Audition de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire
La commission ainsi que la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République et la délégation pour l’Union européenne ont procédé à l’audition, ouverte à la presse, de M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire.
Accueillant M. Brice Hortefeux, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, a estimé qu’au moment où la France a fait de l’immigration l’un des quatre domaines prioritaires de la présidence de l’Union européenne, il était opportun que le ministre expose devant les députés les lignes directrices de la politique qu’il conduit en dressant un premier bilan de son action un an après la création du ministère et qu’il les informe des discussions engagées avec les autres pays européens à propos du pacte européen sur l’immigration et l’asile.
M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, s’est réjoui des conclusions du Sommet européen de Cannes, en matière notamment de codéveloppement et d’immigration légale.
Rappelant que la France avait passé à ce jour cinq accords de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire, avec le Gabon, la République du Congo, le Bénin, le Sénégal et la Tunisie, il a demandé quel premier bilan pouvait en être dressé, avec quels autres pays la France comptait signer un tel accord et quels enseignements le Gouvernement tirait des initiatives prises en matière de développement solidaire.
Précisant que dix experts indépendants du Conseil des droits de l’homme des Nations unies avaient exprimé, dans une lettre adressée à la présidence française, leur inquiétude concernant certains aspects du projet de directive retour, en particulier le régime de rétention dans l’attente des procédures de renvoi d’immigrés illégaux dans leur pays, il a souhaité savoir comment ces inquiétudes pouvaient être apaisées.
Enfin, après avoir rappelé que l’administration centrale des visas dépendait désormais du ministère de l’immigration alors que les postes qui les délivrent à l’étranger relèvent du ministère des affaires étrangères, il a demandé au ministre des précisions sur la procédure d’instruction des demandes de visa par les postes à l’étranger et l’administration centrale et souhaité savoir comment ses services prenaient en compte les observations formulées par les parlementaires sur des cas de refus de visa.
M. Pierre Lequiller, président de la Délégation pour l’Union européenne, a estimé que la consultation des autres États membres, des parlements nationaux et du Parlement européen à propos du pacte européen sur l’immigration et l’asile avait été très bien ressentie. Il a souhaité savoir si ce texte était déjà finalisé ou s’il était appelé encore à évoluer d’ici à la rentrée d’octobre et sur quelles mesures législatives il déboucherait.
Le ministre est revenu sur une première année d’activité riche en objectifs atteints.
Le premier était institutionnel : la création d’un nouveau ministère régalien. Pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième République, un ministère de plein exercice se voyait confier la responsabilité de gérer l’ensemble du parcours d’un étranger candidat à l’immigration, depuis l’accueil au consulat jusqu’à l’intégration – voire l’accès à la nationalité française – ou le retour vers le pays d’origine. Le ministère dispose depuis le 1er janvier d’une administration autonome et d’un budget propre. L’exercice a été périlleux mais ce résultat a été obtenu en parfaite adéquation avec la réforme de l’État voulue par le Président de la République : le ministère a même reçu le prix de l’innovation des Trophées de la modernisation de l’État.
Le deuxième objectif atteint était d’ordre politique puisqu’il s’agissait de mettre en œuvre les orientations fixées par le Président de la République et le Premier ministre.
En vertu du principe de souveraineté, la France a le droit de choisir qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire. Les lois du 24 juillet 2006 et celle du 20 novembre 2007, qui a déjà fait l’objet de cinq décrets d’application, dotent la France de nouveaux instruments juridiques pour promouvoir l’immigration professionnelle et maîtriser l’immigration familiale.
En vertu du principe de justice, les immigrés légaux, qui ont respecté le parcours d’intégration et possèdent un titre de séjour, peuvent ambitionner d’acquérir un jour la nationalité française.
En vertu du principe de légalité, un étranger en situation irrégulière dans un État de droit, sauf cas particulier, a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, de manière volontaire autant que possible ou, à défaut, sous la contrainte.
Le troisième objectif atteint était un objectif de performance.
