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Commission des affaires étrangères

Mardi 2 octobre 2007

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 2

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, Ministre des affaires étrangères et européennes

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

M. le Président a remercié M. le ministre des affaires étrangères pour avoir répondu à l’invitation de la commission qui a souhaité l’entendre à la suite de ses déclarations sur l’Iran.

Il a déclaré que celle-ci aimerait connaître la position de l’Union européenne concernant les sanctions qui avaient été suggérées. La France sera-t-elle amenée à proposer formellement un certain nombre de ces sanctions directement aux autres pays de l’Union européenne, en dehors même de ce qui sera proposé à l’ONU ?

Il a indiqué que la présence du ministre permettrait aussi d’évoquer les questions du Darfour et du Tchad, ainsi que la situation en Birmanie.

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, a répondu que la crise iranienne représentait un enjeu majeur, pour la sécurité internationale, l’avenir du Moyen-Orient et pour contenir les risques de prolifération.

Sur un tel dossier, la politique de la France, obéit à un principe clair : l’accès de l’Iran à la capacité nucléaire militaire est inacceptable ; l’accès à la capacité nucléaire civile est tout à fait légitime. Il faut tout faire pour parvenir à une solution négociée.

Aux dires des experts, l’enrichissement et le retraitement de l’uranium en Iran n’ont aucune justification civile crédible, du moins avant plusieurs années. D’après l’AIEA, ce programme s’est développé depuis dix-huit ans dans la plus grande clandestinité, jusqu’à ce qu’il soit découvert en 2002.

D’après l’AIEA, l’Iran s’est approvisionné auprès des réseaux de prolifération, auprès desquels se sont approvisionnés des pays comme la Corée du Nord et la Libye. L’AIEA a constaté non seulement des violations flagrantes de l’accord de garanties de l’Iran
– qui a signé le traité de non-prolifération en 1972 –, mais encore des indices d’activités pouvant avoir une dimension militaire, ceci parallèlement à la poursuite du développement de missiles balistiques d’une portée de plus en plus longue.

Parce qu’elle était très préoccupée, dès 2003, la France, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, a lancé une initiative diplomatique pour apporter une solution négociée. La Russie, la Chine et les États-Unis se sont joints trois ans plus tard, en 2006, à ces trois pays. A Vienne, en juin 2006, une offre européenne a été faite à l’Iran lui proposant de l’aider à développer un programme de nucléaire civil ainsi que ses échanges économiques et commerciaux en contrepartie de l’engagement de Téhéran à renoncer à son programme d’enrichissement de l’uranium et du respect de ses engagements internationaux.

Ces propositions de 2006 ont été rejetées très clairement par l’Iran sans examen sérieux de sa part. Sans se décourager, les Européens, la Chine, la Russie et les Etats-Unis ont multiplié les efforts de dialogue pour tenter de convaincre Téhéran de retourner à la table des négociations. Les Européens sont représentés par M. Javier Solana, qui a rencontré à de très nombreuses reprises le responsable iranien, M. Larijani. Les ministres européens de leur côté ont fait de même.

Le retour à la suspension de toute activité d’enrichissement constitue l’essentiel de l’objectif de la diplomatie européenne et de la diplomatie conjointe de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis.

Le ministre iranien des affaires étrangères, M. Mottaki, n’a pas modifié sa position. Il continue de déclarer que l’Iran ne suspendra pas son programme d’enrichissement. Face à cette attitude, les six pays précédemment évoqués ont montré leur unité et sont parvenus, il y a quelques jours, à un texte commun.

Les Iraniens ont accepté fin août que l’AIEA enquête sur ce qui s’est passé pendant la période de dix-huit ans, au cours de laquelle le programme d’enrichissement a été mené en secret. Il s’agit d’un premier résultat positif.

Le directeur général de l’AIEA, le docteur El Baradei, a indiqué que l’Agence remettrait son rapport en novembre. Parallèlement, il a été demandé à M. Javier Solana de poursuivre son entreprise de négociation, lui aussi devrait remettre son rapport en novembre également.

Si ces deux rapports comportent des éléments nouveaux et positifs, il en sera tenu largement compte. Sinon, les six pays s’adresseront au Conseil de sécurité pour que soit présentée une quatrième résolution, assortie de sanctions.

