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N
° 3808

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2011.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2012 (n° 3775),

TOME IX

PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN

(Article 30 : Évaluation du prélèvement opéré sur les recettes
de l’État au titre de la participation de la France
au budget au budget de l’Union européenne)

par M. Roland BLUM,

Député

Voir le numéro 3805.

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : LE PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN POUR 2011 9

I – LE PROJET DE BUDGET EUROPÉEN POUR 2012 : UN PROJET QUI S’INSCRIT DANS LE CADRE FINANCIER PLURIANNUEL MAIS FAIT PREUVE D’UNE MAÎTRISE DES DÉPENSES INSUFFISANTE 9

A – LE CADRE FINANCIER ET LA PROCÉDURE D’ADOPTION DU BUDGET EUROPÉEN 9

1. La sixième année de la programmation et ses ajustements 9

2. La mise en œuvre pour la deuxième année de la nouvelle procédure budgétaire 13

B – LE PROJET DE BUDGET DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 16

1. Un projet qui prévoit une progression très élevée des dépenses 16

2. Les modifications proposées résultant de deux lettres rectificatives 20

3. Les recettes appelées à couvrir le besoin de financement 24

II – UNE PHASE DE NÉGOCIATIONS QUI S’ANNONCE DIFFICILE 27

A – LES POSITIONS CONTRASTÉES DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL 27

1. La résolution du Parlement européen en appui aux propositions de la Commission européenne 27

2. Une position du Conseil qui rétablit la nécessaire discipline budgétaire 28

B – DES DIVERGENCES DE VUE PROFONDES QUI PRÉSAGENT BIEN DES OBSTACLES À LA PRÉPARATION DU PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 32

1. Des positions difficilement conciliables 32

2. L’enjeu des perspectives pluriannuelles en toile de fond 36

III – LA CONTRIBUTION FRANÇAISE POURSUIT SON AUGMENTATION COMPTABLE TENDANCIELLE 41

A – UNE CONTRIBUTION FRANÇAISE TOUJOURS EN HAUSSE 41

B – LA FRANCE, GRAND CONTRIBUTEUR ET GRAND BÉNÉFICIAIRE DU BUDGET EUROPÉEN 43

SECONDE PARTIE : L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE À L’ÉPREUVE DE LA CRISE GRECQUE 49

I – LE SAUVETAGE DE LA GRÈCE : UNE ENTREPRISE DIFFICILE QUI AFFECTE LA CRÉDIBILITÉ DE L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE 50

A – LES RAISONS ET LES MODALITÉS D’UN INDISPENSABLE PLAN DE SAUVETAGE EUROPÉEN 51

1. De la révélation de la situation des finances publiques grecques à l’organisation de mécanismes d’intervention 51

2. La création d’un dispositif d’assistance financière comme réponse de grande envergure à l’affolement des marchés 55

3. La nécessité d’apporter des ajustements : la mise sur pied du plan du 21 juillet 2011 organisant un défaut sélectif 56

B – LE PROGRAMME D’AUSTÉRITÉ GREC MIS EN œUVRE AVEC L’ASSISTANCE DE LA TROÏKA 59

1. Un ajustement massif 59

2. Les résultats obtenus 62

3. De nouvelles incertitudes sont apparues début septembre 65

C – UNE ZONE EURO ÉBRANLÉE 68

1. Une exposition modérée des agents économiques à la dette grecque 68

2. Des effets de contamination sur les autres Etats difficiles à contenir 69

II – LA NÉCESSITÉ DE SUBSTITUER AU SPECTACLE DE LA FUITE EN AVANT L’AFFIRMATION D’UNE UNITÉ FORTE 73

A – TORDRE LE COU AUX FAUSSES BONNES IDÉES 74

1. L’hypothèse d’une sortie de l’euro : le scénario catastrophe 74

2. Consolider le dispositif européen de stabilité financière sans affaiblir la portée de la réponse européenne 76

3. Le rôle de la BCE : une gardienne de l’euro 78

4. Les euro-obligations (« eurobonds ») : un outil intéressant, pas un remède miracle 79

B – METTRE EN œUVRE LES DÉCISIONS PRISES EN TROUVANT L’ÉQUILIBRE ADÉQUAT ENTRE AUSTÉRITÉ ET STIMULATION DE LA CROISSANCE 81

1. L’impératif d’efficacité : respect des engagements et communication maîtrisée 81

2. La variable de la croissance 83

3. Le soutien au secteur bancaire : une question de liquidité ou de solvabilité ? 85

C – RENFORCER L’INTÉGRATION EUROPÉENNE : AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE ET CONSTITUTION D’UN GOUVERNEMENT ÉCONOMIQUE 87

1. La mise au point du futur mécanisme de stabilité financière, dispositif pérenne d’aide aux Etats fragilisés 88

2. Une discipline renforcée dans le cadre d’une coordination macroéconomique améliorée 89

3. Une convergence économique plus forte 91

4. Vers un gouvernement économique et une union de transferts ? 94

CONCLUSION 99

EXAMEN EN COMMISSION 101

Mesdames, Messieurs,

Chaque année, la question des engagements budgétaires européens et de la contribution des différents Etats membres alimente des débats nourris et l’analyse du prélèvement sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne, prévu à l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, n’échappera guère à la règle. Ce débat se teinte cependant cette année d’éléments de contexte particuliers.

Il s’agit d’abord de l’engagement des discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel, notamment entre les partisans d’une modération des dépenses et ceux qui souhaitent faire du budget de l’Union européenne un budget de croissance. Ces lignes de fracture sont nettement visibles dans l’élaboration du budget pour 2012, avec des positions qui apparaissent difficilement conciliables.

Il s’agit ensuite bien évidemment de la crise des dettes souveraines et en premier lieu de la crise grecque, qui, outre l’impact budgétaire direct qu’elle peut avoir, génère de nombreuses interrogations sur l’avenir de l’Union économique et monétaire et le degré d’intégration, y compris budgétaire, vers lequel il conviendrait de s’orienter.

Comme chaque année votre Rapporteur a souhaité agrémenter son analyse du prélèvement européen d’un volet thématique et a donc choisi de s’intéresser à la crise que traverse la Grèce et ses répercussions sur l’Union économique et monétaire.

Alors que la crédibilité et la pertinence du modèle européen sont mises en cause, il apparaîtrait étrange de présenter le budget européen et la contribution française en faisant abstraction des énormes montants engagés et des efforts considérables déployés pour restaurer les conditions de la stabilité des finances et des économies européenne.

Il paraît également opportun que la Commission des Affaires étrangères se saisisse du sujet et manifeste l’attachement des parlementaires à être associés aux enjeux majeurs qu’il pose, en amont de l’examen des modifications au Traité qui résulteront des réformes en cours. Car ne nous y trompons pas, l’intégration européenne est à un tournant de son histoire et il faut souhaiter qu’elle parvienne à le prendre.

PREMIÈRE PARTIE : LE PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN POUR 2011

Le financement du budget de l’Union européenne est assuré par des ressources propres provenant des ressources propres dites traditionnelles (RPT) que sont les droits de douanes et les cotisations sur le sucre et l’isoglucose, collectées par les Etats pour le compte de l’Union européenne, ainsi que des ressources assises sur une assiette harmonisée de taxe sur la valeur ajoutée et sur le revenu national brut (RNB) de chaque Etat membre. Les Etats membres financent en outre les rabais dont bénéficient le Royaume Uni, les Pays-Bas et la Suède. Les recettes ainsi dégagées permettent de financer un budget européen enserré dans un cadre financier pluriannuel, et fixé, par le Conseil et le Parlement européen sur proposition de la Commission, selon une procédure budgétaire rénovée par le Traité de Lisbonne, qui s’applique pour la deuxième année.

Comme l’an passé la proposition de la Commission suscite d’intenses débats pour concilier les engagements de l’Union européenne et la modération des dépenses. L’article 30 du projet de loi de finances fixant le montant du prélèvement au profit de l’Union européenne ne se fonde d’ailleurs pas sur cette proposition mais sur la position du Conseil, plus modérée.

Le total des ressources propres que la France devrait mettre à disposition du budget européen en 2012 est estimé, ressources propres traditionnelles comprises et nettes des frais de perception, à 20,6 milliards d’euros, soit 16,4 % du total du budget communautaire. Hors ressources propres directement versées à l’Union, le prélèvement européen figurant à l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012 est évalué à 18,9 milliards d’euros (1).

I – LE PROJET DE BUDGET EUROPÉEN POUR 2012 : UN PROJET QUI S’INSCRIT DANS LE CADRE FINANCIER PLURIANNUEL MAIS FAIT PREUVE D’UNE MAÎTRISE DES DÉPENSES INSUFFISANTE

A – Le cadre financier et la procédure d’adoption du budget européen

1. La sixième année de la programmation et ses ajustements

Pour la sixième année, les recettes assurant le financement du budget de l’Union européenne, parmi lesquelles le prélèvement sur les recettes de l’Etat français prévu à l’article 30 du présent projet de loi de finances pour 2012, serviront à financer des dépenses dont le montant est plafonné par les perspectives financières 2007-2013. Ce cadrage résulte de l’accord interinstitutionnel entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen du 17 mai 2006, révisé par la décision du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 faisant suite à l’adoption du plan européen pour la relance économique.

PERSPECTIVES FINANCIÈRES 2007-2013

(crédits d’engagement, en millions d’euros de 2004)

Rubriques

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Total

1. Croissance durable

51 627

52 415

53 616

54 294

55 368

56 876

58 303

382 139

1a. Compétitivité pour la croissance et l’emploi

8 404

9 097

9 754

10 434

11 295

12 153

12 961

74 098

1b. Cohésion pour la croissance et l’emploi

42 863

43 318

43 862

43 860

44 073

44 723

45 342

308 041

2. Conservation et gestion des ressources naturelles

54 895

54 322

53 666

53 035

52 400

51 775

51 161

371 344

dont dépenses de marché et paiements directs

43 120

42 697

42 279

41 864

41 453

41 047

40 645

293 105

3. Citoyenneté, liberté, sécurité et justice

1 199

1 258

1 380

1 503

1 645

1 797

1 988

10 770

3a. Liberté, sécurité et justice

600

690

790

910

1 050

1 200

1 390

6 630

3b. Citoyenneté

599

568

590

593

595

597

598

4 140

4. L’Union européenne, acteur mondial

6 199

6 469

6 739

7 009

7 339

7 679

8 029

49 463

5. Administration (*)

6 633

6 818

6 973

7 111

7 255

7 400

7 610

49 800

6. Compensations

419

191

190

800

Total des crédits pour engagement

120 702

121 473

122 564

122 952

124 007

125 527

127 091

864 316

en  % du RNB communautaire

1,1 %

1,08 %

1,07 %

1,04 %

1,03 %

1,02 %

1,01 %

1,048 %

Total des crédits pour paiement

116 650

119 620

111 990

118 280

115 860

119 410

118 970

820 780

en % du RNB communautaire

1,06 %

1,06 %

0,97 %

1 %

0,96 %

0,97 %

0,94 %

1 %

Marge pour imprévus

0,18 %

0,18 %

0,27 %

0,24 %

0,28 %

0,27 %

0,3 %

0,24 %

Plafond des ressources propres

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,24 %

(*) S’agissant des dépenses de pensions, les montants pris en compte sous le plafond de cette rubrique sont calculés nets des contributions du personnel au régime correspondant, dans la limite de 500 millions d’euros aux prix de 2004 pour la période 2007-2013.

Source : accord interinstitutionnel du 17 mai 2006, paru au Journal officiel de l’Union européenne le 14 juin 2006.

L’accord interinstitutionnel de 2006 prévoit des modalités d’ajustement technique du cadre financier. En particulier, pour tenir compte de l’inflation, la Commission procède chaque année à un réajustement technique des plafonds du cadre en leur appliquant un coefficient de 2 %. L’ajustement technique pour 2012 est intervenu le 15 avril 2011 (COM(2011)199). En outre, votre Rapporteur rappelle que le cadre financier pluriannuel a déjà été révisé les années précédentes, et notamment : en 2008 pour financer le programme de navigation par satellite Galileo ainsi qu’une « facilité de réponse rapide à la flambée des prix alimentaires dans les pays en développement », et à deux reprises en 2009 pour financer le plan de relance européen. C’est encore le cas cette année avec la proposition concernant la révision du cadre financier pour ITER, présentée par la Commission européenne le 20 avril 2011 (COM(2011)223). La Commission y propose de redéployer des montants de 100 millions d’euros en 2012 et de 360 millions d’euros en 2013, à prélever sur le septième programme-cadre de recherche et d'abaisser, pour l'exercice 2011, le plafond de la rubrique 2 « Conservation et gestion des ressources naturelles « d'un montant de 650 millions d’euros et le plafond de la rubrique 5 « Administration » de 190 millions d’euros pour relever les plafonds de dépenses de la rubrique 1a « Compétitivité pour la croissance et l’emploi » de 650 millions d’euros pour 2012 et de 190 millions d’euros pour 2013. La révision ne modifie pas les plafonds globaux des crédits d'engagement et de paiement sur la période 2007-2013, exprimés en prix courants.

Hors cadre pluriannuel, quatre instruments financiers, prévus par l’accord interinstitutionnel, peuvent être mobilisés en cas d’urgence ou pour faire face à des imprévus budgétaires. Ces instruments ont pour but de permettre une réaction rapide à des événements exceptionnels ou imprévus et d'introduire, dans certaines limites, une certaine flexibilité au delà des plafonds de dépenses convenus :

− la réserve d'aide d'urgence, qui peut être mobilisée jusqu'à un montant maximal de 221 millions d'euros par an à prix 2004 ou de 258,9 millions d'euros en 2012 à prix courants (1 744 millions d'euros à prix courants pour l'ensemble de la période considérée) ;

− le Fonds de solidarité de l'UE, dont le montant annuel maximal à prix courants s'établit à 1 milliard d'euros ;

− l'instrument de flexibilité, dont le montant annuel maximal à prix courants s'établit à 200 millions d'euros, à quoi il faut ajouter la partie des montants annuels non utilisée correspondant aux exercices 2010-2011, qui peut être reportée à l’exercice 2012 ;

− le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) jusqu'à un montant maximal de 500 millions d'euros par an à prix courants, mobilisable en utilisant la marge existant sous le plafond global des crédits d'engagement de l'exercice précédent et/ou des engagements annulés lors des deux exercices précédents.

Ce cadrage global en dépenses représente 865 milliards d’euros (en euros constants 2004) de crédits d’engagement sur la période 2007-2013, soit 1,049 % du revenu « national » brut (RNB) de l’Union européenne.

CADRE FINANCIER AJUSTÉ 2007-2013

(crédits d’engagement, en millions d’euros – aux prix courants)

 

Rubriques

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Total

1. Croissance durable

53 979

57 653

61 696

63 555

63 974

67 614

70 147

438 618

1a. Compétitivité pour la croissance et l’emploi

8 918

10 386

13 269

14 167

12 987

14 853

15 623

90 203

1b. Cohésion pour la croissance et l’emploi

45 061

47 267

48 427

49 388

50 987

52 761

54 524

348 415

2. Conservation et gestion des ressources naturelles

55 143

59 193

56 333

59 955

59 688

60 810

61 289

412 421

dont dépenses de marché et paiements directs

45 759

46 217

46 679

47 146

47 617

48 093

48 574

330 085

3. Citoyenneté, liberté, sécurité et justice

1 273

1 362

1 518

1 693

1 889

2 105

2 376

12 216

3a. Liberté, sécurité et justice

637

747

867

1 025

1 206

1 406

1 661

7 549

3b. Citoyenneté

636

615

651

668

683

699

715

4 667

4. L’Union européenne, acteur mondial

6 578

7 002

7 440

7 893

8 430

8 997

9 595

55 935

5. Administration (*)

7 039

7 380

7 525

7 882

8 144

8 670

9 095

55 725

6. Compensations

445

207

210

-

-

-

-

862

Total des crédits pour engagement

124 457

132 797

134 722

140 978

142 125

148 196

152 502

975 777

en  % du RNB communautaire

1,02 %

1,08 %

1,16 %

1,18 %

1,15 %

1,13 %

1,12 %

1,12 %

Total des crédits pour paiement

122 190

129 681

120 445

134 289

133 440

141 360

144 171

925 576

en % du RNB communautaire

1,00 %

1,05 %

1,04 %

1,12 %

1,08 %

1,08 %

1,06 %

1,06 %

Marge pour imprévus

0,24 %

0,19 %

0,20 %

0,11 %

0,15 %

0,15 %

0,17 %

0,17 %

Plafond des ressources propres

1,24 %

1,24 %

1,24 %

1,23 %

1,23 %

1,23 %

1,23 %

1,23 %

(*) S’agissant des dépenses de pensions, les montants pris en compte sous le plafond de cette rubrique sont calculés nets des contributions du personnel au régime correspondant, dans la limite de 500 millions d’euros aux prix de 2004 pour la période 2007-2013.

Source : accord interinstitutionnel du 17 mai 2006, paru au Journal officiel de l’Union européenne le 14 juin 2006.

 

Pour cet exercice 2012, le plafond global des crédits d’engagement s’établit à 148,2 milliards d’euros, c'est-à-dire 1,13 % du revenu national brut (RNB) de l’Union, et celui des crédits de paiement à 141,4 milliards d’euros, c'est-à-dire 1,08 % du RNB de l’Union. Ces plafonds sont en hausse par rapport à ceux fixés pour 2011 de 4,2 % en engagements et 5,9 % en paiements.

Votre Rapporteur souhaite en outre rappeler deux éléments hérités de l’année 2010 qui pèsent encore sur le budget de l’année 2012 :

– le mécanisme de soutien financier des balances des paiements destiné aux pays de l’UE non membres de la zone euro, qui prévoit l’octroi de prêts à ces États. La Commission emprunte sur le marché des capitaux au nom de l’Union puis met à disposition les fonds, aux conditions d’emprunt, à l’État concerné, qui doit à terme rembourser la Commission. Ce soutien est généralement octroyé conjointement avec une intervention du Fonds monétaire international. Les difficultés économiques actuelles ont rendu nécessaires l’utilisation de ce mécanisme de soutien et le relèvement de ses possibilités d’assistance financière. Initialement plafonné à 12 milliards d’euros, l’encours des prêts pouvant être accordés aux États membres a été porté à 25 milliards d’euros lors du Conseil européen de décembre 2008, puis à 50 milliards d’euros lors du Conseil européen de mars 2009. Deux pays bénéficient encore en 2011 de ce mécanisme : la Hongrie, pour un montant maximal de 6,5 milliards d’euros mobilisable jusqu’à novembre 2010, la Lettonie pour un montant maximal de 3,1 milliards d’euros mobilisable jusqu’à janvier 2012, et la Roumanie pour un montant maximal de 5 milliards d’euros mobilisable jusqu’à mai 2012 ;

– le mécanisme européen de stabilisation financière(2), qui comprend un volet communautaire, mis en place par un règlement du 11 mai 2010, qui permet à l’Union européenne de mobiliser jusqu’à 60 milliards d’euros pour venir en aide à un État qui connaît de graves perturbations économiques ou financières ou une menace sérieuse de telles perturbations, en raison d’événements exceptionnels échappant à son contrôle. L’assistance financière de l’Union européenne consiste en des prêts accordés à l’État en difficulté et financés par des emprunts que la Commission contracte sur les marchés de capitaux ou auprès d’institutions financières. Le mécanisme est activé dans le cadre d’une mesure de soutien commune Union européenne / Fonds monétaire international.

2. La mise en œuvre pour la deuxième année de la nouvelle procédure budgétaire

Parmi les avancées institutionnelles contenues dans le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, figure une révision des dispositions financières de l’Union européenne, aussi bien en ce qui concerne les recettes que les dépenses.

S’agissant de « l’équilibre du pouvoir budgétaire » entre le Conseil et le Parlement, le Traité de Lisbonne a introduit trois innovations majeures :

– la suppression de la distinction entre dépenses obligatoires, sur lesquelles le Conseil avait le dernier mot, et non obligatoires, sur lesquelles le Parlement européen avait le dernier mot ;

– la suppression du principe de deux lectures du projet de budget par le Parlement et le Conseil au profit d’une seule lecture par chacune des institutions ;

– l’introduction d’un comité de conciliation, chargé en cas de désaccord entre le Conseil et le Parlement de mettre au point un projet commun.

Le schéma de la procédure est donc désormais le suivant :

LA PROCÉDURE BUDGÉTAIRE ANNUELLE DANS LE CADRE DU TRAITÉ DE LISBONNE

Source : annexe « jaune » au projet de loi de finances pour 2012

Conseil et Parlement n’apparaissent ainsi pas sur un pied d’égalité, le Parlement étant en mesure d’imposer son point de vue au Conseil si ce dernier ne suit pas l’accord obtenu par ses représentants au sein du comité de conciliation. Si le Conseil approuve le projet commun mais que le Parlement le rejette, une nouvelle procédure doit en revanche être entamée sur la base d’un nouveau projet de la Commission.

Une nouvelle procédure s’engage également dans les hypothèses où Conseil et Parlement rejettent le projet ou si l’un des deux rejette le projet commun tandis que l’autre ne statue pas. Le projet commun est par ailleurs réputé adopté si les deux institutions ne parviennent pas à statuer, ou si l’une des deux ne parvient pas à statuer tandis que l’autre approuve le projet commun. En cas de conflit persistant conduisant à l’absence de budget voté en début d’exercice, les premiers mois de l’exercice budgétaire sont assurés par le système des « douzièmes provisoires ».

Le budget 2011 fut le premier à être adopté selon ces nouvelles modalités. L'avant-projet de budget de la Commission européenne prévoyait 142,56 milliards d'euros d'engagements (1,13 % du Revenu national brut de l'UE) et 130,13 milliards d'euros de paiements (1,06 % du Revenu national brut de l'UE). Cela représente une augmentation de 2,2 % des engagements et 5,9 % des paiements par rapports à 2010. Le cadre financier pluriannuel 2007-2013 envisageait, quant à lui, 142,97 milliards d'euros d'engagements et 134,3 milliards d'euros de paiements.

En août, le Conseil de l'UE s'est prononcé pour 141,77 milliards d'euros d'engagements et 126,53 milliards d'euros de paiements, soit 3,5 milliards de moins que la proposition de la Commission. Sept Etats membres (Royaume-Uni, Suède, Pays-Bas, Finlande, Danemark, République tchèque et Autriche) ont voté contre cette proposition, estimant qu'elle n'allait pas assez loin : ils demandaient de geler le budget au niveau de 2010.

Le Parlement européen a voté un budget de 143,07 milliards en dépenses d'engagement et 130,56 milliards d'euros en dépenses de paiement. Il s'alignait ainsi sur ce que la Commission européenne avait proposé, déjà en dessous des prévisions du cadre financier pluriannuel décidé en 2007. Dans le cadre des négociations avec le Conseil, le Parlement accepta une limitation de la progression du budget à 2,9 %, sous réserve d’une garantie de flexibilité en vue de faire face à de nouvelles priorités ou aux urgences à venir ainsi que son implication dans les discussions sur le futur cadre financier pluriannuel (CFP) et les ressources propres. Le 15 novembre, une minorité d’Etats refusait de poursuivre les négociations. C’est finalement sur le compromis proposé par le Parlement européen que l’accord fut trouvé.

Le budget 2011 prévoit finalement 141,8 milliards d'euros d'engagements et 126,5 milliards de dépenses pour 2011, sous réserve des amendements tenant compte des nécessités du moment. Les Etats membres qui assurent la présidence tournante du Conseil de l'UE au cours des années 2011 et 2012 se sont engagés à impliquer le Parlement dans la préparation du prochain Cadre financier pluriannuel, négocié en même temps que les éventuelles ressources propres européennes.

La crise institutionnelle de l’an passé a laissé des traces. Si les Etats ont obtenu une progression du budget contenue, la position du Parlement européen, outre qu’elle lui a permis d’être associé à la définition des perspectives pluriannuelles, a eu le mérite de mettre en exergue l’impasse dans laquelle se trouve l’Union pour financer le budget européen. Les budgets nationaux ne sont pas en mesure d’augmenter leur contribution alors que le rôle de l’Union européenne dans la croissance et le financement des politiques d’avenir est essentiel en période de crise.

La négociation du budget 2012 s’avère à n’en pas douter un moment décisif. Les positions de part et d’autres se sont aiguisées alors que s’engagent au même moment les discussions sur la très récente proposition de la Commission européenne sur le nouveau cadre financier pluriannuel pour les années 2014-2020. Pour la Commission et le Parlement européen, la contraction budgétaire dans les Etats membres doit s’accompagner d’instruments de relance que sont notamment les actions financées par le budget de l’Union européenne. Pour les Etats membres, l’augmentation du budget européen est contradictoire avec les politiques de rigueur qu’ils déploient au niveau national.

Malgré le faible poids du budget européen (environ 1 % du RNB européen), il semble à votre Rapporteur qu’il n’est pas envisageable de lui accorder des marges nouvelles quand tous les pays fournissent des efforts, et pour certains d’entre eux dans d’énormes proportions. Mais le rôle de certains instruments communautaires est essentiel. C’est pourquoi, le budget doit réaliser la prouesse bien difficile de concilier les points de vue au moyen d’une allocation optimale des crédits dans une progression contenue.

B – Le projet de budget de la Commission européenne

1. Un projet qui prévoit une progression très élevée des dépenses

Malgré le contexte d'austérité budgétaire, la Commission a présenté une proposition de budget le 20 avril 2011 prévoyant une augmentation de 4,9 % par rapport à 2011, portant les prévisions de dépenses de l'UE a 132,7 milliards d'euros en crédits de paiements et 147,4 milliards d’euros en crédits d’engagement (+3,7 %). Or fin 2010, les Etats membres avaient exigé, et finalement obtenu, une augmentation limitée à 2,91%.

Le projet de budget 2012 par rubrique

Rubriques

Milliards d’euros

Par rapport à 2011 en %

Marge en millions d’euros

 

CE

CP

CE

CP

CE

1. Croissance durable

68,0

57,7

+5,4

+8,3

151,5

1a. Compétitivité pour la croissance et l'emploi

15,2

12,6

+12,6

+8,1

129,4

1b. Cohésion pour la croissance et l'emploi

52,8

45,1

+3,4

+8,4

22,1

2. Préservation et gestion des ressources naturelles

60,2

57,9

+2,6

+2,8

651,6

dont Aides directes & dépenses de marché

44,2

44,1

+3,0

+3,1

 

dont Développement rural, environnement et pêche

15,9

13,8

+1,5

+1,9

 

3. Citoyenneté, liberté, sécurité et justice

2,0

1,5

(*) +11,0

(*) +3,6

81,1

3a. Liberté, sécurité et justice

1,3

0,9

+17,7

+6,8

65,6

3b. Citoyenneté

0,7

0,6

(*) -0,1

(*) -0,3

15,5

4. L'UE en tant qu'acteur mondial

9,0

7,3

+2,9

+0,8

246,7

5. Administration

8,3

8,3

+1,3

+1,4

472,6

dont pour la Commission

3,3

3,3

0,0

0,0

 

(*) à l'exclusion du Fonds européen de Solidarité

Le budget 2011 comprend le budget rectificatif n° 1 et les projets de budgets rectificatifs nos 2 et 3.

La marge pour la rubrique 1a ne prend pas en compte les crédits liés au Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (500 millions d'euros). La marge pour la rubrique 4 ne prend pas en compte les crédits liés à la réserve d'aide d'urgence (258,9 millions d'euros). Le calcul de la marge sous le plafond de la rubrique 5 prend en considération la note n° 1 figurant au bas du cadre financier 2007-2013, avec un montant de 84 millions d'euros pour les contributions du personnel au régime de pensions.

Source : Commission européenne

Pourtant, la Commission n’est pas restée sourde aux appels à l’austérité. La Commission s’est efforcée d’identifier des programmes ou des initiatives qui manquent d'efficacité. Par exemple, dans le projet de budget, l'enveloppe de l'instrument de coopération au développement a été réduite de 70,7 millions d'euros en raison d'une baisse du niveau d'absorption des fonds, l'instrument pour les pays industrialisés de 14,5 millions d’euros à cause du niveau élevé de dégagements en 2007 et du retard dans l'adoption de la nouvelle base légale et le financement de Galileo de 24,9 millions d’euros en crédits d'engagement. Les dépenses administratives sont également gelées.