Le ministère est parvenu à mieux organiser l’immigration légale en obtenant un très net rééquilibrage des flux migratoires en faveur de l’immigration professionnelle. Du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, le nombre d’étrangers entrés légalement en France a progressé de 36,7 %. Cette tendance s’est confirmée durant les cinq premiers mois de 2008 : le nombre de visites médicales de migrants professionnels à l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) a augmenté de 43 % par rapport à la même période de l’année 2007 tandis que le nombre de visas de long séjour accordés pour motif professionnel a augmenté de 28,6 %.
Parallèlement, l’immigration familiale, croissante depuis les deux chocs pétroliers, a chuté de 12,6 % en un an : 84 921 personnes ont été accueillies à ce titre du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, contre 97 125 au cours de l’année précédente. Là encore, cette tendance s’est poursuivie durant les cinq premiers mois de 2008.
Dans le même temps, la lutte contre l’immigration illégale a enregistré des résultats très significatifs. D’abord, le nombre d’éloignements a fortement progressé. Du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, 29 729 immigrés clandestins ont été reconduits dans leur pays d’origine, soit une augmentation sans précédent de 31 % par rapport à l’année précédente. La tendance est similaire pour les cinq premiers mois de l’année. Surtout, le nombre d’étrangers en situation irrégulière acceptant un départ volontaire progresse : il a été multiplié par près de cinq en un an – plus 374 %. Outre l’encouragement financier, les intéressés comprennent qu’ils ont intérêt à respecter les règles et à repartir dans leur pays avec un projet professionnel, dans la dignité. Le regard que leur porte leur entourage est complètement différent car ils ne reviennent pas sur un échec.
La politique actuelle, lisible et compréhensible, marque donc incontestablement une rupture avec l’histoire de l’immigration des décennies précédentes. Dans les années cinquante et soixante, les entreprises ont fait leur marché à l’étranger et cela a contribué à la croissance. Après les chocs pétroliers, les mécanismes se sont déréglés car le chômage s’est développé et les besoins de main-d’œuvre ont décru. Puis les pouvoirs publics ont commencé à s’interroger sur la politique à mener et un peu plus de 80 000 personnes ont été régularisées sous le gouvernement dirigé par M. Lionel Jospin, avec pour conséquence un appel d’air en direction des candidats à l’immigration – mais, à l’époque, il pouvait en effet sembler opportun de « remettre les pendules à zéro » pour repartir sur de nouvelles bases.
Un combat sans relâche est par ailleurs mené contre toutes les formes de fraudes, notamment les réseaux d’immigration illégale. Depuis juin 2007, 1 429 passeurs ont été arrêtés. Leur activité est extraordinairement lucrative : à Meaux, par exemple, le racket s’élevait à 250 euros par mois pour faire vivre les immigrés à vingt et un dans 70 mètres carrés, plus 4 000 euros pour les papiers et 400 euros pour accéder aux douches ! D’après Le Parisien, les passeurs d’un autre réseau gagneraient 16 000 euros par semaine. Au demeurant, dans certains pays d’origine, les responsables des réseaux, loin d’être modestes, sont parfois des personnalités. Même si cela requiert une mobilisation policière considérable, il faut lutter implacablement contre les passeurs, les marchands de sommeil et les squats. Depuis le 1er janvier, grâce à la volonté politique affichée, le nombre de passeurs et le nombre de marchands de sommeil interpellés ont progressé respectivement de 15,3 et de 28,8 %.
Enfin, les résultats en matière de lutte contre le travail illégal ont changé de dimension. Certains patrons fraudeurs profitent d’une main-d’œuvre illégale, avec laquelle ils s’abstiennent de respecter les droits syndicaux, la durée hebdomadaire du travail et le salaire minimum. En outre les entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) employant des clandestins peuvent répondre aux appels d’offres à des tarifs plus bas que leurs concurrentes respectueuses de la loi, qui se trouvent par conséquent pénalisées. La lutte contre les patrons fraudeurs ne doit pas faire l’objet d’une communication excessive mais être une réalité. En un an, le nombre de patrons fraudeurs interpellés est passé à 2 228, soit une augmentation de 105 %. Des élus s’en montrent préoccupés et prônent la clémence car ils ont l’habitude de travailler avec les patrons du BTP mis en cause. Mais il est impératif de faire respecter la loi pour ne pas rompre l’égalité entre entreprises.
