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Commission des affaires étrangères

Mardi 18 novembre 2008

Séance de 11 h 30

Compte rendu n° 16

Présidence de M. Renaud Muselier, vice-président

– Audition de M. Morgan Tsvangiraï, chef du mouvement pour le changement démocratique (MDC) au Zimbabwe

Audition de M. Morgan Tsvangiraï, chef du mouvement pour le changement démocratique (MDC) au Zimbabwe

La séance est ouverte à onze heures trente

M. Renaud Muselier, vice-président de la Commission des affaires étrangères. Monsieur le président Tsvangiraï, chers collègues, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. Axel Poniatowski, président de la Commission des affaires étrangères.

Je tiens ensuite à saluer M. Laurent Contini, ambassadeur de France au Zimbabwe, présent parmi nous.

Je vous remercie, Monsieur Morgan Tsvangiraï, d’avoir accepté notre invitation à venir vous exprimer devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à l’occasion de votre séjour en France.

Vous présidez le Movement for Democratic Change (MDC), formation politique qui, pour la première fois depuis l’indépendance du Zimbabwe, a remporté les élections législatives au mois de mars dernier face au Zimbabwe African National Union-Patriotic Front (ZANU-PF) du Président Mugabe.

Vous-même étiez candidat à l’élection présidentielle organisée simultanément et vous êtes arrivé en tête à l’issue du premier tour de scrutin, le 29 mars 2008. Le 22 juin, quelques jours seulement avant le second tour prévu le 29, vous avez cependant renoncé à vous présenter compte tenu du climat de terreur et de violence régnant dans votre pays. Craignant pour votre vie, vous avez dû trouver refuge pendant quelque temps auprès de l’ambassade des Pays-Bas.

Le déni de démocratie dont vous avez été victime a été dénoncé par la communauté internationale et, notamment, par les démocraties occidentales, l’Union européenne et le secrétaire général des Nations unies. Dans ce contexte, le Président Mbeki, au nom de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), a entamé une médiation qui a permis la conclusion, le 15 septembre dernier, d’un accord politique visant à un partage du pouvoir avec le Président Mugabe afin de sortir votre pays de l’impasse. Cet accord, qui maintient le Président Mugabe en place et qui vous désigne comme Premier ministre, n’est toujours pas appliqué faute d’une entente sur la composition d’un gouvernement d’union, ce qui suppose non seulement la répartition des portefeuilles ministériels, mais aussi le vote d’un amendement constitutionnel rétablissant le poste de Premier ministre. La conclusion d’un tel accord est cependant essentielle pour votre pays dont la situation est dramatique : un quart de la population a dû émigrer sous le régime de Mugabe, le Zimbabwe connaît aujourd’hui une inflation de 231 millions % – record historique mondial – et sa situation humanitaire et alimentaire est catastrophique.

Monsieur Tsvangiraï, vous avez consacré votre vie à la défense des libertés et des droits de l’homme et, en acceptant la signature d’un accord avec le Président Mugabe, que vous avez combattu, vous avez courageusement ouvert la voie à une solution politique au conflit qui ravage votre pays. Quelle analyse faites-vous de la situation ? Quelle est votre vision de l’avenir du Zimbabwe à court et à moyen terme dans l’hypothèse où les médiations internationales aboutiraient ? Quelles sont vos priorités et votre stratégie ? Qu’attendez-vous de la communauté internationale, de l’Union européenne, de la France ? Vous venez de rencontrer le Commissaire européen Louis Michel et votre séjour à Paris intervient alors que la France occupe la présidence de l’Union : quel message précis souhaitez-vous donc faire passer ?

Enfin, sachez combien je suis personnellement sensible à votre courageuse démarche et à votre engagement politique.

M. Morgan Tsvangiraï, chef du Movement for Democratic Change (MDC) du Zimbabwe. Je suis ravi d’être parmi vous et vous remercie de votre accueil.