Mais la Commission considère qu’elle doit honorer ses engagements juridiques tenant aux programmes initiés en début de période et financés par l’Union européenne, qui se traduisent par des remboursements plus importants en 2012. Elle rappelle également que le budget européen est essentiellement un budget d'action économique, préparant l'avenir et soutenant les revenus, donc la relance, puisqu'il ne contient que 6 % de dépenses administratives. Cela se traduit par la hausse substantielle des crédits de paiement. En particulier, des paiements accrus destinés aux programmes de recherche (+ 13,3 %, ce qui porte le total à 7,6 milliards d’euros), ainsi qu'aux Fonds structurels et au Fonds de cohésion (+ 8,4 %, portant le montant à 45,1 milliards d’euros) visent à optimiser la contribution du budget de l'UE en faveur de la croissance économique et de la cohésion et à épurer les engagements restant à liquider.

Plus précisément, la répartition des crédits d’engagement fait nettement apparaître les priorités de la Commission :

– concernant la Rubrique 1 « Croissance durable », le projet de budget prévoit en 2012 quelque 57,7 milliards d’euros, tandis que 62,6 milliards d'euros environ sont consacrés aux priorités de la stratégie Europe 2020, ce qui représente une hausse de 5,1 % par rapport à l'année précédente. Les crédits d’engagement pour la rubrique 1a « Compétitivité » marquent une forte hausse, de 12,6 % par rapport à 2011. Les crédits consacrés aux dépenses de recherche et développement, représentant 66,5 % de la rubrique, augmentent de 17,6 %, incluant notamment 750 millions d’euros en faveur du projet ITER dont 650 millions d’euros de crédits nouveaux. Les crédits consacrés aux réseaux de transport et d’énergie augmentent de 10,5 % et ceux consacrés à l’éducation et à la formation de 7,8 %. Le financement de Galiléo est en revanche diminué de 24,9 millions d’euros (et 124 millions d’euros en crédits de paiement). Dans le cadre des initiatives d'Europe 2020, les actions pour la jeunesse atteignent un montant de 1,9 milliard d'euros, soit 15,0 % de plus qu'en 2011. Les crédits d’engagement pour la rubrique 1b « Cohésion », augmentent de 3,4 % passant à 52,74 milliards d’euros, masquant une stabilisation pour les fonds structurels et une hausse de 6,4 % pour le Fonds de cohésion, liés à l’augmentation des dotations annuelles des Etats membres entrés dans l’Union depuis 2004 ;

– concernant la Rubrique 2 « Conservation et gestion des ressources naturelles », la Commission propose 60,16 milliards d’euros de crédits d’engagement, dont 44,8 milliards pour la PAC, en hausse de 2,6 %. Les moyens en faveur du secteur de la pêche sont en hausse de 3,1 %, quelques 121 millions de crédits étant placés en réserve. Les activités se rapportant au changement climatique occupent une place importante. Une hausse de 6,1 % est prévue en 2012, portant le total à 8,1 milliards d'euros ;

– le projet du budget 2012 prévoit une augmentation de 6,8 % dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice (rubrique 3), qui masque des évolutions très contrastes, avec une hausse de 17,7% des engagements sur la ligne « liberté, sécurité et justice », essentiellement en faveur de la gestion des flux migratoires, alors que les crédits de la ligne « Citoyenneté » baissent de 0,1 % malgré des augmentations ciblées, par exemple en direction de la jeunesse ;

– la rubrique 4 « L’Union européenne acteur mondial » bénéficie de 9 milliards d’euros, soit une augmentation de 2,9 %, avec des baisses pour l’instrument de pré-adhésion, l’instrument de stabilité et l’instrument de coopération au développement. La lettre rectificative n°2 présentée ci-après modifie cette rubrique ;

– concernant les dépenses de la rubrique 5 « Administration », d’un montant de 8,28 milliards d’euros, la Commission a fournit un effort particulier, au moyen d’une réduction forte des dépenses liées aux immeubles, aux technologies de l'information et de la communication, ainsi qu'aux études, publications, missions, conférences et réunions. En outre, pour la troisième année consécutive, la Commission ne demande pas de nouveaux postes. Les autres institutions ont également limité la hausse des dépenses avec une baisse de 4,4% du budget proposé par le Conseil et le Conseil européen, une hausse limitée de 2,3% pour le Parlement européen. Toutefois, les crédits de la Cour de justice de l’Union européenne augmentent de 3,7 % et, surtout, le projet de budget du nouveau Service européen d’action extérieure (SEAE) augmente de 5,8 % (27 millions d’euros).

PROJET DE BUDGET 2012 EN ENGAGEMENTS

PROJET DE BUDGET 2012 EN PAIEMENTS

Source : Commission européenne

2. Les modifications proposées résultant de deux lettres rectificatives

Deux éléments ayant des incidences financières notables ont conduit la Commission européenne a présenté des lettres rectificatives.

Le premier est le nouvel élan donné à la politique européenne de voisinage (PEV).

La communication conjointe sur « Une stratégie nouvelle à l'égard d'un voisinage en mutation » expose les propositions ressortant de la révision stratégique de la PEV et, dans ce contexte, elle concrétise les approches retenues à l'égard des pays partenaires d'Europe de l'Est et du Caucase du Sud, dans le cadre de la poursuite de la mise en oeuvre du partenariat oriental, ainsi qu'avec le sud de la Méditerranée dans le cadre du nouveau « Partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée » (COM(2011)200). L'Union européenne entend en effet soutenir les transitions démocratiques avec une nouvelle approche de la politique de voisinage, fondée notamment sur la conditionnalité. Les besoins de la région en ressources supplémentaires ont été évalués à 1,242 milliard d’euros jusqu'en 2013. La Commission a proposé de renforcer de 751 millions d’euros l'enveloppe financière de l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) jusqu’alors doté de 5,7 milliards d’euros sur la période 2011-2013, et de 4,5 millions d’euros celle de l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (IEDDH) en 2012. Le premier permet de mettre en œuvre le programme de renforcement des institutions, d’édification d’un partenariat avec les populations et de soutien à la croissance. Le second apporte un soutien financier direct aux acteurs de la société civile. Un montant d'environ 355,5 millions d’euros doit être redéployé à partir d'autres instruments, y compris des dépenses d'appui administratif correspondantes.

En conséquence, la lettre rectificative n°1 en date du 16 juin 2011 (COM(2011) 372 final) propose de décliner pour 2012 ces mesures, en ouvrant 395,5 millions d'euros de crédits d’engagements en faveur de l’IEVP et 4,5 millions d’euros en faveur de l’IEDDH. Ces ouvertures seront couvertes par la marge de la rubrique 4 (246,7 millions d’euros) et par la mobilisation de l'instrument de flexibilité (153,3 millions d’euros). Une partie de la marge actuelle dans le projet de budget 2012 a été constituée grâce à la réduction des montants initialement programmés pour 2012 en faveur de l'instrument de coopération au développement (89 millions d’euros), de l'instrument d'aide de pré-adhésion (60 millions d’euros) et de l'instrument de stabilité (60 millions d’euros). Les crédits de paiement nécessaires seront également réaffectés à partir de ces programmes. Les réaffectations proposées n'impliquent pas de réduction de l'aide publique au développement : les crédits resteront essentiellement concentrés sur les objectifs primordiaux et prédominants de l’Instrument de coopération au développement.

Il convient de souligner que, outre le renforcement des crédits de l'IEVP et de l'IEDDH, d’autres ressources seront mobilisées pour la région : des instruments thématiques dans le cadre des montants déjà budgétisés, un recours à l'instrument de stabilité (40 millions d’euros), un provisionnement du Fonds de garantie des prêts (90 millions d’euros) pour lever des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) d'un milliard d'euros supplémentaire, instrument d'assistance macrofinancière (100 millions d’euros) et l’affectation du reliquat d'anciennes opérations à des investissements en capital dans les PME (244 millions d’euros).

L’autre élément qui a nécessité une lettre rectificative est la clôture des négociations d’adhésion avec la Croatie, impliquant d’intégrer dans le budget 2012 les conséquences financières de l’élargissement.

La lettre rectificative n°2 en date du 16 septembre 2011 (COM(2011) 576 final) porte sur les besoins les plus urgents auxquels il convient de répondre avant l'adhésion, quand les besoins devront être couverts à partir du projet de budget 2013. La lettre retrace les crédits demandés par le Parlement européen, le Conseil européen et le Conseil, la Commission, le Comité économique et social européen, le Comité des régions et le Médiateur européen qui totalisent 13,1 millions d’euros. Ils couvriront :

– les dépenses en effectifs supplémentaires qui effectueront des travaux préparatoires dans le domaine linguistique et juridique se rapportant à l’élargissement à la Croatie ;

– des dépenses relatives aux missions des observateurs croates auprès du Parlement européen et du Comité des régions ;

– le financement d’activités de communication ;

– l’achat de matériel et des dépenses de fonctionnement supplémentaires liés au recrutement de nouveaux effectifs.

Au total, 78 nouveaux emplois relevant du tableau des effectifs sont demandés par le Parlement européen, la Commission, le Comité économique et social européen, le Comité des régions et le Médiateur européen. Toutefois, les crédits correspondants ne sont demandés que pour 14 emplois, étant donné que ni le Parlement (62 emplois nouveaux) ni le Médiateur (2 emplois nouveaux) ne demandent de crédits pour les emplois nouveaux correspondants. Par ailleurs, des crédits pour 117 autres agents (agents contractuels et experts nationaux détachés) sont demandés jusqu’à l'adhésion à part entière de la Croatie, au 1er juillet 2013.

Le tableau suivant, annexé à la lettre rectificative n°2, retrace les modifications apportées par les deux lettres rectificatives au projet de budget pour 2012 présenté par la Commission.

3. Les recettes appelées à couvrir le besoin de financement

L’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pose le principe du financement du budget par des ressources propres. Une nouvelle décision ressources propres, se substituant à celle du 29 septembre 2000, a été adoptée le 7 juin 2007 et est entrée en vigueur le 1er mars 2009 après ratification par les 27 États membres. Cette nouvelle décision pérennise le système des ressources propres actuelles tout en entraînant des modifications importantes, notamment en remettant progressivement en cause le chèque britannique.

Il convient de rappeler qu’à la suite d’une dénonciation généralisée de cet avantage en 2005, le Royaume-Uni a accepté un aménagement modeste du rabais dont il bénéficie. Ainsi, en décembre 2005, les modalités de calcul de la compensation britannique ont été révisées afin de prendre en compte la nécessité pour le Royaume-Uni d’apporter sa juste part au financement de l’élargissement dont il est l’un des plus fervents promoteurs. Le principe a été posé d’une exclusion de l’assiette de calcul du rabais britannique des dépenses d’élargissement, à l’exception de la politique agricole commune de marché et du développement rural. Dans le calcul de la correction britannique, le montant total des dépenses réparties sur le sol de l’UE est réduit des dépenses réparties dans les États membres ayant adhéré à l’UE après le 30 avril 2004, à l’exception des paiements agricoles directs, des dépenses de marché et d’une partie des dépenses de développement rural. L’effort britannique sur la période 2007-2013 est progressif : à partir de 2009 (soit pour le chèque versé en 2009 au titre des dépenses réparties constatées en 2008), 20 % des dépenses relatives à l’élargissement seront exclues du calcul du chèque, puis 70 % en 2010 et 100 % à partir de 2011. En contrepartie de cet effort, la contribution supplémentaire du Royaume-Uni est plafonnée à 10,5 milliards d’euros sur la période 2007-2013.

La nouvelle décision ressources propres prévoit par ailleurs la stabilisation pour l’ensemble des États membres du taux d’appel de la TVA à 0,30 %, contre un taux variable compris entre un plafond de 0,5 % et un taux gelé lié au calcul de la correction britannique. Toutefois quatre États membres, contributeurs nets au budget communautaire, bénéficient d’une réduction de ce taux d’appel pour la période 2007-2013 : l’Allemagne bénéficie d’un taux réduit de 0,15 %, l’Autriche de 0,225 % et les Pays-Bas et la Suède de 0,1 %. Ce manque à gagner  est compensé par la ressource RNB, ce qui implique pour la France un coût supplémentaire (440 millions d’euros en 2011). En outre, deux nouveaux rabais sont instaurés au profit des Pays-Bas et de la Suède pour la période 2007-2013. A la différence du rabais britannique, ces deux pays participent au financement de leur propre chèque, ce qui réduit le montant net du chèque qui leur est effectivement versé.

Les nouvelles règles de calcul de la recette TVA ont réduit le montant de cette recette pour le budget de l’Union, ce qui augmentera le besoin d’ajustement par la recette RNB.

Les ressources propres dites traditionnelles ne représenteraient plus que 15 % du total des ressources versées à l’UE. La ressource TVA, qui représente 11 % du total des ressources, est une contribution détachée des flux physiques alors que la ressource RNB, dite ressource d’équilibre, calculée au prorata du PNB des États membres, représente 72 % des ressources de l’Union.

Évolution des recettes du budget communautaire 1994-2012 (en milliards d’euros)

* 2011 et 2012 : prévisions

Source : Commission européenne, budget de l’UE 2009, rapport financier ; Budgets rectificatifs n°8/2010 et n° 5/2011 ; position du Conseil sur le projet de budget pour 2012.

Le montant prévisionnel de la correction en faveur du Royaume-Uni est estimé en 2012 à 3,8 milliards d’euros. Pour l’exercice 2012, le Royaume-Uni, comme les années précédentes, sera le quatrième contributeur brut au budget de l’Union, selon les estimations fournies par le projet de budget. Les deux premiers contributeurs bruts demeurent l’Allemagne et la France. Sur les 21,4 milliards d’euros de contribution française, 1 milliard d’euros sont imputables au « rabais britannique ». Si le « chèque britannique » était supprimé aujourd’hui, le Royaume-Uni serait le troisième contributeur du budget.

PARTS RESPECTIVES DES PRINCIPAUX CONTRIBUTEURS DANS LE TOTAL DES CONTRIBUTIONS NATIONALES

Budget 2011

Projet de budget 2012

1. Allemagne

19,80 %

1. Allemagne

19,80 %

2. France

16,32 %

2. France

17,64 %

3. Italie

12,93 %

3. Italie

13,14 %

4. Royaume-Uni

12,13 %

4. Royaume-Uni

10,99 %

5. Espagne

8,93 %

5. Espagne

9,17 %

6. Pays-Bas

4,89 %

6. Pays-Bas

3,95 %

7. Belgique

4,06 %

7. Pologne

3,35 %

8. Pologne

3,07 %

8. Belgique

3,20 %

Source : Rapport d’information n°3637 de Michel Diefenbacher sur le Projet de budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2012

II – UNE PHASE DE NÉGOCIATIONS QUI S’ANNONCE DIFFICILE

Le projet de la Commission européenne et la position du Conseil diffèrent sensiblement. Or, le Parlement européen défend une ligne très proche de celle de la Commission européenne, y compris sur le prochain cadre financier, alors que des divisions existent entre les Etats membres.

A – Les positions contrastées du Parlement européen et du Conseil

1. La résolution du Parlement européen en appui aux propositions de la Commission européenne

La résolution du Parlement européen du 23 juin 2011 a déterminé le mandat relatif au trilogue sur le projet de budget 2012 qui s’est tenu avant le début de l’examen du projet de budget 2012 par le Conseil. La résolution a été adoptée par 379 voix pour, 128 voix contre et 94 abstentions.

Les eurodéputés, qui soutenaient la proposition de la Commission d’augmenter les paiements de 4,9 % par rapport au budget 2011 – strict minimum nécessaire à leurs yeux pour honorer les engagements juridiques contractés –, mettaient en garde contre toute tentative du Conseil de procéder à « des coupes budgétaires horizontales » sans évaluer de manière précise les besoins réels de l'UE. Pour les députés il n’est pas possible de procéder à des  coupes budgétaires sans altérer les principales politiques de l’Union. En conséquence, elle demande aux Etats membres, s’ils suggèrent des réductions, d’« indiquer clairement les priorités ou projets politiques de l’Union qui peuvent être différés ou complètement abandonnés » et à « s’expliquer publiquement ».

Le Parlement soutient également la proposition d’augmenter les paiements de 4,9% par rapport au budget 2011, soulignant que le niveau proposé correspond au strict minimum nécessaire pour honorer les engagements juridiques que l’Union a contractés les années précédentes.

Le Parlement européen apporte en outre son soutien à la stratégie Europe 2020 et aux voisins du Sud. Les députés se demandent toutefois si le budget permettra à l’UE de faire face aux événements imprévus dans le sud de la Méditerranée, en particulier aux urgences et à la gestion des migrations. Les députés réitèrent leur appel insistant en faveur d’une réponse équilibrée et appropriée à tous ces défis, « de façon à assurer une meilleur gestion de l’immigration légale, et de freiner l’immigration illégale ».

Concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la résolution accueille favorable l’augmentation proposée des crédits, souligne l’importance d’axer  le budget sur la valeur ajoutée  au niveau de l’Union et insiste sur la nécessité d’assurer un financement suffisant dans des domaines où le partage des charges est important (frontières extérieures, asile) et dans les domaines où la coopération entre les Etats membres est cruciale  (sécurité et protection des libertés). Elle propose de nombreuses améliorations, parmi lesquelles :

– l’allocation de moyens suffisants au Fonds pour les réfugiés ainsi qu’au Bureau européen d’appui en matière d’asile ;

– la consolidation du programme « Citoyenneté et droits fondamentaux » afin d’encourager la mise en œuvre complète et l’intégration complète de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en veillant en priorité à la pleine application des droits relatifs à la citoyenneté, ainsi qu’à la lutte contre toutes les discriminations, en particulier celles affectant les Roms ;

– l’octroi de moyens suffisants aux agences devant s’acquitter des tâches nouvelles confiées par le traité de Lisbonne et le programme de Stockholm ;

– une coopération plus étroite avec le Haut commissariat des réfugiés des Nations Unies et l’Agence européenne des droits fondamentaux pour que les préoccupations d’ordre humanitaire soient pleinement prises en considération dans les opérations menées par les agences de l’Union, notamment Frontex ;

– la révision du mandat de Frontex lors de l’adoption du budget de l’Agence ainsi que la prise en compte dans le budget de la création d’un système européen de gardes frontières ;

– la possibilité de débloquer les crédits d’urgence rapidement et de les allouer en fonction des évolutions des situations ;

– la mise en réserve des fonds destinés au système d’information Schengen (SIS II), puisque ce dernier n’est toujours pas opérationnel.

Force est de constater que cette année encore la résolution du Parlement européen n’a pas été suivie par le Conseil.

2. Une position du Conseil qui rétablit la nécessaire discipline budgétaire

La position du Conseil a été rendue publique le 25 juillet 2011. Elle limite la hausse des paiements à 2,02 % par rapport à 2011, cette progression étant justifiée par le fait qu’elle « correspond presque exactement au taux d'inflation de 2 % auquel la Commission s'attend pour l'UE en 2012 ». La progression des crédits d’engagements est de 2,92 %.

En chiffres absolus, la position du Conseil concernant le budget pour l'exercice 2012 s'élève à :

– 129,088 milliards d'euros en paiements, ce qui correspond à 0,98 % du revenu national brut (RNB) de l'UE et ;

– 146,245 milliards d'euros en engagements, ce qui laisse une marge de 2,14 milliards d'euros sous le plafond du cadre financier actuel.

Par rapport aux montants proposés par la Commission, le Conseil a donc réduit les paiements d'un montant total de 3,65 milliards d'euros et les engagements d'un montant de 1,59 milliard d'euros.

Les réductions préconisées visent, selon le communiqué du Conseil, « des lignes budgétaires déterminées, qui ont été choisies après un examen approfondi de l'exécution budgétaire au cours de ces dernières années et en tenant compte de capacités réalistes d'absorption ».

Pour ce qui est de la « Croissance durable » (rubrique 1), le Conseil a surtout taillé dans les crédits de paiement, réduisant de plus de 2,4 milliards d’euros le montant proposé par la Commission. Le Conseil préconise une réduction de 99,46 millions d'euros dans le domaine de la concurrence, 101,99 millions d'euros dans le domaine du transport, 563,22 millions d'euros dans le domaine de la recherche, 86 millions d'euros dans le domaine de l'éducation et de la formation, 147 millions d'euros pour les lignes budgétaires relatives au plan européen pour la relance économique, 50 millions d'euros pour la ligne budgétaire du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, 17,84 millions d'euros pour les agences décentralisées et 84,33 millions d'euros pour diverses autres lignes budgétaires. Les réductions préconisées dans ce volet se concentrent aussi dans le domaine du Fonds européen de développement régional (706 millions d'euros), du Fonds social européen (394 millions d'euros) et du Fonds de cohésion (199 millions d'euros). Par rapport au budget 2011, la hausse en termes de crédits de paiement est tout de même de 3,7 %, ce qui fait du volet « Croissance durable » celui qui connaît la plus forte hausse en crédits de paiement, bien qu’elle soit moindre que celle de 8,1 % proposée par la Commission.

En termes de crédits d’engagement, le Conseil souhaite réduire les crédits demandés dans le projet de la Commission de 695,90 millions d'euros, par une diminution des crédits pour un certain nombre de lignes budgétaires précises au titre de la rubrique « Compétitivité pour la croissance et l’emploi » (rubrique 1.a), c'est-à-dire celle qui comprend une grande partie des initiatives phares de la stratégie « Europe 2020 ». Il suggère à cet effet de réduire de 45,90 millions d'euros les dépenses administratives et de revenir sur les 650 millions d'euros relatif à ITER. Le volet croissance durable connaîtrait donc, par rapport à 2011, une hausse en termes de crédits d’engagement qui atteindrait 4,3 %.

Concernant la rubrique 2 « Conservation et gestion des ressources naturelles », le Conseil préconise une baisse de 545,60 millions d'euros des crédits d'engagement, notamment par des coupes de 197,94 millions d'euros dans le domaine de l'agriculture, de 337,60 millions d'euros pour la ligne relative à l'apurement comptable, et de 1,46 million d'euros sur les subventions destinées aux agences décentralisées. Le Conseil propose également de réduire de 786,51 millions d'euros les crédits de paiement : 229,93 millions d'euros dans le domaine de l'agriculture, 337,60 millions d'euros sur la ligne budgétaire relative à l'apurement comptable, 140 millions d'euros dans le domaine du développement rural, 46,50 millions d'euros dans le domaine du Fonds européen pour la pêche, 2,67 millions d'euros sur les subventions destinées aux agences décentralisées et 32,48 millions d'euros sur plusieurs autres lignes budgétaires. La hausse du budget de la rubrique 2 ne devrait pas dépasser 1,6 % en engagement et 1,4 % en paiement par rapport à 2011.

Concernant la rubrique 3 « Citoyenneté, liberté, sécurité et justice », le Conseil propose de réduire les crédits d’engagement de la ligne budgétaire « Liberté, sécurité et justice » d'un montant total de 55,65 millions d'euros, dont 11,55 millions sur les subventions pour les agences décentralisées, permettant cependant une hausse de 12,8 % en crédits d’engagement par rapport à 2011. En termes de crédits de paiement, le Conseil vise une réduction d'un montant total de 44,26 millions d'euros (hausse de 1,3 % par rapport à 2011). La ligne budgétaire « Citoyenneté », se verrait, elle, amputée de 15,5 millions d’euros en crédits d’engagement, soit une baisse de 22,6 % par rapport à 2011, et de 14,5 millions en crédits de paiement.

Pour ce qui est de la rubrique 4 « L'UE en tant qu'acteur mondial », le Conseil a accepté une hausse de 400 millions d'euros des crédits d'engagement visant à financer des mesures supplémentaires dans la région couverte par la politique de voisinage. Il propose en revanche une baisse des crédits de paiement de 3,4 % par rapport à 2011, en opérant une réduction de 190,37 millions d'euros de façon ciblée sur une série de lignes budgétaires, dont un montant de 0,40 million sur les subventions pour les agences décentralisées, et en ne retenant pas le montant de 110 millions d'euros proposé dans le projet de la Commission pour la réserve d'aide d'urgence.

Concernant les dépenses administratives de l'UE, le Conseil a limité leur hausse à 0,5 % pour les paiements et 0,4 % pour les engagements par rapport à 2011. Le Conseil n'a pas accepté les nouveaux postes demandés par les institutions, à l'exception de certains des postes prévus pour le Service européen pour l'action extérieure, dont le budget connaîtrait une hausse de 2,25 % par rapport à 2011, bien inférieure toutefois à celle de 5,76 % figurant dans la proposition de la Commission. Les réductions décidées s'élèvent à un montant total de 73,73 millions d'euros en crédits d'engagement et de paiement. Le Conseil a procédé à des réductions ciblées pour toutes les institutions, excepté pour le Parlement européen, conformément au « gentlemen's agreement ». Le Conseil a réduit son propre budget administratif de 5,45 % par rapport à l'exercice financier actuel. La Cour des Comptes serait dotée de 2,19 % de moins qu’en 2011, tandis que la Commission et la Cour de Justice connaîtraient des hausses très modestes de 0,43 % et respectivement 0,47 % par rapport à l’exercice en cours.

Position du Conseil du 25 juillet 2011

(en euros)

Sources : Annexe jaune au projet de loi de finances pour 2012

B – Des divergences de vue profondes qui présagent bien des obstacles à la préparation du prochain cadre financier pluriannuel

1. Des positions difficilement conciliables

Les positions exprimées apparaissent donc difficilement conciliables, comme la position de la commission des budgets du Parlement européen sur la position du Conseil en atteste.

Il apparaît ainsi très peu probable que le Parlement européen se rallie à la position du Conseil. En effet, lors de son vote final sur le projet de budget pour 2011 le 5 octobre dernier, la commission des budgets du Parlement européen a sévèrement remis en cause les coupes proposées par le Conseil. En chiffres absolus, la position du Parlement européen concernant le budget pour l'exercice 2012 aboutit à des montants quasiment identiques à ceux de la proposition de la Commission à savoir :

– 133,1 milliards d'euros en paiements, ce qui correspond à 1,12 % du revenu national brut (RNB) de l'UE, soit + 4 milliards par rapport à la position du Conseil et ;

– 147,8 milliards d'euros en engagements, soit +1,5 milliards par rapport à la position du Conseil.

Le projet de résolution rédigé par les deux rapporteurs de la commission des budgets, Francesca Balzani (S&D, Italie) et José Manuel Fernandes (PPE, Portugal) déplore les coupes que le Conseil a opérées dans le projet de budget présenté par la Commission et exprime une profonde préoccupation quant au fait qu’elles touchent en particulier à des thèmes liés à la stratégie de croissance Europe 2020. « Le Parlement a le souci à la fois de participer aux efforts de rigueur budgétaire décidés dans tous les Etats membres, mais également de continuer à garantir le financement des dépenses d’avenir dont nous aurons besoin pour retrouver la compétitivité et la croissance après la crise», a commenté son président, Alain Lamassoure (PPE, France)(3).

La commission des budgets s’est opposée à de nombreuses coupes voulues par le Conseil, en restaurant par exemple les propositions de la Commission en matière de politique de cohésion ou dans le secteur « liberté, sécurité, justice et citoyenneté». La commission parlementaire a ainsi suivi les propositions de la rapporteure Francesca Balzani d'ajouter des crédits, environ 30 millions d'euros, à des lignes budgétaires directement liées à l'UE 2020 et a rétabli le projet de budget proposé par la Commission pour la rubrique 1B « Politique de cohésion ». De même, les eurodéputés se sont entendus pour augmenter – au-delà même des propositions de la Commission et des marges disponibles – de 70 millions le volume des dépenses prévues pour le 7e programme cadre de recherche (7e PCR) et de 55 millions d’euros celui du programme « Apprentissage tout au long de la vie ». Ils ont rejeté la proposition de la Commission relative au redéploiement vers le programme nucléaire ITER en provenance de 7e PCR, estimant que ce projet de grande envergure ayant été évoquée au cours de la période du cadre financier multi-annuel (CFP) actuel, il devrait être financé avec des crédits nouveaux.

