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Commission des affaires étrangères

Mardi 30 septembre 2008

Séance de 16 h 00

Compte rendu n° 71

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Mikhail Yakovlev, chargé d’affaires de la Fédération de Russie en France

– Informations relatives à la commission

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Présidence de M. Axel Poniatowski

Président de la commission

Audition de M. Mikhail Yakovlev, chargé d’affaires de la Fédération du Russie en France.

La séance est ouverte à seize heures

M. le président Axel Poniatowski. Je suis heureux d’accueillir M. Mikhail Yakovlev, chargé d’affaires de la Fédération de Russie à Paris – l’ambassadeur, M. Alexandre Orlov, devant présenter ses lettres d'accréditation d’ici à quelques semaines.

Monsieur le chargé d’affaires, la commission des affaires étrangères a souhaité vous auditionner à propos de la situation internationale, plus particulièrement en Abkhazie, en Ossétie du Sud et en Géorgie, l’occupation de ce dernier pays ayant été condamnée par la quasi-totalité de la communauté internationale, notamment l’Union européenne. Le président en exercice de cette dernière, M. Nicolas Sarkozy, s’est rendu dans les jours qui ont suivi le 8 août à Moscou et à Tbilissi avant de faire entériner par l’Union européenne puis par la Russie et la Géorgie un accord en six points – lequel semble aujourd'hui donner lieu à différentes interprétations.

Les troupes russes ont, si je ne m’abuse, quitté le territoire géorgien à l’exception de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie qui, officiellement, font toujours partie de la Géorgie. Avant d’aborder la situation dans les pays voisins, pouvez-vous déjà nous faire part de la sortie de crise imaginée en la matière par la Russie, sachant que nos préoccupations ont été avivées hier par M. Poutine qui a déclaré vouloir abolir les frontières entre la Russie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ?

M. Mikhail Yakovlev, chargé d’affaires de la Fédération de Russie en France. Monsieur le président, mesdames, messieurs, permettez-moi de rappeler tout d’abord un fait symbolique : aujourd'hui même, la République d’Abkhazie commémore le quinzième anniversaire de sa déclaration d’indépendance. C'est jour de fête nationale, avec défilé militaire, manifestations diverses, chants et danses.

Le problème survenu au mois d’août est dû à l’héritage de l’époque soviétique et à la politique menée par Staline, d’origine d’ailleurs géorgienne, et par ses successeurs, qui a conduit à tracer de façon parfois arbitraire des limites administratives, sans considération des traditions et de l’histoire des peuples habitant les territoires concernés.

Il en va ainsi de l’Ossétie et des Ossètes. Nous parlons de République d’Ossétie du Nord et de République d’Ossétie du Sud, mais celles-ci sont constituées d’un même peuple, qui parle la même langue, qui partage les mêmes traditions historiques et la même religion orthodoxe et qui n’a été divisé que par la volonté classique, de la part de dirigeants, de diviser pour régner.

Le conflit qui a semblé surgir au mois d’août dernier remonte à une époque bien antérieure. Il remonte au début des années quatre-vingt-dix, avec l’éclatement de l’Union soviétique et les demandes d’autonomie voire d’indépendance de la part des mouvances nationalistes, comme en Ossétie du Sud et en Abkhazie. La Géorgie ayant en effet refusé de laisser partir ces deux territoires, une première guerre fut engagée avant qu’une solution ne soit trouvée tant avec l’Ossétie du Sud, par l’accord de Dagomys de 1992 prévoyant l’installation de forces de maintien de la paix composées de militaires russes, géorgiens et Ossètes, qu’avec l’Abkhazie, par l’accord de Moscou de 1994 autorisant également le déploiement de forces de maintien de la paix. Depuis, des provocations ont certes été à déplorer d’un côté comme de l’autre, mais la Russie est parvenue à maintenir le statu quo. Au mois d’août dernier, malheureusement, l’agression commise par le régime de Tbilissi a conduit à un retour non pas au point de départ, mais beaucoup plus en arrière.

