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Commission des affaires étrangères

Mercredi 17 septembre 2008

Séance de 10 h 00

Compte rendu n° 66

Coprésidence de MM. Axel Poniatowski, Président de la commission des affaires étrangères et Guy Teissier, Président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées, du général Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, ancien sous-chef des opérations à l’état-major des armées sur la situation en Afghanistan

Audition, commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées, du général Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, ancien sous-chef des opérations à l’état-major des armées sur la situation en Afghanistan

La commission a procédé, conjointement avec la commission de la défense nationale et des forces armées, à l’audition du général Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, ancien sous-chef « opérations » à l’état-major des armées, sur les événements et la situation en Afghanistan.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Dans le cadre de notre cycle d’auditions communes avec la commission des affaires étrangères, nous recevons ce matin le général Benoît Puga, directeur du renseignement militaire, jusqu’à très récemment sous-chef « opérations » à l’état-major des armées, et ancien patron du 2e régiment étranger de parachutistes.

Beaucoup a déjà été dit sur l’embuscade qui a coûté la vie à dix de nos soldats le 18 août, que ce soit à l’occasion de l’audition du ministre de la défense ou de celle du chef d’état-major des armées. Même si des questions vous seront sans doute posées sur ces événements, je considère pour ma part qu’il convient d’abord de s’attacher aujourd’hui aux leçons à tirer en matière de renseignement. Je pense tout particulièrement à l’état des moyens que nous déployons à cet effet, qu’il s’agisse de matériels ou de compétences humaines. Qu’en est-il par ailleurs de la coopération avec nos principaux partenaires sur le terrain en matière de partage du renseignement ? Je pense notamment à nos alliés américains.

Lors de son audition, le général Georgelin à beaucoup insisté sur le caractère essentiel du renseignement dans le cadre d’opérations de contre insurrection, pour connaître les structures dirigeantes ennemies ou les neutraliser. Pourrez-vous nous faire part de votre analyse s’agissant de la composition de la direction de l’insurrection et du bilan des opérations menées pour la détruire ou la désorganiser ? Plus largement, quelle est la composition de la « coalition » de nos ennemis et son évolution ? Bien que l’on mélange les deux, il y a en effet deux types de combattants, les djihadistes et les talibans.

Enfin, la bataille se joue aussi largement sur le terrain de la communication et des opinions publiques. Or les insurgés ont malheureusement une longueur d’avance sur la communication institutionnelle de la coalition. Pensez-vous qu’une meilleure utilisation des renseignements collectés par nos services permettrait de mieux orienter la communication vis-à-vis de notre opinion publique ? Il faut faire œuvre de pédagogie pour expliquer le sens de ces combats à nos concitoyens.

M. le général Benoît Puga. En accord avec le général Georgelin et pour illustrer votre dernier propos, j’attire votre attention sur un site internet appelé Alsomood, ce qui signifie volonté, fermeté, résistance, qui publie dans sa revue de septembre une analyse assez détaillée de l’embuscade du 18 août, qu’elle présente comme une victoire des talibans sur les « croisés », punissant la France de son soutien aux Américains. Cette analyse s’appuie sur l’émotion suscitée dans l’opinion publique par la mort de nos dix camarades, citant des propos d’hommes politiques français, utilisant la détresse des familles, montrant des images de la cérémonie des obsèques dans la cour des Invalides, pour insister sur la faiblesse de l’Occident. Elle multiplie notre bilan par deux ou trois, parlant de vingt morts français et de la destruction de l’ensemble des matériels, soit dix-huit chars et blindés. Elle cite également les sondages d’opinion sur le retrait du contingent français, ainsi que le pourcentage de députés qui y seraient favorables, les propos de Jean-Louis Bianco…

M. Jean-Louis Bianco. Qui n’est pas favorable au retrait !

M. le général Benoît Puga. Il est intéressant de voir comment les talibans sont passés maîtres dans l’art de la propagande, exploitant la diversité de la coalition et des réactions des opinions publiques de ses membres.

Je rappellerai pour commencer que le théâtre afghan est très complexe, à la fois par sa géographie et par la diversité de sa population. Le pays, plus grand que la France, est très compartimenté et principalement montagneux : 40 % du territoire se situe entre 1500 et 2000 mètres d’altitude, et les sommets du Nord-Est culminent à 7000 mètres. Le climat est à la fois continental et aride, avec des hivers très froids et des étés très chauds. Tout ceci a des conséquences sur la mobilité de nos troupes et sur les communications.

38 % de la population est pachtoune. Occupant majoritairement le Sud et le Sud-Est, elle se fragmente elle-même en tribus et en clans. Les Tajdiks, qui représentent 25 % de la population, occupent plutôt le Nord-Est. Les Hazaras, chiites en pays sunnite, comptent pour 19 % de la population et se trouvent plutôt dans les provinces du centre ; tandis que les Ouzbeks, 6 % de la population, habitent principalement les plaines du Nord. 99 % de la population afghane est musulmane.

