préjudice civil, de nature contractuelle ou délictuelle, en matière de consommation, de santé, d’environnement ou de concurrence. ».

« Art. 2061-3. – L’action de groupe peut être engagée à l’initiative de toute association de consommateurs faisant la preuve de son existence réelle et sérieuse depuis cinq années. ».

« Chapitre II

« De la recevabilité de l’action de groupe

« Art. 2061-4. – La recevabilité de l’action de groupe est soumise à quatre conditions :

« – L’existence du préjudice ;

« – Le lien de causalité entre le préjudice et le fait du professionnel ;

« – Le caractère sérieux et commun des prétentions ;

« – L’impossibilité de mener une procédure conjointe ou une procédure avec mandat.

« Sont irrecevables les actions relatives au contrat de travail ou entre associés d’une même société ou d’un groupe de sociétés. ».

« Art. 2061-5. – Les prétentions des membres du groupe sont communes, identiques, similaires ou connexes entre elles.

« Le juge peut d’office modifier la composition du groupe, au besoin en scindant celui-ci en sous-groupes, pour assurer le respect des conditions de l’alinéa précédent.

« L’association démontre qu’elle est en mesure de représenter et de protéger de façon adéquate les intérêts des membres du groupe. ».

« Art. 2061-6. – Le délai de prescription de l’action de groupe correspond au délai de prescription du type de préjudice subi. Toutefois celle-ci est interrompue pendant la durée de la procédure jusqu’au prononcé du jugement pour ceux qui s’excluraient du groupe en cours de procédure. ».

« Chapitre III

« De l’information et de l’indemnisation de l’action de groupe

« Art. 2061-7. – Le fonds d’aide à l’action de groupe assure la publicité de l’action de groupe et des modalités prescrites par le juge. La publicité intervient au moment où l’action est déclarée recevable, et après jugement au fond ou transaction.

« Tout membre du groupe peut s’exclure de l’action par déclaration individuelle expresse auprès du fonds d’aide à l’action de groupe jusqu’au prononcé du jugement. ».

« Art. 2061-8. – Les personnes concernées par l’action de groupe réclament la liquidation des dommages et intérêts auprès du fonds d’aide à l’action de groupe, qui reverse les sommes à chaque membre du groupe au regard du préjudice subi.

« Le montant des dommages et intérêts non réclamés dans un délai de deux ans suivant le prononcé du jugement au fond est reversé au fonds d’aide à l’action de groupe. ».

« Art. 2061-9. – La transaction relative à l’action de groupe est homologuée par le juge. ».

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les dispositions relatives à la procédure civile nécessaire à la mise en œuvre des dispositions du I. du présent article.

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement a pour objet d’instaurer en France une véritable action de groupe permettant à des victimes ayant subi un même dommage, qu’il soit relatif à la consommation, à la santé, à l’environnement, à la concurrence, qu’il soit d’ordre contractuel ou délictuel, quel que soit le montant du dommage de chacun, de s’unir pour engager une procédure à l’encontre du fautif.

Il est en effet admis que « l’institution du recours collectif apparaît désormais comme la seule façon de garantir l’effectivité des droits des consommateurs dans certains types de litiges. » [Luc Chatel, De la conso méfiance à la conso confiance, Rapport au premier Ministre, 9 juillet 2003, p. 116]

Le Titre Ier du présent projet de loi aborde la question de « la modernisation des relations commerciales ». Il apparaît que l’introduction en droit français d’une action de groupe serait propre à moderniser les relations commerciales, parce qu’elle permettrait de favoriser l’émergence d’une concurrence dans la transparence, en responsabilisant les acteurs économiques qui peuvent développer des comportements prédateurs de leurs concurrents tout en flouant les consommateurs.

Ainsi l’objectif poursuivi est-il de donner accès au droit et à la justice à ceux qui renoncent face aux complications et à la longueur des procédures. C’est aussi le moyen de mettre fin à l’impunité de ceux qui tablent sur le découragement des victimes pour ne pas respecter la loi. Une fois l’action portée par une association représentant les victimes déclarées recevable par le juge judiciaire, tous ceux qui ont subi le même dommage pourront en obtenir réparation, sauf s’ils s’excluent expressément du groupe.

Il s’agit d’installer au cœur du Code civil sans en bouleverser la numérotation, puisqu’il y a un espace vacant depuis l’article 1867 où s’intègrent idéalement les dispositions sur l’action de groupe.

