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Compte rendu

Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Mercredi 25 mars 2009

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Pierre Méhaignerie Président

– Examen de la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes sur la réforme du fonds européen d’ajustement à la mondialisation (n° 1503) (M. Michel Herbillon, rapporteur)

– Communication, ouverte à la presse, de M. Hervé Gaymard sur son rapport à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la situation du livre : évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

Mercredi 25 mars 2009

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine, sur le rapport de M. Michel Herbillon, la proposition de résolution sur la réforme du fonds européen d’ajustement à la mondialisation (n° 1503).

M. Michel Herbillon, rapporteur. Cette proposition de résolution sur la réforme du fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM) a été adoptée le 4 mars dernier par la Commission chargée des affaires européennes, dont j’étais le rapporteur.

Plus de deux années après la création, en 2006, de cet outil susceptible d’être mobilisé en urgence pour contribuer au financement de mesures destinées à favoriser la réinsertion ou la reconversion de salariés touchés par un licenciement lié à la mondialisation – c’est-à-dire à l’évolution du commerce international –, l’évaluation de sa mise en œuvre a révélé que le FEM était loin d’avoir tenu toutes ses promesses. En outre, la crise actuelle pose avec acuité la question de la nature du fonds.

La Commission européenne a donc suggéré en décembre dernier, dans une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, certaines modifications du règlement fondateur du FEM de 2006 : c’est le texte que nous examinons aujourd’hui.

J’évoquerai d’abord brièvement les raisons expliquant le bilan insuffisant du FEM. L’objectif consistait à affecter chaque année 500 millions d’euros au soutien à la réinsertion et la reconversion professionnelles des salariés pour lesquels était clairement établi le lien entre le licenciement et l’évolution du commerce international et de la situation économique liée à la mondialisation. Il était alors prévu que 35 000 à 50 000 salariés en Europe seraient appelés à bénéficier de ce fonds chaque année.

En pratique, le FEM finance l’aide à la recherche d’emploi, les mesures de reconversion, des dispositifs de valorisation de l’entreprenariat, des aides au développement des formes d’emploi indépendant et à la création d’entreprises ainsi que divers compléments de revenus spécifiques à caractère temporaire.

Seules les mesures d’aide « actives » sont financées. En outre, les aides du fonds sont conçues comme des interventions complémentaires d’actions similaires mises en œuvre dans les États et ne pallient donc pas une absence de protection face à la perte d’emploi : il n’y a pas substitution. Le montant de la contribution du fonds est plafonné à 50 % du total de la dépense engagée.

Le règlement de 2006 a bien précisé qu’un lien doit être établi entre les pertes d’emploi subies et des transformations profondes de la structure des échanges commerciaux internationaux, comme une délocalisation économique vers un pays tiers. Par ailleurs, les pertes d’emploi doivent s’élever à un minimum de 1 000 licenciements, sur une période de quatre mois en cas de restructuration d’une seule entreprise, en tenant compte des effets en aval et amont de la filière, ou sur une période de neuf mois pour un même secteur et dans un bassin d’emploi lorsque ne sont concernées que des entreprises de moindre taille. Ce critère avait été retenu de manière à limiter l’intervention du fonds aux restructurations d’une certaine ampleur. Enfin, la durée d’intervention du fonds est limitée à douze mois à partir de la date de la présentation de la demande par l’État.

Le bilan de ce règlement est demeuré très en deçà des prévisions. Au total, quinze dossiers seulement ont été présentés et, sur les 500 millions d’euros susceptibles d’être consacrés chaque année au financement des aides par le FEM, les aides attribuées à ce jour ne représentent que 22 millions d’euros au titre de l’année 2007. Le nombre des salariés aidés au cours des dix-huit premiers mois d’activité du fonds n’a été que de 15 000 alors qu’il aurait pu approcher 75 000 selon les prévisions initiales.

Pourquoi ce bilan mitigé ? Cela tient aux critères cités plus haut, qui se sont révélés trop restrictifs. De même, le plafond de 50 % retenu pour le taux de cofinancement des mesures par le fonds a pu apparaître dissuasif. En outre, le mécanisme très complexe régissant la mobilisation du FEM – on peut aller jusqu’à parler de tuyauterie – a entraîné une certaine réticence des États à s’engager dans cette procédure. En pratique, les États sont en effet dans l’obligation de faire une avance au fonds avant même de savoir si leur dossier sera accepté. Par ailleurs, la preuve du lien entre les restructurations et la mondialisation peut être difficile à apporter dans certains cas.

Dans un contexte international que l’on pourrait dire de tsunami économique et financier, l’un des objectifs de la réforme proposée, rappelé par la Commission européenne, consiste à tenir compte des répercussions économiques et sociales de la crise.

En décembre dernier, la Commission européenne a donc pris l’initiative des quatre principales modifications soumises aujourd’hui à notre attention : l’élargissement du champ d’intervention du fonds aux salariés victimes des restructurations provoquées par la crise financière et économique ; l’abaissement de 1 000 à 500 licenciements du seuil conditionnant sa mobilisation ; l’augmentation du taux de cofinancement du fonds de 50 % à 75 % des dépenses éligibles ; l’augmentation d’un à deux ans de la période de mise en œuvre des actions éligibles.

La Commission chargée des affaires européennes de l’Assemblée nationale a approuvé ces quatre modifications. Du point de vue de la France, ces mesures vont dans le bon sens et n’appellent aucune réserve. Je propose donc, monsieur le président, que notre Commission les approuve.

La Commission chargée des affaires européennes a néanmoins jugé que le dispositif pouvait être amélioré pour être plus efficace sur deux points.

La première amélioration concerne la prise en compte, pour l’appréciation du seuil des licenciements conditionnant la mobilisation du FEM, non seulement des licenciements entendus au sens strict, mais aussi de « toute rupture » des contrats de travail. De fait, compte tenu de l’évolution de notre législation, de nombreux plans de réduction d’effectifs font appel, au-delà du licenciement au sens juridique du terme, à des plans de départs volontaires négociés. Il serait donc souhaitable de prendre en compte dans les seuils d’éligibilité et de mobilisation du fonds les départs volontaires et les départs négociés. En revanche, ne sont pas concernés le non-remplacement de salariés partant à la retraite, ni le non-renouvellement de contrats à durée déterminée. La définition de ce périmètre est particulièrement importante dans le cas français, à l’heure où se développent les modes de rupture négociée des contrats de travail, tels que la nouvelle procédure de rupture conventionnelle du contrat de travail définie par la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.