J’en viens à la situation sur le terrain. J’ai participé à une réunion entre M. Kouchner et son homologue britannique, M. Miliband, où nous avons constaté, comme nos camarades britanniques, qu’en dépit de l’augmentation des effectifs de la coalition, l’insurrection est toujours aussi agressive. On recense une cinquantaine d’événements quotidiens, essentiellement concentrés dans le Sud et l’Est. Mais ceci s’explique aussi par le fait que les forces de sécurité afghanes et la force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) maintiennent un rythme opérationnel soutenu : si les forces de la coalition ne bougeaient pas, il y aurait moins d’incidents ! Le nombre d’incidents témoigne donc aussi de la réactivité des unités de la coalition.

La violence n’épargne pas la région capitale : la situation est tendue dans les provinces du Wardak, du Lôgar et de Kâpîssâ, où sont déployés nos operational mentoring liaison teams (OMLT) et la task force Kâpîssâ.

L’activité insurgée ne montre donc aucun signe de faiblesse, et la tendance risque de se confirmer : depuis 2001, c’est en août, septembre et octobre que les violences atteignent leur plus haut niveau.

Face à une coalition qui maîtrise les airs mais qui ne peut contrôler l’ensemble du territoire, les insurgés profitent de leur parfaite connaissance du milieu et d’une très grande mobilité pour mener un combat d’usure combinant des actions directes, embuscades ou attentats suicide, et des actions indirectes, comme des tirs de roquettes, la pose d’engins explosifs improvisés (EEI), au prix de nombreuses victimes, essentiellement dans leurs rangs. Mais leurs pertes ne semblent pas déboucher sur une attrition de leur potentiel de combat. L’insurrection démontre par ailleurs sa capacité à recruter et à régénérer son vivier de combattants. Les coups portés par la coalition, avec notamment l’élimination de certains chefs talibans, n’empêchent aucunement la résistance de se régénérer, les jeunes chefs talibans étant même souvent plus radicaux que leurs prédécesseurs.

J’en viens à la description de l’insurrection. Elle est multiforme, tant les mouvements qui y participent diffèrent par leur histoire, leur idéologie et leur implantation géographique. L’évaluation du nombre des combattants reste très malaisée, mais on peut estimer qu’ils sont environ 15 000, dont un noyau dur de 5 000 à 6 000 permanents recrutés localement ou dans les zones tribales pakistanaises. Le mouvement taleb est celui qui bénéficie du plus important réservoir de combattants.

Quelques précisions de langage : nous appelons « insurgés » l’ensemble des adversaires à la politique du président Karzaï, qui bénéficie du soutien de la coalition. Derrière ce terme se cachent cependant plusieurs mouvements qui ne partagent pas nécessairement les mêmes idéaux ni les mêmes objectifs.

Le mot « taliban » désignait à l’origine les étudiants des madrasas ayant participé à la prise du pouvoir après la guerre civile de 1992-1996. Quant à celui de « moudjahiddines », il désignait les insurgés sous l’occupation soviétique.

Les insurgés regroupent aujourd’hui quatre mouvements. Il y a d’abord les talibans du mollah Omar, mouvement militaro-religieux lié à l’islam du sous-continent indien, rural et pachtoun. Né au milieu des années 1990 dans le Sud et dans les madrasas pakistanaises, il prône l’instauration de la sharia. Il a d’ailleurs imposé un régime clérical en Afghanistan entre 1996 et 2001. Les populations tadjikes, ouzbèkes et hazaras du Nord le tiennent pour un avatar du colonialisme pachtoun. Il est opposé au suffrage universel et recrute dans les zones rurales et pachtounes.

Vient ensuite le Hezb-e-Islami, dit parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar, ou HIG, qui est un parti politique au sens moderne du terme, à prédominance pachtoune. Il n’est pas opposé au suffrage universel et recrute en milieu urbain et sur les campus universitaires de Kaboul et Jalalabad, ainsi que dans l’Est et parmi les Afghans réfugiés au Pakistan. C’est donc le principal adversaire des troupes françaises déployées dans la région capitale et dans celle de Kâpîssâ.

On trouve ensuite le réseau Haqqani, du nom de son fondateur Jalaluddin Haqqani, aujourd’hui décédé. Proche des talibans historiques, il se caractérise par ses connexions avec le djihad international et par une forte implantation tribale, limitée au centre sud du pays. Ses membres sont peu nombreux, mais sa capacité à fédérer certains groupes isolés fait de lui une menace grandissante.

Il y a enfin les mouvements étrangers et supranationaux. Le nombre des combattants étrangers est difficile à évaluer, mais de l’avis des services de renseignements, il ne dépasserait pas 5 % du total des insurgés. Il est essentiellement présent dans l’Est, en raison de la proximité avec le Pakistan. On y retrouve Al Qaïda et les mouvements djihadistes pakistanais.

La rébellion a mis en place une structure de commandement souple, adaptée à la réalité géographique et tribale de ses différentes composantes. Il s’agit d’une alliance objective, ponctuelle et locale, qui a démontré en 2008 sa capacité à élaborer une stratégie et à la mettre en œuvre. Elle est un savant mélange de pragmatisme et d’opportunisme, une caractéristique des Afghans selon les Britanniques, qui exploite les points faibles de la coalition. Les « retours d’expérience » imprudemment publiés sur internet ou dans la presse sont ainsi rapidement exploités.

J’en arrive au financement, dans lequel la drogue tient une place importante puisqu’elle procurerait près de 3 milliards de dollars, dont une part va à l’insurrection, le reste provenant des taxes locales sur la population et des enlèvements contre rançon.

