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Commission des affaires étrangères

Mercredi 16 janvier 2008

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 31

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition, commune avec la délégation pour l’Union européenne, de M. Valéry Giscard d’Estaing, sur le traité de Lisbonne (ouverte à la presse).

Audition, commune avec la délégation pour l’Union européenne, de M. Valéry Giscard d’Estaing, sur le traité de Lisbonne

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, s’est déclaré heureux et honoré d’ouvrir avec le président Giscard d’Estaing une série d’auditions publiques sur le traité de Lisbonne, dont le processus de ratification vient de s’engager à l’Assemblée nationale avec le débat sur la révision de la Constitution.

Européen parmi les Européens, M. Giscard d’Estaing a créé le Conseil européen en 1974 lorsqu’il était Président de la République. L’Europe lui doit également le système monétaire européen qui est à l’origine de l’euro. Ancien président de la commission des affaires étrangères, il a aussi siégé plusieurs années au Parlement européen.

En décembre 2001, les chefs d’État ou de Gouvernement lui ont confié la présidence de la convention européenne chargée de réformer les traités européens. Il conviendrait d’avoir aujourd’hui son éclairage sur les modifications apportées par ce nouveau traité et sur leurs conséquences sur le fonctionnement futur de l’Union. Quel est le regard porté par le président de la convention européenne qui a élaboré la Constitution européenne, sur ce nouveau traité dont il reviendra à la France de préparer la mise en œuvre dans le cadre de sa future présidence de l’Union européenne ?

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne, après avoir remercié M. Axel Poniatowski d’avoir associé la délégation pour l’Union européenne à cette réunion, a souligné – pour avoir travaillé avec le sénateur Hubert Haenel au sein de la convention européenne parmi les 105 conventionnels représentant vingt-huit pays, y compris la Turquie, les parlements et les gouvernements nationaux, le Parlement européen et la Commission – combien le traité simplifié doit au président Giscard d’Estaing en s’inspirant très fortement, notamment en matière d’avancées institutionnelles, du texte constitutionnel novateur auquel les discussions avaient permis d’aboutir.

S’agissant du président stable du Conseil européen, quel rôle est-il envisagé pour lui : un rôle de négociateur ou un rôle de leader ?

Par ailleurs, quelle articulation est-elle imaginée entre les rôles de ces trois personnalités que seront le président du Conseil européen, le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité – en regrettant que l’appellation de ministre des affaires étrangères décidée par la convention n’ait pas été retenue – et le président de la Commission, d’une part, et entre les rôles du président du Conseil européen et des présidences tournantes des conseils des ministres, d’autre part ?

Comment conçoit-on la campagne du futur président de la Commission, qui sera élu par le Parlement européen : est-il souhaitable que les différents partis puissent présenter des candidats ?

La liberté donnée à la Commission de retenir ou non l’initiative d’un million de citoyens n’est-elle pas plutôt formelle en raison de la force politique qu’aura une telle pétition ?

M. Valéry Giscard d’Estaing a remercié la commission et la délégation de permettre cette rencontre informative qui lui offre la possibilité de revenir sur le traité de Lisbonne ainsi que sur la modification constitutionnelle qui lui est intimement liée, et dont l’Assemblée est saisie en premier lieu.

L’origine de toute cette affaire remonte au traité de Maastricht qui prévoyait non seulement l’union monétaire avec la création de l’euro, aboutissement d’un projet initié avec le chancelier Schmidt, mais également la future structure politique de l’Europe, les Allemands n’ayant accepté d’abandonner le deutschemark, symbole de leur réussite, qu’à la condition d’une organisation politique de l’Europe.

Le traité de Maastricht n’ayant été suivi, en dehors de l’aspect monétaire, que de peu d’applications concrètes faute de volonté politique forte, il a alors été envisagé d’améliorer le système en mettant en place des institutions performantes par la voie intergouvernementale, ce qui a abouti à deux traités négociés, celui d’Amsterdam – qui a permis quelques améliorations, notamment en faveur du Parlement européen – et celui de Nice.

Le président Giscard d’Estaing a ajouté qu’il considérait ce dernier traité comme le plus mauvais traité européen ; d’ailleurs, lorsqu’il était parlementaire, il n’avait pas voté en faveur de sa ratification.

Ce traité n’ayant pas abouti à une réforme des institutions, il a donc été décidé de changer de méthode en faisant appel au milieu politique, et non plus diplomatique, par la mise en place d’une convention.

Composée majoritairement de cinquante-six parlementaires nationaux et de seize parlementaires européens, soit soixante-douze parlementaires sur cent cinq conventionnels, cette convention a abouti, après un travail assidu de dix-huit mois, à un texte qui a été approuvé à la quasi-unanimité de ses membres, puisqu’il n’a manqué que sept voix. Ce texte comprenait, outre un préambule, quatre parties.

Après s’être mis d’accord sur celles concernant les objectifs et les institutions, la charte des droits fondamentaux – qui avait été établie par une convention présidée par un ancien président de la République fédérale d’Allemagne, M. Herzog, et approuvée à Nice –, et les dispositions finales, la convention s’est alors penchée sur la troisième partie, à savoir les politiques de l’Union, qui étaient décrites dans les traités antérieurs de Rome, de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice, sachant que reprendre ces derniers présentait l’avantage d’aboutir à un texte unique et cohérent – une sorte de Loi fondamentale de l’Union européenne – et de ne pas donner lieu à des difficultés politiques, tous ces traités ayant été ratifiés.

Ainsi, dans un premier temps, ont été remises au Conseil européen, réuni à Thessalonique le 20 juin 2003, les conclusions de la convention sur le préambule et sur trois des quatre parties du texte. Le Conseil des chefs d’État ou de Gouvernement ayant souhaité conclure rapidement, la convention leur a alors remis la troisième partie en l’état, et le texte a été adopté, après quelques modifications, par la conférence intergouvernementale réunie ultérieurement.

