Audition de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes.
La séance est ouverte à seize heures trente
M. le président Axel Poniatowski. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, même si c’est avec quelque émotion puisque ce sera votre dernière audition. Depuis l’annonce de votre départ du Gouvernement, les éloges à votre égard se multiplient et je voudrais à mon tour, au nom de la commission des affaires étrangères, vous exprimer mes remerciements très chaleureux pour votre action au service de la cause européenne. Nous avons tous apprécié votre dévouement, votre disponibilité et votre efficacité. Vous ne quittez pas pour autant les affaires publiques et je ne doute pas qu’à la tête de l’Autorité des marchés financiers, vous déploierez vos talents dans la période tourmentée que nous traversons. Je vous souhaite, au nom de tous mes collègues, une pleine réussite dans vos nouvelles fonctions. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
Mais nous n’en sommes pas encore là. Il vous reste un dernier Conseil européen sous présidence française. Quel bilan de la présidence française ce sommet permettra-t-il de dresser, d’abord au regard de ce qu’on pouvait en attendre ? Quels sont les principaux succès et les espoirs déçus ? Ensuite, au regard de ce qui était imprévisible, en particulier de la crise russo-géorgienne et de la crise financière ? Comment conserver l’élan que l’Union a connu sur le plan institutionnel ? On a pu noter la remarquable réactivité des mécanismes intergouvernementaux – Conseil européen, Conseil, Eurogroupe –, cependant que les organes proprement communautaires tels que la Commission restaient très en retrait. Comment éviter que le soufflé ne retombe aussitôt la présidence française achevée ? Avec la crise, l’Europe est apparue, aux yeux des citoyens, utile, voire indispensable.
Quel regard portez-vous sur l’avenir du traité de Lisbonne après la ratification suédoise et la décision favorable de la Cour constitutionnelle tchèque, et alors que la situation irlandaise reste confuse ? N’oublions pas que le semestre de présidence française devait permettre de progresser et que vous aviez vous-même, monsieur le secrétaire d’État, exclu le statu quo.
S’agissant enfin des relations extérieures de l’Union, quelles leçons tirez-vous du récent sommet entre l’Union et la Russie qui s’est tenu le 14 novembre dernier à Nice ? Et du report sine die du sommet avec la Chine ? Faut-il y voir autre chose qu’un mouvement d’humeur à la perspective d’une rencontre entre le Président de la République et le Dalaï-lama dans quelques jours en Pologne ? Par ailleurs, quel calendrier prévisionnel envisagez-vous pour la montée en puissance de l’Union pour la Méditerranée à laquelle nous portons un vif intérêt ? Quelle sera l’articulation entre la mission interministérielle ad hoc présidée par M. Guaino et le Secrétariat général des affaires européennes ?
Je laisse la parole à notre collègue Jacques Myard, pour un point d’ordre.
M. Jacques Myard. Tout en m’associant à vos propos à l’égard de M. Jouyet, j’appelle solennellement votre attention, monsieur le président, sur le déroulement du débat budgétaire. La commission élargie peut se révéler un cadre utile, mais que le budget des affaires étrangères soit défendu en séance par le seul ministre du budget, en l’absence du ministre des affaires étrangères, c’est insupportable. Je tiens à ce que cette nouvelle procédure soit modifiée car, que je sache, les affaires étrangères sont un ministère régalien et leur conduite commande que le ministre responsable soit en séance. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président Axel Poniatowski. Je prends bonne note de votre remarque et le sujet sera abordé à l’occasion de notre prochaine réunion de bureau le 7 décembre. Par ailleurs, j’ai moi-même fait part de quelques réserves au président de la commission des finances, qui a largement contribué à cette innovation, car elle n’est pas sans poser des problèmes s’agissant de certains budgets. Je comprends bien tout l’avantage de cette procédure mais il faudra voir si elle peut être aménagée.
M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je vais essayer d’être digne de la confiance que vous m’avez manifestée. Sachez que j’ai toujours eu plaisir à venir devant votre commission. Nous avons entretenu d’excellentes relations et ce n’est pas sans regret ni sans émotion que je vis ces moments. Mais, vous le savez, je reviendrai à l’Assemblée dans le cadre de la préparation du Conseil européen qui fera l’objet d’un débat le 10 décembre.
En ce qui concerne les priorités que nous nous étions fixées dans le domaine « Justice et affaires intérieures », les résultats sont satisfaisants, voire très satisfaisants. Le pacte sur l’immigration et l’asile a été adopté par le Conseil européen les 15 et 16 octobre derniers, et une large majorité du Parlement européen s’est exprimée en sa faveur et pour la « carte bleue » européenne destinée aux immigrants qualifiés. De même, un plan d’action destiné à accueillir 10 000 réfugiés irakiens a vu le jour, avec le soutien de l’Allemagne, ce qui n’était pas évident. Une conférence euro-africaine a été organisée sur la gestion concertée des migrations. Dans ce domaine, les objectifs ont été atteints. Toutes sensibilités confondues, un consensus s’est fait jour sur ces questions.
Nous avons également enregistré des progrès dans la protection des données. On a réussi à définir une architecture harmonisée, respectueuse du droit. Des plates-formes ont été conçues, destinées au signalement des infractions commises sur Internet, ce qui constitue un progrès de l’Europe au quotidien. L’organisation de la sécurité civile a été améliorée pour renforcer la solidarité devant les catastrophes naturelles.