En ce qui concerne les modes d’action, la guérilla privilégie les embuscades qui représentent 44 % des incidents. Elles mobilisent en général 15 à 20 insurgés et les accrochages durent rarement plus d’une heure trente. Viennent ensuite les EEI, qui représentent 23 % des incidents mais sont responsables de 60 % des pertes de la coalition. Heureusement, les erreurs de manipulation et la mauvaise qualité des matériaux utilisés font que seuls 50 % des engins posés explosent. Enfin, les tirs indirects, de roquettes ou de mortiers, constituent 13 % des incidents.

Même si les insurgés frappent en priorité les forces occidentales et les forces de sécurité afghanes, c’est la population civile qui continue de payer le plus lourd tribut. En 2008 ont ainsi été recensées environ 600 morts parmi les civils, pour 2500 rebelles, 123 membres de l’armée afghane, 330 de la police afghane et 220 morts dans les rangs de la coalition, dont 115 Américains. Depuis l’embuscade du 18 août, la coalition a eu à déplorer 29 morts supplémentaires. Le nombre des incidents est cependant cohérent avec le rythme soutenu des opérations que la coalition conduit. L’insurrection a en outre déployé des capacités et des tactiques nouvelles : elle a amélioré ses aptitudes à manœuvrer les éléments tactiques lors des embuscades et sait se coordonner au niveau local, mais pas encore au niveau national.

Les insurgés ont également généralisé le ciblage des réseaux téléphoniques. Entre trois et cinq réseaux de téléphonie portable sont aujourd’hui accessibles en Afghanistan. Les talibans, qui savent que c’est un moyen de transmission de l’information, détruisent ou neutralisent temporairement les relais afin de se protéger.

Ils maîtrisent aussi de mieux en mieux l’information, et contrôlent de fait, via la superposition de structures tribales, religieuses et officielles, certaines zones où la coalition est absente. Je pense à certains petits plateaux du centre, inaccessibles par la route six mois de l’année et propices à la culture de la drogue comme à l’implantation de caches.

Je ne reviens pas sur les différentes zones de commandement régionales. Je me bornerai à celle qui nous préoccupe le plus, à savoir la région capitale et la frange ouest de la région de commandement (RC) Est, où sont déployés nos bataillons et où la menace terroriste est récurrente. Le terrain, très compartimenté et difficile d’accès, favorise l’usage des EEI et des tirs de roquette. Quant à la capitale, siège des états-majors de la coalition et du gouvernement afghan, elle a valeur de symbole.

Quelles sont à présent les perspectives ? Nous estimons que les insurgés vont continuer à résister à la pression des forces afghanes, en particulier dans le Sud et dans l’Est, et vont développer leurs campagnes de communication en direction des opinions occidentales. Les Talibans savent qu’ils ne peuvent pas vaincre la coalition sur le plan militaire, mais ils veulent empêcher la coalition de gagner en la divisant.

Le président Karzaï a lancé le 29 septembre 2007 une nouvelle proposition de négociation aux dirigeants insurgés de haut rang. Pour l’instant, le mollah Omar rejette cette discussion tandis que M. Hekmatyar est prêt à une certaine forme de discussion. Dans le cadre de la préparation des élections présidentielles de la fin 2009, les rebelles ont cependant tout intérêt à entretenir un climat d’insécurité.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Merci pour toutes ces précisions qui nous apportent un éclairage intéressant. Vous n’avez cependant pas répondu à ma question sur l’état de votre coopération avec les services de renseignement américains ou britanniques. L’échange de renseignements s’opère-t-il bien ?

M. le général Benoît Puga. Oui, et cela fonctionne de mieux en mieux. Ayant suivi les opérations en Afghanistan depuis le premier jour, je ne puis que le constater. Nous appartenons à une coalition et l’ensemble des moyens de ses membres sont donc mutualisés. Nous avons d’abord des unités de renseignement qui sont intégrées à l’échelon tactique, avec le bataillon de Kâpîssâ ou le bataillon français de la RC capitale. Au niveau opérationnel, c'est-à-dire au niveau du théâtre, des moyens sont également mutualisés dans les RC ou au niveau de la FIAS : dans le cadre des différentes manœuvres effectuées, drones et hélicoptères contribuent par exemple à la recherche du renseignement en fonction des plans de recherche du renseignement définis par le bureau J2, c’est-à-dire le bureau renseignement de la FIAS. Au niveau stratégique, chaque pays participe à la recherche et à l’analyse du renseignement et contribue au travail effectué par la chaîne de commandement de l’OTAN à Mons. Chacun prend sa part dans la mise en œuvre des moyens.

Nous avons également des échanges bilatéraux ou multilatéraux, en fonction des domaines, avec les services de renseignement de nos alliés américains, britanniques ou allemands. En ce qui concerne le renseignement par images et notamment par satellite, il existe dans le cadre de la communauté Hélios un partage de l’image et de l’emploi du satellite en fonction des théâtres d’opération et des priorités stratégiques. Nous partageons nos analyses avec les Américains dans ce domaine.

