Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
La séance est ouverte à douze heures
M. le président Axel Poniatowski. Nous sommes heureux de vous recevoir, Monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, afin d’évoquer avec vous les principaux dossiers d’actualité.
Je vous remercie d’avoir bien voulu avancer d’une semaine, en dépit d’un agenda chargé, votre venue devant notre commission.
Vous venez d’effectuer une visite au Proche-Orient où la perspective d’aboutir à un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens semble hélas, s’éloigner pour nombre d’observateurs. Vous vous êtes en revanche montré plus optimiste dans vos récentes déclarations. Pouvez-vous par conséquent nous préciser quelle est l’appréciation que vous portez sur cette situation ?
Par ailleurs, la situation en Afghanistan demeure préoccupante. La commission des affaires étrangères a ainsi confié à deux de ses membres, MM. Plagnol et Glavany, une mission d’information sur l’Afghanistan et les pays voisins tels le Pakistan, l’Inde et l’Iran, afin de replacer ce conflit dans son contexte régional. Qu’en est-il, en particulier, de l’aide internationale visant à accélérer la reconstruction de ce pays ? Il semble que cette aide ne parvienne pas entièrement aux populations civiles qui en sont destinataires. L’éradication des laboratoires de drogue pourrait-elle, de surcroît, être incluse dans la mission de l’OTAN ? Quel jugement portez-vous, enfin, sur la solidité politique du régime de M. Karzaï ?
La commission a reçu la semaine dernière le chargé d’affaires de l’ambassade de Russie en France et l’ambassadeur de Géorgie à Paris. Comment appréciez-vous l’état des relations entre les deux pays, dont beaucoup reconnaissent qu’il est difficile de faire une juste appréciation ? Qu’en est-il de l’application de l’accord entre Russes et Géorgiens que le Président de la République a obtenu, en votre présence, durant l’été ? Enfin, que pensez-vous de la situation en Crimée et, notamment, des tensions entre les populations russes, ukrainiennes et tatares, eu égard à la prise de position du Parlement autonome de Crimée il y a une quinzaine de jours ?
Enfin, pouvez-vous faire un point sur l’action de la force de l’Union européenne (EUFOR) au Soudan, où la situation humanitaire est particulièrement dégradée ?
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Je me réjouis d’intervenir devant votre commission en présence de la presse et je souhaite, comme vous, que l’exercice se renouvelle régulièrement car j’ai toujours plaisir à échanger – et même à apprendre – dans cette enceinte.
Vous avez évoqué quatre problèmes importants. Le premier concerne le processus devant aboutir à la création d’un État palestinien, dans sa phase entamée à Annapolis il y a un an et poursuivie à la Conférence de Paris. De mon déplacement en Palestine et en Israël à la fin de la semaine dernière, je retire le sentiment que ce processus est à ce jour au point mort. Je ne crois pas qu’un quelconque document puisse être présenté avant la fin de cette année à la signature des négociateurs, le Premier ministre israélien démissionnaire – mais toujours en exercice – Ehoud Olmert et le Président de l’Autorité palestinienne Abou Mazen. Je souligne cependant que M. Olmert a tout récemment publié un remarquable plan de paix, très précis, dans le journal Yediot Aharonot, même s’il est sans doute trop tard, compte tenu de sa situation personnelle, pour le soumettre à l’approbation de la partie palestinienne. D’ailleurs Abou Mazen multiplie à l’heure actuelle les déplacements à l’étranger – en Inde, au Sri Lanka – comme pour éviter d’avoir à prendre position sur le sujet. Le souhait du Président Bush de voir un accord aboutir en 2008 ne se réalisera pas ; à tout le moins, réjouissons-nous de ce fait certain : les négociations se poursuivront en 2009.
