Ratification du traité de Lisbonne
La commission a examiné, sur le rapport de M. Hervé de Charette, le projet de loi, autorisant la ratification du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne, le traité instituant la Communauté européenne et certains actes connexes (n° 690).
M. Hervé de Charette, rapporteur, a indiqué que l’adoption le 4 février dernier de la révision constitutionnelle par le Congrès réuni à Versailles ouvrait la voie à la ratification parlementaire du traité de Lisbonne. Le projet de loi autorisant la ratification du traité a été soumis ce matin au Conseil des ministres, et déposé aussitôt à l’Assemblée nationale qui en débattra ce soir même en séance publique, après son examen par la commission des affaires étrangères. Le Sénat examinera à son tour le projet de loi dès son adoption par l’Assemblée nationale afin d’en achever l’examen avant la suspension des travaux parlementaires liée à la campagne pour les élections municipales. Le rapporteur a regretté cette précipitation tout en jugeant compréhensible la volonté de ratifier ce traité dans les meilleurs délais.
Depuis sa signature le 13 décembre 2007, le traité de Lisbonne a fait l’objet de nombreux commentaires et plusieurs documents d’information ont été publiés tant par le Parlement que par divers think tank et organisations issues de la société civile. Afin de ne pas dupliquer ces travaux, il a indiqué vouloir insister sur quatre points essentiels :
– Premièrement, le traité de Lisbonne réforme profondément le fonctionnement des institutions européennes. Il met un terme à dix années de tentatives infructueuses de réforme des institutions de l’Union. Il apporte des réponses plutôt convaincantes au déficit démocratique de l’Union, à la confusion de ses institutions, à l’inertie décisionnelle et au manque de leadership européen.
Sur le plan de la démocratie européenne, le traité de Lisbonne fait du Parlement européen le grand gagnant de la réforme institutionnelle. L’Assemblée de Strasbourg devient le co-législateur de l’Union, de plein exercice, sur un pied d’égalité avec le Conseil. Son rôle politique est renforcé et ses pouvoirs budgétaires étendus. Le renforcement du rôle du Parlement européen va de pair avec l’approfondissement de la citoyenneté européenne qui trouvera de nouveaux moyens d’expression, en particulier à travers le droit d’initiative populaire qui permettra à au moins un million de citoyens de l’Union de demander à la Commission de prendre une initiative législative sur un sujet donné. Les droits des citoyens européens seront également mieux protégés grâce à la reconnaissance d’une valeur juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux.
Davantage de démocratie en Europe passe également par une meilleure association des parlements nationaux à la construction européenne. Les nouveaux pouvoirs qui leur sont reconnus sont considérables et représentent un progrès remarquable s’agissant du contrôle du respect du principe de subsidiarité. Il faudra toutefois veiller à ne pas limiter le rôle des parlementaires nationaux au seul pouvoir de dire « non » aux initiatives et aux actions de l’Union ; il s’agira en effet de les associer également aux grandes réformes politiques dont l’Europe a besoin.
Le traité de Lisbonne apporte aussi une réponse à la confusion des institutions. Pour la première fois, une liste des institutions est établie dans le traité, qui précise clairement les attributions de chacune d’entre elles. Le Conseil européen acquiert le statut d’institution, comme la Banque centrale européenne. L’obligation de coopération loyale qui lie les institutions les unes aux autres pourrait inciter davantage au dialogue entre le Conseil (l’Eurogroupe) et la BCE.
La clarification de la répartition des compétences entre l’Union européenne et les Etats membres ainsi que la simplification des procédures législatives doivent également contribuer à remettre de l’ordre dans les relations entre l’Union et les Etats membres. Ces relations doivent s’articuler autour de trois principes directeurs que sont les principes d’attribution, de subsidiarité et de proportionnalité.
Le traité de Lisbonne répond également à l’inertie décisionnelle. La principale réforme est celle de la nouvelle règle de majorité qualifiée, à savoir 55 % des Etats représentant 65 % de la population. C’est probablement la disposition qui a été la plus difficile à faire adopter en raison de l’opposition de la Pologne, qui perd en influence par rapport au système actuel de pondération des voix.
