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Commission des affaires étrangères

Mardi 22 janvier 2008

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Reinhard Silberberg, Secrétaire d’État allemand aux affaires étrangères

– Turquie : accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements – M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur

– Information relative à la commission

Audition de M. Reinhard Silberberg, Secrétaire d’État allemand aux affaires étrangères

Le Président Axel Poniatowski a remercié M. Reinhard Silberberg, secrétaire d’Etat allemand aux affaires étrangères, d’avoir accepté l’invitation de la commission des affaires étrangères en ce jour de célébration du 45e anniversaire du traité de l’Elysée.

Compte tenu du caractère privilégié de la relation franco-allemande dans la construction européenne, il a déclaré qu’il était particulièrement intéressant de recueillir son analyse sur l’avenir de l’Europe et sur les changements proposés par le traité de Lisbonne, mais que d’autres sujets d’intérêt communs pourraient également être évoqués.

M. Reinhard Silberberg, secrétaire d’Etat allemand aux affaires étrangères, a souligné combien la coopération franco-allemande avait toujours été le moteur de la construction européenne et que cela n’avait pas changé. Il a rappelé la volonté commune exprimée il y a cinq ans, lors de la commémoration du 40e anniversaire du traité de l’Élysée, d’approfondir cette coopération tant sur le plan bilatéral que sur la scène européenne et internationale. Il a toutefois insisté sur le caractère non exclusif de la relation franco-allemande.

Puis il a évoqué les grandes étapes de l’histoire de la construction européenne et s’est félicité des succès que sont notamment le marché intérieur et la monnaie unique. Les bases d’une politique étrangère et de sécurité commune ont également été jetées, tandis que l’Europe progresse dans le domaine de la défense et sur les sujets relatifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Mais cela fait des années que les limites inhérentes au fonctionnement institutionnel de l’Union handicapent l’Europe pour défendre au mieux ses intérêts dans la mondialisation, en particulier face aux nouvelles puissances que sont aujourd’hui la Chine et l’Inde et que seront demain le Brésil et l’Indonésie. Ce monde globalisé offre de nouvelles opportunités mais suscite également de nouvelles menaces liées au terrorisme, à la prolifération et, sur le plan économique, aux distorsions de concurrence à l’échelle internationale.

M. Reinhard Silberberg a estimé que le traité de Lisbonne représentait une réponse adaptée au défi institutionnel de l’Union et que ce texte portait la marque de la coopération franco-allemande. Nos deux pays ont en effet tiré les enseignements des difficultés rencontrées lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000. Le traité de Lisbonne garantira un fonctionnement plus efficace et plus démocratique de l’Union grâce à une meilleure participation des citoyens à la construction européenne.

Il a alors évoqué les principales avancées institutionnelles du traité de Lisbonne, qui concernent :

– l’instauration d’une présidence stable du Conseil européen qui renforcera la visibilité de l’action de l’Union et permettra à l’Europe de mieux faire valoir ses intérêts dans la mondialisation ;

– la création d’un Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui sera également vice-président de la Commission européenne. La mise en place d’un service européen d’action extérieure, sur lequel s’appuiera ce Haut Représentant, contribuera à renforcer la cohérence de l’action extérieure de l’Union ;

– la réduction de la taille de la commission, à compter de 2014 ;

– la définition d’une nouvelle règle de « double majorité » – qui a longtemps été un point de désaccord franco-allemand – et son extension à de nombreux domaines jusqu’à présent régis par le vote à l’unanimité.

S’exprimant sur l’avenir de la politique européenne de défense et le rapprochement de la France avec l’OTAN, il a indiqué qu’il s’agissait d’une question très débattue en France. L’Allemagne est prête à apporter son soutien pour contribuer au rapprochement avec l’OTAN et le développement d’un pilier européen de politique de sécurité et de défense commune.