Je note, par ailleurs, une évolution très positive de la situation des Palestiniens dans ce foyer de l’Intifada qu’a été Jénine, où la vie a désormais repris ses droits. La perception par les Israéliens des conditions de sécurité dans cette région peuplée de 350 000 personnes s’est améliorée également. C’est la police palestinienne forte de 750 hommes qui, grâce à l’action de formation des États-Unis certes, mais surtout de l’Europe et singulièrement de la France, peut jouer pleinement son rôle dans un esprit de concorde impensable il y a encore six mois, lorsque l’on ne pouvait même pas se promener dans les rues. Certes, de nombreux problèmes demeurent, comme par exemple le manque d’eau, dont pâtit l’hôpital de Jénine, seul centre de dialyse rénale de toute la région. C’est justement à leur apporter une solution que doivent servir une part importante des fonds levés à la Conférence de Paris pour la Palestine, via de nombreux projets, du plus modeste au plus ambitieux, sous l’égide de M. Salam Fayad, Premier ministre palestinien, et la surveillance de la Banque mondiale. Il reste que l’optimisme est permis puisque tous mes interlocuteurs israéliens, d’Ehoud Olmert à Ehoud Barak, Tzipi Livni ou Benyamin Nétanyahou, sont conscients du regain de confiance que l’on commence à observer.
J’ai le sentiment que Mme Tzipi Livni, femme de talent et de conviction, devrait à force de détermination parvenir à former un gouvernement, ce qui pourrait néanmoins prendre deux ou trois mois en raison du système de représentation à la proportionnelle intégrale. C’est de bon augure : en tant que Premier ministre désigné, elle a convié le ministre palestinien des affaires étrangères, M. Ryad Al Malki – représentant d’un État qui n’existe donc pas encore – à la première conférence des ambassadeurs, qu’elle a récemment organisée. Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères allemand, et moi-même étions également présents : le symbole était si éloquent que nous n’avons pas manqué de dire, nous les héritiers de la construction européenne, combien la paix était possible, quelles que soient les difficultés parfois séculaires que des peuples ont traversé, quels que soient aujourd’hui les obstacles à un accord. Le ministre palestinien s’est montré franc, courageux et ouvert, tandis que Mme Livni tenait son rang de « premier ministrable ». La partie me semble loin d’être gagnée mais l’espoir n’est pas mort. Dans cette région du Moyen-Orient, la menace iranienne, dont la dimension potentiellement nucléaire, soulignée de façon convergente par divers services de renseignement et par l’Agence internationale de l’énergie atomique, est si préoccupante, mais également la situation de la Syrie ou de l’Irak, constituent autant de problèmes importants, pour la région comme pour le monde, qui ne doivent toutefois pas oblitérer le dialogue entre Israël et la Palestine.
Dans l’hypothèse où un nouveau gouvernement ne pourrait être formé, les élections en Israël auraient lieu en février. Si ces élections avaient lieu aujourd’hui, c’est semble-t-il, en dépit de la grande popularité de Mme Livni, M. Nétanyahou qui les gagnerait ; cela signifierait l’application d’une stratégie très différente. Celle à laquelle Mme Livni a directement œuvré semble préférable vis-à-vis du processus de paix, sauf sur la question des réfugiés palestiniens – et j’ai eu l’occasion de rappeler dans le journal Haaretz que sur ce point sa position me paraissait excessivement intransigeante.
Quoi qu’il en soit, je reviens de mon récent voyage non pas pessimiste comme Tony Blair, le représentant du Quartette, lors de son dernier séjour, mais modérément et raisonnablement optimiste : après tout, il n’y a plus de checkpoint entre Jénine et Naplouse, même si alentour il y en a encore trop.