Il convient à cet égard d’user de la bonne terminologie. L’intervention de Tbilissi constitue pour nous une agression et une tentative de génocide, d’extermination massive de la population civile. Ce que vous appelez l’occupation de la Géorgie par la Russie n’était en aucun cas une occupation, mais une opération de riposte, telle que prévue par les Nations unies, tendant à forcer l’agresseur à la paix.

S’agissant maintenant de l’avenir de ces peuples et de ces territoires, la philosophie en la matière repose sur un équilibre à trouver entre le principe de l’intégrité territoriale et celui du droit des peuples à l’autodétermination. Dans le cas du Kosovo, dont nous avons souligné à l’époque qu’il ne pouvait créer qu’un précédent sur le plan international, les Kosovars n’étaient pas menacés d’extermination physique de la part des autorités de Serbie. Il était donc facile de s’en tenir au principe de l’intégrité territoriale de la Serbie, les problèmes, s’il y en avait, pouvant être réglés dans le cadre international. Certains États ont pourtant reconnu l’indépendance du Kosovo. Dans le cas de l’Ossétie du Sud, la situation était différente : la population civile était sous la menace d’une extermination physique. Il fallait donc prendre des mesures pour sauver la vie des gens. Ce qui était en cause, ce n’était pas le principe de l’intégrité territoriale, mais la vie de civils.

Concernant le règlement de la crise, outre l’accord en six points déjà évoqué, le retrait des forces russes est presque terminé. Un reportage télévisé, ce matin encore, montrait les derniers soldats quitter le territoire. Quant aux observateurs et aux forces de police de l’Union européenne, ils sont sur place.

L’accord donne lieu, il est vrai, à des lectures différentes s’agissant de l’avenir et de la sécurité de ces Républiques. Alors qu’il s’agit pour nous de garantir la sécurité de ces dernières, notre partenaire qu’est l’Union européenne parle de maintenir la sécurité entre les territoires concernés, c'est-à-dire d’envoyer des forces et des observateurs dans des républiques que nous avons reconnues comme indépendantes. C'est une divergence de fond. Nous sommes cependant prêts à poursuivre le dialogue. Le 15 octobre, nous prévoyons ainsi la tenue à Genève d’une conférence internationale à laquelle prendront part toutes les parties concernées – nous proposons ainsi d’inviter les représentants de ces Républiques pour qu’ils puissent être entendus au cours d’une séance de travail.

Pour ce qui est de l’avenir de ces régions, il faut savoir que leurs habitants sont des gens de principe. Si le sang coule, jamais on ne pourra les faire vivre ensemble. S’il y a des morts dans une famille, ce sont des sentiments de vengeance et de haine qui prévaudront pour les générations à venir. Nous ne pouvons dire aux Abkhazes et aux Ossètes qu’en revenant dans le giron de Tbilissi, ils formeront une famille unie. La situation, selon ma propre expérience des pays arabes, est la même que dans le conflit du Moyen-Orient : avec des morts de chaque côté, les Israéliens et les Palestiniens en ont pour des décennies. C'est pourquoi je ne vois pas ces deux républiques du Caucase revenir d’ici quelque temps au sein de la Géorgie. Il y a déjà eu tant de morts et de souffrances qu’il est impossible de les forcer à vivre dans le même État.

La reconnaissance par la Russie des deux républiques, pour les raisons que je viens d’expliquer, est à cet égard, selon les propres paroles du président Medvedev, une décision définitive et irrévocable.

Nos relations avec la Géorgie vont être difficiles et compliquées, d’abord parce que les relations diplomatiques sont suspendues. Si le poste consulaire fonctionne, notre ambassadeur a regagné Moscou. Nous espérons cependant que la vie reprendra son cours normal car nous vivons cette situation, je vous le dis sincèrement, comme une tragédie. Les deux peuples, géorgien et russe, ont toujours vécu ensemble, partagé des traditions, entretenu des relations culturelles et autres, et pour tous les habitants de l’ex-Union soviétique, cette région était une destination privilégiée pour les vacances d’été comme d’hiver. Aujourd'hui, à cause de cette guerre, tout est arrêté, alors que nous pourrions vivre en paix.