Autre exemple, celui du renseignement électromagnétique, qui concerne les écoutes, les signaux, les émissions radar… Nous avons mis en place il y a environ six mois, notamment avec les Américains, une organisation pour améliorer l’efficacité et la coordination des différents capteurs afin de nous répartir les différents secteurs. Je n’entre pas dans les détails par souci de confidentialité, mais sachez que cette coordination s’opère de mieux en mieux. Il reste que le renseignement est un domaine très sensible et que chaque pays a le légitime souci de protéger ses sources.

Je vais prendre un exemple simple que nous vivons tous les jours : lorsque vous aidez la population par des opérations civilo-militaires et des projets de reconstruction, vous gagnez sa sympathie. Celle-ci vous donne alors du renseignement. Le traitement de ce renseignement vous permet de localiser une cache d’armes ou une bande rebelle. Vous remettez alors ces combattants à la justice afghane, dont on connaît le degré de corruption et de désorganisation. Contrairement à ce que souhaitent la population et les chefs tribaux, elle refuse d’appliquer la sharia. Les rebelles sont donc rapidement relâchés. Imaginez ce que ressent la population qui les voit revenir dans leur village ! La source de renseignement est alors définitivement tarie.

Les renseignements que nous livrons doivent donc l’être avec toutes les précautions d’usage. Je suis obligé de le dire franchement, nous ne sommes pas certains de la sûreté des mesures prises par certains services de la coalition lorsqu’ils manipulent cette information. Or une fuite peut être dramatique. Il faut être sûr que telle ou telle information capitale a bien été transmise, notamment lorsqu’elle passe par des services qui ne prennent pas forcément mesure de l’importance de l’information, qui comprennent plus ou moins bien l’anglais et qui savent plus ou moins bien manipuler l’informatique…

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de nos deux commissions. L’audition d’aujourd’hui est plus particulièrement axée sur le renseignement qui a fait l’objet de nombreux commentaires. Vous nous dites que cela fonctionne bien au sein de la coalition et que les équipements en place vous permettent d’avoir tout le renseignement voulu. Pouvez-vous néanmoins nous dire s’il manque des équipements techniques à la coalition, ou considérez-vous vraiment qu’elle est parfaitement équipée ?

Vous nous avez également parlé du renseignement humain. Considérez-vous que vous recueilliez tout ce dont vous avez besoin ? Comment les forces françaises travaillent-elles dans ce domaine ? Quelles sont vos relations avec l’armée afghane qui a vocation à recueillir encore plus de renseignements que les coalisées? Peut-on avoir totalement confiance dans les renseignements qu’elle collecte ? Est-il possible qu’elle en ait donné aux insurgés ?

M. le général Benoît Puga. Je corrige mon propos initial : nous n’avons hélas pas tout le renseignement souhaité, même s’il est de notre devoir de tout faire pour avoir le plus de renseignements possible. Ce dont je me satisfais, c’est de l’amélioration de la coordination du renseignement. Dans ce domaine, on ne peut jamais considérer qu’on est arrivé à un niveau optimum : il faut toujours œuvrer à l’amélioration, ne serait-ce que parce que les personnels changent sur le terrain et que l’échange de renseignements suppose un entretien permanent d’une relation de confiance, de personne à personne et de service à service.

Nous avons une organisation satisfaisante, mais nous continuons les efforts en termes de moyens déployés sur le terrain. Nous essayons de trouver le dispositif le plus pertinent par rapport à la menace et aux besoins. Des propositions sont actuellement à l’étude pour améliorer le renseignement humain et le renseignement électromagnétique, qui connaît depuis six mois une montée en puissance. Nous achevons ainsi de mettre en place, comme je l’ai indiqué, une coordination avec les Américains dans le domaine des écoutes. C’est un travail difficile, car l’adversaire utilise la moindre information. En ce moment, il utilise plusieurs moyens de communication radio, parmi lesquels les téléphones portables, les transmissions, passant rapidement de l’un à l’autre.

Il me semble donc que notre organisation est bonne, et qu’il il faut continuer à travailler en ce sens, même si depuis six mois, le système est de plus en plus efficace.

En ce qui concerne le renseignement humain, nous aimerions obtenir davantage de renseignements auprès des personnes détenues, mais c’est là un domaine sensible. Actuellement, ce sont les Afghans qui mènent ces interrogatoires. Quelle est la part d’informations qu’ils nous donnent réellement ? C’est très difficile à mesurer. Le nombre de policiers et de militaires afghans tués nous montre qu’ils sont en majorité loyaux au gouvernement. Les membres des OMLT peuvent en témoigner, la troupe afghane est très attachée à la défense de son sol. Nous ne sommes pas pour autant naïfs, ce qui rend difficile le partage du renseignement avec les Afghans. N’oublions pas qu’un des membres de la police afghane a participé à la tentative d’attentat contre le président Karzaï lors de la fête nationale au printemps dernier. Malgré cela, la coordination avec les Afghans existe et nous sommes en train de la développer, en liaison avec le commandement de l’OTAN, même si c’est difficile. Nous avons par exemple intégré il y a six mois des officiers de liaison afghans au sein de l’état-major de la FIAS, avec tous les problèmes que cela suppose en termes de discrétion et de protection de l’information.

M. Yves Fromion. Vous avez évoqué le renseignement, or nous savons tous que la difficulté en Afghanistan tient à la traduction de ce qui est dit, les insurgés utilisant non seulement l’afghan mais aussi de nombreux dialectes. Arrivez-vous à surmonter cette difficulté notamment dans les domaines opérationnels ?