J’en viens à la situation en Afghanistan. Nous y sommes partisans d’une solution politique comme nous n’avons cessé de le dire et de le répéter, en organisant à cette fin, sur l’initiative du Président de la République qui s’était rendu à Kaboul, la conférence de Paris. Peu nombreux étaient ceux qui à l’époque parlaient d’« afghanisation » pour signifier qu’une issue uniquement militaire était impossible. Pour autant, lors de cette conférence de Paris, personne – et notamment aucune ONG – n’a à aucun moment demandé le retrait de nos troupes, alors que le problème de la drogue et de la corruption ont été systématiquement évoqués Tous les acteurs de la société civile veulent que nous passions les rênes aux Afghans le plus vite possible et c’est précisément ce que nous souhaitons. Le changement de stratégie est cependant délicat à mettre en œuvre car nous ne sommes pas seuls – il a fallu, en particulier, convaincre nos amis américains, réticents à aborder cette question dans le cadre d’une « Conférence des donateurs ». En l’état, il faut appeler un chat un chat, et la triste journée du 18 août dernier qui a vu dix de nos soldats tomber est là pour nous le rappeler amèrement : nous menons en Afghanistan des opérations de guerre à la demande des autorités de ce pays et sous l’égide du conseil de sécurité de l’ONU, au côté d’une quarantaine d’État et notamment de 24 autres pays européens.
Avant-hier, nous avons été surpris d’entendre le Président Karzaï appeler au dialogue non seulement avec les Talibans – ce qui est somme toute compréhensible compte tenu de l’immersion des Talibans dans la population – mais avec le mollah Omar, dont les liens avec Al Qaida sont notoires ; c’est son affaire, mais il faut noter qu’il s’agit d’un appel à la négociation – sans doute liée aux futures élections. Convaincus du rôle majeur des États voisins dans la résolution de ce conflit – là où les autres initiatives, telle la médiation saoudienne, sont de peu d’effet –, nous avons quant à nous rencontré les représentants des cinq pays d’Asie Centrale. Nous leur avons demandé de revenir à Paris. Les intérêts et les attitudes sont très divergents d’un pays à l’autre, mais nous travaillons à l’organisation de cette réunion qui inclura les Afghans et les Pakistanais. Quoi qu’il en soit, il serait préférable que les démarches avec les Talibans fassent l’objet de procédures coordonnées et concertées.
Le Pakistan, acteur incontournable, constitue un élément clé pour parvenir à une solution négociée et politique de ce conflit dont je mesure parfaitement le caractère complexe. J’ai rencontré à deux reprises à New-York le Président Zardari, époux de Benazir Bhutto, assassinée très vraisemblablement par des proches d’Al Qaida. Précédé d’une réputation sulfureuse, le Président Zardari, qui a purgé plus de sept années de détention, m’est apparu lorsque je l’ai vu avec le Président de la République comme une personnalité très déterminée à combattre le terrorisme. La réponse à cette prise de position a été le monstrueux attentat contre l’hôtel Marriott à Islamabad qui aurait pu être encore bien plus meurtrier.
Alors que dans un passé récent, les services secrets pakistanais de l’ISI avaient, avec l’aide américaine et l’assentiment des occidentaux, favorisé l’arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan, le président Zardari, très courageusement, confirme sa volonté de combattre le terrorisme en nommant le général Pasha, personnage de haute réputation.
Enfin, je note que contrairement à ce qui se passait jusqu’alors, aucune protestation pakistanaise n’a suivi les bombardements américains qui, en vertu du droit de suite accordé par le Président Bush, ont touché la zone frontalière tribale entre le Pakistan et l’Afghanistan, le Président Zardari ayant même fait déplacer des milliers de Pachtounes provenant de cet endroit vers le Pakistan.
Enfin, le poids de la corruption se faisant sentir dans cette région où il est difficile et dangereux de travailler, je salue d’autant plus l’action des ONG, en particulier celles qui viennent de notre pays et dont l’engagement date de plus de trente ans, ce qui explique en partie l’attachement des Afghans. Mais il faut rester sur le terrain très proche des populations si nous voulons être efficaces à long terme. Les mentalités ont d’ailleurs évolué : nous avons construit des hôpitaux souterrains en Afghanistan mais il a fallu sept ans pour qu’une femme, victime d’une hémorragie, accepte, avec l’accord de son mari, de venir se faire examiner. Ce combat était loin d’être gagné à l’avance. L’essentiel est de travailler le plus près possible des populations mais, pour cela, la protection militaire demeure indispensable.