La deuxième proposition d’amélioration porte sur la procédure à mettre en œuvre préalablement à la mobilisation du fonds : l’État membre intéressé apporte à la Commission les éléments démontrant la recevabilité de la demande et la Commission accepte ou non celle-ci sur le fond. Il appartient cependant à la Commission européenne de faire ensuite une proposition au Parlement européen et au Conseil qui, en qualité d’autorités budgétaires, donnent ou non leur accord et, en cas d’avis favorable, fixent le montant alloué. Ce mécanisme est complexe et le délai supplémentaire provoqué par cette procédure d’autorisation budgétaire au cas par cas peut être évalué à quatre mois, limitant donc l’efficacité de la mise en œuvre de l’aide. La Commission chargée des affaires européennes s’est prononcée pour la suppression de cette procédure et il pourrait être souhaitable de mettre en place une ligne budgétaire spécifique qui serait mobilisée beaucoup plus rapidement.

Enfin, la Commission chargée des affaires européennes a jugé indispensable que la révision engagée aboutisse dans les meilleurs délais, afin de permettre la mobilisation rapide d’un fonds dont l’objectif est, rappelons-le, de venir en aide aux personnes privées d’emploi.

Tel semble être aussi l’objectif poursuivi par la présidence de la Commission européenne. On peut donc raisonnablement penser qu’un accord pourrait être trouvé entre le Parlement européen et le Conseil – le présent texte faisant l’objet de la procédure de codécision – avant les élections européennes, soit au mois de mai 2009. La Commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen doit se prononcer sur le texte le 31 mars prochain.

Lors du Conseil emploi du 9 mars 2009, la question de la révision du règlement sur le FEM n’a pas fait l’unanimité, des réserves ayant été émises par certains États membres, notamment nordiques.

Il me semble donc d’autant plus important de réaffirmer, comme cela a été fait lors de l’examen de la proposition de résolution par la Commission chargée des affaires européennes, que nous soutenons cette réforme, compte tenu des propositions d’amélioration précédemment évoquées, qui permettraient une mobilisation plus rapide et plus efficace du fonds. Celui-ci doit devenir pleinement opérationnel et prendre sa place dans le cadre du plan de relance européen.

Je vous invite donc, monsieur le président, chers collègues, à adopter sans modifications l’article unique de la présente proposition de résolution.

M. le président Pierre Méhaignerie. Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? L’excellente idée de ce fonds est tuée par sa complexité européenne. La raison en est sans doute que les structures ont vocation à vivre : des procédures trop simples les privent de leur raison d’être. Le contre-modèle positif est, à cet égard, l’amendement Scellier-Carrez, discuté et adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, simple et efficace : 25 % de réduction d’impôt au titre du montant investi dans un bien immobilier, limité à 300 000 euros, et tout est dit.

Ainsi, même avec les améliorations que vous proposez, je ne vois pas comment cette idée, qui est pourtant juste et montrait aux salariés que l’Europe pouvait les aider à faciliter les transitions, pourra s’appliquer à Vitré, à Concarneau ou à Besançon. Il est inutile de préciser que ces réflexions de cœur sont celles d’un Européen convaincu.

M. le rapporteur. Monsieur le président, je partage votre opinion. Les propositions de modification vont toutefois dans le sens d’une plus grande simplification et d’une plus grande éligibilité, en particulier si une ligne budgétaire spécifique peut être instituée.

Le fonds, qui montre que l’Europe peut intervenir concrètement pour des problèmes auxquels les salariés sont confrontés quotidiennement, est une illustration de ce que peut être l’Europe sociale. Il me semble dommage que l’organisation en soit aussi complexe. Mais la proposition adoptée par la Commission des affaires européennes devrait permettre une mobilisation plus efficace du fonds.

M. Marcel Rogemont. Hormis l’élargissement de l’éligibilité à la présente situation de crise, il n’est pas certain que les trois autres dispositions prévues par le texte favorisent grandement le déclenchement du dispositif. Si 22 millions d’euros seulement ont été consommés sur 500 prévus, il faut améliorer le dispositif – à moins, bien sûr, que sa complexité n’ait précisément pour but de limiter l’utilisation du fonds et de cantonner celui-ci dans le domaine des déclarations, mais telle n’est peut-être pas l’intention de la Commission européenne.

M. le rapporteur. À l’évidence, une réponse définitive ne sera possible que lors de l’évaluation du dispositif modifié. Sans lire dans le marc de café, il me semble que les quatre modifications proposées devraient permettre une mise en œuvre plus rapide du fonds, en particulier l’extension de son application aux présentes circonstances de crise.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution sur la réforme du fonds européen d’ajustement à la mondialisation (n° 1503) sans modification.

*

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales entend une communication, ouverte à la presse, de M. Hervé Gaymard sur son rapport à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la situation du livre : évaluation de la loi relative au prix du livre et questions prospectives.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je remercie M. Hervé Gaymard de venir nous présenter son rapport à Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la situation du livre.

M. Hervé Gaymard. Le livre est un secteur culturel et économique dont on parle assez peu. Je tiens tout d’abord à saluer mes illustres devanciers de la Commission qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet, M. Christian Kert et M. Michel Herbillon, et remercier MM. Marcel Rogemont, Michel Françaix et Jean Dionis du Séjour, qui ont particulièrement travaillé dans le cadre de la mission que j’ai eu l’honneur d’animer.

Cette mission « hybride » a été créée par le Gouvernement suite au débat que nous avons eu l’été dernier à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’élaboration de la loi de modernisation de l’économie, au cours de laquelle la discussion de certains amendements a suscité quelques interrogations ou malentendus. Le groupe de travail, qui s’est mis à l’ouvrage en septembre 2008 et réunissait tous les acteurs de la chaîne du livre, a adopté une démarche historique, comparative et prospective.

Avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 5 milliards d’euros, le livre est la première industrie culturelle de notre pays – à titre de comparaison, le marché du DVD représente 1,5 milliard d’euros, et celui du CD 1,2 milliard. De l’imprimerie à la librairie, la chaîne du livre fait vivre environ 80 000 salariés. Pour paraphraser André Malraux parlant du cinéma : le livre, par ailleurs, est aussi une industrie.

Le rapport s’articule autour de trois moments : l’évaluation de la loi sur le prix unique du livre, les autres outils à renforcer ou à mettre en œuvre en vue d’une politique du livre plus active et, enfin, le numérique. Cette dernière partie est plutôt une sorte de table des matières des interrogations suscitées par l’irruption du numérique dans l’univers du papier – les interrogations étant encore, en la matière, plus nombreuses que les certitudes.