M. Reinhard Silberberg a ensuite apporté des précisions sur l’état d’avancement du processus de ratification du traité de Lisbonne, indiquant que l’examen parlementaire par le Bundesrat et le Bundestag devrait être achevé d’ici au mois de mai. Il reviendra à la présidence française de l’Union européenne du second semestre 2008 de préparer l’entrée en vigueur du traité en précisant notamment le rôle du président du Conseil européen et l’architecture du futur service européen d’action extérieure. D’importantes décisions devront également être prises lors du Conseil européen de décembre 2008 s’agissant des nominations aux nouvelles fonctions prévues par le traité. M. Reinhard Silberberg a assuré à la France le plein soutien de l’Allemagne pour mener à bien ce travail préparatoire.

La présidence française de l’Union est très attendue et devra permettre à l’Union de progresser sur des sujets essentiels tels que la politique européenne d’immigration ou les questions de sécurité et de défense avec la mise à jour de la stratégie européenne définie en 2003. Evoquant le dossier de la lutte contre le changement climatique, il a souhaité que des décisions soient prises avant les élections européennes de juin 2009.

Le Président Axel Poniatowski a interrogé le secrétaire d’Etat sur trois sujets. Il lui a tout d’abord demandé s’il partageait les critères de désignation du futur président du Conseil européen tels que les a définis le Président Valéry Giscard d’Estaing lors de son audition par la commission des affaires étrangères, à savoir :

– être en phase avec la future majorité du Parlement européen – et donc désigné après les élections européennes – ainsi qu’avec la majorité de son propre pays ;

– appartenir à un État qui respecte tous les engagements européens concernant l’euro, les accords de Schengen et la charte des droits fondamentaux ;

– s’efforcer de parler le français, l’anglais et l’allemand.

Puis il l’a interrogé sur l’idée d’Union méditerranéenne lancée par le Président Nicolas Sarkozy et qui donnera lieu à un sommet à Paris, le 13 juillet prochain. La commission des affaires étrangères a récemment adopté, à l’unanimité, un rapport d’information dans lequel elle propose un mode d’organisation possible d’une Union méditerranéenne fondée sur une logique de projets. Comment cette idée d’Union méditerranéenne est-elle accueillie en Allemagne ? Les précisions apportées ces dernières semaines par le Gouvernement français et par le Parlement sont-elles de nature à convaincre les autorités allemandes du bien fondé de ce projet ?

Enfin, alors qu’est célébré le 45e anniversaire du traité de l’Elysée, le Président Axel Poniatowski a interrogé le secrétaire d’Etat sur sa vision de l’avenir du couple franco-allemand et sur les nouvelles impulsions politiques qu’il pourrait donner à la construction européenne.

M. Reinhard Silberberg a indiqué qu’il ne se prononcerait pas sur les critères de choix du président du Conseil européen avancés par M. Giscard d’Estaing. Toutefois, l’un d’entre eux s’impose de toute évidence : le futur Président devra être au-dessus de tout soupçon s’agissant de la sincérité de son engagement européen. Concernant les compétences linguistiques demandées par l’ancien Président de la République française, celles-ci ne sont sans doute pas une condition sine qua non. En revanche, il est clair que la personnalité choisie devra comprendre les particularités, tant politiques que diplomatiques, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Pour ce faire, la maîtrise des langues peut être un atout.

Il est, de toute façon, encore trop tôt pour se prononcer sur les personnalités les plus à même de remplir cette fonction. Dans le cadre de sa présidence du Conseil, la France devra mener les consultations nécessaires afin qu’une décision puisse être prise au plus tard lors du Conseil européen de décembre 2008. La proposition d’un candidat par l’Allemagne est de la seule responsabilité de la chancelière Angela Merkel et de son ministre des affaires étrangères. Il n’en reste pas moins que, pour le moment, aucune spéculation concernant un éventuel candidat allemand n’a émergé.