Cette CIG, qui a siégé jusqu’en 2004, a marqué le retour à l’approche diplomatique, ce qui ne peut être considéré que comme un pas en arrière : outre qu’il n’existe pas d’esprit de groupe au sein d’une telle instance, le principe qui y règne n’est plus celui du gagnant-gagnant, mais celui, propre à toute négociation diplomatique, du gagnant-perdant ou, au mieux, de la somme nulle. Les travaux de la CIG, qui devaient se terminer sous présidence italienne, c’est-à-dire en 2003, se sont d’ailleurs prolongés pendant le premier semestre 2004 sous la présidence du Premier ministre irlandais qui a habilement obtenu un accord sous la forme du traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome en octobre 2004.

C’est ce texte qui, après avoir été approuvé par plusieurs parlements et par un premier référendum en Espagne, a été rejeté en France – où le Président de la République avait choisi non pas la procédure parlementaire de l’article 53 de la Constitution, mais celle du référendum de l’article 11 au vu sans doute, comme pour le parti socialiste, de sondages prévoyant un résultat contraire – puis aux Pays-Bas. La posture d’attente qui s’ensuivit ne devait prendre fin qu’avec l’adoption d’un mandat pour une nouvelle CIG, les 21 et 22 juin derniers à Bruxelles, après l’élection présidentielle française. Ce mandat très détaillé, établi sous la présidence allemande et, pour parler franchement, rédigé par les juristes du Conseil
– signe, à nouveau, d’un retour vers Bruxelles – invitait à préparer un texte s’appuyant sur le précédent projet.

Pour évaluer les différences entre le traité de Lisbonne et le projet de traité constitutionnel, il convient de se référer à la fois à ce mandat adopté à Bruxelles – et qui a, en fait, défini le contenu du traité de Lisbonne – et la décision du Conseil constitutionnel français sur ce dernier traité, à laquelle le président Giscard d’Estaing n’a pas participé, estimant que son implication était trop forte pour qu’il puisse intervenir dans le débat. En résumé, le contenu de ces deux textes est très voisin, leur présentation étant simplement différente.

Le traité de Lisbonne – dont on ne peut pas vraiment dire qu’il est simplifié puisqu’il est plus long que le précédent traité – conserve les traités antérieurs, à savoir le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la communauté européenne, rebaptisé traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit, en fait, d’un catalogue de modifications des traités antérieurs, tel que le prévoit l’alinéa 1 du mandat selon lequel « le concept constitutionnel qui consistait à abroger tous les traités actuels par un traité unique appelé Constitution, est abrogé. »

« Le traité modificatif introduira dans les traités actuels les innovations découlant de la CIG de 2004 » – c’est-à-dire le contenu du traité constitutionnel. Il s’agit donc bien, avec ce catalogue, d’un texte ayant le même contenu que le précédent, mais faisant l’objet d’une présentation différente, dont la lecture est cependant pratiquement impossible, au point d’ailleurs que la commission des affaires étrangères, qui a réalisé une version consolidée, a consacré quatorze pages à des tableaux de correspondance entre le traité de Lisbonne et l’ensemble des traités européens.

Pour ce qui est du contenu du traité de Lisbonne, l’essentiel du traité constitutionnel est maintenu, conformément au mandat donné à la CIG, avec, il est vrai, quelques ajouts et quelques retraits. Ce maintien s’observe, d’une part, dans le mandat donné à la CIG, d’autre part, dans la reprise au mot près des neuf principales avancées de ce dernier, qu’il s’agisse de la présidence stable, de la personnalité juridique de l’Union ou encore du fonctionnement des institutions, et, enfin, dans la décision du Conseil constitutionnel français. Ce dernier, qui avait à se prononcer sur les changements nécessaires à apporter à la Constitution française pour pouvoir ratifier le traité de Lisbonne, s’est en effet référé à la décision qu’il avait déjà rendue en novembre 2004 à propos du traité constitutionnel lui-même, avec quelques petites modifications – selon un chercheur, 98 % de la substance du traité constitutionnel se retrouve dans le traité de Lisbonne.

On trouve d’abord, parmi les ajouts, certaines avancées dans le domaine de la coopération judiciaire et policière, avec cependant des clauses d’opting out pour certains pays. De même, on relève un protocole additionnel sur les services d’intérêt économique général, qui se borne cependant à souligner l’importance de ces services, c’est-à-dire, en France essentiellement les transports, puisque la santé, l’éducation ou encore les administrations ne sont pas concernées par les règles communautaires.

Par ailleurs, on constate – ce dont certains, étrangement, sont satisfaits – la disparition apparente de l’expression « concurrence libre et non faussée ». Or en quoi les Français auraient-ils intérêt à ce que la concurrence puisse être faussée ? Les mots ont certes ce pouvoir dans notre société de communication qu’ils pouvaient donner l’impression, avec le traité constitutionnel, d’un durcissement de la concurrence alors qu’ils aboutissaient, au contraire, à une protection de la concurrence loyale. L’expression a donc été retirée du texte, mais pour figurer dans un protocole annexé au traité qui stipule que le marché intérieur « comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée ».

Toujours parmi les ajouts, figure surtout l’adjonction de certains droits additionnels pour les parlements nationaux dans les domaines, d’une part, de la subsidiarité, conformément à un souhait de la convention émis à l’initiative d’un conventionnel espagnol, M. Mendez de Vigo y Montojo, et, d’autre part, du droit de la famille, bien que celui-ci ne relève pas des compétences européennes. Il s’agit, à la demande de la Pologne, de prévoir que toute initiative dans ce domaine est caduque si un seul parlement s’y oppose. Dans les deux cas, une révision de la Constitution française est nécessaire pour permettre au Parlement de se prononcer le cas échéant.

