Audition de Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France.
La séance est ouverte à seize heures trente
M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame la déléguée générale, d’avoir accepté l’invitation de la commission. Ce matin, comme vous le savez, nous avons auditionné M. Daniel Shek, ambassadeur d’Israël en France, qui nous a fait valoir son point de vue sur les événements en cours dans la bande de Gaza, et nous sommes particulièrement désireux de vous entendre sur le même sujet, sachant que l’Autorité palestinienne a condamné les opérations militaires d’Israël contre le Hamas.
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Je voudrais tout d’abord saluer l’engagement que l’Assemblée nationale et sa commission des affaires étrangères ont constamment manifesté en faveur de la paix au Proche-Orient. J’aimerais aussi saluer les efforts du Président Sarkozy, qui s’est, dès le déclenchement de l’agression, rendu dans la région pour rencontrer les différents acteurs et proposer une sortie de crise, qui reste à ce jour la seule proposition sur la table et dont j’espère qu’elle sera mise en œuvre.
La situation actuelle est en effet terrible pour tous les Palestiniens, après dix-sept jours d’attaques incessantes, de jour comme de nuit, et après le massacre de 918 personnes –bilan provisoire, appelé à s’alourdir hélas puisque cela continue. Au nombre des victimes, il y a au moins 277 enfants et 97 femmes : un tel bilan se passe de commentaire. Imaginez un petit territoire de dix kilomètres de largeur, soit le tiers de la surface de Paris, mais trois fois plus peuplé, pilonné sans répit, par terre, par air et par mer. L’agression militaire de Gaza est un véritable carnage, les hôpitaux débordent ; les ambulanciers courent sous les bombes pour aller chercher les blessés et les cadavres, dont la plupart sont des civils.
Après trois semaines d’attaques massives, ce petit territoire n’est plus qu’un champ de ruines. Habitations, écoles, ministères, infrastructures culturelles et sportives, lieux de culte : rien n’est épargné. Pour l’armée israélienne, les militants du Hamas sont partout. Pourtant, après dix-huit jours de conflit, nous sommes tous frappés par le peu de résistance du Hamas. C’est légèrement armés que ses militants affrontent des chars blindés et des forces militaires disproportionnées.
L’attitude d’Israël me fait penser à Colin Powell brandissant à l’ONU une petite fiole censée prouver la toute-puissance de l’armée irakienne qu’il fallait absolument anéantir. Six mille Palestiniens ont été assassinés par l’armée israélienne depuis la seconde Intifada, pour onze Israéliens tués par des roquettes Qassam en huit ans : comment peut-on parler de légitime défense dans ces conditions ? Même si tout humain est important, et tout assassinat une grande perte, ces chiffres donnent à réfléchir.
Il n’est pas question pour moi, pas plus que pour l’Autorité palestinienne, de justifier les tirs de roquettes : nous les condamnons aujourd’hui, comme nous les avons toujours condamnés. Il faut cependant replacer les faits dans leur contexte. Le Hamas s’est développé suite à l’échec des accords d’Oslo et parallèlement à la colonisation et à l’occupation israéliennes. Voyant que les négociations entre le gouvernement israélien et l’OLP n’aboutissaient à rien, la population palestinienne s’est peu à peu désintéressée du processus politique. Après les élections de 2006, le Hamas, pourtant élu démocratiquement, a été boycotté par Israël, ainsi que par la communauté internationale, qui a décrété l’embargo économique. Le gouvernement d’union nationale établi par l’accord de La Mecque pour maintenir l’unité des Palestiniens et soutenu par 96 % d’entre eux a lui aussi été ignoré, alors que Mahmoud Abbas avait réussi, avec une grande habileté et après beaucoup d’efforts, à intégrer le Hamas dans le processus politique. Ignoré de tous, le Hamas s’est réfugié dans la violence : il s’est emparé de la bande de Gaza, mettant ainsi fin à l’unité palestinienne.
Il ne faut pas oublier enfin le terrible siège de deux ans que vient de subir la bande de Gaza : un million et demi de personnes emprisonnées, ne survivant que grâce à l’aide internationale ; la moitié de la population au chômage ; des conditions de vie misérables ; une économie étouffée. Il y a encore quelques mois, le gouvernement israélien se plaisait à suspendre de manière arbitraire la distribution d’énergie.
Le souci d’Israël de protéger ses citoyens des tirs de roquettes est certes légitime. Mais personne ne vivra en paix et en sécurité aussi longtemps que la bande de Gaza sera assiégée, affamée, agressée. Les tunnels détruits aujourd’hui seront à nouveau creusés demain car ces 800 tunnels sont la seule source d’approvisionnement pour les habitants de Gaza.
