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Commission des affaires étrangères

Mercredi 25 juin 2008

Séance de 17 h 00

Compte rendu n° 58

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes.

– Informations relatives à la commission.

Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes

Le Président Axel Poniatowski a remercié M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, d’avoir accepté l’invitation de la commission des affaires étrangères afin d’évoquer la situation nouvelle résultant du « non » irlandais au traité de Lisbonne et les conséquences éventuelles de ce vote sur la mise en oeuvre des priorités politiques de la présidence française.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, a tout d’abord indiqué que les priorités de la présidence française avaient été établies dans le cadre juridique du Traité de Nice et qu’elles n’étaient dès lors pas affectées, en tant que telles, par le résultat du référendum irlandais. Il a alors précisé les enjeux et le calendrier de mise en oeuvre de ces priorités.

S’agissant de la lutte contre le changement climatique, il a fixé l’objectif de parvenir à un accord politique d’ici à la conférence de Copenhague prévue en novembre prochain. Il a également mentionné la nécessité de répondre à la flambée des prix de l’énergie – qui résulte d’un déséquilibre entre l’offre et la demande – par le renforcement de notre sécurité énergétique et la diversification de nos sources d’approvisionnement.

Evoquant ensuite le pacte européen sur l’immigration et l’asile, il a mentionné l’objectif d’un accord politique global lors du Conseil européen d’octobre 2008.

S’exprimant sur le bilan de santé de la Politique agricole commune (PAC), il a souligné le bien fondé de cette politique qui, dans le contexte actuel de déséquilibre alimentaire mondial patent, doit être modernisée et consolidée. Il conviendra aussi de se préoccuper des questions liées à la sécurité alimentaire et à l’environnement.

En ce qui concerne la politique européenne de défense, le ministre a indiqué que la présidence française souhaitait tracer un certain nombre d’orientations et parvenir à un accord politique à la fin de l’année 2008 s’agissant de l’actualisation de la stratégie de sécurité européenne, du développement des moyens de planification et de la conduite des opérations militaires. La présidence française entend également oeuvrer au renforcement de l’Agence européenne de défense et à la constitution d’un marché intérieur des industries de défense plus conforme aux impératifs budgétaires et aux opportunités de coopérations, notamment avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. La perspective de parvenir rapidement à une coopération structurée permanente, prévue dans le Traité de Lisbonne, se trouve en revanche affectée par le « non » irlandais, même si la présidence française devait se limiter à la préfigurer, et non à la mettre en oeuvre. En tout état de cause, le renforcement des capacités en matière de défense européenne se fera dans le respect des positions nationales, sans remise en cause de la neutralité irlandaise, suédoise et autrichienne.

Le ministre a enfin insisté sur le volet social de la présidence française, soulignant que le traité de Nice permettait d’affirmer la dimension sociale de l’Union européenne. Il a évoqué la représentation des salariés dans les comités de groupes européens, le congé parental et de maternité, les politiques de retour à l’emploi, ainsi que la préservation des services publics.

Le ministre a ensuite rendu compte de la réunion du Conseil européen qui a essentiellement porté sur la question institutionnelle ainsi que sur la réponse européenne à apporter à la hausse du prix des carburants. Paradoxalement, le débat a été plus délicat sur le second sujet que sur le premier. La volonté de poursuivre le processus de ratification du traité de Lisbonne ne fait pas de doute, même si une incertitude demeure en République tchèque, un pays dont les dirigeants ont toujours affirmé que la ratification n’interviendrait pas avant novembre ou décembre 2008, pour deux raisons : d’une part, l’examen de la conformité du Traité à leur Constitution et d’autre part, la tenue d’élections en octobre. Aucune difficulté majeure n’est en revanche signalée en Suède et en Pologne. Le ministre a alors indiqué que la France entendait associer étroitement à sa présidence la République tchèque et la Suède qui prendront le relais après elle. Il s’agit également de faire valoir auprès de ces pays que la non ratification du Traité de Lisbonne affaiblirait leur présidence, en particulier celle des Tchèques, qui y sont particulièrement attentifs sur les plans intérieur et extérieur. La République tchèque et la Suède mesurent également que la poursuite du processus d’élargissement, auquel ces deux Etats sont attachés, devient plus compliquée en l’absence d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