Un combat a aussi été engagé contre le recrutement d’employés en situation illégale, qui possèdent pour la plupart des faux papiers, ce qui leur a permis d’abuser l’employeur.
Le ministre a ensuite abordé la question de la présidence française de l’Union européenne.
Depuis le 1er janvier, à la demande du Président de la République, il s’est rendu dans les vingt-six autres États membres, qui ont tous manifesté de l’intérêt pour sa démarche. L’accueil a logiquement été attentif dans les quatre autres pays où, avec la France, se concentrent 80 % des flux migratoires en direction de l’Europe – l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Plus étonnant, les pays de la pointe sud de l’Europe, Chypre et Malte, totalement saturés, sont très mobilisés. Chypre, État membre où le taux de population immigrée est le plus élevé, avec 12 %, est dépassé par le nombre de demandes d’asile. La grande surprise est venue de l’Europe centrale, en particulier de la République tchèque, concernée par l’immigration clandestine en provenance de Géorgie et d’autres pays de l’Est, mais aussi du Vietnam, pays dont Prague formait les cadres du temps du bloc soviétique : le consulat tchèque à Hô-Chi-Minh-Ville délivre davantage de visas que le consulat français, alors que la France, ancienne puissance coloniale est six fois plus peuplée.
Les discussions avec l’Espagne n’ont nullement été compliquées ; elle a même souhaité renforcer le texte. Elle ne veut pas du contrat d’accueil et d’intégration, pratiqué en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, compte tenu de ses spécificités telles que la diversité linguistique et les identités régionales. Enfin, pour éviter toute confusion tirée de l’emploi d’un terme à connotation religieuse, elle a estimé que la formulation « tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine » devait être remplacée par « tout étranger en situation irrégulière doit quitter le territoire national », ce qui conduit à durcir de beaucoup la proposition de la France.
Le pacte européen a cinq ambitions.
Premièrement, il vise à organiser l’immigration légale. Il n’est naturellement pas question d’imposer à chaque État le nombre d’étrangers qu’il peut accueillir sur son territoire ; tout dépend de sa situation économique et de ses besoins. Le pacte doit faire évoluer la situation en matière d’accueil des étudiants, où l’Europe se fait tailler des croupières.
Deuxièmement, il vise à lutter contre l’immigration clandestine. Les régularisations doivent être décidées au cas par cas, ne pas prendre de caractère général. Il importe que les étrangers en situation illégale rejoignent leur pays d’origine parce que l’Europe ne peut accueillir tout le monde.
Troisièmement, il vise à renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières. L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX) a été créée pour protéger les frontières maritimes, aériennes et terrestres de l’Union. Les pays concernés, comme Chypre, Malte ou ceux d’Europe centrale prennent ce sujet très au sérieux. Les conversations n’ont pas encore beaucoup avancé sur ce dossier.
Quatrièmement, il vise à bâtir l’Europe de l’asile. L’idée de départ était d’accorder un statut commun à l’ensemble des réfugiés, ce qui s’est avéré impossible – même si tous les ministres de l’intérieur s’accordent sur le principe – car les États membres ont des traditions radicalement différentes. Cela étant, une vraie avancée a été acquise grâce aux discussions : un bureau d’appui situé à Bruxelles commencera à travailler dès 2009.
Cinquièmement, il vise à établir un partenariat global avec les pays d’origine et de transit. La politique européenne des flux migratoires ne saurait être menée sans l’Afrique et les autres pays concernés. Il faut expliquer à ces partenaires que le pacte européen n’est pas destiné à faire de l’Europe un « bunker » mais à empêcher qu’elle demeure une « passoire ».
M. Serge Blisko a préconisé un rééquilibrage à l’intérieur de l’Union européenne, un certain nombre d’États membres se tenant très éloignés des standards en vigueur dans les pays qui, à l’instar de la France, ont adopté depuis longtemps une politique de l’immigration.
Il est malheureux que l’accord sur le pacte européen soit intervenu trois semaines après l’adoption par le Parlement européen de la directive retour, texte de repli dépourvu de générosité et de clairvoyance.
