Audition de M. Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France.
La séance est ouverte à onze heures trente
M. le président Axel Poniatowski. Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre commission pour évoquer la situation dramatique qui prévaut entre votre pays et le Hamas et qui préoccupe énormément les représentants de la nation que nous sommes ainsi que tous les Français.
Que répondez-vous à ceux qui, comme nombre d’entre nous, estiment que la riposte d’Israël, à la suite de tirs de roquettes par le Hamas, a atteint un niveau disproportionné ?
Quels sont exactement les objectifs d’Israël qui, selon le Premier ministre M. Ehoud Olmer hier, seraient « presque atteints » ?
Par ailleurs, quelles sont les conséquences des opérations militaires à Gaza sur les négociations en cours, tant officielles entre Israël et l’Autorité palestinienne qu’officieuses entre Israël et, en particulier, la Syrie ?
Enfin, que penseriez-vous de l’éventuelle mise en place, avec l’accord de l’ensemble des parties, d’une force internationale de maintien de la paix dans un souci humanitaire et pour régler la situation d’une façon certaine et durable ?
M. Daniel Shek. Contrairement à la fois précédente, monsieur le président, mesdames, messieurs, c’est en effet dans une atmosphère de crise, voire de drame, que notre rencontre a lieu.
Ce qui, pour les uns, est une crise qui a commencé le 27 décembre, est pour les autres, notamment pour les habitants du sud d’Israël et de Gaza, un problème qui remonte à huit ans. Depuis huit années en effet, une proportion importante de la population israélienne n’arrive pas à mener une vie à peu près normale. Elle vit au rythme des alertes aux roquettes jusqu’à cinq fois par jour et par nuit, alertes qui lui donnent exactement quinze secondes pour se mettre à l’abri. Vous pouvez imaginer combien cela devient intenable à longueur de semaine, de mois, d’année : impossible de mener une vie familiale, éducative, professionnelle, économique normale. Tout gouvernement a la responsabilité majeure d’assurer la sécurité et la sérénité de ses habitants, et aucun ne peut accepter une telle situation.
Que faire dans ces conditions ? Nombre de méthodes ont, au cours de ces huit années, été essayées : ripostes et interventions militaires ponctuelles, opérations plus vastes, pourparlers par intermédiaires interposés, retrait de Gaza voilà trois ans. Aucun de ces moyens n’a amélioré la situation des habitants du sud du pays jusqu’à cette fameuse trêve qui a été organisée avec l’aide de l’Égypte et qui a donné six mois pendant lesquels le calme a tant bien que mal régné, même si, régulièrement, le Hamas venait rappeler, par des tirs de roquettes, qu’il existait encore.
À la fin annoncée de la trêve, le 19 décembre, une proposition de la prolonger est avancée par l’Égypte. Elle soulève un grand dilemme en Israël car cette trêve a surtout servi au Hamas pour tripler non seulement sa force de tir, mais également la portée des roquettes qui est passée de douze kilomètres à près de quarante aujourd'hui. Pourtant, Israël décide de répondre favorablement à la proposition égyptienne. S’ensuit alors, pour toute réponse du Hamas, dix jours de pilonnage par le Hamas de villes israéliennes de plus en plus éloignées.
C’est dans ce contexte, après avoir véritablement essayé toutes les autres méthodes, que la décision est prise en Israël de recourir à des mesures militaires de plus grande ampleur, avec toutes les difficultés que cela implique pour la vie d’un pays où l’armée est une véritable armée du peuple. Tsahal n’est pas en effet une entité abstraite. Ce sont des mômes de dix-huit à vingt ans, ce sont nos enfants, c’est mon fils, et ce n’est pas à la légère qu’Israël, sa population comme ses dirigeants, envoient ses enfants au front. Ce sont aussi des réservistes, donc des ouvriers, des avocats, des fonctionnaires, des journalistes qui auraient mieux à faire personnellement que combattre dans les ruelles de Djabâliya ou de Gaza.
Pourtant une cohésion extraordinaire de la société israélienne s’est créée autour de cette opération, contrairement à certains épisodes passés. Le sentiment profond est que trop c’est trop et qu’il existe une réelle justification pour une intervention militaire conséquente israélienne. Tel est l’état de l’opinion publique qui va de Benamin Netanyahou à Amos Oz c'est-à-dire de la droite jusqu’à la gauche militante pour la paix – les intellectuels de gauche israéliens se sont en effet exprimés de la manière la plus claire pour justifier l’action du gouvernement.