L’attente est forte pour que la présidence française parvienne à définir, avant la fin de l’année, le cadre juridique et politique d’une solution au problème irlandais ; Dublin devra faire des propositions en ce sens. Il a alors indiqué que le Président Nicolas Sarkozy se rendra le 11 juillet en Irlande, accompagné de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

Le Président Axel Poniatowski, rappelant que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne était conditionnée à sa ratification par tous les Etats membres, a salué le courage politique dont a fait preuve le Premier ministre britannique, M. Gordon Brown, en le faisant ratifier par la Chambres des Lords, quelques jours seulement après le référendum irlandais. Il a alors évoqué la perspective d’un nouveau vote du peuple irlandais pour trouver une issue à l’impasse institutionnelle. S’exprimant ensuite sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Vème République, il a demandé au ministre ce qu’il pensait du rejet par le Sénat de l’amendement adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, visant à soumettre obligatoirement au référendum l’élargissement de l’Union à tout nouvel Etat dont la population serait supérieure à 5 % de la population totale de l’Union. Désormais, la solution la plus sage ne consisterait-elle pas à en rester à la rédaction actuelle de l’article 88-5 qui impose un référendum pour toutes les futures adhésions, à l’exception de la Croatie ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a tout d’abord estimé que la situation provoquée par le « non » irlandais n’était pas comparable à celle du printemps 2005 au lendemain des référendums négatifs français et néerlandais sur la Constitution européenne. En effet, le processus de ratification est beaucoup plus avancé aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque. Si un second vote devait avoir lieu en Irlande, il n’interviendrait de toutes façons pas d’ici à la fin de l’année. Parvenir à une solution avant les élections européennes de juin 2009 serait déjà considéré comme un succès. Le ministre a alors rappelé que si ces élections devaient avoir lieu sous l’emprise du Traité de Nice, le nombre total de sièges au Parlement européen serait maintenu à 736 – au lieu de 751 avec le traité de Lisbonne –, l’Allemagne conserverait 99 représentants alors que d’autres pays, dont la France, verront leur nombre de députés diminuer. La situation restera en revanche inchangée pour l’Irlande et pour la République tchèque. Il en va toutefois différemment en ce qui concerne la Commission européenne puisque le Traité de Nice prévoit une diminution du nombre des commissaires par rapport au nombre d’Etats membres dès 2009. C’est le paradoxe du « non » irlandais. Le ministre a ensuite rappelé qu’il n’avait jamais été favorable à l’amendement imposant l’organisation d’un référendum pour l’adhésion de tout pays dont la population serait supérieure à 5 % de la population totale de l’Union, tant parce que cela reviendrait à stigmatiser un grand pays comme la Turquie que parce que les intérêts français ne manqueraient pas d’en être affectés. Il a estimé que le plus sage serait d’en revenir à un mécanisme général, sans pour autant conserver le dispositif actuellement en vigueur de référendum systématique.

Le Président Poniatowski a alors déclaré qu’il proposera à nouveau son amendement visant à garantir, sous certaines conditions, l’organisation d’un référendum d’initiative parlementaire et citoyenne pour les futurs élargissements de l’Union européenne.