Michel Barnier a obtenu, au terme de discussions difficiles, un bon accord sur le « bilan de santé » de la politique agricole commune. Nous sommes arrivés à faire accepter une agriculture qui soit durable tout en préservant la sécurité alimentaire, les équilibres alimentaires mondiaux et l’aménagement du territoire. Nous avons eu gain de cause, et c’est une bonne chose pour la France, sur le maintien de mécanismes d’intervention et de stabilisation des marchés face à ceux qui les tenaient pour inutiles. De même, le principe d’une production agricole européenne efficace au-delà de 2013 a été acquis : même si ce domaine sera affecté par le débat budgétaire de 2009, nous avons posé les fondements pour l’avenir de la PAC.
En matière de défense, les conseils des ministres des affaires étrangères et de la défense qui se sont tenus les 10 et 11 novembre derniers se sont mis d’accord sur des programmes opérationnels : forces héliportées, transport aérien, amélioration de la concertation sur la planification des opérations civiles et militaires, renforcement des capacités opérationnelles qui nous font si cruellement défaut, notamment en République Démocratique du Congo. Nous devrions, lors du prochain conseil des ministres « affaires générales et relations extérieures », lundi, aboutir à un accord sur la nouvelle stratégie européenne de sécurité sur la base des propositions du Haut représentant, Javier Solana, qui intègrent désormais la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, l’impact du changement climatique sur les préoccupations géostratégiques – en particulier l’accès aux ressources naturelles – et l’évolution de nos relations avec tout à la fois les États-Unis, la Russie et les grands pays émergents. Notre objectif, qui était de fixer des orientations en matière de politique européenne de défense et de sécurité et de créer une dynamique avant le sommet de l’OTAN qui aura lieu à Kiel et à Strasbourg, sera tenu.
Dernières priorités : la lutte contre le changement climatique, et la politique énergétique – qui ne sont pas strictement synonymes. En matière énergétique, le Conseil européen des 15 et 16 octobre a fait des progrès, que les médias n’ont pas assez soulignés. Nous avançons dans la convergence des priorités énergétiques – même si nous n’en sommes pas encore à l’Europe de l’énergie –, sur la nécessité des interconnexions électriques et gazières. Un accord a été trouvé sur la troisième voie, c'est-à-dire pour éviter la séparation patrimoniale et conserver des opérateurs énergétiques intégrés. La gestion des stocks de ressources pétrolières se fait désormais au niveau communautaire, ce qui n’était pas évident il y a encore quelques années. Chacun convient aussi qu’il faut un dialogue plus structuré entre l’Union et les principaux pays producteurs d’énergie. Il reste beaucoup de progrès à accomplir ; néanmoins, les avancées ont été significatives.
La lutte contre le changement climatique sera le dossier le plus délicat du prochain Conseil européen. Deux points ont été traités : le captage et le stockage du carbone et les énergies renouvelables. Il reste à régler les problèmes liés au respect des objectifs « trois fois vingt » : 20 % d’efficacité énergétique supplémentaire, augmentation de 20 % des énergies renouvelables et, le plus difficile, réduction de 20 % des émissions de CO2. Il faut trouver un compromis satisfaisant avec les pays d’Europe centrale et orientale qui produisent du charbon, notamment la Pologne. Nous n’y sommes pas et ce sera compliqué.
Les imprévus ne nous ont pas été épargnés. De la crise russo-géorgienne, je tire trois constatations. Premièrement, pour la première fois, l’Union européenne a été en mesure d’arrêter une guerre, de faire respecter un cessez-le-feu, de proposer un plan de paix, qui vaut ce qu’il vaut mais qui n’a fait l’objet d’aucune autre proposition alternative. L’Union s’est donc affirmée en tant qu’acteur global, avant même que les outils du traité de Lisbonne sur les instruments de politique extérieure et de sécurité commune soient mis en œuvre, et sa réactivité a été soulignée par tout le monde.
Deuxièmement, nous avons réussi notre œuvre de stabilisation à vingt-sept, c'est-à-dire y compris avec des membres issus de l’ancien bloc communiste. L’unité a été maintenue, au delà des sensibilités différentes à l’égard de la Russie. Un équilibre a été trouvé, prouvant par-là même notre capacité de projection à l’extérieur.
Troisièmement, nous avons réussi, dans le cadre du sommet russo-européen, à maintenir nos principes, à condamner la reconnaissance par la Russie de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, à demander le retrait au-delà des lignes du 8 août, à obtenir celui des zones adjacentes et à maintenir un dialogue qui est important pour les deux partenaires : pour la Russie parce que l’Europe reste son principal débouché ; pour l’Europe parce que, contrairement aux États-Unis, la Russie est notre voisine et qu’il existe une interdépendance entre nous. En interne, les débats préparatoires à la rencontre ont révélé des divergences à propos du retrait des troupes, mais aucun État membre n’a remis en cause le principe même du dialogue. Certains États, les Pays baltes et la Pologne notamment, exprimaient des demandes légitimes en matière d’approvisionnement énergétique : elles sont l’un des éléments à négocier dans le cadre du partenariat à conclure entre l’Union et la Russie.