L’atmosphère aujourd'hui est bien à la cohésion, non au va-t-en-guerre. Ce n’est pas avec enthousiasme que l’opération a été lancée, mais par solidarité avec nos concitoyens, car dans une population de sept millions d’habitants il n’y a pas un Israélien qui ne compte pas parmi le million d’habitants du sud du pays, un frère, un ami, un parent d’un ami. C’est donc véritablement pour protéger son voisin, son prochain que le gouvernement a lancé l’opération.
L’objectif à cet égard est unique et très simple : rétablir une normalité acceptable dans la vie de presque 20 % de la population israélienne. Si la vie retourne à la normale dans le sud d’Israël, je ne doute pas qu’elle redevienne également normale pour les habitants de Gaza. Il existe une corrélation directe et automatique entre les deux.
La position d’Israël a toujours été que si les tirs de roquettes s’arrêtaient, il n’y aurait pas d’intervention sur le territoire gazaoui. Telle a d’ailleurs été la raison profonde du désengagement de Gaza voilà trois ans. Nous n’avons pas quitté ce territoire pour y revenir. Mais Gaza ne pouvait pas devenir non plus une menace pour la population civile israélienne sans que le gouvernement prenne ses responsabilités et réagisse. Tel est la raison de l’opération actuelle.
Pour autant, à parler franchement, il n’est pas question de revenir à la situation qui prévalait avant le 27 décembre. Si cette opération doit s’arrêter, c’est pour opérer un véritable et profond changement dans la région, qui bénéficie à la fois aux citoyens israéliens du Sud comme aux habitants de Gaza. Il n’est pas question de revenir au statu quo ante car quel sens cela aurait si, dans trois ou six mois, nous revenions à la même situation qui a déclenché la crise actuelle, c'est-à-dire avec un Hamas détenant à nouveau des quantités faramineuses d’armement ? Une règle d’or dans la marche du monde veut que lorsqu’une organisation terroriste comme le Hamas détient le matériel nécessaire pour nuire, ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle ne l’utilise. Les événements de ces dernières semaines l’ont encore prouvé.
Nous sommes en guerre avec le Hamas, pas avec le peuple palestinien ni avec les habitants de Gaza. Le Hamas est une organisation terroriste, reconnue comme telle par la communauté internationale – elle figure sur la liste des organisations terroristes dressée par l’Union européenne, par la France, par les États-Unis et par toutes les autres organisations et pays de bonne volonté –, et qui doit être traitée comme telle. Il n’existe malheureusement pas d’autre méthode. Si le Hamas change, s’il cesse d’être une organisation terroriste, l’attitude devra changer, mais, pour le moment, il n’en est certainement pas question.
Pour en venir à la question de la disproportion de la riposte – et du problème des populations civiles –, elle m’inquiète, en tant qu’Israélien, probablement encore plus que la plupart des Français. La guerre est en effet disproportionnée par définition puisqu’il s’agit d’un combat entre, d’un côté, un État qui dispose d’une armée et où s’exercent des processus démocratiques d’élection mais aussi de contrôle du Gouvernement – et l’on sait combien l’autocritique existe dans la réalité politique israélienne ! –, et, d’un autre côté, une organisation qui n’est pas un État, que personne ne contrôle, qui ne répond pas aux instances internationales, qui n’obéit pas au droit international et qui commet systématiquement des crimes de guerre : se mêler, comme c’est le cas des dirigeants du Hamas, à la population civile, se cacher derrière des enfants et des femmes, installer son quartier général dans les caves de l’hôpital central Al Shifa de Gaza sachant fort bien qu’Israël ne le bombardera jamais, ce sont des crimes de guerre. Lorsqu’un policier tire sur un meurtrier qui a pris un civil en otage, il n’y a pas crime de la part du policier, mais crime de la part du preneur d’otage : le droit international utilise le même raisonnement pour les crimes de guerre.
Comment faire pour une société qui vit selon une éthique semblable à la vôtre, qui est une culture de la vie – nous croyons à la sainteté de la vie – quand elle est confrontée à une organisation qui cultive la culture de la mort, où le sacrifice de sa vie n’est pas considéré comme négatif ? Les dilemmes que cela entraîne sont nombreux, mais je tiens à dire de la manière la plus claire que Tsahal ne vise jamais des objectifs civils.