Si cette nouvelle règle a finalement été acceptée par tous, son entrée en vigueur est différée au 1er novembre 2014, voire au 1er avril 2017. En effet, entre 2014 et 2017, n’importe quel Etat pourra demander, sur un sujet donné, à revenir à la règle de la pondération des voix. Qui plus est, le « compromis de Ioanina » a été réactivé : il signifie que si l’on est proche de la minorité de blocage, il faut différer le vote pour tenter de trouver, dans un « délai raisonnable » une solution qui convienne au plus grand nombre.
Malgré ces aménagements, la capacité décisionnelle de l’Union se trouvera sensiblement améliorée par cette nouvelle règle de majorité qualifiée que le traité de Lisbonne étend à une cinquantaine de nouveaux domaines.
Le traité de Lisbonne ouvre enfin la voie au renforcement du leadership européen, à travers deux changements essentiels : d’une part, l’instauration d’une présidence stable du Conseil européen pour une durée de 2 ans et demi renouvelable une fois ; et d’autre part, la création d’un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (que la Constitution européenne appelait ministre des affaires étrangères) qui appartiendra au Conseil tout en étant simultanément vice-président de la Commission européenne. Voici donc deux nouveaux visages qui contribueront à incarner l’Union tant sur la scène intérieure qu’à l’échelon international.
Le rapporteur a toutefois indiqué qu’il faudra clarifier la répartition des rôles entre les futurs dirigeants de l’Union que seront le Président du Conseil européen, le Président de la Commission, le Haut Représentant et aussi le dirigeant du pays en exercice de la présidence tournante de l’Union qui elle, subsiste.
– Deuxièmement, le traité de Lisbonne, tout en reprenant il est vrai l’essentiel du traité constitutionnel, tient compte des critiques adressées à la Constitution européenne. Cela se traduit par plusieurs changements, à commencer par l’abandon de la démarche constitutionnelle, qui signe le retour à la méthode traditionnelle de révision des traités. C’est ainsi que le traité de Lisbonne n’abroge pas les traités précédents mais se limite à les amender. Mais les 295 amendements apportés par le traité de Lisbonne sont pour la plupart incompréhensibles s’ils ne sont pas mis en regard avec le texte des traités qu’ils modifient. Le rapporteur a alors salué la publication de deux documents parlementaire : l’un réalisé par la commission des affaires étrangères, qui présente la version consolidée des traités européens tels que modifiés par le traité de Lisbonne, et l’autre par la Délégation pour l’Union européenne, qui propose un tableau comparatif du traité de Lisbonne au regard des traités actuels.
L’abandon de la démarche constitutionnelle entraîne l’abandon de la structure en quatre parties de la Constitution européenne. Quant au vocabulaire juridique d’inspiration constitutionnelle (lois européennes, ministre européen des affaires étrangères), il est également supprimé. Les symboles de l’Union ne figurent plus dans le traité, ce qui est regrettable. Seize Etats membres ont toutefois signé une déclaration commune par laquelle ils s’estiment liés par ces symboles ; le rapporteur a souhaité que le Gouvernement français signe à son tour cette déclaration. Il a indiqué pour sa part avoir ouvert un appel sur le site internet Facebook « pour faire vivre les symboles de l’Union européenne ».
Un autre retrait est celui de la « concurrence libre et non faussée » qui disparaît de la liste des objectifs de l’Union. La concurrence n’est en effet qu’un simple instrument et non une fin en soi. Il est tout à fait normal de ne pas faire de la concurrence un principe supérieur à d’autres principes tels que, par exemple, la cohésion sociale et territoriale.
Si le traité de Lisbonne se traduit par des retraits par rapport à la Constitution européenne, il comporte aussi des ajouts parmi lesquels le rapporteur a mentionné une clause consacrée à la lutte contre le changement climatique, l’affirmation de la solidarité énergétique entre les Etats membres ainsi qu’un nouveau protocole sur les services d’intérêt général (ce qui correspond, en droit français, aux services publics industriels et commerciaux).