La question de la création d’une Union méditerranéenne est plus complexe. L’Allemagne s’est depuis longtemps engagée en faveur du renforcement de la politique étrangère de l’Union européenne. Elle a donc été surprise qu’un Etat membre propose de renforcer les relations de certains Etats membres avec des pays du Sud dans un cadre qui ne garantisse pas un rôle égal pour les autres pays de l’Union européenne. Depuis le Traité de Maastricht, la France et l’Allemagne ont œuvré ensemble pour un cadre institutionnel unique de la politique extérieure. C’est dans ce cadre de l’Union que doivent être défendus nos intérêts communs. La proposition française a donc suscité l’étonnement en ne tenant pas compte de ce principe. Les précisions apportées par la suite ont permis de calmer certaines inquiétudes. D’abord, le projet d’Union méditerranéenne est entendu comme complémentaire au processus euro-méditerranéen, dit « de Barcelone ». En second lieu, l’Allemagne a été rassurée par le fait que l’Union méditerranéenne sera fondée sur des projets concrets ouverts à tous les membres de l’Union européenne sur la base d’un simple volontariat.

La participation de l’ensemble des membres de l’Union européenne au projet d’Union méditerranéenne s’imposait de toute façon. D’abord, tous les Etats membres ont développé des relations bilatérales avec des Etats méditerranéens, comme c’est aussi le cas pour l’Allemagne. Les relations bilatérales abordent presque la totalité des domaines politiques, à savoir l’énergie et l’environnement. Enfin, les tendances en matière de recrutement des terroristes requièrent une coopération renforcée avec le bassin méditerranéen, sujet également de préoccupation commune au sein de l’Union européenne.

Enfin, le couple franco-allemand est, au-delà de ce qui peut en être dit dans la presse, la coopération de la plus grande ampleur qui existe actuellement. Des contacts sont recherchés à tous les niveaux, quel que soit le sujet abordé. Aucun risque majeur ne pèse sur l’avenir du partenariat entre ces deux pays, et celui-ci continuera à œuvrer aux progrès de la construction européenne. La France et l’Allemagne sont les Etats européens qui ont le plus intérêt à la voir aboutir.

M. Jacques Myard a souligné que la vision développée par le secrétaire d’Etat était empreinte d’allant et d’optimisme, ce qui était réjouissant pour l’avenir du couple franco-allemand. Toutefois, l’évolution que représenterait l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne n’est pas souhaitable dans le cadre d’une Union européenne comportant vingt-sept membres voire trente dans un futur proche. S’agissant de la politique étrangère, ce traité confirme la primauté de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord sur la mise en œuvre d’une politique étrangère européenne autonome et indépendante. De plus, le fait que le président du Conseil européen ne puisse pas être titulaire d’un mandat exécutif national le prive de la légitimité nécessaire pour faire partager ses vues par des chefs d’Etats en exercice. Enfin, le traité de Lisbonne transfère trop de compétences à l’Union européenne, amplifiant dès lors la thrombose dont celle-ci souffre déjà.

Une coopération européenne toujours plus importante est pourtant nécessaire. La France et l’Allemagne ont des intérêts communs, nombreux, et parfois des intérêts divergents. Par ailleurs, s’il est effectivement nécessaire d’intégrer les particularités françaises, allemandes et britanniques dans les débats sur l’avenir de l’Europe, il faut alors tenir compte du fait que les Anglais refuseront de disparaître dans une construction fédérale. Le traité de Lisbonne, parce qu’il ne permet pas de doter l’Europe de la souplesse de fonctionnement dont elle a pourtant un si grand besoin aujourd’hui, marque donc un recul dans l’histoire de la construction d’une Europe pacifiée et unie.

M. Reinhard Silberberg a estimé que le traité de Lisbonne, loin de créer un problème, apportait une solution aux difficultés que rencontre l’Europe pour s’affirmer au niveau international. A l’égard de l’OTAN, le traité ne modifie pas les dispositions des traités antérieurs.

L’Allemagne et les Länder sont satisfaits des avancées que comporte le traité en faveur de la subsidiarité. Il établit une liste claire des compétences de l’Union, d’une part, et renforce le rôle des Parlements nationaux en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité d’autre part. Le traité sera très probablement approuvé à l’unanimité par le Bundesrat.

L’opposition entre deux conceptions de l’Europe, l’une intégrationniste, l’autre reposant sur une coopération plus souple est aujourd’hui vaine. En mettant un terme au débat institutionnel qui a paralysé l’Europe pendant dix ans, le traité de Lisbonne permet de s’intéresser enfin aux questions de fond.