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de victimes civiles. Je ne connais pas une guerre dans l’histoire de l’humanité où des civils n’ont pas souffert. Il n’existe pas de guerre positive, belle à regarder, agréable à mener. Les seules bonnes guerres sont celles que l’on a pu éviter.
Lorsqu’il y a des victimes civiles côté palestinien, sachez que ce sont des accidents, des pertes collatérales et qu’elles sont essentiellement de la responsabilité de ceux qui se cachent derrière les populations.
Je conclurai mon propos liminaire en abordant le sujet de la diplomatie. Il est opportun en effet, dans cette enceinte, de saluer l’action de la France. Le Président de la République et son ministre des affaires étrangères se sont, dès les premiers jours de la crise, impliqués personnellement, d’abord en recevant la ministre israélienne des affaires étrangères Tzipi Livni, le 1er janvier, soit quelques jours après le déclenchement des hostilités, puis, s’agissant du Président de la République, en se déplaçant dans la région. Cette action – sans entrer dans le détail – a déclenché quelque chose qui, à terme, pourra se révéler comme le fil conducteur vers la sortie de crise. Nous n’en sommes pas là, mais il n’en reste pas moins qu’un travail intense est mené entre Israël et l’Égypte notamment, afin de définir les paramètres permettant à la fois d’arrêter les hostilités et de ne pas revenir en arrière. Il faut un vrai changement pour que la tranquillité dépende d’un cessez-le-feu non pas temporaire mais pérenne.
Si le rôle de la France a été tel, c’est aussi grâce aux discussions que nous pouvons avoir, comme lors de notre dernière rencontre. Si des avancées impressionnantes ont eu lieu dans la qualité, la profondeur et l’ampleur du dialogue entre Israël et la France, c’est parce que la France est plus écoutée aujourd'hui en Israël que dans le passé et que les Israéliens ont le sentiment, grâce à ce dialogue intime, que les intérêts vitaux d’Israël y sont compris et que, à partir d’un point de départ très équilibré, la diplomatie de la France et son président peuvent se rendre utiles dans cette région très perturbée.
M. le président Axel Poniatowski. Quelle serait la position d’Israël vis-à-vis de la mise en place éventuelle d’une force internationale de maintien de la paix, inspirée de la FINUL déployée au Sud-Liban ?
M. Daniel Shek. Si je n’ai pas répondu en effet à cette question, c’est parce qu’il est difficile d’isoler cette composante du reste de tout arrangement.
La situation qui devrait prévaloir sur le terrain à la sortie de la crise devrait, selon la vision israélienne, comprendre trois composantes :
La première tient à l’arrêt complet et à long terme des actes hostiles à Israël de la part du Hamas – tirs de roquette, tentatives d’attentats, etc.
La deuxième a trait à l’imperméabilité de la frontière entre l’Égypte et Gaza. C’est une question clé car ce bout de territoire de quatorze kilomètres de long à peine recèle des centaines de tunnels à travers lesquels passent à longueur d’année – comme ce fut particulièrement le cas pendant les six mois de la trêve – des milliers de roquettes et de missiles et des tonnes d’explosifs pour les armer. Parvenir à un cessez-le-feu n’aurait aucun sens si c’était pour retrouver d’ici à trois ou six mois la même situation qu’aujourd'hui voire pire, avec des roquettes qui pourraient atteindre cette fois, avec un rayon d’action de soixante ou de quatre-vingt kilomètres, Tel-Aviv et Jérusalem.
Il est primordial, incontournable que cette frontière devienne imperméable à la contrebande d’armes. C’est en théorie de la responsabilité de l’Égypte puisque c’est sur son territoire que débouchent les tunnels partant des habitations de Rafah – dont les occupants sont très bien rémunérés pour ce service. Il faut en tout cas trouver un mécanisme fiable, impliquant par exemple – ce dont il est très sérieusement question – une participation internationale avec l’envoi de civils et peut-être de militaires qui puissent à la fois détecter les tunnels, les détruire et, surtout, faire en sorte que de nouveaux ne soient pas creusés.
