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Commission des affaires étrangères

Mardi 10 juin 2008

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 55

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Jacques Diouf, Directeur général de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)..

– Convention entre la France et l’Italie relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 893) – M. Claude Birraux, rapporteur.

Audition de M. Jacques Diouf, Directeur général de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Le Président Axel Poniatowski a souhaité la bienvenue à M. Jacques Diouf, directeur général de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et indiqué que la commission des affaires étrangères était d’autant plus intéressée par ses propos que, dans un contexte où la crise alimentaire mondiale est particulièrement préoccupante, des décisions importantes viennent d’être prises à l’issue du récent sommet de Rome.

M. Jacques Diouf, directeur général de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), s’est déclaré très sensible à l’honneur qui lui était fait de s’exprimer devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

Il a tout d’abord brièvement présenté la FAO. Celle-ci est une agence spécialisée des Nations Unies qui comprend 191 Etats membres – 190 pays auxquels s’ajoute l’Union européenne en raison notamment de sa politique agricole commune (PAC). Seuls trois pays n’en font pas encore partie : Singapour, Brunei et le Liechtenstein. Cette organisation a été créée en 1945 pour faire face en particulier à la malnutrition qui sévissait en Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale, puis après les déclarations d’indépendance elle a étendu son action aux pays en voie de développement.

La FAO a tout d’abord un rôle d’information auprès de tous les pays. Elle collecte, traite et diffuse les statistiques concernant la production animale, la pêche, l’aquaculture, les forêts, les terres arables, l’eau destinée à l’agriculture – 70 % de l’eau douce va à cet usage – les intrants. Elle réalise également à partir des tendances observées des projections de scénarios qui se dérouleraient si certaines des décisions n’étaient pas prises. Son site Internet reçoit jusqu’à quatre millions de connexions chaque mois.

Conjointement avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle organise par ailleurs la création des normes de qualité des produits alimentaires – à ce jour, deux cents ont été établies – qui protègent les consommateurs et constituent en outre une base permettant d’arbitrer en matière agricole les conflits commerciaux au niveau mondial. Ainsi le différend qui a opposé les Etats-Unis à l’Europe sur l’usage des hormones a été tranché sur la base de ces normes.

Elle favorise également le dialogue entre les différents États afin de parvenir à des accords internationaux sur l’utilisation des ressources naturelles. Le code de conduite en faveur d’une pêche responsable détermine par exemple les conditions dans lesquelles cette activité peut être pratiquée. Le traité international sur les ressources phyto-génétiques détermine ainsi les conditions d’échange du matériel génétique entre pays et reconnaît les droits des pays d’origine pour les gènes utilisés en vue de l’amélioration des espèces végétale ou animale. De surcroît, la FAO offre un cadre juridique pour la conservation des gènes au sein des grands centres internationaux de recherche agricole et des banques de gènes, par type d’aliment (pomme de terre, maïs…). Il en est de même s’agissant par exemple des pesticides ou des engrais.

Elle s’efforce, en outre, de lutter contre les déprédateurs et les maladies transfrontalières des animaux et des plantes : criquet pèlerin, fièvre aphteuse, vache folle, fièvre porcine africaine, fièvre de la vallée du Rift, maladie de Newcastle, rouille noire du blé, fièvre aviaire. Elle coordonne l’action des différents pays et mobilise des ressources auprès de ses partenaires afin de mettre en place des méthodes de lutte harmonisées.

Elle œuvre également à la préparation des politiques agricoles de certains États. La FAO a contribué par exemple à la préparation du programme de développement agricole de l’Afrique, approuvé en juillet 2003 à Maputo, ou des programmes sous-régionaux – Afrique, Caraïbes, pays du Pacifique, communautés économiques de la Mer noire ou de l’Asie centrale – dans lesquels l’accent a été mis plus spécialement sur la législation en matière phytosanitaire et zoo-sanitaire ainsi que sur les normes de qualité. Elle travaille, enfin, au renforcement des institutions chargées de l’application de ces règles, à la formation des cadres et à la mise en place d’équipements scientifiques. À la demande de 51 pays, elle a préparé les programmes nationaux de sécurité alimentaire pour l’Afrique.

Elle conçoit également des projets pilote en matière de formation – le programme spécial de sécurité alimentaire est ainsi opérationnel dans 101 pays afin d’aider au développement de techniques simples de maîtrise de l’eau, d’intensification des cultures ou de diversification des productions animales, de pêche et d’aquaculture. Ces programmes sont en voie d’achèvement et cèderont bientôt la place à des programmes nationaux de sécurité alimentaire qui s’inscriront dans le cadre d’une politique nationale agricole. À la demande spécifique de certains pays, la FAO intervient aussi sur des aspects ponctuels dans ces différents secteurs.