La discussion portait également sur la possibilité, avant que les deux rapports ne soient disponibles, d’envisager ou non des sanctions. Il a été convenu d’attendre le mois de novembre avant que de nouvelles sanctions ne soient éventuellement décidées par l’adoption d’une quatrième résolution du Conseil de sécurité. Le ministre a mis à la disposition des membres de la Commission le communiqué ministériel adopté à New York le 28 septembre dernier.

Pendant ce temps, les trois pays européens ont évoqué la possibilité de proposer aux pays membres de l’Union européenne d’étudier des sanctions ciblées, afin de manifester notre détermination face à la poursuite par l’Iran de son programme d’enrichissement de l’uranium et le risque d’un passage au nucléaire militaire.

M. le ministre des affaires étrangères est ensuite revenu sur la vive émotion qu’avait suscitée l’utilisation qu’il avait faite du mot « guerre » et a cité, à l’adresse des commissaires, le texte qu’il avait alors prononcé et qu’il s’est proposé de mettre à leur disposition.

Il a tenu à préciser que « se préparer » à la guerre ne signifiait pas « préparer » la guerre et a insisté sur le fait qu’il n’avait dit à aucun moment qu’il était en faveur de la guerre. Certes aurait-il pu employer d’autres expressions contournées qui n’auraient pas suscité tant de réactions.

A M. Jean-Paul Bacquet qui lui rétorquait qu’il avait été favorable à la guerre en d’autres occasions, il a répondu qu’il avait toujours œuvré pour la paix. Il a ajouté, s’agissant de l’Irak, qu’il était favorable à une action des Nations unies et a renvoyé M. Bacquet au texte qu’il avait alors écrit, intitulé : « Ni la guerre, ni Saddam. »

Le Ministre a de nouveau insisté sur les expressions : « nous négocierons jusqu’au bout », « sans reculer devant les rebuffades ». Enfin, il a remarqué que ses propos n’avaient pas impressionné les Iraniens, puisqu’il avait rencontré leur ministre des Affaires étrangères à New York.

Il a souligné que les pays européens étaient d’accord pour que la mission de M. El Baradei puisse se dérouler pleinement et qu’ils espéraient qu’elle s’achèverait, comme annoncé, en novembre. Nous allions proposer à nos partenaires de l’Union européenne de se réunir pour parler de l’étude d’éventuelles sanctions européennes.

M. Javier Solana a exprimé son accord sur cette démarche sur laquelle il a déjà consulté les ministres italien et espagnol des affaires étrangères. Il convient de voir à présent s’il est possible pour l’Union européenne de travailler à la définition de nouvelles sanctions.

Pendant ce temps, les discussions avec les Iraniens continuent, tant avec M. Solana que dans le cadre des relations bilatérales.

Mme Elisabeth Guigou a abordé la question du double processus : d’abord, dans le cadre des Nations unies, ensuite, dans le cadre de l’Union européenne dans la mesure où il a été demandé à ses pays membres de travailler sur de nouvelles sanctions, si celles-ci s’avéraient nécessaires. Ces dernières pourraient-elles être appliquées en dehors du cadre des Nations unies, c’est-à-dire indépendamment du vote d’une nouvelle résolution, ou ne pourraient-elles l’être que dans le cadre d’une nouvelle résolution ?

Le retentissement mondial qu’ont eu les propos du ministre s’explique par l’existence d’un mouvement au sein de la diplomatie française, depuis quelques mois, qui semble se rapprocher des positions de l’actuelle administration américaine. On a ainsi entendu à l’Assemblée générale des Nations unies le Président de la République dire qu’il n’excluait pas que la France puisse réintégrer les structures militaires intégrées de l’OTAN, sous réserve que deux conditions soient remplies : le progrès dans la défense européenne et qu’une place soit faite à la France à des postes de responsabilités dans les mécanismes de décision. Ne serait-ce pas un nouveau pas de franchi ? Va-t-on mettre un terme à l’élargissement indéfini de l’Alliance atlantique ? Tout cela participe à un climat qui fait dire à beaucoup, notamment au Proche-Orient, que la France se place parfois même en avant des positions des Etats-Unis sur des sujets très sensibles.

Elle s’est défendue de toute attitude antiaméricaine, mais a insisté sur le fait qu’il y a des évolutions qu’on ne pouvait pas ne pas éclaircir si elles devaient se produire.

M. le ministre a répondu que l’Europe avait déjà défini des sanctions, dans l’intention d’aller au-delà de celles prises par les Nations unies. Quant à savoir si ces nouvelles sanctions seront adoptées, il n’est pas possible de le dire mais elles seront proposées à la discussion.