Les retraits par rapport au traité constitutionnel concernent, d’une part, la disparition de la primauté du droit communautaire sur le droit national pour toute décision prise dans le cadre du droit communautaire – ce qui n’a aucun effet pratique puisque la jurisprudence de la Cour de justice continue à s’appliquer –, et, d’autre part, la disparition des symboles de l’Union, c’est-à-dire le drapeau, l’hymne, l’euro ainsi que la devise et la journée de l’Europe, ce qui est profondément regrettable voire ridicule.

Le droit s’éloigne ainsi du réel puisque ces symboles, essentiels à la progression vers l’identité européenne, continueront d’être utilisés, y compris en France et jusqu’au plus haut sommet de l’État comme l’a montré la récente conférence de presse donnée par le président de la République. Les symboles, à l’exemple du drapeau tricolore et de la Marseillaise pour la société française ou de l’Internationale pour la gauche européenne et mondiale, sont pourtant des facteurs d’identité. Aussi la France devrait-elle joindre sa signature à la déclaration commune de seize pays sur ce sujet, après un débat au Parlement. Si elle ne le faisait pas, ce serait la première fois depuis la fondation de l’Union européenne que l’Allemagne et la France ne signeraient pas une même déclaration.

Il faut savoir, enfin, que 50 % des changements proposés correspondent à des concessions faites aux Britanniques, et que les demandes d’exception ou d’opting out connaissent une très forte progression principalement en faveur du Royaume-Uni, parfois de la Pologne et, à un moindre degré, de l’Irlande.

Le traité de Lisbonne n'est sans doute pas le meilleur possible. Il traduit, en effet, un certain recul de l’ambition politique européenne, alors que, dans un monde où la Chine et l’Inde connaissent des progrès considérables et où les États-Unis conservent leur statut de puissance dominante, une volonté forte d’organisation de l’Europe devrait être exprimée. Cependant, il préserve la quasi-totalité des avancées importantes proposées par la convention, et son adoption permettrait d’améliorer sensiblement le fonctionnement des institutions européennes.

Le président Axel Poniatowski s’est déclaré intéressé, avant que le président Giscard d’Estaing réponde aux questions de M. Lequiller puis des autres députés, de savoir, dans le domaine des affaires étrangères, ce que va changer la création du service diplomatique commun par rapport à la situation actuelle, et jusqu’où ses compétences devraient aller en matière par exemple de défense ou de politique de voisinage.

Par ailleurs, que faut-il attendre du groupe de réflexion que vient de créer le Conseil européen sur le devenir de l’Europe dans les vingt prochaines années ?

Enfin, il a demandé l’avis du président Giscard d’Estaing sur le projet d’Union méditerranéenne lancé par le président Nicolas Sarkozy. Comment ce projet devrait-il s’articuler avec l’Union européenne, la question de son périmètre faisant aujourd’hui débat ?

M. Valéry Giscard d’Estaing a d’abord indiqué, à la suite de la question de M. Lequiller relative au futur président du Conseil européen, que l’opinion s’enflammera lorsque viendra le moment de le désigner, sachant toutefois que le traité est à cet égard extrêmement succinct. Quant à son rôle, il sera le même qu’actuellement, ce qui signifie qu’il ne bénéficiera pas d’un pouvoir exécutif, mais d’un pouvoir d’animation, de fixation de l’ordre du jour, de suivi des travaux et d’impulsion des activités du Conseil.

Le grand changement est que ce président sera stable et que les Européens pourront se reconnaître en lui. Aussi conviendrait-il d’engager rapidement une réflexion sur les modalités de sa désignation, laquelle ne pourra se faire à la suite d’une simple réunion du Conseil européen, mais après un débat démocratique, ce qui signifie que la candidate ou le candidat soit connu, qu’il soit en phase avec la future majorité du Parlement européen – et donc désigné après les élections européennes – ainsi qu’avec la majorité de son propre pays, qu’il appartienne à un État qui respecte tous les engagements européens concernant l’euro, Schengen et la charte des droits fondamentaux, et qu’il parle ou s’efforce de parler le français, l’anglais et l’allemand. De même, il serait utile de savoir si les candidats pourront se déclarer eux-mêmes, s’il leur faudra des références et si un tri devra intervenir avant que le Conseil européen ne se prononce.

Quant à l’articulation entre le président du Conseil européen, celui de la Commission et le Haut représentant, terme qui rappelle des périodes post-coloniales, il faut d’abord se rappeler que le président de la Commission n'est pas responsable du système politique européen, mais du fonctionnement de la Commission. L’impulsion à donner à l’Union européenne viendra du président du Conseil européen, qui pourra réunir l’instance qu’il préside plus fréquemment et de façon moins formelle, la Commission continuant à faire des propositions et à suivre la procédure actuelle devant le Parlement européen.

S’agissant du ministre des affaires étrangères – appellation que les journalistes finiront bien par retenir – il sera en même temps vice-président de la Commission parce que celle-ci a des attributions dans le domaine de l’action extérieure, non pas en termes politiques, mais en termes de gestion de l’aide européenne aux Etats, laquelle est la première dans le monde. Aussi le ministre des affaires étrangères doit-il pouvoir également parler des programmes d’aide et de coopération, ce qu'il ne pourrait pas faire dans le cadre actuel. Voilà pourquoi le ministre des affaires étrangères sera membre du Conseil après avoir été nommé exclusivement par celui-ci, ce qui pose là encore un intéressant problème de désignation, tout en siégeant au sein de la Commission pour les questions relevant de sa compétence.

Pour ce qui est enfin du droit d’initiative citoyenne, introduit par la convention et repris à juste titre dans le traité de Lisbonne, il faut qu’un grand mouvement d’opinion en Europe puisse obliger la Commission à agir, à condition que la pétition ait réuni un nombre élevé de signatures – encore que le chiffre d’un million représente 0,2 % des citoyens européens – réparties dans un certain nombre de pays.