Pour ce qui est du rôle de l’Union européenne et de la France, l’intervention immédiate du président Sarkozy a été réaliste et très utile. Le plan de règlement est un document sur lequel nous pouvons travailler dans l’avenir. D’ailleurs, l’attitude adoptée envers nous, qui n’était pas souvent favorable, est en train de changer. J’ai ici nombre de témoignages en ce sens, dont ceux de membres d’organisations non gouvernementales. Le dernier fait suite au voyage que vos collègues du Parlement de Belgique ont effectué pour se rendre compte de la situation réelle sur place.

Il faut dire que le conflit militaire a donné lieu à une véritable guerre médiatique. Les médias ont ainsi couvert les événements de façon parfois tellement erronée que cela devenait ridicule. Pour ne prendre qu’un exemple, des images de morts et de blessés prétendument prises en Géorgie provenaient en fait de Tskhinvali, en Ossétie. C'est au point que des chaînes de télévision et des journaux russes veulent saisir la justice pour que la vérité soit connue.

Aujourd'hui, la tâche primordiale est d’organiser le retour à une vie normale dans la région. Beaucoup est fait du côté russe – les écoles, les hôpitaux fonctionnent – comme du côté de l’Union européenne. De plus, l’aide humanitaire internationale arrive en Géorgie.

Encore une fois, il ne s’agissait pas d’occupation russe. C'est parce que les forces géorgiennes, après avoir fui à grande vitesse, ont laissé derrière elles quantité de munitions et d’armes, que les soldats russes ont dû rester sur place pour garder ces armements afin de ne pas donner aux structures criminelles la possibilité de s’en saisir. C’est la seule raison.

La population de certains villages géorgiens prie même les Russes de rester, car faute d’un retour des autorités géorgiennes, l’administration locale, la poste ou encore les communications ne fonctionnent pas. Pour autant, nous cédons maintenant la place aux observateurs et au contingent européens.

M. le président Axel Poniatowski. Si tout laisse à penser que la situation pourrait être normalisée d’ici peu de temps en Géorgie, comment la Russie envisage-t-elle la normalisation de la situation en Ossétie du Sud et en Abkhazie, que vous qualifiez de républiques indépendantes, mais qui n’ont été reconnues que par la Russie et le Nicaragua ?

M. Mikhail Yakovlev. Nous ne nous attendons pas à ce que tout le monde reconnaisse que nous avons gagné. Mais, comme le chantait Serge Lama, « C'est pas d'l'amour, mais ça viendra » ! (Sourires.)

Si deux États seulement ont reconnu ces deux républiques, nos partenaires et alliés de la Communauté des États indépendants – CEI – sont plongés dans un dilemme, ne sachant dans quelle direction s’orienter – Moscou ou Washington. Pour le moment, la balance penche du côté américain, mais le temps passe et, avec la crise économique, les choses peuvent changer.

Nous ne voulons pas la reconnaissance immédiate. Pour le moment, la question n’est pas celle de leur entrée à l’ONU ou autre, mais de la normalisation dans les mois qui viennent de la vie de tous ces gens qui ont beaucoup souffert. La politique, nous avons toute la vie pour nous amuser à cela.

M. Jean-Jacques Guillet. La mère de Staline était ossète, me semble-t-il, ce qui prouve la fusion ancienne entre les Géorgiens et les Ossètes. Au-delà, cependant, des facteurs historiques qu’il convient de ne pas méconnaître dans cette affaire, d’autres facteurs d’ordre géopolitique – je pense notamment à une entrée éventuelle dans l’OTAN ou dans l’Union européenne – voire énergétique sont également à prendre en compte.

Ainsi, l’existence d’un oléoduc entre Bakou et la côte turque et d’un projet de gazoduc, actuellement arrêté à Erzurum, entre la mer Caspienne et l’Europe centrale, ou projet baptisé Nabucco, a tout de même conduit à des réactions de la part de la Russie. Même si elles étaient compréhensibles compte tenu du projet South Stream qui reliera la Russie au Sud de l'Europe, le facteur énergétique ne pouvait pas ne pas être l’un des facteurs de déclenchement de la crise avec la Géorgie.