S’appuyant sur les propos tenus par le président Valéry Giscard d’Estaing lors de son audition par la commission, M. Jean-Paul Bacquet a interrogé le Secrétaire d’Etat sur quatre points : le traité de Lisbonne constitue t-il un recul de l’ambition politique ? La satisfaction des exigences britanniques a-t-elle été l’objet de la moitié des modifications introduites par le traité ? En quoi le traité diffère t-il de la Constitution européenne ? Quelles sont les conséquences pour l’adhésion des citoyens au projet européen de la disparition de la référence aux symboles de l’Union ?

M. Reinhard Silberberg a fait valoir que l’Allemagne était favorable à l’inscription des symboles de l’Union dans le traité. Cette référence permettait notamment de remédier au défaut d’identification des citoyens vis-à-vis de l’Union européenne. Seize pays, dont l’Allemagne, ont néanmoins souligné l’importance que revêt cette question en signant une déclaration par laquelle ils reconnaissent les symboles de l’Union.

Le traité de Lisbonne diffère par nature de la Constitution européenne puisqu’il modifie les traités existants au lieu de s’y substituer. Établi sur des bases politiques nouvelles, il résulte de concessions réciproques nécessaires. Si l’opting out ne constitue pas une solution satisfaisante, il demeure préférable à un échec du traité condamnant tout progrès de l’Europe. En outre, la Grande-Bretagne n’était pas le seul Etat membre à demander des modifications.

Le traité met en œuvre un ensemble d’instruments efficaces et transparents pour agir au sein de l’Union et sur la scène internationale. En améliorant la lisibilité de la politique européenne, le traité favorise l’adhésion des citoyens à celle-ci. Il facilite également la défense des intérêts européens au plan international dès lors que ceux-ci seront définis. Il est temps de se consacrer aux questions qui préoccupent les citoyens.

M. Jean-Louis Christ a rappelé que l’Allemagne participait à plusieurs forces opérationnelles de l’Union européenne et a indiqué qu’il avait cru comprendre que l’Allemagne et le Royaume-Uni étaient sur le point de contribuer aussi à la mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD). Est-ce le cas ? En quoi la contribution de l’Allemagne va-t-elle consister ?

Il ne fait aucun doute que la prospérité de l’Europe passe par l’intégration économique de l’Afrique. Le secrétaire d’Etat pense-t-il que cette intégration puisse se faire par le seul moyen du développement des échanges bilatéraux ou qu’il faille privilégier les relations multilatérales, notamment par l’intermédiaire du Fonds européen de développement (FED) ?

M. Reinhard Silberberg a confirmé que le Bundestag avait approuvé le projet de participation de l’Allemagne à la mission hybride au Darfour. L’Allemagne propose de lui fournir des moyens de transports, comme elle le fait déjà pour d’autres opérations des Nations unies. Les pays africains manquent en effet de capacités dans ce domaine. Les réticences du Président Béchir vis-à-vis de la participation de troupes européennes à cette mission ont déjà conduit au retrait de la participation de la Norvège et la Suède. Elles contribuent à retarder la mise en place de la mission hybride, ce qui est d’autant plus problématique que la situation humanitaire continue à se dégrader. Chaque processus d’intermédiation devrait inclure l’ensemble des groupes rebelles, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’ici. La mission hybride doit absolument inspirer le respect afin d’éviter que les forces soudanaises s’attaquent à nouveau à elle.

En ce qui concerne la coopération économique avec l’Afrique, le développement des échanges bilatéraux et le recours au FED ne constitue pas une alternative. Le FED est richement doté et très utile pour étayer le partenariat entre les deux continents. L’Union européenne doit se présenter unie vis-à-vis de l’Afrique mais chaque Etat membre doit contribuer au rapprochement des deux continents. Il faut en effet maintenir les relations bilatérales séculaires qui existent entre certains Etats membres et certains pays africains. Les deux niveaux sont nécessaires et doivent être mieux coordonnés.