Pour approcher la population, les médecins afghans eux-mêmes ne peuvent se rendre seuls dans certains endroits –deux d’entre eux viennent d’être assassinés– si leur sécurité n’est pas garantie par les militaires. Si nous ne parvenons pas à accéder aux populations, il sera très difficile de convaincre les Afghans qu’il vaut mieux travailler avec nous qu’avec les Talibans.
Je fais la distinction parmi les Talibans. Autant il faut que les Afghans se parlent entre eux, autant il est vain de discuter avec les partisans du Jihad global qui veulent nous assassiner et détruire une civilisation qui ne ressemble pas à celle qu’ils voudraient instaurer. Ces extrémistes qu’il faut combattre se distinguent des Islamistes modérés ou plus traditionnels comme en Afghanistan.
M. Axel Poniatowski. Si vous voulez bien, M. le ministre, nous évoquerons les autres thèmes qui nous intéressent lors des questions que nous souhaitons vous poser.
Mme Elisabeth Guigou. L’ambassadeur de Géorgie à Paris a eu l’occasion d’évoquer ici même les provocations russes avant la réaction militaire de son pays. Quoi qu’il en soit, et indépendamment du tempérament « sanguin » du Président Saakachvili, je retire de cette audition le sentiment que nombre de Géorgiens considèrent en tout cas que l’offensive militaire qui a été menée fut une grosse bêtise, la perspective d’adhésion de leur pays à l’OTAN et à l’Union européenne s’éloignant désormais, ce que personnellement j’espère. Que pensez-vous, Monsieur le ministre, des rumeurs selon lesquelles les conseillers militaires américains proches de M. Saakachvili auraient poussé ce dernier, qui aurait été personnellement plus prudent, à intervenir en Ossétie ?
Au moment où nous avons besoin d’une politique européenne qui ne soit pas calée sur celle des Etats-Unis, car nous avons des intérêts et des situations différentes à l’égard de la Russie, quelles sont les perspectives de notre présidence ? La France compte-t-elle donner une impulsion pour définir une politique de l’Union vis-à-vis de la Russie, qui estime elle aussi avoir été provoquée par l’installation du bouclier antimissile, par l’offensive géorgienne, les perspectives d’adhésion à l’OTAN offertes à l’Ukraine et à la Géorgie, par les trafics croissants des bateaux entre le détroit du Bosphore et Sébastopol ?
Personnellement, je suis inquiète de voir l’Europe s’effilocher et, au fur et à mesure des crises –je pense à la crise financière–, adopter des réflexes nationaux alors qu’il faudrait profiter de cette période avant les élections américaines pour faire entendre une voix européenne.
M. François Loncle. Je vous remercie du récit de votre vie passionnante.
M. le Ministre. Que vous partagez souvent.
M. François Loncle. Je suis en désaccord total avec vous au sujet de l’Afghanistan. Vous avez déclaré avoir changé de stratégie. Or, nous avons tous demandé à ce que notre stratégie change en Afghanistan mais c’est une plaisanterie de prétendre que cela a été fait dans le cadre de la conférence de Paris où vous vous êtes contenté, Monsieur le ministre, de procéder à quelques ajustements. De surcroît, on constate, sans qu’il y ait eu de concertation, des projets de négociations de M. Karzaï avec le mollah Omar alors que rien ne change réellement sur le terrain. Le véritable changement stratégique devra être négocié avec la prochaine administration américaine entre l’Europe, les Etats Unis et les alliés présents en Afghanistan.
En ce qui concerne le Proche-Orient, avez-vous eu ou, pour le dire plus pudiquement, le Quai d’Orsay entretient-il ou a-t-il entretenu des contacts avec le Hamas ?
Par ailleurs, quelle sera la politique de la France si les six points prévus dans le cadre du plan Poutine-Sarkozy pour la Géorgie n’étaient pas respectés ?