Il en va de même pour la Cisjordanie, que les Israéliens citent aujourd’hui en modèle pour justifier leurs massacres et leur volonté d’anéantir le Hamas. Je connais bien la situation de la Cisjordanie puisque j’habite à Bethléem et à Jérusalem. La Cisjordanie reste un territoire occupé, la colonisation y prospérant de jour en jour. Jérusalem-Est est encerclée par 250 000 colons, qui sont en train de couper en deux le territoire qui devait devenir celui de l’État palestinien. Alors que les accords d’Annapolis stipulaient le gel de la colonisation, à l’heure où je vous parle, plus de mille habitations israéliennes sont en cours de construction sur le territoire palestinien ; plus de cent colonies de peuplement israéliennes sont en pleine expansion sur notre sol ; 45% de la Cisjordanie restent colonisés, et quelque 700 barrages rendent les déplacements, les échanges économiques et la vie quotidienne impossibles. Et c’est cette Palestine que les Israéliens citent en modèle de ce qu’ils veulent bâtir ?
Enfin le mur de 725 kilomètres, par lequel Israël veut à terme redessiner unilatéralement les frontières d’Oslo, encerclera complètement la Cisjordanie. Jamais les Palestiniens n’accepteront cela.
Mesdames et messieurs les députés, après plus de deux semaines de souffrances infligées à une population civile déjà tant meurtrie au cours de son histoire – je vous rappelle que la population de la bande de Gaza est issue à 80 % des réfugiés de la guerre de 1948 – il ne faut pas se tromper d’agresseur : une population est massacrée sous nos yeux dans des conditions terribles. L’utilisation de bombes au phosphore et de DIME (« dense inert metal explosive »), évoquée par Le Monde d’hier, n’est pas très étonnante, dans la mesure où ces armes ont déjà été utilisées au Liban il y a deux ans. Je vous laisse imaginer les dégâts dans une zone urbaine aussi dense que Gaza. Est-ce la paix des cimetières qu’Israël souhaite obtenir ?
Nous voilà tous face à nos responsabilités : il est plus qu’urgent d’agir. Je voudrais à ce titre remercier de nouveau Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner, qui n’ont pas ménagé leurs efforts, et ce dès les premières heures de l’attaque. Je voudrais aussi saluer le travail des parlementaires, qui ont été très nombreux à demander un cessez-le-feu immédiat.
Mais cela n’est pas suffisant : l’agression israélienne se poursuit et s’intensifie. Il faut agir maintenant pour un arrêt immédiat et inconditionnel des massacres, pour faciliter la distribution de l’aide alimentaire. Les Palestiniens espèrent que l’initiative franco-égyptienne aboutira à un arrêt très rapide des combats, à la levée du blocus de Gaza, qui est à l’origine de la situation actuelle. L’Autorité palestinienne demande également une protection internationale du peuple palestinien, agressé impunément depuis soixante ans, non seulement à Gaza, mais également en Cisjordanie.
Tels sont nos espoirs pour les prochains mois. Au-delà, les Palestiniens demandent que leurs droits soient enfin reconnus par Israël. Nous demandons la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est et une solution juste pour les réfugiés. C’est la seule option retenue par le droit international et par l’Autorité palestinienne et l’OLP. Sans un accord durable et reconnu par les deux parties, Israël ne vivra jamais en paix au Moyen-Orient. C’est pure folie de penser que la force seule peut bâtir l’avenir et la paix dans la région. Au Moyen-Orient comme ailleurs, le droit international doit être respecté et Israël ne peut pas faire exception : on ne doit plus tolérer qu’Israël continue à ignorer les résolutions de l’ONU, dont la dernière en date, la résolution 1680. Nous demandons qu’une solution contraignante soit adoptée à l’ONU.
Je voudrais pour finir m’interroger sur l’avenir de cette nouvelle agression israélienne, qui n’a d’ailleurs toujours pas fait de vainqueur : des roquettes continuent d’être tirées contre Israël. Israël est-il vraiment sérieux et crédible lorsqu’il affirme que c’est en massacrant des civils dans la bande de Gaza qu’il permettra aux habitants de Sderot de vivre en paix ? Il faut replacer cette agression dans son contexte, qui dépasse très largement le Hamas et les tirs de roquettes. En 2002, la même politique de destruction était conduite en Cisjordanie, par Ariel Sharon à l’époque, sans que le Hamas y soit pour rien. Une fois encore, le gouvernement israélien se livre à une démonstration de force visant à redonner du crédit à une armée un peu moins dissuasive depuis l’échec de l’opération « Pluie d’été » au Liban en 2006. On ne doit pas négliger non plus la proximité des élections : ce sont les massacres de Palestiniens qui serviront d’arguments de campagne à Kadima et aux travaillistes. Ce qui est certain, c’est qu’Israël a tout fait pour affaiblir l’Autorité palestinienne, qu’elle n’a jamais voulu considérer comme un partenaire de paix à part entière.