Dans le domaine de l’agriculture (rubrique 2), les parlementaires ont décidé d’ajouter 250 millions d’euros à certaines lignes budgétaires, afin d’indemniser les producteurs de fruits et légumes frappés par la crise E.coli et de mieux prévenir de nouvelles épidémies bactériologiques. On ajoutera que la commission a vivement défendu le programme d'aide aux plus démunis de l'UE pour les nécessiteux qui fournit de la nourriture aux banques alimentaires, dont la nouvelle base juridique est bloquée au Conseil.

Le programme d’aide aux plus démunis

Le Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) a été créé en 1987 sous l'impulsion du président de la Commission européenne de l'époque, Jacques Delors, à la suite de l'appel de Coluche, fondateur des «Restos du Cœur ». Il permet de distribuer, via 240 associations, une aide tirée des stocks européens de la PAC à plus de 13 millions de personnes. Dix-neuf des 27 États de l'UE en profitent, en tête desquels l'Italie, la Pologne et la France. Ces deux dernières années, le niveau des stocks était si bas que l'UE a dû le compenser par d'importants achats de nourriture à destination des banques alimentaires.

L’Allemagne a saisi la Cour de justice européenne, estimant que cette aide financière constitue une aide purement sociale sans lien avec la politique agricole commune, s'ajoutant à l'aide en nature offerte par les stocks. La Cour européenne de justice de Luxembourg lui a donné raison. A la suite de cette décision, la Commission a proposé de ramener l'enveloppe pour les années à venir au niveau des stocks existants, soit 113,5 millions d'euros au lieu de 480 millions d'euros annuels.

La baisse du montant du programme a soulevé de très nombreuses objections, le monde associatif saisissant les pouvoirs publics des conséquences d’une telle baisse de l’aide dont elles bénéficient. La Commission européenne a mis sur pied une formule transitoire qui permettrait de contourner les objections de la Cour et de maintenir le PEAD à son niveau actuel pour 2012 et 2013, mais elle se heurte à l’opposition de plusieurs Etats qui souhaitent s’en tenir aux 113,5 millions d'euros en 2012. Cette opposition est le fait des six pays suivants : l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la République tchèque, le Danemark et la Suède. Ces pays estiment que l’aide sociale relève de la compétence des Etats membres et non du budget européen.

La France défend le maintien du programme à son niveau antérieur et formule des propositions compatibles avec la décision de la Cour de justice européenne. Pour le moment, aucun accord n’a été dégagé.

La commission des budgets a également voté un abondement de 25 millions d’euros des réserves de l’agence Frontex (rubrique 3), afin de renforcer si nécessaire les contrôles maritimes en Méditerranée et à la frontière gréco-turque.

Concernant les relations extérieures (rubrique 4), la commission des budgets a proposé 5 millions d'euros supplémentaires pour des projets concernant les jeunes dans le cadre de la politique de voisinage avec les pays du sud et de l'est de l'UE. Les députés sont également convenus d'approuver une augmentation de 100 millions d'euros de l'aide en faveur de la Palestine et de 27 millions pour l'instrument de coopération au développement destiné à l'Asie et à l'Amérique latine. Ils ont également ajouté 3 millions d'euros pour des missions d'observation électorale et 3 millions d'euros pour la communauté turque chypriote. Ces augmentations sont compensées par des coupes sur d'autres lignes telles que la mission de police de l'UE en Afghanistan. Les économies réalisées sur la politique étrangère et de sécurité commune sont de 26 millions d’euros.

Enfin, les députés sont parvenus à un accord sur le budget de leur propre institution, dont ils proposent de limiter la croissance à 0,8% par rapport à 2011 (1,9 % si l’on tient compte des 18 membres que comptera le Parlement européen et de l’adhésion de la Croatie à l’Union). Le Parlement réduira notamment de 21 millions d’euros en 2012 ses frais d’interprétation et de traduction et diminuera de 5 % les frais de déplacement des eurodéputés et de ceux du personnel du Parlement européen.

Le vote du budget en session plénière interviendra le 26 octobre. Les chiffres et les résolutions seront mis aux voix en séance plénière le 26 octobre. Une période de conciliation de 21 jours s’ouvrira en novembre.

Or, comme l’an passé, l’examen par le Conseil du projet de budget pour 2011 a été marqué par la difficulté de concilier les positions divergentes entre les Etats membres.

Six États membres (Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas, Danemark, Finlande, Suède) ont encore voté contre le compromis. La République tchèque qui avait voté contre l’an dernier a toutefois rallié la position commune. Bien que la progression des dépenses à 2,02 % soit inférieure à celle acceptée l’an passé (2,9 %), elle leur apparaît toujours trop éloignée de l’objectif de stabilisation du budget. Ainsi, l’Autriche souhaitait un gel des dépenses et la Suède une progression inférieure à l’inflation. Il est intéressant de noter que les premiers ministres de trois de ces Etats, les Pays-Bas, la Suède, et la Finlande, viennent d’écrire au Président de la Commission pour demander « un engagement clair et crédible de travailler à un agenda ambitieux de croissance, au niveau national et au niveau de l’UE ». Certains ne manqueraient pas d’y voir là une contradiction. La France souhaitait pour sa part une progression limitée à l’inflation (environ 2 %). La France défendait une position intermédiaire, cherchant à préserver la PAC de coupes trop importantes, en concentrant l’effort sur les fonds structurels et en gelant les dépenses administratives.

La rubrique 1 étant celle qui marquait la plus forte hausse des crédits de paiement, il était évident qu’elle serait la plus affectée par les coupes mais les débats furent intenses sur le volume et la répartition des coupes. Plusieurs Etats, notamment le Royaume-Uni, la Suède et les Pays-Bas ont proposé des coupes raides sur les fonds structurels (3,5 milliards de coupes proposés par le Royaume-Uni sous la sous-rubrique « Cohésion »). La France proposait au moins 1,8 milliard d’euros de coupes. Les « contributeurs nets » souhaitaient en revanche préserver la sous-rubrique compétitivité pour la croissance et l’emploi. Les « pays de la cohésion » défendaient les moyens alloués aux fonds structurels. L’Espagne, l’Italie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque soutenaient ainsi la proposition de la commission.

La présidence polonaise a présenté deux propositions de compromis, prévoyant une hausse respectivement de 2,9 % et de 2,6 % conformément à la hausse prévue par le budget 2011. C’est la quatrième proposition qui fut finalement approuvée à la majorité qualifiée le 1er juillet 2011.

2. L’enjeu des perspectives pluriannuelles en toile de fond

Parallèlement, les discussions s’engagent sur la proposition de la Commission européenne relative aux futures perspectives financières pluriannuelles (2014-2020). Il est bien évident que les visions divergentes du rôle et des moyens qui doivent être conférés au budget européen, au sein du Conseil et entre les trois institutions du « triangle », se retrouvent à l’échelle des débats sur le prochain cadre financier. Conformément aux conclusions du Conseil européen de décembre 2005, la Commission européenne a entamé en septembre 2007 une vaste consultation de l’ensemble des acteurs communautaires (États membres, universitaires, société civile…) sur la réforme du budget européen. Une conférence de restitution des résultats a été organisée en novembre 2008. La Commission devrait publier cet automne, sous présidence belge, un rapport explorant notamment les pistes envisageables pour la création d’une nouvelle ressource propre pour le budget de l’Union, comme l’a annoncé le Commissaire au budget, M. Janusz Lewandowski. De son côté, le Parlement européen a adopté, en mars 2009, un rapport sur la réforme du budget.

Le contexte de négociations est d’abord marqué par l’intention très ferme des Etats membres de contenir l’évolution du budget européen, souci qui tranche avec les ambitions notamment du Parlement européen. Dans une lettre en date du 18 décembre 2010, adressée au président de la Commission Jose Manuel Barroso, David Cameron, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Mark Rutte et de la Mari Kivinimei ont fait savoir que selon eux, dans le prochain cadre pluriannuel des perspectives financières, les engagements  de dépenses « ne doivent pas excéder le niveau de 2013, avec une augmentation dans tous les cas inférieure à l'inflation ». Le contenu de la lettre soutient que « le défi des prochaines années pour l'UE ne sera pas de dépenser plus, mais dépenser mieux » et appelle à ce que l’on « suive avec précision les dépenses engagées » et procède à « une simplification du cadre financier ». On soulignera toutefois que des contributeurs nets n’ont pas signé la lettre. Il en est ainsi de La Suède, du Danemark et de l’Autriche.

Lettre adressée le 18 décembre 2010 au président de la Commission européenne par le Président de la République française, la Chancelière de la République fédérale d’Allemagne, le Premier ministre du Royaume-Uni, le Premier ministre des Pays-Bas et le Premier ministre de Finlande

« Monsieur le président,

Le prochain cadre financier pluriannuel s'inscrira dans un contexte d'efforts exceptionnels d'assainissement des finances publiques de la part des États membres. Ces efforts visent à ramener le déficit et la dette publique à un niveau soutenable, dans le respect d'un cadre de surveillance budgétaire et
macro-économique renforcée.

La dépense publique européenne ne peut s'exonérer des efforts considérables des États membres visant à maîtriser leurs dépenses publiques. Aussi les efforts entrepris en 2011 pour maîtriser la croissance de la dépense européenne doivent-ils être renforcés progressivement s'agissant des dernières années de l'actuel cadre pluriannuel et les crédits de paiement ne devraient pas augmenter davantage que l'inflation au cours de la période couverte par le prochain cadre financier pluriannuel.

Une règle budgétaire devra être définie en ce qui concerne le niveau global des dépenses engagées par l'Union européenne sur la période couverte par le prochain cadre financier pluriannuel, de telle manière que le niveau des crédits d'engagement soit fixé à un niveau compatible avec la stabilisation nécessaire des contributions budgétaires des États membres. Dans cette logique, les crédits d'engagement ne devraient pas excéder leur niveau de 2013 corrigé d'un taux de croissance inférieur à celui de l'inflation pendant la durée du prochain cadre financier pluriannuel.

La mise en oeuvre de politiques européennes ambitieuses au service des citoyens est possible avec un volume de dépenses stable. Elle exige une meilleure utilisation des fonds disponibles. L'enjeu des prochaines années ne sera pas pour l'Union européenne de dépenser plus mais de mieux dépenser. Une meilleure efficacité de la dépense européenne, un suivi précis des dépenses engagées, la recherche d'un effet de levier économique et la simplification du cadre financier permettront de répondre à cette exigence.

Dans ce contexte, nous attendons le paquet de propositions de la Commission. »

La Commission européenne a fait connaître sa proposition le 29 juin 2011. Le montant global proposé pour la période 2014-2020 s’établit à 1 025 milliards d’euros en crédits d’engagement – soit 1,05 % du RNB de l’UE - et à 972,2 milliards d’euros – soit 1 % du RNB de l’UE – en crédits de paiement. L’intention de la Commission est de se focaliser « sur des financements prioritaires au niveau de l’UE qui produisent une réelle valeur ajoutée ». Des moyens seraient donc libérés pour le financement de nouvelles priorités, telles que les infrastructures transfrontalières en matière d’énergie et de transports, la recherche et le développement, l’éducation et la culture, la sécurisation des frontières extérieures, et le renforcement des pays du voisinage Sud et Est.

La Commission appelle à une modernisation des politiques en simplifiant ses programmes et, pour ce qui est de la manière dont les fonds sont utilisés, en renforçant les exigences de conditionnalité. Elle veut montrer l’exemple en plafonnant les coûts administratifs des institutions européennes à 5,7 % du budget total. La Commission propose également un remaniement profond de la fonction publique européenne : diminution des effectifs de 5 %, augmentation du temps de travail légal de 37,5 à 40 heures, augmentation de l’âge de départ à la retraite de 63 à 65 ans, mise en place pour les tâches administratives et de secrétariat, d’un personnel contractuel à la place des postes de fonctionnaires statutaires, modification de la méthode d’ajustement des salaires et pensions.

Mais la stabilisation des crédits d’engagement à 1,05 % que propose la commission fait abstraction de deux biais. D’une part, l’essentiel de la proposition de la Commission est réalisée en euros constants (prix 2011) et en crédits d’engagement, alors que seule une présentation en crédits de paiement et en euros courants permet d’apprécier la réalité de l’impact des propositions sur les contributions nationales. D’autre part, on constate l’explosion des enveloppes budgétaires complémentaires qui portent en fait, ajoutées au cadre financier pluriannuel, les crédits d’engagement à 1,11 % du RNB, comme le souhaitait la commission spéciale du Parlement européen dans son rapport sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une UE durable après 2013, préconisant une augmentation d’au moins 5 % des recettes. Ces nouvelles « débudgétisations » posent un problème budgétaire, mais aussi de principe : si une certaine souplesse est indispensable, la fixation d’un cadre financier pluriannuel, fruit d’intenses négociations, implique de réduire au strict nécessaire les outils extrabudgétaires.

Comme le souligne l’annexe jaune au projet de loi de finances pour 2012 retraçant les relations financières avec l’Union européenne : « La traduction du « paquet » sur le périmètre classique de financement de l’UE et en euros courants montre donc un total de dépense bien supérieur à ce qui a été annoncé : 1 118 Mds€4 contre 972 Mds€ annoncé en crédits de paiement et 1 184 Mds€ contre 1 025 Mds€ annoncé en crédits d’engagement. L’enveloppe totale du nouveau cadre 2014-2020 serait ainsi supérieure de plus de 20 % au précédent cadre pluriannuel 2007-2013 (925 Mds€) et de plus de 30 % à la prévision d’exécution de ce même cadre (environ 850 Mds€). En outre, la proposition de la Commission découple fortement le niveau des crédits d’engagement et celui des crédits de paiement, ce qui majorera le niveau restes à liquider après 2020. »

Comparaison des propositions de la Commission en crédits de paiement en fonction des périmètres et de l’utilisation des euros courants ou constants


Source : Annexe jaune annexé au projet de loi de finances pour 2012

Du point de vue des recettes, la Commission met sur la table des propositions pour assurer des ressources propres pour l'Union européenne : la suppression de la ressource TVA actuelle et de ses rabais au profit d’une nouvelle ressource TVA dont le produit est évalué à 29,4 milliards d’euros en 2020 (18,1 % du budget UE), l’instauration d’une taxe sur les transactions financières à compter du 1er janvier 2018 au plus tard et dont le produit est évalué à 37 milliards d’euros en 2020 (22,7 % du budget UE), la suppression de la correction britannique, la baisse de 25 % à 10 % des frais de perception des ressources conservés par les Etats et le maintien d’une ressource RNB d’équilibre. Une correction provisoire serait établie pour les Etats qui bénéficiaient antérieurement d’un rabais. Le plafond des ressources propres resterait fixé à 1,23 % du RNB pour les crédits de paiement et à 1,29 % pour les crédits d’engagement.

À la suite de l’adoption par le collège des commissaires de la communication du 29 juin 2011, la Commission a présenté une proposition de règlement du Conseil fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 (COM (2011) 398 final) et un projet d’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière (COM (2011) 403 final). La principale mesure du dispositif proposé consisterait à fixer les plafonds annuels maximum des crédits d’engagement (CE) par catégorie de dépenses et les plafonds annuels maximum des crédits de paiement (CP). Un tableau annexé au projet de règlement de cadre financier pluriannuel détermine les plafonds et sous-plafonds du budget pluriannuel (fixé à sept ans) de l’UE ainsi que leur traduction en part de revenu national brut (RNB) de l’UE. Le projet de règlement prévoit pour les institutions la nécessité de respecter les plafonds annuels ainsi fixés lors de la détermination du budget de chaque nouvel exercice.

Compte tenu des propositions en matière de dépenses, les réactions des Etats membres ont été très fortes. Pour la France, le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement et le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire ont présenté le 7 juillet 2011 en Conseil des ministres une communication relative aux perspectives financières de l’Union européenne qui manifeste une désapprobation profonde à l’égard de la progression réelle quoique masquée des dépenses.

Communication du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat, porte-parole du Gouvernement et le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire du 7 juillet 2011

La Commission européenne vient de formuler ses propositions pour le cadre financier de l’Union européenne 2014-2020.

En étant constamment à l’initiative, la France a remis la politique agricole commune (PAC) au cœur du débat européen. La stabilisation du budget de la PAC en euros courants proposée par la Commission est un acquis important dans la difficile négociation qui s’engage entre les Etats membres et avec le Parlement européen. La France n’acceptera aucun cadre financier qui ne garantirait pas la stabilisation de la PAC et, à ce titre, certains éléments de la proposition de la Commission doivent encore être clarifiés. La détermination du Président de la République et du Gouvernement à cet égard est totale.

Dans les contextes budgétaires européens et nationaux très contraints, la France regrette que la Commission n'applique pas dans sa proposition le même effort de discipline budgétaire et de réforme aux autres politiques que ce qu'elle propose pour la PAC. La France s’emploiera à corriger cela dans la négociation car l’heure n’est pas à « dépenser plus », mais à « dépenser mieux », en particulier s’agissant de la politique de cohésion et des dépenses dites de compétitivité.

La France n’a cessé de rappeler que la stabilisation de sa contribution au budget communautaire était indispensable. La proposition de la Commission ne répond pas à cet objectif. L’augmentation de plus de 250 milliards d’euros (soit près de 30 %) des paiements proposée par la Commission pour la période à venir est insupportable pour le budget français qui consacre d’ores et déjà près de 20 milliards d’euros à sa contribution annuelle au budget européen.

Concernant les ressources, la France a toujours été contre les rabais et ne peut envisager leur pérennisation. Il faut plus de simplicité, de transparence et d’équité. La Commission propose aussi la mobilisation de nouvelles ressources propres. La France est ouverte à une discussion sur ce sujet, à condition que ces ressources se substituent intégralement à des recettes existantes et permettent ainsi de ne pas augmenter la charge des budgets nationaux tout en laissant aux Etats membres la maîtrise du taux et de l’assiette de ces nouvelles ressources ».

Mais les débats entre les Etats membres sont aussi très vifs au-delà de la question du degré de rigueur. Les désaccords exprimés à nouveau cette année au sein du Conseil pour définir une position sur le budget 2012 révèlent des lignes de fracture durables sur les ajustements à opérer dans une enveloppe donnée. Pour la France, deux dossiers sont prioritaires : la fin de tous les rabais et la sauvegarde de la politique agricole commune. La proposition de la Commission est à cet égard satisfaisante. La PAC serait stabilisée en termes nominaux, toujours articulée autour de deux piliers, le premier étant sans surprise « verdi » et le second renforcé, les niveaux de soutien à l’hectare convergeraient, le niveau des paiements directs seraient plafonnés et deux nouveaux instruments seraient institués : une réserve de crise de 3,5 milliards d’euros et l’éligibilité des agriculteurs au Fonds européen d’ajustement à la mondialisation. On soulignera également que la France et l’Allemagne se sont prononcées en faveur d’une taxe sur les transactions financières pour alimenter le budget de l’Union européenne, et une proposition en ce sens a été déposée par la Commission européenne.

III – LA CONTRIBUTION FRANÇAISE POURSUIT SON AUGMENTATION COMPTABLE TENDANCIELLE

Évaluée à 18,9 milliards d’euros à l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012, la contribution française au budget communautaire devrait représenter 6,9% des recettes fiscales nettes de l’État. Votre Rapporteur rappelle à nouveau que ce montant ne comprend pas les ressources propres traditionnelles qui, depuis 2010, ne sont plus retracées dans le prélèvement sur recettes, ces recettes n’étant pas des ressources de l’État mais des ressources recouvrées par l’État pour le compte de l’Union. Le total des ressources propres que la France devrait mettre à disposition du budget européen en 2012 est estimé à 20,6 milliards d’euros, soit 16,4 % du total du budget communautaire.

A – Une contribution française toujours en hausse

La prévision du prélèvement sur recettes se fonde sur deux hypothèses :

– l’adoption d’un budget européen pour 2012 conforme à la position du Conseil, c'est-à-dire une augmentation des crédits de paiement de 2,02%, correspondant à un besoin de financement de l’Union de 129,1 milliards d’euros ;

– un « budget solde » 2011 reporté sur 2012 de 1,8 milliards d’euros, du fait de moindres appels de fonds des Etats en janvier 2012 du fait d’annulations de crédits fin 2011 et d’un report de l’excédent budgétaire constaté à la clôture de l’exercice 2011 ;

– les prévisions relatives à l’assiette de TVA et au revenu national brut français, ainsi qu’au rabais britannique ; données prévisionnelles de la Commission européenne issues du comité consultatif des ressources propres (CCRP) réuni à Bruxelles en mai 2011 et reprises dans le projet de budget pour 2012. Le montant à inscrire dans le budget 2012 pour la correction en faveur du Royaume-Uni (« rabais ») est quant à lui estimé à 3,8 milliards d’euros.

Votre Rapporteur l’a exposé plus haut : le projet de budget de la Commission pour 2012 présente une hausse significative de ces crédits de paiement par rapport à 2010, soit + 5,8 %, de sorte qu’il ne saurait fonder l’estimation du besoin de financement de l’Union en 2011. Cette progression est en effet apparue inacceptable pour nombre d’États membres, dont la France, et le Conseil, lors de l’adoption de sa position sur le projet de budget (cf. supra), l’a réduite à + 2,9 %. La France considère cette hausse de 2,9 % comme le maximum acceptable et a fait valoir qu’elle veillerait à la préservation de cette limite dans le cadre des discussions avec le Parlement européen. Le besoin de financement de l’Union en 2011 est dès lors estimé sur la base de la position du Conseil, soit 126,5 milliards d’euros.

Le montant ainsi déterminé fait apparaître une progression du prélèvement sur recettes pour 2012 de 3,5 % par rapport à la prévision d’exécution (5) du prélèvement pour le budget 2011, avec une hausse de 646 millions d’euros. Selon l’annexe jaune au projet de loi de finances pour 2011 retraçant les relations financières avec l’Union européenne, le montant de la contribution française au profit du budget communautaire – en additionnant prélèvement sur recettes et ressources propres traditionnelles nettes – a été multiplié en valeur par cinq entre 1982 et 2012, passant de 4,1 milliards d’euros en 1982 à 20,6 milliards d’euros en 2012. Le tableau suivant en rend compte, pour la durée de la législature en cours :

Source : annexe « jaune » au projet de loi de finances pour 2011.

La part de la ressource RNB dans la contribution française à l’UE représente, en 2011, 73 % de la contribution française, la TVA 14 %, les ressources propres traditionnelles 8 % et la correction britannique 5 %. L’évolution de la contribution nette française dans les recettes fiscales nettes de l’État a logiquement suivi celle du budget communautaire dans le PNB/RNB des États membres 

Ventilation du prélèvement

(en millions d’euros)

Prélèvement pour 2011 révisé

Prélèvement pour 2012

Ressource TVA

3 882

Ressource TVA

3 907

Dont correction britannique

966

Dont correction britannique

1 008

Ressource RNB

14 350

Ressource RNB

14 971

Prélèvement total

18 232

Prélèvement total

18 878

Source : D’après les données du Tome 1 des Voies et Moyens annexé au projet de loi de finances pour 2012

Source : annexe « jaune » au projet de loi de finances pour 2011.

B – La France, grand contributeur et grand bénéficiaire du budget européen

La notion de solde net entre ce qu’un État membre verse au budget communautaire au titre des ressources propres et ce qu’il reçoit par le biais des dépenses de l’Union européenne effectuées sur son territoire ne saurait retracer la totalité des coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne. La France a d’ailleurs toujours considéré cette vision comptable avec une grande prudence. Le budget européen induit également de nombreuses externalités positives, non directement chiffrables, et reflète bien entendu l’expression d’une solidarité qui implique l’existence de contributeurs nets, parmi lesquels la France.

Votre Rapporteur ne saurait pour autant s’exempter de l’exercice purement comptable de l’analyse de la participation de la France au budget européen, d’autant que l’approche des perspectives pluriannuelles comporte l’enjeu de taille d’un rééquilibrage des contributions par suppression des rabais, notamment de la fameuse correction britannique. C’est donc pour lutter contre le poison du solde net, qu’il faut faire valoir à nos partenaires que la France et l’Allemagne contribuent proportionnellement trop au budget européen : l’idée à faire valoir est celle d’un rééquilibrage par alignement vers le haut des contributions, et non pour financer une baisse des contributions allemandes et françaises.

Dans ce débat, la France est en position difficile car l’image de pays privilégié continue à la marquer alors qu’elle ne correspond plus à la réalité. Certes, la France est avec l’Espagne en 2010 le principal bénéficiaire du budget européen, dont le taux d’exécution s’est élevé à 97 %. Mais la contribution française est en hausse tendancielle et le solde net s’est fortement dégradé ces dernières années.

La France est historiquement le deuxième contributeur du budget européen, mais pour sauvegarder la politique agricole commune à laquelle elle est très attachée et dont elle le premier bénéficiaire, la France a du se résigner à resserrer l’écart avec l’Allemagne. Cette augmentation tendancielle de la contribution française a été manifeste en 2009, puisqu’elle dépassait hors droits de douane celle de l’Allemagne et correspondait au double de celle du Royaume-Uni.

En 2010, la contribution réelle, c'est-à-dire prélevée sur les recettes fiscales nationales, atteint 281 euros par habitant, soit 100 euros de plus qu’il y a quinze ans. Or, à compter de 2012, du fait de l’augmentation de la part de la France dans le budget communautaire et de la progression des aides dans les nouveaux Etats membres, le solde agricole de la France devrait devenir négatif.

Le tableau page suivante, extrait du tout récent rapport financier relatif au budget 2010 publié par la Commission européenne (6), détaille les dépenses et recettes communautaires par Etat membre, ce qui permet d’apprécier la position relative de la France.

DÉPENSES ET RECETTES DU BUDGET COMMUNAUTAIRE PAR ÉTAT MEMBRE EN 2010

(en millions d’euros)

Source : Commission européenne, Budget de l’UE 2010 : rapport financier, octobre 2011.

Selon l’annexe « Jaune » au projet de loi de finances pour 2012, le solde net de la France pour 2009 est évalué à - 5 365 millions d’euros (- 0,28 % de son RNB) selon la méthode comptable et à - 5 330 millions d’euros (- 0,28 % de son RNB) selon la méthode dite « du rabais britannique ». La France fait ainsi partie des principaux contributeurs nets au budget de l’Union, tant en valeur qu’en pourcentage de son RNB. La dégradation du solde net de la France au cours des années 2000 est particulièrement sensible. Il représentait moins de 0,15 % de son RNB jusqu’au début des années 2000 contre plus de 0,20 % depuis 2004.

ÉVOLUTION DES SOLDES NETS EN VALEUR ABSOLUE ET RELATIVE
DE HUIT ÉTATS MEMBRES DE L’UE

 

Moyenne 2005-2006

Moyenne 2007-2008

 

Montant
en M€

En %
du PNB

En euros par habitant

Montant
en M€

En %
du PNB

En euros par habitant

Allemagne

– 6 194

0,27 %

– 75

– 7 178

0,28 %

– 87

France

– 2 947

0,17 %

– 47

– 3 998

0,2 %

– 63

Royaume-Uni

– 1 834

0,09 %

– 30

– 2 852

0,14 %

– 47

Pays-Bas

– 2 612

0,49 %

– 160

– 1 658

0,28 %

– 101

Suède

– 861

0,28 %

– 96

– 855

0,16 %

– 95

Autriche

– 289

0,11 %

– 35

– 443

0,16 %

– 54

Italie

– 1 965

0,13 %

– 33

– 3 558

0,23 %

– 60

Danemark

– 385

0,18 %

– 71

– 650

0,28 %

– 118

Source : Commission européenne et N.-J. Brehon, Note de la Fondation Robert Schuman intitulée « Le budget européen : quelle négociation pour le prochain cadre financier de l’Union européenne ? », Questions d’Europe n° 170-171, 31 mai 2010

SOLDE NET FRANÇAIS DE 1998 À 2009 EN MILLIARDS D’EUROS ET EN PART DU PNB

(MÉTHODE « RABAIS BRITANNIQUE »)

Source : Annexe jaune au projet de loi de finances pour 2012

La détérioration du solde net français est inéluctable, comme votre Rapporteur l’avait déjà souligné dans son rapport l’an passé. C’est pourquoi, à l’heure où les budgets sont fortement contraints, il est indispensable que cette évolution soit compensée par le rééquilibrage précédemment évoqué. Tous les Etats membres doivent prendre leur juste part de l’effort, surtout si l’on souhaite assigner au budget européen le rôle qui découle de la Stratégie Europe 2020.