Il s’agit là, je le répète, d’une composante clé du règlement de la crise que la diplomatie française comprend puisque le président Sarkozy en a très bien exprimé l’importance. C’est d’ailleurs pourquoi elle figure aussi dans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Enfin, la troisième composante de la sortie de crise porte sur une ouverture fiable et durable des points de passage vers la bande de Gaza, non seulement pour que l’aide humanitaire puisse passer, mais également pour qu’une vie, tant bien que mal, normale puisse reprendre, notamment sur le plan économique. Ce n’est pas une mince affaire, mais un accord existe déjà sur lequel on pourrait se fonder, celui de 2005 signé après le départ des Israéliens de Gaza.
Cet accord multipartite impliquait, outre Israël, l’Autorité palestinienne, c'est-à-dire le président Mahmoud Abbas et son Premier ministre, l’Egypte et l’Union européenne qui a envoyé sur place des observateurs pour veiller à ce que ces points de passage ne servent qu’à la vie quotidienne civile et non à l’acheminement d’armes ou au transit de combattants du Hamas en partance vers l’Iran pour se former. Il a été assez bien appliqué jusqu’au coup d’État du Hamas en 2007, personne ne trouvant alors fiable de confier à cette organisation le contrôle des points de passage.
Pour deux de ces composantes, on peut donc très bien envisager une contribution internationale.
M. Jean-Paul Lecoq. L’offensive militaire a fait à ce jour près de 900 morts dont plus de la moitié sont des femmes et des enfants. La crise humanitaire est totale, et les récits des ONG, de la Croix-Rouge de l’UNRWA témoignent de la violence de l’attaque israélienne et du non-respect du droit humanitaire par les soldats, ainsi que du carnage que vous cachez délibérément à l’opinion publique. L’objectif officiel de l’intervention, qui est de faire cesser les tirs de roquette en provenance de la bande de Gaza, est injustifiable. La guerre atteint un point d’inhumanité et d’horreur qui suscite une profonde indignation. Israël bénéficie-t-il donc d’un régime juridique d’exception se traduisant par une immunité totale ou partielle sur le plan du droit international au nom d’un rapport de force politique et militaire en sa faveur ?
Vous avez parlé de crimes de guerre à propos du Hamas. C’est probablement exact. Les auteurs devront en répondre, mais si les violations du droit humanitaire international dans la bande de Gaza étaient avérées, elles pourraient également constituer des crimes de guerre. À cet égard, l’exportation du conflit dans les prétoires français est une perspective probable pour les binationaux des deux camps, les uns – les militaires de Tsahal – pouvant y être jugés, les autres – les Palestiniens – pouvant s’y constituer partie civile.
Israël, par son action militaire, ne facilite pas, voire disqualifie, le travail de négociation qu’une partie de l’OLP, le Fatah, effectue en œuvrant au processus de paix. Il apparaît en outre qu’Israël n’a pas été pour rien dans la constitution du Hamas en cherchant à diviser pour mieux régner. N’était-ce pas là jouer avec le feu pour éteindre ensuite l’incendie par un tsunami ?
M. Jean-Michel Boucheron. L’État d’Israël tient sa légitimité de l’histoire, en particulier celle du XXe siècle – chacun sait à quoi je fais allusion. Mais cette légitimité n’autorise pas tout, notamment l’occupation des territoires palestiniens.
Quant aux qualificatifs que l’on peut appliquer aux uns et aux autres, ils n’apportent rien. Les poseurs de bombes de l’Irgoun étaient des résistants et pas des terroristes. Ils défendaient le droit à avoir un pays et à y vivre en paix et en sécurité. Pour beaucoup, la distinction entre les violences n’est pas évidente.
Cette offensive terrestre sur Gaza ne pourra pas durer très au-delà de l’installation de M. Obama à la Maison Blanche sauf à lui faire essuyer un camouflet, ce qu’Israël ne peut se permettre. Cela signifie qu’il reste dix jours, délai au cours duquel Israël ne pourra tuer tous les responsables du Hamas et détruire toutes les roquettes cachées. Le retrait d’Israël de la bande de Gaza sera donc considéré comme un échec politique et militaire, à l’instar de l’opération au Liban de l’été 2006.
Pourquoi s’être mis dans une telle situation à ce moment-là de l’histoire ? J’avoue que je ne comprends pas. Si l’on doit récuser – car ce serait sinon une horreur – l’hypothèse d’un lien avec la préparation des prochaines élections, quelle est donc la stratégie d’Israël ?