M. Mikhail Yakovlev. Concernant la question énergétique, une réunion d’experts se tiendra à Paris le 8 octobre, dans le cadre du partenariat entre l’Union européenne et la Russie, en présence de notre ministre de l’énergie. Toutes les questions y seront abordées, y compris celle de la sécurité énergétique, mais comment vous convaincre – car c'est malheureusement une accusation que j’ai pu lire dans les journaux – que la Russie n'est pas assez cynique pour commettre des crimes contre le peuple d’une petite république et tuer des milliers de gens afin de couper un oléoduc ? Nous avons d’autres moyens.

Pour nous, la question n'est pas de couper un gazoduc ou un oléoduc, mais au contraire, de renforcer, comme le prévoit le partenariat énergétique, la compréhension et la coopération des deux côtés. De la même façon que nos partenaires en Europe veulent avoir l’assurance d’être fournis en hydrocarbures pour les années à venir, nous voulons des clients fiables.

On peut évidemment toujours jouer à des jeux stratégiques. Vous avez évoqué à cet égard les intentions de Tbilissi d’entrer dans l’OTAN, dessein que nous ne saluons pas. Mais les activités américaines à nos frontières nous inquiètent aussi. Si Washington a réagi de la façon que l’on sait, n’est-ce pas parce la Géorgie représente pour les Américains un poste avancé permettant d’avoir un peu d’influence dans la région du Caucase, en prévision de projets contre l’Iran ou je ne sais quel pays ? En tout cas, je vous le répète, la cause du conflit ne tient en aucun cas à un problème de gazoduc.

M. Jacques Myard. Pour quelles raisons le petit père des peuples a-t-il rattaché la Géorgie à la Russie ?

Par ailleurs, existe-t-il des preuves d’une intervention américaine en Géorgie ?

En adoptant la position actuelle, cela ne revient-il pas pour la Russie à approuver rétrospectivement la reconnaissance du Kosovo ?

Enfin, les négociations de l’accord de partenariat étant pour l’instant gelées, comment analysez-vous l’avenir des relations entre l’Union européenne et la Russie car, qu’on le veuille ou non, celle-ci est en Europe ?

M. Mikhail Yakovlev. Concernant l’aspect historique de la situation, les intentions de Staline ou d’autres dirigeants bolcheviques au pouvoir à l’époque, loin d’être bien calculées, ont peut-être pêché par naïveté ou par manque d’expérience. Pour autant, le problème posé par nombre d’entités nationales enclavées dans d’autres entités s’est accentué au moment de l’éclatement de l’Union soviétique. Cependant, si les dirigeants de l’époque, y compris le premier président, M. Eltsine, n’avaient pas, selon moi, été tellement pressés de prendre le pouvoir, mais pris le temps de discuter de tout cela à tête reposée, nous n’aurions pas ces problèmes avec la Géorgie, l’Ukraine et les républiques baltes, car tout aurait pu être conduit de manière civilisée. Mais ce qui est survenu est survenu.

Pour ce qui est des activités américaines en Géorgie, il n'est un secret pour personne que ce sont les États-Unis et l’Ukraine qui ont fourni les armes à la Géorgie et non la Russie. La télévision a montré ici même, parlant d’invasion russe, des convois de chars. Or ces convois étaient composés de Dodge et de Hummer américains dont notre armée ne dispose pas !

Comme l’écrivait Anton Tchékov, si, au premier acte de la pièce, un fusil est pendu au mur, au final il aura dû servir. Tous les armements mis à disposition du régime de Saakachvili n’étaient-ils pas destinés justement à servir ?

Pour ce qui est du Kosovo, j’ai déjà expliqué les raisons de notre refus du fait accompli. S’agissant des républiques du Caucase, les raisons de notre reconnaissance sont tout à fait différentes. Il n’existait pas, dans le cas du Kosovo, de menaces d’extermination physique des Kosovars et donc de raison de courir les protéger. La précipitation avec laquelle les négociations ont été menées dans le cadre des Nations unies et d’autres forums internationaux n’a pas été des plus justes. C'est au point que, selon moi, les Européens ont créé, avec le Kosovo, le cinquante-troisième État des États-Unis, musulman en l’occurrence. Vous comprendrez donc que ce ne soit pas une décision que nous voyions d’un bon œil.