Le MDC a été créé en 1999 non seulement en raison de la désintégration sociale et économique du Zimbabwe, mais également parce que nous connaissions alors une importante répression politique : notre plus grand défi, en effet, consistait à faire face à la dictature tout en utilisant des moyens démocratiques. Aujourd’hui, la crise humanitaire atteint des proportions extraordinaires, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de la conférence sur le développement à Strasbourg : notre inflation se situe aux alentours de 560 millions % ; trois hôpitaux viennent de fermer faute de personnels et de médicaments ; 90 % des écoles publiques ont dû également être fermées, les enseignants étant payés un dollar quand il leur faut 50 dollars pour aller travailler… C’est une véritable tragi-comédie que nous vivons !

Lorsque le MDC a remporté les élections, nous avons, comme responsables, été confrontés à deux possibilités : renoncer au pouvoir, comme cela avait déjà été le cas lors des trois derniers scrutins, ou convaincre nos collègues du ZANU-PF d’accepter la transition et de partager le pouvoir de manière à mettre en place une véritable démocratie. Ce sont les négociations qui ont eu lieu sous les auspices de la SADC qui ont permis d’aboutir à l’accord du 15 septembre aux termes duquel le Président et le Premier ministre devaient partager le pouvoir au sein d’une coalition, les relations extérieures relevant en particulier du premier et la politique intérieure du second. Parmi les problèmes qui se sont posés figuraient également ceux de la répartition des portefeuilles ministériels et de la marge de manœuvre dont le Gouvernement pouvait disposer afin de gérer une crise particulièrement grave. Selon nous, le ZANU-PF devait d’abord entériner sa défaite et accepter que la répartition équitable du pouvoir soit fondée sur les résultats électoraux. La semaine dernière, ce litige a été soumis au comité exécutif de la SADC sans qu’une solution ait été trouvée, faute d’avoir pu résoudre les problèmes liés au Conseil de sécurité nationale, institution à proprement parler plus partisane que nationale. Il est inconcevable que le MDC accepte de participer au gouvernement sans disposer des moyens d’action nécessaires afin de lutter contre la crise : alors que l’État est en quasi-faillite, nous devons nourrir la population et reconstruire les infrastructures.

L’Union européenne, quant à elle, doit, d’une part, concentrer ses efforts sur le soutien humanitaire et, d’autre part, faire pression sur la SADC, le ZANU-PF et M. Mugabe de manière qu’un gouvernement satisfaisant les deux parties soit constitué. Le MDC, en ce qui le concerne, a fait preuve de son sens des responsabilités.

M. Jacques Remiller. Vos propos, monsieur le Président, confirment parfaitement les informations dont nous disposons.

En refusant de reconnaître les derniers résultats électoraux du Zimbabwe, ne considérez-vous pas que l’Afrique du Sud soutient de facto le Président Mugabe ? N’est-ce pas là un obstacle à votre légitime accession au pouvoir ?

M. Morgan Tsvangiraï. L’Afrique du Sud joue un rôle économique et social essentiel dans cette région, mais le Président Mbeki a fait montre de partialité, en effet, dans le conflit qui déchire le Zimbabwe, en soutenant M. Mugabe. Ce pays considère en l’occurrence que la stabilité est plus importante que la démocratie, comme si notre victoire devait aggraver la crise. Toutefois, lorsque nous aurons trouvé une solution, je suis persuadé que l’Afrique du Sud jouera un rôle beaucoup plus constructif.

M. Éric Raoult. Vous êtes une personnalité importante chez nous, Monsieur le Président, car vous vous inscrivez dans la lignée prestigieuse de ceux qui combattent pour la liberté. Sans vouloir me montrer par trop « politique », j’aurais souhaité que le président du groupe d’amitié France-Zimbabwe vous accueille et solennise ainsi un peu plus votre venue.