M. Renaud Muselier. Israël ne peut vivre sous la menace des roquettes et nous comprenons parfaitement l’intervention actuelle, sachant que celle-ci provoque un drame humanitaire que nous ne pouvons accepter, mais avec lequel joue le Hamas.
Est-ce un crime de guerre de se réfugier à l’intérieur d’un hôpital ou, comme le Hamas le déclare, un acte de résistance ? Le résultat en tout cas est que les populations civiles sont prises en otage.
Dans ce contexte, quel est le calendrier dans lequel Israël compte s’inscrire pour sortir de cette situation, de façon que ce drame humanitaire, voulu par le Hamas, ne fédère pas, autour d’un mouvement considéré comme terroriste, une démarche anti-israélienne dans nos populations et à travers le monde ?
M. Lionnel Luca. À quel terme pensez-vous qu’il sera mis fin à ce conflit ? Le 20 janvier comme l’a suggéré M. Boucheron ?
Par ailleurs, le Hamas peut-il être un interlocuteur pour Israël ? Une certaine complaisance passée à son égard n’est-elle pas aujourd'hui dramatiquement vécue ?
Enfin, ne regrettez-vous pas l’interdiction faite aux médias de couvrir l’intervention de l’armée israélienne compte tenu de l’utilisation que le Hamas peut faire des images qu’il a seul la possibilité de faire parvenir ?
M. Daniel Shek. Monsieur Lecoq, Israël ne commet pas de crimes de guerre, et je ne considère donc pas comme très inquiétante votre menace à peine voilée d’une saisine des tribunaux français. Pour avoir bien lu les manuels de droit international, je sais qu’Israël est dans son droit – mais les Français qui souhaiteraient intervenir auprès des tribunaux le seraient bien évidemment aussi.
Puisque vous avez mentionné les soldats franco-israéliens, permettez-moi de vous en citer un : Gilat Shalit, emprisonné dans des conditions insoutenables au regard du droit international depuis des années.
Quant à la théorie selon laquelle Israël serait responsable de la création du Hamas, je vous ferai remarquer qu’il n’y a pas un pays musulman dans le monde qui n’a pas vu se développer depuis quelques décennies des mouvements islamistes extrémistes. Je ne vois donc pas en quoi la société palestinienne devrait être différente et pourquoi l’existence du Hamas devrait être la faute d’Israël alors que le même phénomène se produit en Algérie, au Pakistan, en Arabie saoudite et même en Syrie.
Le Hamas est né de la branche la plus radicale des Frères musulmans, la même mouvance s’étant développée en Egypte et dans d’autres pays – M. Sammy Ravel ici présent, ministre plénipotentiaire, connaît fort bien ces questions pour avoir vécu dans le monde arabe.
Une fois cette organisation créée, reste à savoir ce que l’on en fait. En l’occurrence, il s’agit essentiellement d’un problème palestinien, voire d’un problème de vases communicants entre la force du Hamas et la force des modérés du Fatah. En tout cas, venir défendre les islamistes du Hamas qui cultivent le culte de la mort et des attentats suicides, qui pratiquent la polygamie, qui défendent la discrimination à l’encontre des femmes, qui persécutent les homosexuels, qui viennent de voter dans le code pénal de Gaza une application de la charia impliquant des amputations ou encore des coups de fouet, me semble un exercice périlleux et pas nécessaire alors qu’à cent kilomètres une société moderne et démocratique se construit.
Par ailleurs, si le gouvernement à Gaza est aujourd'hui entre les mains du Hamas c’est à la suite d’un coup d’Etat sanglant avec l’élimination de centaines de membres du Fatah – à ce propos, on parle, au cours des hostilités actuelles, de quatre-vingts exécutions sommaires de gens soupçonnés de collaboration avec Israël, lesquels, miraculeusement, se révèlent tous être des membres de la direction du Fatah restés dans la bande de Gaza !
Je ne crois pas non plus qu’Israël vive dans l’impunité. J’estime plutôt qu’Israël subit depuis très longtemps le regard critique du monde et de ses instances internationales, et qu’elle a systématiquement coopéré avec ces dernières. Nous payons le prix d’être une société démocratique et transparente, mais nous le payons de bon cœur. Je ne regrette pas le choix effectué par Israël en 1948 de devenir une société ouverte, pluraliste et démocratique. Je suis fier qu’en soixante ans d’existence nous ayons pu, en dépit d’un état de guerre presque permanent, préserver les principes de notre démocratie alors que, historiquement, les situations de guerre sont pleines de tentations pour les gouvernements et les sociétés d’opérer, pour le moins, certains compromis avec les principes de la démocratie voire d’engendrer des dictatures.