Cette initiative constitue un moyen de peser sur la négociation en attendant les conclusions des deux rapports en novembre et alors que les discussions continuent avec les Iraniens.

Nos partenaires européens vont se voir proposer de travailler sur des sanctions. À New York, les Anglais, les Allemands et les Français étaient d’accord pour des sanctions. L’exercice est à l’évidence délicat. En Iran, il y a de nombreuses entreprises étrangères pour lesquelles l’application des sanctions aurait des incidences. Le risque est que l’entreprise d’un autre pays qui n’appliquerait pas les sanctions contre l’Iran tire parti de la situation pour s’y implanter.

Un accord a été obtenu entre trois pays. Le sera-t-il au niveau des 27 ? Les ministres des affaires étrangères espagnol et italien soulignent qu’il faut voir de quelles sanctions précises il pourrait s’agir et, d’autre part, il faut définir une offre politique complète qui ne se réduit pas aux seules sanctions.

Sans doute les Européens n’ont-ils pas pris suffisamment au sérieux le fait que, depuis deux résolutions, les Iraniens se raidissaient. Peut-être aussi que les sanctions opposées jusqu’à présent par l’ONU à travers le Conseil de sécurité n’étaient pas déterminantes.

S’agissant de la deuxième question de Mme Guigou, le ministre a indiqué qu’Hubert Védrine, dans son rapport, parlait d’ « alliés, amis non alignés ». La France n’est pas alignée ! Elle n’est pas d’un atlantisme forcené.

Lorsqu’en matière d’environnement, le Président Bush a refusé de signer le protocole de Kyoto, la France a exprimé son désaccord. Il en a été de même sur la nécessité, ou non, de trouver un candidat de consensus pour l’élection présidentielle au Liban.

La France n’a pas suivi les Américains lorsqu’il s’est agi d’accepter, ou non, le processus défini par M. El Baradei. Elle y était en effet favorable, considérant que l’AIEA est une agence technique qui doit procéder à des vérifications, en faisant d’ailleurs remarquer que M. El Baradei avait eu raison à propos de l’absence d’armes de destruction massive en Irak.

Toutefois, pas plus qu’elle ne repose sur un américanisme à tous crins, la politique extérieure de la France ne repose sur un anti-américanisme systématique.

M. Jacques Myard a fait observer que M. le ministre avait dit que, dans cette région, une bombe de plus n’était pas désirable, et considéré que ce propos n’était pas acceptable.

Sur la frontière Est de l’Iran, se trouvent le Pakistan et l’Inde. Or le danger extrémiste au Pakistan est encore plus important qu’en Iran, où la population se débarrassera tôt ou tard de ses mollahs. Pourtant la communauté internationale n’en dit mot, pas plus qu’elle ne parle de l’Inde, où se posent de graves problèmes. Les Américains ont même signé des accords avec ce pays, lesquels risquent de permettre à l’Inde de progresser dans sa maîtrise du nucléaire militaire.

Certes, l’Iran pose problème. Néanmoins, sur le plan juridique, ce pays a signé ce que d’autres Etats comme le Pakistan, l’Inde ou Israël n’ont pas signé alors qu’ils sont beaucoup plus avancés en matière de nucléaire militaire que l’Iran. Cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire à propos de l’Iran, mais on est frappé par une certaine dramatisation et une certaine disproportion à son encontre.

Il y a quelque temps, l’Iran avait signé le Protocole additionnel 93, qui renforce les pouvoirs de contrôle de l’AIEA. Les Iraniens avaient fait des propositions pour le mettre en œuvre, mais les Occidentaux n’avaient pas réagi parce que les Américains ne voulaient d’aucun enrichissement, même civil, en Iran. Certes, il peut y avoir une dérive, mais c’est à se demander si, encore une fois, on ne se trompe pas d’ennemi.

M. le ministre a répondu qu’il laissait son interlocuteur libre de son appréciation. Il a rappelé que l’ensemble de l’Union européenne et la France souhaitent bien entendu l’universalisation du traité de non-prolifération. Cela vaut pour l’Inde, comme cela vaut pour le Pakistan et Israël, qui ne reconnaît pas officiellement avoir la bombe.

Il a considéré que les accords passés entre l’Inde et les Etats-Unis en matière de coopération nucléaire civile étaient de bon aloi. L’Iran a créé un émoi considérable parce que la situation, dans cette région, est très instable. Sans compter ces dix-huit ans pendant lesquels il conviendrait de faire la lumière sur le développement du programme nucléaire clandestin. L’Iran a par ailleurs désormais une influence considérable dans la région, en raison notamment de la situation catastrophique dans laquelle se trouve l’Irak.

