Examen du rapport d’information de Mme Nicole Ameline sur l'influence européenne au sein du système international
La séance est ouverte à dix heures trente
Mme Nicole Ameline. Je voudrais tout d’abord vous remercier, Monsieur le Président, de m’avoir donné les moyens d’étudier ce passionnant sujet. J’observe que mon rapport intervient à un moment-clef, entre la réunion des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne sur la crise financière à la mi-octobre et la réunion du G20, à la mi-novembre, consacrée à la refondation du système financier international.
Mon analyse a consisté à examiner comment, au sein d’un système international en affaiblissement chronique, l’Europe pouvait passer de la présence à la puissance. La crise actuelle, financière d’abord mais dont les répercussions sont nombreuses, n’est pas la cause mais la conséquence de l’effondrement du système international. Pour paraphraser Hubert Beuve-Méry décrivant le passage en France de la IVe à la Ve République, on serait tenté de dire que « le système international meurt moins des coups qui lui sont portés que de son inaptitude à vivre ».
Né de deux guerres mondiales et empreint d’un humanisme tout européen, le système international actuel a connu de brillants développements : Société des Nations puis Organisation des nations unies et système onusien, Organisation internationale du travail dont le premier directeur fut le Français Albert Thomas, Institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) OTAN, OMC… ce système multilatéral a rendu d’inestimables services au monde dans les domaines de la paix et de la sécurité, des normes sociales, du commerce et du développement. Mais il présente aujourd’hui les signes d’un affaiblissement chronique, engoncé qu’il est dans d’interminables procédures, alourdi par la profusion d’organes concurrents, et concurrencé par de nouveaux acteurs. La « mosaïque onusienne » est confrontée au risque de l’éparpillement. Par exemple, ce ne sont pas moins de dix-sept structures émanant de l’ONU qui sont aujourd’hui présentes en Afghanistan. Par ailleurs, de nouveaux acteurs globaux, au premier rang desquels les « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine), occupent dans le monde une place croissante et mènent leur propre stratégie, empreinte de nationalisme. Les grandes ONG, les fondations privées, l’opinion publique internationale qui s’exprime dans des enceintes comme le Forum social mondial… maints acteurs transnationaux changent la donne.
Face à ces transformations, l’Europe actuelle est paradoxale : forte d’une incontestable légitimité historique, en quelque sorte « dépositaire du multilatéralisme », elle pèse objectivement d’un poids considérable mais ne l’assume pas puisqu’elle demeure autocentrée, introspective. Il semble qu’il faille être un non-Européen pour croire en l’Europe ! C’est ce que nous disent M. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, ou M. Kemal Derviş, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement. L’exemple de la représentation européenne au sein des organisations internationales est topique. On peut même parler de surreprésentation. Pourtant l’Europe n’est pas à la hauteur de ce que son envergure justifierait. Elle constitue le premier marché du monde, un marché intégré de quelque 500 millions d’habitants, concentrant près de 25 % du PIB mondial. L’élargissement confère même à l’Europe un poids accru, et lui permet de représenter 17 % du commerce mondial en 2006 – 29 % si l’on inclut le commerce intracommunautaire –, 26 % des exportations mondiales de services en 2006, 17 % des exportations mondiales de produits de haute technologie – soit la première place. L’euro est depuis 2004 la première devise mondiale sur les marchés obligataires, et il est devenu la deuxième monnaie de réserve internationale avec plus de 25 % des réserves officielles. L’Europe est le plus grand fournisseur d’aide au développement au monde. En 2005, l’Union à Quinze représentait déjà, en ajoutant les contributions des États membres et celles des institutions communautaires, 52,4 % du total de l’aide publique au développement accordée par les pays de l’OCDE, quand les États-Unis en représentaient 25,6 %, le Japon 12,9 % et les autres pays membres, 9,1 %.