Monsieur Boucheron, je veux vous libérer de votre sentiment de responsabilité historique quant à la création d’Israël. C’est un fils de déportés qui vous le dit – mes parents étaient à Auschwitz : ce n’est pas le degré de souffrance d’un peuple qui lui donne droit à l’autodétermination nationale. C’est un droit inné que tous les peuples du monde possèdent. C’est pourquoi j’estime qu’Israël à droit à l’indépendance et que les Palestiniens ont droit à un État libre et indépendant.
M. Jean-Michel Boucheron. Et viable.
M. Daniel Shek. Viable et vivant en bon voisinage avec Israël. C’est la raison profonde de notre négociation avec les Palestiniens, fondée sur le principe de deux États pour deux peuples.
Quant à savoir si nous allons poursuivre l’offensive jusqu’à tuer le dernier militant du Hamas ou anéantir la dernière des roquettes, permettez-moi de rappeler l’objectif de l’opération : il n’est ni de détruire le Hamas, ni d’en finir avec toutes les roquettes. Ce ne serait pas réaliste. L’objectif est simple : il est de rétablir la normalité dans la vie des Israéliens, ce qui passe par de la pression militaire et par une action diplomatique et, en définitive, par de bons arrangements.
Pour ce qui est de l’allusion au Sud-Liban, je sais tout ce qui a été dit à ce propos : défaite israélienne, débâcle, catastrophe, etc. Le déroulement de cette guerre a certainement fait apparaître nombre de problèmes du point de vue israélien, mais la bottom line, comme disent les Américains, est que depuis deux ans et demi, pas une roquette n’a été tirée par le Hezbollah alors que jamais il n’y avait eu là-bas une telle tranquillité. Ce qui est considéré comme une défaite militaire a engendré la dissuasion. On peut donc imaginer qu’à Gaza aussi, faute de pouvoir détruire le Hamas et tous ses moyens militaires, il est possible d’atténuer la volonté de ce dernier de tirer des roquettes, et que des arrangements vérifiables, avec une participation internationale, apporteront peut-être à Gaza et au sud d’Israël une longue période de tranquillité.
Monsieur Muselier, les civils sont l’arme de ces organisations. Voyez ce qui se passe en Afghanistan, en Irak et, dans une certaine mesure, dans les Balkans. Quand une organisation non étatique, incrustée dans la société civile, part en guerre, les civils représentent pour elle une double arme, qu’il s’agisse des civils vivant de l’autre côté et qu’elle vise avec un certain succès, ou des civils vivant de son propre côté qu’elle utilise pour se cacher, ce qui je le répète, est un crime de guerre. Il n’y a pas d’ambiguïté sur la question. Selon le droit international et tous les manuels de guerre, si un combattant se cache dans un lieu protégé par le droit de la guerre, il ne gagne pas l’immunité.
Le drame humanitaire n’inquiète pas moins les Israéliens que les autres. Des milliers de tonnes de produits de première nécessité passent depuis le premier jour de l’opération militaire, ce qui est assez inédit, d’autant que les images prises à Gaza permettent de se rendre compte que lorsqu’un convoi d’aide humanitaire arrive sur une place publique, les premiers à se servir, assez généreusement d’ailleurs, sont les gens du Hamas : nous ravitaillons donc nos ennemis, mais nous le faisons tout de même.
Il en va de même des couloirs humanitaires, ces trois heures par jour pendant lesquelles nous cessons les tirs. Si quelqu’un en bénéficie, ce sont les gens du Hamas, puisque, ces derniers jours, l’essentiel des tirs de roquette a eu lieu pendant cet intervalle de trois heures, sachant que l’armée israélienne ne répliquera pas. Si l’on assiste à une baisse importante du nombre de roquettes tirées (vingt qui sont tirées aujourd'hui par jour contre quatre-vingts au début), plus de la moitié le sont pendant la trêve humanitaire.
Pour ce qui est de la durée de l’opération, je ne peux vous donner un laps de temps. Si la diplomatie réussit, on arrêtera ce soir. Mais ni l’investiture d’Obama, ni les élections israéliennes, ou que sais-je encore, ne sont des paramètres qui décideront de cet arrêt. Celui-ci ne sera effectif que lorsqu’un vrai changement sera assuré dans la vie du sud du pays et de la bande de Gaza.