Vous avez par ailleurs évoqué un contexte général de guerre psychologique. Les Talibans sont en train d’acquérir une vraie maîtrise dans ce domaine. La coalition a-t-elle mis en place une contre-guerre psychologique ? Est-elle capable, dans une relation organisée avec la population et l’opinion publique internationale, de contrer les effets destructeurs de la stratégie des Talibans ?

M. Philippe Vitel. Selon la résolution 1386 de l’ONU, l’une des quatre missions de la FIAS est d’aider à désarmer les groupes illégaux, d’où la guerre que nous menons aujourd’hui contre le terrorisme et les Talibans. Derrière cette guerre, il y a donc une guerre contre l’idéologie, avec les opérations militaires d’influence que vient d’évoquer M. Yves Fromion. Je crois savoir qu’elles sont assez limitées. Les Allemands ont certes monté une radio anti-talibans et les Danois une télévision sur internet ; mais il ne semble pas que la stratégie d’influence de la coalition soit assez offensive. Comment la renforcer ? Quels sont les résultats de ce qui a déjà été fait ?

Je souhaite en outre avoir une précision sur le nombre d’hommes présents en Afghanistan. On évoque 70 000 personnes. Le dernier chiffre connu pour la coalition est de 47 600, dont 17 500 Américains. Il y aurait également, 20 000 Américains hors coalition. Est-ce exact et quel est leur rôle ?

M. Jacques Myard. La situation que vous avez décrite relève, me semble-t-il, d’une guerre entre deux mondes, d’un choc des civilisations. Pour gagner une guerre de ce type, ce qui est à mon avis impossible, il faut diviser pour régner. Or ici, le noyau de ceux qui pourraient pénétrer le milieu adverse pour le diviser et le détruire, le combattre idéologiquement, à savoir les « alliés » afghans, est pourri. Je ne vois donc pas comment nous en sortir. Je vous renvoie d’ailleurs à l’un des mentors du Pentagone, Ali Jalali, qui vient de publier un article selon lequel la guerre durerait 15 à 20 ans. C’est un Pachtoun qui connaît son pays. Jamais nous ne pourrons diviser pour régner et retourner l’adversaire, puisque nous venons de l’extérieur. Il nous manque tous les éléments pour gagner, politiques et idéologiques, parce que ce n’est pas seulement un problème de frappes militaires.

M. François Lamy. L’organisation du renseignement et son partage se font-ils uniquement au sein de la FIAS ? Existe-t-il un dispositif à part pour l’opération américaine Enduring Freedom, et si oui, comment s’opère la coordination entre les deux ?

Vous avez par ailleurs expliqué que les Talibans se coordonnaient bien au niveau local, mais pas au niveau national. Mais leur capacité à s’informer parfaitement et à influer sur l’opinion publique française démontre tout de même une solide organisation. Travaillez-vous avec vos collègues pakistanais à ce sujet ? Pouvez-vous nous en dire plus sur les liens entre l’Inter-Services Intelligence (ISI) et l’insurrection ?

M. Jacques Remiller. Chacun a en mémoire le combat courageux du commandant Massoud. Dans quel camp se placent aujourd’hui ses successeurs et ses héritiers ?

M. le Général Puga. Il y a en effet un déficit de communication stratégique du côté de la coalition, ce qui a été reconnu au sommet de Bucarest qui a souhaité une amélioration de la communication stratégique mais aussi de la communication sur le terrain. Pour autant, le combat n’est pas à armes égales. C’est pourquoi un travail a été entrepris en ce domaine. Pour ce qui concerne le renseignement militaire, il s’agit d’analyser la communication de l’adversaire ; j’en ai parlé tout à l’heure en évoquant le site Alsomood.

Pour répondre à M. Myard, et sans sortir de mon rôle, je rappelle que nous sommes là pour soutenir les autorités afghanes. Ceux qui doivent gagner la guerre, ce sont les Afghans !

M. Jacques Myard. Mais comme ils faillissent, vous vous substituez pas à pas à leur combat.

M. le Général Puga. Les autorités politiques françaises ont toujours dit qu’il ne s’agissait pas d’un problème militaire, mais d’abord d’un problème politique et économique. Notre priorité est donc d’appuyer les autorités afghanes, y compris dans le domaine du renseignement. Dans le cadre de la formation de l’armée afghane, nous participons d’ailleurs à l’entraînement et à la formation des services de renseignement militaire afghans.

La traduction est en effet un vrai problème. Non seulement les langues parlées en Afghanistan sont rares, mais il faut être sûr de la fiabilité de l’interprète et assurer la protection de sa famille. Récemment encore, un interprète et sa famille ont été exécutés par les Talibans dans un village de l’Est. Cette difficulté a un coût : il faut ou former des gens ou s’assurer que la traduction sera précise en termes militaires, sachant qu’il est plus facile de trouver des interprètes anglophones, ce qui impose une nouvelle traduction en français, donc une multiplication des imprécisions avec ce double filtre.