Par ailleurs, les nouveaux articles 2061-1 à 2061-9 délimitent le cadre juridique de cette nouvelle action de groupe, en en donnant la définition (art. 2061-1), en y intégrant les dommages civils, non seulement de la consommation, mais aussi de la santé, de l’environnement et de la concurrence (art. 2061-2), et en permettant à toute association ayant cinq années d’existence réelle et sérieuse de représenter les victimes.

Les nouveaux articles 2061-4 et 2061-5 mettent en place un système de filtre des actions de groupe avec un examen de la recevabilité par le Tribunal de grande instance (art. 2061-4). Celui-ci analyse aussi la convergence des prétentions des membres du groupe et la capacité du représentant à les défendre. Il peut, le cas échéant, scinder le groupe en plusieurs sous-groupes (art. 2061-5).

En matière de procédure, il est prévu que la prescription de l’action de groupe soit alignée sur la prescription de chaque préjudice dont il est demandé réparation. Toutefois elle est interrompue le temps que dure l’action de groupe pour ceux qui s’excluraient du groupe en cours d’action (art. 2061-6).

Les nouveaux articles 2061-7 à 2061-9 organisent l’information et l’indemnisation des victimes membres du groupe qu’elles se soient manifestées ou non au début de l’action de groupe. L’ensemble du dispositif est concentré dans un Fonds d’aide à l’action de groupe qui est en charge de l’exécution de l’information décidée par le juge (art. 2061-7), qui peut centraliser les demandes individuelles et qui doit verser l’indemnisation aux victimes telle qu’elle aura été évaluée par le juge (art. 2061-8). En outre, en cas de transaction en cours de procédure, celle-ci pourra être homologuée dans les conditions de l’article 1441-4 du Nouveau Code de procédure civile (art. 2061-9).

L’ensemble de ce dispositif rejoint parfaitement les préoccupations du député Luc Chatel dans son rapport au Premier Ministre daté de 2003 (précité). Il propose en effet « un véritable recours collectif en définissant les règles propres à empêcher les abus » (p. 118). Refusant les dérives que connaît le système américain, il empêche les demandes abusives « en limitant la qualité des personnes susceptibles d’agir », et « en faisant du juge le « gardien du groupe » », ce que demande la mission Chatel de 2003 (p. 118).

Il rejoint aussi la volonté de M. le député Frédéric Lefebvre exprimée fortement en 2008 lors de la discussion du Projet de loi de modernisation de l’économie (n°802) qui, justifiant un amendement numéro 204 rect., exposait : « L’actualité judiciaire des dernières années illustre pourtant l’urgence de l’introduction de cette nouvelle procédure. Faute de procédure efficace à la disposition des consommateurs, une multitude de textes législatifs et réglementaires prévoyant des sanctions en cas de comportements abusifs ou illicites des professionnels n’ont pas été appliqués. La faible saisine des tribunaux par les victimes est aisément compréhensible dès lors que le coût global d’une action individuelle (coût informationnel, déplacements, honoraires…) dépasse le plus souvent le montant du préjudice subi.

Cette inaction n’a jamais été palliée par les modes de saisine simplifiée mis en place par la loi. En outre, malgré les procédures à disposition des associations de consommateurs, et le caractère symbolique des condamnations obtenues, celles-ci n’ont jamais bénéficié directement aux consommateurs ni incluent l’ensemble des personnes lésées. En effet, la seule possibilité de regroupement des litiges qu’autorise le droit français nécessite que chaque justiciable se joigne volontairement à une action en justice.

Au vu de ces éléments, force est de constater que le principe constitutionnel d’accès à la justice n’est pas respecté. Le présent amendement entend pallier ce vide juridique en créant une véritable action de groupe à la française pour les consommateurs, à la fois efficace mais également suffisamment « encadrée » avec un grand nombre de garde-fous pour nous préserver des dérives à l’américaine que d’aucuns refusent. »

Cet exposé des motifs de M. le député Frédéric Lefebvre rejoint parfaitement les critiques et la volonté exprimées par le présent amendement.

Au-delà des dispositions ici édictées, il appartient en sus au pouvoir réglementaire d’édicter les règles qui garantissent une procédure efficace et sécurisante pour ce nouvel instrument juridique attendu par les consommateurs.