Pour ce qui est, tout d’abord, de l’évaluation de la loi sur le prix unique du livre, je commencerai par un bref rappel historique. Contrairement à ce que l’on pense parfois, l’histoire du livre moderne dans notre pays – depuis 1830 environ – a connu divers systèmes juridiques s’apparentant au prix unique. Au milieu du xixe siècle, quand se stabilise l’économie du livre moderne, on distingue quatre classes de prix : le livre très bon marché, à 1 franc, qui apparaît à partir des années 1850-1860, la « nouveauté » à 3,50 francs, le livre mieux imprimé à 7 francs, et enfin les livres d’art ou illustrés, plus chers. Sans qu’il existe encore de loi fixant un prix unique, se dessine donc déjà une classification des prix.

Entre les deux guerres mondiales prévaut une certaine anarchie, avec une réglementation très compliquée. Après la deuxième guerre mondiale apparaît une forme de prix unique : le « prix conseillé », imprimé sur la quatrième de couverture des livres de cette époque et accompagné de la mention « plus T.L. », qui renvoie à la taxe locale.

En 1978, le ministre de l’économie et des finances de l’époque, René Monory, prend des arrêtés, d’ailleurs indispensables, de libération des prix : avec ceux du petit noir, du croissant et de la baguette de pain, le prix du livre est alors « libéré ». Le télescopage de cette libération et de la montée en puissance de la FNAC, créée quatre ans auparavant, et des enseignes de grande distribution provoquent une cacophonie dans le secteur du livre, les éditeurs n’ayant pas même le droit d’indiquer sur leur catalogue de prix conseillés. Des éditeurs, menés par Jérôme Lindon, et des libraires, comme Mme Tschann à Montparnasse, font alors campagne pour le prix unique du livre et la plupart des candidats à l’élection présidentielle de 1981 prennent position en faveur d’une loi en ce sens. Après l’élection de François Mitterrand, la loi du 10 août 1981 sur le prix du livre est votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Le présent rapport nous a donné l’occasion de procéder à une évaluation complète de cette loi, d’autant plus heureuse que le renforcement des fonctions d’évaluation du Parlement est l’un des objectifs de la réforme constitutionnelle.

Ma première remarque est que cette loi a rempli son objectif principal, qui consistait à permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux œuvres. Elle a favorisé le maintien et le renouvellement de la librairie française. La France compte 3 500 librairies, soit plus de points de vente que pour l’ensemble des États-Unis. Ce n’est pas un hasard et, sans la loi sur le prix du livre, la moitié des librairies de notre pays auraient disparu. Deuxièmement, le secteur de l’édition a connu une belle vitalité et une belle créativité. De nombreuses maisons d’édition se sont créées au cours des dernières décennies, les petits éditeurs voisinant avec de grands groupes intégrés marqués, comme partout dans le monde, par une forte concentration. Des maisons naissent, d’autres meurent : comme les autres secteurs, l’édition est un monde qui vit et où les choses ne sont pas figées.

Ma deuxième remarque porte sur le reproche selon lequel la loi sur le prix unique aurait été doublement inflationniste : le livre français serait plus cher et la production éditoriale trop abondante.

Pour ce qui est du prix, les statistiques internationales montrent que le livre n’est pas plus cher en France que dans d’autres pays. Il est, d’ailleurs, très difficile de définir si l’existence d’une loi sur le prix unique a une incidence sur le prix du livre. D’autre part, depuis 1995, l’évolution annuelle moyenne de l’indice du prix du livre est inférieure à celle des prix à la consommation. On ne peut donc pas affirmer que la loi ait eu un effet inflationniste.

On entend parfois dire également que cette loi aurait pour effet la publication de livres trop nombreux. L’édition française publie un peu plus de 60 000 nouveautés par an et près de 600 000 titres sont disponibles dans notre pays. Il n’y a pas lieu de porter de jugement de valeur sur les nouveautés et il est bon que la créativité éditoriale manifeste de la vitalité et que les talents puissent s’exprimer. Il est vrai que, si certains éditeurs ont une politique exigeante et méticuleuse de sélection des auteurs et de soutien des livres auprès des libraires, d’autres pratiquent ce que l’on pourrait qualifier de « fuite en avant » ou de « cavalerie » en publiant trop de titres, mais il ne revient pas aux parlementaires de porter un jugement sur ces pratiques éditoriales. De toute évidence, cette vitalité de l’édition française, dont nous devons nous féliciter, a été possible grâce à la loi sur le prix du livre. On trouvera dans les annexes du rapport – trop volumineuses pour être imprimées, mais prochainement disponibles sur internet – un exemple de l’importance de cette vitalité : une jeune et remarquable éditrice nous a indiqué avoir récemment publié le roman d’une auteure irlandaise qui, bien que rédigée en anglais, n’était disponible que dans cette version française. En effet, l’auteur, dont elle avait déjà publié plusieurs autres livres, n’avait pu trouver d’éditeur dans le monde anglophone pour son dernier ouvrage après la mévente du précédent. C’est là un exemple tangible de l’utilité de la loi sur le prix unique pour la création éditoriale.

Nous avons procédé à une comparaison internationale exhaustive pour vingt-cinq pays et je tiens à remercier à cet égard le Bureau international de l’édition française (BIEF) et les services culturels de nos ambassades, qui nous ont livré des monographies très documentées, lesquelles pourront également être consultées en version numérique très prochainement. Sur les vingt-cinq pays étudiés, quatorze ont adopté un régime de prix unique ou quasi unique proche du nôtre et onze n’ont aucun régime de ce genre. Jusqu’à ces dernières années, on distinguait trois catégories de pays : ceux qui disposaient d’une loi comparable à la nôtre, ceux qui n’avaient aucune disposition en la matière et ceux dans lesquels existait un accord interprofessionnel, comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Désormais, les pays dans lesquels le livre est régi par des accords interprofessionnels sont de moins en moins nombreux : certains, comme l’Allemagne, la Suisse et, plus récemment, le Mexique, ont adopté une loi, tandis que d’autres abandonnent leur accord, comme le Royaume-Uni, où de gros vendeurs de livres s’en sont affranchis, ce qui s’est soldé par l’écroulement du système, au grand mécontentement des éditeurs et des libraires que nous avons rencontrés en Grande-Bretagne. Sur le plan international, donc, la tendance est plutôt à des systèmes législatifs de régulation du prix.

Au terme de l’évaluation de la loi sur le prix du livre, il s’est révélé que celle-ci avait été une véritable loi de développement culturel et territorial et il ne me semble pas qu’il faille la modifier dans son ensemble.