En réponse aux questions posées par le président Axel Poniatowski, M. Valéry Giscard d’Estaing a indiqué qu’en matière diplomatique, le traité de Lisbonne ne change pas fondamentalement ce qui figurait déjà dans le traité de Maastricht. Il y est fait simplement quelques adjonctions : les attributions du Haut représentant et le fait que les missions seront plus opérationnelles. Dans le cadre du traité de Maastricht, on cherchait à élaborer une politique commune. Lorsque celle-ci est établie, ceux qui n’en sont pas partisans ne doivent pas la contredire et peuvent demander simplement à en être dispensés, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Ce sera vraisemblablement appliqué par le futur ministre des affaires étrangères. C’est ce qu’on peut, en tout cas, souhaiter.

La question de son service a été longuement débattue. A l’époque, M. Joschka Fischer, qui était ministre des affaires étrangères d’Allemagne, se voyait assez bien futur ministre des affaires étrangères européen. Il était donc très actif dans la discussion.

L’idée est qu’il faut qu’il y ait un service, une cellule, diplomatique auprès du ministre européen des affaires étrangères. Cette cellule devra inspirer ce que ce dernier a à faire au travers des relations bilatérales entre les Etats, c’est-à-dire proposer de mettre en œuvre les éléments de la politique étrangère commune. Elle sera probablement située à Bruxelles. Elle devra travailler avec les administrations nationales. Sous quelle forme ? On n’est pas allé très loin dans la définition. Ses membres seront vraisemblablement des membres détachés des ministères des affaires étrangères pour constituer un Etat-major, un staff, pour le ministre européen des affaires étrangères. Les diplomaties traditionnelles continueront d’exercer leurs attributions, c’est-à-dire la politique étrangère non communautaire – qui existe puisque la politique étrangère commune n’englobe pas tous les sujets. Il restera un réseau de relations bilatérales qui sera suivi par les ministres des affaires étrangères.

Il faut rappeler que les conseils des ministres des affaires étrangères qui se réunissent une fois par mois seront désormais présidés de façon stable par ce Haut représentant pendant cinq ans.

M. Lionnel Luca a remercié le président Giscard d’Estaing pour cette explication de texte claire, précise et honnête.

Dans le débat qui a eu lieu au sein de l’Assemblée sur la révision constitutionnelle nécessaire à la ratification du traité de Lisbonne, il a souvent été dit l’inverse de ce qu’il vient d’entendre pour justifier l’adoption parlementaire du traité. Il convient donc d’apprécier la rigueur de cette analyse.

Comme le traité de Lisbonne reprend à 98 % la substance du projet de traité constitutionnel, ne faut-il pas craindre qu’une adoption parlementaire n’engendre un malentendu entre l’opinion, qui a eu à s’exprimer il y a deux ans, et la représentation parlementaire, et – plus grave – avec la construction européenne telle qu’elle s’élabore ?

Deuxièmement, il est question, dans la prochaine réforme des institutions, de supprimer l’article 88-5 de la Constitution que le président Chirac avait fait inscrire, dans lequel il était précisé que tout élargissement futur, après l’adhésion de la Croatie, nécessiterait un référendum. Cette suppression va faire l’objet d’un débat. Que faut-il penser de cette éventualité ?

Enfin, après la description faite du futur président de l’Union européenne, M. Luca se demande si le président Giscard d’Estaing accepterait la fonction si un certain nombre de chefs d’Etat se tournaient vers lui et le sollicitaient.

M. Hervé de Charette a souhaité, sur la question de la ratification déjà posée par M. Luca, avoir l’avis du président Giscard d’Estaing d’un autre point de vue : le projet de traité constitutionnel ayant été soumis à référendum, est-il juridiquement et politiquement acceptable que la ratification du traité de Lisbonne soit autorisée par la voie parlementaire ?

Quant à la nécessité, en vertu de notre Constitution, de réviser celle-ci dès lors qu’un traité européen contient des dispositions qui la heurtent, cela signifie-t-il que la France est entrée dans une période de révision quasi-permanente de la Constitution ? N’existe-t-il pas des moyens juridiques, acceptables politiquement, d’éviter ce dispositif, en s’inspirant, par exemple, de la clause générale qui figure dans la loi fondamentale allemande ?

Pour ce qui est de l’ambition politique européenne, avec – sauf événement malheureux – la ratification du traité de Lisbonne, l’Europe va sortir d’une assez longue période de stagnation dans ce domaine. De quelle la façon la construction européenne devrait-elle reprendre son cours ?

M. Valéry Giscard d’Estaing a d’abord repris la question de savoir s’il était légitime de ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire après le refus du texte précédent par référendum, et si cela n’allait pas engendrer une insatisfaction de la part de l’opinion.

Selon lui il faut traiter le sujet avec calme et sérénité ; cela devrait d’ailleurs être toujours le cas pour les grandes affaires politiques françaises.

Selon l’article 53 de la Constitution, la voie normale d’autorisation de ratification d’un traité est la voie parlementaire. C’est un progrès, une victoire républicaine, parce que les traités pouvaient être auparavant signés par les chefs d’Etat, les souverains. La Constitution dispose que certains d’entre eux ne peuvent l’être qu’après y avoir été autorisés par la loi, c’est-à-dire par la procédure parlementaire. Par ailleurs, dans l’article 11 de la Constitution, relatif au référendum, il est fait allusion aux traités. Il y est précisé que le Président de la République, sur proposition du gouvernement ou proposition conjointe des deux assemblées, peut décider de soumettre à référendum différents textes, dont éventuellement un traité.

Pourquoi le président de la République a-t-il soumis le traité portant constitution pour l’Europe à référendum ? Cela suivait une logique dans la mesure où l’on considérait qu’il s’agissait d’un acte constitutionnel, ce qui est d’ailleurs mon opinion. L’inconvénient, c’est que, ce texte comportant près de 300 articles, il suffisait qu’un seul de ces derniers déconcerte ou dérange quelqu’un pour qu’il dise non à l’ensemble. A moins que le travail d’élaboration ait été très long, la procédure du référendum est difficilement applicable sur un texte long et complexe, les « non » s’additionnant pour une raison ou pour une autre.