M. Jacques Myard a tout d’abord estimé que le cadeau distribué aux parlementaires à l’occasion du lancement de la présidence française du Conseil de l’Union n’était pas du meilleur goût : une cravate de deuil et un porte-document si lourd qu’il semble être la métaphore du fardeau européen. Cela était-il indispensable alors que l’argent manque pour équilibrer les comptes publics ? S’exprimant ensuite sur le « non » irlandais, il a rappelé qu’il s’agissait du troisième référendum négatif sur un texte qui demeure à peu de choses près identique au traité constitutionnel, comme le Président Valéry Giscard d’Estaing en convient lui-même. De plus, chacun sait qu’un référendum en Allemagne aurait donné le même résultat qu’en Irlande. Il a ainsi appelé à regarder la réalité en face : la construction européenne, nécessaire dans certains domaines, est devenue une machine incontrôlée et incontrôlable entièrement coupée des réalités nationales et des aspirations populaires. Nul n’échappera à une remise à plat de l’ensemble du système, lequel doit être beaucoup plus déconcentré et limité. Il faut appliquer le principe de subsidiarité ; car si la fuite en avant continue, les européistes eux-mêmes finiront par jeter le bébé avec l’eau du bain alors qu’il est vrai que des coopérations s’imposent dans un certain nombre de secteurs. Il s’en est vivement pris à une Europe omnipotente et obèse. Il a ensuite qualifié de modestes les priorités de la présidence française. S’il faut en effet agir ensemble pour lutter contre le réchauffement climatique et si le pacte sur le contrôle des flux migratoires relève du bon sens, il n’en va pas de même de la défense européenne. Ce thème doit être proscrit car la défense concerne essentiellement trois Etats auxquels il faudrait d’ailleurs ajouter les pays du Maghreb. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’en parler à 27. Il en va de même s’agissant de la coopération industrielle, comme en témoigne le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Il est à craindre que la propagande politique mette en avant un certain nombre de sujets qui sont à cent lieues des préoccupations des partenaires de la France. Il a d’ailleurs estimé que le traité de Lisbonne faisait de l’OTAN, pour les Etats qui en sont membres, le cadre de mise en oeuvre de la politique européenne de défense. C’est pourquoi la coopération entre quelques pays, sur des thèmes précis, sera beaucoup plus efficace qu’une grand-messe sur la défense européenne qui ne débouchera sur rien.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a répondu à l’observation de M. Jacques Myard sur les cadeaux offerts par la présidence française, en indiquant qu’il s’agit là d’un usage commun à toutes les présidences. Il a en outre précisé, compte tenu de certaines réactions, que le contenu de la mallette adressée aux parlementaires convenait autant aux hommes qu’aux femmes puisque s’il comprend une cravate, il contient également une pochette. Son coût est très modeste, et le designer Philippe Starck a travaillé gracieusement.

S’agissant du résultat du référendum irlandais, le ministre a convenu qu’il était bien entendu révélateur d’un trouble ou d’un malaise mais qu’il ne fallait pas pour autant confondre ce qui témoigne d’un éloignement des institutions de ce qui relève d’un approfondissement de la construction européenne. Se déclarant préoccupé par la proportion des jeunes qui ont voté non, il a appelé à réfléchir aux interrogations soulevées, notamment dans le cadre du groupe sur l’avenir de l’Union européenne animé par M. Felipe Gonzalez, Mme Vike-Freiberga et M. Ollila. Se pose également le problème de l’articulation entre les stratégies à moyen et à court terme : si une majorité se dégage pour définir des politiques intégrées permettant de peser sur le cours de la mondialisation, force est de constater que l’Europe manque aujourd’hui de réactivité sur des sujets d’actualité, comme la hausse du prix des carburants et ses conséquences économiques sur certaines professions, et plus généralement sur le pouvoir d’achat des citoyens.

S’agissant de la politique européenne de défense, le ministre a souligné sa complémentarité avec l’OTAN, comme le reconnaissent d’ailleurs la Pologne ou la Hongrie, deux pays qui sont prêts à aller de l’avant. Si les coopérations peuvent se faire entre quelques Etats, les orientations générales doivent cependant être définies à 27, sans que cela n’interdise des accords avec les pays du Maghreb. Il a appelé à des avancées de l’Europe de la défense avant le prochain sommet de l’OTAN du printemps 2009.

M. François Loncle s’est félicité de l’opposition exprimée par le ministre à l’amendement adopté par l’Assemblée nationale, en première lecture du projet de loi constitutionnelle, à l’article 88-5 de la Constitution. Il s’agit en effet d’une discrimination intolérable à l’endroit de deux grands pays que sont la Turquie et l’Ukraine. De nombreux porte-parole des groupes politiques de l'Assemblée nationale s’étaient d’ailleurs également prononcés en sa défaveur. En rester à la rédaction actuelle de l’article 88-5 serait tout aussi préjudiciable quoique pour d’autres raisons. Tant mieux si une autre formule peut être élaborée ; mais les représentants de la nation peuvent fort bien procéder par voie parlementaire.