Pour autant, vue depuis les organisations internationales, c’est une image brouillonne qui domine. À l’OMC, cas unique, la Communauté européenne est membre à part entière, en plus des 27 États membres. De ce point de vue, cette organisation fait figure de modèle, même si des problèmes de cohésion apparaissent parfois. À l’ONU, on constate une certaine difficulté pour les États membres, qui sont seuls habilités à le faire, à parler d’une seule voix, même si la présidence française a montré que des progrès étaient possibles. Au FMI et à la Banque mondiale, la Communauté européenne et la Banque centrale européenne sont observatrices ; mais là encore, c’est le règne des États membres. À l’OTAN, un partenariat stratégique existe avec l’Union ; mais d’épineuses questions encombrent la relation, en particulier le fait que six États membres de l’UE n’appartiennent pas à l’OTAN. Enfin, le G8 n’est toujours qu’un « club » de chefs d’État et de gouvernement.
L’organisation interne de l’Union ne facilite pas la projection cohérente de l’UE à l’extérieur : celle-ci est toujours, dans l’attente de la ratification complète du Traité de Lisbonne, dépourvue de personnalité juridique propre, et c’est la Communauté européenne qui est compétente pour conclure des accords avec les organisations internationales. Il en résulte une absence préjudiciable de leadership de l’Europe dans le monde. Trop introvertie, elle n’affiche aucune vision stratégique des enjeux mondiaux et, sauf exception, elle est absente du débat d’idées : l’Europe est présente universellement mais sans idées fortes. Or l’Europe doit être consciente de ses responsabilités si elle veut éviter la marginalisation. Comment, de réglementaire, la faire devenir régulatrice ? Comment faire de l’Europe une puissance d’équilibre ?
La présidence française de l’Union européenne (PFUE) donne des signes d’espoir. En particulier, les crises récentes – crise géorgienne et crise financière – ont révélé avec d’autant plus d’acuité que les Etats-Unis ont été effacés ses capacités de leadership. La PFUE est aussi une présidence du dialogue avec nos partenaires et voisins. En direction du Sud, l’Union pour la Méditerranée est un véritable changement de paradigme dans les relations Nord-Sud, une préfiguration de l’Europe comme puissance d’équilibre, notamment dans l’espace de dialogue inédit qu’elle instaure entre les cultures et entre les religions. En direction de l’Est, l’élaboration d’une perspective européenne progresse pour les Balkans occidentaux, voire à terme pour le Caucase du sud. Le moment doit donc être saisi pour obtenir rapidement la ratification du Traité de Lisbonne et bénéficier des avancées qu’il contient dans le domaine des relations extérieures, notamment la présidence stable du Conseil européen, qui donne un visage à l’Europe pour ses interlocuteurs étrangers. Rien ne serait pire que le statu quo en matière institutionnelle.
Faire de l’Europe une puissance d’équilibre suppose de développer une vision européenne de la mondialisation, un projet mondial de développement, adossé à la dimension sociale et environnementale. Tout d’abord, il faut assurer un continuum politique en prolongeant la dynamique enclenchée par la présidence française, qui s’est montrée exemplaire. Ensuite, il faut promouvoir le modèle européen, un modèle unique en son genre, fondé sur la démocratie et la coopération mutuelle. L’Europe peut fort bien l’exporter ; à tout le moins doit-elle mieux communiquer pour le faire connaître au monde. Il faut retrouver le « génie européen » ; c’est aux Etats-Unis qu’est né le concept de la « responsabilité de protéger », alors que l’Europe devrait être en pointe sur le terrain des idées. Les Européens doivent également conforter le pouvoir normatif de l’OIT, et dans le domaine du développement, sortir de la logique actuelle qui laisse trop de place à la redistribution et pas assez aux projets, à la vision dont l’aide au développement devrait être la traduction.
S’agissant des outils à mettre en place, la gestion des ressources humaines occupe un rang prioritaire : les fonctionnaires français travaillant dans les institutions communautaires doivent être mieux préparés et mieux suivis, y compris lorsqu’ils reviennent dans leur administration d’origine. Les parcours communautaires ne sont pas du tout mis en valeur comme ils devraient l’être. Les parlementaires aussi sont concernés : il faudrait, comme cela est possible dans les juridictions, leur proposer des stages qui leur permettent de « s’immerger » dans les institutions communautaires ou les organisations internationales.