L’Iran est le seul pays dont le Président appelle à la destruction d’un autre pays, à côté de lui. L’Inde est tout de même la plus grande démocratie du monde, ce qui est plus rassurant. Quant au Pakistan, on peut en discuter, mais, jamais, dans les pires moments de belligérance avec l’Inde, il n’a fait allusion à l’utilisation de l’arme atomique. L’Iran, lui, est entouré d’une telle animosité, sinon de tant de nations ennemies, que la situation est d’autant plus dangereuse. Aux dires de tous les experts, s’il y avait une bombe, immédiatement, d’autres pays se doteraient de l’arme atomique.

M. Renaud Muselier est revenu sur la stratégie de la France. On a pu voir, notamment dans cette zone, que les sanctions mises en place par le Conseil de sécurité n’ont jamais été appliquées. Ce fut le cas en Irak, ce qui a amené le Président Bush à y envoyer des troupes pour faire respecter l’ordre ; tel fut d’ailleurs le sens de son discours aux Nations unies.

Aujourd’hui, on essaie de faire en sorte que les Iraniens écoutent la pression internationale. On s’appuie potentiellement sur les Américains, qui, eux-mêmes, ne pensent qu’à une chose : sortir d’Irak ou démanteler ce pays. A cet égard ils sont susceptibles de trouver un arrangement avec les Iraniens. On s’appuie par ailleurs sur les Chinois et les Russes qui font en sorte que, même s’ils les votent au Conseil de sécurité, les sanctions ne soient jamais appliquées dans la mesure où elles concernent leurs amis ou leurs partenaires.

Que peut faire la France ? La voie multilatérale n’aboutit pas. L’utilisation du terme de « guerre » a posé problème ; il est vrai que les mots ont leur importance en diplomatie. Reste que la situation est compliquée et que, si l’on veut bien tenir compte du contexte, on s’aperçoit de la limite de l’exercice. Si, en novembre, le Conseil de sécurité prend des sanctions, comment les faire appliquer ? Quelle piste suivre ?

M. le ministre a remercié M. Muselier d’avoir considéré que l’utilisation du terme de « guerre » ne signifiait pas qu’il était favorable à celle-ci. Il s’est engagé à ne plus l’utiliser se demandant s’il n’irait pas même jusqu’à lui préférer le terme de « kinetic operation », employé par les Américains.

Il reste l’essentiel qui est de savoir comment trouver une issue à cette grave crise.

Mais il fallait bien voir les différences entre cette crise et la crise irakienne. Pour l’Irak, le passage par l’ONU avait été recherché pour justifier une guerre unilatérale. Cette fois–ci, les Etats-Unis, avec d’autres, cherchent au contraire à passer par l’ONU pour résoudre la crise iranienne, dont il faut éviter, mais comment, qu’elle s’intensifie davantage.

Il est exact que les sanctions prononcées par les Nations unies n’ont jamais été véritablement appliquées, sauf en Afrique du Sud. Dans ce dernier cas le système a fonctionné parce que les sanctions étaient soutenues par tout un peuple dans sa majorité, à savoir les Noirs.

En Iran, les sanctions porteraient sur le système financier, sur le système bancaire, voire au-delà : sur les visas avec des interdictions de voyager, etc. Cela fonctionnera-t-il ? C’est tout le pari. Cela suffira-t-il ? On peut que penser que oui, mais aujourd’hui personne ne peut le dire avec certitude. Voilà pourquoi il faut trouver, dans la négociation qui continue, une possibilité de peser beaucoup plus que jusqu’à présent.

Peut-être la démarche européenne devrait-elle être plus prononcée. Au départ, on avait demandé, par le biais des résolutions des Nations unies, aux Iraniens de suspendre l’enrichissement de l’uranium. Leur réponse a été négative. Les experts ne prévoient pas la fabrication d’une bombe dans les mois qui viennent. En attendant, autant s’en tenir à la stratégie de la France, qui est la plus raisonnable. On l’a bien vu avec cette réunion à six, qui a permis de dégager un consensus alors que certains étaient pourtant très réticents.

Il faut donc attendre les résultats des actions menées par MM. El Baradei et Javier Solana. Pendant ce temps, il est indispensable de continuer à négocier et de discuter avec les ministres européens. À partir de novembre, si nécessaire, sur la base des sanctions onusiennes, on pourra envisager une quatrième résolution et des sanctions plus efficaces qu’il faut s’employer à définir.