Selon tout récent rapport financier relatif au budget 2010 de la Commission européenne, en 2010, les quatre pays ayant obtenu le plus de crédits de l’UE ont été l’Espagne, avec 13,2 milliards d’euros, la France avec 13,1 milliards d’euros, et l’Allemagne et la Pologne avec 11,8 milliards d’euros. Mais en rapportant les crédits obtenus au revenu national, ce sont la Lituanie (5,9 %), l’Estonie (5,8 %) et le Luxembourg (5,2%) qui ont été les premiers bénéficiaires. Les quatre pays qui ont le plus contribué aux ressources propres sont, sans surprise, l’Allemagne (20,7 milliards d’euros), la France (18,2 milliards d’euros), l’Italie (16,6 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (12,1 milliards d’euros). En 2010 la France est donc toujours le deuxième contributeur net au budget de l’Union en valeur absolue – à hauteur de 5,5 milliards d’euros.

SECONDE PARTIE : L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE À L’ÉPREUVE DE LA CRISE GRECQUE

Comme chaque année, votre Rapporteur a souhaité compléter son rapport sur le prélèvement européen d’un volet thématique. Nul ne s’étonnera que son choix se soit porté cette année sur la crise grecque et ses répercussions sur l’union économique et monétaire. D’autant qu’elle emporte des conséquences sur notre budget national et sur l’optimisation du budget européen. Comme le soulignait le Président de la République Nicolas Sarkozy dans son allocution lors de la XIXème Conférence des Ambassadeurs le 31 août dernier :

« Pour peser de tout son poids politique dans les affaires du monde, l’Union européenne doit d’abord en demeurer la première puissance économique. Pour cela, les Européens doivent poursuivre avec détermination les actions qu’ils ont engagées afin de rétablir leurs comptes et renforcer leur croissance.

L’euro est un enjeu majeur : n’oublions pas qu’il représente près de 30% des réserves de change mondiales. En 10 ans, il s’est imposé comme une monnaie forte et stable. La zone euro n’est pas l’homme malade que nous décrivent certains, mais bien une zone de richesse et de prospérité ; un pôle essentiel de l’économie mondiale ; un projet mobilisateur qui structure la construction européenne. »

Ce discours que la France porte sur la scène internationale n’a cessé ces derniers mois d’être attaqué, au point d’ébranler la confiance dans la pérennité de l’union économique et monétaire. Car ce que l’on appelle à tort une « crise de l’euro » n’en est pas moins pour autant une véritable crise de l’union économique et monétaire, union qui n’a pas su être économique malgré son nom et en paye aujourd’hui le prix.

Il y a près de deux ans, les Etats de l’Union européenne ont du faire face à l’augmentation brutale de leur dette publique, sous l’effet combiné de la récession, des plans de relance et, le cas échéant, du sauvetage des banques. En 2010, aucun pays de la zone euro n’a pu respecter le Pacte de stabilité et de croissance, la dette publique s’élevant de 65 % du PIB en 2007 à 85 % en 2010.

Les taux de marché sur les emprunts publics ont alors commencé à diverger, rendant problématique la situation du Portugal, de l’Irlande, de l’Italie, de la Grèce ou de l’Espagne, pays regroupés sous l’acronyme anglais PIIGCS. Cette divergence résulte d’une prise de conscience de la fragilité des fondamentaux de certains pays, d’une défiance profonde sur la viabilité financière à long terme de ces Etats et de comportements spéculatifs sur le risque de défaillance souveraine. En décembre 2010, le taux de la Grèce est quatre fois plus élevé que celui de l’Allemagne ; celui de l’Irlande trois fois plus élevé. L’Espagne et l’Italie sont quant à elles régulièrement la cible d’attaques spéculatives et subissent des durcissements rapides de leurs conditions de financement. Trois de ces pays – la Grèce, l’Irlande et le Portugal – se trouvent dans l’incapacité d’assurer leur financement aux conditions de marché et ont été conduits à faire appel au soutien financier de leurs partenaires et du Fonds monétaire international. Un dispositif de stabilisation financière de la zone euro a été mis en place puis renforcé pour éviter que les attaques spéculatives sur les signatures publiques ne débouchent sur un défaut souverain et un effondrement de l’ensemble du système financier européen.

La zone euro est en mesure de faire face à la crise et les mécanismes que les Etats et les institutions européennes mettent en œuvre à cet effet sont adaptés. Pourtant les incertitudes continuent de s’accumuler. Le cas grec s’avère évidemment le plus préoccupant, compte tenu à la fois des niveaux d’endettement de l’Etat (plus de 150 % du PIB) et des écarts accumulés au cours de la dernière décennie, qui en font une économie structurellement déficitaire, ce que certains qualifient – de façon trop schématique – d’insolvable. Un deuxième plan de sauvetage de la Grèce a été élaboré le 21 juillet 2011 et a été ratifié, après quelques inquiétudes, par les Etats membres. L’analyse de la situation économique et financière grecque laisse déjà supposer qu’il devra être ajusté, malgré les efforts indéniables et difficiles que le gouvernement grec et sa population fournissent.

Comment en est-on arrivé à ce qu’un membre de notre zone euro, de notre union, se trouve incapable de faire face à ses échéances de manière prononcée et durable ? Se perd-on dans une fuite en avant inutile et coûteuse ou l’Etat grec sera-t-il en mesure de redresser la barre ? Peut-on résister dans cette mondialisation financière insuffisamment régulée à la pression des marchés et des agences de notation qui brisent si facilement les rouages de l’assainissement ? L’Union économique et monétaire peut-elle sortir plus forte de cette épreuve et cela se fera-t-il au détriment de nos prérogatives nationales et notamment parlementaires ?

Autant de questions qui traversent les esprits et que votre Rapporteur a souhaité poser pour démontrer qu’elles sont loin d’être taboues. C’est au contraire en procédant à une analyse sérieuse et attentive que l’on peut faire preuve d’optimisme dans la crise actuelle. Cette dernière est surmontable, sous réserve de parvenir à reprendre la maîtrise, pour restaurer et consolider la confiance.

I – LE SAUVETAGE DE LA GRÈCE : UNE ENTREPRISE DIFFICILE QUI AFFECTE LA CRÉDIBILITÉ DE L’UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE

Ce qui est devenu « la crise grecque », débute le 16 octobre 2009 avec l’annonce par le gouvernement grec d’un déficit budgétaire réévalué pour 2009 à 12,5 % en 2009 et d’une dette de 115 % du PIB. L’agence de notation Fitch abaisse la note grecque en dessous du niveau A, ce qui ne s’était jamais vu en Europe. En fait, la réalité de la situation des finances publiques grecque sera dévoilée peu à peu. Alors que le projet de budget de 2009 prévoyait – il faut le rappeler – un déficit de 2 % du PIB, prévision relevée à 6 % avant les élections, le chiffre résultant des dernières évaluations fait état d’un déficit pour 2009 de 15,4 % du PIB, soit un peu plus de 36 milliards d’euros. La situation est calamiteuse, le besoin de financement un gouffre et la confiance dans les autorités grecques au point mort. La spirale est enclenchée. La Grèce et les autres Etats membres de la zone euro s’attachent depuis cette date à rétablir la situation du pays, au moyen d’un financement de substitution permettant à la Grèce de mettre en œuvre un plan d’ajustement massif.

A – Les raisons et les modalités d’un indispensable plan de sauvetage européen

1. De la révélation de la situation des finances publiques grecques à l’organisation de mécanismes d’intervention

Fin 2009, les investisseurs ont de moins en moins confiance dans la capacité de la Grèce à faire face à ses engagements pour plusieurs raisons.

D’abord, la crédibilité de l’État grec a été sérieusement mise à mal avec la révélation de la mauvaise qualité des statistiques en octobre 2009. Eurostat évaluera début 2010 à 12,7 puis à 13,6 % du PIB le montant du déficit public du pays. Les prêteurs croient de moins en moins que l’État grec pourra réussir l’ajustement budgétaire nécessaire, tant pour des raisons structurelles que de gouvernance défaillante. La Grèce présente cette particularité d’avoir transmis par deux fois aux autorités européennes des chiffres inexacts (7).

Or, les perspectives de croissance à moyen terme sont revues à la baisse et la trajectoire d’endettement public de la Grèce n’apparaît pas soutenable.

Cette trajectoire d’endettement est le fruit d’une gestion budgétaire défaillante depuis son entrée dans la zone euro en 2001, plus que de la crise financière qui n’a fait que révéler une situation qui ne pouvait durer. Entre 2000 et 2008, le déficit public moyen de l’Etat grec s’est établi à plus de 5 % du PIB, contre 1,8 % pour l’ensemble de la zone euro. Il n’aurait dégagé un déficit public inférieur à 3 % qu’en 2006. La dette publique s’est élevée en moyenne à près de 100 % du PIB sur toute la période. La gestion des finances publiques a donc été clairement défaillante. Seule une croissance tirée du bas niveau des taux d’intérêt a permis une stabilisation de la dette, croissance qui n’est plus assurée en 2009.

La compétitivité de l’Etat grec et la solidité de ses finances publiques étaient sans doute problématiques lors de l’entrée du pays dans la zone euro. Mais le décrochage est intervenu par la suite. La Grèce, comme l’Italie et le Portugal, a connu depuis la création de l’euro une perte de compétitivité de son économie. Elle a accumulé des écarts d’inflation importants par rapport au reste de la zone euro (inflation moyenne de 3,2 %), tirant sa croissance de l’envolée des salaires et d’une baisse massive du taux d’intérêt dont la monnaie unique lui a fait bénéficier, alors que son économie est spécialisée dans des activités de services à faible valeur ajoutée (tourisme et transport maritime). Le déficit commercial a atteint 17,7 % en 2007.

Déséquilibres publics et extérieurs (% PIB)

Le 15 janvier 2010, le gouvernement grec annonce un programme de stabilité, qu’il complète par des mesures supplémentaires le 2 février et le 3 mars. Il entend notamment réaliser un effort d’économies de 1,05 % du PIB sur la masse salariale de l’Etat et augmenter ses recettes par une hausse des accises et de la TVA (+1,9 % du PIB). Le Conseil européen informel du 11 février 2010 pose le principe de la solidarité européenne vis-à-vis de la Grèce, les États s’engageant à prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir la stabilité financière de la zone euro. Le 16 février 2010, le Conseil Écofin, dans le cadre de la procédure de déficit excessif engagée depuis avril 2009 contre la Grèce, met cette dernière en demeure de ramener son déficit public à moins de 3 % du PIB d’ici 2012 et fixe un calendrier de mesures à prendre. Notamment, en matière d’informations statistiques, le Conseil Écofin enjoint la Grèce à contraindre les organismes de sécurité sociale et les hôpitaux à élaborer des comptes annuels, à poursuivre les efforts pour améliorer la collecte et la constitution de données en renforçant les mécanismes de contrôle des services statistiques officiels et, enfin, à coopérer avec Eurostat notamment via l’accueil d’une mission d’assistance technique permanente pour l’élaboration des statistiques publiques. Ces mesures ont pour objet de garantir la véracité des données mais aussi le rétablissement de la confiance dans lesdites données. La Grèce est placée sous surveillance budgétaire par la Commission.

Les attaques spéculatives s’intensifiant, l’Eurogroupe précise le 11 avril 2010 les modalités d’un plan d’assistance à la Grèce prévu pour trois ans, sous conditions de réformes, pour une enveloppe globale de 110 milliards d’euros. Il se compose :

– d’une série de prêts bilatéraux d’un montant maximal de 80 milliards d’euros, dont 30 milliards d’euros la première année (6,3 milliards d’euros pour la France). Le taux des prêts, quoique inférieur aux conditions de financement de la Grèce (près de 7,5 % à trois ans), s’avère largement supérieur aux taux auxquels se financent les autres États membres de la zone euro ;

– d’une aide du Fonds monétaire international (FMI) de 30 milliards d’euros, dont 10 milliards la première année.

Ce plan est conditionné à l’adoption de mesures nouvelles, notamment une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée et des baisses de salaires et d’effectifs dans la fonction publique. Le contrôle des engagements pris par la Grèce est assuré par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (la « troïka »), dans le cadre de la procédure pour déficit excessif.

Le 22 avril 2010, Eurostat réactualise à 13,6 % du PIB au lieu de 12,7% le déficit grec pour 2009. Le taux d’intérêt des obligations grecques grimpe à plus de 8,5 %. Le lendemain, la Grèce demande officiellement l’activation du plan d’aide financière.

Comme le soulignait notre collègue Gilles Carrez, Rapporteur général, dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010 ayant autorisé le plan : « L’aide à la Grèce n’est ni une subvention – elle est tarifée à des conditions de marché proches de celles constatées sur l’année écoulée – ni un investissement financier – elle est l’expression de la solidarité entre membres de la zone euro – ni un don – elle a vocation à être remboursée dès que la Grèce aura assaini ses comptes publics et pourra recourir aux financements de marché » (8). Toute la question demeure de savoir quand…. Fin avril 2010, les agences de notations dégradent encore la note de la Grèce malgré l’annonce du plan. D’autres pays sont pris dans la tourmente : la situation du Portugal et de l’Espagne notamment alimente les inquiétudes, alors que l’Irlande est étouffée par le sauvetage de son système bancaire.

2. La création d’un dispositif d’assistance financière comme réponse de grande envergure à l’affolement des marchés

Après l’aide à la Grèce décidée en urgence au printemps 2010, le Conseil Écofin exceptionnel du 9 et 10 mai 2010 décide la mise en place d’un mécanisme temporaire de stabilisation financière d’un montant global de 750 milliards d’euros.

L’objectif du mécanisme temporaire de stabilisation financière est de financer temporairement les États n’ayant plus accès au marché pour éviter le probable effondrement du système financier que leur défaut entraînerait et leur conférer le temps nécessaire à la résolution de leurs problèmes budgétaires. Habilité à intervenir jusqu’au mois de juin 2013, ce mécanisme est composé de deux dispositifs, dont les interventions sont systématiquement complétées par un abondement du Fonds monétaire international à hauteur d’un tiers du montant total requis (250 milliards d’euros). Son activation est conditionnée à l’adoption d’un programme d’assainissement budgétaire et d’adaptation de la structure productive, déterminé conjointement par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international (la « Troïka »).

Le premier et principal élément du mécanisme est le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui prend la forme d’une société anonyme de droit luxembourgeois dont le capital est détenu par les États de la zone euro. Initialement, l’objet du Fonds était d’apporter un soutien financier à un État. Lors de leur réunion du 11 mars 2011, les chefs d’État ou de Gouvernement de la zone euro ont décidé d’ouvrir au Fonds la possibilité de souscrire à des émissions sur le marché primaire, sous réserve de l’unanimité des États.

Lors de leur réunion du 21 juillet 2011, qui a vu l’élaboration du nouveau plan d’aide à la Grèce ( cf. infra), les chefs d’État ou de Gouvernement de la zone euro ont élargi ses missions en lui permettant de prévenir les attaques spéculatives, par l’octroi de prêts à un État en difficulté mais qui peut encore se financer sur les marchés, par la possibilité de financer la recapitalisation d’établissements de crédit situés dans des pays ne faisant pas l’objet d’une assistance et par le rachat, sur le marché secondaire, d’obligations d’État. Le Fonds peut lever jusqu’à 440 milliards d’euros de financement avec la garantie des États de la zone euro. Il s’est engagé sur l’Irlande et le Portugal.

Le second élément du dispositif temporaire de stabilisation de la zone euro est le mécanisme européen de stabilité financière (MESF). Son intervention se fonde sur l’article 122.2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoit que « lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné ». Elle est prévue par le règlement n° 407/2010 du Conseil du 11 mai 2010. L’Union européenne est autorisée à lever dans la limite des marges sous plafond du budget communautaire, soit une soixantaine de milliards d’euros, des fonds pour les apporter aux États en difficulté.

Enfin, la Banque centrale européenne se déclare prête à acheter des emprunts d’Etats de pays de la zone euro pour stabiliser leurs conditions de financement.

3. La nécessité d’apporter des ajustements : la mise sur pied du plan du 21 juillet 2011 organisant un défaut sélectif

Il convient tout d’abord de souligner qu’il n’est pas étonnant qu’un plan d’aide doive être revu en cours d’application. Il existe en effet de nombreuses variables, certaines endogènes, d’autres exogènes, qui participent de son équilibre général. Il est ainsi assez courant dans les plans d’aide du FMI que les programmes soient corrigés.

Il est apparu rapidement en début d’année 2011 que le premier plan d’aide à la Grèce était sous-financé. Le déficit 2009 a encore été réévalué postérieurement à l’adoption du premier plan, de 13,7 % à 15,4 %. Cela affecte mécaniquement le déficit pour les années ultérieures. Des corrections ont du être apportées pour parvenir à l’objectif de déficit de 6,5 % en 2012, après 9,5 % prévus en 2011. Le déficit pour 2010 était initialement fixé à 9,4 % et il a atteint 10,5 % à cause de la dégradation de l’environnement économique et de la prise en compte du déficit 2009 réajusté.

Pour faire face au besoin de financement supplémentaire, par la décision du 11 mars 2011 des chefs d’État et de Gouvernement de la zone euro, les taux des prêts bilatéraux accordés par les États à la Grèce ont été diminués de 100 points de base et la durée de remboursement rallongée à sept ans et demi. Cette décision était très importante et a été prise « eu égard aux engagements pris par la Grèce dans le contexte de son programme d’ajustements ». Elle manifestait alors un revirement de position des Etats qui, d’une attitude punitive à l’encontre d’un pays jugé laxiste, se sont résolus à favoriser une sortie plus rapide de la crise. Une baisse des taux produit le même effet en réalité qu’une restructuration de dette. Le ratio intérêts / PIB est plus important que celui dette / PIB. Baisser le taux plutôt que le volume de la dette, ce qui correspondrait à une restructuration, allège le poids de la dette considérablement. Ensuite, le gouvernement grec a annoncé un vaste plan de privatisations, complémentaire des mesures d’austérité budgétaire. Ces privatisations avaient été envisagées dès l’origine, mais n’avaient pas été incluses dans le programme de sauvetage parce que la capacité à les réaliser n’était pas acquise. Enfin, la Banque centrale européenne est intervenue au moyen de mesures exceptionnelles, notamment l’admission en garantie d’effets bancaires non titrisés garantis par l’Etat grec pour les opérations de refinancement, malgré la dégradation des emprunts grecs par les agences de notation. Ces mesures ont permis de garantir un niveau de liquidités suffisants aux banques grecques, qui ont ainsi pu assurer, quoique évidemment dans des proportions modestes, leur rôle de financeur de l’économie.

Les corrections du printemps se sont cependant révélées insuffisantes pour permettre le retour sur le marché de la Grèce en 2013 comme il était initialement prévu. Il est apparu indispensable de prolonger le plan d’un an. Le Parlement grec de son côté a apporté des gages en adoptant les 29 et 30 juin 2011 un second plan d’assainissement budgétaire devant permettre une réduction du déficit public de 28,3 milliards d’euros d’ici à fin 2015.

Le 21 juillet 2011, les Etats membres de la zone euro se sont ainsi accordés sur un second plan d’aide à la Grèce permettant de couvrir les tombées de dette prévues jusqu’en 2014 et les déficits cumulés sur la période. La grande nouveauté du plan réside dans la participation des investisseurs privés, conformément aux conclusions du Conseil européen du 24 juin dernier, qui énonçaient «  les chefs d’État ou de Gouvernement des États membres de la zone euro sont convenus que, pour le financement supplémentaire nécessaire, il sera fait appel à la fois à des sources publiques et à des sources privées. Ils se rallient à l’approche retenue par l’Eurogroupe le 20 juin visant à obtenir une participation volontaire du secteur privé, sous la forme de reconductions (roll-overs) informelles et volontaires de la dette existante de la Grèce arrivant à échéance (...). ».

Jusqu’au troisième trimestre 2014, les besoins de financement de l’État grec (187 milliards d’euros) seraient satisfaits, la répartition étant indicative :

– à hauteur de 28 milliards d’euros par les privatisations ;

– à hauteur d’environ 50 milliards d’euros par une contribution volontaire des créanciers privés, dont 37 milliards d’euros via l’offre d’échange (perte de 20 %) et 12,6 milliards d’euros par des opérations de rachat de dettes (impliquant d’engager 20 milliards d’euros pour les racheter) ;

– à hauteur d’environ 109 milliards d’euros, par les États européens et le Fonds monétaire international, cet effort se rajoutant aux 110 milliards d’euros du premier programme. Ces 109 milliards correspondent au coût de 35 milliards de la garantie apportée aux 135 milliards de dettes représentant 90 % des 150 milliards de la période 2011-2014, au rachat des 34 milliards de dette grecque sur le marché secondaire et au coût de ce rachat, évalué à 20 milliards et, enfin, à la recapitalisation des banques grecques pour 20 milliards également, afin de faire face aux répercussions sur leur bilan de leur participation au plan de sauvetage.

Le plan prévoit également un mécanisme d’incitations en faveur de la mise en œuvre du programme grec pour assurer la discipline budgétaire de l’État grec après 2014 et, à la demande de la Finlande, le principe de l’octroi de garanties, « le cas échéant », à certains États financeurs.

Concernant la participation du privé, d’une part, des opérations de rachat de titres sur le marché secondaire seraient réalisées. Compte tenu du fait que les obligations souveraines grecques sont aujourd’hui cotées à 60 % de leur valeur nominale, il est prévu que les créanciers publics mobilisent 20 milliards d’euros pour acquérir des titres de dette publique grecque dont la valeur nominale est de l’ordre de 32,6 milliards d’euros. De telles interventions permettraient donc de réduire l’endettement public grec de 12,6 milliards d’euros, soit environ 6 % de PIB. Le succès d’une telle opération dépend de la volonté des détenteurs de dette publique grecque d’accepter une décote importante sur leurs titres.

D’autre part, une procédure d’échange de titres a été définie par l’Institut de la finance internationale – organisme regroupant les principales institutions financières mondiales – selon quatre modalités. L’offre de financement a été publiée le 21 juillet dernier. Un tel échange se ferait sur une base volontaire, les créanciers privés pouvant être remboursés intégralement s’ils le refusent. L’objectif est de diminuer de 6 % de PIB la part de l’endettement public net dans le PIB en organisant une perte pour les créanciers privés malgré le maintien du remboursement du principal. Cette perte est estimée à 21 % de la valeur actuelle nette sur la base d’un taux d’actualisation de 9 % (perte identique dans les quatre modalités).

Les deux premières modalités consistent à éviter une perte en capital sur les obligations à maturité mais en fixant des taux à un niveau relativement peu élevé – de 4,5 % en moyenne – avec un réengagement sur trente ans. En contrepartie, les créanciers bénéficieraient d’une garantie, financée par le FESF sous la forme de placements dans des titres « zéro coupon » notés AAA. La première modalité prévoit une utilisation une fois pour toutes dès cet automne pour l’ensemble des dettes arrivant à échéance jusqu’en 2020, alors que la deuxième pourrait être utilisée au fur et à mesure des tombées de dette. La troisième modalité entraîne une perte en capital de 20 %, compensée par des taux d’intérêts plus élevés – de 6,42 % en moyenne – avec le même réengagement sur trente ans et les mêmes modalités de garantie financée par le FESF. La quatrième modalité est analogue mais avec une maturité ramenée à quinze ans, avec un taux fixe de 5,9 % – et une garantie limitée à 80 % des pertes dans la limite de 40 % de la valeur notionnelle du titre (flux de paiement – principal et intérêts – à percevoir), sous la forme de fonds placés sous séquestre et financés par l’État grec sur un prêt du FESF.

On soulignera enfin que la participation du privé telle qu’elle est organisée permettra aussi à la Grèce d’avoir peu besoin de recourir au marché après 2014.

Il est très probable que le financement par les États européens de la Grèce ne soit plus effectué en direct comme cela a été fait jusqu’à présent mais via le Fonds européen de stabilité financière. Celui-ci reprendrait également la part non déboursée du plan du 11 avril 2010. Il a également été décidé la diminution des taux auxquels prête le FESF pour desserrer la contrainte de remboursement et la mise en place d’un groupe de travail de la Commission visant à aider l’État grec à mieux utiliser les fonds structurels financés sur le budget communautaire. Les compétences du FESF lui-même ont été élargies afin qu’il puisse racheter de la dette d'un Etat en difficulté sur le marché secondaire, débloquer des prêts « préventifs » pour soutenir des pays et leur prêter de l'argent pour qu'ils recapitalisent leurs banques.

Ce plan a été approuvé par la France au début du mois de septembre (2ème loi de finances rectificative pour 2011) et à une très large majorité en Allemagne le 29 septembre malgré les réticences. Le Parlement slovaque, dernier à se prononcer, a en revanche rejeté le plan le 11 octobre, une des formations soutenant la coalition au pouvoir estimant que la Slovaquie est trop pauvre pour réparer les erreurs d’autres pays. L’opposition slovaque avait marchandé son vote en faveur du plan en échange de l’organisation d’élections anticipées. Le plan a donc été voté le 14 octobre dernier. Le processus de ratification est désormais achevé.

B – Le programme d’austérité grec mis en œuvre avec l’assistance de la Troïka

1. Un ajustement massif

La Troïka appuie depuis mai 2010 un programme économique d’austérité prévoyant l’assainissement des finances publiques, la réduction des salaires réels et des pensions de retraite et des réformes structurelles dans le secteur public et sur les marchés des biens et services et du travail. Le programme est complété par le renforcement des outils statistiques et de suivi et des mesures fiscales tendant à assurer un partage des coûts sociaux, notamment en luttant contre la fraude fiscale et en taxant le patrimoine foncier.

Il s’agit bien entendu de mettre un terme à l’augmentation de la dette publique pour parvenir à inverser la tendance, mais aussi de jeter les bases d’une croissance saine et durable, condition de la résorption de la dette dans les meilleurs délais, mais aussi de la convergence économique européenne indispensable dans une union monétaire par restauration de la compétitivité de la Grèce. C’est avec ce double objectif que sont prévues l’amélioration de la gestion des services publics, les privatisations et les réformes structurelles des marchés du travail et des biens. Si l’on prend l’exemple des privatisations, elles permettent bien sûr de réduire le besoin de financement des administrations publiques (y compris les cessions de biens immobiliers évalués à 50 milliards d’euros), mais devraient aussi avoir des bienfaits économiques si l’on observe la gestion inefficiente des entreprises publiques. Il convient de soulignera que la faible performance des entreprises publiques est largement responsable de la révision à la hausse de la dette des administrations publiques de 11 points de PIB en novembre 2010. L’accélération du programme de privatisation en juin 2011 est en ce sens bienvenu, mais ces privatisations – il faut en avoir conscience – devront être faites dans les pires conditions.

La mise sous perfusion de la Grèce, les différents plans envisageables, ont pour seul objectif et comme seul bénéfice de donner du temps à la Grèce, ce que les marchés sont incapables de faire, pour conduire les indispensables réformes structurelles trop longtemps différées. Car il faut du temps pour assainir les finances publiques grecques. Le besoin de financement sera pour encore plusieurs années très important.

Le gouvernement grec a fait voter des réformes législatives substantielles et sa détermination est forte. Cependant, la mise en œuvre est parfois délicate, en termes de capacités politiques, règlementaires et administratives. Doit en effet être mis en œuvre en un temps record tout un ensemble de mesures et de réformes qui auraient du être prises au cours des années précédentes, mais cette fois sous la contrainte d’un besoin de financement qui a explosé et d’une défiance des marchés relayée par une partie de la classe politique et de la population.

