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Commission des affaires étrangères

Mercredi 7 novembre 2007

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Axel Poniatowski, Président

– Examen pour avis des crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2008, – M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis

Examen pour avis des crédits de la mission « Défense » pour 2008

La commission des affaires étrangères a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Michel Boucheron, les crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2008.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a rappelé que le budget de la Défense intervenait à une période charnière, pour au moins deux raisons. La première est d’ordre technique. Dernière annuité de la loi de programmation militaire pour 2003 – 2008, le budget pour 2008 est un budget de transition intervenant alors même que le Livre blanc sur la défense et la sécurité n’est pas achevé et que la discussion de la nouvelle loi de programmation militaire n’a pas encore commencé. La deuxième raison est relative au contexte international dans lequel ce budget intervient. Les menaces qui pèsent sur notre sécurité ont en effet changé, les actions qu’elles appellent en réponse s’en trouvent donc profondément modifiées.

Le rapporteur a rappelé qu’avec 36,9 milliards d’euros, les crédits destinés à la mission « Défense » connaissaient une hausse de 1,6 % ce qui correspond aux montants prévus par la loi de programmation militaire, à quelques millions d’euros près. Il faut toutefois tenir compte des gels de crédits qui grèvent tous les ans le budget de la défense, et ne sont levés qu’en fin d’année à une date où ils ne peuvent plus être consommés. En exécution, les crédits de la défense devraient donc être amputés d’un milliard d’euros environ.

Estimant plus judicieux pour la commission des affaires étrangères de s’interroger sur l’évolution de la situation géostratégique, il a centré son propos sur les menaces nouvelles.

Le principal fait nouveau est le terrorisme. Le terrorisme déplace les réponses nécessaires vers des zones très éloignées de l’Europe. A cet égard, il est frappant de constater que le premier cas de mise en œuvre du Traité de l’Atlantique Nord ait concerné une opération menée à 8 000 kms du continent européen. Par ailleurs, la menace terroriste oppose à nos forces armées d’autres modes d’action faisant appel à des matériels technologiquement moins avancés mais tout aussi dangereux, ce qui confère aux confrontations à venir un caractère asymétrique.

La prolifération des armes de destruction massive est une autre menace dont il faut tenir compte pour assurer notre sécurité et qu’il ne faut pas réduire à l’arme nucléaire. Le cas iranien ne doit pas susciter l’inquiétude. Défi technologique, la possession d’une arme nucléaire est un processus de très long terme qui, en Europe, a eu des effets stabilisateurs. M. Jean-Michel Boucheron a estimé que les proliférations réellement dangereuses étaient celles qui pourraient mettre dans les mains de groupes terroristes des armements biologiques, chimiques ou radiologiques. Ce dernier type d’armes peut rendre inhabitables de larges zones pendant une durée considérable, et ne nécessite pas un développement technologique particulièrement long. La menace que les proliférations biologiques et chimiques font peser sur nos ressources naturelles est donc plus à craindre que celle de la prolifération de l’arme nucléaire.

D’autres menaces sont apparues du fait de l’évolution des technologies. En premier lieu le rapporteur a cité les attaques informatiques, de plus en plus souvent orchestrées par les Etats par l’intermédiaire de leurs services spéciaux. Certains cas d’instrumentalisation d’organisations non gouvernementales afin de mener des attaques contre des entreprises occidentales ont également été signalés. Puis il a évoqué le domaine de l’espace et plus particulièrement la destruction de satellites en orbite, ce dont la Chine a montré qu’elle était capable en détruisant un de ses satellites. Bien que les pays européens soient sans doute en mesure de mener de telles opérations, il n’entre pas dans leur doctrine d’avoir recours à ces méthodes. Pour autant, il leur faut se prémunir contre ce type d’agressions, tant le degré de dépendance de leurs systèmes de communications civiles et militaires aux réseaux de satellites est élevé. En troisième lieu, des menaces plus traditionnelles pèsent sur un certain nombre de points sensibles de notre territoire comme les infrastructures de communication mais aussi les lieux clos et les réseaux de transport et d’assainissement d’eau. La protection absolue de ces sites s’avérant impossible, le seul moyen efficace pour lutter contre cette menace est la prévention par le renseignement afin de connaître les groupes qui souhaitent nuire à notre population.