Faut-il alors en revoir certains détails ? Après mûr examen de la question, la commission chargée du rapport a jugé inopportun de modifier le délai de deux ans qui s’impose avant de pouvoir procéder à des soldes. De fait, même si cette durée a été fixée d’une manière assez empirique en 1981, la pratique est devenue tradition et la quasi-totalité des acteurs de la chaîne du livre que nous avons interrogés – y compris, d’une manière parfois surprenante, certains éditeurs qui se qualifient eux-mêmes de « commerciaux » – nous ont confirmé qu’il ne fallait pas revenir sur cette disposition.

Quant à la remise de 5 % que le libraire est autorisé à consentir sur le prix d’un ouvrage, et dont la suppression a été demandée par certains libraires, il me paraît également sage de ne pas modifier la législation en vigueur.

Enfin, pour ce qui concerne le délai à respecter avant la vente d’un titre en « club », le patron du plus gros club de livres français – au demeurant détenu par l’allemand Bertelsmann – nous a recommandé, contre toute attente, de ne pas y toucher.

J’ai donc le regret d’annoncer au législateur qu’il ne faut rien changer. (Sourires.) C’est, somme toute, une bonne occasion de respecter le principe selon lequel il faudrait toujours légiférer en tremblant. La loi du 10 août 1981 n’est peut-être pas un monument immarcescible, mais il est inutile d’ajouter des complications législatives à un dispositif qui a donné satisfaction.

Le deuxième volet du rapport concerne les autres aspects de la politique du livre, que j’évoquerai rapidement.

La première question qui se pose est celle du pilon. Le livre est une industrie de nouveauté : chaque livre est unique et non substituable. Les livres ne sont pas des boîtes de petits pois. Par définition, pour que le livre trouve son public, il doit être offert dans le plus grand nombre possible de points de vente. Cela suppose une logistique importante et un énorme coût de distribution. Il y aura toujours des retours et des invendus. On se souvient de la belle formule de Jérôme Lindon : « Il n’y a rien de plus triste qu’un best-seller qui ne se vend pas ». De fait, certains succès sont inattendus et, à l’inverse, certains succès attendus se révèlent être des échecs. Le livre n’est pas une industrie comme les autres. La question est donc de savoir comment réduire le nombre des retours. Cela ne saurait se faire par la loi, mais par une meilleure relation entre les libraires, les distributeurs et les diffuseurs. Certaines pratiques commerciales peuvent être améliorées, et les solutions passent surtout par la technique de suivi statistique, appelée booktracking.

Depuis cinq ans en Grande-Bretagne et trois ans en Italie, a été mis en place un système de traçabilité des ventes de livres qui n’existe pas dans notre pays : les codes ISBN scannés dans tous les points de vente sont centralisés, permettant à chaque éditeur de connaître chaque semaine le volume de ses ventes. À l’inverse, en France, l’éditeur manque de visibilité et décide parfois des réimpressions parce qu’il ignore que les stocks sont encore importants chez les libraires ou, au contraire, ne réimprime pas un livre qui se vend bien. Or, le livre est un achat d’impulsion et, en cas de rupture temporaire de stock, les ventes manquées ne seront pas toutes rattrapées. Le booktracking est donc très important. Plusieurs sociétés commercialisent des systèmes de ce type, comportant un terminal installé gratuitement dans les points de vente et financé par l’éditeur, qui achète l’information à la base de données dans laquelle sont centralisées les ventes effectives. En Grande-Bretagne, ce système a fait passer les taux de retour de 22 % à 14 % en quelques années. En France, où ce taux est de l’ordre de 23 %, l’adoption rapide du booktracking permettrait de le réduire significativement. Je précise à ce propos qu’à la différence de la presse, dont le papier saturé d’encre d’imprimerie n’est pas recyclable, les livres pilonnés en France sont recyclés. Je rappelerai qu’aux États-Unis, le libraire se contente de les jeter après en avoir arraché la couverture pour l’envoyer au distributeur afin de prouver que le livre n’a pas été vendu et être remboursé.

La deuxième question est celle des délais de paiement, déjà évoquée dans le cadre de la loi sur la modernisation de l’économie. De l’imprimerie à la librairie, le secteur du livre ne doit pas être soumis à la réduction des délais de paiement prévue par celle-ci. Il est clair, en effet, que l’application de ses dispositions en la matière se solderait par la disparition d’environ la moitié des librairies. De fait, le crédit interentreprises très spécifique qui a cours dans ce secteur permet à certaines librairies de vivre, alors qu’elles ne le pourraient pas si elles étaient soumises à l’obligation d’un paiement à 45 jours. Un accord dérogatoire en cours de discussion, et qui sera sans doute adopté, devrait permettre de régler ce problème pour l’année 2009, mais un amendement législatif est nécessaire avant la fin de cette année pour sortir le secteur du livre du champ de la loi en ce qui concerne les délais de règlement. Nous avons, tous groupes parlementaires confondus, déposé une proposition de loi en ce sens et il serait bon qu’elle soit adoptée le plus rapidement possible pour sécuriser le secteur.

La seconde partie du rapport présente encore d’autres propositions, comme l’allongement des heures d’ouverture des bibliothèques. Le maintien du livre et le développement de la librairie auxquels nous avons assisté ces dernières années ont été tout à fait compatibles avec le développement de la lecture publique. Depuis 1990, le nombre de livres prêtés par les bibliothèques publiques a été multiplié par trois, comme nous pouvons tous le constater dans nos départements. La lecture publique, qui est une compétence des départements depuis la loi de décentralisation de 1986, présente donc un très grand dynamisme. Même si des progrès sont encore nécessaires, les bibliothèques se sont considérablement améliorées depuis 20 ou 30 ans et il faut poursuivre cette dynamique.

Par ailleurs, le livre est, parmi les divers secteurs de la culture recevant un soutien budgétaire public, particulièrement peu aidé. Il serait bien venu d’affecter quelques moyens supplémentaires au Centre national du livre (CNL), notamment au titre de l’aide à la traduction ou à la publication de livres difficiles – cette dernière consistant à fournir aux éditeurs quelques milliers d’euros qui permettent d’abaisser le prix de vente du livre en librairie d’environ dix euros.

Il conviendrait enfin d’accélérer l’application des recommandations formulées par Antoine Gallimard dans le cadre de la commission qu’il préside sur le maintien et le développement de la librairie indépendante. Ces recommandations, qui font l’objet d’un consensus au sein de la commission, portent notamment sur la labellisation, sur la collaboration avec les collectivités territoriales face au problème des loyers en centre-ville et sur les charges sociales liées au personnel. Tous ces points vont dans le bon sens.