En ce qui concerne la crise économique et financière, l’Europe, là aussi, a fait preuve de réactivité et d’inventivité : le G4 s’est réuni, puis l’Eurogroupe, et le Conseil européen, extraordinaire et ordinaire. La crise a plutôt révélé, contrairement à ce qui a pu s’écrire, que les États avaient bien réagi. Il est normal que les réponses apportées soient diverses, chaque pays ayant ses caractéristiques propres. Ce qui est important, ce sont les principes communs, les lignes directrices autour d’une volonté commune de soutenir l’activité.
La Banque centrale européenne a aussi très bien réagi. Elle s’est affirmée en tant que stabilisateur des marchés, et elle a innové pour remettre en marche le marché interbancaire et assurer le financement de l’économie. Elle a aussi fait preuve de réactivité sur les taux ; il faut d’ailleurs espérer que le mouvement se poursuive.
Face à la réactivité du Conseil et de la BCE, il est vrai que la Commission est restée un peu en deçà des attentes, au moins au début de la crise. Il faudrait que les accords conclus dans le domaine financier dans le cadre de l’Eurogroupe et du Conseil européen du mois d’octobre soient respectés. Les interventions auprès des banques sont en effet un préalable destiné à financer l’économie avant toute mesure de soutien et de consolidation de l’activité. Sinon, la machine se bloque. C’est ce que nous tentons d’expliquer à la Commission. Aux États-Unis qui ont pourtant une législation antitrust et des autorités de la concurrence, les décisions sont arrêtées en huit jours. En Europe, deux mois n’auront pas suffi pour que soient mis en œuvre les accords politiques passés en octobre… Le Conseil européen va tout faire pour se mettre d’accord, à partir du plan présenté par la Commission, qui comporte un volet communautaire et un volet de niveau national, sur le soutien à l’activité économique. La Banque européenne d’investissement sera sollicitée.
Il y a trois leçons de méthodologie à retenir. La première, c’est qu’il faut respecter les « tables de la Loi », autrement dit les traités, parce qu’ils sont bien adaptés, mais sans que cela exclue les coups d’épaule ou les adaptations. Les codes sont conçus pour les temps calmes, mais, quand la houle se forme, il faut savoir s’adapter, ce que nous avons fait. La deuxième, Mme Ameline l’a rappelée dans son rapport1 sur l’influence européenne au sein du système international, c’est que les modes de gestion doivent rester innovants : les sommets de chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, il n’y en avait pas eu avant la crise, non plus que des rencontres entre le président de la Banque centrale européenne et les chefs d’État et de gouvernement. Cela montre au passage la force d’attractivité et de stabilité que représente désormais l’euro. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre aurait très bien pu manifester son intention de participer également, mais le président de la Banque centrale européenne s’est imposé comme interlocuteur unique des chefs d’État et de gouvernement. La solidarité envers la Hongrie et l’Islande – qui n’est pas membre de l’Union – s’est exercée à partir de la zone euro. Ce sont des acquis importants qui doivent être consolidés. Troisième leçon : un nouvel équilibre est en train de se créer entre le communautaire pur et l’intergouvernemental, au-delà d’un antagonisme traditionnel. L’Europe va s’appuyer sur un mixte de ces deux méthodes.
Enfin, en ce qui concerne l’avenir du traité de Lisbonne, la situation a évolué puisque vingt-cinq États l’ont ratifié, et qu’un vingt-sixième, la République tchèque, devrait le faire, malgré des difficultés intérieures, au début de l’année 2009. Reste le problème irlandais qui devrait être réglé, espérons-le, d’ici le Conseil européen. Je me suis rendu à Dublin la semaine dernière et le climat économique est plutôt favorable aux pro-européens. Les Irlandais indécis s’aperçoivent en effet que, sans la solidarité européenne, ils seraient dans une situation très difficile, comparable à celle de l’Islande, compte tenu de l’importance des services financiers chez eux. Au moment où l’on va de nouveau débattre des fonds structurels, des marges de manœuvre du budget, ils se rendent compte que la solidarité européenne a du bon. Les demandes irlandaises sont à peu près identifiées : l’Irlande demande confirmation de sa neutralité, de certains éléments éthiques concernant la Charte des droits fondamentaux, et de la règle de l’unanimité en matière fiscale. La question la plus ardue sera la composition de la Commission parce que les Irlandais en font une question politique. Nous sommes prêts à leur fournir des garanties juridiques dès lors que la procédure de ratification des Vingt-six ne sera pas rouverte, l’objectif étant de parvenir à une mise en œuvre du traité de Lisbonne avant le 1er janvier 2010.
Pour ce qui est du sommet Union-Chine, son report est incontestablement lié à une mauvaise humeur des dirigeants chinois, qui l’utilisent aussi à des fins intérieures. Elle n’est pas due au seul agenda du Président de la République puisque, en marge de la réunion de Poznan, plusieurs rencontres auront lieu entre des chefs de gouvernement européens et le Dalaï-lama. C’est cet ensemble qui crée des problèmes politiques. Par ailleurs, ce mouvement d’humeur, qui n’est pas bon pour l’Union, ne l’est pas plus pour la Chine : pendant ce temps, le statut de son économie de marché ne progresse pas, non plus que ses demandes à l’OMC ou la question des investissements étrangers, surtout à un moment où ce pays est en proie à la crise économique et où ses régions orientales et côtières connaissent déjà une déstabilisation du système financier. Sur un plan strictement conjoncturel, les rencontres sino-européennes ont été très nombreuses cette année, ce qui a dû peser. Des réunions de l’ASEM, c'est-à-dire du Dialogue Asie-Europe, ont notamment eu lieu. Le retard pris est regrettable, mais ce n’est pas de ce sommet qu’on attendait les avancées les plus importantes.