En ce qui concerne l’avenir du traité de Lisbonne, il s’est dit convaincu que le peuple irlandais ne revotera pas sur ce texte, estimant que la recherche de solutions essentiellement techniques était inadéquate. Dès lors que le résultat du vote s’explique par des considérations politiques, il faut parvenir à une solution politique. Les gouvernements – et encore moins la Commission et le Parlement européen – n’ont jamais pris conscience d’un éloignement de plus en plus marqué depuis le traité de Maastricht. Dans ce contexte, il s’est déclaré étonné que le ministre ait récemment mis en cause les milieux ultraconservateurs américains pour expliquer le résultat du référendum irlandais. Quoi qu’il en soit, il faut faire moins de juridisme et plus de politique afin de mieux prendre en compte les aspirations des peuples.

Mme Nicole Ameline a considéré que la complexité des traités était assez peu compatible avec la logique référendaire. Néanmoins, ce n’est pas tant l’Europe que sa perception qui est en cause, comme en témoignent les multiples contradictions du vote irlandais. Le problème essentiel concerne les prochaines élections européennes : autour de quels enjeux ce vote interviendra-t-il si les questions posées n’ont d’ici là pas trouvé de réponses ? La réactivité européenne dont il a été question est de surcroît fort mise à mal. Enfin, si l’introspection est nécessaire, il convient d’autant plus de penser la place de l’Europe dans le monde que sa voix n’est pas entendue. Puis elle a interrogé le ministre sur la façon dont le Gouvernement entendait associer les citoyens, les parlementaires et les entreprises à la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Alors qu’il était question de mettre en valeur les différents patrimoines, savoirs et talents régionaux à l’occasion des manifestations de la présidence, elle a regretté que cela ne soit finalement pas le cas. Ce n’est pas ainsi que l’on contribuera à bâtir une véritable conscience européenne.

S’agissant enfin du projet de loi de révision constitutionnelle, elle a estimé que le Président de la République devrait conserver le choix entre les deux procédures parlementaire et référendaire pour la ratification des futurs traités d’adhésion à l’Union européenne. Elle a toutefois marqué son intérêt pour l’amendement suggéré par le Président Poniatowski si une solution de compromis devait être recherchée.

En réponse à M. François Loncle, M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a déclaré que la réponse au problème irlandais suppose bien entendu une solution politique et il faut savoir tirer les leçons qui s’imposent quant au mode de fonctionnement de l’Union européenne, même si ce « non » est fort complexe. Il a alors redit que la campagne des opposants au traité de Lisbonne avait été remarquablement financée.

M. Jacques Myard a fait remarquer que les partisans du traité pouvaient eux compter sur des financements de la Commission européenne.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, lui a répondu que la Commission était moins riche que certains milieux américains. Puis il a estimé que dans la perspective des élections européennes du printemps 2009, il fallait oeuvrer à rapprocher l’Europe des Européens. 450 manifestations informelles sont programmées dans le cadre de la présidence française. Alors que chaque ministère est responsable de l’organisation des réunions qui relèvent de sa compétence, il a estimé souhaitable d’y associer les élus locaux et les entreprises. Ce sera le cas lors du Conseil informel dont il a la charge et qui se tiendra en Bretagne. Quoi qu’il en soit, le ministre a assuré Mme Nicole Ameline qu’il relaiera sa préoccupation auprès des ministères concernés. S’agissant enfin de l’association de la société civile, il a fait état des manifestations qui ont d’ores et déjà eu lieu à Marseille et à Lyon ; d’autres seront prochainement organisées à La Rochelle, à Nantes et à Paris.

Le Président Poniatowski a remercié M. le secrétaire d’État et l’a assuré que la commission des affaires étrangères serait heureuse de l’entendre à nouveau, notamment après le sommet du 13 juillet prochain consacré à l’Union pour la Méditerranée.

M. le secrétaire d’État a déclaré qu’il sera à la disposition de la commission pour évoquer ce premier temps fort de la présidence française puisque une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernements sont attendus à Paris.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa deuxième séance du mercredi 25 juin, la commission des affaires étrangères a nommé :

– M. Jean-Jacques Guillet rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’un accord relatif au siège du Bureau international des poids et mesures et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 961) et sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Comité international des poids et mesures portant amendement de l'accord du 25 avril 1969 relatif au siège du Bureau international des poids et mesures et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 466 (2005-2006) Sénat).

– M. Jacques Remiller, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes (n° 375 Sénat).

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