L’Europe doit encore s’appuyer davantage sur ses propres outils pour les adapter à une stratégie mondiale. Ainsi par exemple, la Banque européenne d’investissement pourrait orienter une partie de ses activités vers les pays en développement, et l’efficacité comme la visibilité de cette politique serait encore décuplée si une « Agence européenne de développement » en était l’opérateur. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas proposer au monde un « paquet » paix-reconstruction-développement, prestation que seule l’Europe est en mesure de fournir ? À côté de ce partenariat avec le monde en développement, l’Europe doit en conclure d’autres, ciblés sur des acteurs majeurs, des pays comme la Russie ou le Mexique par exemple, et bien évidemment avec les États-Unis, sans attendre ce que pourra dire le nouveau Président élu. Enfin, pour bâtir une Europe forte et concurrentielle, la piste d’un fonds souverain européen doit être explorée. Forte de ces idées claires et de ces projets mobilisateurs, l’Europe aura alors dépassé la simple question de la représentation dans telle ou telle enceinte internationale.
La formule « shape and share », façonner et partager, est une bonne illustration de la stratégie que l’Europe doit mettre en œuvre dans la mondialisation. Les Européens, selon l’expression de M. Pascal Lamy, ont à faire évoluer leur rôle « des pompiers aux architectes », à s’imposer dans le monde par leur stratégie, leur volonté d’agir, pour être influents – et non seulement présents. Dans ce but, l’élan de la PFUE doit donc être mis à profit sur la scène mondiale : l’Europe possède cette capacité unique à construire des ponts entre Nord et Sud car elle n’est pas exclusivement un ensemble du Nord, elle est attendue dans le monde comme bâtisseur de paix. Elle ne peut se dérober à cet appel.
Le Président Axel Poniatowski. L’exposé de Mme Ameline est très intéressant et permet de lancer un débat d’idées au sein de la commission. L’Europe est en effet un géant économique mais un nain politique : la crise géorgienne d’une part et la crise financière d’autre part lui ont récemment fourni l’occasion de sortir de cette situation en faisant émerger une diplomatie européenne. Reste à savoir si ce mouvement va se consolider ou retomber. L’Europe a toujours eu une approche en termes de soft power ; elle a fondé son influence sur sa culture, les droits de l’Homme, son modèle social, ses valeurs. Mais elle a aujourd’hui besoin de véritables outils de puissance. Un fonds souverain européen serait très utile à cet égard, mais il est à craindre que nos partenaires soient difficiles à convaincre. En effet, le soft power ne suffit plus pour s’imposer quand les autres grands acteurs du monde, les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou l’Inde, n’hésitent pas à défendre leurs intérêts de manière plus stratégique.
M. Jacques Myard. L’exposé de la Rapporteure est effectivement très dense. L’utilisation qu’elle fait de la citation de Victor Hugo « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite » est erronée. Victor Hugo, qui n’a été qu’un piètre politique et un mauvais parlementaire, exprime par cette formule son nationalisme : il ne soutient une voie européenne que si celle-ci est conduite par la France, ce qui n’est pas la préconisation de Mme Ameline.
Pour ce qui est de la carrière des fonctionnaires internationaux français, il faudrait suivre le modèle britannique. Alors que les fonctionnaires français vont, pour certains, jusqu’à prendre des positions hostiles à la France lorsqu’ils travaillent pour une organisation internationale, les fonctionnaires britanniques défendent toujours les intérêts de leur pays. En effet, ils sont soumis à une procédure de notation par leur administration d’origine, qui tient compte de cet aspect.