M. le président Axel Poniatowski. S’il n’y avait pas eu le précédent du Kosovo, la Russie aurait-elle réagi de la même manière en Ossétie du Sud et en Abkhazie ?

M. Mikhail Yakovlev. C'est toujours la double approche, le double standard, tandis que certains États pourraient agir, la Russie ne le pourrait pas.

S’agissant de nos relations avec l’Union européenne, la crise les assombrit, mais la vie continue. Nous sommes condamnés à vivre ensemble. Ne sommes-nous pas liés par de multiples liens économiques, culturels, historiques ?

Ce qui est important en tout cas dans la gestion de cette crise, c'est que l’Europe soit apparue comme un pôle d’influence politique, avec une présidence française très présente.

Certes, les relations quotidiennes sont en quelque sorte suspendues, et l’on entend parler de sanctions. Cela a bien été essayé avec la Libye et maintenant avec l’Iran, mais concernant la Russie, qui y remplacera alors Airbus et Peugeot sinon Boeing et Toyota ? Il faut bien réfléchir.

M. Lionnel Luca. Contrairement à une façon très journalistique de considérer les événements un peu à sens unique à l’encontre de la Russie, notre commission a un jugement sans doute un peu plus équilibré justement parce que la Russie est un pays traditionnellement ami de la France en Europe.

Pour autant, des troupes non identifiées ont, selon certains reportages, commis des exactions sur le territoire occupé par l’armée russe. Démentez-vous ces affirmations qui iraient à l’encontre d’une action de l’armée russe décrite comme venant protéger des populations ?

Par ailleurs, n’était-ce pas là l’occasion pour la Russie de donner un coup d’arrêt à la façon de procéder des Américains qui, alors que la guerre froide est terminée, ont incontestablement procédé soit à l’installation de bases en Europe orientale, soit à des accords militaires, comme avec la Pologne voire la République tchèque, ou de relations très étroites avec les gouvernements proches d’Ukraine et de Géorgie ?

M. Mikhail Yakovlev. Je ne sais d’où vous tenez vos informations, mais je vous assure que les troupes russes sont suffisamment bien organisées et armées pour ne pas avoir besoin de soldats non identifiés traînant à l’arrière.

M. Lionnel Luca. Sans que ces exactions aient été organisées, il a pu s’agir du résultat d’un laisser-faire ou d’un débordement. En tout cas, des reportages ont fait part d’exactions.

M. Mikhail Yakovlev. Il semble que nous regardions les mêmes images à la télévision, mais avec des commentaires différents ! Dans un de ces reportages, j’ai ainsi entendu le général commandant les troupes russes déclarer que ses soldats avaient été très étonnés de dénombrer parmi les soldats géorgiens tués des soldats qui n’étaient pas tout à fait blancs de peau – c'est-à-dire des conseillers américains.

En tout cas, en Ossétie du Sud comme en Abkhazie, subsistaient depuis la première guerre des formations paramilitaires. C'est entre ces forces et l’artillerie géorgienne que les combats ont commencé avant que, deux jours après, l’armée russe n’intervienne.

M. Lionnel Luca. Vous confirmez donc l’existence de formations paramilitaires ?

M. Mikhail Yakovlev. Oui.

Je vous parlais de la fête d’indépendance en Abkhazie. Cette république a la structure normale d’un État : un président, un gouvernement, des ministres et une armée, dont les chars qui défilent aujourd'hui ont été pris pour moitié aux Géorgiens et datent, pour l’autre moitié, de l’époque antérieure.

Il est vrai par ailleurs que Moscou a mal accueilli la tendance à l’élargissement de l’OTAN et à la mise en place d’installations militaires, en particulier d’un système de défense antimissiles qui vise non pas de mythiques missiles iraniens, mais des missiles russes. Il est peut-être vrai également que la manière avec laquelle la Russie a agi a pu provoquer des sentiments de méfiance et de peur. Mais c'est un phénomène historique lorsque la Russie est faible, tout le monde applaudit, et lorsqu’elle devient forte, elle est critiquée.