J’en viens au désarmement des groupes illégaux. Le problème est délicat : nous désarmons les seigneurs de la guerre, c’est-à-dire les tribus locales. Dans le Nord, les Tadjiks et les Ouzbeks ont été les vainqueurs de la guerre contre les Talibans, c'est-à-dire qu’ils ont libéré l’Afghanistan du gouvernement taliban et on leur demande maintenant de rendre leurs armes alors qu’ils font face à un retour des Talibans ! Ce sont aussi de grands trafiquants d’armes et de munitions. Fahim Khan, par exemple, avec qui nous avions négocié le déploiement de la FIAS en 2001, lorsqu’il était ministre de la défense, est aujourd’hui poursuivi pour trafic de drogue. La prévarication à tous les niveaux rend l’exercice difficile…

Quant aux opérations militaires d’influence, nous y participons directement, notamment avec nos forces spéciales. Les Danois, les Allemands et les Britanniques ont développé des moyens ; nous avons développé nos capacités sur d’autres théâtres. Les radios nous ramènent au problème de la stratégie de communication. Les Américains ont aussi leur radio ; ils distribuent des affiches. Il est difficile de mesurer la portée de tout cela. On sait que la radio passe bien et qu’elle est écoutée par les Afghans. C’est moins sûr pour la télévision et pour internet. Il est plus facile pour les Talibans d’utiliser internet et la presse pour intoxiquer l’opinion occidentale qu’à la coalition d’atteindre la population civile dans les campagnes.

J’ai dit qu’il n’y avait pas de coordination entre les grands mouvements au niveau national. Les Talibans ont une stratégie de communication, mais elle ne peut être commune avec celle du HIG puisqu’ils n’ont pas d’objectif politique commun. Ils ont simplement une alliance objective pour faire tomber le gouvernement Karzaï et pour lutter contre la coalition.

Les Américains sont 21 500 dans le cadre de la FIAS et 9 000 dans le cadre d’Enduring Freedom. Cette dernière opération relève du commandement du commandement central (Centcom) stationné à Tampa. Au sein de la FIAS, ce sont actuellement les Américains qui commandent, et celui qui est en charge des opérations a une double casquette. Il a donc le contact direct avec nos partenaires américains. Il y a bien sûr des problèmes de coordination sur le terrain, mais nous nous efforçons de les réduire. Ceux qui ont vu le bataillon français de Kâpîssâ ont pu constater que le chef de corps du 8e RPIMa dispose de toutes les informations disponibles sur les unités américaines déployées dans le RC Est. Chacun a accès à l’information qu’il a besoin d’avoir. La coordination du renseignement est donc assurée par les Américains, et nous veillons à ce que là où nous sommes, ils partagent l’information.

Quant au travail de renseignement avec les Pakistanais, il est difficile. C’est l’OTAN qui conduit l’opération ; c’est donc au niveau du commandant de la FIAS que le contact officiel s’établit, avec le comité tripartite composé des Américains et de l’OTAN, des Afghans et des Pakistanais, qui a pour objet de coordonner l’action de part et d’autre de la frontière. Ceci étant, le « cousinage » entre les tribus afghanes et celles des zones tribales du Pakistan rend cette coordination difficile. Le poids de l’histoire est lourd : nos partenaires pakistanais n’ont pas toujours confiance lorsqu’ils discutent avec un Afghan qui n’est pas pachtoun.

La direction du renseignement militaire (DRM) n’est pas en mesure de confirmer que l’ISI conduit des actions de déstabilisation en Afghanistan. Nous savons que dans le cadre de la lutte contre les Soviétiques puis contre le régime taliban, il y a eu des alliances entre les Pakistanais et les Afghans : dans les zones tribales pakistanaises, en particulier dans le Waziristan, le phénomène religieux a été encouragé.

M. Jacques Myard. C’est la grande stratégie américaine !

M. le Général Puga. Ce sont les enfants de ces gens-là qui sont les nouveaux combattants, et ils regardent bien sûr avec attention ce qui se passe en Afghanistan. Mais quand on voit le nombre de morts dans les rangs des forces de sécurité pakistanaises qui luttent contre les Talibans pakistanais et contre Al Qaïda, on ne peut pas dire que les Pakistanais restent les bras croisés. En revanche, les Talibans afghans ne sont pas leur première priorité. Quoi qu’il en soit, la DRM ne peut pas confirmer que l’ISI soutient officiellement l’opposition afghane.

J’en viens à la question de M. Remiller. Il y a dans l’Alliance du Nord des fils et des frères du commandant Massoud.

Mme Françoise Hostalier. Ce ne sont pas ses fils, mais ses frères.

M. le Général Puga. Ils participent au gouvernement et essayent de monter un parti politique. La difficulté, c’est que tout le monde, y compris le président Karzaï, se veut l’héritier du commandant Massoud. Fahim Khan, dont j’ai parlé tout à l’heure, était l’un des généraux de Massoud. En réalité, l’héritage de ce dernier est partagé, et le mouvement de ses proches peine à s’imposer. Le président Karzaï sait que sa base est fragile. Actuellement, il a besoin de donner des gages aux Pachtouns et au Sud, ce qui l’éloigne de la ligne de Massoud.

M. Christophe Guilloteau. Vous avez parlé d’actions de neutralisation et de destruction des réseaux téléphoniques. Mais sur place, on nous a expliqué que cela fonctionnait très bien, je l’ai moi-même expérimenté au fond de certaines vallées.