En ce qui concerne l’Union pour la Méditerranée, la conférence de Marseille qu’a présidée Bernard Kouchner a permis des avancées significatives dans l’organisation institutionnelle : la coprésidence de la France et de l’Égypte, les secrétariats généraux, les secrétariats de projet, les secrétariats généraux adjoints confiés notamment aux Palestiniens, aux Libanais et aux Turcs. La mission confiée à Henri Guaino s’appuiera sur les éléments de structure qui étaient ceux d’Alain Le Roy et de l’ambassadeur en charge de l’Union pour la Méditerranée, Serge Telle.
M. François Rochebloine. Je m’associe aux propos de Jacques Myard sur les commissions élargies. Même si les débats en commission sont très intéressants, il est regrettable qu’il n’y ait, en séance publique, d’autre ministre présent que le ministre du budget.
Au moment de quitter vos fonctions, quel est, à vos yeux, le point le plus important de la présidence française ? Quels sont vos regrets ? Et vos craintes pour la présidence suivante ?
Une convention sur l’interdiction des bombes à sous-munitions doit être signée demain à Oslo. Serez-vous présent ? Peut-on espérer que la France, qui a été particulièrement active, comme pour l’interdiction des mines antipersonnel, ratifie cette convention très rapidement ?
M. Jean-Michel Boucheron. Je voudrais saluer votre action dans le poste que vous occupez. Elle a été excellente et la présidence française de l’Union a été positive.
Pour des raisons facilement explicables, le Gouvernement fait en quelque sorte de la « gonflette » à propos de la défense européenne. Un sommet de l’OTAN est prévu en mars ou avril, et la France veut aller plus loin dans la réintégration. Alors, on annonce des résultats en matière de défense européenne. Or, des résultats, il n’y en a pas. J’imagine bien M. Sarkozy pressant tous ses ministres en leur disant : « Trouvez quelque chose ! » La coordination du transport stratégique aérien ? Fort bien, mais il n’y a pas d’avions, et il n’est pas près d’y en avoir. L’école de pilotage franco-allemande ? La décision remonte à avril 1992… Parlez-nous d’une percée de l’Europe de la défense ! Quant à l’intégration du réchauffement climatique dans les problèmes stratégiques de la politique extérieure de sécurité et de défense, c’est une plaisanterie. On comprend bien le but du Gouvernement, mais il commet une erreur. Nous entrons dans un monde de tensions où il sera difficile de se procurer des ressources naturelles et de les acheminer vers nos pays, et nous n’avons pas intérêt à dire aux Français et aux Européens que l’Europe de la défense se fait alors qu’il n’en est rien. La France n’est pas responsable, elle met de l’argent, plus qu’on ne pouvait l’espérer, et elle a une volonté politique claire. Mais le résultat n’est pas au rendez-vous et les opinions publiques doivent être mises en face de la réalité parce que c’est grave. Il n’y a pas de soft defence et la courtoisie ne suffit pas à l’heure des rapports de force. Ce monde est dur. C’est la prise de conscience des opinions publiques qui permettra d’avancer.
Au moment où vous quittez vos fonctions, avez-vous quelque espoir du côté des nouvelles autorités américaines ? Mme Condoleezza Rice elle-même a annoncé la fin du MAP, le plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine, ce qui est tout de même positif et conforte les décisions de Bucarest. De même, le discours sur le bouclier antimissile se dégonfle. Cet infléchissement augure-t-il de la politique de M. Obama ?
M. Jacques Myard – Comme vous l’avez indiqué, la construction européenne est arrivée à un tournant. Je suis convaincu que nous avons atteint les limites de la méthode communautaire et c’est selon moi une erreur de vouloir poursuivre avec une Europe à Vingt-sept, parcourue de forces centrifuges et où les intérêts sont divergents.
En réalité, nous avons constaté le retour des États dans le système européen ; un certain nombre de procédures et les traités eux-mêmes ont été bousculés. C’est d’ailleurs si vrai que la Commission essaie aujourd’hui de reprendre un peu le dessus ou de rappeler les règles, en ce qui concerne le financement du plan de relance français pour les banques, par exemple. Mais la Commission commet là une erreur car les États n’ont plus envie – et particulièrement l’État français – de se laisser faire.
À quoi avons-nous assisté ?
Sur la crise géorgienne, la présidence française a été très active, elle a bousculé les choses, mis les autres devant le fait accompli. Il y a eu un G4, puis un G20 – où était la Commission ? Surtout, on a traité de puissance à puissance avec la Russie, qui a atteint ses objectifs tout en tempérant les choses pour ne pas revenir à une situation de guerre froide. Tout cela, c’est le jeu des puissances, le jeu originel du traité de Rome, celui des États et d’une communauté de nations, et non d’un intégrisme communautaire.
Aujourd’hui, le système européen étant en passe d’être épuisé, il faut une remise à plat qui passe par la modification des traités – et ce n’est pas celui de Lisbonne qui va résoudre quoi que ce soit ! C’est au Conseil européen de piloter et il doit toiser la Commission qui, aujourd’hui, s’enferme dans un autisme technocratique pour ne penser qu’à travers des règles, des directives et des querelles de boutique en matière de compétences. Il faut que le système redevienne politique.