En tant que président du groupe d’amitié France-Afrique du Sud, je dois avouer que je ne comprends pas toujours l’attitude de ce dernier pays à votre égard. Certes, M. Mugabe a été un résistant mais, aujourd’hui, c’est à la démocratie qu’il résiste ! Peut-être la sympathie politique du père de l’actuel Président d’Afrique du Sud à l’endroit de M. Mugabe explique-t-elle bien des choses – je suis moi-même élu d’un département qui a été communiste pendant trente ans et je connais l’ampleur des fraudes électorales qui étaient alors en vigueur. Malgré cela, selon vous, la position de l’Afrique du Sud évoluera-t-elle et la France pourra-t-elle jouer un rôle de médiateur puisque, à la différence de la Grande-Bretagne, elle n’a pas de passé colonial dans cette partie de l’Afrique ?

M. Morgan Tsvangiraï. M. Mugabe a un double visage : celui du père de la nation en tant que héros national de la libération ; celui du responsable de la situation terrible que nous connaissons et sous le joug duquel vivent les Zimbabwéens aujourd’hui. À cette question générationnelle se superpose un problème idéologique : il y a ceux qui croient à la démocratie en Afrique, dont nous sommes, et ceux qui n’y croient pas, dont M. Mugabe fait partie.

Dernièrement, l’Afrique du Sud a un peu modifié son attitude : si elle ne soutient plus ouvertement M. Mugabe, elle soutient en revanche le changement démocratique, mais le problème demeure de savoir comment le mettre en place.

Le Zimbabwe étant hostile à la Grande-Bretagne pour d’évidentes raisons historiques, il me semble que c’est à l’Union européenne et, en particulier, à la France de jouer un rôle majeur.

M. François Loncle. Je suis de ceux qui regrettent la tiédeur des réactions occidentales, notamment de l’Union européenne ou de la France, face à la situation du Zimbabwe : vous êtes en droit, monsieur le Président, de nous dire ce que vous attendez d’une démocratie comme la nôtre !

Par ailleurs, quel peut être le rôle du Conseil de sécurité des Nations unies dans la crise que traverse votre pays?

M. Morgan Tsvangiraï. Lorsque le Conseil de sécurité a évoqué la situation du Zimbabwe, la Russie et la Chine, dont les positions ont sans doute évolué depuis lors, ont usé de leur droit de veto. C’est parce qu’il importe maintenant que cette crise revienne à l’ordre du jour de l’ONU que nous avons longuement insisté auprès du Secrétaire général sur la situation humanitaire catastrophique que nous connaissons et que nous appelons l’ONU à mettre en œuvre le principe de la responsabilité de protéger qu’elle a récemment reconnu.

M. Jean-Marc Roubaud. Si de nombreux Zimbabwéens gagnent l’Afrique du Sud, ne craignez-vous pas que ceux qui restent ne mènent des actions violentes en réponse aux violences gouvernementales ?

M. Morgan Tsvangiraï. Le chaos peut certes gagner le pays, mais pas une révolution organisée tant la répression du gouvernement est féroce.

M. Renaud Muselier, vice-président. Pouvez-vous rappeler, monsieur l’ambassadeur, la position française à l’endroit du Zimbabwe ?

M. Laurent Contini, ambassadeur de France au Zimbabwe. Elle est bien entendu liée à celle de l’Union européenne. Nous avons en l’occurrence condamné le refus de M. Mugabe de reconnaître les résultats des élections du mois de mars et nous soutenons le MDC ainsi que l’accord visant à mettre en place un gouvernement « inclusif » comprenant le MDC, le ZANU-PF et l’organisation de M. Mutambara. Hélas, l’Union européenne est largement discréditée et n’a pu imposer une médiation autre qu’africaine. Les Nations unies, quant à elles, n’ont pas pu intervenir même si un groupe d’observateurs incluant l’Union africaine (UA) et la SADC a été mis en place. Cette dernière est d’ailleurs divisée : le Mozambique, la Namibie et l’Angola sont proches de M. Mugabe, tandis que le Bostawana, la Zambie et la Tanzanie se montrent beaucoup plus critiques. L’Afrique du Sud menant toutefois la médiation, la situation n’évolue guère, même s’il faut attendre les décisions que prendra M. Motlanthe, nouveau Président de ce pays.

L’Union européenne a par ailleurs imposé des sanctions ciblées à l’encontre de personnalités zimbabwéennes impliquées dans les violences qui ont eu lieu pendant et après la campagne électorale.