S’agissant de savoir si le Hamas peut être un interlocuteur, cela ne peut être le cas aujourd'hui. Ce n’est pas là une décision israélienne, mais du quartette pour le Moyen-Orient selon lequel le Hamas ne peut devenir un interlocuteur que s’il répond à trois conditions : la reconnaissance d’Israël, le renoncement à la violence et le respect de tous les accords déjà signés entre Israéliens et Palestiniens.
Je ne suis pas ceux qui déclarent que jamais ils ne parleront au Hamas. Simplement, aujourd'hui, il n'est pas un interlocuteur valable compte tenu du fait qu’il n’accepte aucune de ces trois conditions, Il faut parler avec ses ennemis, dit-on. Encore faut-il avoir un sujet de conversation. Pour le moment, nous n’avons pas de sujet commun avec le Hamas.
M. Paul Giacobbi. Il faut parfois se mettre à la place des intéressés si l’on veut comprendre une situation. En l’occurrence, si, pour des raisons historiques, un Front de libération de la Wallonie tirait en permanence des roquettes sur Charleville-Mézières, je me demande si le Gouvernement français aurait attendu huit ans avant d’intervenir...
Quant à l’accession au pouvoir de M. Obama, elle devrait, en dépit de ce que vous avez répondu, précipiter les événements, même si la position en la matière de l’administration du président élu est certainement, contrairement à ce que croient les naïfs, en étroite continuité avec l’actuelle. Pourriez-vous esquisser un scénario à cet égard ?
Le Hamas est une organisation terroriste comme il en existe partout dans le monde musulman, mais la différence ne tient-elle pas au fait qu’elle est au pouvoir et qu’elle dispose d’une certaine légitimité ?
Enfin, selon plusieurs dépêches, le Hamas rejetterait la présence d’observateurs internationaux sur place. Cette position importante mérite à tout le moins un commentaire.
M. François Rochebloine. Pour revenir sur une allusion de M. Boucheron, les élections israéliennes qui auront lieu le 10 février n’ont-elles pas été l’élément déclencheur de l’opération du 27 décembre dernier ?
M. Jacques Myard. J’ai toujours eu le sentiment que dans cette partie du monde on était toujours le terroriste de l’autre et que le peuple israélien ressentait, consciemment ou non, le complexe de Massada.
Mais au-delà de la crise actuelle, comment faire accepter Israël comme un État du Proche-Orient et non comme un État tête de pont du monde occidental et de la diaspora qui le soutient ? A vouloir toujours tuer le terroriste qu’est l’autre, on reste pris dans un étau. Aussi faut-il trouver de nouvelles voies pour faire accepter Israël comme un État du Proche-Orient.
M. le président Axel Poniatowski. Je vous rappelle, mes chers collègues, que nous recevons cet après-midi, à seize heures trente, Mme Hind Koury, déléguée générale de Palestine en France, et qu’a été décidée en Conférence des présidents ce matin la création d’une mission d’information sur le problème spécifique créé par le conflit, mission que je présiderai et qui sera composée d’un représentant par groupe politique.
M. Daniel Shek. Je vous prie de bien vouloir saluer de ma part Mme Khoury, que je connais bien et pour laquelle j’ai beaucoup de respect.
M. le président Axel Poniatowski. Je n’y manquerai pas.
M. Daniel Shek. Monsieur Giacobbi, pour ce qui est de savoir si l’arrivée de M. Obama accélérera la fin du conflit, ma réponse est très simple : j’espère que, d’ici là, le conflit sera résolu ! Cela dit, je partage la théorie selon laquelle les choses ne changeront pas radicalement. En tout cas, si M. Obama ne s’est peut-être pas exprimé à propos du conflit actuel, il a déclaré devant les caméras du monde entier lors de sa visite à Sderot l’été dernier que si ses deux filles devaient dormir dans un abri plutôt que dans leur chambre à coucher, il réagirait comme nous. C’est exactement ce que je voulais dire en vous déclarant que trop c’est trop.