Enfin, je partage totalement l’analyse de Jean-Michel Boucheron sur la défense européenne : c’est une idée d’avenir et qui le restera longtemps dans l’esprit de Dieu ! Cessons de rêver. Ce n’est pas en mettant bout à bout des canards boiteux que le système marchera. À nous de nous prendre en main et d’avancer !
M. Hervé de Charette - Monsieur le secrétaire d’État, c’est vrai, la présidence française qui s’achève a été remarquable et même exceptionnelle. Certes, les circonstances en ont fourni l’occasion, plus encore que la préparation initiale, pourtant non négligeable, mais cette présidence aura marqué, je pense, l’histoire de la construction européenne.
En outre, vous avez été – et je ne suis pas le seul à le penser – un secrétaire d’État chargé des affaires européennes qui a marqué sa période d’exercice, sachant que votre fonction est compliquée et difficile, aussi bien dans le système européen que dans le système politique français.
M. le secrétaire d’État. Merci.
M. Hervé de Charette - Je salue d’autant plus votre action que je regarde avec beaucoup d’inquiétude l’année 2009 pour l’Europe.
Vous nous avez annoncé le report au 1er janvier 2010 de l’application – vraisemblable – du traité de Lisbonne, ce qui signifie qu’en 2009 nous allons vivre avec les règles actuelles. Or ce sera une année exceptionnelle. D’une part, les effets économiques, financiers, sociaux et politiques de la crise dans laquelle nous sommes entrés au dernier trimestre 2008 vont s’amplifier, et une gouvernance européenne forte sera nécessaire. D’autre part, les États-Unis, absents sur le plan européen pendant ces derniers mois, vont reprendre en main leurs propres responsabilités et une bonne partie des nôtres en 2009, d’où la nécessité d’une volonté politique et de choix européens clairs dans tous les domaines. Nous avons donc plusieurs interrogations. Sur les présidences à venir, qui ne nous inspirent qu’une confiance modérée. Sur la possibilité d’une bonne entente, d’un leadership partagé entre les grands pays européens, dont nous avons besoin. Et, comme vous, sur la question de savoir si la Commission a vraiment la capacité d’assumer son rôle.
Bref, où que l’on regarde, y compris vers l’Union pour la Méditerranée, on se demande comment l’Europe sera dirigée. Or plus que jamais, elle aura besoin de l’être.
J’aimerais avoir votre point de vue, monsieur le secrétaire d’État.
M. le secrétaire d’État. Pour répondre à M. Rochebloine, à M. Myard et au président Poniatowski sur les commissions élargies : il semble qu’il y ait eu entre la commission des finances de votre assemblée et le ministre un point d’accord selon lequel les budgets devaient être défendus par le seul ministre du budget. Je comprends vos observations et je les rapporterai à qui de droit.
Bernard Kouchner n’y est donc pour rien. Il se trouve aujourd’hui à un sommet de l’OTAN et sera demain, monsieur Rochebloine, à Oslo pour signer la convention sur les armes à sous-munitions. Nous regrettons que tous les États membres ne signent pas cette convention, mais ils ont des raisons qui leur sont propres. Certains pays, dont la Finlande, ne sont pas prêts à le faire maintenant. Pour notre part, nous nous sommes engagés à détruire dans les meilleurs délais 80 % des stocks existants de bombes à sous-munitions avant même l’entrée en vigueur de cette convention.
Des regrets ? Le premier porte sur le traité de Lisbonne, dont la date d’entrée en vigueur est retardée, comme l’a souligné M. de Charette. D’autre part on aurait peut-être pu aller plus loin dans certains domaines, par exemple en matière de jeunesse, de mobilité, de citoyenneté et de communication. Un des domaines les plus difficiles au niveau européen est la communication, l’information. Beaucoup de progrès sont nécessaires pour trouver une articulation entre le niveau national, c’est-à-dire nos propres administrations, et l’Europe qui fonctionne de façon transversale, en réseau. Il y a un déphasage entre les modes de gestion administrative européen et national, régional et local. C’est un point important et je regrette que notre retard n’ait pas été suffisamment comblé. L’une des tâches à venir sera sans doute de repenser notre système d’organisation dans ce domaine.
Monsieur Boucheron, vous avez tout à fait raison : il n’y a pas de soft defence. Et je ne cherche pas à exagérer les résultats de la présidence française ; mais nous jetons les bases d’orientations, et c’est ce que nous souhaitions faire en matière de défense. Ce que vous avez dit sur les équipements et les budgets est juste, et beaucoup de forces européennes sont à la limite de leur capacité de projection ; c’est ce que nous disent les Britanniques, et les Allemands connaissent également des difficultés, comme nous. Néanmoins, nous allons progresser sur les principes et sur certains programmes opérationnels, qu’il s’agisse des hélicoptères, de l’A400M ou du groupe aéronaval. Je ne dis pas que nous aurons une défense européenne à la fin de la présidence française, mais que nous jetons les bases d’une coopération, d’une organisation de défense. En particulier, faire admettre à nos amis britanniques l’idée d’une planification commune et un renforcement des moyens de l’Agence européenne de défense me semble important.
Il y a bel et bien des enjeux stratégiques en ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles, l’énergie et la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, les relations avec la Russie vont être différentes dans un monde plus dur. Il faut intégrer tous ces éléments, qui ne l’étaient pas.