Elle propose aussi son assistance pour la mise en place de projets susceptibles de recevoir l’appui des institutions financières internationales, préparant 50% des projets agricoles de la Banque mondiale et 60% de ceux du Fonds international de développement agricole (FIDA).

Enfin, son programme d’urgence permet dans la plupart des cas de reconstruire les bases productives de certaines régions touchées par des catastrophes naturelles.

Si la FAO dispose de personnels à son siège, sa politique de décentralisation a permis de déployer sur le terrain, dans toutes les régions du monde, des équipes pluridisciplinaires, qui travaillent certes dans les domaines de l’agriculture, de la maîtrise de l’eau ou de la gestion des terres mais interviennent également en matière d’investissements.

Le Président Axel Poniatowski a remercié le Directeur général pour sa présentation et lui a posé plusieurs questions.

Afin de remédier à la crise alimentaire, la Banque mondiale a proposé une mobilisation des fonds souverains à hauteur de 1% des montants collectés. Cette proposition pourrait-elle trouver à s’appliquer et dans quels délais ?

Ne conviendrait-il pas, par ailleurs, de réorienter la politique agricole de l’Afrique en direction des cultures vivrières plutôt que d’encourager des spécialisations qui profitent souvent à de grandes sociétés internationales ?

Enfin, le développement des biocarburants ne contribue-t-il pas à faire augmenter le prix des denrées alimentaires ?

M. Jacques Diouf a estimé que l’une des raisons de la crise mondiale actuelle est que l’agriculture, depuis une vingtaine d’années, n’est plus considérée comme une priorité. La part de l’agriculture dans l’aide publique au développement (APD) est en effet passée de 17% en 1980 à 3% aujourd’hui. Les financements consacrés au développement agricole au sein des institutions internationales ont quant à eux baissé de façon drastique : la Banque mondiale ne leur consacre plus que 6% contre 30% au début des années 1980 et la Banque interaméricaine 0,8% contre 33% en 1979 ; le neuvième « Fonds européen de développement » (FED) ne consacre, pour sa part, que 6,5% de ses crédits à l’agriculture dans les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) où 60% de la population vit pourtant de l’agriculture. Il importe donc de faire en sorte que l’agriculture redevienne une priorité, comme ce fut le cas lors de la « révolution verte » qui a fait de pays comme l’Inde des pays exportateurs et permis à des Etats de sortir de la famine.

L’utilisation des fonds souverains dépend bien entendu de la décision de chaque État qui les détient. Pour l’heure, nous disposons du mécanisme de l’aide au développement (APD) avec comme objectif pour les pays donateurs – réalisé déjà par les pays scandinaves – d’y consacrer 0,7 % de leur PIB. Mais il faut, s’agissant de la répartition de cette APD, que l’agriculture soit privilégiée.

Alors que l’Afrique était un continent exportateur au début des années 1970, 30% de ses habitants sont aujourd’hui sous-alimentés. Outre que les investissements qui auraient été nécessaires n’ont pas été réalisés, l’Afrique continue à développer l’agriculture pluviale alors que 4% seulement des terres arables sont irriguées contre 38% en Asie. Par ailleurs, alors que le continent noir utilise seulement 3% des réserves en eau renouvelable, l’Asie en utilise près de 14%. Or, la « révolution verte » repose essentiellement sur l’agriculture irriguée. Son impact a donc été bien moindre en Afrique qu’en Asie.

Il est par ailleurs certain que l’agriculture vivrière doit redevenir une priorité. À cette fin, il faut investir d’abord dans les intrants (semences, engrais, aliments du bétail…) et les petits aménagements hydro-agricoles des villages.

Il ressort du sommet de Rome que chacun est d’accord pour dire que le doublement de la production alimentaire s’impose, car la population mondiale sera de neuf milliards en 2050, dont deux milliards d’Africains contre 900.000 actuellement : faute des investissements nécessaires, la tragédie des migrations ne pourra que se perpétuer. En outre, alors qu’il ne s’agissait pas d’un sommet de contributeurs, le déblocage de 6,5 milliards de dollars a été annoncé, l’ambassadeur des États-Unis ayant quant à lui assuré, le dernier jour du sommet, que son pays engagerait 5,5 milliards de dollars supplémentaires. Ces fonds proviennent essentiellement des institutions financières : 1,2 milliard de dollars de la Banque mondiale, 1,5 milliard de la Banque islamique et un milliard de la Banque africaine de développement ; la France débloquera quant à elle un milliard d’euros sur cinq ans et l’Espagne 750 millions de dollars. Il faut maintenant utiliser ces sommes pour réaliser des investissements concrets. Le prochain sommet du G8, en juillet, à Hokkaido, devrait être l’occasion de nouvelles avancées.