Enfin, fort heureusement – hors la Russie et le Nicaragua – aucun autre pays n’a reconnu l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ? Comment faire en sorte que d’autres pays ne procèdent pas aussi à cette reconnaissance ?
M. Michel Vauzelle. L’opposition n’a pas observé ce changement de stratégie que vous évoquez en Afghanistan ; c’est pour cela et pour le manque de clarté sur les raisons qui justifient notre présence dans ce pays que nous avons exprimé un vote négatif.
Le fait que le gouvernement afghan ait décidé de discuter avec les Talibans nous amène à nous interroger. Allons-nous continuer à nous battre contre les Talibans puisque nous ne sommes pas présents en Afghanistan seulement pour soutenir le régime du Président Karzaï, mais également pour lutter contre le terrorisme mondial dont le foyer principal se situe dans la zone frontalière entre le Pakistan et l’Afghanistan et pour défendre le respect des droits de l’homme et la dignité des femmes ?
Les Etats-Unis, qui en sont géographiquement éloignés, ont une politique s’agissant de la Russie et de ses voisins. Mais l’Europe peut-elle avoir une politique qui prenne en compte ce que peuvent ressentir les Russes et notamment les jeunes Russes qui n’ont pas connu la chute du mur de Berlin, mais qui perçoivent ce sentiment national d’humiliation lié au fait que l’Empire s’est retiré des portes de l’Allemagne jusqu’au-delà de l’Ukraine et de la Biélorussie qui incarnent une part de l’histoire russe.
L’agressivité de certaines déclarations occidentales ne risque-t-elle pas de faire le lit d’une dérive autoritaire de la Russie qui ne pourrait qu’être préjudiciable aux voisins européens de la Russie ?
M. Henri Plagnol. Si, comme vous l’avez fort bien expliqué, Monsieur le ministre, il faut en effet une solution politique en Afghanistan et s’il est nécessaire de mieux prendre en compte la donne régionale. Je m’interroge en revanche sur les conséquences de l’appel du Président Karzaï à une négociation avec le mollah Omar et avec le roi d’Arabie Saoudite en tant que gardien des lieux saints et en raison de son rôle auprès des sunnites, afin que ce dernier l’aide à « trier le bon grain de l’ivraie », pour reprendre la parabole évangélique dans ce monde très complexe qu’est celui de la mosaïque afghane. Si je vous pose cette question, c’est justement parce que, avec mon collègue Jean Glavany, nous allons mener une mission sur cette donne régionale et un nouveau partage du pouvoir en Afghanistan. Le Quai d’Orsay, précisément, a-t-il des contacts avec l’Arabie Saoudite ? M. le ministre, en avez-vous avec votre homologue ? Qu’en est-il de cette médiation ? Comment approcher les Talibans qui ne seraient pas inféodés à Al Qaïda ?
M. le ministre. C’est précisément, Madame Guigou, parce que nous ne connaissons pas vraiment la généalogie et l’ampleur des provocations entre la Russie et la Géorgie que l’Union européenne a demandé dès le 13 août une enquête internationale sur le déroulement des combats dans la nuit du 7 au 8 août. A ce jour, 352 observateurs européens de 22 pays sont déployés jusqu’aux zones adjacentes de l’Ossétie et de l’Abkhazie et j’espère que nous serons à même de constater dans quelques jours, au plus tard le 10 octobre, le retrait des forces russes du territoire géorgien hors des deux territoires précités. Cette offensive était-elle préparée ? Certains documents tendraient à prouver que des chars russes avaient emprunté le tunnel de Roki passant de l’Ossétie du Nord à l’Ossétie du Sud, tandis que des bombardements de nuit avaient lieu, entraînant la fuite des populations de Tsinkhali vers l’Ossétie du nord. A quelle échelle ces évènements se sont produits ? Qu’en est-il exactement de leur déroulement ? L’enquête devra le dire. Qu’il ait ou non un tempérament « sanguin », M. Saakachvili s’est mis dans la situation de provoquer une réaction de la part des Russes, ce qu’ils n’ont pas manqué de faire d’une manière d’ailleurs disproportionnée.