Du reste il ne faut pas porter un jugement trop négatif sur ce que fait l’Europe. Elle se projette sur des terrains sur lesquels l’OTAN n’est pas présente, au Tchad par exemple. En Géorgie, c’est quand même l’Europe qui a fait l’essentiel ; plus de 300 observateurs européens ont été envoyés en quinze jours par M. Solana et ses équipes, ce qui est aussi une réussite européenne. L’Europe est également présente dans les Balkans, avec EULEX ou les autres forces de stabilisation. Enfin, sur la piraterie, les moyens et les navires déployés en un an témoignent d’une coordination plus forte qu’auparavant, et il est très positif que les Britanniques viennent nous épauler dans ce domaine.
Je suis très prudent et très vigilant sur l’articulation entre ce qui relève de l’OTAN et de la politique européenne de sécurité et de défense. Avec les États-Unis, les choses ne seront pas forcément plus faciles. Reste qu’on note des évolutions positives sur les MAP géorgien et ukrainien, ce qui est une bonne chose. S’agissant des antimissiles, je souhaite également qu’il y ait des évolutions, car on ne peut pas dire que la stratégie s’est révélée payante, même s’il appartient aux États concernés de développer leur propre politique de sécurité.
L’important pour moi est d’avoir avec les États-Unis un dialogue plus structuré qu’à certaines époques dans les domaines économique, financier, commercial, mais aussi stratégique. Les États-Unis ne peuvent pas tout faire, l’administration Obama le reconnaît, et ils ont besoin de partenaires sur le plan stratégique. Nous avons également besoin d’avoir un dialogue avec eux qui soit plus ouvert vis-à-vis des grands pays émergents par rapport aux défis globaux : le changement climatique, les enjeux commerciaux, le défi alimentaire, l’aide à l’Afrique, le développement. Il ne faut pas non plus trop céder à l’irénisme dans lequel on est un peu tombé après la victoire du nouveau président.
M. Jacques Myard – Pas moi !
M. le secrétaire d’État. Cela ne sera pas simple, je le crains, mais il nous faut ce nouveau dialogue.
Trois observations en réponse à M. Myard. Tout d’abord, je l’ai dit, il y a une complémentarité entre l’intergouvernemental et le communautaire, et c’est une avancée importante. Ensuite, la Commission s’est peut-être affaiblie parce qu’elle n’a pas joué pleinement son rôle : elle s’est trop comportée comme secrétariat du Conseil et pas assez comme Commission. Par rapport à d’autres périodes que M. de Charette et moi avons connues, il est frappant de constater qu’elle n’a pas fait les propositions, pris les initiatives, proposé les projets de régulation financière qu’on pouvait attendre d’elle !
Dans une Europe à vingt-sept, la méthode communautaire reste nécessaire, et elle est importante pour nos partenaires, notamment les plus faibles. Un exemple : en France, il nous paraît parfaitement rationnel de relever le seuil des aides aux PME, mais cela aboutit à une perte de compétitivité pour des pays comme la Slovaquie ou la Slovénie. La Commission reste donc gardienne sur ce plan.
Pour ce qui est du traité de Lisbonne, son grand avantage par rapport à ce qu’on a vécu, c’est la continuité. À condition de trouver la bonne personne, il sera très profitable à l’Union d’avoir une sorte de ministre des affaires étrangères et un président du Conseil européen qui soient stables. J’ai évolué sur ce point par rapport aux débats que nous avons eus il y a un an sur la présidence stable du Conseil, sachant que le vivier est étroit pour choisir la bonne personne. Mais cette continuité jouera en faveur de l’Europe, notamment dans ses relations extérieures.
M. de Charette a raison : l’année 2009 sera difficile sur le plan économique. Elle le sera aussi sur le plan institutionnel car la Commission devra être renouvelée, ce qui ne l’incitera pas à prendre beaucoup d’initiatives. En outre, les élections européennes se feront sur la base du traité de Nice. Il y aura un retour américain – bon ou mauvais, il est encore trop tôt pour le savoir. Il y aura des présidences de l’Union par des pays hors zone euro, la République tchèque et la Suède, ce qui est un problème.
La République tchèque est le premier pays de l’ancien bloc communiste à prendre les rênes de l’Europe, et mon sentiment est que les Tchèques vont, quoi qu’on en dise, vouloir être à la hauteur de la situation. Car l’Europe est à la croisée des chemins. Les principaux leaders européens ne resteront pas inactifs, et ce qui a été mis en œuvre sous la présidence française sera poursuivi d’une manière ou d’une autre. Soit les présidences à venir seront réactives, sauront écouter les autres et feront de la politique plus que de la technique –comme ce fut le cas durant la présidence française. Soit elles ne le seront pas et, comme la nature a horreur du vide, les réunions ad hoc et autres cercles se développeront et le centre de gravité de l’Union se déplacera.
M. Jean-Michel Ferrand – Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué la solidarité des États européens devant les problèmes de la Géorgie. Malgré cette solidarité, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont acquis une indépendance de fait. Comme nous l’avions prévu avec Jean-Pierre Dufau au retour de notre mission au Kosovo, ces problèmes étaient en germe dans la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, que rien d’ailleurs ne justifie au regard du droit international. Souhaitons que n’apparaissent pas d’autres problèmes comparables, par exemple en Transnistrie. Que peuvent répondre aux Russes, quand il s’agit des problèmes géorgiens, les États qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo – tous ne l’ont pas fait ?