Comme l’ont souligné nos interlocuteurs à Bruxelles, les réformes structurelles demandées s’assimilent pour une large part à un rattrapage de l’acquis communautaire. De nombreux secteurs souffrent d’un retard évident par rapport à la norme communautaire (énergie, transports, réseaux, procédures administratives, etc.), à corriger dans des délais extrêmement brefs. Par exemple, des obstacles à l’entrée ou des restrictions d’honoraires ou de tarifs demeuraient dans les secteurs des services professionnels, du commerce de détail ou des industries de réseau. Le droit de la concurrence et la directive européenne sur les services sont mal appliqués.

D’abord, le Parlement grec avait adopté un premier programme au printemps 2010, comprenant notamment un gel des embauches en 2010, une baisse de 10 % des salaires des fonctionnaires, des baisses de dépenses de fonctionnement et d’intervention et des hausses d’impôt, notamment de TVA.

Mesures prévues dans le programme de stabilité grec de 2010

Le Parlement grec a annoncé des mesures dès le printemps 2011 pour compléter et accélérer ce programme. Les 29 et 30 juin derniers un second plan d’assainissement budgétaire a été finalement adopté, devant permettre une réduction du déficit public de 28,3 milliards d’euros d’ici à fin 2015, soit environ 11 % de PIB. L’effort structurel de réduction de déficit public atteindrait, si les objectifs sont atteints, en moyenne 2,2 % de PIB par an entre 2011 et 2015.

Sur le plan des recettes, de nouvelles contributions pesant tant sur les salariés du secteur privé que sur les agents publics sont instituées pour assurer le financement de l’assurance chômage. Des impositions ciblées sont accrues – sur les yachts, les voitures de luxe, le tabac, les sodas... Enfin, la lutte contre l’évasion fiscale est définie comme une priorité et devrait générer pour 1,2 % de PIB de recettes supplémentaires entre 2012 et 2015. Sur le plan des dépenses, le plan de non remplacement des départs en retraite des fonctionnaires est accéléré, avec un objectif d’une embauche pour cinq départs en 2015 et d’une pour dix en 2011. Par ailleurs, les conditions d’obtention des aides sociales sont durcies et les dépenses de santé, en particulier les dépenses de médicaments, font l’objet de diverses mesures d’économies.

Le second plan d’assainissement budgétaire grec

(en % de PIB)

 

 

Impact 2011

Impact cumulé 2012-2015

Impact total 2011-2015

Dépenses

Dépenses de personnel

0,2

0,5

0,7

Dépenses de fonctionnement

0,1

0,5

0,6

Rationalisation des structures administratives

0,2

0,3

0,5

Dépenses de santé

0,1

0,6

0,7

Dépenses sociales

0,4

1

1,4

Sous-total mesures en dépense

1

2,9

3,9

Recettes

Lutte contre l’évasion fiscale et nouvelles impositions

0,2

2,2

2,4

Niches fiscales

0,3

1

1,3

Sous-total mesures en recettes

0,5

3,2

3,7

 

Mesures à définir

0,7

1,1

1,8

TOTAL objectifs de réduction de déficit

2,1

8,7

10,8

Source : Ministère grec de l’économie et des finances (23 mai 2011).

Les réformes afférentes au coût du travail sont de grande ampleur, avec d’abord de nombreux licenciements, surtout dans les entreprises publiques, des baisses de salaires drastiques et un allongement du temps de travail. Il convient de souligner qu’avant la crise les fonctionnaires de grade inférieur ou intermédiaire bénéficiaient de salaires plus élevés que dans le privé, à temps de travail inférieur. Parmi les mesures, on notera la suppression de 80 000 postes, la limitation des remplacements des personnes quittant la fonction publiques  à 10 % en 2011 puis 20 % jusqu’en 2015, une baisse du nombre des employés sous contrat à durée déterminée. Le temps de travail est par ailleurs relevé de 37 heures et demi à 40 heures dans le gouvernement central et une rationalisation de la grille des salaires est en cours. Le gouvernement grec a également réformé le système des retraites en 2010, pour faire face à l’augmentation prévisionnelle de 12 points de PIB des dépenses au titre des retraites à horizon 2050 : à compter de 2021, l’âge légal de la retraite est porté à 65 ans et l’âge minimum d’ouverture des droits à pension ajusté en fonction de l’espérance de vie. La progression des dépenses de retraites serait ainsi contenue.

Concernant la libéralisation de l’économie, une nouvelle loi adoptée en 2011 a renforcé l’indépendance et l’efficacité de la Commission hellénique de la concurrence, un plan d’actions a été adopté pour éliminer les restrictions pesant sur les entreprises (création d’un registre général du commerce, simplification des procédures administratives et d’autorisation …) et une vaste réforme a libéralisé 150 professions. Enfin, les dispositifs d’incitation à l’investissement ont été refondus pour une meilleure orientation et un effet de levier maximisé.

2. Les résultats obtenus

Selon les études économiques de l’OCDE d’août 2011, les résultats déjà obtenus sont impressionnants : le déficit budgétaire a été réduit de près de 5 points de PIB en 2010, aucun autre pays de l’OCDE n’étant jamais parvenu à redresser son solde budgétaire dans de telles proportions en une seule année au cours des trois dernières décennies. L’objectif fixé pour 2010 n’a été manqué que d’un demi point, malgré la récession plus forte que prévue, avec un chômage de 16 % début 2011, une baisse de la production de plus de 4% en 2010, et la persistance de la fraude fiscale. L’objectif de ramener le déficit de 10,5 % du PIB à 7,5 % en 2011 paraissait alors à l’OCDE atteignable, l’actualisation des chiffres de la récession n’ayant pas encore été connue (cf. infra). Cet objectif suppose un effort supplémentaire d’assainissement des finances publiques de 2 points de PIB par rapport à la version initiale du programme du fait de la hausse du déficit 2009 à la fin de 2010.

L’OCDE estimait en août que si le programme était rigoureusement mis en œuvre, les finances publiques grecques pourraient retrouver une trajectoire viable, le ratio dette / PIB commençant à diminuer en 2013 pour passer sous la barre des 60 % progressivement au cours des deux décennies suivantes. Ces études rappellent que des ajustements de même nature ont été conduits par la Belgique, le Danemark et la Finlande « quoique dans des conditions plus propices ». L’OCDE comptait sur une reprise de la croissance dès 2012, ce qui parait aujourd’hui improbable, lorsque les réformes produiront leurs premiers effets sur la compétitivité de l’économie, améliorant le niveau des investissements et des exportations. Il est vrai toutefois qu’une augmentation de la valeur des exportations grecques a déjà été constatée pendant six mois consécutifs à partir d’octobre 2010. Un petit rythme de croissance a également été relevé début 2011. Cependant, l’OCDE soulignait que deux facteurs pèsent sur cette prévision : d’abord l’environnement déprimé marqué par un manque de confiance généralisé, résultant de l’austérité et de la faible capacité du secteur bancaire à soutenir la croissance par le crédit, ensuite les perspectives de l’économie mondiale. L’incertitude sur ces facteurs est plus forte encore aujourd’hui.

L’OCDE déplorait toutefois le retard pris dans certaines réformes comme la déréglementation de certaines professions (avocats et pharmaciens), qui ont accumulé des rentes et doivent participer de l’effort collectif, et les hésitations sur le programme de privatisations. Elle souligne les difficultés qui ont été constatées en matière de recouvrement des impôts (recettes) et de contrôle sur les organismes hors de l’administration centrale (dépenses). Il est clair que sur le terrain de nombreux obstacles sont apparus. L’exemple le plus frappant est sans nul doute l’absence de cadastre, malgré un projet ancien. Il n’est pas possible de taxer la propriété foncière sans cadastre. De même, les droits fonciers des secteurs à privatiser sont à clarifier.

Programme d’ajustement conduit en 2010

 

% PIB

Milliards d’euros

Réduction du déficit 2010-2009

5

12

Dépenses primaires

3,7

9

Salaires et retraites

1,2

2,8

Réduction des dépenses militaires

0,9

2

Consommation et fonctionnement

0,7

2

Investissements fixes et transfert de capitaux

0,4

1

Allocations sociales

0,2

0,4

Autres dépenses (amortissements, etc)

0,3

0,8

Total des recettes

1,8

4

Impôts indirects

1,3

3

Transferts de capitaux (principalement U.E)

0,6

1

Cotisations sociales

0,4

1

Impôts directs

- 0,5

-1

Intérêts

- 0,5

-1

Plan de stratégie budgétaire à moyen terme

 

2011 - 2015

Description de l’intervention

% PIB

Milliards d’euros

Rationalisation des salaires

0,9

2,2

Réduction des coûts de fonctionnement

0,5

1,2

Suppressions/fusions d’organismes et réduction des subventions

0,6

1,5

Réorganisation des Organismes et Entreprises Publiques

0,6

1,5

Réduction des dépenses militaires

0,5

1,2

Réduction des dépenses et amélioration des résultats du secteur de la santé

0,3

0,8

Rationalisation des dépenses de santé

0,4

1,1

Réduction des dépenses des Organismes d’Assurance Sociale et rationalisation des dépenses sociales

1,7

4,2

Amélioration du recouvrement et lutte contre l’évasion des cotisations sociales

1,2

3,1

Renforcement de la conformité fiscale

1,4

3,5

Réduction des exonérations fiscales et autres recettes fiscales

2,4

6,0

Amélioration des résultats des Collectivités Locales

0,5

1,4

Rationalisation des coûts du Programme des Investissements Publics

0,2

0,5

Total des interventions

11

28

Source : Texte informatif sur le Plan de stratégie budgétaire à moyen terme du ministère des finances grecques, 9 juin 2011

Concernant la fraude fiscale et l’économie souterraine, leur importance est considérable en Grèce, la perte fiscale est estimée à 5 points de PIB hors impôt sur le revenu (TVA, cotisations sociales, impôts sur les sociétés), ce dernier rapportant 5 points de PIB de moins que la moyenne européenne. Des mesures ont été adoptées pour rationaliser le système d’imposition, améliorer les outils de lutte contre la fraude et renforcer l’efficacité de l’administration des impôts. Des doutes subsistent sur leur efficacité. En tout état de cause, des mesures complémentaires apparaissent nécessaires. De nombreuses pistes sont évoquées et l’assistance des experts fiscaux des autres pays européens devrait être fructueuse. On peut souligner que bien qu’insuffisants, des résultats sont déjà obtenus puisque les recettes ont augmenté de 4 milliards d’euros en 2010 dont 2,5 milliards par suite des hausses de taux notamment de la TVA et de la taxe spéciale à la consommation, mais aussi de la mise en conformité de la fiscalité. Des efforts sont indéniablement déployés selon le ministère des finances grec : sanctions hiérarchiques allant jusqu’au licenciement contre plus de 100 employés de l’administration fiscale, renforcement du contrôle fiscal (mise en place de contrôles ciblés, de croisement de données, de plans d’actions par secteurs), avec une hausse des recouvrements et des amendes, développement de l’activité du service de la répression du crime économique (777 contrôles chez les médecins pour 9000 infractions, contre respectivement 130 et 142 en 2009, 555 bateaux placés sous séquestre, 8,5 millions d’euros d’amendes dressées concernant des biens immobiliers appartenant à des sociétés offshore, redressements relatifs à 1 208 piscines etc.).

L’OCDE, dès lors que le plan du 21 juillet dernier accorde à la Grèce un temps supplémentaire pour faire face à ses échéances, recommande :

– d’accélérer les réformes pour que leurs effets se fassent sentir le plus rapidement possible ;

– de faire preuve d’unité afin de conférer au programme un maximum de crédibilité ;

– de mettre en place un suivi des réformes au moyen d’indicateurs et d’outils de surveillance, avec diffusion de l’information disponible ;

– d’assurer le partage des coûts en luttant fermement contre la fraude fiscale et les intérêts catégoriels jusqu’à présent préservés.

Mais le coût social des réformes est extrêmement élevé. Or, contrairement aux autres pays sous assistance, il n’existe pas de consensus dans la classe politique grecque, certains partis allant jusqu’à afficher des positions totalement irréalistes, comme le soutien à des injections de fonds publics massives. Il est donc difficile de savoir si le peuple grec acceptera de subir les conséquences d’un ajustement qui devra être réalisé sur le long terme, d’autant qu’une frange de la population continue à être relativement épargnée.

3. De nouvelles incertitudes sont apparues début septembre

Le 2 septembre 2011, la troïka a quitté la Grèce après avoir constaté qu’un manque de 2 milliards d’euros n’était pas comblé, laissant au gouvernement grec le soin de boucler des travaux techniques sur son budget. Le versement de la sixième tranche d’aide du plan de 2010, d’un montant de 8 milliards d’euros, était donc mis en suspens. Les négociations ont manifestement été difficiles, entretenant la confusion autour des perspectives de remboursement de la dette grecque. Une loi a été préparée pour diminuer les dépenses de l’Etat et augmenter ses recettes. Le gouvernement grec a annoncé immédiatement la création d’une taxe immobilière d’urgence, très impopulaire, pour financer ces deux milliards. Cette taxe exceptionnelle concerne de fait 70 % des Grecs.

Le gouvernement a surtout dévoilé un mois plus tard, le 2 octobre, qu’il ne serait pas en mesure d’atteindre les objectifs de déficit fixés pour 2011, qui devait être de 7,6 % du PIB (contre 10,5 % en 2010 et 15,4 % en 2009), en raison d'une plus forte récession, évaluée à 5,5 % en 2011 au lieu des 3,8 % prévus. Le pays connaîtrait en 2012 sa quatrième année de récession au lieu de celle du redémarrage de la croissance escompté. Le déficit devrait atteindre 18,69 milliards d’euros, soit 8,5 % du PIB. Le ministre grec des Finances, Evangelos Venizelos, s’est engagé à mettre tout en œuvre pour que la Grèce remplisse ses obligations et puisse profiter du second plan de sauvetage du 21 juillet, évoquant des mesures complémentaires pour parvenir à un objectif de déficit de 6,8 % en 2012, soit 0,3 % de plus que le seuil fixé en 2010.

Le ministère des finances a envoyé, dimanche 18 septembre, dans un courriel à tous les ministères, une liste de quinze mesures à mettre en oeuvre d'urgence, sur l'insistance de la « troïka » : procéder à des coupes dans les effectifs – saisonniers ou fixes – dans toutes les administrations ; étendre le chômage technique avec application immédiate ; aligner la taxe sur le fuel domestique sur celle du gas-oil ; permettre la retenue sur salaire de l'impôt de solidarité destiné à financer les caisses de chômage ; diminuer les retraites pour les marins et les anciens employés de l'opérateur téléphonique OTE ; supprimer les subventions à la Poste pour la distribution de la presse ; élaborer un nouveau cadre juridique dans le secteur public pour réduire les indemnités de départ et les heures supplémentaires ; geler les retraites primaires et complémentaires jusqu'en 2015 ; augmenter les amendes pour les constructions illégales ; fusionner ou fermer trente-cinq agences d'Etat et dix autres structures, notamment l’agence nationale de la jeunesse, l’organisme de télévision publique et la société de l'immobilier public ; recenser les biens mobiliers et immobiliers sous le contrôle de l'Etat ; recenser tous les avantages sociaux et prestations de santé ; signer des négociations collectives dans seize hôpitaux privés et passer des contrats entre hôpitaux privés et publics pour la locations de lits ; réduire les retraites agricoles ; et abaisser les prix des médicaments en passant des accords avec les laboratoires pharmaceutiques.

Le gouvernement a annoncé un nouveau plan de rigueur mettant en œuvre une partie de ces mesures le 21 septembre dernier, d’autres devant figurer dans le projet de budget pour 2012 : baisse de salaires de 750 000 fonctionnaires, diminution des effectifs du secteur public ou parapublic avec la « mise en réserve » de 30 000 personnes payées à hauteur de 60 % et devant retrouver un emploi dans un délai d’un an, baisse de 20 % du montant des retraites supérieures à 1 200 euros et de celles des femmes parties avant 55 ans, abaissement du seuil d’imposition à l’impôt sur le revenu de 12 000 à 5 000 euros, modification des conventions de travail afin de poursuivre la baisse des salaires dans le secteur privé, accélération des privatisations et de l’ouverture des professions règlementées et, enfin, prolongation de la nouvelle taxe sur l’immobilier jusqu’en 2014. Ces mesures étaient en réalité pour la plupart déjà incluses dans le plan de redressement de l’économie grec voté en juin dernier par le parlement grec, mais leur mise en œuvre a été accélérée et durcie. Un projet de loi sur la fiscalité a par ailleurs été annoncé pour ce mois-ci, afin de corriger « les inégalités et les injustices du système ».

Le ciel s’est un peu éclairci la semaine dernière avec, le 11 octobre, l’accord de la troïka au versement d'une nouvelle tranche de 8 milliards d'euros au gouvernement grec, accord qui devrait être approuvé par l’Union européenne et le Conseil d’administration du FMI. L’argent devrait être décaissé début novembre. La « troïka » confirme que le gouvernement n'atteindra pas son objectif de réduction du déficit public, mais aussi « à cause des retards de l'application de certaines mesures convenues ». Si les mesures de rigueur devraient suffire pour 2012, la « troïka » demande des actions additionnelles pour 2013-2014, comme Jean-Claude Junker l’avait déjà indiqué à l’issue d’une réunion à Luxembourg le 3 octobre dernier. Ces mesures devraient être tournées vers la croissance et se concentrer sur la réduction des dépenses de l'Etat, et donc ne pas se traduire par de nouvelles augmentations d'impôts qui fragilisent la reprise. La « troïka » a insisté sur la nécessité que le fonds en charge des privatisations « reste indépendant des pressions politiques » afin de conduire un programme qui a pris du retard. Les principales inquiétudes concernent les réformes structurelles dont la mise en œuvre aurait été « inégale ». Il s’agit donc d’un éclaircissement du ciel très provisoire.

Une autre bonne nouvelle est intervenue : le taux de 90 % de créanciers privés prêts à participer au programme d’échange d’obligations grecques élaboré dans le cadre du plan du 21 juillet dernier a été atteint. Des créanciers privés initialement réticents ont donc rallié le projet, sans doute dans la crainte d’un défaut sélectif plus important si le plan n’était pas efficace. De fait, une telle éventualité n’est plus du tout écartée : le plan du 21 juillet dernier ne serait plus suffisant pour permettre d’alléger le besoin de financement dans les proportions estimées. Votre Rapporteur ne peut ni confirmer ni informer les informations relatives à un relèvement de la décote des titres à 50 %. La Commission européenne et le FMI sont en train, sur la base du rapport de la troïka, de déterminer précisément le calendrier d’assainissement des finances publiques envisageable et les conditions de sa tenue.

Il est important en revanche de dire que les créanciers privés, y compris grecs, sont aptes à absorber une décote plus importante, si cette mesure permettait de régler la crise et surtout de mettre un terme à l’effet de contagion sur les autres pays qui les affecte directement. Car les établissements de crédit et les compagnies d’assurance sont certes exposés à la dette grecque, mais surtout aux autres dettes souveraines de la zone euro qui sont fragilisées voire font l’objet d’attaques spéculatives récurrentes.

C – Une zone euro ébranlée

La crise grecque est une crise de la dette publique très particulière puisque la situation des finances publiques grecque résulte de mensonges délibérés et répétés du précédent gouvernement grec. Cependant, elle a été rendue possible par l’existence d’une monnaie commune, d’une gouvernance faible, et elle affecte toute la zone euro aujourd’hui, du fait de mouvements spéculatifs sur d’autres dettes souveraines européennes et au travers des expositions des créanciers privés à la dette grecque et à la dette des autres Etats sous pression.

1. Une exposition modérée des agents économiques à la dette grecque

La crise de la dette grecque affecte d’abord les institutions financières européennes qui détiennent de la dette grecque.

Les banques européennes sont d’importants créanciers de la Grèce avec une exposition qui s'élevait fin 2010 à 162 milliards d'euros, selon les chiffres de la Banque des règlements internationaux. Sur ce montant, la dette souveraine représentait 52 milliards d’euros, les banques françaises et allemandes en portant l'essentiel, respectivement 15 et 22 milliards d’euros. L’éventualité d’un défaut ou d’une restructuration de la dette grecque fragilise donc leur notation financière. En outre, il convient d’ajouter les crédits accordés par les banques européennes aux secteurs public et privé.

L’exposition brute au risque souverain des quatre principaux établissements français s’élève à 8 milliards d’euros environ au 30 juin 2011 (9). Ces établissements ont déjà provisionné dans leurs comptes au 30 juin 2011, les pertes liées à une dépréciation de la valeur des titres souverains grecs, à hauteur d’environ 20 % de leur valeur, conformément au plan du 21 juillet 2011 de soutien à la Grèce, et sous le contrôle de leurs commissaires aux comptes. L’exposition nette (des provisions) des banques françaises au risque souverain grec est estimé à 7 milliards d’euros.

Les banques centrales sont ensuite directement exposées. La Banque centrale européenne a acquis des milliards d’euros de titres grecs et a fourni également des milliards d’euros de liquidités aux établissements grecs en échange d’obligations d’Etat.

Enfin, les Etats de la zone euro sont désormais directement exposés. Paris a décaissé 8,9 milliards d'euros de prêts bilatéraux (4,4 milliards en 2010, 4,5 milliards en 2011), sur le premier plan d'aide décidé au printemps 2010, pour lequel notre participation représente 16,8 milliards d'euros sur trois ans. À mesure qu'ils sont décaissés, ces prêts augmentent la dette et les émissions obligataires, ainsi que le déficit budgétaire. Le déficit public au sens de Maastricht n’est en revanche pas affecté car ce déficit budgétaire correspond à une créance. Si cette dernière était revue à la baisse dans le cadre d’une restructuration, le déficit maastrichtien serait réévalué. La France apporte également sa garantie au Fonds européen de stabilité financière à hauteur de 110 milliards d'euros, montant porté à 159 milliards dans le cadre du plan du 21 juillet en cours de ratification en Europe. La France doit enfin contribuer, à compter de 2013, à hauteur de 16 milliards en apport en capital au Mécanisme européen de stabilité.

Source : Les Échos, Dossier : Pour comprendre la crise grecque, 25 juillet 2011

2. Des effets de contamination sur les autres Etats difficiles à contenir

Au-delà de la question de l’exposition à la dette grecque des agents économiques – institutions financières et Etats –, on a pu constater un effet de contamination tout à fait calamiteux sur les conditions de prêt : des institutions financières et des économies dites « périphériques ». Votre Rapporteur souhaiterait au préalable s’élever contre l’emploi de cette expression lorsqu’il est question de l’Italie, quatrième économie européenne, membre originaire de la Communauté économique européenne. L’acronyme PIIGS est à cet égard bien préférable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un défaut de l’Italie n’est pas une hypothèse de travail. Si l’Italie devait « tomber », ce serait avec l’essentiel des économies européennes et une partie des économies non européennes.

Mais le risque de contagion n’est pour autant pas à écarter. Il affecte depuis plusieurs mois déjà l’Espagne, le Portugal, et l’Italie et chaque nouvelle péripétie de la crise grecque provoque des réactions en chaîne sur les marchés. Ces pays présentent en effet des similitudes avec la Grèce, en termes d’endettement public et d’inflation.

Ces derniers – on le sait – ont un comportement moutonnier et leurs craintes peuvent conduire à faire se réaliser l’évènement craint : c’est le phénomène de prophétie auto-réalisatrice. Concernant le risque de défaut, qui a obligé l’Europe à intervenir, c’est bien la croyance en un risque de défaut qui, en provoquant une hausse brutale des taux d’intérêt, rend le coût de la dette insoutenable jusqu’au défaut.

Ces craintes peu à peu contaminent les marchés de la dette des Etats présentant des caractéristiques jugées similaires. Les gouvernements sont alors placés sous l’œil des marchés. Une annonce négative (croissance moins forte que prévue), une dégradation générale de l’environnement économique, un gouvernement en difficulté politique, et c’est la sanction immédiate. Les agences de notation jouent un rôle prépondérant en la matière, en participant du cercle vicieux de la dégradation des conditions de financement, qu’elles jalonnent de dégradations de la note des pays. L’abaissement de la note de l’Italie le mois dernier est par exemple tout à fait symptomatique. Encore une fois, l’Italie n’est pas dans une situation économique comparable à celle de l’Espagne et du Portugal, et encore moins de la Grèce.

La solvabilité d’un Etat n’est pas, pour les marchés, fonction de choses aussi complexes que les fondamentaux, mais d’un sentiment général de confiance. Le déficit budgétaire agrégé de la zone euro s’établira à 4,1 % environ en 2011, soit moins de la moitié de celui du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. La dette publique atteint 85 % dans la zone euro, alors qu’elle va bientôt franchir les 100 % aux Etats-Unis et a atteint 20 % au Japon en 2010. La zone euro est également la seule grande union monétaire présentant des comptes extérieurs en équilibre. En d’autres termes, ses déséquilibres sont internes mais la zone dans sa globalité est robuste. Les pays de la périphérie, les PIIGS, améliorent leurs fondamentaux. Le déficit primaire de l’Espagne serait ramené à 4,7 % en 2011, la moitié de celui du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. L’Italie devrait même dégager un excédent primaire en 2012. Quant à l’Irlande, son déficit a été ramené de 32 % en 2010 à 10 % en 2011 avec une croissance de 1,6 % au deuxième trimestre 2011 et une croissance estimée à 2 % sur l’année.

On observe donc que les fondamentaux sont une condition indispensable mais pas suffisante pour la confiance des marchés. Les « spirales de liquidités » pour reprendre l’expression de Christian Noyer (10) ont enfermé les PIIGS et cette volatilité ne semble pas s’arrêter. La fragilité du président du Conseil italien et les errements dans la gouvernance du pays ont immédiatement été sanctionnées par les agences de notation, provoquant une nouvelle flambée des taux d’intérêt. L’Italie a concentré les inquiétudes au regard de ces critères politiques face à la deuxième dette de la zone euro après la Grèce (120 % du PIB avec 2 000 milliards d’euros). Cependant les autres pays du groupe PIIGS ne sont pas épargnés, loin s’en faut. L’assistance au Portugal suit son cours. La Commission a commencé en septembre à émettre une série d’enchères d’obligations pour lever dix milliards d’euros dans le cadre du mécanisme européen de stabilité financière (du budget européen). L’Irlande s’inquiète également de ce que la fébrilité des marchés pourrait retarder son retour sur les marchés et donc sa sortie du dispositif d’assistance financière. Le chef du gouvernement portugais, Passos Coelho, a également déclaré que la situation de la Grèce pouvait ralentir le Portugal et compliquer le processus de changement en cours dans son pays.

Pour ce qui concerne la Grèce, l’épicentre de la crise, les marchés ont besoin de réponses à court terme, alors que l’économie réelle repose sur des processus de long terme. Il faudra très longtemps à la Grèce pour réduire son déficit public et son déficit extérieur. Si les annonces de plans de rigueur sont saluées par les marchés, quelques semaines plus tard, ceux-ci sont à nouveau pris par le doute, alors que l’effet des plans ne peut être si rapide. Les marchés sont en outre empêtrés dans la contradiction d’une exigence de rigueur et de la crainte d’un impact récessif de cette rigueur. Or, cet impact récessif intervient avant les bénéfices des plans d’assainissement.

De la même façon, les décisions prises au niveau européen semblent aux marchés nécessiter des temps de négociation trop long. La nécessité de faire ratifier le plan de sauvetage par les parlements nationaux implique des temps politiques incompatibles avec les attentes des investisseurs. De même, l’examen technique effectué par la troïka ne peut durer une seule journée, qui s’achèverait par des nouvelles définitives et rassurantes. Durant ces intervalles, les rumeurs s’amplifient et la solidité du plan s’ébranle. Chaque nouvel indice est scruté à la loupe. Les mauvaises nouvelles d’Athènes sur les prévisions de déficit n’y sont évidemment pas étrangères. Mais les prises de parole de responsables publics qui confortent les doutes des marchés sont un poison bien pire.