M. François Loncle a interrogé le ministre sur les sanctions nouvelles que les trois ou les six pays prépareront en attendant les deux rapports de novembre. De quel type de sanctions s’agira-t-il ?

Le ministre a fait état d’un désaccord avec les Etats-Unis à propos du Liban, s’agissant notamment du processus d’élection du Président de la République libanaise. Quelle est exactement la nature de ce désaccord ? Si les Américains sont favorables à un candidat de consensus, quelle est la position française en la matière ?

M. le ministre a répondu que les sanctions pourraient porter par exemple davantage sur les acteurs économiques et financiers iraniens, sur le gel des avoirs ; sur les activités économiques. En proposant à l’Union européenne, comme convenu à New York, de réfléchir à des sanctions européennes, on se heurte bien sûr aux intérêts nationaux des uns et des autres. Ces sanctions seront-elles appliquées ? Le délai de mise en œuvre est souvent assez long. Est-ce qu’elles seront efficaces ? Nul ne le sait encore, mais on ne connaît pas d’autres moyens. Les trois pays européens ont entrepris une nouvelle démarche auprès de leurs partenaires européennes. Un Conseil des affaires générales se tiendra le 15 octobre à Luxembourg, au cours duquel ce sujet sera discuté.

En ce qui concerne la divergence avec les Etats-Unis à propos du Liban, qui n’a été réglée que la semaine dernière, un communiqué commun à ce pays et à la France a été diffusé, à partir de Washington, après la discussion avec Mme Condoleezza Rice.

Cette divergence portait sur l’appréciation de la population libanaise. La France dit et continue d’affirmer qu’elle est l’amie de toutes les communautés libanaises. Elle l’a prouvé en invitant à La Celle-Saint-Cloud quatorze organisations, dont le Hezbollah. À partir de là, fallait-il soutenir un seul groupe, le groupe du 14 mars de M. Fouad Siniora, très hétéroclite, mais qui comprend des amis très chers de la France et porter l’opprobre sur le reste, en particulier sur la communauté chiite et le président du Parlement, M. Nabi Berri ? La France a préféré maintenir sa politique traditionnelle et continuer à soutenir toutes les communautés libanaises.

Il s’en est suivi un certain malentendu. La France n’a pas voulu soutenir un seul candidat à l’élection présidentielle ; selon elle c’est aux Libanais de désigner leurs candidats. Mais pourront-ils le faire ? Depuis, en effet, un des participants à la rencontre de La Celle-Saint-Cloud, Antoine Ghanem, a été assassiné avec quatre autres personnes. La France ne doit pas abandonner les Libanais. Or plus de la moitié d’entre eux, ceux du 14 mars, risqueront leur vie le 23 octobre en se rendant à la séance du Parlement. Il faut y réfléchir. M. Ban Ki-moon et les membres permanents du Conseil de sécurité sont heureusement attentifs à la question, mais il est extraordinaire de penser qu’on est capable d’envoyer 26 000 soldats au Darfour au nom des Nations unies et qu’on ne peut pas protéger, avec presque 13 000 casques bleus dans la FINUL au Sud-Liban, un déplacement aussi modéré !

M. Jean-Marc Roubaud est revenu sur l’emploi, par M. Kouchner, du mot « guerre ». Il a remarqué qu’en France, on avait tendance à prendre certaines postures pour se donner bonne conscience, mais, à force de ne rien dire, on n’est plus audible ! A cet égard les explications données par M. Kouchner sont convaincantes. Avec ces pays, il convient d’instaurer un rapport de forces.

Il faut aussi dénoncer tout anti-américanisme primaire, dont la mode est en train de s’installer, car cette attitude est fortement nuisible aux intérêts de la France et à sa crédibilité, dans le domaine diplomatique comme dans le domaine économique.

Après avoir remercié l’intervenant, M. le ministre a répété qu’il avait dit qu’il fallait tout faire pour éviter la guerre, et qu’il emploierait désormais un autre mot, pour éviter de choquer. Pour autant, la menace existe et elle est très sérieuse.

Sur le point de savoir si la France s’aligne sur les Etats-Unis, notamment en matière économique, il faut d’abord souligner qu’elle n’a pas la même vision de la mondialisation. Son originalité réside dans sa conception du service public, de la protection sociale et dans son acceptation de l’économie de marché. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas toujours sur la même longueur d’onde que les Etats-Unis sur ces sujets.