La troisième partie du rapport est consacrée au numérique. J’ai abordé ce sujet avec une grande humilité, car il n’existe aujourd’hui aucune certitude. La seule chose que l’on puisse dire est que l’univers du livre n’a pas encore connu de révolution technologique comparable à celle qu’a représentée en 2001 pour la musique l’émergence du couple iPod-MP3, malgré l’apparition de « readers » tels que le Kindle d’Amazon ou le produit équivalent de Sony, disponibles depuis quelques mois. Nul ne sait si le saut technologique sera franchi, ni quand.

Plusieurs questions ne s’en posent pas moins.

La première est celle de la définition du livre numérique. Il faut en effet, comme l’ont souligné les auteurs que j’ai auditionnés, distinguer l’œuvre numérique, nouvel objet culturel et vecteur de créations de l’esprit, capable d’associer textes, images et sons sur un support numérique, et le livre numérisé proprement dit. Ce dernier peut lui-même être un fichier numérique, reproductible par copie, issu de la numérisation d’un livre initialement imprimé sur papier, ou un ouvrage dont le princeps est déjà numérique. Ainsi, un ouvrage très spécialisé en sciences humaines, économiquement impubliable parce qu’ils auront trop peu de lecteurs, peut fort bien avoir une édition princeps numérique. Nous nous intéresserons plutôt ici au livre numérisé qu’au livre numérique.

La deuxième question, complexe, est celle du modèle économique, à propos duquel deux consensus se sont dégagés des auditions auxquelles nous avons procédé : le prix du livre numérisé doit continuer d’être fixé par l’éditeur et son prix d’équilibre est sans doute inférieur de 30 % à 40 % à celui du livre papier.

Troisième interrogation : comment lutter contre le piratage ? Cette problématique s’apparente à celles qui sont évoquées actuellement dans le cadre de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Il semble évident qu’il faut développer une offre légale massive – c’est d’ailleurs ce qu’avait initié Jean Noël Jeanneney avec les projets Gallica et Gallica 2, qui proposent une offre numérisée légale pour les œuvres relevant du domaine public. Pour ce qui n’est pas encore dans le domaine public, les éditeurs se lancent eux aussi dans la constitution d’un fonds numérique qui doit faire l’objet d’une offre légale. Malgré la différence des vecteurs de diffusion, la problématique est la même que pour la musique : l’interopérabilité doit être la plus grande possible, car une utilisation mal comprise des mesures techniques de protection (DRM) ruinerait l’attractivité de l’offre légale et se traduirait immédiatement par le développement du piratage.

C’est dans ce contexte que se déroulent actuellement les négociations avec Google, lequel a commencé de son propre chef à numériser de nombreuses œuvres. Aux États-Unis, la question a connu récemment un dénouement curieux : les auteurs américains, qui s’étaient tout d’abord insurgés contre cette numérisation unilatérale par un acteur privé, ont finalement transigé sur un montant de droits d’auteur de quelques centaines de millions de dollars, ce qui semble peu par rapport à la masse des droits concernés. Les dirigeants de Google ont fait voici un mois ou deux une tournée européenne au cours de laquelle ils ont rencontré les éditeurs européens qui, pour l’heure, ne se situent nullement sur la ligne de leurs homologues américains. En effet, les contacts que nous avons eus à l’automne dernier avec les éditeurs européens en marge de la Foire de Francfort laissent penser qu’ils auront une attitude très ferme en matière de défense des œuvres qui ne sont pas encore dans le domaine public.

La quatrième interrogation porte sur le droit d’auteur, qui reste un problème central : la numérisation en devenir ne donne pas encore les moyens d’assurer la rémunération de la création.

Pour certains, comme Jacques Attali, la véritable rémunération est la notoriété : le droit d’auteur a vécu et l’internet permet de diffuser les écrits par une démultiplication formidable, qui assure une notoriété permettant de se rémunérer en donnant des conférences. Voici quelques années déjà, un universitaire à qui j’exprimais mon étonnement de trouver ses publications librement accessibles sur les sites internet des think tanks auxquels il contribuait, me répondait qu’il touchait un salaire de chercheur et que seule l’intéressait la notoriété, qui lui permettait d’écrire des livres et de donner des conférences. Bien évidemment, cette vision des choses ne peut concerner que les sciences humaines, et non pas la littérature, et encore ne s’applique-t-elle qu’aux « vedettes » de ces disciplines. La question de la rémunération de la création et du droit d’auteur à l’heure du numérique reste donc centrale et on ne sait pas y répondre.

La dernière question est celle de la « désintermédiation ». Dans un scénario catastrophe, l’irruption du numérique dans un univers de papier pourrait causer la disparition des éditeurs, car l’auteur pourrait s’auto-éditer sur le Web en vendant lui-même son fichier numérique. Il pourrait donc également court-circuiter les libraires, qui seraient complètement exclus de la chaîne du livre. On peut donc imaginer un univers nouveau où tout serait désintermédié et où disparaîtraient des métiers qui existent depuis des siècles, celui de l’« édition » au sens anglo-saxon d’« editing », tout comme l’irremplaçable fonction de conseil de proximité qu’assurent les libraires.

Il faut, sans catastrophisme, se poser ces questions. L’honnêteté commande de dire que le livre fait encore l’objet d’interrogations très ouvertes. Il est important d’anticiper. Les éditeurs doivent être proactifs, notamment pour la numérisation de leur fonds et le développement d’une offre légale. La librairie française doit être plus présente sur internet qu’elle ne l’est aujourd’hui – à cet égard, le projet Librairie de France est en gestation depuis trop longtemps.

Pour conclure, il me semble que l’irruption du numérique dans l’univers du papier se fera – et se fait déjà – de manière très différente selon les livres. Pour la littérature, le papier a, selon moi, de beaux jours devant lui, même si l’offre numérique se développe pour les jeunes générations ou pour les lectures de voyage. Pour les sciences humaines, on peut supposer que les deux supports pourront cohabiter, des ouvrages trop difficiles d’accès pour trouver un éditeur pouvant être diffusés grâce au numérique, et cela à plus forte raison avec le développement croissant de l’impression à la demande. Ainsi, j’ai lu récemment un ouvrage très savant d’un orientaliste dont la version papier, très dense, est également très simple, sans notes érudites ni annexes pondéreuses, lesquelles peuvent être téléchargées sur un site spécifique, portant le nom du livre. Enfin, le basculement s’est déjà fait dans les domaines techniques, comme ceux du droit et de la jurisprudence ou de la médecine, dont les éditeurs traditionnels ont largement adopté le numérique. Du reste, comme le soulignent les éditeurs eux-mêmes, sur des segments particuliers comme ceux des livres de voyage ou des livres de cuisine, le fait que tout soit disponible sur internet n’empêche pas l’édition papier d’être plus florissante que jamais.