Le rapport de Mme Ameline constitue en fait un essai académique décalé, qui repose sur le postulat non démontré selon lequel l’émergence d’une Europe puissance est dans notre intérêt. L’Europe a certes un poids économique si on additionne les PIB de chacun des Etats membres, mais elle forme un magma hétéroclite dépourvu de vision commune du monde et ses composantes se livrent à une concurrence économique acharnée. Dans ce contexte, la question qu’il faudrait poser est celle de la nécessité de conserver la maîtrise de nos moyens d’action nationaux ! Il est contradictoire de se féliciter des succès de la présidence française comme étant des succès de l’Union européenne, alors qu’ils ont été réalisés à l’initiative de la seule France, qui a pris la conduite des opérations et a ensuite entraîné les autres Etats derrière elle. Ceux-ci n’ont en effet ni la même volonté d’influence ni la même capacité militaire que notre pays !
Lorsque l’Union européenne a vu le jour, le monde était bipolaire et on espérait constituer un troisième bloc pour peser sur l’ordre international. Nous sommes à présent dans l’ère des puissances relatives. Le monde se régénère autour des puissances nationales, il est redevenu multilatéral, en même temps qu’apparaît le phénomène nouveau de la mondialisation, qui transcende la construction européenne. Si la coopération européenne est indispensable dans certains domaines, elle ne l’est pas dans tous. Il est probable que l’Union pour la Méditerranée échouera parce qu’elle a été intégrée dans le cadre communautaire. L’avenir de la France n’est plus seulement en Europe. En matière de défense, par exemple, elle doit coopérer avec les Etats du Maghreb et avec la Turquie, et pas seulement avec ses partenaires européens. Le projet européen est désormais dépassé par la globalisation.
M. Jean-Marc Roubaud. Le principe actuel de la présidence tournante de l’Union européenne me préoccupe, dans le contexte de crise internationale que nous connaissons. La présidence française se termine fin décembre prochain. Un certain nombre d’avancées ont été faites, des décisions ont été prises, mais compte tenu du fait que le Traité de Lisbonne n’a pas été adopté, de la complexité des structures, aussi, et de la non définition des compétences, je me demande quelle sera l’évolution dès janvier 2009 et je voudrais savoir s’il n’y a pas des dispositions particulières à prendre ; ce sont des sujets qui me semblent particulièrement importants si nous voulons rendre l’Europe plus cohérente et assurer une continuité politique.
M. François Loncle. Je voudrais dire que j’ai été très intéressé par ce rapport, lucide et qui offre des perspectives. Je ferai une remarque critique : la présidence française de l’Union européenne a certes été dynamique et réussie, mais il ne faut toutefois pas en rajouter pour ne pas tomber dans l’arrogance française bien connue et qui finit par nous nuire. Il y a en tout cas quelque chose qui n’a pas avancé durant la présidence française, c’est la relation avec l’Allemagne ; il faudra s’atteler à faire le point si l’on veut reconstruire ce moteur de l’Europe, d’autant plus qu’il y a eu au contraire détérioration ces derniers temps. À la suite de l’audition la semaine dernière du commissaire Olli Rehn, je me demande si le moment n’est pas venu de définir les frontières ultimes de l’Europe pour à la fois marquer cette puissance à laquelle vous aspirez et aussi essayer d’ôter le flou et l’inquiétude de beaucoup d’Européens, à l’idée que la construction n’a pas de fin. Est-ce que ce ne pourrait pas être un objectif pour les mois qui viennent ? Je vous remercie pour ce rapport tout à fait intéressant.