Certains Etats risquent également d’entrer en conflit avec la défense de nos intérêts dans certains domaines. La Chine, souvent évoquée en matière de piratage informatique, fait également preuve d’activisme dans le domaine financier. La constitution de fonds souverains, dotés de sommes toujours plus importantes, pourrait faire naître la tentation de s’emparer de joyaux industriels européens, notamment ceux disposants de technologies militaires stratégiques. Si les Etats-Unis ont très bien protégé leurs intérêts, les pays européens sont très en retard dans cette matière. Des fonds souverains ont également été créés par des Etats du Golfe grâce à la très forte augmentation du cours du pétrole. Ces Etats font toutefois peser une menace moins prégnante car ils semblent plutôt poursuivre des objectifs de rentabilité financière et non pas de contrôle d’entreprises stratégiques. La Russie a quant à elle « réémergé » au cours des années récentes, ce qui ne doit pas surprendre puisqu’elle dispose de ressources et d’une population en moyenne bien éduquée. Il n’est pas souhaitable de s’opposer au retour de la Russie dans certains domaines. La volonté américaine d’installer un système d’observation radar en République Tchèque, associé au déploiement de missiles anti-missiles en Pologne, a provoqué une réaction normale et attendue de la part de la Russie. Une défense anti-missiles américaine implantée en Europe constituerait une rupture du traité ABM et de l’équilibre stratégique qui repose sur la réduction des forces conventionnelles, la diminution du nombre de têtes nucléaires et l’interdiction de mettre en place une défense anti-missiles. La Russie a donc logiquement menacé de suspendre sa participation au traité FCE sur les forces conventionnelles en Europe, décision adoptée hier à l’unanimité par la Douma, et a procédé à des démonstrations de force en faisant évoluer des bombardiers stratégiques à la limite des frontières du Danemark. L’initiative américaine est donc problématique. Cherchant à parer une hypothétique menace iranienne depuis l’Europe centrale, alors même que les missiles iraniens ne peuvent atteindre que la Turquie, elle risque de bouleverser des équilibres majeurs sur le continent.

Dans ce nouveau contexte, quelles actions doivent-elles être menées ?

Afin de tenir compte de la disparition de la frontière existant entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, le rapporteur a déclaré que la totalité de notre système de défense devait être repensé dans ce cadre nouveau, afin de parer des menaces qui ont évolué.

Il faut aussi s’efforcer de bâtir une Europe de la défense. A l’heure actuelle, la volonté politique fait défaut aux Etats disposant des moyens financiers pour poursuivre cet objectif, et inversement. Ainsi, ni l’Allemagne, ni l’Espagne, ni l’Italie ne souhaitent accroître leur effort financier dans ce domaine. A l’inverse, le Royaume-Uni, dont les moyens sont importants, est tenu par sa position très particulière d’allégeance aux Etats-Unis. Pourtant, la France et le Royaume-Uni seraient les partenaires idéaux dans ce domaine, représentant à eux deux plus de 40 % des dépenses de défense dans l’Union européenne. Mais, si un deuxième sommet franco-britannique semble techniquement possible, sur le modèle de celui de Saint-Malo de 1998, la position américaine qui consiste à assimiler tout effort en faveur d’une Europe de la défense à une tentative de duplication de l’Alliance Atlantique éloigne encore cette perspective.

En matière de renseignement, la séparation étanche entre les services opérant à l’extérieur et ceux agissant sur notre territoire est de moins en moins pertinente. La fusion entre les services de renseignement intérieurs et extérieurs ne recueille pas l’assentiment mais alors leur coordination doit être largement renforcée. Aussi le projet de création d’un conseil national de sécurité placé sous l’autorité du Président de la République est une bonne idée.

L’interarmisation constitue une quatrième piste de réforme. Dans cette matière, la réflexion doit progresser bien davantage car aujourd’hui encore l’attitude de certains responsables est de penser l’action militaire arme par arme. Une organisation largement inter-armées doit être imposée de manière volontariste. Une mise en commun de dépenses séparées pourrait ainsi générer des économies de l’ordre d’un milliard d’euros.

L’implantation territoriale des bases militaires doit également être repensée et certains sites devront être fermés même si de telles décisions sont toujours très difficiles à prendre.