Le Ministre a fait remarquer que lorsqu’on est d’accord avec les Américains, on se fait reprocher son alignement, mais si l’on n’est pas d’accord avec eux, on se fait taxer d’anti-américanisme ! La position de la diplomatie française consiste à s’occuper de la France et de sa sécurité, puis de l’Europe, puis du reste du monde. L’appareil diplomatique français est le deuxième du monde. La France est représentée dans 159 pays, avec un réseau d’Alliances françaises et de lycées français incomparable. Sa mission est de présenter une vision un peu différente du monde.

C’est une vision du monde qui épargnerait les souffrances au plus grand nombre. C’est une façon d’être aux côtés des peuples. On a le sentiment que ce qu’on attend de la France, c’est un discours, une vision, des sentiments qui ne sont pas du tout ceux que l’on attend des Etats-Unis d’Amérique. !

M. le Président a remercié M. le ministre des affaires étrangères et a abordé la question de la Birmanie.

Les tout derniers témoignages de diplomates, de journalistes et de civils font apparaître un bilan beaucoup plus lourd à Rangoun que les chiffres officiels avancés : plus de 200 morts, plusieurs centaines de blessés et plus de 1 500 prisonniers dont plus de la moitié de moines.

Il s’est demandé quel jeu jouait la Chine dans cette affaire. Sous une apparence de retenue, ne soutient-elle pas la junte militaire en place ? Quel rôle la France et l’Union européenne peuvent-elle jouer dans un tel contexte ?

Il faut être très réservé à propos d’éventuelles sanctions contre la Birmanie. En effet la population birmane subit déjà tout le poids d’une effroyable misère. Que peut-on faire ?

M. le ministre a répondu que l’on ne possédait pas d’éléments d’information particuliers, mais qu’il était à craindre que les chiffres qu’il a évoqués soient plus proches de la réalité que les chiffres officiels, lesquels n’indiquent qu’une dizaine de morts.

Comme on ne dispose pas de moyens d’enquête, que la Croix Rouge internationale s’est vu interdire la visite des prisonniers, ceux qui sont disparus ou qui sont emprisonnés peuvent très bien être comptés parmi les morts. Les moines ayant déferlé dans les rues par centaines de milliers, il a bien fallu que la répression ait été féroce pour qu’ils en disparaissent. Le pire est donc à craindre.

Mme Aung San Suu Kyi a été vue par M. Gambari. Elle dit toujours la même chose avec un courage et une détermination exceptionnelle. Elle est revenue dans sa petite maison après avoir été emprisonnée il y a quelques mois.

Les événements ont commencé en août et la répression a débuté au bout d’un mois. Mme Aung San Suu Kyi, admirable prix Nobel de la paix, était la responsable de la Ligue démocratique, qui a gagné les élections en 1990. C’est depuis cette date que sont persécutés les responsables de ce mouvement. Les seules élections libres organisées par les généraux birmans n’ont pas été suivies d’effet. Il y a quelques années, on a noté une petite tentative de libéralisation, dans la mesure où quelques prisonniers ont pu sortir, mais, depuis, la situation s’est refermée.

Sur le rôle de la Chine dans cette affaire il faut répondre avec prudence, car on a pu observer un changement satisfaisant dans son attitude.

On a en effet, constaté que, dès qu’il y avait une sanction et qu’une entreprise quittait la Birmanie, la Chine et les généraux eux-mêmes, sur leur argent personnel, remplaçaient l’entreprise en question. Les Chinois pénétraient quotidiennement dans le Nord de la Birmanie, dans la région de Mandalay et le pays se sinisait. L’Inde n’était pas en reste, mais cette pénétration physique n’était pas aussi importante.

Lors de la rencontre entre les pays de l’ASEAN et l’Union européenne, à Hambourg, la Chine avait envoyé son nouveau ministre des affaires étrangères. Une discussion animée a eu lieu car certains pays européens ont reproché à ceux de l’ASEAN de ne pas faire pression sur la Birmanie. Or la Chine a été plutôt d’accord avec les pays européens et a consenti à appuyer quelques remarques ce qui est très nouveau.