Concernant les banques européennes, l’effet de contagion se traduit par une chute de leurs cours boursiers et un besoin de fonds propres supplémentaires. Les banques françaises par exemple présentent une exposition nette des provisions au risque souverain cumulé des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) de 61 milliards d’euros. Les expositions nettes aux dettes souveraines de pays sous assistance demeurent raisonnables avec 1,7 milliard d’euros pour l’Irlande et 7,8 milliards d’euros pour le Portugal. L’Espagne et l’Italie ont adopté des mesures vigoureuses pour assainir leurs finances publiques. Cependant, l’exposition des banques françaises à la dette italienne, exposition nette qui s’élève à 41 milliards d’euros, inquiète. Votre Rapporteur le répète : le défaut partiel de l’Italie n’est pas envisagé parce qu’il signifierait que l’ampleur de la crise affecte des économies fortes au-delà de l’Italie, y compris la France. Les banques françaises seraient dans cette situation incapables de faire face.

Exposition nette des banques françaises au risque souverain des PIIGS

En milliards d’euros

 

Exposition nette au risque souverain

Fonds

Propres durs

(Core Tier 1)

Expositions /

FP durs

Taille de bilan

(12/2010)

Exposition /

Total actifs

Exposition nette des banques françaises au risque souverain cumulé PIIGS

Total

60,99

175,2

34,8%

5 909,56

1,03%

Exposition nette des banques françaises au risque souverain grec

Total

6,99

175,2

4,0%

5 909,56

0,12%

Exposition nette des banques françaises au risque souverain portugais

Total

4,92

175,2

2,8%

5 909,56

0,08%

Source : Fédération bancaire française

Mais les difficultés rencontrées par les banques européennes en viennent aussi à fragiliser les Etats. L'agence de notation Standard and Poor's a abaissé le 13 octobre dernier d'un cran la note souveraine de l'Espagne, à AA-, après que l’agence Fitch eut abaissé de deux crans sa note pour l’établir également à AA- moins d’une semaine auparavant. Les arguments invoqués sont les incertitudes sur les perspectives de croissance, un environnement financier plus difficile et le risque de ralentissement économique chez les principaux partenaires du pays. Il est intéressant de souligner que les risques sont pour l’agence liés non seulement au fort taux de chômage et à l’environnement économique général dégradé, mais aussi précisément à la difficulté des agents économiques d’accéder aux financements, ce qui ne peut guère s’arranger en pesant à la hausse sur les taux, et la probable détérioration de la qualité des actifs du système financier espagnol, liée évidemment à la hausse des taux des autres Etats périphériques de l’Union européenne, qui seront à leur tour affectés par la hausse des taux espagnols. C’est le serpent qui se mord la queue.

Enfin, pour les Etats de la zone euro, le risque est de voir leur propre note dégradée par les agences de notation et le coût de leur endettement augmenter. Un scénario dans lequel les Etats les plus sûrs de la zone euro, qui sont donc les plus engagés dans le soutien aux Etats fragiles, verraient leur note baisser, serait catastrophique pour l’ensemble de la zone euro. Il est à cet égard important de comprendre que ce qui assure aujourd’hui la capacité financière des Etats européens à venir en aide à ceux d’entre eux qui éprouvent des difficultés, qu’il s’agisse de l’Irlande, de la Grèce ou du Portugal, c’est le faible coût de l’emprunt dont bénéficient les « grands » Etats et par extension le FESF. Il est dès lors totalement aberrant de se lancer dans une surenchère sur les montants auxquels doivent s’exposer ces Etats bien notés. La proposition par exemple d’augmenter encore la dotation du FESF, outre qu’elle jette le doute sur la capacité pourtant bien réelle du FESF tout juste réformé à assumer ses fonctions, traduit une relative imprudence à l’égard du risque de notation. Au-delà d’une certaines limites, les notations des pays bénéficiant aujourd’hui d’un triple A seraient probablement sur la sellette, accroissant fortement les difficultés.

En conséquence, la seule solution aux difficultés qu’éprouvent les Etats européens sous pression et les banques européennes est de parvenir à ramener la raison sur les marchés. Cela ne peut passer que par le traitement de la crise grecque, des mesures garantissant des interventions futures si nécessaire et l’affichage d’une unité sans faille des dirigeants européens dans l’application des solutions annoncées.

II – LA NÉCESSITÉ DE SUBSTITUER AU SPECTACLE DE LA FUITE EN AVANT L’AFFIRMATION D’UNE UNITÉ FORTE

Après avoir rappelé les erreurs et manquements commis par les gouvernements grecs, il apparaît à ce stade nécessaire de porter un regard critique sur la stigmatisation de la Grèce (11). S’il s’agit d’un cas très particulier en Europe, l’entière responsabilité des difficultés que l’Union économique et monétaire traverse aujourd’hui ne lui échoit pas. Si tel était le cas en effet, les Etats seraient parvenus à circonscrire une crise dont le traitement est largement à leur portée. Or, les effets de contamination sont mal maîtrisés.

Comme pour la crise des « subprimes », la crise des dettes souveraines est liée à l’explosion de l’endettement. Mais l’endettement public est moins élevé dans la zone euro qu’au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ; il y a donc bien un déficit de confiance propre à la zone euro. Les difficultés éprouvées par les Etats européens dans le remboursement de leur dette sont en grande partie liées à la fébrilité des marchés et au comportement des agences de notation. Ceux-là même qui considéraient des produits toxiques comme totalement sûrs, qui soutenaient des écarts de taux d’intérêts très faibles entre économies de la zone euro avant la crise, ne sont pas devenus plus lucides depuis. En revanche, ils sont désormais en proie à des crises de paniques récurrentes qui alimentent des anticipations auto-réalisatrices. C’est bien une faille de l’Union économique et monétaire que la crise des dettes souveraines a mis au jour : son incomplétude.

Pour beaucoup, les Européens réagissent systématiquement avec un temps de retard, se résignant à chaque nouvelle étape à mettre en œuvre ce qu’ils s’étaient refusé à faire quelques mois auparavant, sans toujours donner l’impression d’y croire. Bien sûr la critique est facile, mais l’impression générale est celle d’une course contre la montre dans laquelle trop d’exigences sont posées et trop de retard accumulés. Assiste-t-on effectivement à une fuite en avant sans point de chute prédéfini ? Votre Rapporteur estime que tel n’est pas le cas, que les efforts mis en œuvre sont de nature à apporter des réponses satisfaisantes, qu’il s’agisse du financement des dettes souveraines ou du renforcement à long terme de l’intégration européenne. La communication lui apparaît en revanche mal gérée avec des effets désastreux.

Le défi pour l’Union européenne – et d’abord pour l’Union économique et monétaire – est de taille il est vrai et le temps politique est plus long que celui que dictent les marchés mais l’UEM amorce sans doute un tournant majeur.

A – Tordre le cou aux fausses bonnes idées

Afin de pouvoir examiner les axes qui permettront à l’Union européenne de rebondir, il faut commencer par écarter ce que votre Rapporteur considère comme des fausses bonnes idées. La poursuite de débats au plus haut niveau à leur propos nuit en effet considérablement à l’efficacité de la réaction européenne.

1. L’hypothèse d’une sortie de l’euro : le scénario catastrophe

Votre Rapporteur, lorsqu’il a choisi de traiter le thème de la crise grecque, souhaitait pouvoir exposer plusieurs scénarii de sortie de crise, parmi lesquels celui de la sortie de l’euro de la Grèce. Très rapidement, ce scénario est apparu comme un repoussoir, car cataclysmique pour la Grèce comme pour tous les pays européens, voire au-delà des frontières de l’Europe. Sans céder au catastrophisme, Votre Rapporteur souhaite expliquer clairement pourquoi l’hypothèse d’une sortie de l’euro n’est « pas envisagée » (12) et pourquoi il est dramatique qu’elle continue à être évoquée comme envisageable.

Il convient au préalable de rappeler qu’aucune disposition ne permet d’exclure un Etat de la zone euro. Le scénario d’une sortie de l’euro ne peut donc être envisagé que si la Grèce en formulait la demande. Pour la Grèce, une telle demande relèverait du suicide collectif. D’abord, il faudrait réintroduire une monnaie qui n’a plus cours ou en introduire une nouvelle et il s’en suivrait, pendant la période de transition, un chaos complet. Cette monnaie grecque ne recueillerait évidemment aucune confiance de la part des investisseurs impliquant une dévaluation massive. La Grèce serait en faillite et l’ensemble de ses agents privés, endettés en euros, ne seraient plus en mesure de rembourser leurs dettes. Il faut rappeler à cet égard à ceux qui citent l’exemple argentin que le défaut argentin a pesé sur des créanciers étrangers alors qu’un défaut grec pèserait principalement sur les établissements financiers grecs, aggravant la stagnation économique par un assèchement du crédit. À dire vrai, les banques grecques seraient très probablement en faillite.

Certains pourraient arguer que la Grèce n’aurait après tout, pour reprendre une expression populaire qui circule « que ce qu’elle mérite ». Au-delà de ce que l’on peut penser de cette assertion, les responsables qui veulent faire croire que la seule conséquence d’une sortie de la Grèce de l’euro serait de faire payer les Grecs plutôt que les autres sont inconséquents. Car il est bien évident que l’effet de contagion serait massif. Déjà aujourd’hui, alors qu’une grande énergie est déployée pour mettre en œuvre dans l’urgence des mécanismes d’assistance, la dette d’autres Etats de la zone euro est attaquée. Que l’on songe que l’Italie emprunte en ce moment à un taux supérieur à 5 % sur les marchés ! Qu’en serait-il si la zone euro se désolidarisait d’un de ces membres ? Comment faire passer le message que la réponse apportée pour la Grèce n’est pas reproductible ? La situation deviendrait ingérable.

Enfin, il est illusoire de penser que les Etats les moins fragiles ne seraient pas affectés par la faillite d’un Etat européen, voire de plusieurs par effet de contagion. Outre le fait qu’ils pourraient, pour ceux qui sont endettés comme la France, être eux-mêmes pris dans la tourmente, leur système bancaire serait affaibli, avec un risque majeur de crise bancaire, et leurs exportations en diminution.

2. Consolider le dispositif européen de stabilité financière sans affaiblir la portée de la réponse européenne

Il convient de rappeler que le dispositif européen de stabilité financière permet de mobiliser 750 milliards d’euros, soit des montants absolument colossaux, au travers de trois mécanismes :

– le fonds (ou facilité) européen de stabilité financière (FESF) qui lève des financements garantis par les États de la zone euro pour un maximum de 440 milliards d’euros ;

– le mécanisme européen de stabilité financière (MESF), par lequel l’Union européenne lève des financements garantis par la « marge sous plafond » du budget communautaire pour un maximum de 60 milliards d’euros ;

– le Fonds monétaire international qui s’est engagé à mobiliser un maximum de 250 milliards d’euros.

Des incertitudes sont apparues au début sur les capacités du FESF dès lors qu’elles n’atteignaient en réalité non pas 440 milliards d’euros, comme cela avait été annoncé, mais autour de 250 milliards d’euros – ce qui correspondait approximativement au montant des garanties apportées par la France et l’Allemagne. En effet, les agences de notation ont exigé plusieurs conditions pour accorder au fonds une note AAA, notamment l’obligation de mettre en réserve une partie des fonds levés en guise de couverture. Ces conditions sont justifiées par le fait que les États garants du fonds ne sont pas tous notés AAA – par exemple, l’Espagne, l’Italie, la Belgique… – et que les États notés AAA ne garantissent qu’une quote-part, et non la totalité, des prêts accordés par le fonds.

C’est la raison pour laquelle les garanties du fonds ont été renforcées. Les 440 milliards d’euros sont maintenant garantis par des États notés AAA. Pour la France, le plafond de garantie avait été fixé à 111 milliards d’euros par la loi de finances rectificative pour 2010 du 7 juin 2010, et a été relevé à 159 milliards d’euros, soit une hausse de 48 milliards d’euros, par amendement gouvernemental à la première loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011. Le montant garanti par la France est désormais fixé en fonction de sa quote-part dans le capital de la BCE, déduction faite de la quote-part des États non notés AAA.

La mise en place d’un tel dispositif rappelle l’importance cruciale de la notation AAA de la France. La perte de cette notation entraînerait non seulement un renchérissement de ses coûts de financement mais aussi et surtout l’affaiblissement de l’ensemble du dispositif de stabilisation de la zone euro.

On peut donc dire sans sourciller que le FESF est un instrument bien calibré pour faire face aux crises. Sa capacité reste peu entamée avec des engagements de 43,7 milliards d’euros sur l’Irlande et le Portugal. Le volume actuel du fonds de sauvetage, noté AAA, dépasse de presque 80 % les besoins de refinancement cumulés de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne jusqu’en 2013. Les engagements du fonds pourraient atteindre 27,1 milliards d’euros au titre de la reprise du premier plan d’aide à la Grèce et entre 70 et 80 milliards d’euros au titre du second. Après les décisions du 21 juillet 2011, la capacité financière resterait donc encore élevée, à environ 300 milliards d’euros.

Le MESF est quant à lui engagé à hauteur de 22,5 milliards d’euros sur l’Irlande et de 26 milliards d’euros sur le Portugal, soit un total de 48,5 milliards d’euros. Sa capacité d’engagement résiduelle s’élève donc à 11,5 milliards d’euros.

LES PROGRAMMES DE FINANCEMENT D’ÉTAT DE LA ZONE EURO

(en milliards d’euros)

 

Grèce

Irlande

Portugal

TOTAL

Etats de la zone euro et FESF

80

17,7

26

124

dont quote-part de la France (21,88%)

16,8

3,9

5,7

26

Union européenne (MESF)

-

22,5

26

49

Fonds monétaire international

30

22,5

26

79

Royaume-Uni, Suède, Danemark

-

4,8

-

5

Irlande (trésorerie et réserves retraites)

-

17,5

-

18

TOTAL

110

85

78

273

NB : du fait du mécanisme de « sur-garantie » requis par les agences de notation et décrit plus bas, les montants garantis par la France sont supérieurs aux montants indiqués dans le tableau, lesquels correspondent aux financements accordés par le FESF aux États, et non aux financements levés par le FESF. Si l’on prend en compte l’exposition de la France sur ces financements levés, son exposition s’établit à 6,5 milliards d’euros pour l’Irlande et 9,1 milliards d’euros pour le Portugal. Une telle approche suppose que l’on prend en compte le risque de défaut des États non notés AAA et faisant partie du FESF (Espagne, Italie, Belgique...) – un tel défaut conduisant à étendre la garantie de la France qui se substituerait aux États défaillants.

Quant au Mécanisme européen de stabilité (MES), qui remplacerait le FESF, il serait doté de 80 milliards d’euros de capital libéré (part de la France : environ 16 milliards d’euros) et de 620 milliards d’euros de capital exigible et de garanties des États (part de la France d’environ 130 milliards d’euros).

Il est toujours intéressant d’examiner comment renforcer l’effet de levier du fonds actuel et du futur mécanisme. Cependant, les sommes déjà affectées sont colossales. Des chiffres supérieurs ont été évoqués, créant de nouvelles références pour les marchés qui en déduisent qu’au niveau actuel le fond est sous dimensionné. La pression pour augmenter le fonds s’est accentuée depuis que le chiffre de 2 000 milliards d’euros, relayé par Oli Rhen, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, a été évoqué, deux mois après que le précédent renforcement du fonds eut été décidé le 21 juillet ! Or, ce niveau de fonds n’est pas utile et emporte des risques sur la notation des premiers contributeurs, à commencer par la France, et des difficultés politiques à faire ratifier une telle réforme. Le fait que des chefs d’Etat et de gouvernement n’appartenant pas à la zone euro se sont prononcés pour un renforcement du fond a également été préjudiciable. Lorsqu’il s’agit du premier ministre britannique, on peut s’interroger sur l’objectif qu’il poursuit. L’augmentation du fonds apparaît probable, mais il est à espérer que ce sera par l’effet de nouveaux leviers pertinents.

3. Le rôle de la BCE : une gardienne de l’euro

On a pu entendre ou lire ici et là des critiques sévères à l’encontre de la politique monétaire de la banque centrale. Le reproche principal concerne la monétisation de la dette, c'est-à-dire l’achat massif de dettes publiques comme ont pu l’opérer la Fed ou la Banque d’Angleterre, pour, respectivement, 21 % et 51 % de la dette totale émise depuis 2009. Il existe bien entendu une contrainte juridique qui pèse sur la BCE. L’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit l’octroi de découverts et l’acquisition directe d’instruments de dette, c’est-à-dire les interventions sur le marché primaire.

Mais au-delà de l’argument juridique, Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, résume fort bien la situation : « la zone euro paie une double facture : l’une pour ses erreurs et l’autre pour ses vertus. L’erreur, de la part des gouvernements, a été d’autoriser pendant une décennie l’accumulation de la dette par le biais de politiques budgétaires insoutenables, et ensuite de créer ex nihilo un doute sur leur capacité à rembourser cette dette. Et nous payons également la facture pour notre vertu et notre refus de rendre notre dette liquide par une monétisation massive de nos déficits budgétaires. » (13) L’actif sûr par excellence n’est plus la dette souveraine, comme la crise que nous connaissons en atteste, mais la monnaie elle-même. Faut-il sacrifier la crédibilité de la BCE et la valeur de notre monnaie commune ? Votre Rapporteur ne le pense pas, d’autant qu’il est inexact de considérer que la BCE n’est pas intervenue dans les proportions souhaitables.

En effet, lorsqu’elle a considéré que la transmission de la politique monétaire était affectée, la BCE a lancé des opérations sur le marché secondaire, afin de soutenir les cours des dettes d’Etats et permettre aux pays attaqués de continuer à emprunter. L’impact des variations du taux de refinancement de la BCE sur la courbe des taux des obligations d’État constitue en effet un vecteur important d’influence sur les taux auxquels les agents économiques empruntent. Ces interventions ont eu pour but de contrer la spéculation et d’atténuer les mouvements déconnectés des fondamentaux. Le Conseil des gouverneurs a d’abord décidé, en mai 2010 au moment de la création du FESF, une intervention sur les marchés secondaires des dettes grecque, irlandaise, portugaise et espagnole. Le 8 août dernier, la BCE a décidé la réactivation de ce programme qui devrait bénéficier en priorité à l’Italie et à l’Espagne. Ces opérations de rachat d’obligations publiques, quoique limitées, ont prouvé la capacité d’adaptation de la BCE et le refus d’une position dogmatique, soutenue notamment par Axel Weber, qui a démissionné de son poste de président de la banque centrale allemande le 11 février 2011 et renoncé à briguer la présidence de la BCE, et Jürgen Stark, qui a démissionné du directoire de la BCE le 9 septembre dernier pour des raisons « personnelles ». La BCE a ainsi acheté pour 7,6 % de total de la dette publique émise dans la zone euro depuis 2009.

Il convient également de se souvenir que la BCE a réactivé les mesures exceptionnelles en faveur du financement des établissements de crédit, déjà mises en place à l’automne 2008, en permettant notamment l’octroi de refinancements sans limite de montant. Elle a également garanti l’accès à ce financement des établissements de crédit grecs, irlandais et portugais en dépit du fait que les collatéraux qu’ils apportent en guise de garantie ne sont pas de la qualité habituellement requise par l’Eurosystème. Le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a annoncé le 5 octobre dernier une série d'opérations exceptionnelles pour aider les banques de la zone euro à se refinancer, avec deux opérations de refinancement à volume illimité sur environ un an, en octobre et décembre, un instrument exceptionnel qui n'avait plus été employé depuis décembre 2009, et une somme de 40 milliards d'euros via le rachat d'une partie de leurs actifs. La BCE a donc permis d’éviter une crise de liquidité qui aurait pu avoir un effet aussi dévastateur que la faillite de Lehman Brothers.

On ne peut donc dire que la BCE pêche pas son attentisme. En revanche, sa surexposition aux dettes de pays fragiles l’obligerait à stériliser des montants considérables, la rendrait dépendante de la volonté des Etats à assainir leur finances publiques et nuirait à sa crédibilité, et in fine à celle de la monnaie européenne. En revanche, les Européens ont créé les mécanismes à même d’intervenir : il s’agit du FESF à la suite des décisions prises le 21 juillet 2011 et du futur MES. Ils sont suffisamment robustes pour assurer les rachats, sans produire les mêmes effets négatifs. Certes ils ne bénéficient pas d’une liquidité illimitée comme une banque centrale, mais il n’est pas besoin d’une telle liquidité.

4. Les euro-obligations (« eurobonds ») : un outil intéressant, pas un remède miracle

Votre Rapporteur souhaite enfin évoquer une quatrième fausse-bonne idée, quoique celle-ci soit intéressante à moyen terme : la création des euro-obligations (« eurobonds »). Il s’agit d’une idée séduisante puisqu’elle semble pousser à son terme la logique de la monnaie unique par la création d’obligations uniques, manifestant une solidarité des Etats de la zone euro, a priori bénéfique. Si votre Rapporteur estime toutefois que cette idée doit être écartée à court terme, c’est qu’elle ne permettrait pas de régler les crises de solvabilité et de liquidité, qui sont précisément le problème aujourd’hui rencontré par la zone.

En matière de liquidité, la réponse adaptée n’est pas l’émission d’euro-obligations, mais le mécanisme du FESF qui a été mis en place. C’est précisément pour qu’il assure ce rôle que ses compétences ont été élargies par l’accord du 21 juillet dernier. Il pourra désormais emprunter avec la garantie des Etats en contrepartie de ce qu’il faut bien nommer une mise sous tutelle, mais aussi racheter de la dette sur les marchés en endossant ainsi un rôle de régulateur de la liquidité, complémentaire de celui de la banque centrale européenne.

Ensuite, l’émission d’obligations communes ne règlerait évidemment pas le problème de solvabilité d’un Etat qui nécessite des réformes structurelles d’ampleur. La crise de la dette grecque nécessite d’assurer la viabilité de la dette existante et pas le financement d’une dette future. L’emprunt sur les marchés au profit de la Grèce, ou de l’Irlande et du Portugal, n’a pour seul objectif que de fournir un financement de substitution aux marchés le temps nécessaire à la réduction des déséquilibres financiers et au retour à des conditions de marché acceptables. L’essentiel est donc de parvenir à réduire ces déséquilibres et à remettre ces pays sur un sentier de compétitivité et de croissance.

Enfin, en termes préventifs, l’intérêt des euro-obligations est également nul. L’existence d’une monnaie unique a conduit pendant des années à des écarts de taux très faibles entre les Etats alors même que leurs fondamentaux divergeaient considérablement. Un taux unique d’emprunt masquerait les déséquilibres, voire les cautionnerait jusqu’à la crise suivante, soit se traduirait au contraire par un taux élevé malgré le poids relatif des économies solides dans la zone euro. L’UEM doit avant toutes choses se doter de mécanismes opérationnels de détection et de correction des déséquilibres.

La création des euro-obligations ne présenterait donc pas d’avantages en matière de prévention et de résolution des crises. Au contraire en réalité, un tel système aurait un effet pénalisant sur le coût de la dette, puisqu’il se traduirait par un taux d’emprunt moyen supérieur à celui dont bénéficie aujourd’hui les Etats les mieux notés. Les euro-obligations aboutiraient à un équilibre général des plans dégradé par rapport à celui que le FESF permet d’obtenir et dont on voit déjà au prix de quelles difficultés. Cela n’arrangerait guère la situation de la Grèce. Les financements de substitution au marché en période de crise nécessitent l’accès au meilleur taux du marché, avec la meilleure garantie qui soit, c'est-à-dire AAA. Les risques qui accompagnent la dégradation de la note des grands Etats, en particulier de la France, ont déjà été présentés.

Si les euro-obligations ne constituent pas un mode de traitement et de résolution de la crise, en revanche dans une optique d’intégration renforcée au sein de la zone euro, allant jusqu’à l’avènement d’une union de transferts budgétaires, ce mode de mutualisation des dettes est pertinent. Mais encore une fois, il ne sera envisageable que lorsque les garanties seront apportées que la nouvelle dette émise s’intègrera à des finances publiques nationales assainies. D’ailleurs le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, favorable à la création d’euro-obligations, ne dit pas autre chose lorsqu’il pose la condition que ce soit des « obligations de stabilité ». Cette condition n’est manifestement pas remplie pour le moment et il existe suffisamment de sujets difficiles à régler à 17 pour ne pas empoisonner les débats par une proposition qui suscite de fortes réticences de la part de certains de nos partenaires. Il est opportun donc de laisser la Commission européenne travailler sur les modalités concrètes d’un tel mécanisme pour être en mesure à moyen terme de prendre position sur ce dossier qui constituera, à n’en pas douter, un enjeu important.

B – Mettre en œuvre les décisions prises en trouvant l’équilibre adéquat entre austérité et stimulation de la croissance

La contagion progressive de la crise aux différents États « périphériques » de la zone Euro peut laisser une impression d’impuissance. Pourtant, les solutions sont connues et les Etats de l’Union économique et monétaire sont parvenus à les prendre, malgré certains errements et une communication très largement défaillante. Sur le plan financier les solutions résident, à court et moyen terme, dans la mise en place d’un système d’assistance financière d’une ampleur suffisamment importante pour donner le temps à la Grèce de procéder à des réformes et garantir une intervention en cas de quasi-défaut et, à long terme, dans la pérennisation d’un tel système d’assistance financière. Sur le plan économique, la priorité va aux politiques d’assainissement budgétaire dans les États périphériques, mais l’effet fortement récessif de telles politiques doit être compensé par des transferts budgétaires intra-communautaires, ce que tous les Etats, même les plus réticents, finissement peu à peu par admettre.

1. L’impératif d’efficacité : respect des engagements et communication maîtrisée

Le gouvernement grec doit mettre en œuvre le plan d’assainissement budgétaire des 29 et 30 juin derniers et le programme de privatisations. Il faut être conscient que dans tous les scénarios, c'est-à-dire même après restructuration, un assainissement budgétaire demeure nécessaire pour réduire le déficit structurel et revenir sur une trajectoire d’endettement soutenable.

Au-delà de la question de l’endettement, c’est bien l’amélioration de la compétitivité-coût de la Grèce qui lui permettra de rétablir une situation saine. Il faut traiter le mal à la racine. La capacité à long terme de la Grèce à rembourser sa dette repose sur sa capacité aujourd’hui à limiter son besoin d’endettement structurel. Le cas irlandais est un excellent exemple. Après une cure d’austérité drastique, l’Irlande renoue avec la croissance et présente désormais un excédent extérieur. C’est lié à la baisse des importations par suite de la diminution de la consommation intérieure, mais aussi à la hausse des exportations due à une amélioration de la compétitivité du pays. Bien entendu, l’Irlande présente des caractéristiques très différentes de celles de la Grèce : il s’agit d’une économie très ouverte, très flexible et qui s’appuie sur un taux d’impôt sur les sociétés faible. On peut se demander à cet égard quel doit être le rôle de la fiscalité au sein de l’Union en termes d’ « aménagement du territoire ». Les ajustements sont bien plus difficiles à conduire en Grèce. Cependant, l’amélioration du déficit extérieur espagnol est lui aussi très encourageant. En d’autres termes, le plan d’austérité ne consiste pas seulement à afficher des ratio d’endettement et de déficit public acceptables, mais aussi à rétablir une compétitivité-coût que la Grèce a perdue et qui la contraint à s’endetter, cet endettement ayant été favorisé lors de l’entrée dans l’euro par des taux d’intérêt très bas.

C’est donc pour toutes ces raisons que la Grèce doit conduire le plan élaboré en concertation avec ses bailleurs. Il n’existe pas d’alternative pour l’économie grecque. Une mission d’assistance technique (« task force ») de l’Union européenne a été constituée, conformément au plan du 21 juillet dernier, pour aider le pays à conduire ses réformes. Dirigée par Horst Reichenbach, ancien vice-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, elle se répartit entre Bruxelles et Athènes avec pour tâche d’aider à améliorer la collecte de l’impôt, à rationaliser le système de santé publique et à améliorer la communication du gouvernement. Elle travaille séparément de la troïka afin de doter l’administration grecque des capacités qui lui sont indispensables pour accueillir les réformes. L’assistance technique est notamment mobilisée pour la mise en place d’une collecte de l’impôt efficace, avec l’utilisation de moyens informatiques, et la création d’une structure cadastrale qui a bien avancé ces dernières semaines.