Il est souhaitable d’harmoniser vers le haut le niveau de protection accordé aux immigrés réguliers provenant des pays tiers pour éviter les allers-retours au sein de l’Union européenne. À cet égard, la signature de la Convention européenne relative aux droits des personnes migrantes constituerait un signe très positif. Les cinq grands pays européens d’immigration doivent aider Malte, Chypre et les États membres d’Europe de l’Est à recevoir et organiser le flux d’immigration. Si la Grèce ne reçoit pas de réfugiés, ils iront frapper à la porte d’un des cinq grands. Le chemin à parcourir reste très long. La mutualisation doit inclure les forces de police et de contrôle mais aussi la protection et l’aide.
En Afrique du Nord et de l’Ouest, ceux qui fuient ne sont pas les plus pauvres mais des jeunes ayant une formation voire une profession. Il faut prendre des mesures pour faire cesser ce drame et leur donner d’autres perspectives que la noyade.
Les employeurs ayant fermé les yeux sur des fraudes ne doivent bénéficier d’aucune amnistie, pas plus que les passeurs, les tricheurs, les fabricants de faux papiers et tous ceux qui contribuent à cette chaîne de l’exploitation. Des pans entiers de l’économie s’appuient sur le travail clandestin ; il convient de se pencher sur ce vice du système économique français.
M. Christophe Caresche a considéré que le ministre est dans son rôle quand il fait de l’autosatisfaction à propos du pacte européen, dont il ne faut cependant pas exagérer la portée puisque la politique d’immigration reste d’abord de compétence nationale. La formulation actuelle ne correspond en rien à un désaveu de la politique espagnole de régularisation.
Le rééquilibrage total entre l’immigration professionnelle et l’immigration familiale relève du fantasme. Il n’est ni réaliste, ni même souhaitable. Il s’agit là d’une politique d’affichage, les pourcentages n’étant bons qu’en raison de la disproportion entre les dénominateurs, 11 000 migrants dans un cas, 85 000 de l’autre. La commission Mazeaud juge aussi l’objectif hors d’atteinte, sauf à reventiler les catégories, ce qui ne changerait rien à la réalité.
Le discours du ministre, extrêmement ferme, n’est pas tout à fait en accord avec la réalité puisqu’un certain nombre de régularisations – combien ? – sont décidées. Il y aurait d’ailleurs une certaine incohérence à faire venir des étrangers au titre de l’immigration économique et à ne pas régulariser ceux qui sont en France, qui ont un contrat de travail et qui paient leurs impôts. La politique affichée est très bureaucratique et inefficace.
La commission Mazeaud a mis fin, et c’est une bonne chose, au fantasme de la politique des quotas, abandonnée partout dans le monde, et qui n’est pas conforme à la Constitution. Le ministre va-t-il suivre les recommandations qui ont été faites ?
M. Patrick Braouezec a fait part de ses doutes quant à l’appel d’air que créeraient les régularisations accordées sur des critères larges. Il faut bien distinguer les mesures à destination de personnes présentes sur le territoire depuis un certain temps, qui y travaillent, et le contrôle des nouveaux venus. Tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’immigration en coopération avec les pays à forte émigration, certains de leurs ressortissants continueront à prendre tous les risques pour venir travailler dans les pays développés, ne serait-ce que pour permettre à leur famille restée sur place de vivre.
La politique d’immigration et d’accueil des étrangers sur notre territoire doit être transversale. Ainsi, pour lutter contre les squats et le logement indigne, plusieurs maires de Seine-Saint-Denis réclament au préfet de région d’organiser une table ronde, tant les situations que supportent les collectivités locales sont inextricables. L’État, à tous les niveaux, doit prendre ses responsabilités et le ministre devrait insister pour que cette table ronde ait lieu.
Les collectivités locales, dans leurs initiatives culturelles, éprouvent des difficultés croissantes à accueillir des artistes étrangers car ils ont de plus en plus de mal à obtenir des visas. Ainsi, le festival Africolor, vieux de plus de vingt ans, est en péril. Il est grave de faire preuve de tant de frilosité, y compris dans les échanges culturels. Le même phénomène s’observe avec les étudiants étrangers, qui vont y poursuivre leurs études ailleurs.