M. Jean-Claude Guibal – Monsieur le secrétaire d’État, je m’associe pleinement à toutes les appréciations portées précédemment sur la présidence française de l’Union et sur le rôle que vous avez joué dans le cadre de vos fonctions. J’ai trois questions sur l’Union pour la Méditerranée.
Vous semble-t-il que, après que l’Union pour la Méditerranée a été conçue comme un prolongement du processus de Barcelone, il y ait eu un changement de nature dans la conception et dans le fonctionnement de cette entité et considérez-vous que sa dynamique va en être accentuée ou, au contraire, ralentie ?
Pouvons-nous espérer la création d’une banque méditerranéenne de développement ?
Comment envisagez-vous enfin la poursuite des relations bilatérales entre la France et les pays du Maghreb à l’intérieur de cette Union pour la Méditerranée ?
M. Christian Bataille – Monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé juste sur les avancées européennes en matière d’énergie, notamment en ce qui concerne l’unification des réseaux et la cohérence gagnée des dernières années. Je veux toutefois émettre deux réserves, une principale et une plutôt anecdotique.
Ma réserve principale est le manque de cohésion européenne en ce qui concerne la politique nucléaire, et ce à cause de l’idéologie allemande. Des avancées ont été faites, des évolutions peuvent être constatées du côté des Britanniques et même des Italiens et des Espagnols. Mais les Allemands, contre toutes les évidences industrielles, restent réticents à une cohésion nucléaire, uniquement pour des raisons politiciennes et idéologiques ; Mme Merkel reste prisonnière, par l’intermédiaire des sociaux-démocrates, de l’idéologie véhiculée par les écologistes allemands. Il est regrettable que l’Europe soit ainsi paralysée sur une question aussi essentielle.
Ma deuxième réserve porte sur le thème de la capture et du stockage du CO2. Je m’étonne que des gens aussi sérieux que vous ou que les dirigeants européens y voient une solution d’avenir. De l’avis de tous les experts que j’ai rencontrés, aux États-Unis comme au Japon, c’est une solution qui oscille entre les avions renifleurs et les Shadoks ! Elle ne peut pas être retenue comme un thème unificateur au niveau de la politique européenne, sauf si ce mirage d’une capture à venir du CO2 permet de justifier qu’on continue d’en produire… On ne sait pas comment le capturer, ni ce qu’on va en faire, mais cela figure dans les traités européens ! On peut prédire que ce prétendu axe européen débouchera véritablement sur une impasse, sachant que nous sommes en réalité face à un problème lourd, celui de la dépendance énergétique de l’Union européenne par rapport aux énergies productrices de CO2, comme le charbon en Allemagne et en Pologne.
M. Jean-Pierre Kucheida – Monsieur le secrétaire d’État, moi aussi je tiens à dire que votre action a été plutôt positive, non seulement au cours de la présidence française, mais pendant toute la période où vous avez assumé vos responsabilités.
Je voudrais vous interroger sur le problème de la politique européenne de sécurité et de défense – la PESD. Je sais que vous avez fait beaucoup d’efforts pour essayer de limiter les chaînes de commandement. Où en êtes-vous, en particulier par rapport à nos amis britanniques – qui ont continuellement un pied outre-Atlantique et qui n’ont pas toujours compris les logiques de l’Europe continentale – et par rapport à l’Europe de l’Est qui subit d’autres contingences ?
Vous avez parlé de la politique énergétique européenne. Elle va, selon moi, un peu dans tous les sens. Néanmoins, vous semble-t-il permis d’espérer la voir se réguler, devenir raisonnable, au service de l’ensemble des Européens ? Une véritable politique commune de l’énergie verra-t-elle le jour ?
M. Jacques Bascou – L’échec relatif du processus de Barcelone peut s’expliquer en partie par la non-implication des peuples dans le processus. Or les Parlements européens de la rive Sud et de la rive Nord s’y impliquent, mais selon moi le gouvernement français ne donne pas l’importance qu’elle mérite à l’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Comment comptez-vous mieux associer, à l’image de ce que fait le gouvernement espagnol, l’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne et le Parlement français ?
M. le secrétaire d’État. Monsieur Ferrand, avant le 7 août, il y avait également une présence militaire russe de protection en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Force est aussi de constater que la Russie a utilisé intelligemment la situation du Kosovo, en faisant tout pour que soit rejeté le plan Ahtisaari, et ce après plus de dix ans de conflit dont il fallait quand même sortir.
M. Jean-Michel Ferrand – Comment le justifier au regard du droit international ?
M. le secrétaire d’État. C’est vrai, les États membres étaient divisés sur l’indépendance du Kosovo, certains étant défavorables en raison de situations régionales : songez à l’Espagne. Quant à l’attitude de la Roumanie, elle est liée aux problèmes de la Moldavie et de la Transnistrie. Je me suis d’ailleurs rendu en Moldavie pour essayer de voir comment avancer sur ces sujets. Dans le cas du Kosovo, il y avait un accord passé dans le cadre de l’ONU, une médiation avait été réalisée, ce qui n’existait pas dans le cadre de la Géorgie – même s’il est clair que les initiatives géorgiennes auraient dû être mieux contrôlées. Tous les processus possibles au niveau multilatéral, utilisés pour le Kosovo, manquaient dans le cas de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. C’est à cette situation qu’a pour but de remédier la conférence internationale de Genève. Il s’agit d’essayer de créer le même processus que pour le Kosovo. En cette fin d’année, on arrive à une certaine stabilisation. Surtout, ce qui est important pour la présidence française, c’est de donner des perspectives européennes à la Serbie. La France ne doit absolument pas relâcher ses efforts en ce domaine et doit soutenir tous les efforts des Serbes qui font preuve d’une très grande responsabilité, notamment par rapport à la stabilisation du Kosovo aujourd’hui.