M. Jean-Michel Boucheron. Il y a deux choses à mon avis qui freinent l’Europe ; en premier lieu, c’est précisément l’idée du « soft power ». Nous sommes dans un monde dans lequel les ressources naturelles vont se raréfier et devenir extrêmement disputées. Continuer dans un schéma de faiblesse stratégique est une grave erreur, car les autres puissances ne partageront pas ce qui ne relève pas d’un rapport de force. La deuxième remarque porte sur la nécessité de ne pas se focaliser excessivement, comme le font trop de responsables européens, sur l’approche uniquement institutionnelle. Tout ce qui a été fait de grand en Europe l’a été dans le cadre d’une Europe à plusieurs vitesses : Schengen, l’euro, etc., et il continuera nécessairement d’en être ainsi, car l’Europe est au-dessous du seuil critique de puissance mondiale de 1 milliard d’habitants. Il faut donc construire un ensemble qui ne soit pas institutionnel, mais un ensemble de dynamiques, et l’on voit bien que c’est la géographie qui fixe l’histoire. Donc, je suis satisfait de l’évolution positive de l’attitude du gouvernement français vis-à-vis de la Russie. J’ai été très enthousiaste sur l’initiative du Président de la République sur l’Union pour la Méditerranée, mais je regrette qu’il ait cédé à Mme Merkel…
M. Jacques Myard. Bravo.
M. Jean-Michel Boucheron. … car, je le crains, nous allons perdre en vitesse et en détermination. J’espère que passée la présidence française on pourra rectifier le tir. Cette présidence se passe de façon très intéressante. Je partage l’idée que l’Europe a besoin d’une « bouffée de politique », qu’il lui faut un combat et un visage qui incarne l’Europe. Il y aujourd’hui peu de candidats à ce rôle, mais il faut créer une dynamique. Sans nationalisme, la France a toujours été en tête d’un certain nombre de combats, elle n’a pas à s’excuser de faire l’Histoire ni à culpabiliser et devrait être fière aujourd’hui. Mon seul souci est de voir que l’Euro-Méditerranée risque de s’enliser à cause de la bureaucratie de Bruxelles.
M. Henri Plagnol. Je voudrais remercier Nicole Ameline de son rapport qui montre bien comment l’Europe peut jouer son rôle civilisateur dans la mondialisation. Ma question porte sur l’aide publique au développement de l’Union européenne. Vous avez souligné à juste titre que l’Union européenne est de très loin le premier donateur du monde mais avec une visibilité très faible. J’ai pu constater, avec mon collègue Jean Glavany, en Afghanistan et au Pakistan ces derniers jours, que ce que fait l’Europe est ignoré des populations, alors que le drapeau européen pourrait leur redonner espoir. Pire, la conférence des ambassadeurs de l’Union européenne dans ces pays n’arrive pas à obtenir de la part des représentants de la commission de mandat politique sur ces questions. Cela ne pourra évoluer que si l’agence de développement que vous suggérez intervient avec un droit de contrôle ou un regard fort de la part de la conférence des ambassadeurs, pour sortir des méandres de la bureaucratie européenne. Cela pourra contribuer aussi à donner un visage à notre diplomatie. Je voudrais votre sentiment sur cette question.
Mme Nicole Ameline, rapporteur. Je vais d’abord répondre à M. Jacques Myard. Je respecte tous les talents, le vôtre comme celui de Victor Hugo. Simplement, je ne partage pas votre vision de l’Europe. C’est parce que les 27 ont été unis dans l’affaire géorgienne, et face à la crise financière, que leurs propositions ont pu avoir un tel impact. L’action en matière financière ne relève pas de la simple coopération sur le moment, mais doit permettre de lancer une démarche de long terme. L’Europe doit assurer le continuum économique et financier.
Concernant les relations entre les Etats membres et la Commission, la crise financière a montré que le processus de construction communautaire n’est plus le seul moteur de l’Europe, puisque la plupart des réponses apportées à la crise récente ont été élaborées dans un cadre intergouvernemental. Un tel constat n’empêche pas de préconiser un renforcement de l’unité européenne.
Le monde actuel n’est plus seulement structuré de façon « verticale » par les seuls Etats, il est aujourd’hui traversé par des flux économiques internationaux représentés par les grands fonds privés et les réseaux ou les mouvements alternatifs – songeons au sommet de Porto Alegre. Le retour à une logique d’Etats et de repli sur les intérêts nationaux conduira à la dilution de l’influence européenne dans le monde, et à son incapacité à peser sur les évolutions internationales en promouvant ses valeurs. Ainsi, alors que la promotion des droits de l’homme est en recul à l’ONU depuis quelques années, l’Europe se focalise essentiellement sur les questions institutionnelles internes, et néglige son action internationale. De la même manière, l’Europe n’a pas su imposer la généralisation de la « clause sociale » dans les accords de commerce internationaux.