– Troisièmement, le rapporteur a estimé qu’il ne fallait pas sous-estimer les faiblesses d’un traité à géométrie variable. Le traité de Lisbonne résulte en effet d’un compromis négocié à 27 Etats membres. Un accord politique unanime n’a été possible qu’au prix d’un certain nombre de concessions qui se traduisent par l’adoption d’un traité à géométrie variable, tant dans le temps que dans l’espace. Evoquant une géométrie variable dans le temps, le rapporteur a identifié trois catégories de dispositions dans le traité de Lisbonne :
Tout d’abord, celles qui consistent à formaliser une pratique institutionnelle : il a mentionné l’obligation faite au Conseil de siéger en public, la consécration d’une présidence stable de l’Eurogroupe occupée depuis 2005 par le Premier ministre luxembourgeois M. Jean-Claude Juncker, la formalisation du cadre financier pluriannuel qui existe en pratique depuis 1988, la transmission directe aux parlements nationaux de documents législatifs et de consultation que la Commission européenne effectue de façon informelle depuis bientôt un an et demi.
Ensuite, celles dont l’application est différée à une date ultérieure à celle de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : il s’agit essentiellement des nouvelles règles de composition de la Commission européenne et de définition de la majorité qualifiée qui ne seront applicables, au mieux, qu’en 2014.
Enfin, les dispositions dont la mise en oeuvre dépendra du bon vouloir des Etats membres : il a notamment fait référence à l’activation des « clauses passerelles » qui permettront de faire passer un domaine de l’unanimité à la majorité qualifiée et / ou d’une procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire.
A la géométrie variable dans le temps, s’ajoute également une géométrie variable dans l’espace. Celle-ci prend différentes formes : il peut s’agir d’une part des clauses d’ « opting-out » dont bénéficient certains Etats membres (le Danemark, le Royaume-Uni et la Pologne) et d’autre part de la faculté ouverte aux pays qui le souhaitent d’approfondir à quelques uns leur coopération sur un sujet donné, à travers les coopérations renforcées et, en matière de politique de défense, ce que le traité appelle la « coopération structurée permanente ».
– Quatrièmement, il faut désormais préparer l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les Chefs d’Etat ou de Gouvernement ont fixé au 1er janvier 2009 la date d’entrée en vigueur du nouveau traité, à condition toutefois qu’il ait d’ici là été ratifié à l’unanimité des Etats membres.
Le processus de ratification a commencé immédiatement après la signature du traité à Lisbonne. Le Parlement hongrois a été le premier à autoriser la ratification du traité, le 17 décembre dernier. Depuis, les parlements maltais, slovène et roumain se sont également prononcés en faveur du traité de Lisbonne.
La voie parlementaire a été choisie dans 26 des 27 Etats membres. L’Irlande est en effet le seul pays, pour des raisons constitutionnelles, à organiser un référendum. Il semble se confirmer que la quasi-totalité des pays pourraient avoir achevé leur procédure de ratification d’ici à la fin du premier semestre 2008, soit avant le début de la présidence française de l’Union européenne qui s’ouvrira le 1er juillet prochain. C’est en effet à la France qu’il reviendra de négocier les décisions préparatoires à la mise en œuvre du traité. Le rapporteur en a dénombré près d’une quarantaine, qui vont de la désignation des personnalités appelées à occuper les nouvelles fonction de Président du Conseil européen et de Haut Représentant pour les affaires étrangères, à la décision établissant la liste des formations du Conseil en passant par les modalités de mise en œuvre du nouveau droit d’initiative citoyenne et par la décision instaurant le futur service européen d’action extérieure.
En conclusion, le rapporteur a souligné que le traité de Lisbonne – comme les traités précédents – n’était qu’un instrument, seulement un instrument. Des compétences et des objectifs ne suffisent pas à faire des politiques. Ce traité comporte d’incontestables avancées qui doivent contribuer au développement d’une vie politique européenne et permettre une meilleure incarnation du pouvoir européen. En ratifiant ce traité, la France et les Français doivent tourner la page des divisions provoquées par la Constitution européenne. Le temps est venu de se rassembler car ce traité permet à l’Europe de sortir par le haut de la crise dans laquelle elle était plongée depuis bientôt trois ans.