Je rappelle, de plus, que M. Morgan Tsvangiraï, ne dispose toujours pas de passeport et qu’il voyage avec un laissez-passer d’urgence, ce qui ne lui permet évidemment pas de jouer le rôle international qui lui revient en tant que premier ministre désigné.

Des rencontres avaient eu lieu entre le Président Chirac et M. Mugabe – ce dernier avait d’ailleurs été convié à des sommets franco-africains –, mais la France s’est depuis lors alignée sur les positions européennes en raison des violences de 2008, changement de position que le Président Mugabe n’a pas manqué de regretter lorsque j’ai déposé mes lettres de créance. Elle continue néanmoins de soutenir le peuple zimbabwéen avec une aide alimentaire qui s’élève à 3 millions d’euros, mais également dans le cadre de programmes de sécurité alimentaire élaborés par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD. En ce qui me concerne, je parviens à avoir des contacts avec certains dignitaires du régime et de ZANU-PF mais, si cela me permet de disposer de plus d’informations que d’autres ambassadeurs, les tenants d’une ligne dure ne seront pour autant jamais influencés par nos analyses.

Le régime est aux abois, la situation économique ubuesque : nous assistons à une « zaïrisation » ou à une « congolisation » du pays avec l’émergence de la prévarication et d’une économie mafieuse, la population étant quant à elle désespérée.

Je rappelle, enfin, que selon le Programme alimentaire mondial, 5,5 millions de Zimbabwéens sur 14 millions d’habitants dépendront bientôt de l’aide alimentaire mondiale et que le choléra a déjà fait 200 victimes. La situation sanitaire devrait s’aggraver avec la saison des pluies, compte tenu de l’état du système hospitalier.

M. Renaud Muselier, vice-président. La représentation nationale adhère bien entendu à ces analyses.

M. Jacques Remiller. Je remercie M. l’ambassadeur pour ses propos.

M. Tsvangiraï, quelles initiatives comptez-vous prendre pour faire respecter le résultat des urnes si les blocages que nous constatons perdurent ? Attendez-vous de la part de la France ou de l’Union européenne des prises de position spécifiques ?

M. Morgan Tsvangiraï. La première priorité est d’accroître le soutien humanitaire au peuple zimbabwéen. Sur le plan politique, il convient de continuer à exercer des pressions sur la SADC, l’UA et le gouvernement : le ZANU-PF, en l’occurrence, doit accepter les pré-conditions dont j’ai fait part afin de parvenir à la mise en place d’un gouvernement inclusif. À moins de changer de paradigme, sa politique restera suicidaire. Je suis néanmoins confiant car nous finirons par trouver une issue.

M. Éric Raoult. L’élection de M. Obama n’y participera-t-elle pas ? En outre, ne pensez-vous pas que les ONG se montrent étonnamment silencieuses sur le plan international ? Ne pourrions-nous pas leur rappeler qu’elles ont aussi pour objectif de mobiliser les consciences ?

M. Morgan Tsvangiraï. L’élection de M. Obama constitue un événement important : outre que l’Afrique ne pourra plus désormais prétexter je ne sais quel racisme pour déplorer telle ou telle politique, je suis convaincu que la position du nouveau président américain sur le Zimbabwe est très claire et qu’il saura faire preuve de volontarisme.

Les ONG ont quant à elles joué un rôle important pour faire connaître ce conflit, mais il importe aujourd’hui d’assurer une véritable mobilisation internationale en dépit de la crise financière qui touche l’ensemble de la planète.

M. Renaud Muselier, vice-président. Je vous remercie, M. Tsvangiraï, et, au nom du président de la commission des affaires étrangères, je tiens à nouveau à saluer vos engagements et votre action pour votre pays magnifique et perclus de difficultés. Avec le Président de la République, qui préside aussi actuellement l’Union européenne, nous sommes tous à vos côtés et nous espérons que votre passage en France contribuera à accroître la légitime mobilisation en faveur du Zimbabwe.

La séance est levée à douze heures trente

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