La politique en matière de biocarburants est par ailleurs fondamentale : quid des subventions, des droits de douanes, des niveaux tarifaires, de la nature importatrice ou exportatrice des pays, de l’eau et des terres disponibles par rapport aux productions alimentaires ? En 2006, 11 à 12 milliards de dollars de subventions ont été accordés au secteur céréalier, tandis que 100 millions de tonnes de céréales ont été sacrifiées aux biocarburants au détriment de la consommation humaine. Il s’agit d’un des facteurs expliquant la hausse de prix. D’autres facteurs y ont également contribué, dont la demande des pays émergents, un niveau de stocks très bas (405 millions de tonnes de céréales), le changement des habitudes alimentaires – on consomme aujourd’hui plus de lait et de viande dont la production nécessite pour un kilogramme sept à huit kilos de céréales –, la croissance de la population mondiale et l’impact du changement climatique.

M. Jean-Louis Christ a remercié le Directeur général pour avoir exposé le rôle de la FAO. Il a par ailleurs rappelé que cette dernière avait pour mission d’améliorer le niveau des nutritions, la productivité agricole et la qualité de vie des populations rurales mais aussi de contribuer à l’essor de l’économie mondiale. Or, la manière dont elle remplit sa mission a suscité des avis mitigés ou très critiques lors de la déclaration finale du sommet de Rome. Jean Ziegler a ainsi estimé qu’au sein de la FAO, les intérêts particuliers priment l’intérêt collectif. De fait, cette organisation qui emploie 3 500 personnes n’a su ni réduire ni prévenir la faim dans le monde.

M. Jacques Diouf a rappelé un autre propos de Jean Ziegler, selon lequel l’actuel Directeur général était le meilleur qu’ait jamais eu la FAO, avait averti le monde entier de ce qui se passait, mais n’avait pas été écouté… S’agissant de l’opposition entre intérêts particuliers et intérêt collectif, ce n’est pas la FAO qui a négocié le contenu de la déclaration finale du sommet de Rome, mais les États membres. A titre d’exemple, le représentant de l’Argentine a dit que son pays ne renoncerait pas aux droits que lui confère l’organisation mondiale du commerce (OMC), notamment celui de préserver le niveau des prix.

Certes, la FAO emploie 3 500 personnes, mais son budget, qui a baissé de 22% depuis 1994, est plus faible que celui de l’Office national des eaux et forêts français, que celui du ministère de l’agriculture de l’Afrique du sud, ou que les aides reçues par deux départements français au titre de la PAC. Le ministère de l’agriculture des États-Unis, lui, emploie 100 000 personnes. Comment la FAO pourrait-elle régler à elle seule les problèmes de développement agricole de 191 pays ? Les États membres ont finalement décidé d’augmenter le budget de la FAO de plus de 20%, soit la plus forte progression pour une organisation des Nations unies, à partir du mois de novembre, mais auraient-ils pris une telle décision si elle ne faisait pas son travail ? Il faut juger cette institution au regard des moyens qui lui sont donnés et des tâches qui sont confiées.

M. Marc Dolez a demandé, alors qu’à l’évidence la FAO ne dispose pas des moyens nécessaires au bon accomplissement de sa mission, à quel niveau il conviendrait de fixer ceux-ci pour que la déclaration finale du sommet de Rome, particulièrement volontariste, ne reste pas un vœu pieu. Il a également prié le Directeur général de donner son interprétation du point 9 de ladite déclaration : « Conscients du contenu des mesures précitées, nous soulignons l’importance qu’il y a à utiliser de façon effective et efficiente les ressources du système des Nations unies et des autres organisations internationales. » 

M. Jacques Diouf a répondu que les ressources dont la FAO a finalement pu disposer n’ont pas été à la hauteur pour financer les programmes qui avaient été définis. Il a souligné le courage politique du président Nicolas Sarkozy qui a déclaré que les Etats et les institutions chargées de financer le développement avaient commis une erreur historique en ne soutenant plus l’agriculture. Puis il a indiqué que la France avait la première annoncé le déblocage d’un milliard d’euros sur cinq ans pour soutenir le développement agricole dans les pays pauvres.