Concernant l’équipement de nos armées, cinq pistes peuvent être retenues. Une Europe de l’armement passe nécessairement par l’interopérabilité et la synchronisation des programmes, sinon les coopérations resteront vaines. Par ailleurs, un deuxième porte-avions est une nécessité pour la France : seul à même de garantir le déploiement permanent de notre groupe aéronaval, il a un poids symbolique et politique. Il traduit notre présence dans le monde, améliore nos capacités de renseignement et permet de ne pas dépendre pour sa projection, à la différence des forces aériennes, de difficiles négociations avec des Etats tiers. S’agissant de l’équipement en drones, le retard français est considérable et doit être comblé. Ce type d’appareil fait montre aujourd’hui d’une efficacité remarquable en matière d’acquisition de renseignement tout en permettant une économie importante de vies humaines ; il se révèle donc être une garantie de notre autonomie d’évaluation des crises. Le quatrième type d’équipements sur lesquels doit porter notre effort est l’acquisition encore insuffisante de renseignement depuis l’espace. Enfin, les modalités de transmission d’informations doivent être sécurisés pour rendre nos systèmes de commandement autonomes.

Le rapporteur a conclu en faisant quelques remarques complémentaires concernent le budget pour 2008. D’abord, ce dernier représente 1,7 % du produit intérieur brut national alors que l’actuel Président de la République avait promis d’en consacrer 2 % à la défense mais surtout les dépenses en faveur de la recherche et développement pourraient être accrues. De plus, la défense participe au programme de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et voit ses effectifs se réduire d’environ 3 000 équivalents temps plein. Enfin, il a fait observer que la somme allouée pour 2008 au surcoût représenté par les opérations extérieures était inférieure à celle avancée par les prévisions actuelles d’exécution pour 2007, sans que cette diminution ne soit justifiée par une évolution du contexte international. Cette situation inexplicable est préoccupante.

En conclusion, M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a invité la Commission à l’abstention sur les crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2008, compte tenu de la nature transitoire de ce budget.

Le Président Axel Poniatowski a remercié le rapporteur pour la qualité de son exposé et pour son objectivité. Il a souligné la complémentarité entre les deux Livres blancs en préparation : l’un sur la défense, l’autre sur la politique étrangère de la France. Les moyens militaires et de défense doivent en effet servir les ambitions assignées à notre diplomatie. Puis il a déclaré partager l’analyse du rapporteur sur les programmes militaires en insistant sur l’absolue nécessité d’un second porte-avions, indispensable pour assurer notre présence politique dans différentes zones du monde. D’un point de vue stratégique, le choix se situe effectivement entre l’absence de porte-avions ou au moins deux bâtiments. Le Président Axel Poniatowski a également indiqué partager les observations du rapporteur sur les drones et sur l’importance du renseignement et de la sécurité des informations. A l’instar de ce dernier, il a ensuite fait part de son scepticisme quant à l’avenir de la politique européenne de défense estimant que mis à part le Royaume-Uni et la France – dont la somme des budgets de défense représente à elle seule environ la moitié du total des crédits consacrés à la défense par les 27 Etats membres de l’Union européenne – les pays européens ne semblaient pas vouloir, à ce stade, aller de l’avant. Le Président Axel Poniatowski a en revanche fait part de son désaccord avec l’analyse que le rapporteur a faite de la situation iranienne. Tout en respectant un point de vue qui n’est pas le sien, il s’est inscrit en faux contre l’amalgame consistant à affirmer que le bouclier anti-missile voulu par les américains en République tchèque et en Pologne est la cause de l’obstination iranienne à vouloir se doter de l’arme atomique. Les deux sujets doivent être dissociés. Mettant en garde contre un risque réel de prolifération nucléaire dans la région du Moyen-Orient, il a salué la fermeté occidentale et en particulier française sur le dossier iranien. Aucune menace ne justifie en effet que l’Iran devienne une puissance nucléaire.