Mais au-delà du traité de Lisbonne, rien ne sera vraiment possible sans volonté politique commune et il nous faut maintenant apporter des réponses à des questions fondamentales pour l’avenir de l’Union, à commencer par celle des frontières de l’Europe.
M. Pierre Lequiller a relevé un paradoxe: les dispositions du traité relatives à la majorité qualifiée sont aujourd’hui moins favorables à la France que celles de la Constitution européenne alors même que cette question était l’un des arguments des opposants au traité constitutionnel.
Après avoir indiqué s’être joint à l’appel lancé pour que le Gouvernement signe la déclaration sur les symboles européens annexée au traité de Lisbonne, il s’est félicité que ce nouveau traité pérennise la méthode conventionnelle pour les révisions futures des traités européens.
M. François Rochebloine, à son tour, a regretté le report de l’application de la nouvelle règle de majorité qualifiée avant de demander quelles seraient les conséquences d’un rejet du traité par l’Irlande, seul pays de l’Union où la ratification doit intervenir par voie référendaire.
M. Hervé de Charrette, rapporteur, a observé que les modalités, complexes et étalées dans le temps, d’application de la règle de majorité qualifiée ne permettaient pas d’exclure leur remise en cause. De même, la règle de composition de la Commission pourra, à tout moment, être modifiée par une décision du Conseil européen statuant à l’unanimité.
En réponse à M. Pierre Lequiller, il a salué les mérites de la méthode conventionnelle qui a déjà fait ses preuves à deux reprises : pour l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union et pour la rédaction du traité constitutionnel. L’expérience montre que la conférence intergouvernementale exacerbe les difficultés plutôt que de les aplanir tandis que la convention permet de parvenir à des solutions consensuelles.
Un éventuel refus irlandais de ratifier le traité n’empêcherait pas son application mais pourrait la retarder. L’exemple du rejet danois du traité de Maastricht indique que des concessions limitées peuvent être accordées pour permettre à un pays réfractaire d’obtenir l’approbation de ses citoyens sur un texte nouveau. Cette hypothèse ne pouvait pas être envisagée pour la France en raison de la place particulière que celle-ci occupe dans la construction européenne.
M. Jacques Myard a fait part de son désaccord avec le rapporteur sur l’avancée que représente ce traité pour l’Europe. D’une part, ce traité ne rend pas service à l’Europe ; d’autre part, l’Union européenne qui en résulte ne correspond plus à l’état du monde. Il a enfin précisé que si l’Irlande ne ratifiait pas le traité, celui-ci ne pourrait entrer en vigueur en l’absence d’unanimité.
M. Marc Dolez a déploré les conditions d’examen du traité, faisant valoir que le choix contestable de la voie parlementaire pour la ratification ne pouvait s’accommoder d’une procédure précipitée justifiée par le calendrier des travaux parlementaires. A cet égard, il a estimé que les six semaines de suspension des travaux parlementaires pour cause d’élections locales non seulement ne contribuaient pas à la revalorisation du rôle du Parlement mais constituaient aussi un encouragement au cumul des mandats.
Il a ensuite souligné que, le traité reprenant l’essentiel des dispositions de la Constitution européenne, les raisons de s’y opposer demeuraient :
– Les réponses au déficit démocratique restent insuffisantes : la Commission conserve un rôle prépondérant ; le droit d’initiative populaire est limité ; le vote à l’unanimité est maintenu sur les questions essentielles de l’harmonisation fiscale ou sociale.
– Les critiques émises par le peuple français sont très partiellement prises en compte : si la référence à la « concurrence libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l’Union mentionnés à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, la logique de concurrence inspire de nombreuses dispositions du traité et fait l’objet d’un protocole; si le terme de Constitution disparaît, la primauté des traités et du droit communautaire est réaffirmée par la déclaration n° 17 ; en dépit de quelques améliorations, le sort réservé aux services économiques d’intérêt général est préoccupant, à l’instar du mortifère article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
En conclusion, M. Marc Dolez a indiqué qu’il confirmerait le vote émis par les Français en mai 2005, en s’opposant à ce traité.