Vous avez par ailleurs raison de souligner qu’il existe une différence entre une organisation terroriste au pouvoir et une autre dans la clandestinité. Cependant, si le Hamas a gagné les élections législatives, cela ne lui donnait pas pour autant le pouvoir exécutif. Il a pris ce dernier de force, en tuant ses adversaires du Fatah et en l’arrachant des mains des représentants du pouvoir légitime que sont Mahmoud Abbas et Salam Fayyad – eux-mêmes élus par le suffrage universel.
Il est vrai également que le Hamas a rejeté a priori toute présence d’observateurs internationaux sur le territoire palestinien. Une solution alternative – sachant qu’il ne serait pas forcément facile de trouver des observateurs internationaux prêts à se rendre dans le territoire de Gaza – pourrait reposer sur une présence internationale sur le territoire égyptien. Mais peut-être que ce rejet de la part du Hamas n’est pas définitif, et qu’une solution plus crédible sera trouvée.
Monsieur Rochebloine je répondrai de façon directe à votre question elle-même directe concernant les élections : non, le sens profond de l’opération ne tient pas à ces élections.
M. François Rochebloine. Sans parler de volonté délibérée, l’existence même de ces élections n’a-t-elle pas entraîné une surenchère de la part des différents partis ?
M. Daniel Shek. Puis-je vous faire remarquer que le décideur numéro un en Israël aujourd'hui, à savoir le Premier ministre Ehoud Olmert, n’est pas candidat à ces élections et qu’elles ne représentent donc aucun intérêt pour lui ?
Par ailleurs, si des centaines de roquettes tombant sur vos populations civiles ne sont pas une raison suffisante – peu importe le contexte politique – pour qu’un Gouvernement assure, comme c’est sa responsabilité majeure, la sécurité des citoyens, quelle autre justification pourrait être donnée ?
Cela dit, l’existence d’élections dans un mois ne peut être effacée des esprits. Un débat a d’ailleurs lieu en Israël concernant un éventuel report de ces élections, ne serait-ce, comme le souligne la presse israélienne, que pour enlever le moindre soupçon de considérations politiques en la matière.
Si la crise se termine dans les prochains jours, je suppose que les élections auront lieu comme prévu le 10 février, mais si elle devait se prolonger une semaine ou deux, le débat sur un éventuel report prendra de l’ampleur et le Parlement pourrait décider de fixer une nouvelle date. J’espère cependant que, grâce à une fin prochaine de la crise, le processus aura lieu normalement.
Monsieur Myard, je suis heureux de pouvoir conclure mon propos en abordant une question plus vaste, même si je ne peux accepter la formule selon laquelle chacun est le terroriste de l’autre. Israël est un État de droit, membre des Nations unies. Le Hamas est une organisation qui figure sur la liste des organisations terroristes et non sur celle des organisations fréquentables. Un parallélisme entre les deux n’est pas acceptable.
M. Jacques Myard. Il ne s’agit pas d’accepter quoi que ce soit, mais de prendre acte des accusations de part et d’autre.
M. Daniel Shek. Pour ce qui est de votre question plus vaste, il est d’abord impératif de garder à l’esprit une comparaison entre la situation à Gaza et celle qui prévaut à moins de cent kilomètres de là, en Cisjordanie. Ce n’est pas seulement la réalité qui est différente entre ces deux territoires. C’est comme si un monde les séparait avec, d’un côté, le choix du combat armé, du culte de la mort, et, de l’autre côté, le choix de la négociation, de la paix, de la culture de la vie, d’une société démocratique permettant à la Palestine de se développer comme une société moderne. Voyez la différence : d’un côté, on négocie ; de l’autre, on se tire dessus.
Là est la clé de la réponse à votre question, à savoir comment Israël va pouvoir s’intégrer dans la région. Il est impératif à cet égard qu’Israël puisse non seulement en faire partie, être un bon voisin, mais également former une entité qui puisse contribuer, avec les qualités et les talents qui sont les siennes, au développement de la région.
Nous sommes dans une période du développement humain où des États individuels ne mènent à rien. Le monde s’organise en régions, et il n’y a pas de raison pour que celle du Proche-Orient reste une laissée pour compte. Comme ne cesse de le dire mon ami le président israélien Shimon Peres, Israël, en état de paix, sera là pour aider la région à se développer, à rattraper le retard qu’elle a pris à cause de soixante ans de guerre.
M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, de nous avoir parlé sans langue de bois, et nous formulons le vœu qu’un cessez-le-feu puisse être trouvé le plus rapidement possible.
La séance est levée à douze heures quarante.
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