Revenant sur la question du futur président stable du Conseil européen, M. François Loncle a demandé au secrétaire d’Etat s’il était d’accord avec les critères de choix énoncés par le Président Giscard d’Estaing, à savoir la désignation d’une personnalité politique issue d’un Etat membre de la zone euro, faisant partie de l’espace Schengen et ayant accepté la charte des droits fondamentaux.

Bien que le secrétaire d’Etat a indiqué que tout allait bien pour le « couple » franco-allemand, que M. François Loncle a préféré qualifier de « moteur » franco-allemand, la réalité semble plus nuancée. La presse peut certes se tromper lorsqu’elle déplore la dégradation des relations franco-allemandes mais les parlementaires allemands qui représentent leur pays à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe expriment aussi le sentiment que le climat est moins bon qu’à l’époque où étaient au pouvoir Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterrand et Helmut Kohl, ou Jacques Chirac et Gerhard Schröder. Ce sentiment n’est pas seulement le résultat de relations humaines moins chaleureuses entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. D’où provient-il ?

M. Reinhard Silberberg a rappelé que depuis près de vingt ans qu’il s’occupe de relations franco-allemandes dans le cadre européen, il a toujours entendu les commentaires de la presse sur la dégradation de leur qualité. Les rapports entre le Président Giscard d’Estaing et le Chancelier Schmidt comme les relations entre le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl ont également connu des débuts difficiles. Cela n’a jamais mis en danger une coopération bilatérale dont les deux pays sont très conscients du caractère essentiel, lequel dépasse d’ailleurs le strict domaine de la construction européenne : la gestion du dossier iranien en est un exemple. Il y a toujours eu des sujets sur lesquels il était difficile de trouver une position commune : c’est le cas de la politique agricole commune mais aussi des négociations financières qui ont souvent été difficiles mais se sont toujours conclues par un accord. Il en sera certainement de même pour l’Union méditerranéenne à propos de laquelle les points de divergence existants ont été repris par la presse. La qualité du dialogue franco-allemand nécessite une volonté commune permanente à tous les niveaux afin que les deux pays relèvent ensemble les nouveaux défis auxquels ils sont confrontés.

Pour ce qui est des critères à respecter dans le choix du futur président stable du Conseil européen, l’Allemagne suit avec intérêt les discussions qui ont lieu en France. A titre personnel, M. Silberberg a fait remarquer qu’il est difficile d’imaginer que le représentant de l’Union européenne au G8 soit originaire d’un pays dont la monnaie n’est pas l’euro. Il ne serait en effet guère crédible. Les conditions soulignées par le Président Giscard d’Estaing lui apparaissent donc raisonnables.

Se félicitant de l’évocation d’un couple franco-allemand uni et solide, Mme Martine Aurillac a fait observer que la relation entre les deux pays, si elle était forte, n’en était pas moins empreinte d’inquiétudes et de divergences. Tel est notamment le cas en ce qui concerne le projet d’Union méditerranéenne qui, s’il est ambitieux, n’en reste pas moins un projet ouvert, qui n’exclut aucun pays de l’Union européenne. D’autres sujets font l’objet de divergences comme la politique agricole commune, la question du nucléaire civil, le pilotage de la politique monétaire ainsi qu’en matière de politique extérieure, les relations avec la Russie. A cet égard, elle a souhaité recueillir le sentiment du secrétaire d’Etat sur le contenu de ces relations ainsi que sur leurs perspectives.

Evoquant la politique monétaire de l’Union européenne, M. Reinhard Silberberg a insisté sur la difficulté qu’avait rencontrée à l’époque le Chancelier Helmut Kohl pour faire accepter l’euro par les Allemands. Il ne faut, en effet, pas oublier que les Allemands ont été profondément marqués par les effets néfastes d’une inflation excessive, à laquelle ils ont été confrontés à deux reprises au cours du XXème siècle : en 1923, tout d’abord, puis, après la seconde guerre mondiale. La mémoire de ces événements est essentielle pour comprendre le profond attachement du peuple allemand à l’existence d’une banque centrale indépendante. Elle explique la condition d’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE), posée par l’Allemagne lors de son adhésion à l’euro et au traité de Maastricht. Certes, la réévaluation forte de l’euro peut susciter des inquiétudes mais ces fluctuations d’unité d’échange ont toujours existé. Aujourd’hui, l’euro représente une devise de réserve, utilisée pour de nombreuses transactions comme l’achat de matière premières, ce dont les Européens peuvent être fiers. Si les positions de la BCE peuvent être critiquées, elle n’en doit pas moins rester indépendante. Il s’agit d’une condition essentielle posée par l’Allemagne, qui est au cœur de l’accord politique, trouvé à l’époque, entre les partenaires de l’Union européenne.