Dans ces conditions, comment se présente aujourd’hui le dialogue entre l’Union européenne et la Russie ? Ce processus absolument nécessaire a été reporté, ce qui ne remet pas en cause les relations bilatérales. Ainsi, le Premier Ministre François Fillon a rencontré M. Poutine à Sotchi pour évoquer ensemble différents dossiers économiques ou industriels. Le prochain sommet UE/Russie est fixé au 14 novembre et les négociations du nouvel accord reprendront à la condition que les troupes russes se soient retirées sur leurs positions antérieures au 7 août. Celles-ci demeurent en revanche en Ossétie du Sud et en Abkhazie où d’ailleurs leur présence en tant que soldats de la paix –500 dans chacun de ces territoires– est maintenant passée à 7 800.
Sur ce dossier russo-géorgien, l’Union européenne sous présidence française a démontré son unité alors que les positions de certains de nos partenaires étaient radicalement opposées. Cette unité s’oppose à ce qui s’est passé, on s’en souvient, sur le dossier irakien où l’Europe s’est divisée. Nous avons l’intention de proposer, sous présidence française, au Président Medvedev la création d’un espace économique Union européenne/Russie.
Nous ne sommes pas responsables de la délimitation des frontières actuelles de la Russie. Que cette situation crée une certaine frustration, voire humiliation, cela peut se comprendre pour un grand pays comme la Russie. Néanmoins, il n’est pas acceptable de laisser procéder par la force à une modification de ces frontières.
J’admets, comme le dit Elisabeth Guigou, qu’il y a des provocations, mais les six pays fondateurs de l’Europe ont refusé d’accorder le MAP à la Géorgie et l’Ukraine pour entrer dans l’OTAN. Je rappelle que le bouclier antimissile est une initiative américaine conclue bilatéralement avec deux pays de l’Union. En ce qui nous concerne, nous essayons de convaincre nos partenaires européens de renforcer le dialogue avec la Russie.
Il faut du temps, Monsieur Loncle, pour que le changement de stratégie en Afghanistan soit effectif. Au mois d’avril dernier, à Bucarest, nous avons eu l’occasion de définir plusieurs critères de succès de notre engagement en Afghanistan : détermination partagée et affichée à un engagement dans la durée ; transfert progressif des responsabilités et de la sécurité aux Afghans, en commençant par la région capitale, ce qui est fait à Kaboul ; meilleure articulation de l’effort militaire avec les actions civiles de reconstruction sous l’égide d’un nouveau représentant du secrétaire général, il s’agit de M. Kai Eide ; engagement plus marqué des voisins de l’Afghanistan en appui de notre effort, notamment au Pakistan. Après l’assassinat de Benazir Bhutto, le Président Zardari semble suivre cette voie.
Si les Russes ne tiennent pas, comme prévu par le plan en six points, leurs promesses en Géorgie, les rencontres avec les représentants de l’Union européenne seront reportées et des modifications pourraient se faire jour dans les rapports commerciaux entre les différents États. Pour l’instant, M. Medvedev tient ses promesses.
La question de la reconnaissance de l’Ossétie et de l’Abkhazie n’est pas quant à elle à l’ordre du jour comme en attestent par exemple les Nations Unies. J’ajoute que ni M. Chavez ni les Syriens, pourtant proches des Russes – ils effectueront des manœuvres navales ensemble –, ne l’ont envisagée.
M. Vauzelle, si le Président Karzaï est réélu, il consultera bien sûr ses alliés et il y aura un soutien des Nations unies et une discussion avec le représentant du Secrétaire général pour l’Afghanistan qui actuellement le rencontre quotidiennement. Le Président Karzaï devra nécessairement se concerter avec tous ces acteurs. Si des négociations s’entament avec les Talibans les plus « nationalistes », c’est-à-dire les plus éloignés du Jihad global qui prêche la violence, le terrorisme et les assassinats, nous soutiendrons bien entendu ce processus. (Je rappelle que les Talibans aujourd’hui sont trois fois plus payés que les seigneurs de la guerre).