Concernant les privatisations, une proposition intéressante a été récemment formulée par des économistes allemands. Votre Rapporteur souhaiterait qu’elle soit examinée avec attention. Il s’agit en réalité d’une proposition du cabinet allemand Roland Berger Consultants, baptisée « Eureca », calqué sur la Treuhand, le système mis en place en Allemagne au moment de la réunification pour restructurer et privatiser près de huit mille cinq cents entreprises de l'ex-RDA. Une société holding serait créée afin de reprendre les actifs de l'Etat grec, avant d’être vendue à une institution européenne financée par les Etats membres. Le produit de la vente permettrait à La Grèce de rembourser une partie de sa dette et de la ramener à un niveau convenable. Les actifs grecs seraient restructurés avant d’être privatisés, ce qui permettrait de créer les conditions pour qu’ils soient cédés à bon prix, ce qui ne sera certainement pas le cas des privatisations effectuées par le gouvernement grec en pleine tourmente financière. Les recettes tirées des privatisations pourraient être réinjectées pour créer de la croissance et accélérer l’assainissement des finances publiques. Cela aurait un effet vertueux pour la Grèce, mais aussi pour l’ensemble de la zone euro en désamorçant les phénomènes spéculatifs. Pour les Etats membres, ce pourrait être une opération intéressante, d’autant qu’il s’agirait d’un investissement et non d’une dette au sens maastrichtien. Le gouvernement allemand et certains responsables de la troïka se seraient prononcés en faveur d'une telle mesure.

Mais la Grèce n’est pas la seule à devoir faire preuve de rigueur.

D’abord, les autres pays de la zone euro ont une responsabilité à tenir dans la gestion rigoureuse de leurs finances publiques. Les autres pays fragilisés, à commencer par l’Italie, doivent faire la preuve de leur volonté à appliquer leurs programmes d’austérité. Le gouvernement italien a fait adopter un paquet de 45,5 milliards d’euros d’économies et d’augmentations de taxes, comme annoncé en juillet. Les mesures ont été élaborées dans un climat assez chaotique, qui a légitimité certaines craintes, mais elles sont bien là avec notamment, pour 2014, une hausse d’un point de la TVA pour la porter à 21 %, un impôt de 3 % sur les revenus de plus de 500 000 euros, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes dans la fonction publique, une règle d’équilibre budgétaire (« règle d’or ») et un transfert de pouvoirs des provinces aux régions. La crédibilité de l’Union économique et monétaire à faire face à la crise étant en jeu, des gages de responsabilité et de volonté doivent être donnés par tous. Ceci est d’autant plus essentiel que la croissance en Grèce sera aussi fonction de l’environnement économique général et que sa dégradation complique la tenue des objectifs. La France y prend aussi sa part, ne serait-ce qu’en apportant sa garantie. Mais l’ensemble des pays européens doit s’atteler à démontrer qu’il compte conserver sa dette sous contrôle.

Ensuite, les pays de la zone euro ont une immense responsabilité en matière d’efficacité. Cela suppose d’abord de ne pas systématiquement dimensionner au plus près les plans d’aide, car tout nouvel ajustement produit des secousses qui aggravent les difficultés à sortir de la crise. Cela implique aussi une certaine discipline dans la communication qui fait parfois cruellement défaut. Nous avons déjà évoqué notamment les prises de position sur le dimensionnement du FESF, sur l’organisation d’une sortie de la Grèce de la zone euro, ou encore sur un défaut sélectif plus important. Ces déclarations, qui émanent parfois même de membres d’un gouvernement de la zone euro, font un tort considérable quand elles ne sont pas le reflet d’une position validée. Il conviendrait notamment qu’aucune prise de parole n’intervienne avant ou pendant une réunion de haut niveau. Dès lors que des décisions communes vont être prises ou le sont, leur efficacité dépend en grande partie de l’unité qui est manifestée autour d’elles. De la même façon, il n’est pas opportun d’afficher des divisions sur le passé, qu’il s’agisse d’une rancœur à l’encontre des pays qui ont fait preuve de laxisme ou de ceux rétifs à endosser le coût de ces erreurs. À cet égard, il est exact que l’Allemagne a tiré des bénéfices de l’endettement des Etats périphériques pour ses exportations, mais il est aussi exact qu’elle a toujours assumé sa position de premier contributeur au budget européen, avec un solde net très négatif.

2. La variable de la croissance

Dans tous les Etats périphériques, il apparaît indispensable que les mesures d’assainissement s’accompagnent d’une stimulation de la croissance. Le débat à ce sujet semble désormais clos, la logique punitive s’étant avéré désastreuse. Il est tout à fait compréhensible que des Etats ayant fourni des efforts pour consolider leur compétitivité ces dix dernières années, y compris par des mesures de rigueur salariale, rechignent à aider financièrement des Etats qui ont mal employé la manne liée à la baisse des taux induite par l’euro en développant l’inflation et la dette. Cependant, ce raisonnement ne tient pas à l’épreuve de la réalité. Le taux d’intérêt de 6 % servi initialement à l’Irlande était une aberration sur le plan économique. En outre, l’exposition de tous est telle qu’il n’est pas envisageable de différer la sortie de crise.

Il convient donc déjà d’organiser à court terme, un soutien budgétaire pour compenser le caractère récessif des politiques d’assainissement budgétaire. Le plan d’ajustement grec comporte tout de même des mesures tendant à stimuler la croissance, notamment des incitations au maintien et à la création d’emplois et l’initiation d’une réforme des procédures de conduite de projets financés par les fonds structurels européens pour proposer des simplifications et améliorer les délais. Cinq grands projets ont été lancés au premier semestre 2011 et cette réforme facilitera les travaux du groupe de travail de la Commission visant à mieux utiliser les fonds structurels financés sur le budget communautaire qui a été sollicité par le second plan d’aide à la Grèce. Le problème ne se pose évidemment pas qu’en Grèce. Les stratégies de dévaluations internes menées par les pays fragilisés par la crise, c'est-à-dire les baisses de salaires et de prix, affectent durablement les pays qui malgré ces mesures et à cause du ralentissement qui en résulte doivent réduire une dette qui n’a pas diminué.

La Commission européenne a mis sur la table le 1er août 2011 un ensemble de mesures dont l’objectif est de faciliter la remise sur pied de certaines des économies de l’Union les plus en difficulté. Il s’agirait de permettre à six pays de contribuer dans une proportion moindre au cofinancement de projets européens. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, la Roumanie, la Lettonie et la Hongrie se verraient accorder par la Commission  une aide financière supplémentaire pour soutenir des projets destinés à stimuler, dans chacun de ces pays, la croissance et la compétitivité. De cette manière, ces pays pourront réduire leur apport propre de financement et des programmes aujourd’hui sous-financés pourront être lancés. L’incidence escomptée atteindrait au maximum, pour l’ensemble des six pays, 2,84 milliards d’euros qui se répartiraient en 879 millions pour la Grèce, 714 millions pour la Roumanie, 629 millions pour le Portugal, 308 millions pour la Hongrie, 255 millions pour la Lettonie et enfin 98 millions pour l’Irlande.

Les mesures proposées ne représentent pas un financement nouveau ou supplémentaire, mais elles permettent un remboursement anticipé de fonds déjà engagés au titre de la politique de cohésion de l’UE, du développement rural et des pêches. Si un État membre le demande, la contribution de l’UE sera augmentée jusqu’à 95 % au maximum. Mais il faudra que priorité soit donnée à des projets centrés sur la croissance et le développement, comme la reconversion des travailleurs, le développement de grappes d’entreprises ou l’investissement dans les infrastructures de transport. Pour faciliter l’absorption des fonds, la Commission coopérera avec les États membres à l’élimination des obstacles, au renforcement de la capacité administrative de ces pays et à l’accélération des mises en œuvre et de l’utilisation concrète des fonds.

Dans le cas spécifique de la Grèce, la Commission a instauré un groupe de travail qui aide le gouvernement grec à appliquer les mesures prévues dans le programme d’ajustement économique et à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer une absorption plus rapide des fonds de l’Union. La Grèce présente un effet un taux d’absorption des fonds structurels très faible, du fait notamment d’une maîtrise des procédures insuffisante. Elle n’a ainsi dépensé à ce jour que 30 % de son enveloppe de 20,2 milliards d’euros pour le présent cadre financier pluriannuel, qui vient à échéance en 2013. Il reste ainsi près de 14 milliards d’euros mobilisables. La « task force » présente à Athènes a notamment pour fonction d’assister le lancement de projets financés sur fonds structurels. Le 21 septembre, la Grèce a présenté une liste de projets d’infrastructures à réaliser avec l’aide des fonds structurels européens, établie en lien avec le Commissaire européen à la politique régionale, Johannes Hahn. Comme convenu, l’Union européenne assurera le financement de 95 % des projets, au lieu de 85 % comme annoncé en juin, et 79 % auparavant (et 50 % dans la règle initiale).

Au-delà de la question des fonds structurels et du rôle du budget européen dans la croissance, qui n’est pas négligeable comme en témoignent les débats sur le budget européen 2012 et les perspectives financières pluriannuelles, c’est plus généralement la capacité à générer de l’activité et des recettes qui est posée. Il faut donc trouver des moyens alternatifs à l’endettement public pour conduire des projets porteurs d’avenir ou jouer un rôle d’effet de levier. La première possibilité est de s’appuyer sur des programmes publics non grecs (fonds structurels). La seconde est de faire appel à des investisseurs privés. La venue récente d’une délégation allemande pour étudier la possibilité d’un vaste programme de développement de l’énergie solaire est très intéressante. La troisième possibilité réside dans un endettement mutualisé pour financer des projets d’avenir. C’est la proposition intéressante de créer des « project bonds » c'est-à-dire un financement des investissements via un emprunt européen. Il ne s’agit pas dans cette hypothèse de financer l’endettement de façon indiscriminée comme avec des « eurobonds » (obligations européennes) mais de lever les fonds nécessaires à la mise en œuvre de projets générateurs de croissance. Cet outil serait complémentaire des fonds structurels et les améliorations apportées à l’utilisation de ces fonds en Grèce, la présence d’une mission d’assistance technique, sont autant de progrès qui pourraient catalysés pour cette nouvelle forme de financement.

3. Le soutien au secteur bancaire : une question de liquidité ou de solvabilité ?

Les banques se trouvent aujourd’hui dans la tourmente pour plusieurs raisons déjà évoquées, mais la criticité de leur situation s’est accélérée. La Banque centrale américaine, la Fed, a demandé aux fonds américains cet été de réduire leur exposition à la zone euro, ce qui a fortement pénalisé les banques, notamment françaises, trop dépendantes du refinancement en dollars. La BCE et les autres grandes banques centrales ont toutefois décidé de procéder à trois opérations spéciales d’apport de liquidités en dollar avec une échéance de trois mois. Mais si la BCE peut répondre à cette difficulté, elle n’est pas apte à résoudre seule le problème plus délicat de l’exposition des banques aux dettes souveraines des Etats européens périphériques et de la chute de leur cotation en bourse, même si les inquiétudes concernant l’exposition des banques françaises sont plutôt exagérées (60 milliards d’euros).

Toute la difficulté du traitement de la crise grecque est que, cette dernière a beau être un cas très particulier, il n’est pas possible de l’isoler compte tenu des effets de contamination permanents. Encore une fois, le doute qui continue à planer sur la Grèce jette le trouble sur les perspectives des autres Etats périphériques. Le marché interbancaire devient moins liquide, posant des problèmes de refinancement à court terme particulièrement pour les banques exposées aux dettes souveraines attaquées. La banque Dexia, « plombée », par ses actifs toxiques, en a fait les frais en manquant son redressement malgré le renflouement dont elle avait bénéficié de la part des gouvernements belge, français et luxembourgeois à hauteur de 6,4 milliards d'euros il y a près de deux ans pour assainir son bilan et se départir de ses actifs les plus toxiques. Comme nombre de banques européennes, elle est exposée aux dettes souveraines et ses besoins de financement à court terme, certes mois importants qu’il y a deux ans, demeuraient très élevés (plus de 90 milliards d'euros). Si sont ratio de fonds propres (« Core TIER 1 ») était très élevé, supérieur à 10 %, cela n’aura pas suffit à éviter le démantèlement.

Il faut souligner qu’il est assez paradoxal aujourd’hui de douter de la fiabilité des établissements dont le portefeuille est diversifié (mise en cause du modèle de banque universelle) et investit en actifs jugés sûrs par la réglementation prudentielle. Car tels sont bien les motifs invoqués par les agences de notation pour abaisser les notes des banques notamment françaises. Dernier acte en date : la mise sous surveillance négative par l’agence Fitch des notes AA- de la BNP, du Crédit agricole, du Crédit mutuel et de la Deutshbank notamment le 13 octobre dernier. Les banques ont été conduites, compte tenu des règles prudentielles, encore renforcées en ce sens par leur dernière mouture (« Bâle 3 »), à détenir des proportions importantes de dettes souveraines considérées présentant un risque faible et liquides, pour atteindre un ratio de fonds propres pondéré en pratique toujours plus haut. Les banques françaises ont en outre maintenu leur encours en à la demande du Gouvernement français pour ne pas aggravé la crise, alors que d’autres établissements européens se sont délestés des dettes souveraines fragilisées. Cela est patent si l’on observe la chute de l’exposition des banques allemandes à la dette grecque. Les banques françaises hors Dexia étant solides – elles n’ont traversé aucune crise d’insolvabilité et ont passé les stress test avec succès – n’avaient pas renforcé excessivement leurs fonds propres pour ne pas envoyer un signal contraire alors qu’elle étaient largement au-dessus des ratios requis. Or, la course aux fonds propres a fait rage et elles se trouvent aujourd’hui en difficulté sans qu’un appel de fonds propres sur le marché ne soit envisageable compte tenu du fait que leur cours se sont effondrés. Toute opération serait extrêmement « dilutive ».

La tourmente dans laquelle les banques se trouvent prises compte tenu de leur exposition aux dettes souveraines est inquiétante. Le FMI estime le besoin de recapitalisation entre 100 et 200 milliards. Cependant, un tel calcul se fonde sur une décote sur les dettes souveraines excessivement large. Il n’est pas possible de travailler sur l’hypothèse d’un défaut, non seulement de la Grèce, mais aussi de l’Espagne et surtout de l’Italie. Comme indiqué précédemment, un défaut de l’Italie ne peut pas être une hypothèse de travail. Le FMI maximise les pertes et ne facilite guère le refinancement des banques. La manifestation d’un soutien affiché aux établissements de crédit au-delà de ceux identifiés comme fragiles par les tests de résistance est devenu nécessaire.

Le 9 octobre 2011, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy ont formulé un accord de principe sur la recapitalisation des banques européennes, sans toutefois en préciser les modalités, notamment si l’intervention en fonds propres devait être effectuée par les budgets nationaux ou le FESF. Cette annonce a été saluée par les marchés. Votre Rapporteur attire l’attention sur le fait que, concernant les banques françaises qui sont tout à fait solides, une recapitalisation a surtout vocation à adresser un signe au marché, ce qui explique que la nouvelle ait été fraîchement accueillie par la Fédération bancaire française. L’association bancaire allemande BDB a elle aussi souligné que l'Europe devrait recapitaliser ses banques au cas par cas et non pas appliquer uniformément des mesures à l'ensemble du secteur. En tout état de cause, ce type d’intervention ne peut se substituer à un règlement politique et économique de la crise par les Etats.

Il est fondamental que les pouvoirs publics européens s’engagent à soutenir le financement de l’économie par les établissements de crédit et leur recapitalisation si nécessaire, mais il n’est ni utile ni opportun d’alimenter une course aux fonds propres, sous la pression notamment des banques américaines, qui a déjà été trop loin au regard du rôle que joue en Europe l’intermédiation bancaire pour le financement de l’économie. Le sauvetage de Dexia est un excellent exemple de ce qui doit être fait : quand le besoin existe, la réponse existe. Les modalités peuvent en être organisées plus en amont ; tel est l’objet des négociations en cours. Un apport de fonds propres indistinctement n’a pas de sens.

C – Renforcer l’intégration européenne : amélioration de la gouvernance et constitution d’un gouvernement économique

Les attaques contre la dette d’Etats membres de la zone euro a révélé un déficit de confiance dans l’Union économique et monétaire. La gouvernance économique européenne était caractérisée par une régulation budgétaire assez faible exercée par les pairs, une coordination molle des politiques nationales au travers d’objectifs non contraignants et des politiques redistributives assurées par un maigre budget européen. Cette gouvernance a perdu sa crédibilité avec la crise, n’ayant permis ni de prévenir et résorber les déséquilibres, ni de jeter les bases saines d’une croissance de long terme et ne permettant pas de traiter les effets de la crise. Le meilleur gage d’efficacité dans la prévention et le traitement des crises semble être le renforcement de l’intégration économique européenne pour une meilleure convergence et une discipline accrue. Convaincu de cette nécessité, le gouvernement français n’a cessé de plaider en ce sens, et des décisions majeures ont d’ores et déjà été prises.

Le Conseil européen des 25 et 26 mars 2010 a ainsi chargé son président, Herman Von Rompuy, de diriger un groupe de travail pour élaborer des recommandations de réforme de l’UEM. Trois objectifs sont poursuivis : établir un cadre permanent de gestion de crise, renforcer la discipline budgétaire au travers notamment d’une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, introduire une coordination économique pour réduire les déséquilibres au sein de la zone euro. Le rapport a été présenté le 21 octobre 2010. La gouvernance est donc en pleine refondation.

L’euro a été créé sans qu’une union économique ne soit instituée et encore moins incarnée, ce qui fait dire à Paul Krugman en introduction de son article fracassant « En 2011, l’Europe peut-elle être sauvée » (14) : « Il y a quelque chose d’étonnamment cohérent dans le fait que la crise européenne actuelle ait débuté à Athènes. Car les malheurs de l’Europe ont tous les aspects d’une tragédie grecque dans laquelle un homme de noble caractère est perdu par son orgueil fatal ». Comme souvent, c’est en situation de crise que l’intégration européenne progresse. Nous sommes peut-être en train de vivre en ce moment le parachèvement de la création de l’Union économique et monétaire. Ce parachèvement ira-t-il jusqu’à la mise en place d’un Gouvernement économique et d’une « union de transferts » ? Voilà la question posée. Faut-il entendre dans cette expression un renforcement de la discipline, la fixation d’objectifs précis pour renforcer la convergence économique ou une ambition politique d’intégration approfondie ? Le voile n’est pas levé. Pour l’heure, trois réformes importantes sont en cours : la création d’un fonds monétaire européen pérenne, le renforcement de la discipline budgétaire et l’adoption d’un Pacte pour l’euro.

1. La mise au point du futur mécanisme de stabilité financière, dispositif pérenne d’aide aux Etats fragilisés

Le principe de la pérennisation du dispositif de stabilisation financière de la zone euro, sous la forme d’un mécanisme de stabilité financière (MES) doté d’une capacité de prêt de 500 milliards d’euros, a été décidé par le Conseil européen des 24 et 25 mars derniers. Ce nouveau mécanisme prendrait la forme d’une organisation internationale, créée par le traité signé par les États de la zone euro le 11 juillet 2011, et verrait ses missions et ses modalités d’intervention calquées sur celles du Fonds européen de stabilité financière (FESF).

Contrairement au FESF, le MES serait une structure dotée en capital. Il disposerait de 700 milliards d’euros appelables à tout moment, dont :

– 80 milliards d’euros de capital libéré dès 2017 (part de la France : environ 16 milliards d’euros) par tranches annuelles de 16 milliards d’euros à partir de l’entrée en vigueur du traité et ;

– 620 milliards d’euros de capital exigible et de garanties des États (part de la France : environ 130 milliards d’euros).

Le capital libéré ainsi que la part des États notés AAA dans le capital non appelé – 58 % du capital soit 360 milliards d’euros – permettrait au fonds d’emprunter pour 440 milliards d’euros avec la notation AAA. Cette évolution serait accompagnée par l’obligation, pour tous les États de la zone euro, de prévoir des clauses d’action collective pour toute émission de dette supérieure à un an.

Le MES accorderait des prêts à des conditions favorables, par décision des ministres des finances de la zone euro à l’unanimité, sur la base d’une analyse de la viabilité de la dette du pays conduite par la Commission européenne en coopération avec le FMI et la BCE, et en contrepartie d’un programme de réformes structurelles. Les Etats membres qui n’appartiennent pas à la zone euro pourront participer à l’assistance financière sur une base volontaire.

La mise en place du MES nécessite une modification du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui peut être réalisée dans le cadre de la procédure de révision simplifiée prévue à l’article 48.6 du traité sur l’Union européenne. Le Conseil européen du 25 mars 2011 a ainsi adopté la décision n° 2011/199/UE modifiant l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en y ajoutant l’alinéa suivant : « Les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité ». L’objectif fixé est que le mécanisme pérenne de stabilisation prenne le relais du dispositif temporaire, au plus tard, en juillet 2013. Les ratifications sont attendues avant la fin de l’année 2012.

2. Une discipline renforcée dans le cadre d’une coordination macroéconomique améliorée

Le Pacte de stabilité et de croissance a été insuffisant à prévenir les divergences des économies européennes ayant débouché sur la crise actuelle. Sa réforme est donc indispensable. Pour mémoire, le Pacte comprend :

– un volet préventif sous la forme d’une coordination minimaliste des politiques budgétaires consistant pour chaque Etat à transmettre son programme de stabilité et de convergence ;

– un volet correctif au travers de la procédure de déficit excessif ouverte par le Conseil sur proposition de la Commission pour sanctionner un déficit excédant 3 % du PIB. L’ouverture de la procédure, l’adoption des recommandations pour corriger le déficit et le cas échéant celle des sanctions sont décidées à la majorité qualifiée.

Quelques jours avant la publication du rapport « Van Rompuy », à l’issue de la rencontre de Deauville du 18 octobre 2010, la France et l’Allemagne se sont mis d’accord sur les principes devant guider l’évolution des modalités de surveillance budgétaire au sein de la zone euro, à savoir :

– la possibilité de sanctionner un État de manière préventive, si sa trajectoire budgétaire s’éloigne trop de la prévision sans toutefois dépasser les limites fixées par le pacte de stabilité et de croissance ;

– en cas de procédure de déficit excessif, une décision du Conseil, prise au mois six mois après le déclenchement de la procédure, permettrait l’adoption de mesures « semi-automatiques », adoptées par la seule Commission, sans nouvelle autorisation du Conseil. Le rapport « Van Rompuy » propose, au contraire, que le principe soit l’automaticité des sanctions et l’exception le vote du Conseil pour empêcher cette automaticité ;

– en matière de surveillance macro-économique – déséquilibres externes notamment –, aucune sanction ne serait possible, le Conseil européen ayant un simple pouvoir d’évocation des déséquilibres les plus patents.

Ces réformes, entérinées par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011, devaient être déclinées par six propositions de la Commission européenne visant à renforcer le Pacte de stabilité et de croissance et contrôler les grands déséquilibres économiques (« six pack »). Ces propositions se sont essentiellement appuyées sur les recommandations du groupe de travail. En avril 2011, la commission parlementaire des affaires économiques et monétaires a adopté le paquet « gouvernance économique », une série de six propositions. Le Parlement a adopté sa position en session plénière en juin, puis les négociations avec les Etats membres ont continué. Un accord a été trouvé le 20 septembre et soumis à l'approbation du Parlement le 28. Il a été accepté à une courte majorité.

Les principales modifications apportées sont les suivantes :

– le seuil de 60 % du PIB pour la dette publique devient un critère de déficit excessif, tandis que la nouvelle procédure de surveillance intégrée se focalise sur la balance des paiements et la compétitivité de l’économie ;

– désormais, les Etats membres avec de grands déséquilibres macroéconomiques, ne respectant pas les critères de stabilité, devront s'attendre à des sanctions semi-automatiques de l'ordre de 0,2 % du PIB. Un blocage des procédures ne sera plus possible qu'avec la majorité du Conseil (« majorité inversée »). Ces sanctions pourront être prises si la trajectoire budgétaire est jugée dangereuse, même si le déficit est sous la barre des 3 % ;

– la création du « semestre européen », adopté dès le 7 septembre 2010 et mis en œuvre pour la première fois cette année. Le semestre européen a pour objet de permettre la cohérence entre le budget et l’examen annuel de croissance réalisé en début d’année par la Commission européenne. Les programmes budgétaires pluriannuels nationaux doivent être conformes aux programmes de stabilité et de croissance ;

– le renforcement d’Eurostat, l’Institut européen des statistiques, et des institutions budgétaires nationales.

Le paquet législatif doit encore être adopté par le Conseil, probablement début 2012.

Votre Rapporteur souligne toutefois qu’une idée intéressante lui a également été suggérée pour renforcer la crédibilité des situations financières des Etats et la discipline : la fixation à un niveau européen des grandes hypothèses sur la base desquelles construire les budgets. Une telle cellule pourrait aussi se voir confier des études d’impact. Les hypothèses externes sont déjà déterminées par un accord européen (croissance mondiale, prix du pétrole, etc.). Il s’agirait donc d’étendre ce principe aux prévisions internes, y compris à la prévision de croissance. De fait dans de nombreux pays ces prévisions sont établies par des organismes indépendants. En outre, les parlementaires ne seraient pas dépossédés d’une compétence puisqu’ils n’ont aujourd’hui aucune prise sur les hyptohèses inscrites par le Gouvernement.

3. Une convergence économique plus forte

Comme explicité précédemment, la crise que connaît la Grèce est le résultat de divergences profondes au sein de la zone euro qui appellent une meilleure coordination macro-économique. Le renforcement de la discipline est une nécessité, mais assurer la compétitivité des économies l’est tout autant pour éviter l’existence de déséquilibres structurels. La gouvernance doit marcher sur deux jambes. Deux types de mesures peuvent être envisagées.

Le premier concerne une surveillance macro-économique renforcée. Le rapport van Rompuy a proposé la mise en œuvre d’un mécanisme d’alerte devant permettre de mesurer et corriger les déséquilibres macro-économiques. D’une part, la détection de déséquilibres excessifs, effectifs ou potentiels, d’un Etat déclencherait une analyse approfondie par la Commission et en cas d’incompatibilité des politiques économiques d'un Etat membre vis-à-vis des grandes orientations des politiques économiques, ou si elles risquent de compromettre le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire, la Commission pourrait adresser un avertissement précoce à l'Etat membre concerné. D’autre part, un mécanisme d'exécution assurant l'application des mesures à prendre en cas de déséquilibres macroéconomiques dommageables serait institué : dans le cas d'un déséquilibre particulièrement grave, le Conseil devrait décider, sur recommandation de la Commission, de déclarer l'Etat membre concerné en « situation de déséquilibre excessif », d’adresser à l'Etat membre concerné des recommandations destinées à corriger les déséquilibres et, le cas échéant, de décider des sanctions en cas de non-respect répété des recommandations du Conseil. Seuls les Etats membres de la zone euro prendraient part au vote. Ce système d'alerte précoce complète le paquet législatif.

Le second type de mesures consiste à décliner des mesures concrètes de coordination des politiques économiques nationales. Certains avaient regretté que le Semestre européen n’intègre pas suffisamment la Stratégie Europe 2020, se cantonnant à un mécanisme disciplinaire. Le Pacte de compétitivité, que la France et l’Allemagne ont proposé début février 2011, est venu combler ce manque. Cette initiative a été adoptée sous l’intitulé : « Pacte pour l’euro plus » par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro le 11 mars 2011, la Bulgarie, le Danemark, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie, non membre de la zone euro, ayant décidé de s’y joindre. Les États membres qui ont souscrit au pacte s'engagent, sur la base des indicateurs et des principes qu'il prévoit, à annoncer chaque année une série d'actions concrètes à mettre en œuvre dans les douze mois qui suivent. Ces engagements se refléteront également dans les programmes nationaux de réforme et dans les programmes de stabilité présentés chaque année, qui seront évalués par la Commission, le Conseil et l'Eurogroupe dans le cadre du semestre européen.