S’agissant des relations avec la Russie, le secrétaire d’Etat a considéré que l’exercice était compliqué mais que ce pays constituait un partenaire stratégique pour la paix et la stabilité en Europe. Pendant longtemps, la Russie a été confrontée à d’importantes difficultés économiques et financières mais, aujourd’hui, elle entend reconquérir son rang de puissance. Son attitude vis-à-vis de l’Estonie l’année dernière ou la suspension des activités du British Council à Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg montrent que cette politique peut être à l’origine de fortes tensions. Dans ce contexte, l’Europe doit parler d’une seule voix et rester ferme vis-à-vis de la Russie. Dans le même temps, elle doit veiller à préserver le dialogue avec ce partenaire stratégique pour la paix et la sécurité sur le continent.

Au-delà de cette question importante des relations entre l’Union européenne et la Russie, M. Daniel Garrigue s’est interrogé sur le cadre dans lequel le projet américain de défense anti-missiles devait être traité : s’agit-il d’une question qui ne concerne que les Américains ou qui doit être abordée au sein de l’OTAN ou encore dans le cadre de la politique européenne de défense ? Puis, il a évoqué la question des fonds souverains. A l’heure où les activités de ces fonds sont au cœur des préoccupations de nombreux dirigeants européens – dont la Chancelière allemande Angela Merkel –, comment l’Union européenne peut-elle s’organiser pour les contrôler ? Compte tenu du défi que ces fonds représentent, quels instruments pourraient être envisagés à l’échelle européenne ?

Reconnaissant que les fonds souverains sont aujourd’hui très puissants, M. Reinhard Silberberg a estimé qu’ils représentaient effectivement un défi non seulement pour les économies nationales, mais également pour l’économie européenne. Toutefois, ces fonds sont de nature très différente. A titre d’exemple, il existe un fonds norvégien, alimenté par les revenus pétroliers du pays, qui investit dans le secteur de la construction automobile en Allemagne. Dans ce cas, un fonds souverain peut représenter une opportunité. En revanche, tel n’est pas le cas d’un fonds qui investirait dans les mêmes conditions pour procéder à des transferts de technologie illégaux. Un autre exemple est celui des fonds provenant des Emirats arabes unis. Parce qu’ils ne sont pas soupçonnés de transferts illicites de technologie, ils sont accueillis favorablement. Pourtant, les Etats-Unis ont réagi de manière très négative au projet de gestion de leurs ports par ces fonds. Il convient donc de rester attentif, tout en faisant la part des choses, c’est-à-dire en privilégiant une approche du cas par cas.

En ce qui concerne le projet américain de défense anti-missiles, il a indiqué qu’il s’agissait d’un projet propre aux Etats-Unis. Si des négociations ont été engagées avec certains pays, comme la République tchèque ou la Pologne, il n’en reste pas moins indispensable que ce projet fasse l’objet d’une concertation au sein de l’OTAN. La mise en place de ce système de défense doit être discutée dans cette enceinte et non faire l’objet de décisions individuelles. Cette dernière approche menace, en effet, un des principes essentiels de l’OTAN qui est celui de l’absence de zones de sécurité différenciées : si le système de défense anti-missiles proposé par les Etats-Unis était mis en place, les pays du sud de l’Europe formant un arc entre la Turquie et l’Espagne ne seraient pas protégés. Il faudrait donc réfléchir, au sein de l’OTAN, à la création d’un système complémentaire permettant de maintenir le même niveau de protection pour tous les Etats. Une démarche reposant sur le dialogue et la coopération avec la Russie est la seule option viable, ce qui a été plaidé auprès des Etats-Unis, l’année dernière. Malheureusement, les prochaines élections américaines et russes viennent aujourd’hui freiner ce processus qui doit absolument être préservé à l’avenir.