Le rapporteur pour avis a alors précisé qu’il n’avait pas déclaré que le programme nucléaire iranien était une conséquence du bouclier anti-missile mais au contraire que les Américains prétextaient de la menace nucléaire iranienne pour imposer ce bouclier. Il est un fait que l’Iran est entouré d’Etats qui disposent de la technologie nucléaire militaire (Russie, Chine, Inde, Pakistan et Israël, sans compter la flotte américaine qui navigue dans les eaux voisines) ; or trois de ces pays l’ont obtenu en dehors du traité de non prolifération. Dans ces conditions, on peut comprendre que le Président iranien veuille se doter de l’arme nucléaire, et que le programme nucléaire ait été accéléré après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis. Les Iraniens veulent se doter de l’arme atomique, et ils l’obtiendront tôt ou tard et personne n’y pourra rien. Des bombardements mettraient le feu à la région, a fortiori si les Américains demandent à Israël d’intervenir. A cet égard, le rapporteur a qualifié de « répétition générale » le survol récent de la Syrie par l’aviation israélienne. Cet épisode est en effet troublant lorsque l’on sait que les systèmes syrien et iranien de défense anti-aérienne et anti-missiles sont identiques. Réagissant aux propos du Président Axel Poniatowski sur le risque de prolifération, le rapporteur a estimé que la prolifération était déjà une réalité. Elle a commencé le jour où des Etats comme Israël, le Pakistan et l’Inde se sont dotés de l’arme nucléaire sans que la communauté internationale ne réagisse pour les en empêcher. L’équilibre de la terreur provoqué par l’arme nucléaire a eu un effet stabilisateur en Europe. Aller à la guerre serait pire que tout. Le rapporteur a alors estimé que le véritable danger ne se situait pas en Iran mais au Pakistan, foyer d’accueil du terrorisme international. Il a déclaré qu’il n’y avait pas d’exemple d’expansionnisme du monde chiite alors qu’il existe un projet sunnite de révolution mondiale.

M. Jacques Myard s’est réjoui de l’analyse du rapporteur qui inscrit la défense au cœur de la stratégie des affaires étrangères. Il a déclaré partager l’idée que la défense européenne est une utopie et qu’elle ne se fera pas car les Etats-Unis ont instrumentalisé l’OTAN. C’est la raison pour laquelle la France n’a rien à gagner à réintégrer le commandement militaire de l’Alliance atlantique ; au contraire, cette décision nous ferait perdre cinquante ans d’indépendance politique et diplomatique. Pour autant, la France est bien évidemment l’allié des Etats-Unis et il est clair qu’il n’existe pas d’alternative à l’OTAN. Il s’est alors exprimé sur les pressions exercées par les Américains pour que le projet européen Galileo de navigation par satellite ne voit pas le jour. Après que nos partenaires ont cédé – en particulier les britanniques et les allemands – il a déploré que les Etats-Unis aient finalement réussi à obtenir, en cas de tensions internationales, les clés du système européen de transmission des données militaires. M. Jacques Myard a également regretté que le budget de défense ne représente que 1,7 % du PIB, ce qui n’est pas responsable au vu des menaces qui se développent. Il est évident que la situation internationale va aller en se dégradant. Les problématiques internes et externes sont de plus en plus interdépendantes au sein de notre village planétaire. Rappelant la proposition qu’il avait faite il y a quelque temps de la création en France, à l’échelon départemental, d’une « garde nationale » pour assurer la sécurité des personnes avec des moyens appropriés, il a estimé que le temps était désormais venu d’opérer de véritables choix pour faire face aux évolutions de la situation internationale.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a rappelé que le lancement du projet Galiléo avait donné lieu à un bras de fer entre les Etats-Unis et l’Europe, à l’issue duquel cette dernière avait préservé l’essentiel. Les pressions américaines ont induit des retards dans la réalisation du projet Galiléo, qui se heurte encore à des difficultés financières, mais l’Europe disposera prochainement d’une capacité dans ce domaine.

Après avoir chaleureusement félicité le Rapporteur pour avis pour l’intérêt de sa présentation, M. Jean-Paul Lecoq a indiqué qu’il ne partageait pas ses conclusions considérant qu’il n’était pas nécessaire de préparer la guerre pour préparer la paix. L’opinion du rapporteur sur l’Iran mérite attention, tout comme sa vision de la Russie. Incontestablement, le peuple russe est singulier et ses réactions peuvent surprendre. Il faut faire preuve de vigilance à son égard et éviter toute provocation. La France doit faire attendre sa voix, à laquelle les Russes sont très attentifs.

S’il faut choisir entre ne posséder aucun porte-avions nucléaire et se doter d’un deuxième, M. Jean-Paul Lecoq s’est dit en faveur de la première option. Les problèmes sociaux auxquels la France est confrontée et son alignement diplomatique sur les positions américaines rendent finalement sans utilité un second porte-avions français. Il faudrait par ailleurs que la diplomatie française s’intéresse de plus près à la politique étrangère et de défense chinoise : on a tendance à ne voir la Chine que comme une menace d’un point de vue commercial, mais elle pourrait aussi s’avérer une puissance militaire redoutable.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis, a conclu qu’il soutenait justement la construction d’un second porte-avions pour que la sécurité de notre pays ne soit pas entièrement dépendante des Etats-Unis.

Après que le rapporteur pour avis a indiqué qu’il s’abstiendrait, la commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense » pour 2008.

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