Attirer dans notre propre intérêt les compétences professionnelles des pays à forte émigration risque fort d’accentuer leurs difficultés et de multiplier les départs, créant ainsi un cercle vicieux alors qu’il convient d’envisager de véritables politiques de coopération.
Considérant qu’il était impératif d’afficher clairement la politique menée en la matière, M. Jacques Myard a fait part de sa conviction que le processus d’immigration n’en est qu’à son tout début, compte tenu de la rupture démographique entre le Nord et le Sud. Il y a tout lieu de se réjouir de la prise de conscience des États. Si l’immigration doit rester une compétence nationale, les politiques doivent néanmoins respecter des principes communs. S’agissant du nombre d’éloignements, il a souhaité savoir si celui mentionné par le ministre incluait l’outre-mer et il a rappelé la lenteur des procédures dont se plaignent souvent les personnels de la police nationale. S’agissant du problème européen, il s’est demandé si nos partenaires étaient vraiment conscients que la stabilisation des États d’émigration constituait un préalable nécessaire, tant le réservoir de main-d’œuvre est gigantesque. La programmation du budget européen 2007-2013 est ainsi totalement erronée en prévoyant de consacrer 340 milliards d’euros aux fonds structurels contre 22 milliards au titre des accords de Lomé. La Bulgarie et la Roumanie bénéficiant de flux d’investissements privés très importants, l’argent public européen devrait être réorienté au profit du continent africain.
Le ministre a confirmé que le calendrier ne facilite pas les choses, mais maintenu que, sur le fond, la directive retour était une bonne idée, partagée d’ailleurs par les socialistes allemands et espagnols, ainsi que par les travaillistes britanniques. Les socialistes français sont incontestablement isolés. La directive résulte d’une initiative de la Commission, validée par la totalité du Conseil européen, et elle a été votée à une large majorité par le Parlement européen. Il est vrai qu’il y a eu peu de communication en amont, ce qui explique sans doute les difficultés qui ont surgi entre l’Espagne et une partie de l’Amérique latine. En tout cas, la directive ne change rien à la politique française.
Les demandeurs d’asile qui sont refusés par la Grèce tentent leur chance en Suède où ils ne restent que quelques années, avant de rejoindre la Grande-Bretagne, ou la France. Une politique commune dans ce domaine est donc impérative. Une conférence sera d’ailleurs consacrée à l’asile en septembre et les associations seront entendues une demi-journée, ce qui répond aux préoccupations de M. Blisko.
Le gouvernement espagnol a dû reconsidérer sa politique sous la pression des électeurs. Il a ainsi été attentif à ce que le pacte européen n’apparaisse pas comme un désaveu cinglant de la politique de régularisations massives. C’est pourquoi la politique préconisée par le Pacte ne doit pas être perçue comme une condamnation du passé mais comme un engagement clair pour l’avenir.
En ce qui concerne les régularisations, l’article 40 de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à l’asile qui a été adoptée à l’unanimité permet de régulariser des « sans-papiers » présentant une promesse d’embauche. Le Gouvernement avait donc anticipé et envisagé une solution simple. Mais il n’est pas question de faire preuve d’injustice à l’encontre des immigrés légaux. Paris compte 20 000 demandeurs d’emploi étrangers en situation régulière et il serait pour le moins paradoxal d’encourager ceux qui ont menti une première fois en demandant un visa touristique alors qu’ils avaient l’intention de rester, et une seconde fois en produisant à leurs employeurs des papiers falsifiés ! La politique du Gouvernement consiste au contraire à aider en priorité les ressortissants de notre pays, ceux de l’Union européenne et ceux qui sont en situation légale.
La commission Mazeaud a validé juridiquement, comme le Conseil d’État, le principe des contingents. Elle a d’abord souligné le caractère illusoire et inefficace d’une politique exclusivement nationale. La Commission a ensuite préconisé des accords bilatéraux avec les pays d’émigration. Or cinq accords ont été conclus, qui vont au-delà du co-développement et règlent les questions d’immigration légale et illégale. Quatre autres accords – avec le Cap Vert, l’île Maurice, l’Égypte et le Mali – devraient suivre d’ici à la fin de l’année. Une étude très récente des Nations unies menée en Tunisie auprès des candidats à l’immigration montre que 15 % d’entre eux seulement étaient décidés à tout tenter quelles que soient les décisions des pays d’accueil, ce qui montre que notre message progresse. L’Europe n’est pas un « bunker », mais elle doit encourager la voie légale.