Pensez-vous par ailleurs qu’il existe des relais humains de ces organisations en France ? Recrutent-elles encore des jeunes pour partir en Afghanistan ?

M. Jean-Claude Viollet. On entend dire que les capacités des insurgés pourraient être accrues par des armements perfectionnés, provenant notamment de Chine, acheminés en direct ou via le Hezbollah. A-t-on une idée du niveau d’armement actuel, des modifications qui pourraient intervenir et des nouvelles menaces qui en résulteraient pour la coalition ?

M. Jean-Michel Boucheron. J’ai pu constater sur place avec mes collègues que dans les postes avancés, nos militaires disposaient des écrans de renseignement américains pour les opérations locales. À mon sens, une des grandes faiblesses de notre intervention en Afghanistan tient à l’opération Enduring Freedom et à ses bavures. Lorsque vous nous dites qu’il y a échange d’informations entre la coalition et les Américains, vous parlez des Américains de la FIAS. Je vous pose donc une question précise : quand un B2 décolle de Diego Garcia pour une opération en Afghanistan, l’apprenez-vous par le journal ou par votre écran ?

M. Paul Giacobbi. Nous avons parlé de la langue. J’aimerais qu’on soit plus précis : quels sont les effectifs français qui parlent le pachtoun, ou au moins le dari ? Avez-vous des sources d’information directes dans la zone tribale ?

En ce qui concerne l’armement, quid de la portée des lance-roquettes ou des armements assimilés ? On nous a dit l’autre jour que les Pachtouns n’étaient pas très doués dans le maniement des armes modernes. Je pense qu’ils apprennent très vite !

Enfin, que pensez-vous de l’hypothèse d’un hiver très « chaud » qui commence à être évoquée ? Autoriserait-elle des offensives sur nos bases ?

M. Gérard Bapt. J’apprécie la clarté de vos réponses, mon général. Elles tranchent avec la langue de bois !

J’avais interrogé le général Georgelin sur une dépêche AFP qui faisait état de la protestation élevée par le Pakistan après un raid sur un village qui avait fait des victimes civiles. Il nous avait répondu qu’il n’était pas au courant.

J’ai lu dans la presse que nous avions relevé un contingent italien dans la vallée d’Ouzbin, et que les Italiens avaient passé avec les Talibans un accord aux termes duquel ils ne se rendraient pas dans certaines vallées, contrairement à l’armée française. Est-ce vrai ?

Enfin, on m’a rapporté que par mesure de rétorsion suite aux événements de Géorgie, de Pologne et d’Ukraine, les Russes laisseraient volontiers passer quelques armes sophistiquées vers l’Afghanistan, notamment des missiles anti-hélicoptères.

Une remarque pour finir : je vois mal le Hezbollah libanais, qui est chiite, aider Al Qaïda qui est son pire ennemi, y compris au Liban.

Mme Françoise Hostalier. Je ne suis pas tout à fait convaincue par votre réponse sur l’ISI… Peut-on s’attendre à un repositionnement de ce côté-là avec le nouveau président et le nouveau gouvernement pakistanais ? Si oui, dans quel sens ?

 Il semble que depuis quelques mois les insurgés soient mieux armés et mieux renseignés. Y a-t-il un lien entre cette évolution et ce qui s’est passé récemment à Delhi ?

En ce qui concerne le renseignement, n’y a-t-il pas surenchère dans certains cas ? Plus il y a de dommages collatéraux, plus cela crée des perturbations dans la communication. N’y a-t-il pas de « contre-informations » que vous maîtrisez mal ? Je précise que j’arrive à l’instant d’Afghanistan.

M.Jean-Pierre Dufau. Vous avez dit que les Talibans savaient qu’ils ne pouvaient pas gagner sur le terrain militaire. Vous n’en avez pas moins laissé entendre qu’une victoire définitive de la coalition était peu probable. Quelle issue militaire y a-t-il donc pour elle ?

M. Lionel Tardy. Je voudrais revenir sur le renseignement terrestre. Nous arrivons à l’hiver. Nos forces sont de plus en plus conduites à sortir de leurs bases. Pensez-vous être suffisamment équipés, notamment en termes de transports ? On sait que les véhicules de l’avant blindés (VAB) ou les AMX 10 RC sont mal adaptés à la configuration du terrain afghan, surtout en hiver. Quel est votre sentiment ?

Je reviens maintenant sur la durée d’engagement, qui est déterminante pour le renseignement. Le chef d’état-major des armées nous a parlé de durées d’engagement plus longues.

M. le président Guy Teissier. C’est déjà fait.

M. Lionel Tardy. Qu’en est-il exactement ?

M. le Général Puga. Les transports ne relèvent pas de la DRM. Mais en ce qui concerne le renseignement, les matériels sur le terrain sont adaptés aux missions et les difficultés propres à l’hiver étudiées en amont. Les contraintes seront d’ailleurs les mêmes pour l’adversaire.

J’en viens au renseignement. Nous sommes informés de ce que nous avons besoin de connaître au niveau du théâtre. Nous devons néanmoins savoir ce que les Américains font dans le cadre d’Enduring Freedom et nous assurer que nos unités sont au courant de ce qu’elles ont à connaître pour le terrain. C’est le cas pour les B2, puisque nous participons au Air Operations Center (CAOC) où se planifient l’ensemble des missions aériennes.