M. Vauzelle, si vous me demandez si nous devrions maintenir notre engagement si le gouvernement changeait, personnellement, ma réponse est non. Sinon, nous devrions être engagés dans bien d’autres endroits du monde.
Monsieur Plagnol, selon le Prince Saoud, ministre des affaires étrangères de l’Arabie Saoudite, il est très difficile d’organiser une médiation, même si des rencontres ont eu lieu, y compris avec un ancien ministre afghan proche des Talibans. Je ne peux qu’encourager leur poursuite car si un pays peut avoir une influence, c’est bien l’Arabie Saoudite.
M. Jean-Louis Christ. La situation au nord de la République démocratique du Congo est particulièrement dramatique car la mission de l’ONU au Congo (MONUC), forte de 17 000 hommes, n’est plus en mesure d’assurer la protection des populations. Des médiations sont-elles en cours afin de résoudre ce conflit ? Je rappelle que dans cette région la guerre civile a déjà fait plus de trois millions de morts.
M. Jean-Paul Lecoq. J’ai également le plus grand mal à apprécier le changement de notre stratégie en Afghanistan. Si, comme vous le dites, les Afghans souhaitent que la présence militaire perdure, ils veulent surtout que la guerre s’achève.
M. le ministre. Ce sont les mêmes.
M. Jean-Paul Lecoq. Quelles dispositions prendre pour arrêter cette guerre ? La présidence française de l’Union européenne semble totalement démunie, dans un contexte pourtant assez ouvert, notamment face aux Américains, alors qu’elle est le plus grand contributeur de troupes et qu’elle pourrait donner une autre orientation politique ? Qu’en est-il des discussions avec les insurgés et les pays environnants et, en particulier, avec l’Iran ? Enfin, n’assiste-on pas à travers « l’effet Kosovo » à une atomisation de plus en plus générale des États ? On le voit avec les mouvements en Bolivie, en Géorgie… Si tel est le cas, comment anticiper les crises à venir ? Quelle est la position de la France face à ce risque de contagion ?
M. Jacques Myard. D’une part, il est selon moi inexact d’assimiler les Talibans aux terroristes d’Al Qaïda. J’estime que cette guerre civile en Afghanistan est une affaire afghane et que nous n’avons rien à faire là bas, si ce n’est des actions de formation. Il faut cesser de parler globalement du terrorisme. Telle est ma position personnelle. D’autre part, j’espère que la France s’opposera fermement à l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN. C’est de la folie furieuse. Je rappelle que lors de la chute du mur de Berlin, les Américains et les alliés occidentaux s’étaient engagés auprès de la Russie à ce que les ex pays du bloc soviétique n’entrent pas dans l’OTAN. Les Américains, en la matière, ont joué aux apprentis sorciers et on aboutit aujourd’hui à l’impasse de la Géorgie.
M. le Président. Ces propos n’engagent que vous.
M. le ministre. La situation en République démocratique du Congo (RDC) est effectivement totalement désespérante au nord comme à l’est du pays. On ne connaît pas exactement le nombre des réfugiés – 800 000, 1 million – à Goma. J’ai espéré, il y a six mois environ, que l’action de la France permettrait de favoriser une solution avec le général Nkunda. Un engagement pour la paix a été signé, sauf par le général Nkunda. Le Président Kabila m’a alors demandé de rencontrer le Président Kagamé au Rwanda pour lui demander s’il acceptait le retour au Rwanda des anciens militaires Interahamwe et s’il acceptait d’inciter le général Nkunda à signer l’engagement pour la paix.