D’autres engagements financiers ont suivi au cours de cette réunion de haut niveau qui, de fait, s’est transformée en Sommet de chefs d’Etat ou de gouvernement. Mais c’est au cours du Sommet qui s’est tenu en 2002 qu’a été défini le programme de lutte contre la faim. Aujourd’hui, en valeur actualisée, 30 milliards de dollars seraient nécessaires chaque année pour faire face aux besoins, soit une somme bien faible en regard des 372 milliards dépensés annuellement par les pays de l’OCDE pour soutenir leur agriculture, des 120 milliards que leur coûtent les problèmes liés à l’obésité et des 1 204 milliards de dollars de dépenses d’armement.

S’agissant du point 9 de la déclaration finale, il convient bien entendu d’utiliser toutes les ressources du système des Nations unies : Banque mondiale, FMI, banques régionales.

M. François Rochebloine a demandé au Directeur général de bien vouloir revenir sur la question des biocarburants. Certains membres de la FNSEA, lors du sommet de Rome, ont en effet estimé que les biocarburants seraient responsables de la hausse des prix et donc, partiellement, de la crise alimentaire, tandis que d’autres ont affirmé qu’ils étaient indispensables au développement économique, social et territorial et constituaient l’un des meilleurs moyens de lutter contre le réchauffement climatique.

M. Christophe Caresche s’est interrogé sur la part de la spéculation dans la hausse des prix des denrées alimentaires. En effet, au-delà des nécessaires marchés à terme, des produits spéculatifs sont aujourd’hui proposés dans le domaine des denrées alimentaires ou des matières premières. Existe-t-il des moyens de contrer ce phénomène sur le plan international ?

M. Jacques Diouf a répondu que la hausse des prix était en partie due à des facteurs psychologiques, notamment à des anticipations qui ont conduit certains acteurs à constituer des stocks ou certains Etats à bloquer la sortie de leurs productions nationales. Pour ne prendre que l’exemple du riz, le marché ne représente que 7 % de la production mondiale. La situation est donc très sensible et les prix grimpent immédiatement dès que l’offre est artificiellement réduite. La spéculation joue un rôle, certes, mais les spéculateurs n’interviennent qu’après qu’un décalage a été constaté entre l’offre et la demande. Dès la fin du sommet de Rome, les prix ont ainsi augmenté immédiatement à Chicago, faute d’accord sur des mesures restrictives.

S’agissant des biocarburants, la FAO est attentive aux politiques des États en matière de subventions ou de droits de douane, mais également à leur qualité d’exportateur ou d’importateur, ainsi qu’à la situation des eaux et des terres par rapport aux productions alimentaires.

Mme Henriette Martinez s’est interrogée sur les raisons de la baisse de l’APD dans le domaine de l’agriculture. Cette baisse est-elle due au désintérêt des bailleurs ou résulte-t-elle de l’exode rural en Afrique et d’une urbanisation croissante ? Les changements de comportement alimentaire n’ont-ils pas par ailleurs une part de responsabilité dans la crise alimentaire ? Outre les modifications dans la nourriture du bétail, le riz importé remplace de plus en plus le mil dans l’alimentation humaine. Est-il possible d’en cultiver en Afrique sub-saharienne, ou cela nécessiterait-il de profonds bouleversements ? Enfin, l’évolution démographique de l’Afrique est-elle une fatalité, ou peut-on réfléchir à une meilleure maîtrise de celle-ci, afin de faire face au problème alimentaire ?

M. André Schneider s’est interrogé sur le rôle des 3 500 employés de la FAO en matière de formation et d’éducation.

M. Jacques Diouf a rappelé que l’APD n’est pas dévolue à la seule Afrique, elle bénéficie également à l’Amérique centrale, à l’Asie... Par ailleurs, la FAO a encouragé les chefs d’État africains, en particulier lors du sommet de Maputo, en 2003, à doubler en cinq ans la part de l’agriculture dans leur budget national. En outre, de nombreux pays ont eu tendance à suivre les préconisations des institutions de Bretton Woods incitant à ne pas produire localement des biens dont l’importation revient meilleur marché tant ces biens importés ont été subventionnés. La baisse de la production a donc eu des conséquences dramatiques. Les excès de lait et de viande qui ont inondé les marchés ont créé des effets d’éviction.