M. le président Pierre Méhaignerie. C’est parce qu’il y a de plus en plus de retraités !

M. Hervé Gaymard. Les retraités sont souvent aussi des surfeurs passionnés sur l’internet.

La bande dessinée, enfin, semble de plus en plus susceptible d’être touchée par le numérique, comme on le voit notamment au Japon. De fait, alors que se multiplient les baladeurs et téléphones portables, la lecture case par case est particulièrement adaptée aux écrans de petite taille. Ce phénomène est déjà particulièrement sensible pour les mangas.

M. le président Pierre Méhaignerie. Merci pour cette synthèse passionnante, optimiste et prospective – et dont les conclusions, de surcroît, ne nous demandent pas de légiférer !

M. Hervé Gaymard. Sauf pour ce qui concerne les délais de paiement.

M. le président Pierre Méhaignerie. Pouvez-vous nous expliquer comment il se fait qu’une évolution qui satisfait tous les partenaires, développe la création et augmente le nombre de lecteurs ne soit pas inflationniste ? Devant une situation qui tient presque du miracle, d’autres secteurs ne seront-ils pas tentés de nous demander de prendre des mesures comparables ?

M. Christian Kert. Le sujet est passionnant et le rapport de M. Gaymard ne l’est pas moins. Je tiens à l’en féliciter.

M. Hervé Gaymard. C’est une œuvre collective.

M. Christian Kert. Le Salon du Livre a été cette année un succès remarquable, tant pour la fréquentation que pour le chiffre des ventes, ce qui semble confirmer l’attachement des lecteurs pour le support papier.

Pourriez-vous nous indiquer le nombre moyen de livres que consomme annuellement chaque Français ?

M. Hervé Gaymard. Entre sept et huit.

M. Christian Kert. Merci. À propos de la loi sur le prix unique du livre, Jean Dionis du Séjour et moi-même avions tenté d’entrouvrir la porte pour ce qui concerne la possibilité de consentir des rabais. Nous avons cependant compris que des modifications en la matière remettraient en cause l’équilibre de cette loi, ce qui n’était pas notre intention. Notre propos était plutôt d’en revoir les modalités car, comme l’a souligné le président Méhaignerie, le livre est un exemple unique de protection d’un produit qui s’applique non seulement au prix, mais à toute la périphérie de celui-ci. Il y a quelque chose d’inouï à figer un prix pendant deux ans et à interdire tout rabais. Heureusement que tous les produits ne demandent pas la même protection !

Des clubs de lecteurs et des associations de consommateurs avaient suggéré qu’un effort pourrait être fait à propos des délais de solde. Je comprends certes que les professionnels du secteur demeurent protectionnistes, mais avez-vous réellement le sentiment qu’une modification légère des règles concernant les délais et les rabais remettrait en cause tout l’édifice ?

Il y a certes lieu de se réjouir que soient publiées chaque année dans notre pays tant de nouveautés – le chiffre de 60 000 est considérable –, mais certains libraires se plaignent d’être envahis par des cartons de livres qu’ils n’ont parfois pas même le loisir d’ouvrir. Une telle inflation des titres est-elle vraiment un signe de vitalité ?

Une maison d’édition de ma région, Édisud, est spécialisée dans la littérature étrangère et soutient en particulier certains auteurs anglo-saxons et sud-américains. Existe-t-il dans le monde, à votre connaissance, des maisons d’édition spécialisées soutiennent avec le même succès le livre en langue française à travers le monde ?

Enfin, pour ce qui concerne le numérique et les droits d’auteur, l’examen de la loi relative à la création sur internet a permis d’évoquer le piratage de la musique et du cinéma. Qu’en est-il du piratage de la littérature ? Le fait qu’il n’ait pas jusqu’ici suscité la même émotion signifie-t-il que le phénomène ne fait que commencer, ou est-il déjà passé dans les mœurs ? La conjugaison du papier et du numérique, que vous évoquez, est-elle comparable, selon vous, à celle de la presse papier et de la presse sur internet, qui imposera certainement des mutations à la presse écrite – laquelle, à mon sens, a vocation à subsister, en se recentrant éventuellement sur la presse d’idées pour laisser au numérique la presse de l’immédiat ?

M. Marcel Rogemont. J’ai pris un immense plaisir à participer à cette mission, diligentée par une personne de qualité que, pour épargner sa modestie, je ne nommerai pas.

M. le président Pierre Méhaignerie. Cette déclaration figurera au compte rendu de notre réunion.

M. Marcel Rogemont. J’y tiens, et j’espère que mes paroles figureront dans des livres qui n’iront pas au pilon !

La première impression que je tire des nombreuses auditions auxquelles j’ai participé est celle d’une cohérence étonnamment harmonieuse des acteurs de la chaîne du livre, dont le dénominateur commun est le prix unique.

Ma deuxième remarque reprend les interrogations formulées à plusieurs reprises quant à un éventuel assouplissement des délais à respecter avant de pouvoir procéder à des soldes. L’un des arguments avancés à cet égard était celui du pilon. J’ai été surpris de constater que, dans des pays n’appliquant pas le prix unique du livre, les taux de retour sont nettement supérieurs à ce qu’ils sont en France – c’est le cas par exemple aux États-Unis, où ce taux est très élevé, alors même que, comme l’a rappelé M. Gaymard, les points de vente de livres y sont moins nombreux qu’en France.

Le système mis en œuvre au Royaume-Uni, et qui s’apparente à celui qui permet de connaître en temps réel la « consommation cinématographique » dans les salles, me semble intéressant. À défaut d’une réduction significative du pilon, un tel système permettrait au moins aux éditeurs un meilleur suivi de leur production et éviterait peut-être les pertes de ventes liées à un défaut d’approvisionnement en temps utile.

Le développement constaté de la lecture publique reflète les politiques qui ont été menées en la matière par les collectivités territoriales. Je préfère, à cet égard, le mot de « bibliothèques » à celui de « médiathèques », qui nous éloigne du sujet. Ce phénomène traduit une véritable prise de conscience de l’importance du livre dans notre pays.

Quant à l’évaluation globale du dispositif existant, je remercie M. Gaymard d’avoir rappelé, même si ce n’est pas dans l’air du temps, que le changement n’est pas automatiquement une bonne chose, notamment en matière culturelle et pour ce qui concerne le livre. Le groupe socialiste a également déposé une proposition de loi visant à amodier le dispositif du paiement à 45 jours. J’exprime donc un accord affectif autant qu’intellectuel à cette mission et à ses conclusions.

M. Michel Herbillon. Je tiens à mon tour à féliciter Hervé Gaymard pour la qualité et l’intérêt de son rapport et de sa présentation.