Mais, invoquant le non-respect de certains engagements, le général Nkunda est resté sur son refus. Il porte donc la responsabilité principale de cette situation explosive. Aujourd’hui la situation des réfugiés est épouvantable. Rançonnés, ils vivent dans des conditions sanitaires et humanitaires catastrophiques et changent de lieu sans cesse. Une grande lassitude s’est instaurée. Malgré cela, la France a augmenté son aide alimentaire de 2,5 millions en la portant à 7,5 millions d'euros en 2008 ; nos relations avec le Président Kabila sont bonnes mais personne n’ose plus s’aventurer dans cette zone, ce qui est regrettable. Il faudrait reprendre l’initiative et ne pas se satisfaire de cet abandon international.
Vous nous faites un mauvais procès, Monsieur Lecoq, car il n’est pas possible de changer la situation du jour au lendemain, en particulier dans un pays comme l’Afghanistan qui n’a jamais été conquis, malgré les invasions successives qu’il connaît depuis des siècles. Je me permets de vous renvoyer à ce propos au très beau livre de Michaël Barry sur Le Royaume de l’insolence.
Nous entretenons en effet des contacts avec les pays environnants, qui ont des positions très différentes, notamment en ce qui concerne la lutte contre le trafic de drogue. Les États de l’Union européenne se parlent également sur ce dossier et affirment de plus en plus souvent des positions communes, lesquelles seront proposées aux Américains dans le « document transatlantique » après les élections du 4 novembre. Nous voulons peser sur la détermination américaine. Nous sommes favorables à la révision des deux dispositifs présents en Afghanistan, la force internationale de la FIAS et l’opération Enduring Freedom. Je rappelle que le Président Jacques Chirac et le Premier Ministre Lionel Jospin avaient, en 2001, décidé de placer nos forces directement sous commandement américain d’Enduring Freedom ; et puis il y a eu l’engagement des forces de l’OTAN.
Actuellement, il existe deux commandements distincts, alors qu’il faudrait au moins un chapeau commun et surtout les règles d’engagement sont très différentes. Je sais par expérience qu’il y a là une grande difficulté, chaque pays ayant tendance à se référer à ses autorités nationales pour savoir s’il est autorisé à agir. Cette situation est très difficile à modifier. Certains sont dans des zones où l’on ne se bat jamais alors que d’autres comme la France ou le Canada sont dans des zones exposées.
Vous m’avez interrogé sur « l’effet Kosovo ». La France a fait voter aux Nations unies un texte par l’Assemblée générale qui pose la responsabilité de protéger, c’est-à-dire d’agir en amont. Le droit d’ingérence qui vise à prévenir les guerres est actuellement en perte de vitesse. En effet, il y a des organisations régionales qui n’acceptent pas l’intervention de troupes européennes. Ainsi, par exemple, l’Union africaine a d’abord souhaité un règlement par les Africains du conflit au Darfour, mais cela n’est pas possible car les forces de l’UA correctement équipées sont en nombre insuffisant.
Nous venons de recevoir les Soudanais – je rappelle à cette occasion que nous soutenons les procédures mises en place par la justice internationale – qui n’ont pas souhaité la venue de troupes européennes.
M. Myard, vous vous trompez. Il faut bien sûr distinguer ceux qui ont organisé les attentats meurtriers et immondes contre l’hôtel Marriott à Islamabad ou contre l’ambassade de l’Inde à Kaboul, ceux qui posent les bombes. Ceux-là, il faut les combattre, c’est la seule solution. Les autres, les Talibans de famille, si j’ose dire, où les voyez-vous ? Par exemple, à l’hôpital français de Kaboul. Ces Talibans de villages, je les connais par cœur et il faut discuter avec eux et je pense que les Américains vont changer de stratégie sur ce point.
Enfin, je vous rappelle qu’à l’OTAN où les décisions se prennent par consensus, il n’y a pas pour l’instant d’accord sur l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie et une réunion de l’OTAN est prévue en décembre pour débattre à nouveau de cette question.
Pour conclure, une bonne nouvelle du Niger. M. Moussa Kaka a été libéré.
M. le Président. Je vous remercie pour toutes ces explications.
La séance est levée à treize heures quinze
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