Manifestant sa perplexité sur cette position vis-à-vis de l’OTAN, M. Jacques Myard a, par ailleurs, estimé que les grandes crises économiques de nature systémique avaient été le résultat de l’indépendance des banques centrales, qui manquaient de vision à long terme. Au-delà de cet aspect, il a souhaité connaître la position de l’Allemagne sur la conduite de la politique industrielle au niveau européen.

En désaccord avec le jugement exprimé au sujet du rôle des banques centrales en cas de crise, M. Reinhard Silberberg a jugé que la France et l’Allemagne avaient un intérêt commun à l’existence d’une politique industrielle à l’échelle européenne, afin notamment de ne pas réduire leur économie à une simple économie de services. Dans ces conditions, on ne peut qu’être favorable à une coopération franco-allemande en matière industrielle, fondée, naturellement, sur une relation équilibrée.

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Turquie : accord sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

La commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Michel Ferrand, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 518).

M. Jean-Michel Ferrand, rapporteur, a indiqué que l’accord entre la France et la Turquie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements venait compléter la liste des 91 accords bilatéraux de cette nature déjà ratifiés par la France.

Si cet accord emprunte très largement aux modèles précédents, il se distingue par la portée singulière que lui confèrent les relations entre la France et la Turquie, dominées par la candidature turque à l’Union européenne.

Alors que les différends politiques émaillent l’histoire récente de la relation franco-turque, les liens économiques et commerciaux entre les deux pays sont particulièrement fructueux.

En confortant le dynamisme des échanges, l’accord, signé à Ankara le 15 juin 2006, témoigne de la volonté commune de surmonter les obstacles, qu’ils soient économiques ou politiques.

La reconnaissance par la France du génocide arménien puis le vote par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi pénalisant la négation de celui-ci ont compromis à deux reprises les relations entre la France et la Turquie. Aujourd’hui les deux pays travaillent à dépasser leurs divergences et à construire une relation forte.

La rencontre entre le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, à New York, le 24 septembre dernier, ainsi que les visites effectuées par le ministre des affaires étrangères et le ministre des affaires européennes témoignent d’une volonté commune de relance d’une relation bilatérale apaisée.

Cependant, la question européenne continue de diviser les deux pays. Le président de la République s’oppose ainsi à l’adhésion turque à l’Union européenne préférant la formule de l’association. La proposition française d’un groupe de sages européens, chargé notamment de réfléchir aux frontières de l’Union européenne a été retenue par le Conseil européen en décembre denier. Dans l’attente des conclusions du « groupe de réflexion horizon 2020-2030 », les négociations d’adhésion se poursuivent.

Le dernier rapport de suivi de la Commission européenne concernant la Turquie, rendu public le 6 novembre dernier, fait état de timides avancées et souligne les lacunes notamment en matière de liberté d’expression, d’influence de l’armée sur la politique et de droit des minorités. Si la Commission salue la gestion de la crise politique majeure qu’a connue la Turquie, elle regrette le ralentissement des réformes.

Tout en déplorant des progrès limités, les ministres européens des affaires étrangères se sont félicités, lors du Conseil du 10 décembre dernier, de l’engagement du gouvernement turc en faveur de la poursuite des réformes. Ils ont également appelé la Turquie à œuvrer en faveur de relations de bon voisinage.

Deux nouveaux chapitres (Santé et protection des consommateurs ; réseaux transeuropéens de trans-ports) ont été ouverts. Pour mémoire, huit des 33 chapitres de la négociation sont bloqués depuis décembre 2006 en raison du non-respect par la Turquie de ses obligations au titre du protocole d’Ankara sur l’extension de l’Union douanière à Chypre.

La mise en œuvre de l’Union douanière entre l’Union européenne et la Turquie depuis le 1er janvier 1996, a d’ores et déjà permis d’intensifier les relations économiques. La France en a été l’un des principaux bénéficiaires. Les échanges commerciaux ont ainsi été multipliés par cinq en dix ans pour atteindre dix milliards d’euros. En 2006, avec une part de marché proche de 5 %, la France est le cinquième fournisseur de la Turquie tandis que la Turquie représente pour la France le cinquième débouché hors Union européenne.