Ce qui a manqué au référendum français, c’est l’information : aux yeux de l’opinion, le texte n’avait pas été suffisamment élaboré en amont et la société civile, les forces économiques et les universités n’y avaient pas suffisamment été associées, contrairement à ce qui s’est passé en Espagne. Le travail ayant été fait, les Espagnols ont été d’accord et ont voté oui. Les Français avaient le sentiment qu’on leur demandait de dire oui à un texte qu’ils ne connaissaient pas bien.

Le texte d’aujourd’hui est différent, non dans les avancées institutionnelles mais dans l’approche puisque, au lieu d’être de tonalité constitutionnelle, il modifie les anciens traités. Cela fait une différence fondamentale. Si on se rapproche des anciens traités, on revient à l’article 53 de la Constitution française, selon lequel c’est normalement le Parlement qui se prononce, le président de la République pouvant, éventuellement, faire appel au référendum.

C’est ainsi que se pose le problème.

Certains réclament un référendum par scrupule juridique : pour voter dans un sens, après avoir voté dans un autre, il faudrait que ce soit selon la même procédure. A ceux-là, il faut répondre que ce n’est pas exactement le même texte : on passe d’un texte constituant homogène à un texte modificatif qui revoit les traités antérieurs. On peut donc adopter une procédure différente.

Cependant beaucoup plus nombreux sont ceux qui demandent un référendum parce que c’est la seule chance de faire échouer le texte. Ils prennent des positions morales très emphatiques mais, en réalité, ils savent que le texte sera normalement facilement adopté dans toute l’Europe par la voie parlementaire, alors que, par référendum, ils peuvent espérer que les citoyens se prononcent sur les 35 heures ou sur les retraites et, de ce fait, repoussent le projet.

La demande de référendum, chez certains, est honnête. Pour d’autres, c’est une opération politique pour essayer de faire rejeter le traité de Lisbonne.

Quant à la suppression de l’article 88-5 de la Constitution prévoyant un référendum en cas d’élargissement, ce serait une erreur. Cet article a été proposé par le président de la République ; il a fait l’objet d’un vote en Congrès. On ne voit pas les éléments qui conduiraient, quelques années plus tard, à revenir dessus.

La crainte était qu’on modifie cette clause à l’occasion de la révision préalable à la ratification. Cela n’a pas été le cas. Toutes les modifications proposées par le projet de loi ont été rendues nécessaires par la décision du Conseil constitutionnel sur le traité de Lisbonne. La modification de l’article 88-5 pourrait, éventuellement, être proposée dans la future réforme institutionnelle française. Mais la procédure suivra alors son cours et donnera l’occasion aux uns et aux autres de se prononcer sur chaque point.

Comme M. de Charette l’a souligné, la France est entrée dans une ère de révision, non pas quasi permanente, mais trop fréquente, de la Constitution. C’est une mauvaise chose. Pendant le mandat de trois présidents de la République, à savoir celui du général de Gaulle, celui de M. Pompidou et le sien, il y a eu, en tout, cinq modifications de la Constitution. Au cours des dernières années, il y en a eu plus d’une quinzaine.

Les constitutions doivent être des textes stables. C’est leur nature. Elles doivent donc être rarement modifiées.

Toutefois il y a une mécanique de modification qui est rendue nécessaire par l’Union européenne. Quand certaines modifications européennes sont incompatibles avec la Constitution, il faut bien modifier cette dernière.

Ce qui a été fait offre maintenant un cadre constitutionnel assez large et il ne semble pas nécessaire de procéder à des révisions fréquentes. Par ailleurs, il serait souhaitable que les institutions européennes, elles-mêmes, prennent l’habitude de la stabilité, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas, tous les deux ans, des propositions, des inventions plus ou moins imaginatives qui conduisent à remettre en cause le système. Celui-ci a besoin, au sens juridique et humain, d’être consolidé et stabilisé. Cela limiterait les inconvénients évoqués.

M. Lionnel Luca a relevé que le président Giscard d’Estaing n’avait pas répondu à sa troisième question, sur une éventuelle candidature à la présidence de l’Union européenne.

M. Valéry Giscard d’Estaing a répondu qu’il ne l’avait pas entendue !

M. Michel Herbillon s’est demandé, ce qui se passerait dans l’hypothèse où, dans le processus de ratification parlementaire, un pays n’approuverait pas le traité de Lisbonne.

Deuxièmement, lors du référendum sur le projet de traité constitutionnel, il y a eu une mobilisation très forte des Français. Cela n’a pas abouti au résultat que les députés étaient nombreux à souhaiter, mais cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de monde dans les réunions publiques, autant de livres dans les libraires et autant de débats jusqu’au sein des familles. Après le vote négatif, le soufflet est retombé. Qu’est-ce qui, dans l’évolution de l’Europe, pourrait à nouveau susciter une mobilisation de nos concitoyens ?

Selon le président Giscard d’Estaing, le nouveau texte traduit un recul de l’ambition politique européenne. Or c’est l’ambition politique qui peut mobiliser nos compatriotes, français comme européens. Le procédé parlementaire retenu – que M. Herbillon comprend et auquel il adhère –, l’abandon des symboles – qu’il n’accepte pas – ne contribuent pas à susciter l’adhésion des Français.

Enfin, le président Pompidou a dit qu’on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance. Comment va-t-on pouvoir tomber amoureux du traité de Lisbonne alors que, selon les termes mêmes employés par le président Giscard d’Estaing, c’est un catalogue de modifications dont la lecture est quasiment impossible ?

M. Jacques Myard s’est déclaré ravi de retrouver le président Giscard d’Estaing en ces murs. Bien qu’il ne soit pas d’accord avec lui, il approuve l’honnêteté intellectuelle de sa démarche. Cela lui fait plaisir de voir qu’il y a encore des hommes politiques qui y croient.