Il faut donc revenir à une démarche puissante, collective, organisée, structurée, appuyée sur des instruments européens. Cela n’exclut pas l’action des Etats, mais sans vision unifiée de l’Europe dans le monde, l’influence européenne ne pourra que diminuer. Les réseaux diplomatiques, et notamment nos représentations permanentes auprès des organisations internationales, jouent un rôle éminent dans ce domaine, qui doit être salué.
Dans un nouveau monde, c’est bien de l’Europe globale qu’il doit s’agir.
En réponse à M. Jean-Marc Roubaud, il est certain que la question de la suite de la présidence française de l’Union européenne, notamment face à la crise financière, est essentielle. Le rapport propose de renforcer la gouvernance économique et de recourir à l’Eurogroupe, qui peut constituer le cadre adapté pour consolider la démarche collective qui vient d’être engagée.
Pour répondre à M. François Loncle, l’élargissement n’a pas été un facteur de ralentissement. Aujourd’hui, l’image de l’Europe dans les organisations internationales est celle d’une Europe à quarante membres. Toutefois, la réflexion à mener sur les frontières est importante, car elle permettra de clarifier des aspects importants de la construction communautaire.
Concernant le partenariat franco-allemand, il est juste d’affirmer que l’Europe doit se fortifier à l’intérieur si elle veut se fortifier hors de ses frontières. Elle doit donc s’appuyer sur ses bases les plus solides, dont le moteur franco-allemand est la première, bien que les efforts réalisés par la Grande-Bretagne suite à la crise financière soient notables.
Je remercie M. Jean-Michel Boucheron d’avoir partagé mes analyses. Je pense aussi qu’il faut dépasser les réflexions institutionnelles, qui ont trop longtemps obturé la vision européenne. Comme le déclare Kemal Derviş : « Si l’Europe a un avenir, celui-ci doit s’inscrire dans la mondialisation et la manière dont elle peut peser, influencer, “ civiliser ” la mondialisation. ». Les problèmes internes doivent donc rester secondaires par rapport au besoin d’Europe exprimé aujourd’hui par le monde.
Comme l’indique M. Henri Plagnol, le déséquilibre entre, d’une part, l’ampleur de l’aide européenne au développement et, d’autre part, la faible reconnaissance internationale du rôle joué par l’Union dans ce domaine, suscite une grande frustration. Une agence européenne de développement pourrait travailler en lien avec les réseaux européens, importants, pour apporter la coordination et la cohérence dont l’action européenne en faveur du développement a besoin. A l’heure actuelle, 17 agences de l’ONU travaillent en Afghanistan, ce qui montre à quel point l’enjeu de la coordination des actions menées est crucial.
Pour conclure, les fonctionnaires européens placés dans les organisations internationales doivent être considérés comme des « investissements » de l’Europe dans le monde. Il serait judicieux de valoriser leur rôle, par exemple en créant un groupe de fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de programmes de long terme permettant de définir de véritables politiques de développement dans certains pays, par exemple en Afrique.
M. Jacques Myard : J’approuve la publication de ce rapport. Je recommande simplement d’en modifier le titre, et propose de l’intituler : « L’Europe : de l’utopie aux dures réalités ».
Après avoir remercié la Rapporteure pour son exposé et ses réponses, le Président Axel Poniatowski demande à la Commission de se prononcer sur la décision de publier le rapport présenté par Mme Nicole Ameline.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
Information relative à la commission
Au cours de sa séance du 12 novembre 2008, la commission a nommé M. Jean-Claude Mignon rapporteur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces, signé à Paris le 29 janvier 2008.
La séance est levée à onze heures quarante cinq
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