M. Jean-Paul Lecoq. J’ai pour ma part eu l’impression, à la façon dont était traitée l’intervention de votre pays dans les journaux et à la télévision, que l’on était revenu à l’époque de l’Union soviétique. Dans le même temps, l’achat de grandes villas sur la côte méditerranéenne par les capitalistes russes indiquait qu’il n’y avait pas eu de revirement en la matière... Comment alors expliquer que les États-Unis vous considèrent encore comme un ennemi alors que, a priori, vous avez adopté un système économique qu’ils partagent ? Est-ce parce que vous êtes riche en matières premières ?

Pour avoir par ailleurs assisté voilà une dizaine de jours, à l’occasion de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, à un débat entre la ministre des affaires étrangères géorgienne et votre ambassadeur à l’ONU, on pouvait se demander, devant l’ambiance tendue qui régnait alors, quelles initiatives seraient capables d’apaiser les tensions dans la région. Plus généralement, qu’il s’agisse du peuple ossète ou du peuple afghan, les deux sont victimes d’une guerre qui ne veut pas dire son nom, une guerre d’influence entre les États-Unis et la Russie.

Existe-t-il un espoir pour que soit abordée à l’ONU la question de la démilitarisation des Balkans, pour laquelle je me bats depuis trente ans, ou va-t-on assister à la poursuite de la course aux armements et à l’explosion d’un équilibre qui permettait aux uns et aux autres de progresser ?

M. Mikhail Yakovlev. Je ne peux vous dire quels sont les sentiments des Américains envers la Russie, mais on ne peut parler de peur de leur part. Certes, nous possédons un potentiel nucléaire, mais le problème provient plutôt de la vision américaine d’un monde unipolaire, les États-Unis se comportant toujours comme s’ils étaient l’unique pôle de force et d’influence dans le monde. Aussi l’apparition d’autres pôles comme la Russie ou même l’Union européenne provoque-t-elle de leur part une attitude négative. Ils cherchent alors à affaiblir les autres afin de se positionner comme unique arbitre. Les Américains sont très conscients, par exemple, de l’arrivée prochaine d’un nouveau pôle d’influence avec la Chine.

Quant à la couverture médiatique, je note avec le temps que l’attitude des médias français change : il y a plus de volonté non seulement d’écouter, mais également d’entendre.

L’achat de villas sur la Côte d’Azur par des Russes n’est pas sans lien avec l’avenir de nos relations avec la Géorgie. La mer Noire est en effet une perle et s’il n’y avait pas de guerre, nombre de Russes achèteraient des villas en Géorgie et en Abkhazie.

Pour ce qui est enfin du dialogue politique avec la Géorgie, la situation est extrêmement compliquée. Notre ministre des affaires étrangères, Serguei Lavrov, ne considère plus Saakachvili comme un partenaire fiable et digne de confiance. Pour le moment, je ne vois pas d’évolution.

M. le président Axel Poniatowski. Quel jugement portez-vous sur le respect de l’accord de cessez-le-feu entre les forces autonomistes de Transnistrie et la Moldavie ?

Quelle est par ailleurs votre appréciation de la situation en Crimée où les tensions commencent à s’exacerber. C'est ainsi que le Premier ministre ukrainien, Mme Ioulia Timochenko, qui pouvait être considérée comme proche des Russes, a déclaré voilà quelques jours qu’elle ne souhaitait pas la prolongation du stationnement de la flotte russe à Sébastopol. Dans le même temps, le parlement de la république autonome de Crimée a voté une résolution demandant l’autonomie de la Crimée.

M. Mikhail Yakovlev. Concernant la Transnistrie, l’attitude de Moscou est plutôt positive. Nous saluons l’accord intervenu entre les autorités moldaves et les autorités indépendantistes de Transnistrie et nous souhaitons que la situation se normalise. Le problème tient toujours à la présence d’un contingent russe en Transnistrie, mais le stock des armes et des munitions y est tellement énorme qu’il faut bien que quelqu’un les garde.