Il est vrai que l’accueil des artistes étrangers est délicat car si leur venue est un incontestable moyen de s’ouvrir et de s’enrichir, il ne faut pas ignorer que, par exemple, lorsqu’on accueille un orchestre de douze musiciens, ils sont parfois deux à repartir… Il ne faut pas pour autant leur fermer l’accès au territoire mais les postes diplomatiques ont reçu instruction d’accorder une attention particulière aux demandeurs de visa à titre artistique.
Enfin, les chiffres mentionnés relatifs à l’éloignement concernent la métropole.
M. Gilles Cocquempot, sensible à l’habileté du ministre à interpréter la Déclaration des droits de l’homme, s’est interrogé sur les écarts entre les intentions affichées et leur application sur le terrain. Il a observé personnellement que des détenteurs de visas étaient interrogés dès leur arrivée par les agents de la police aux frontières sur le montant de leurs ressources ou que certains sportifs camerounais ne pouvaient pas venir s’entraîner en France pour les Jeux Olympiques, faute de visa, et malgré l’intervention de l’ambassadeur de France. De même, une aide familiale camerounaise, qui avait suivi sa patronne française en Europe, et qui est désormais mariée en toute légalité à un employé de l’ANPE après avoir vécu en concubinage avec lui pendant plusieurs mois, a reçu du préfet du Pas-de-Calais l’ordre de retourner au Cameroun d’ici au 11 août, sous prétexte qu’elle était entrée en Europe avec un visa de trente jours. La politique de maîtrise de l’immigration peut se justifier, mais, sur le terrain, les parlementaires constatent les humiliations subies par des ressortissants étrangers venant de pays amis de la France.
M. Robert Lecou s’est félicité de cette audition commune qui augure bien de la réforme des institutions.
Après avoir considéré que les démarches pour mieux organiser l’immigration légale et lutter contre l’immigration clandestine sont appréciées des Français, il a à son tour estimé que les artistes ont du mal à entrer sur le territoire, en particulier les poètes qui viennent participer au festival Voix de la Méditerranée qui se déroule à Lodève.
Il a enfin souhaité savoir si l’Union pour la Méditerranée pourra contribuer à la politique du Gouvernement en matière de flux migratoires.
Mme Joëlle Ceccaldi-Reynaud a demandé au ministre ce qu’il pense du plan de retour volontaire espagnol qui prévoit que les indemnités de chômage seront versées à leurs bénéficiaires dans leur pays d’origine.
M. Philippe Cochet a remercié le ministre de faire œuvre concrète, s’est réjoui des résultats obtenus et a souligné le décalage entre les critiques, qui se répètent, et la France qui bouge.
Il a souhaité savoir si les délais d’instruction des demandes d’asile avaient été réduits.
M. Tony Dreyfus a appelé l’attention du ministre sur les visas demandés par les étudiants. Il lui a demandé, dans l’intérêt même de la France, s’il ne pourrait pas, avant chacun de ses déplacements à l’étranger, obtenir de grandes villes françaises ou de grandes écoles l’engagement de financements d’un certain nombre de bourses qui seraient ainsi proposées à des étudiants lors du voyage du ministre.
M. Thierry Mariani s’est félicité de l’accueil réservé à l’initiative française qui prouve que l’immigration est une préoccupation commune à tous. L’adoption de la directive retour n’aura pas d’impact sur la législation de la France, qui n’a pas de leçon à recevoir de quiconque car elle est plus protectrice que celles de la Grande-Bretagne, du Danemark ou de la Finlande.