En ce qui concerne la démographie, ce qui se passera en 2050 est d’ores et déjà écrit. La croissance démographique, par ailleurs, est liée au niveau du développement économique et de l’éducation des femmes en particulier. La question de l’éducation est d’autant plus cruciale que les structures de diffusion du savoir ont été mises à mal.

Enfin, il conviendra de restructurer l’agriculture d’un point de vue institutionnel, depuis la recherche jusqu’à la commercialisation, en passant par l’accès au crédit, la formation ou la stabilisation des prix.

Déplorant la déstabilisation des agricultures locales, M. Jacques Myard s’est interrogé sur le rôle de la FAO en faveur de la renaissance de l’agriculture vivrière.

M. Jacques Diouf a répondu que la FAO est naturellement convaincue que l’agriculture vivrière doit être une priorité, mais il ne lui revient pas de financer les projets de développement : cette tâche incombe à la Banque mondiale et aux banques régionales.

M. Jacques Myard a demandé quelle était l’influence de la FAO sur la Banque mondiale.

M. Jacques Diouf a répondu que cette influence était nulle. Ce sont les États représentés au conseil d’administration de la Banque mondiale, dont la France, qui décident des contributions, des financements et des projets. La FAO, quant à elle, a souvent souligné que la baisse des budgets était contradictoire avec les intentions affichées de lutte contre la pauvreté. C’est exactement ce qui s’est passé lorsqu’au sein d’un budget on réduit de 30 % à 6 % la part des crédits chargés de fournir des moyens d’existence à 70 % des pauvres dans le monde.

M. Jacques Myard a demandé si la FAO disposait d’un programme spécifique en faveur de l’agriculture vivrière.

M. Jacques Diouf a répondu qu’un budget de 800 millions de dollars sur deux ans pour 190 pays ne le permettait pas. La FAO n’est pas une institution de financement.

Le Président Axel Poniatowski a rappelé que le rôle de la FAO était de faire connaître les orientations qu’elle estime souhaitables pour la politique agricole mondiale, ce qui est loin d’être négligeable.

M. Jacques Myard a déploré que les gens les plus compétents soient, une fois de plus, les moins écoutés.

Le Président Axel Poniatowski a demandé au Directeur général de résumer, en conclusion, le message essentiel qu’il souhaite faire passer aux parlementaires français.

M. Jacques Diouf a répondu que l’essentiel était, d’une part, de tenir les engagements visant à redonner la priorité à l’agriculture dans l’aide au développement et, d’autre part, de s’attaquer aux causes structurelles des problèmes alimentaires : maîtrise de l’eau, infrastructures routières, moyens de stockage. Il a souligné l’importance cruciale de tels investissements. L’aide alimentaire est encore parfois parachutée faute de routes, les pertes sont donc élevées et par ailleurs 40 à 60 % de certaines productions peuvent être perdues faute de moyens de stockage ou de conservation.

Le Président Axel Poniatowski a remercié le Directeur général.

*

Convention entre la France et l’Italie relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 893)

La commission des affaires étrangères a examiné, sur le rapport de M. Claude Birraux, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc (n° 893).

M. Claude Birraux, rapporteur, a introduit son exposé en considérant que la convention entre la France et l’Italie marquait l’aboutissement de la réflexion engagée au lendemain de la catastrophe du Tunnel sous le Mont-Blanc.

Il a rappelé qu’à son ouverture en 1965, le tunnel du Mont Blanc bénéficiait des conditions de sécurité les plus élevées et des meilleures techniques disponibles. Jusqu’à l’incendie du 24 mars 1999 qui laissera le terrible bilan de 39 morts – dont le rapporteur a tenu à saluer la mémoire - et des dommages considérables, il était considéré comme un modèle du genre.

La commission d’enquête mettra néanmoins en lumière un ensemble d’éléments convergents, touchant à tous les aspects de l’exploitation du tunnel, parmi lesquels l’obsolescence ou l’insuffisance des équipements de sécurité, lesquels, bien qu’ils aient été régulièrement améliorés, étaient inférieurs au moment de l’accident à ceux des tunnels comparables les plus récents.

De même, l’enquête a-t-elle mis l’accent sur les nombreux dysfonctionnements ou anomalies quant aux règles de sécurité et de circulation, également insuffisantes pour limiter les conséquences d’accidents, ainsi que les difficultés à les faire respecter.