En réponse à MM. Bascou et Guibal, la dynamique de l’Union pour la Méditerranée est plus politique que celle du processus de Barcelone, qui était plus « communautarisé » et technique. La vision politique est nettement plus importante dans l’Union pour la Méditerranée, avec des coprésidences de chefs d’État et de gouvernement, alors qu’à Barcelone, aucun chef d’État ne participait aux réunions. L’Union est plus structurée pour ce qui est de son secrétariat général. Ce n’est pas la Commission, ou une direction de celle-ci, qui a le monopole des relations euro-méditerranéennes, mais on recherche un équilibre, au grand dam de la Commission. On y est arrivé grâce à un accord d’État à État avec les Espagnols, avec la localisation du secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone, permettant de prendre plus de distances avec les bureaux de la Commission, ce qui n’est pas plus mal. Il vaut mieux s’entendre avec le gouvernement espagnol, avec les autorités des pays riverains pour faire quelque chose de plus politique. Il y a une approche par projets, et non plus uniquement sur documents, trop bureaucratique.
Sur la banque, le projet est à l’étude. Il faut utiliser les outils existants, la BEI, le partenariat public-privé pour les financements. Une banque de développement est une idée intelligente, et même si elle risque de se heurter à des résistances, elle serait symbolique. Là aussi, on peut y arriver dans le cadre de l’UPM, alors que c’eût été inconcevable dans le cadre du processus de Barcelone.
Les relations bilatérales restent très importantes avec les pays du Maghreb. Nous souhaitons – et nous l’avons bien précisé aux Marocains à l’occasion de l’accord sur le statut avancé donné par l’UE au Maroc – que l’Union ne se fasse pas au détriment des relations bilatérales.
Monsieur Bascou, la dimension parlementaire est prise en compte, et nous avons eu cette discussion au Parlement européen. L’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne figure dans les acquis de Barcelone, tels que repris dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. Comme vous le savez, l’assemblée parlementaire des pays riverains de la Méditerranée s’est réunie il y a un mois à Amman en Jordanie. Nous souhaitons que le volet parlementaire soit important dans le cadre de l’UPM. Ce sera aussi aux parlementaires de faire entendre leur voix dans ce cadre.
Je suis entièrement d’accord avec les propos de M. Bataille sur le nucléaire et sur le blocage allemand lié aux élections. Il a parfaitement identifié le problème. Il faut le résoudre de la façon la plus intelligente possible, en particulier avec les nouveaux États membres, notamment en jouant sur la sécurité énergétique. Il nous reste du chemin à faire, mais nous avons de plus en plus d’alliés face à l’Allemagne, d’où mon optimisme sur l’énergie parce que je pense que l’Allemagne va se retrouver assez isolée. Pour avoir participé à un triangle de Weimar, je connais les déclarations polonaises sur le nucléaire, y compris celles faites par le Premier ministre Donald Tusk hier : les Polonais veulent se doter du nucléaire avant 2020, et les Allemands devront bien y réfléchir.
Sur la capture et le stockage de CO2 – que j’ai eu tort d’évoquer (sourires), mais j’ai voulu être exhaustif –, vous êtes très compétent, monsieur Bataille. Pour ma part, je pense que c’est un projet d’avenir ; c’est en tout cas ce que j’ai entendu. Les États-Unis, le Royaume-Uni et nous-mêmes y travaillons. Des projets pilotes de grandes entreprises françaises, comme Total à Lacq, sont menés sur ces technologies et des poches sont disponibles pour le stockage de CO2. Des personnes bien connues de vous et moi, comme le président de l’Institut français du pétrole, M. Olivier Appert, prennent au sérieux cette technologie.
M. Christian Bataille – Cela justifie leur activité !
M. le secrétaire d’État. Une personne qui n’est plus en activité et pour qui nous avons beaucoup de respect sur tous les bancs de cette commission, en l’occurrence M. Claude Mandil, y croit aussi.
Pour répondre à M. Kucheida, notre objectif en matière de politique européenne de sécurité et de défense est de doter l’Union d’un centre de planification et de conduite d’opérations. S’agissant des Britanniques, et je réponds également à M. Boucheron, tant qu’il y avait des suspicions de duplication entre l’OTAN et la PESD, il était difficile d’avancer avec eux. La mise en œuvre de quinze opérations dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense montre qu’il peut y avoir complémentarité, des centres de planification propres. Les Britanniques s’en rendent maintenant compte. D’autant plus que les États-Unis vont s’en rendre compte également, et c’est peut-être là-dessus que j’attends le plus d’évolutions de la part de l’administration Obama.
M. le président. Merci beaucoup, monsieur le secrétaire d’État. Je vous félicite une nouvelle fois pour votre bilan de ces dix-huit derniers mois. Bonne chance dans vos nouvelles fonctions.
La séance est levée à dix-huit heures.
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1 () Nicole Ameline, rapport d’information sur l’influence européenne au sein du système international, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 1242.