À New York, le même M. Yang semble avoir joué un rôle très positif lors de la réunion sur la Birmanie. Il est bon de souligner que, sous présidence française, ce fut la seule réunion jamais organisée par le Conseil de sécurité sur une affaire typiquement intérieure, qui ne menaçait pas encore la région. La Chine y a participé et a accepté que le président du Conseil de sécurité, Jean-Maurice Ripert, le représentant permanent de la France, fasse une déclaration pour condamner un événement intérieur. La Chine a même facilité le séjour en Birmanie de M. Gambari, l’envoyé spécial de M. Ban Ki-moon.

Il y a donc une ouverture de la part de la Chine, qui a témoigné de son intérêt pour la démocratisation – hypothétique ou utopique ? – du pays.

Dans certains cas, l’application des sanctions peut s’avérer contreproductive. C’est ainsi que dernièrement, une firme américaine, Triumph, qui a quitté le pays, a été remplacée immédiatement par une entreprise similaire, créée avec des capitaux chinois et des capitaux birmans.

Un problème se pose avec Total. En effet il n’y a pas de raison que cette entreprise ne soit pas concernée par le gel des nouveaux investissements, dont la demande, formulée par l’Union européenne, est en cours de discussion. En réalité, qui serait pénalisé si l’on fermait le robinet du gaz ? Toute la région de Rangoon et toute la Thaïlande, mais certainement pas les généraux au pouvoir. Ils seraient simplement pénalisés par ricochet.

La question est donc difficile. Quoi qu’il en soit, l’Union européenne va sûrement proposer un renforcement des sanctions contre la Birmanie.

M. Renaud Muselier est revenu sur le niveau des sanctions potentielles et leur application. Il a remarqué que l’environnement de la Birmanie était moins difficile à percevoir que celui de l’Irak ou de l’Iran. Ses voisins sont clairement identifiés : il s’agit de la Thaïlande et de la Chine. Ces pays ne sont pas menacés par la dictature qui massacre le peuple birman. Pour autant, on ferme les yeux dans la mesure où les Thaïlandais ne veulent pas qu’on touche aux Birmans et affirment qu’ils pourront négocier avec eux, dans le cadre de leurs relations bilatérales, une démocratisation acceptable. Quant aux Chinois, ils ont droit de vie et de mort sur la Birmanie, dans la mesure où tout passe par chez eux. Ils laisseront faire, à moins qu’ils ne veuillent préserver leur image d’ici aux jeux Olympiques.

On n’a pas encore touché au prix Nobel de la paix, mais l’émissaire des Nations unies n’a pas encore été reçu par le général en chef. Aujourd’hui, on s’offusque, mais il est à craindre que, demain, il ne se passe rien.

M. le ministre a jugé pessimiste les appréciations de M. Muselier et précisé que le général Thawn She venait de recevoir M. Gambari, qui était déjà parti et s’apprêtait à rendre compte à M. Ban Ki-moon.

Une autre réunion du Conseil de sécurité va avoir lieu, ce qui constitue une importante nouveauté. Les pays de l’ASEAN ont fait une déclaration appelant l’attention sur le danger que courait la région. Peut-être y aura-t-il une résolution du Conseil de sécurité, ce qui pourrait s’avérer plus efficace.

En revanche le ministre a dit partager l’analyse de M. Muselier sur les pays de la région. Néanmoins ceux-ci ont compris que la situation n’était plus tolérable : le Japon s’est montré très dur contre le régime birman ; Singapour, qui assure la présidence des pays de l’ASEAN, a été violent ; l’Indonésie, qui fait partie des quinze membres du Conseil de sécurité, est partisane d’une attitude très ferme. Il y a donc une certaine évolution.

Il conviendrait d’organiser une visite, peut-être avec les Britanniques, dans les pays de l’ASEAN pour leur témoigner un soutien concret.

M. Pinheiro a été chargé de faire un rapport sur la situation des droits de l’homme en Birmanie à la Commission des droits de l’homme à Genève. Celui-ci devrait se rendre sur place pour demander à voir les prisonniers. Mme Rama Yade pourrait faire partie de cette mission, avec plusieurs ministres.

Les Birmans subiront encore pendant longtemps la dictature militaire, mais la situation semble évoluer.

M. le Président a invité M. le ministre à parler du Darfour, tout en se félicitant de l’initiative diplomatique française et de l’évolution des opérations.

M. le ministre a indiqué que malgré les critiques dont la réunion de Paris de juin avait été l'objet de la part de l’Union africaine et de M. Konaré, une réunion du groupe d'Addis Abeba avait eu lieu en marge de l'Assemblée générale des Nations unies le 21 septembre. Une résolution sur le Darfour a été votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 25 septembre.