Enfin, le rapporteur a surtout insisté sur la mise en cause du mode d’exploitation de l’ouvrage comme étant l’un des facteurs les plus importants dans l’enchaînement tragique des événements du 24 mars 1999. Le manque de coordination entre les deux sociétés française et italienne gestionnaires du tunnel a eu des incidences négatives tant au niveau des réflexions stratégiques que des investissements et de la gestion quotidienne de l’ouvrage.

D’importants travaux, rendus nécessaires compte tenu de l’ampleur des dégâts subis par l’ouvrage, ont été conduits durant trois ans avant que le tunnel puisse être rouvert. De nombreuses améliorations ont également été apportées aux équipements de sécurité qui ont représenté l’essentiel des dépenses engagées, de telle manière que le niveau de sécurité excède aujourd’hui les exigences fixées par la circulaire interministérielle du 25 août 2002.

Le rapporteur a ensuite détaillé les améliorations institutionnelles apportées par la convention, qui traduisent les recommandations formulées par la mission d’enquête.

Il a indiqué que, en premier lieu, la convention unifiait en un seul traité l’ensemble des textes qui régissaient jusqu’alors l’exploitation du Tunnel et qu’elle permettait une gestion mieux coordonnée de l’ouvrage.

Il a précisé que, à l’instar d’autres ouvrages bi-nationaux, tel que le tunnel de Fréjus, l’exploitation était désormais confiée à un Groupement européen d’intérêt économique (GEIE), structure unique de gestion qui assure pour le compte des deux sociétés l’ensemble des activités en matière d’exploitation, d’entretien, de renouvellement et de modernisation de l’ouvrage. Cette solution permet de surmonter les difficultés de coordination entre deux entités distinctes, point sur lequel l’avenant de mars 1965 avait échoué.

La convention redéfinit également le rôle de la Commission intergouvernementale franco-italienne, CIG, et apporte les précisions requises quant à ses compétences, notamment vis-à-vis du Comité de sécurité, entité désormais distincte, selon les recommandations du rapport d’enquête, qui insistait sur l’urgence de sa création. Le rapporteur a précisé que ce schéma se retrouvait dans d’autres exemples de tunnels bi-nationaux, comme ceux de Fréjus ou de Tende.

Le rapporteur a toutefois regretté que la convention n’ait pas repris l’intégralité des suggestions du rapport d’enquête, notamment quant au fait que la CIG et le comité de sécurité soient compétents pour l’ensemble des tunnels transalpins, ce qui aurait permis d’unifier les critères de gestion et de sécurité et de garantir la cohérence et la stabilité de leur travaux respectifs. Il a néanmoins souligné que l’esprit de cette recommandation était retenu puisque les membres des commissions et des comités de sécurité des trois tunnels franco-italiens sont les mêmes, tout du moins pour la partie française.

Enfin, le rapporteur a précisé que la convention assouplit et améliore les règles et la police de la circulation dans le tunnel, dont l’insuffisance ou le non-respect avaient également été soulignée. Le règlement de circulation a été renforcé et les contrôles améliorés, grâce à la création, en complément des patrouilles de police bi-nationales, de patrouilles exclusivement nationales, habilitées à intervenir sur le territoire de l’autre Etat en cas d’infraction constatée sur leur propre territoire, dans des conditions strictement encadrées.

Après avoir recommandé à la commission l’approbation de la convention, le rapporteur a terminé son intervention en rappelant l’urgence d’une régulation et d’une rationalisation du trafic routier transalpin. Il a estimé que l’ampleur des améliorations apportées à la gestion de ce Tunnel et d’autres ouvrages comparables ne permettrait pas d’en faire l’économie et que la réflexion devait se poursuivre quant à un rééquilibrage entre la route et le fer, sauf à courir le risque de nouveaux drames. Il a souligné que les habitants des vallées de Chamonix et d’Aoste restaient fort préoccupées par la croissance du trafic des poids lourds, qui avait été multiplié par 17 entre 1965 et 1999. Il a par conséquent plaidé pour l’amélioration du réseau ferré, qui seul, permettra d’éviter la saturation et de voir le système de transports transalpins fragilisé.

M. François Loncle a regretté qu’il ait fallu 9 ans depuis l’accident pour que la convention soit enfin ratifiée et le rapporteur a confirmé à M. Jean-Claude Guibal que la GEIE était bien la seule structure de gestion, agissant au nom des deux sociétés du tunnel. En réponse à une question de M. Philippe Cochet, il a détaillé les mesures de régulation du trafic désormais en vigueur, afin d’éviter l’engorgement du tunnel.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 893).

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