Précisant que sur les trois centres de rétention qu’il a visités dans le cadre de la mission d’information qu’il préside, deux offrent un hébergement meilleur que bien des casernes du temps du service militaire, le troisième centre – celui du dépôt – étant, il est vrai, plus vétuste, il a observé que les clandestins ne sont donc pas logés dans des conditions inhumaines. Il a ensuite demandé si le centre de rétention administrative de Vincennes serait reconstruit.
Il a également demandé au ministre, dans le domaine du contentieux des étrangers, s’il partageait l’analyse de la commission Mazeaud qui suggère de ne pas modifier la répartition des compétences entre ordres juridictionnels, mais de réformer les procédures juridictionnelles telles que l’obligation de quitter le territoire, ou de généraliser les audiences délocalisées à proximité des centres de rétention.
Le ministre a souligné l’extraordinaire complexité de la situation intérieure du Cameroun, l’un des pays les plus touchés par les émeutes de la faim. Les policiers n’ont fait qu’appliquer la réglementation en vigueur dans l’espace Schengen qui oblige les visiteurs étrangers à justifier de ressources suffisantes pour assumer la totalité de leur séjour. Le cas, apparemment ubuesque, présenté par M. Cocquempot, sera examiné. Une simplification est envisagée, consistant à transformer le visa de long séjour en titre de séjour.
Quant au rôle joué par l’Union pour la Méditerranée, les questions migratoires ont été écartées d’emblée. Les sujets abordés en priorité ont été l’éducation et la dépollution de la Méditerranée. Ce ne sera que dans un second temps que l’Union traitera de l’organisation des flux migratoires.
Le tout nouveau système d’aide au retour espagnol prévoit de verser à ceux qui repartent leurs indemnités de chômage, lesquelles varient en fonction de l’ancienneté. Il sera nécessairement coûteux et ce sont les plus expérimentés, les mieux formés, qui auront intérêt à partir. Le dispositif français est très dynamique puisqu’un couple reçoit 3 500 euros, majorés de 500 euros par enfant jusqu’au troisième. Les Anglais ont à peu près le même système. Les résultats sont encourageants puisque les retours volontaires représentent aujourd'hui 38 % des reconduites, contre 7 % il y a deux ans. Cela étant, il faut avoir à l’esprit que les sommes en cause déclenchent quelquefois des réactions hostiles dans la population française.
Répondant ensuite à M. Philippe Cochet, le ministre a constaté qu’il n’avait pas été possible jusqu’ici de réduire significativement le délai de traitement des demandes d’asile. Des moyens supplémentaires y seront consacrés en 2009, la Cour nationale du droit d’asile devant être rattachée au Conseil d'État et les formations de jugement dirigées par des magistrats à plein temps, et l’on peut donc espérer une amélioration.
En réponse à M. Thierry Mariani, le ministre a considéré que les centres de rétention étaient peut-être de trop grande taille. Mais il faut en la matière faire preuve de prudence : les travaillistes britanniques ont créé, dans la banlieue de Londres, des centres privatisés de 500 places. Pour le centre de Vincennes, il est projeté d’ouvrir en octobre prochain, au même endroit, un premier centre de 60 places, deux autres, de taille identique, devant être reconstruits ultérieurement pour une capacité totale d’accueil de 180 places. Cette décision a fait l’objet d’une discussion avec les associations, avec lesquelles un débat est également ouvert s’agissant du centre du Mesnil-Amelot. Ce dernier, tenu par les gendarmes, est propre et bien organisé et il est en partie privatisé, en particulier pour la distribution de la nourriture et des trousses de toilette remises aux arrivants. Mais le débat porte surtout sur sa capacité d’accueil. Au total, des modules de 60 à 80 places paraissent être la meilleure solution.
Le ministre a enfin indiqué qu’il avait lui-même interrogé Pierre Mazeaud sur la nécessité d’unifier et de simplifier les procédures, sujet sur lequel le président de la commission des Lois a également fait des propositions. Celles de la commission Mazeaud – en particulier en ce qui concerne les audiences délocalisées et les registres communaux qui, s’ils peuvent rappeler des périodes sombres de notre histoire, sont utilisés dans tous les autres pays et permettent de recueillir des informations fort utiles – seront examinées avec la Chancellerie et les initiatives qu’il conviendra de prendre pourront être débattues dans les prochains mois.
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