Les investissements français en Turquie ont fortement progressé en l’espace de quinze ans. Le nombre d’entreprises françaises implantées est ainsi passé de 15 en 1985 à près de 250, employant 45 000 personnes. Les investissements directs (IDE) représentent plus de trois milliards en stock, faisant de la France le quatrième investisseur étranger en Turquie.

Afin de développer des échanges prometteurs, l’environnement pour les investisseurs doit être amélioré en offrant des garanties juridiques aux deux parties. C’est l’objet de l’accord visant à encourager les investissements réciproques.

L’accord, signé à Ankara le 15 juin 2006, s’inscrit ainsi dans la continuité des 91 accords d’encouragement et de protection des investissements (API) précédemment ratifiés par la France. 22 Etats membres de l’Union européenne ont d’ores et déjà signé avec la Turquie un accord de cette nature. L’API entre la France et la Turquie reprend donc les clauses qui caractérisent ce type d’accord. Il comporte néanmoins deux stipulations spécifiques faisant l’objet d’un protocole qui lui est adjoint.

Dès son préambule, l’accord rappelle son double objectif : renforcer la coopération économique entre les parties et créer des conditions favorables aux investissements réciproques.

L’article 3 pose les principes généraux d’admission et d’encouragement par une partie des investissements effectués par les investisseurs de l’autre partie :

– les investissements de l’autre partie bénéficient d’un traitement « juste et équitable » ;

– les investisseurs ne peuvent être traités moins favorablement que ceux de l’Etat où il investit, ou moins favorablement que les investisseurs de la nation la plus favorisée, si le traitement réservé à ceux-ci est plus favorable ;

– chaque partie examine avec bienveillance les demandes d’entrée et d’autorisation de séjour, de circulation ou de travail sur son territoire de nationaux de l’autre partie, dans le cadre d’un investissement.

En vertu de l’article 4, l’Etat partie dans lequel l’investissement est réalisé assure la protection et la sécurité pleine et entière de celui-ci. Les mesures d’expropriation ou de nationalisation sont prohibées sauf pour cause d’utilité publique. L’expropriation éventuelle donne lieu au paiement d’une indemnité « prompte et adéquate ».

L’article 5 garantit le libre transfert des diverses formes de revenus que peut produire l’investissement, sauf circonstances exceptionnelles exigeant des mesures de sauvegarde, ces dernières étant limitées à une durée de six mois.

Le mode de règlement des conflits prévu par le présent accord dépend de la nature des différends.

Dans le cas de différends opposant un investisseur et une partie contractante (article 8), en l’absence de règlement à l’amiable dans un délai de six mois, l’investisseur concerné peut soit saisir la juridiction judiciaire ou administrative compétente dans le pays où l’investissement a été réalisé, soit soumettre le différend à l’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).

Pour les différends opposant les parties contractantes sur l’interprétation ou l’application de l’accord, en cas d’échec de la voie diplomatique après 6 mois, le différend peut être soumis à un tribunal d’arbitrage.

Le protocole, adjoint au présent accord, rappelle que les autorités turques ont, par déclaration en date du 3 mars 1989, soustrait à la compétence de la CIRDI les différends relatifs aux droits de propriété et aux droits réels sur les biens immobiliers. Ces derniers demeurent de la compétence exclusive des tribunaux turcs. En revanche, tous les autres différends découlant des activités d’investissement direct peuvent être soumis à la CIRDI.

En conclusion, cet accord, de facture très classique, qui contribue à renforcer les liens entre la France et la Turquie et à dépasser nos divergences politiques.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 518).

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Information relative à la commission

Au cours de sa séance du mardi 22 janvier 2008, la commission a nommé M. Claude Birraux, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’organisation internationale ITER pour l’énergie de fusion relatif au siège de l’organisation ITER et aux privilèges et immunités de l’organisation ITER sur le territoire français (n° 153 Sénat).

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