Avec la Crimée, nous en revenons à l’héritage de l’époque soviétique. La Crimée a toujours été rattachée à la Russie. Elle n’avait jamais été considérée comme une partie de l’Ukraine avant que le « camarade » Khroutchev ne l’offre à cette dernière. Aucun problème ne devrait cependant exister si des relations normales s’instaurent permettant une libre circulation des habitants et des touristes. S’il n’y a pas d’attitude hostile de la part des autorités, on peut vivre ensemble. La tendance générale dans le monde n’est-elle pas d’ailleurs, à l’exemple de l’Union européenne, à la disparition des frontières intraversables ? Aussi pouvons-nous espérer qu’un jour les tensions actuelles entre la Russie et l’Ukraine n’existent plus.

La situation tient aussi pour beaucoup aux ambitions et aux jeux de la politique intérieure. La situation actuelle dans les rangs des forces Orange n’est pas bonne avec la lutte entre différents clans et différentes mouvances, le président Viktor Iouchtchenko se rapprochant des États-Unis et Mme Timochenko parlant de ses bons sentiments envers la Russie. En tout cas au niveau de ses populations ukrainienne et russe, peuples frères, il n’y a pas de sentiment d’hostilité et de méfiance.

Les autorités de Crimée sont extrêmement actives, mais je ne pense pas qu’elles puissent obtenir quelque chose de substantiel. Et même si le maire de Moscou, Iouri Loujkov, réclame le retour de Sébastopol et de la Crimée à la Russie, flattant le sentiment ultra-patriotique, il n’en reste pas moins que le bail de la flotte russe de la mer Noire peut se régler tranquillement.

Si l’on veut vivre normalement, il faut suivre les règles. Maintenant que nous vivons selon les règles du marché, il faut vivre dans les conditions du marché, même si l’on peut envisager quelques prix plus amicaux concernant le gaz et le pétrole. En tout cas, nous voulons vivre en paix.

M. Lionnel Luca. Que penser de la situation en Biélorussie où le président Alexandre Loukachenko a semblé prendre ses distances par rapport à la Russie ?

M. Mikhail Yakovlev. Certains politiciens, je le répète, jouent leur propre jeu, mais il est vrai que certains propos du président Loukachenko, qui devrait a priori être un ami proche de Moscou, nous ont surpris. Ils sont plutôt liés au contexte des élections qui se sont déroulées le week-end dernier, dans l’espoir de recueillir plus d’opinions favorables.

M. Lionnel Luca. Les élections ayant été contestées par les observateurs de l’Union européenne, on peut penser qu’il va à nouveau se rapprocher de la Russie.

M. Mikhail Yakovlev. Le président Loukachenko est un philosophe. Intervenant devant les journalistes et les observateurs, il a ainsi salué tous ceux qui étaient venus voir le dernier dictateur...

D’après nos propres informations, tout s’est bien déroulé, mais si les urnes sont transparentes, le calcul du résultat par ordinateur se passe ailleurs.

M. le président Axel Poniatowski. Nous pouvons tout de même regretter les conditions à la fois du dépôt de candidature et de déroulement de la campagne qui, pour le moins, n’ont pas été très démocratiques.

Il me reste, monsieur le chargé d’affaires, à vous remercier.

La séance est levée à dix-sept heures quinze.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa séance du 30 septembre 2008, la commission a nommé :

– M. Jacques Remiller, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre la France et l'Espagne relatif au bureau à contrôles nationaux juxtaposés de Biriatou (n° 943) et sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et le Conseil fédéral suisse relatif à la création de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés en gares de Pontarlier et de Vallorbe (n° 1101) ;

– Mme Geneviève Colot, rapporteure sur le projet de loi, adopté par le sénat, autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République d’Albanie, d’autre part (n° 1037) ;

– M. Marc Dolez, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le sénat, autorisant l’approbation de l’accord relatif aux transports aériens entre la France et la Mongolie (n° 1038), sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord relatif aux services de transport aérien entre la France et l’Algérie (n° 1039), et sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord relatif aux services aériens entre la France et Macao (n° 1040) ;

– Mme Marie-Louise Fort, rapporteure sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant entre la France et le Qatar amendant la convention du 4 décembre 1990 en vue d’éviter les doubles impositions (n° 1059) ;

– M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de partenariat et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et la République du Tadjikistan (n° 1102).

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