Vous avez évoqué les dommages collatéraux. Les règles d’engagement et d’emploi des munitions sont différentes pour l’OTAN et pour les Américains. La détermination du rayon de sécurité pour chaque type d’armement relève en effet d’une décision du commandement.

À propos de ces dommages collatéraux, la presse a récemment fait état de 90 morts. Mais selon les Américains, il n’y avait eu que sept civils tués. Au vu des éléments contradictoires, le général Mac Kiernan a décidé d’ouvrir une enquête de commandement, qui est actuellement en cours. Je constate une utilisation abusive de ces dommages collatéraux, même s’ils sont réels. Un mariage a par exemple été frappé par des bombes : les pilotes américains ont été aussitôt relevés et ont été traduits en cour martiale. Il y a eu la bavure d’une unité du marine corps à Jalalabad, qui a riposté à des tirs en faisant des dommages dans la population civile : elle a été relevée dans les quinze jours. Les Américains prennent donc le phénomène en compte ; mais il n’est pas traité au niveau stratégique.

Selon une étude de la DRM, 60 % des dommages collatéraux sont dus aux insurgés (attentats suicides).

Je n’ai pas à porter de jugement sur l’issue militaire. Depuis le début, notre but est l’afghanisation et la formation de l’armée afghane.

En ce qui concerne le nouveau président pakistanais, nous sommes bien sûr en pleine analyse. Nous connaissons son passé et la volonté du peuple pakistanais de régler le problème du terrorisme. Demeure aussi celui des zones tribales, qui est particulièrement complexe. S’agissant de l’ISI, je ne puis que vous répéter que nous ne sommes pas en mesure de confirmer que l’ISI soutient les insurgés. Nous avons certes des éléments, nous savons que des gens se parlent, il y a des liens, mais nous ne savons pas s’ils sont officiels ou officieux. C’est particulièrement difficile à déterminer.

Pour l’instant, Monsieur Bapt, les Américains infirment toute opposition entre les armées pakistanaise et américaine lorsque cette dernière a conduit une action le lendemain ou le surlendemain de l’action de destruction avec des pertes civiles. Nous constatons, le chef d’état-major américain l’a d’ailleurs annoncé officiellement, une gradation dans l’engagement des forces américaines au Pakistan. Je ne suis pas en mesure de vous dire si cela fait suite à un accord avec le président Musharraf et si son successeur poursuivra dans cette voie.

Je suis très dubitatif quant à d’éventuelles rétorsions de la part des Russes.

J’en viens à l’armement des Talibans. Il ne devient pas de plus en plus sophistiqué, car cela supposerait des entraînements, du stockage, de l’entretien. Je rappelle que ce sont les missiles Stinger qui ont inversé le rapport de force avec les Russes.

M. Jacques Myard. Grâce à la CIA !

M. le Général Puga. Nous avons des informations selon lesquelles ce type d’armement circulerait, mais nous n’avons jamais constaté de tirs Stinger sur le théâtre. Cela étant, cela peut arriver vite.

Je me suis mal expliqué sur le réseau téléphonique : ce sont les Talibans qui détruisent les pylônes. Nous les soupçonnons même d’obtenir de certaines sociétés qu’elles coupent les communications ; nous sommes en train de le vérifier.

En ce qui concerne les relais humains en France, je vous renvoie à la direction centrale du renseignement intérieur, n’étant pas compétent sur le territoire national.

Il est possible que des armes transitent par la Chine, mais ce sont des kalachnikov ou des RPG-7, autrement dit, des armes très rustiques. Il est vrai que les insurgés ne prennent pas garde aux dommages collatéraux. L’important est qu’on dise qu’ils ont tiré une roquette sur la base.

J’ai déjà parlé de la coordination du renseignement que l’OTAN s’attache à améliorer.

Je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre de gens parlant le pachtoun et le dari dont nous disposons. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas très important. Tout dépend bien sûr du degré de fiabilité que nous attendons.

J’en viens aux relations entre la FIAS et Enduring Freedom. Nous faisons le « forcing » auprès des Américains pour obtenir la meilleure fusion possible, mais vous savez qu’Enduring Freedom a pour objectif de combattre le terrorisme, ce qui est exclu du mandat de la FIAS puisqu’un certain nombre de pays n’ont pas voulu l’y voir inscrit.

M. Jean Michel. On intervient dans Enduring Freedom !

M. le Général Puga. La France a accepté depuis le premier jour de combattre le terrorisme ; mais c’est exclu du mandat de la FIAS. Les objectifs d’Enduring Freedom, ce sont les high value targets : si Ben Laden apparaît à portée de nos armes, cette information sera gardée jalousement pour s’assurer du succès de l’opération. C’est le même problème que pour les criminels de guerre en ex-Yougoslavie : celui qui a su où était Karadzic a protégé l’information pour être sûr que ce soit la personne idoine qui aille l’arrêter.

On peut donc comprendre le cloisonnement. Soyez cependant sûrs que nous progressons dans le sens que vous attendez.

M. Guy Teissier, président de la commission de la défense. Je vous remercie une fois encore de la clarté de vos réponses.

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