Malgré les bonnes résolutions prises au début de chaque législature, on légifère toujours trop. Le fait de ne pas légiférer à l’issue de ce rapport est donc aussi, comme l’a souligné le président Méhaignerie, une bonne chose.

La question du taux de retour et du pilon était déjà évoquée à peu près dans les mêmes termes dans l’avis que j’avais remis dans le cadre de l’examen du budget de la culture pour 2006 et qui portait sur la politique du livre. Pourquoi le système de traçabilité qui paraît donner satisfaction dans les pays où il est employé n’est-il toujours pas en vigueur en France, où le suivi des stocks laisse, on l’a vu, beaucoup à désirer et conduit parfois les éditeurs à rééditer ou à ne pas rééditer à contretemps ?

Pouvez-vous également nous donner quelques éléments complémentaires sur la situation de la lecture publique ? Quelle prospective peut-on faire dans ce domaine, compte tenu notamment de l’évolution des modes de consommation culturelle, en particulier par l’intermédiaire de l’internet ? Les horaires d’ouverture des bibliothèques ne sont pas le seul élément en cause et la question n’est d’ailleurs pas sans poser quelques difficultés pour les collectivités locales – en tant que maire d’une ville qui possède une bibliothèque très importante, je sais quel en est le coût. Quelles sont, en outre, les conséquences que peut avoir la désintermédiation sur les bibliothèques publiques ? Je me souviens que certains responsables des bibliothèques que j’ai auditionnés pour mon propre rapport évoquaient, d’une manière prospective, des bibliothèques sans livres – idée à laquelle, du reste, je suis loin d’être acquis.

M. Patrick Roy. Malgré le numérique, la lecture demeure très importante. Une personne qui ne sait pas lire est bien plus handicapée aujourd’hui qu’avant l’arrivée du numérique.

Dans le domaine de la culture, comme on le voit notamment dans le cadre du débat sur l’internet qui doit reprendre dans quelques jours, se pose la question de l’objet et du contenu. Ainsi, les producteurs de disques s’efforcent de plus en plus de créer des disques qui soient des objets agréables. Pour le livre également, l’objet reste important.

Le livre a besoin de lecteurs, ce qui suppose que les jeunes générations soient en contact le plus tôt possible avec la lecture et le livre. La lecture de romans à l’école primaire est à cet égard très profitable, et cela d’autant plus qu’à la différence de la musique, le plaisir qu’apporte le livre exige un effort préalable. Il est préférable que toute la classe lise un même livre, fourni par exemple dans une mallette pédagogique qui en contient vingt-cinq ou trente exemplaires. Se pose alors, pour les écoles, et donc pour les communes, la question du coût.

M. Hervé Gaymard. Vous m’avez demandé, monsieur le président, si le système qui s’applique au livre doit être étendu à d’autres secteurs de l’économie. Le livre est un produit très spécifique, qui se situe dans une économie de prototypes : par définition, chaque livre est unique et on ne sait pas s’il rencontrera ou non son lecteur. Chaque succès ou chaque échec est le résultat d’une alchimie complexe qu’on ne peut pas anticiper. Si des systèmes de prix unique ont été mis en place dans quatorze pays sur vingt-cinq que nous avons étudiés, c’est parce qu’on a estimé qu’il fallait préserver ce modèle d’unicité et de création et que la « compétitivité » devait s’exercer sur d’autres terrains que sur celui du prix – sur ceux du conseil et de la diversité de l’offre. Je ne suis donc pas certain que ce qui a été fait pour le livre soit transposable utilement à d’autres secteurs de l’économie.

On aurait certes pu l’imaginer, voici une trentaine d’années, pour d’autres secteurs de l’économie culturelle, comme celui du disque, mais ce n’était pas à l’époque, me semble-t-il, ce que demandaient les industriels du disque et les disquaires. Ces derniers, qui étaient encore nombreux dans nos communes, ont du reste presque complètement disparu aujourd’hui et l’on trouve des rayons de disques dans les supermarchés et dans certaines librairies.

Monsieur Kert, votre question sur les délais de soldes rejoint la première remarque de M. Rogemont. Tout bien considéré, et sans conservatisme, il ne me semble pas utile de modifier des pratiques commerciales enracinées depuis maintenant près de 30 ans et qui donnent globalement satisfaction. Cela s’impose d’autant moins que la France se caractérise par une grande vitalité du livre de poche. On ne dit pas assez que, dans notre pays, le livre de poche publie des œuvres très nombreuses, y compris des œuvres difficiles, et que la deuxième vie du livre est souvent, en réalité, plutôt celle du livre de poche que celle du livre soldé. Ainsi, je viens d’acheter à la gare de Lyon, pour sept euros en collection de poche, la traduction française du livre remarquable de l’historien anglais Antony Beevor sur la guerre d’Espagne, que j’avais renoncé à acheter voilà deux ans lorsqu’elle était parue au prix de vingt-cinq euros. C’est donc encore mieux que le livre princeps soldé.

La question du trop grand volume de nouveautés est ancienne – le terme recouvrant, rappelons-le, aussi bien les ouvrages réellement nouveaux que les réimpressions. Le rapport que je vous présente aujourd’hui, qui sera publié dans quelques semaines par les éditions Gallimard, en coédition avec la Documentation française, sous forme d’un mariage entre le numérique et le papier – les annexes étant, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, disponibles seulement sous forme numérique – citera des textes d’auteurs évoquant le livre.

Nous avons ainsi retrouvé un texte dans lequel Jacques Chardonne, éditeur et écrivain – associé sous son vrai nom de Boutelleau avec Maurice Delamain pour reprendre les éditions Stock et la librairie du même nom au Palais Royal, et l’un des auteurs favoris du président Mitterrand –, évoque, au milieu des années 1960, l’édition des années 1920 et 1930 et s’insurge devant le trop grand nombre de nouveautés et l’impossibilité pour les libraires de déballer les cartons. On trouve déjà les mêmes plaintes dans des textes du début du siècle. Les libraires se plaignent donc de cette masse et, en particulier, des offices d’actualités qui les submergent, chaque fois que se produit un événement géopolitique mondial ou qu’une personnalité vient à mourir, de livres qu’ils ne peuvent pas toujours vendre, qui leur imposent un surcroît de manutention et qui alourdissent leur trésorerie – même s’ils font travailler les entreprises de transports.