À partir d’octobre, une force hybride de 26 000 hommes y sera envoyée : 15 000 seraient africains, 3 à 6 000 seraient européens, et 6 000 viendraient de la force AMIS, déjà sur le terrain. Cette force AMIS vient d’ailleurs de subir une attaque meurtrière, avec une dizaine de morts et de nombreux disparus, sans doute enlevés ou morts. Des rebelles ont probablement attaqué cette force de l’Union africaine, mais lesquels ? Il en existe maintenant une vingtaine de groupes.

À ce propos, M. Kouchner s’est adressé aux commissaires pour leur demander leur avis. Un chef rebelle, M. Abdul Walid Anour, se trouve en France. Il est le représentant tout à fait légitime du plus grand groupe tribal du Darfour : les Four. Il est le seul à ne pas vouloir rejoindre la table des négociations des groupes rebelles. Il n’a pas signé les accords d’Abuja et a signifié à ceux qui les avaient signés qu’ils avaient eu tort puisque les assassinats, les crimes et les déportations n’avaient pas cessé. Il manque terriblement à la table des négociations, où tout le monde le prie de se rendre. Un certain nombre de chefs d’État africains, et non des moindres, sont venus lui parler à Paris, mais il s’obstine.

Il ne veut pas se rendre à la réunion de Tripoli. Il ne fréquente pas non plus le groupe d'Asmara en Erythrée. Il attend, alors qu’il représente, dans le Djebel Marra, le plus grand groupe humain. S’il ne se décide pas, les pourparlers de paix échoueront. Avant la réunion de New York, une délégation du Sud Soudan était venue en France supplier son compagnon de lutte de rejoindre la table des négociations. Aujourd’hui, le règlement politique est bloqué.

En attendant, les attaques se multiplient, et la dernière a été meurtrière. Il s’agira de régler entre temps la question politique, entre un pouvoir à Khartoum qui dit bien vouloir négocier, et des groupes rebelles qui sont presque tous représentés. Les populations devraient voir des progrès.

A deux mois d’intervalle, deux résolutions ont été fortement soutenues par la France : la résolution 1769, sur la force hybride au Darfour, et la résolution 1778, sur le déploiement d’une force internationale dans l’Est du Tchad et au Nord-Est de la République centrafricaine. Elles ont été votées à l’unanimité du Conseil de sécurité. Sans compter l’opération tchadienne, qui a reçu l’aval des Nations unies, aux termes du chapitre VII de la Charte. Il s’agit tout de même d’un succès, que l’on peut attribuer à la diplomatie française et au multilatéralisme

La France participera à la force hybride des Nations unies. Le ministre a rappelé qu’au Darfour, on se trouvait en présence de réfugiés et d’opérations des Nations unies menées en application du chapitre VII de la Charte des Nations unies, avec un appareil militaire important et des moyens de défense en cas de besoin.

Il en est tout autrement au Tchad où est conduite une opération de l’Union européenne et des Nations unies, sur initiative française. Les attaques des miliciens janjawids du Darfour ont des conséquences directes au Tchad, chez les Tchadiens. 100 000 à 200 000 personnes ne sont pas assistées parce qu’elles ne sont pas des réfugiés, mais des personnes déplacées dans leurs propre pays.

L'Union européenne interviendra avec les Nations unies : l’Union européenne s’occupera des Tchadiens à l’intérieur de leur propre pays, et les Nations unies s’occupent, avec des gendarmes africains, à l’intérieur des camps, des réfugiés venus du Soudan et déplacés au Tchad.

Si tout va bien, cette opération débutera à partir de novembre avec des soldats européens dont l’effectif est encore à établir. Il faudra en faire une opération de développement et de reconstruction, protégée parce que les attaques continuent. La frontière n’est confiée ni aux troupes européennes ni à celles des Nations unies, mais aux troupes tchadiennes et soudanaises. Les troupes européennes ne seront donc pas impliquées dans des risques de confrontations. Si cette opération réussit, elle constituera un précédent.

Il s’agit par ailleurs d’une opération de reconstruction : on protégera les villages où ces personnes iront elles-mêmes reconstruire leurs maisons de terre, on construira des classes et des dispensaires en dur. Il y a de l’argent pour les réparations et pour la reconstruction, venu en particulier de l’Union européenne. Cela pourrait durer six mois, période renouvelable, avant que les Nations unies ne prennent le relais

M. le Président a remercié M. le ministre des affaires étrangères pour ces éclaircissements.

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