Le président Axel Poniatowski a indiqué qu’il était d’accord avec M. Marc Dolez aussi bien sur le caractère précipité du débat sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne que sur la longueur excessive de la suspension des travaux préalable aux élections municipales, qui aurait en effet pu être limitée à deux semaines.
M. Hervé de Charette, rapporteur, a précisé qu’il était initialement prévu que le débat sur le projet de loi se déroule entièrement ce soir et cette nuit. Ayant encore en mémoire les conditions dans lesquelles avait été autorisée la ratification du traité élargissant l’Union européenne à dix nouveaux membres, en pleine nuit et en catimini, il avait obtenu que le débat sur le présent projet se prolonge demain matin. Il faut néanmoins reconnaître que le débat sur le traité de Lisbonne a commencé depuis plusieurs semaines à l’occasion de la révision de la Constitution.
Contrairement à la thèse présentée par M. Jacques Myard, le rapporteur a indiqué qu’il défendait une ambition européenne fondée sur un partage de certaines responsabilités mises en commun. Il est vrai que le traité de Lisbonne reprend sous une autre forme l’essentiel des stipulations du traité constitutionnel et qu’il est regrettable d’avoir dû renoncer à certains éléments de celui-ci. Comme l’a dit M. François Bayrou, le traité de Lisbonne c’est « le traité constitutionnel sans l’élan », mais il comporte aussi un certain nombre d’avancées.
Comme M. Marc Dolez l’a souligné, la Commission européenne conservera des compétences importantes au sein des institutions européennes. Il faut rappeler qu’elle a joué un rôle considérable depuis le début de la construction européenne : la création d’un tel organe constituait une innovation qui, malgré beaucoup de critiques, a permis l’essentiel des progrès accomplis. La Commission européenne s’est, il est vrai, peu à peu considérée comme dotée d’une autorité politique qu’elle ne détenait pas. Le traité de Lisbonne la remet à sa juste place – mais à son entière place – en rendant clairement le pouvoir politique au Parlement et au Conseil européen, qui sont tous les deux revalorisés.
La majorité qualifiée continuera à ne s’appliquer qu’à certains domaines. Le rapporteur a estimé qu’il fallait continuer à étendre ces domaines, surtout si l’Union s’élargit encore. En fait, le Conseil ne procède que très rarement à des votes formels mais l’éventualité d’un recours au vote établit le rapport de forces politique au cours de la négociation.
Il est vrai que certaines des critiques formulées à l’encontre du traité constitutionnel ont été prises en compte dans la négociation du traité de Lisbonne mais il est difficile de dire que tous les reproches adressés au traité constitutionnel sont devenus sans fondement dans la mesure où on ne sait pas très exactement ce qui a motivé les votes négatifs aux référendums français et néerlandais. La rédaction de l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne correspond parfaitement aux besoins d’un service public à caractère économique et commercial qui doit respecter les règles du marché tout en bénéficiant de prérogatives particulières.
M. François Loncle a remercié le rapporteur pour la qualité de sa présentation et a salué son honnêteté intellectuelle. Son rapport présenté à la commission souligne en effet les limites du traité modificatif, par rapport aux ambitions des forces politiques les plus favorables à l’intégration européenne, mais également par rapport au traité constitutionnel. Ces reculs sont principalement dus aux réticences britanniques, élément dont il fera tenir compte lorsqu’il s’agira de choisir le futur Président du Conseil européen.
S’exprimant au nom du groupe Socialiste, Radical et Citoyen, M. François Loncle a rappelé que les membres de son groupe avaient, à l’unanimité, insisté sur le fait qu’il eût fallu procéder à un référendum pour ratifier le traité modificatif. L’organisation d’un référendum en 2005 sur la Constitution européenne impose en effet la tenue d’un nouveau référendum sur un texte très proche du traité constitutionnel, aux dires du Président Valéry Giscard d’Estaing et du rapporteur de la commission.