Il convient de bien saisir la nouveauté qu’introduit ce pacte en ne se limitant pas à une coordination globale mais en posant le principe de mesures concrètes permettant d’aboutir à une convergence économique et sociale axée sur le renforcement de la compétitivité.

Le Pacte pour l’euro plus repose sur quatre « règles directrices » :

– il s’intègre dans le modèle de gouvernance économique qui existe déjà dans l'UE (stratégie Europe 2020, semestre européen, lignes directrices intégrées, pacte de stabilité et de croissance et nouveau cadre de surveillance macroéconomique) et le renforce avec de nouveaux engagements intégrés aux programmes nationaux de réforme et de stabilité, relevant du cadre de surveillance régulier ;

– il privilégie l'action avec des domaines d'action prioritaires pour la compétitivité et la convergence : des objectifs communs feront l'objet d'un accord au niveau des chefs d'État ou de gouvernement, chaque Etat étant libre dans la mise en œuvre ;

– chaque année, des engagements nationaux concrets seront pris par chacun des chefs d'État ou de gouvernement, en tenant compte des meilleures pratiques et prendront comme référence les pays les plus performants. La mise en œuvre des engagements et les progrès accomplis en matière de réalisation des objectifs politiques communs feront l'objet d'un suivi annuel au niveau politique. De plus, les États membres s'engagent à consulter leurs partenaires avant l'adoption de chaque grande réforme économique ayant un impact ;

– les États membres participants sont déterminés à réaliser l'achèvement du marché unique.

Le Pacte pour l’euro plus a pour objet de :

– favoriser la compétitivité : les progrès seront évalués sur la base de l'évolution des salaires et de la productivité ainsi que des besoins d'ajustement en matière de compétitivité. Des instruments spécifiques et des initiatives communes seront envisagés pour favoriser la productivité dans les régions en retard de développement. Une attention particulière sera prêtée aux réformes portant sur les coûts salariaux, à l’ouverture des secteurs protégés, à l’amélioration des efforts en matière d'enseignement, de recherche et développement, d’innovation, d’infrastructures et d’amélioration de l'environnement des entreprises ;

– favoriser l’emploi : les progrès dans ce domaine seront évalués sur la base des indicateurs suivants: taux de chômage de longue durée et de chômage des jeunes, et taux de participation au marché du travail. Une attention particulière sera prêtée aux réformes du marché du travail destinées à favoriser la flexisécurité, à réduire le travail non déclaré et à accroître la participation au marché du travail, aux réformes afférentes à l’éducation et la formation tout au long de la vie et aux réformes fiscales et sociales ;

– mieux contribuer à la viabilité des finances publiques : cet objectif s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance, avec une attention particulière apportée, d’une part, à la viabilité des retraites, des soins de santé et des prestations sociales au regard des évolutions démographiques, d’autre part, à l’adoption de règles budgétaires nationales suffisamment contraignantes (du type « règle d’or ») ;

– renforcer la stabilité financière : le but est d’assurer une bonne articulation entre les règles nationales et le nouveau cadre européen de supervision et de régulation du secteur financier (législation sur les défaillances bancaires, tests de résistance et surveillance de l’endettement).

Enfin, les Etats s’engagent sur la voie d’une coordination des politiques fiscales : échange des bonnes pratiques, prévention des pratiques nuisibles, lutte contre la fraude et l'évasion et discussions sur une assiette commune d’impôt sur les sociétés.

4. Vers un gouvernement économique et une union de transferts ?

La France et l’Allemagne ont décidé d’aller encore plus loin dans le renforcement de la gouvernance en annonçant un certain nombre d’initiatives le 16 août dernier à la suite d’une rencontre entre le Président français et la Chancelière allemande, parmi lesquelles :

– la création d’un véritable gouvernement économique incarné par le sommet des chefs et de gouvernement de la zone euro qui se réunira au moins deux fois par an, disposant d’un Président stable désigné pour deux ans et demi. C’est une demande ancienne de la France : elle sera bientôt une réalité ;

– un impôt sur les sociétés commun ;

– l’adoption de la « règle d’or » de retour à l’équilibre budgétaire ;

– une taxe sur les transactions financières. On soulignera que la Commission européenne a déposé sa proposition de directive pour la création d’une telle taxe le 28 septembre dernier.

La création du « gouvernement économique » tant souhaitée par la France a-t-elle une chance de voir le jour et que faut-il entendre par cette expression ? Avant d’examiner la définition à donner, trois problèmes pratiques se posent, qu’il s’agisse d’une gouvernance renforcée ou d’une fédéralisation budgétaire accentuée : l’architecture institutionnelle, la méthode et l’articulation entre l’UEM et l’UE.

Concernant l’architecture institutionnelle, l’Eurogroupe ne sera plus le seul forum officiel de décision politique de la zone euro. Un Conseil spécial de la zone euro pour les questions économiques, c'est-à-dire le Conseil européen réduits aux chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro et présidé par Herman Von Rompuy, exercerait cette fonction. Pour autant, la méthode purement intergouvernementale n’apparaît manifestement pas comme une réponse satisfaisante en matière de gouvernance économique. Elle a clairement échoué à faire prévaloir la discipline et la convergence et semble manquer d’efficacité pour une réaction rapide. Le caractère semi-automatique des sanctions pour l’application du Pacte de stabilité et de croissance remet déjà en cause l’approche purement intergouvernementale pour la discipline, mais la convergence économique et la politique économique et monétaire demeure très largement soumise à cette approche. Le pacte de stabilité et de croissance est ainsi plus intégré que le Pacte pour l’euro plus, issu d’une méthode intergouvernementale reposant sur la pression par les pairs et le mécanisme européen de stabilité financière, ce qui pose de sérieux soucis, comme le démontre l’impasse dans laquelle le vote négatif slovaque peut plonger toute la zone euro et au-delà.

La Commission européenne souhaite revenir au centre du jeu, comme en témoigne le discours de son Président devant le Parlement européen le 28 septembre dernier. On pouvait notamment l’entendre affirmer : « La réalité, c’est que la coopération intergouvernementale n’est pas suffisante pour sortir l’Europe de cette crise », « Un certain intergouvernementalisme pourrait être la mort de l’Europe unie telle que nous la connaissons ». Il a insisté sur le fait que la Commission européenne serait le gouvernement économique de l’Union, sans qu’il soit besoin de créer une nouvelle institution comme le Conseil spécial de la zone euro. Il faut reconnaître qu’il n’existe pas de substitut à la capacité d’expertise de la Commission européenne et que la méthode intergouvernementale pose aussi des problèmes d’équilibres entre les Etats. Il faut donc absolument maintenir la Commission comme pilier d’un « gouvernement économique », mais les Etats doivent en constituer un autre. L’équilibre reste donc à parachever.

Concernant le format, le flou est complet. Le semestre européen est en effet un cycle de coordination à 27, le Pacte de stabilité et de croissance s’applique aux seuls Etats membres de la zone euro, le « Pacte pour l’euro plus » réunit les pays de la zone euro tout en étant ouvert aux autres, le mécanisme européen de stabilité financière est un outil de la zone euro. Mais il est évident que le défi majeur est de doter l’Union économique et monétaire d’un pilier économique, ce qui suppose un mécanisme à 17 et non à 27. Or, nos partenaires qui n’appartiennent pas à la zone euro sont très rétifs à l’idée d’une Europe à deux vitesses.

On ajoutera enfin que la gouvernance économique renforcée ne devrait pas faire l’impasse sur une association des parlements nationaux. La résolution européenne du 9 juillet 2011 (texte adopté n°714) exprime ce souhait de façon plus que légitime en demandant l’organisation d’une rencontre interparlementaire annuelle et une association du Parlement en amont du semestre européen. Elle rappelle également que les engagements du pacte de stabilité ne préjugent pas des décisions budgétaires prises dans le respect des engagements européens. En d’autres termes, le cap macro-économique est fixé, mais le parlement légifère en toute liberté dans ce cadre.

L’incarnation d’un gouvernement économique ne dit évidemment rien de sa signification. Lorsque la Chancelière allemande parle de « gouvernement économique », elle songe dans doute plus à une coordination assortie de sanctions disciplinaires, qu’à une Union de transferts. Pourtant, une fédéralisation croissante de la politique économique est en cours. On ne saurait résumer mieux la situation que Jean-François Jamet : « La zone euro a entamé une course contre la montre et avance à marche forcée (au regard du temps historique) vers une union budgétaire beaucoup plus intégrée. Or, cette avancée n’a pas de nom, sinon celui de la nécessité : l’intégration est d’abord subie. Elle est en effet décidée dans le cadre de compromis successifs obtenus à l’arraché après de longues négociations entre Etats membres, ceux-ci écoutant avant tout l’inquiétude grandissante des investisseurs. Aucun projet constitutionnel ne préside à ce processus. Les parlements et à travers eux les citoyens restent essentiellement spectateurs d’un changement fondamental de ce qu’il convenait d’appeler la « gouvernance » économique européenne. Poser la question du gouvernement économique européen, c’est poser une question qui est de nature politique : face à leur interdépendance, et malgré leurs divergences, les Européens sont-ils prêts à se doter d’un système économique fédéral ? Si oui, quelle forme doit-il prendre ? »(15).

Ce que Paul Krugman surnomme « la tragédie de « l’eurogâchis » » dans son article précité, ne peut selon lui que déboucher sur quatre options : le stoïcisme qui, si tant est qu’il fonctionne, s’accompagnera de souffrances pendant longtemps, la restructuration de la dette qui lui semble inévitable pour la Grèce, qui permet de briser le cercle vicieux de la perte de confiance et de la hausse des taux d’intérêt, mais pose la question de son application à des Etats « contaminés » (l’Espagne et l’Italie) ; un scénario à l’islandaise qui fait encaisser leurs pertes aux créanciers des banques ; ou un regain de l’européanisme, c’est à dire un grand pas vers la fédération européenne pour une union de transferts qui assure un fonctionnement normal à une union monétaire.

L’UEM n’est pas une zone monétaire optimale, car les salariés n’y sont pas mobiles et les États les plus fragiles ne sont pas soutenus par des transferts budgétaires en provenance des États les plus solides. Concrètement, les retraites grecques ne sont pas prises en charge par transferts. Deux conclusions en découlent. La première est certes qu’il convient d’organiser à court terme, un soutien budgétaire pour compenser le caractère récessif des politiques d’assainissement budgétaire. Nous l’avons précédemment évoqué. La seconde conséquence est qu’il faut poser la question d’un renforcement à long terme des transferts budgétaires au sein de la zone euro. Il est trop simple de considérer que les Etats « forts » sont ceux qui ont produit le plus d’efforts, et les Etats périphériques ceux qui ont fait preuve de laxisme. Sans être erronées, ces assertions sont partielles. Il existe une spécialisation productive des différentes économies composant la zone euro qui explique en partie les déséquilibres, dont la correction nécessite des mécanismes budgétaires. Les pays périphériques se sont spécialisés dans les activités de services. De ce fait, ils exportent peu et importent en revanche une grande partie de leurs biens industriels. Ils se retrouvent donc en situation de déficit commercial structurel et s’endettent à l’extérieur pour financer leur activité.

Dans une union économique et monétaire, ces déficits commerciaux, qui profitent aux Etats forts, pourraient être financés par ces derniers. Ces transferts permettraient ainsi aux Etats exportateurs de préserver leurs débouchés commerciaux, la stabilité de leurs établissements financiers ainsi que, à terme, la pérennité de la construction européenne. Naturellement, le renforcement des transferts n’est acceptable pour les Etats du centre que si des mesures fortes sont prises parallèlement, non seulement pour que les finances publiques des Etats périphériques soient saines, mais aussi pour améliorer la compétitivité structurelle des économies. A défaut, le scénario de crise serait reproductible et les efforts de solidarité des Etats du centre n’auraient eu pour effet, au mieux que de peser sur leurs comptes, au pire de générer un aléa moral.

Ces transferts budgétaires existent déjà, outre le financement exceptionnel de la dette, au travers des fonds structurels et des investissements. Mais le budget européen représente si peu qu’ils ne sont manifestement pas suffisants. Le principe même de la solidarité budgétaire, c'est-à-dire de la création d’une « union de transferts » n’est pas pleinement accepté. La discussion des perspectives pluriannuelles doit être l’opportunité d’ouvrir un débat sur les conséquences budgétaires de l’intégration économique et monétaire. C’est à cette occasion que le mécanisme des euro-obligations (« Eurobonds ») doit être évoqué, puisqu’il revient en pratique à faire financer une partie de l’endettement des Etats périphériques par les Etats du centre (via un taux intermédiaire).

CONCLUSION

Réunis le 16 octobre 2011 à Berlin pour un nouveau sommet de crise, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy ont promis « des réponses durables, globales et rapides avant la fin du mois » à la crise qui secoue l’Union économique et monétaire depuis de longs mois maintenant. La prochaine échéance cruciale sera donc le sommet du G20 des 3 et 4 novembre prochain à Cannes, le prochain sommet européen étant lui-même reporté au 23 octobre. Des décisions fortes sont attendues : recapitalisation des banques européennes, modification des traités, renforcement du FESF et solution durable pour la Grèce, épicentre de la crise.

Sans remettre en cause le rôle du moteur franco-allemand, auquel votre Rapporteur avait consacré le volet thématique de son avis sur le prélèvement européen l’an passé, il apparaît à ce stade essentiel que les solutions à mettre sur pied soient véritablement communes, dans le respect des autres Etats membres de l’Union européenne qui devront appuyer les évolutions proposées, et en associant à la fois la Commission européenne et le Parlement européen. C’est en retrouvant un équilibre entre démarche communautaire et intergouvernementale, Etats membres et non membres de la zone euro, approfondissement de l’Union et subsidiarité, que des réponses pérennes et adaptées pourront émerger.

Le sauvetage de l’Union économique et monétaire constitue sans nul doute un tournant dans la construction européenne en mettant les Etats qui ont opté pour une monnaie commune devant des choix cruciaux. Il pose à nouveau la question de l’envie d’Europe dans sa dimension intégrée. Et c’est toute la question que pose année après année l’examen du budget européen : qu’attend-on de l’Europe ? Quels sont les objectifs qu’on lui assigne et sa plus-value ?

C’est sans surprise que votre Rapporteur se prononce en faveur du renforcement des convergences économiques et budgétaire des Etats membres de l’Union économique et monétaire et plaide, dans ce cadre, pour des perspectives pluriannuelles qui confèrent un sens plus fort et plus lisible aux engagements européens, en incluant une rénovation profonde des ressources propres et une articulation avec les budgets nationaux qui préserve le rôle des parlements. Il vous propose bien évidemment de donner un avis favorable à l’adoption de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012 pour financer un budget 2012, que l’on peut qualifier d’attente, tant le rôle du budget européen est aujourd’hui en débat.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent avis au cours de sa réunion du mercredi 19 octobre 2011.

Après l’exposé de votre Rapporteur, un débat a lieu.

M. François Asensi. Le groupe Gauche démocrate et républicaine ne votera pas ce prélèvement, non pas par idéologie mais parce que nous estimons que l'Europe est dans l'impasse, qu’elle traverse une grave crise économique et que nous n'avons aucune visibilité sur la construction européenne. Le Président de la République dramatise la situation. Il a en partie raison car la Grèce sera incapable de rembourser et les agences de notation font peser sur certains pays, dont la France, la menace d’une dégradation de la note souveraine, dont vous connaissez les conséquences.

Il y aura certainement un fort ajustement du projet de loi de finances en fonction de la crise européenne et il va malheureusement falloir instaurer une cure d'austérité plus forte encore pour le peuple français, comme pour les autres peuples européens.

Le budget européen est un budget en stagnation alors que la crise fait rage, un budget d’austérité qui marque un coup d’arrêt à la croissance. Certains aspects sont traumatisants, notamment la baisse des aides aux plus démunis qui passent de 480 millions à 113 millions d’euros. Il y a 4 millions de Français concernés par les aides que leur apportent les associations caritatives en France. Les fonds structurels européens stagnent alors que certaines régions européennes décrochent, tout comme certains pays vis-à-vis d’autres.

Nous parlons beaucoup d'intégration économique mais qu'en est-il de l'Europe sociale et de l'harmonisation fiscale européenne, dont l’absence explique aussi les déséquilibres actuels ? L’Europe actuelle est une Europe de gestion, incapable de mobiliser les opinions publiques. Nous ferons part de nos propositions. Je pense que les différences entre la droite et la gauche de gestion sont très ténues.

M. Hervé Gaymard. Je voudrais remercier le rapporteur pour la clarté de son propos sur un sujet complexe et me féliciter que les crédits de la politique agricole commune soient en voie d’être maintenus. Je souhaiterais connaître l'opinion du rapporteur sur les évolutions possibles du mode de financement de l'Union Européenne ? Nous savons qu'il y a un certain nombre de solutions qui ont été avancées, notamment en matière de fiscalité affectée, dans l’hypothèse d’une harmonisation d’assiette de certains impôts, notamment de l’impôt sur les sociétés.

M. Roland Blum, rapporteur. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec François Asensi, notamment en ce qui concerne le plan d’aide à la Grèce. Certes, elle rencontre des difficultés pour assainir ses finances publiques, mais tous les plans réalisés ont été établis pour qu’elle y parvienne en assurant dans les meilleures conditions le remboursement de sa dette.

Concernant le programme d'aide aux plus démunis, une procédure a été intentée devant la Cour de Justice par l'Allemagne qui lui a donné raison, ce qui fait que les crédits sont diminués. La situation est bloquée dans l’attente d’un compromis que le gouvernement français fait tout pour obtenir. Des solutions alternatives de financement par le budget européen sont proposées pour régler la situation.

Pour répondre à M. Gaymard, il existe un certain nombre de pistes possibles, qui sont proposées par la Commission européenne et soutenues par le gouvernement français, comme c’est le cas notamment de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières.

M. Jean-Pierre Dufau. Vous avez fait une présentation claire et objective du dossier, soulignant les contradictions entre le Commission et le Parlement européen, d’une part, et le Conseil, d’autre part. L'austérité est-elle la solution ? Beaucoup ne partagent pas ce point de vue. Gouverner, c'est choisir, disait Pierre Mendès-France. Or, on nous propose un budget d’attente. Le refus de faire des choix conduit à une impasse. L'illustration de ce débat entre austérité et croissance est le programme mis en œuvre en Grèce : demander à un pays de rembourser sa dette à des taux prohibitifs n’est pas une solution. Il faudra changer les règles, par exemple par l’harmonisation fiscale, sinon nous ne sortirons pas de l'impasse.

Je souhaite également poser la question de l’avenir du programme d’aide aux plus démunis. La réponse du Rapporteur a été évasive. Il y a là aussi des points de vue différents entre la Commission, qui souhaite qu’on trouve une solution par dérogation pour les années 2012 et 2013, et le Conseil, qui ne parvient pas à s’entendre. Le problème est posé pour 2012 et 2013, mais il faudrait aussi s’engager sur le programme 2014-2020.

M. Hervé de Charette. Je voudrais formuler trois observations. Premièrement, je considère que la crispation traditionnelle de la France sur le mécanisme de prélèvement européen est largement dépassée et il est temps de donner au Parlement européen la libre disposition de ses recettes. Ce système serait économiquement plus efficace, politiquement plus légitime et socialement plus juste.

Concernant la crise financière et le soutien aux banques, le débat qui s’est tenu dans notre Assemblée était surréaliste : nous débattions sur des décisions dont nous ne connaissions ni la nature, ni le contenu. Je pense que l’on ne devrait pas soutenir les banques si les pouvoirs publics ne sont pas présents dans le processus de décision interne alors qu'ils ont apporté leur aide.

Troisièmement, le fond du débat sur la crise porte sur la gouvernance européenne. Pour l’instant, nous n’avons aucune proposition, ni aucune perspective sur le sujet. Dans le cadre actuel de l'intergouvernementalité, les décisions sont longues à être prises et à être mises en oeuvre. Ce système n'est pas adapté aux réalités. Par conséquent, la question d'une réforme est posée et le gouvernement devrait nous indiquer sa position.

M. Roland Blum, rapporteur. La difficulté est effectivement de trouver le juste équilibre entre la réduction du déficit public, qui est un grave handicap, et la stimulation de la croissance, qui permet de réduire plus rapidement le poids de la dette. Au niveau européen, la nécessité d’un tel équilibre est prise en compte. Ce qui est réalisé dans le cadre du budget communautaire est positif, même si le succès n’est pas assuré. Les taux des prêts ont également été baissés.

En ce qui concerne le programme d’aide aux plus démunis, la baisse annoncée des crédits suscite de grandes inquiétudes, car cela touche les plus pauvres. Les efforts déployés en ce moment devraient permettre d’aboutir à des solutions de remplacement.

Hervé de Charrette a raison, à mon sens, en ce qui concerne le soutien aux banques : il faudrait au moins que les pouvoirs publics soient représentés dans les conseils d’administration si des fonds publics sont injectés. Il est impensable de distribuer de l’argent public sans contrôle. Quant à la gouvernance de l’Union européenne et son évolution, la question est effectivement posée et il faudra trouver un nouvel équilibre entre intergouvernementalisme et communautarisme.

M. Jean-Paul Lecoq. Je suis très satisfait, car pour la première fois il y a unanimité pour que les banques financées sur fonds publics soient sous contrôle public, ce qui n’était pas le cas dans les débats précédents.

La crise européenne est aussi une crise du crédit. Se pose la question de savoir où on emprunte l’argent : auprès des marchés financiers ou sur l’épargne des citoyens européens ? Ce n’est plus le cas, même pour les collectivités territoriales, qui seront invitées, à travers la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations, à emprunter sur les marchés financiers. Dans mon département, par exemple, 25 milliards d’euros « tombent » chaque mois sur les comptes courants. Comment les utiliser au moins pour partie comme ressources d’accompagnement ?

En ce qui concerne la question de la transparence, je suis d’accord avec Hervé de Charrette : comment le citoyen européen peut-il s’y retrouver à travers les budgets pour savoir ce que fait l’Union européenne ? Si l’on veut donner une âme à l’Europe, c’est une question essentielle sur laquelle il faut travailler.

Enfin, beaucoup d’économistes ne cessent d’expliquer que l’austérité est incompatible avec la croissance et qu’il faut « alimenter la machine » plutôt que de « tarir la source ». Si l’Europe était utile, elle se donnerait les moyens de la croissance. Son utilité est de plus en plus mise en cause, mais la façon dont s’organisent les choses aujourd’hui vient à l’encontre de l’idée de l’Europe, qu’on soit fédéraliste ou que l’on partage une autre vision de l’Europe.

M. Jacques Remiller. Un amendement à l’article 30 a été déposé par nos collègues Mallié et Bodin sur la contribution que paie la France dans le cadre de l’aide européenne versée à la Turquie, qui représentera 150 millions d’euros l’an prochain. La cour des comptes de l’Union européenne a en effet épinglé la Turquie sur les retards pris dans le calendrier de pré adhésion : seuls 30 % des objectifs du calendrier ont été atteints. Quelle est votre position sur cette question des plus sensibles, notamment vis-à-vis de l’Arménie ?

M. François Rochebloine. Je reviens sur la question de l’aide aux associations en faveur des plus démunis. Bruno Le Maire avait déjà fait part de ses espoirs qu’une solution serait trouvée rapidement lors d’une séance de questions au gouvernement. Quelques pays seulement y sont opposés, dont l’Allemagne, qui a saisi la Cour européenne. Il y a aujourd’hui urgence. Les associations – la Croix rouge, Les Restos du cœur, le Secours populaire, le Secours catholique ou d’autres – sont aujourd’hui dans une situation dramatique : elles ont des bénévoles mais plus de moyens, alors que la fréquentation des centres augmente.

Pour revenir sur ce qu’a dit Jacques Remiller, ce n’est pas une question nouvelle et l’amendement est rejeté tous les ans. Cela étant, je comprends la question, car il n’y a pas d’évolution dans le processus et l’on continue de verser des sommes importantes. La question est de savoir si l’on doit aider ou non la Turquie, indépendamment de la question arménienne à laquelle un certain nombre d’entre nous sont sensibles.

M. Roland Blum, rapporteur. Pour répondre à Jean-Paul Lecoq avec lequel j’ai des divergences de vue, je souhaiterais préciser que les marchés financiers ce sont aussi l’épargne des Français, à travers les compagnies d’assurance notamment. Il ne faut pas systématiquement opposer les deux.

Concernant l’aide aux plus démunis, la résolution du problème devrait avancer lors du conseil des ministres de l’agriculture. La France s’active à convaincre ses partenaires réticents, à savoir l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la République tchèque, le Danemark et la Suède.

Concernant les crédits de pré-adhésion versés à la Turquie, je crois qu’il ne faut pas se voiler la face : la question posée est d’abord politique. Elle vise notamment à attirer l’attention du gouvernement et de la Turquie sur la question de la reconnaissance du génocide arménien. Toutefois, sur l’amendement lui-même, le gouvernement répond chaque année que ces crédits ne peuvent être isolés. C’est au niveau européen que la question de la poursuite du programme doit se poser.

M. François Loncle. Nous ne pouvons que nourrir un scepticisme certain sur ce projet de budget européen, alimenté par les interventions précédentes, mais nous ne souhaitons pas nous opposer à la contribution française au budget de l’Union européenne. C’est donc la gauche européenne – et non la gauche de gestion – qui s’abstiendra en notre nom, groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

Suivant les conclusions du Rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2012.

© Assemblée nationale

1 () Précisément 18 878 273 000 euros.

2 () Le volet intergouvernemental du mécanisme est présenté de façon détaillée dans la seconde partie du présent rapport.

3 () Cité par Tanguy Verhoostel, dans Le Parlement mise sur des augmentations sélectives, Europolitique, 5 octobre 2011.

4 Voire 1 156 Mds€ en intégrant l’instrument de flexibilité et le fonds européen de développement (FED) actuellement financé au sein de la mission « Aide publique au développement » du budget général de l’État

5 () Le prélèvement pour 2011 a été légèrement révisé à la baisse de 3,6 millions d’euros..

6 () Disponible à ce jour uniquement en Anglais.

7 () Il convient de rappeler que le 3 mai 1998, il avait été décidé que la Grèce ne figurerait pas parmi les pays sélectionnés pour entrer dans la zone euro au 1er janvier 1999, car elle ne respectait aucun des critères économiques de convergence définis par le Traité de Maastricht. Deux ans plus tard, le 19 juin 2000, les progrès enregistrés par la Grèce en matière de convergence ont permis au Conseil Ecofin d’abroger la dérogation dont elle faisait l’objet, avec effet au 1er janvier 2001. Mais les chiffres relatifs au déficit et à la dette transmis à l’époque étaient maquillés et le décrochage avec les principales économies européennes s’est accentué malgré une croissance soutenue.

8 () Rapport n° 2460 du 28 avril 2010, p 21

9 () Source : communication financière semestrielle des banques.

10 () Dans son discours du 3 octobre 2011 à Tokyo.

11 () IL faut ajouter que la stigmatisation systématique des Grecs ne facilite pas l’acceptation de l’effort colossal qui leur est demandé pour restaurer la compétitivité de son économie et rétablir ses finances publiques, effort qui devra se poursuivre sur une période longue avec un coût social massif.

12 () Expression employée par Mme Anne Bucher, Directrice des réformes structurelles et de la compétitivité de la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne.

13 () Discours prononcé à Tokyo, le 3 octobre 2011, opus cité.

14 () Article paru dans The New York Times Magazine, extraits reproduits et traduits dans l’édition du Courrier international n°1056 du 27 janvier au 2 février 2011.

15 () Jean-François Jamet, « Gouvernement économique européen : la question n’est plus quand mais comment », Question d’Europe n°216, 10 octobre 2011. Voir aussi son ouvrage L’Europe peut-elle se passer d’un gouvernement économique, La documentation française, 2011.