Au moment de l’élargissement, il avait été frappé, au cours d’une conversation privée qu’il avait eue avec le président Giscard d’Estaing, par sa pugnacité et par la sagacité de son analyse, montrant qu’il avait parfaitement compris que, lorsque l’Europe allait compter vingt-sept Etats – et peut-être trente dans peu de temps – il faudrait s’occuper des institutions. Il avait notamment dit : « Nous avons élargi l’Europe. Il faut maintenant faire autre chose. »

Or le problème de l’Europe aujourd’hui est qu’elle ne fait pas autre chose. Elle suit aveuglément une logique implacable qui poursuit la captation des compétences.

M. Myard a tenu à attirer l’attention sur le fait que le traité appelé de ses vœux par le président Giscard d’Estaing allait transférer à Bruxelles cinquante-quatre nouvelles catégories de compétences. Dans ces conditions, la notion de subsidiarité est vidée de sens.

Certes, il existe une possibilité de recours devant la Cour de justice, mais il est singulier de voir une assemblée parlementaire faire un recours devant une cour de justice ! Le mécanisme de subsidiarité est monté à l’envers parce que, quand on aura tout transféré, Bruxelles aura beau jeu de dire : « Trop tard. Tout est de ma compétence ! ».

Ensuite, chacun sait très bien que les coopérations renforcées ne se feront pas, car elles sont totalement bloquées. Avoir neuf États volontaires, l’aval du Conseil et l’accord de tous les autres pour pouvoir avancer est illusoire.

Par ailleurs, le président du Conseil européen n’aura aucun mandat national. M. Myard a souligné que ce sera un président « retraité » des réalités nationales, voire même battu ou écarté du pouvoir dans son pays.

Il est frappé par cette démarche technocratique qui fait qu’on ne se rend pas compte du décalage qui existe entre cette démarche – honnête sur le plan politique et qu’il convient de saluer – et le monde actuel, le monde politique des peuples et, surtout, avec quelque chose qui a complètement transformé l’Europe, à savoir la globalisation. En effet le monde est entré dans l’ère des puissances relatives au milieu desquelles l’Europe est dépassée.

Sur le point de savoir ce qui se passerait si un pays n’approuvait pas le traité de Lisbonne, M. Valéry Giscard d’Estaing a d’abord répondu que cela était prévu dans le texte : on se réunit pour voir. Le pays concerné sera sans doute mis en demeure de demander une situation d’exception ou de quitter l’Union.

En réalité, le seul pays pour lequel le problème pourrait se poser est le Royaume-Uni, puisque la Pologne a changé de ligne politique et que l’Espagne, qui était très opposée à la double majorité, l’a ensuite facilement acceptée. Il ne reste finalement que le Royaume-Uni, qui suit une ligne assez continue en ce domaine, et qui bénéficie déjà de trois exceptions, puisqu’il n’a adhéré ni à l’euro, ni à Schengen, ni à la charte des droits fondamentaux ; il n’applique pas non plus certains aspects de la politique judiciaire et policière commune.

Si M. Gordon Brown s’est engagé assez fortement en direction de l’Europe, c’est parce qu’il voit venir le péril. C’est en fait le « non » français qui a facilité la vie du Royaume-Uni. S’il n’y avait pas eu ce « non », tous les pays auraient ratifié, à l’exception, peut-être, d’un ou deux, et cela aurait fait apparaître l’isolement du Royaume-Uni. D’un autre côté, le « non » français a ouvert la boîte dans laquelle les Britanniques ont puisé un certain nombre de modifications du texte.

Dans le système à vingt-sept Etats, un « non » isolé n’empêchera pas l’adoption du texte. Il mettra en difficulté – difficulté qui devra être gérée avec le savoir-faire diplomatique – le ou les pays qui se mettraient en marge.

Pour ce qui est de l’opinion, elle ne se mobilise pas sur rien. Il faut une cause. Quelle est la nouvelle dimension de la nécessité européenne ? La France est trop petite. Un pays, même de 63,5 millions d’habitants, n’est pas à l’échelle des grands courants mondiaux. Il ne peut pas résister aux forces de la globalisation. Un ensemble de 500 millions d’habitants n’est pas considérable non plus, puisque cela fait moins de 10 % du système, mais a quand même un poids plus élevé.

En lisant la presse internationale on constate que, à propos des sujets économiques, sociaux et commerciaux, on ne parle que des positions européennes. On ne parle plus des positions nationales. Cela signifie que, le jour où l’opinion française comprendra qu’elle a, elle-même, une dimension européenne et que cette dimension la protège, lui permet de jouer un rôle, d’être représentée et d’influencer les décisions, elle se passionnera davantage pour les enjeux européens.

Cette passion devrait s’exprimer, le moment venu, à l’occasion des élections européennes. Ces dernières auront, en effet, des conséquences puisque le président de la Commission sera choisi en fonction des résultats des élections. Il devrait d’ailleurs également être choisi, non pas par la majorité et l’opposition qui se dégageront, mais en fonction de celles-ci. Les élections européennes entraîneront de fortes impulsions dans le système européen. Elles susciteront dès lors un intérêt.

Il est certain que le retour des symboles et l’affirmation d’une volonté politique forte, comme cela a été le cas au cours de deux ou trois périodes de l’histoire de la Ve République, aideraient à reconstituer cette mobilisation.

Le président Giscard d’Estaing a relevé que l’observation de M. Myard était injuste. Il est lui-même contre la conquête sournoise des compétences européennes. Cette méthode, choisie et acceptée pendant une dizaine d’années, constitue une dérive malsaine. Elle n’est pas démocratique et irrite l’opinion publique.

Les textes en cours – traité constitutionnel mais aussi traité de Lisbonne – s’efforcent d’arrêter cette dérive et il faut espérer qu’ils y parviendront.