Dès lors, il est apparu logique et cohérent de déposer une motion référendaire sur ce texte.
Mme Nicole Ameline a souligné que le rapport présenté devant la commission rendait justice à un texte qui réalise un équilibre intelligent entre la réponse aux inquiétudes exprimées par les Français en 2005, et la reprise des dispositions les plus consensuelles du traité constitutionnel. Il est faux de dire qu’il n’a pas été tenu compte des débats de 2005. Le traité de Lisbonne ne préjuge pas des débats qui devraient nécessairement avoir lieu sur l’avenir du projet politique européen.
Malgré tout, les nombreuses dérogations auxquelles le nouveau traité a donné lieu semblent freiner l’Europe sur la voie de son unité. Comment sera-t-il possible de les limiter à l’avenir ?
M. Jean-Marc Roubaud a félicité le rapporteur pour la lucidité dont celui-ci a fait preuve dans son analyse de la situation actuelle. De nombreuses critiques continuent en effet d’être portées à l’encontre de l’Union européenne, à la fois par les citoyens mais également par les responsables politiques des différents Etats membres. En l’absence de ratification du traité modificatif, seuls les éléments négatifs continueraient à être soulignés. Il convient donc de changer les comportements de chacun vis-à-vis de l’Europe.
Par ailleurs, le choix de demander au Parlement d’autoriser la ratification du traité modificatif ne devrait pas poser de problème de légitimité. La Constitution française rappelle que, si le peuple est le seul détenteur de la souveraineté, il l’exerce par la voie de ses représentants élus. Il serait étonnant de remettre cette situation en cause, particulièrement au moment où le renforcement des pouvoirs du Parlement est demandé. De plus, le traité modificatif, qui comporte plus de trois cents amendements aux traités existants, est un texte si complexe qu’il risque de donner lieu à des erreurs d’interprétation chez certains citoyens. L’autorisation parlementaire de le ratifier s’impose donc, tant par pragmatisme que par logique et réalisme.
M. Hervé de Charrette, rapporteur, a rappelé que la motion référendaire permettait au Parlement de demander au Président de la République, seul décisionnaire en vertu de l’article 11 de la Constitution, d’organiser un référendum. Si cette démarche est tout à fait cohérente avec le souhait de demander au peuple de se prononcer sur le traité modificatif, elle rend toutefois illogique la décision préalable de voter contre la révision de la Constitution rendue nécessaire par la ratification de ce traité. En effet, en cas de rejet du projet de loi constitutionnelle, il n’y aurait alors eu aucune possibilité d’organiser un référendum sur le sujet.
Concernant les stipulations du traité permettant de ne pas associer tous les Etats membres à l’ensemble des politiques de l’Union, une distinction doit être opérée. Les clauses d’opting out sont une réelle prime aux moins disants, dont la présence au sein de l’Europe est toutefois nécessaire. Ainsi, la Grande-Bretagne et la Pologne ont profité sans retenue de la réouverture des débats, suite au rejet du traité constitutionnel, pour multiplier les demandes en ce sens. Dès lors, l’opting out apparaît comme l’hommage rendu au vice par la vertu. Toute autre doit être l’analyse portée sur le mécanisme des coopérations renforcées. Celles-ci permettent notamment d’intégrer dans l’acquis communautaire des projets menés à quelques uns en dehors de tout cadre institutionnel européen, suscitant une certaine méfiance de la part des Etats membres n’y participant pas. Le rapporteur a jugé regrettable que les traités d’Amsterdam, et de Nice et aujourd’hui de Lisbonne fixent des conditions si contraignantes à l’instauration de coopérations renforcées que celles-ci ont en réalité peu de chance de voir le jour. Le seul domaine dans lequel un mécanisme proche pourrait être effectivement utilisé est celui de la défense, avec les coopérations structurées permanentes.
Enfin, si les arguments plaidant en faveur d’une ratification parlementaire sont forts, ils doivent être réservés à la discussion portant sur la motion référendaire en séance publique.