Tout le monde convient que certains aspects des relations entre éditeurs, diffuseurs et libraires doivent être revus. Ce travail doit être aidé par le booktracking, dont la mise en place, monsieur Herbillon, a tardé du fait sans doute de quelques pesanteurs naturelles qui ne sont pas propres au secteur du livre. Au demeurant, le système exige, pour fonctionner correctement, que 80 % au moins des points de vente soient équipés de terminaux, ce qui ne peut se faire que progressivement – il n’est opérationnel au Royaume-Uni que depuis deux ans. Le système fonctionne en outre en Australie et en Nouvelle-Zélande et il commence à se mettre en place en Italie, où le seuil de 80 % n’est pas encore atteint. Pour ce qui concerne la France, les spécialistes britanniques sont venus faire une démonstration devant la commission au Cercle de la librairie, à Paris, et le processus semble bien engagé. Dans un secteur qui se caractérise par des marges très faibles du fait de la multiplicité des intermédiaires et, face à la rareté des financements publics – limités, comme je l’ai dit, à quelques aides à la traduction et à la publication d’ouvrages difficiles – et à l’absence de recettes publicitaires, la réduction des taux de retour apporterait un soulagement financier bien venu à toute la filière.

Pour ce qui concerne les ouvrages étrangers, l’image de xénophobie que l’on associe volontiers à la France en matière culturelle est fausse : l’édition française publie beaucoup plus de traductions que ne le font d’autres pays. À l’inverse, la traduction des livres français à l’étranger, notamment dans le monde anglo-saxon, est un vrai problème et peut-être la future Commission des affaires culturelles de cette Assemblée pourrait-elle se pencher, avec la Commission des affaires étrangères, sur la question de la politique culturelle extérieure française – ce qui serait particulièrement opportun dans le contexte actuel. L’aide à la traduction d’ouvrages français à l’étranger doit assurément être développée.

Sur la question des droits d’auteur et du piratage, les chiffres sont, par définition, très difficiles à évaluer. Il semblerait que le piratage de livres concerne un peu plus de 20 % des droits d’auteur servis chaque année – ce qui est considérable –, mais cette statistique doit être prise avec beaucoup de précautions. En outre, le piratage concerne vraisemblablement plus les sciences humaines que la littérature générale.

Monsieur Rogemont, la lecture publique, qui faisait l’objet de votre deuxième remarque, est en effet un sujet d’une grande importance, qu’évoquait d’ailleurs aussi M. Herbillon. La question mériterait d’être traitée d’une manière distincte et il ne serait pas inutile que la Commission puisse auditionner, par exemple, le directeur du livre et de la lecture au ministère de la culture, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet. De fait, le problème ne se résume pas aux horaires d’ouverture des bibliothèques. Une chose certaine est que l’on constate une baisse des pratiques de lecture dans les classes les plus populaires de la société. Les enquêtes de fréquentation font apparaître que ce sont les classes moyennes supérieures et les classes supérieures qui utilisent de plus en plus les bibliothèques publiques, ce qui n’était pas le cas voilà vingt ou trente ans. Le développement important de la lecture publique n’a pas été le fait des classes les plus modestes et une politique de reconquête de ce lectorat doit être mise en œuvre.

Une autre question liée à la lecture publique est celle des appels d’offres pour les bibliothèques. Le rapport propose que le ministère de la culture organise une table ronde réunissant autour de cette question les libraires, les bibliothécaires et les collectivités locales, confrontés aux difficultés induites par les réformes successives du code des marchés publics et la non-pertinence du critère de prix dans une situation de prix unique.

Monsieur Roy, certains éditeurs de livres destinés à la jeunesse proposent déjà aux écoles primaires des offres groupées à des prix beaucoup plus compétitifs que les prix de vente publics. Votre remarque n’en est pas moins pertinente.

Mme Françoise de Panafieu. Les initiatives telles que celle de Jean d’Ormesson, qui publie avec Le Figaro une collection de grandes œuvres littéraires, sont-elles appelées à se multiplier ?

M. Hervé Gaymard. Il est toujours bon de donner à lire des livres, et en particulier de grands classiques bien préfacés. De telles initiatives provoquent cependant toujours des secousses entre les éditeurs et libraires. La question n’est pas nouvelle et la solution qui a été trouvée consiste à ce que, lorsqu’un ouvrage est publié en association avec un journal, il doit également pouvoir être vendu dans les librairies si celles-ci le souhaitent. À cet égard, la récente publication d’œuvres de Balzac par Le Monde est également remarquable.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je tiens tout d’abord à souligner, monsieur Gaymard, l’excellente qualité de votre rapport sur ce sujet intéressant.

En réponse aux observations que vous venez de formuler sur les appels d’offres, je souligne que, dans la commission des affaires culturelles du département du Jura, que je préside, aucun achat d’ouvrages destinés à la bibliothèque départementale de prêt ne revient jamais aux librairies du département et que les achats sont toujours réalisés au niveau national, en raison notamment de l’habitude qu’en ont prise les services concernés. Alors que le système ne repose plus sur une concurrence liée au prix, il est regrettable que les filières du livre de nos départements fassent les frais de ces pratiques. Une modification du code des marchés publics semble s’imposer sur ce point.

M. Marcel Rogemont. Quand il est question de culture, se pose toujours la question de la démocratisation culturelle. Avant d’analyser le profil des personnes qui entrent dans une bibliothèque, il faut d’abord savoir si leur nombre a augmenté ou non, car les statistiques gomment cette réalité. Or, l’offre des bibliothèques publiques, qui s’est considérablement améliorée au cours des 30 dernières années, offre à un plus grand nombre de personnes la possibilité de rencontrer le livre.

Par ailleurs, puisqu’il est question de l’école, je rappelle qu’est organisé chaque année à Rennes le Goncourt des lycéens, qui intéresse l’ensemble des lycées et est une façon de faire vivre le livre dans la jeunesse. J’invite ceux qui en douteraient à venir assister à cette manifestation : ils verront 600 ou 700 jeunes venus de différents lycées de France et qui ont travaillé sur les livres. C’est quelque chose d’extraordinaire.

M. le président Pierre Méhaignerie. Quelles sont les prochaines étapes ?

M. Hervé Gaymard. Le rapport ne propose pas de légiférer, sinon sur les délais de paiement. Puisque l’Assemblée nationale dispose désormais d’une co-maîtrise de l’ordre du jour, je souhaite que cette question importante, sur laquelle s’accordent tous les groupes parlementaires de notre assemblée et du Sénat, puisse y être inscrite aussi rapidement que possible.

Une autre étape est celle de la mise en place du booktracking, qui relève des professionnels.

Enfin, pour ce qui concerne les marchés publics, que vient d’évoquer Mme Dalloz, une table ronde devrait réunir au plus vite l’Assemblée des départements de France (ADF), l’Assemblée des maires de France (AMF), l’Association des régions de France (ARF), le Syndicat de la librairie et le Syndicat national de l’édition pour séquencer les sujets.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.