D’abord, il y a une définition beaucoup plus précise des compétences. Il a même été souhaité qu’elle soit extrêmement rigoureuse. Elle l’est peut-être moins que le président Giscard d’Estaing l’aurait voulu, car il pensait, en effet, qu’on aurait pu mentionner à la fois les compétences européennes et, en regard, les compétences nationales pour que les gens voient bien que la santé, l’éducation, le système de protection sociale et la législation familiale appartiennent à ce second groupe. Pour des raisons de complexité et du fait de l’action des lobbies en ce domaine, on ne l’a pas fait.

Néanmoins, le texte sur les compétences est beaucoup plus précis. On a modifié l’article du traité de Rome qui permettait le glissement des compétences et créé une possibilité de contrôle par le Parlement, contrôle qu’il ne faut pas traiter avec dérision. On ne peut pas à la fois demander que le Parlement joue un rôle et, quand on lui donne un rôle, dire que cela ne sert à rien.

Les parlementaires recevront tous les textes. Le délai d’examen sera assez long pour permettre au Parlement de travailler. Si ces textes sortent des compétences européennes, comme pour le droit de la famille, le Parlement pourra s’y opposer. S’il considère qu’ils sont contraires à la subsidiarité, il suffira qu’un tiers des parlements nationaux partage cet avis.

M. Jacques Myard a souligné que la Commission jouait les États les uns contre les autres en permanence. « Depuis que j’ai commandé une armée de coalition », a dit Foch, « j’admire beaucoup moins Napoléon ! »

M. Valéry Giscard d’Estaing a relevé le regret de M. Myard, que le président de l’Union européenne, n’ait aucun mandat national. Il trouve au contraire cela judicieux Il serait grotesque d’avoir quelqu’un qui gère à la fois des affaires nationales et des affaires européennes. Cette disposition a été introduite contre la volonté de certains dirigeants politiques européens qui se voyaient bien être à la fois président de la République et président européen. Ce serait le conflit de fonctions à l’état pur.

Il a enfin souligné que si M. Myard estime que la vision de l’Europe qu’il a est décalée par rapport au monde moderne, celle de M. Myard l’est encore davantage.

M. Jacques Myard a relevé qu’il s’agissait d’une réponse facile, mais l’avenir dira le contraire !

M. Valéry Giscard d’Estaing lui a rétorqué qu’il concevait l’adaptation au monde moderne par la marche arrière alors que lui estime qu’on s’y adaptera par la marche avant.

M. Jacques Myard a estimé que c’était une fuite en avant !

Mme Chantal Brunel a demandé au président Giscard d’Estaing s’il croyait possible, au moment où un débat s’instaure sur l’euro, en particulier avec l’Allemagne, d’améliorer la gouvernance économique de l’Europe et ses relations avec la Banque centrale européenne.

Par ailleurs, le président Nicolas Sarkozy a souligné que l’absence de référence aux valeurs chrétiennes dans le traité constitutionnel a été l’un des facteurs qui a conduit à la victoire du « non » au référendum dans notre pays. Mme Brunel a souhaité connaître la position du président Giscard d’Estaing sur ce sujet.

M. Claude Gatignol a relevé que le président Giscard d’Estaing a souligné, la complexité du texte et le côté peu encourageant de sa présentation, qui dissuadent d’en faire une lecture quotidienne. Alexis de Tocqueville avait, lui-même, vanté la simplicité de certaines autres constitutions, tout particulièrement la lisibilité du texte de la constitution des Etats-Unis d’Amérique. Est-il possible de parvenir un jour à une présentation plus claire, plus lisible, qui faciliterait l’adhésion populaire à ce texte ?

Certains ont dit que la troisième partie du traité constitutionnel, à savoir les politiques européennes, avait fait l’objet de grands débats à la convention. Cela conditionne aussi la perception de l’opinion publique. Une grande politique européenne, la politique agricole commune, traitée d’ailleurs avec grand succès, a entraîné l’adhésion majoritaire de la population vivant de l’agriculture. La nouvelle configuration peut-elle amener à plus d’efficacité dans le domaine – ô combien important ! – de l’énergie ? Peut-on espérer un jour une politique énergétique commune ?

Enfin, l’application des nouvelles dispositions du traité de Lisbonne aura-t-elle une conséquence sur l’élection future du Parlement européen ?

M. Pierre Forgues a relevé l’affirmation du président Giscard d’Estaing selon laquelle l’Europe était trop petite, dans une économie mondialisée. D’autres le pensent également. Cette constatation peut-elle être un élément déterminant pour favoriser l’élargissement de l’Europe à la Turquie ou à l’Ukraine, pour ne citer que ces deux pays ?

M. Valéry Giscard d’Estaing a insisté sur le fait que le débat sur l’euro n’est pas lié à la question du traité de Lisbonne. Il est d’ailleurs intéressant de le noter parce que le traité reprend intégralement et au mot près les dispositions du traité de Maastricht sur l’union économique et monétaire. C’est en particulier le cas de l’indépendance de la banque centrale et du fait que la politique monétaire est conduite par la Banque centrale européenne et relève de sa responsabilité.

La politique monétaire ne peut pas ignorer la situation économique. D’ailleurs, elle ne l’ignore pas mais elle est actuellement évaluée uniquement par la Banque centrale européenne alors qu’aux Etats-Unis, où les règles sont les mêmes, il y a une communication régulière entre le président de la Banque centrale, le ministre du Trésor et les commissions parlementaires. L’information circule et la politique monétaire est moins unilatérale.

Il faut remarquer que les problèmes actuels en Europe proviennent non de l’euro mais du dollar. L’Europe se trouve, hélas, dans une situation économique un peu trop stable. Elle n’envoie pas d’impulsions fortes dans le domaine monétaire. Les impulsions viennent de l’extérieur. Il est néanmoins souhaitable d’améliorer la gouvernance économique.

Dans le projet constitutionnel, il avait été prévu une amélioration du fonctionnement de la zone euro, en particulier par l’institution d’un président stable. Cela a été appliqué par anticipation. Le président de l’Eurogroupe est actuellement M. Juncker, Premier ministre en exercice du Luxembourg.