A l’issue de cet échange de vues, le président Axel Poniatowski a remercié le rapporteur pour sa présentation très claire et très complète, à laquelle il a indiqué totalement souscrire. Puis il a souhaité apporter sa contribution personnelle au débat.
Constatant que l’Europe est depuis maintenant plus de dix ans centrée sur sa réforme institutionnelle, il a estimé que le débat institutionnel avait suffisamment duré et que le traité de Lisbonne permettait enfin d’en sortir. Les changements proposés, comme cela a été exposé par le rapporteur, réforment durablement le fonctionnement des institutions de l’Union élargie. Les évolutions institutionnelles correspondent à ce que la France a toujours demandé. Il serait paradoxal de les rejeter. Le Président Axel Poniatowski a notamment évoqué l’instauration d’un président stable du Conseil européen, qui trouve d’ailleurs son origine, il ne faut pas l’oublier, dans la proposition formulée par MM. Blair, Aznar et Chirac en 2002.
Il a également mentionné la nouvelle règle de majorité qualifiée qui prend mieux en compte le critère démographique. Comparé au mécanisme de pondération de voix du traité de Nice, ce nouveau système avantage les pays les plus peuplés de l’Union, et donc la France qui pèsera davantage dans le processus décisionnel.
Puis il a souhaité que l’on sorte d’un débat franco-français sur le traité de Lisbonne pour écouter ce que nous disent nos partenaires européens. Il a rappelé que dix-huit d’entre eux avaient ratifié la Constitution européenne et ont, malgré cela, accepté de négocier un nouveau traité et de recommencer à zéro leur procédure de ratification. Nous avons certes une responsabilité à l’égard du peuple français qui a voté non le 29 mai 2005, mais nous avons également notre part de responsabilité à l’égard des peuples de l’Union qui avaient approuvé la Constitution européenne.
Le traité de Lisbonne représente un équilibre subtil qui doit nous permettre de nous rassembler. Les avancées institutionnelles sont préservées mais la démarche constitutionnelle est, elle, abandonnée. Il faut tourner la page de nos divisions car entretenir ces divisions ne mène à rien, si ce n’est à l’enlisement européen. Or cela, personne ne le souhaite. Les politiques européennes ne sont pas « gravées dans le marbre » comme cela avait été dit en 2005. Au contraire, il nous faut les imaginer à 27 en mettant davantage de politique dans la construction européenne.
Le Président Axel Poniatowski a considéré que la ratification du traité de Lisbonne ne nous exonérait pas de débats sur des questions fondamentales pour l’avenir de l’Europe et qu’un traité à lui seul ne peut pas régler. Ces questions concernent en particulier :
– la place de l’Union européenne dans la mondialisation, face aux grandes puissances émergentes que sont notamment la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie ;
– les frontières de l’Union : jusqu’où doit aller l’élargissement ? Quelle est l’alternative à l’élargissement sans fin de l’Union ? L’Europe à plusieurs vitesses est-elle inéluctable ?
– la réforme du budget européen : comment financer les nouvelles politiques de l’Union et avec quel argent remplir les objectifs ambitieux de la stratégie de Lisbonne ?
– l’identité européenne : la construction européenne a besoin d’une adhésion renouvelée des peuples, qui doivent s’approprier le projet européen. Il faut donner aux citoyens des raisons d’être fiers d’être Européens. A cet égard, il a regretté – à l’instar du rapporteur – que le traité de Lisbonne ne mentionne plus les symboles de l’Union qui contribuent à l’unité des peuples.
Evoquant la création par le Conseil européen de décembre dernier d’un groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe à l’horizon 2020-2030, dont la présidence a été confiée à l’ancien Premier ministre espagnol M. Felipe Gonzalez, le président Axel Poniatowski a souhaité que ce groupe puisse entendre ce que les parlementaires nationaux ont à dire sur l’avenir de l’Europe.
En conclusion, il a estimé que ratifier le traité de Lisbonne ne signifiait pas signer un chèque en blanc à l’Europe. Mais ne pas le ratifier, c’était en revanche la certitude que l’Union n’aura pas les moyens d’agir dans un monde qui, lui, n’attend pas l’Europe.
Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 690).
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