La difficulté tient au fait qu’il faut arriver à affirmer cette politique économique vis-à-vis des Etats, puisque ces derniers restent maîtres de la politique budgétaire et fiscale. Des progrès ont été réalisés, mais ils sont limités. La France elle-même n’applique pas scrupuleusement toutes les orientations et décisions macro-économiques que l’Europe lui propose.

Il s’agit d’un effort collectif et il est indispensable d’avancer en ce domaine. L’institution de l’Eurogroupe, avec une présidence stable, et la fixation de grandeurs économiques chaque année devraient le permettre. La France devrait essayer de se rapprocher de la norme. Il ne faut pas oublier qu’elle détient le record du déficit budgétaire et du chômage en Europe.

Un débat a eu lieu, à la Convention, sur une référence aux valeurs chrétiennes dans la constitution européenne. La difficulté vient de ce qu’il y a des expressions différentes. Les Anglo-saxons parlent de racines judéo-chrétiennes parce que, dans la lecture protestante, la Bible est presque aussi importante que l’Evangile. Or, si l’on parle de racines judéo-chrétiennes, il faut également, puisqu’il y a d’importantes minorités musulmanes en Europe, mentionner l’islam.

Si l’on commençait à dénommer les religions, on se mettait dans une situation très difficile. C’est pourquoi le président Giscard d’Estaing avait proposé, dans le Préambule du traité constitutionnel, la rédaction suivante : «S’inspirant des héritages culturels, religieux »
– ce qui n’a jamais été dit dans un texte public français, notamment dans la Constitution – «  et humanistes de l’Europe, dont les valeurs, toujours présentes dans son patrimoine, ont ancré […] ». Ces « valeurs toujours présentes dans son patrimoine » sont manifestement les valeurs chrétiennes. C’était une façon de décrire ces dernières sans les nommer pour ne pas « antagoniser » d’autres familles d’esprit. Or cette référence a disparu dans le traité de Lisbonne. Il y a donc un recul sur ce point, que personne n’a relevé. Cela montre bien que c’est un texte qui a été fait dans une culture bureaucratique plus que politique.

Il convient également de souligner qu’il y a eu un vote sur la référence aux valeurs chrétiennes au Praesidium de la convention, à partir d’un amendement espagnol. Le relevé de ce vote est assez curieux : le président Giscard d’Estaing a voté pour, les Belges et les Allemands aussi. Les Français ont voté contre. Il faut donc être prudents quand on prend des positions sur ce sujet.

Arrivera-t-on un jour à une présentation plus claire du traité ? Evidemment oui.

Il n’y avait aucune raison de garder deux traités. S’ils n’ont pas été fusionnés, c’est parce que les juristes du Conseil avaient une arrière-pensée en tête : ils voulaient qu’il y eût des procédures de révision différentes, une très difficile pour le traité sur l’Union européenne et une plus facile pour le traité sur le fonctionnement de l’Union. Cela a été refusé puisqu’on a finalement retenu la même procédure de révision pour les deux traités. Il n’y a plus de raison d’avoir deux traités. Après les élections européennes, dans une atmosphère de sérénité, on pourra décider de revenir à un texte unique, dans lequel seront repris, dans une seule lecture continue, les deux textes actuels.

La nouvelle configuration permettra-t-elle d’avancer sur la voie de certaines politiques communes ? Probablement, mais il faut qu’il y ait la volonté politique pour cela. Cette volonté n’apparaît pas à l’heure actuelle en matière énergétique. Les Allemands ont conclu une opération avec les Russes pour acheminer le gaz par pipeline au-dessous de la mer Baltique. Les Italiens se sont félicités récemment – et ont fait de grandes manifestations de joie, auxquelles l’Europe n’a pas été associée – de la construction d’un futur pipeline en provenance de la mer Caspienne.

S’il y a un président déterminé et actif et une pression de l’opinion publique, il y aura un système institutionnel qui permettra de mieux poser le problème et d’aboutir à des solutions plus opérationnelles.

Tant que les institutions sont aussi molles, il est impossible de prendre des décisions : un Conseil européen à vingt-sept membres se réunissant quatre fois par an ne peut pas décider grand-chose. Il commence par un tour de table. A partir du sixième ou septième orateur, personne n’écoute plus et, à partir du vingtième, on ne se rappelle plus qui a parlé en premier.

Il faut structurer l’ensemble. Le traité de Lisbonne est un premier effort en ce sens.

Cela étant, il faudra parler bientôt – du moins peut-on l’espérer – de l’après-Lisbonne, et il y aura encore des chantiers à mener. Il est absolument indispensable de réformer les méthodes de travail du Conseil : il faut un bureau, une présidence permanente.

Le préalable institutionnel permettra d’aborder les grands dossiers dans de meilleures conditions. Encore faut-il qu’il y ait la volonté politique d’aboutir.

Il n’y a pas de dimension optimale dans le monde moderne, mais il est des dimensions qui permettent, ou non, d’avoir une influence. Quand les Européens votent ensemble, ils représentent, aux Nations unies, un groupe très important. Ils pèsent beaucoup moins quand ils votent séparément. Dans les affaires commerciales internationales, si les Européens décident ensemble de prendre des sanctions ou d’imposer un certain nombre de limitations, cela fait reculer les autres. S’ils le décident isolément, l’influence est moindre.

L’Europe du continent européen représente, à l’heure actuelle, une échelle suffisante. Elle n’a pas besoin d’élargissement en tant que tel – il peut y en avoir pour des raisons politiques – car celui-ci se fait toujours vers des pays moins développés et au niveau de vie inférieur, ce qui diminue l’impact du système.

On serait bien inspiré de maintenir une composition de l’Europe assez stable pour la période qui vient. On verra, dans le monde d’après-demain, si cela doit changer. Pour l’instant, dans le monde de demain, la dimension de l’Europe actuelle paraît adaptée.

Le président Axel Poniatowski a remercié le président Giscard d’Estaing.

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