Ne faut-il pas voir enfin dans cette attaque massive et disproportionnée la deuxième manche d’une guerre contre l’Iran, après la guerre du Liban et l’offensive contre le Hezbollah, qui n’avait pas davantage lieu d’être. Le peuple palestinien, qui bien évidemment condamne fermement cette politique du pire, ne peut que mettre en garde Israël contre la menace d’un embrasement de la région, mais aussi contre les retombées de ce conflit dans d’autres pays du monde
À ce titre, nous avons condamné avec la plus grande fermeté tous les actes racistes et antisémites auxquels il a donné lieu en France. Dans ce conflit, nous devons tous faire preuve de responsabilité, et je voudrais saluer la grande manifestation de samedi dernier, où Juifs et Arabes ont défilé ensemble pour la paix au Proche-Orient. Voilà l’avenir pour lequel nous devons nous battre et auquel nous devons croire tous ensemble.
M. le président Axel Poniatowski. Comment envisagez-vous la sortie de crise ? Pensez-vous en particulier qu’un dialogue entre la communauté internationale et le Hamas est possible ? Êtes-vous favorable à l’envoi d’une force internationale de maintien de la paix à l’intérieur ou aux frontières de la bande de Gaza ?
Deuxièmement, estimez-vous qu’il y a un risque d’explosion de violence dans la population palestinienne de Cisjordanie, qui n’a pas jusqu’ici recouru à la force ?
Troisièmement, que pouvez-vous nous indiquer sur le calendrier des élections, présidentielle et législatives, qui doivent avoir lieu en Palestine, le mandat de M. Mahmoud Abbas ayant expiré le 8 janvier dernier ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Il existe en effet un risque de voir le conflit s’étendre à la Cisjordanie. Le gouvernement de Salam Fayyad fait de gros efforts pour éviter toute confrontation entre les Palestiniens et l’armée israélienne, le Premier ministre préférant le risque d’être très impopulaire à celui de voir la Cisjordanie connaître une troisième Intifada. Il y a dans la population une rage légitime, mais nous devons garder notre sang-froid : nous avons trop perdu dans les deux Intifada, notamment du fait de l’étranglement de l’économie par les barrages militaires. J’ignore si la situation restera longtemps sous contrôle, mais j’estime que le gouvernement de Fayyad a prouvé sa capacité à assurer la sécurité en Cisjordanie dans un contexte de crise, invalidant ainsi tout argument tendant à dénier à l’Autorité palestinienne la capacité d’être un partenaire à part entière des négociations avec Israël.
En ce qui concerne les élections en Palestine, la loi constitutionnelle comme la loi électorale de 2005, sous le régime de laquelle les députés du Hamas ont été élus, sont très claires : pour permettre la simultanéité des élections présidentielle et législatives, il faut, soit que le mandat du président Mahmoud Abbas, qui expirait normalement le 9 janvier, soit étendu jusqu’en janvier 2010, date de l’expiration du mandat du Parlement, soit que les élections législatives aient lieu dès maintenant.
Rappelant l’importance et l’urgence de restaurer l’unité du peuple palestinien, le président de l’Autorité palestinienne a demandé au Hamas de participer le plus tôt possible à un gouvernement d’unité nationale, qui aurait la charge, d’abord de prendre toutes mesures de sécurité propres à garantir un contrôle de la situation susceptible de satisfaire toutes les parties, puis de préparer les élections. Le gouvernement de Salam Fayyad est prêt à former ce gouvernement d’entente nationale dès demain, pourvu que nous ayons la garantie qu’il ne sera pas l’objet de sanctions comme l’a été le précédent gouvernement d’union nationale.
Vous m’interrogez sur l’opportunité d’envoyer, soit à l’intérieur, soit aux frontières de la bande de Gaza, une force internationale de maintien de la paix : bien sûr que nous sommes favorables à cette force d’interposition mais si nous demandons une protection internationale, qu’il s’agisse d’une force européenne, de l’OTAN ou de l’ONU, nous ne seront pas les seuls à nous prononcer sur ses modalités.
M. François Rochebloine. En vous écoutant, nous constatons que la situation s’est aggravée au fil des années.
Vous avez évoqué les « armes légères » du Hamas ; or l’ambassadeur d’Israël nous a dit ce matin que le Hamas avait profité de la trêve pour augmenter, non seulement la quantité de son armement, multipliant par trois le nombre de ses roquettes, mais encore sa qualité, la portée des tirs étant passée de douze à quarante kilomètres. Pouvez-vous nous confirmer ces propos, ou s’agit-il simplement d’un prétexte pour justifier l’action d’Israël ?
Deuxièmement, l’arrivée prochaine de M. Obama à la tête des États-Unis peut-elle modifier la situation ?
Enfin, qu’en est-il exactement des contacts entre le Hamas et le Fatah ? Le président Abbas peut-il faire évoluer la position du Hamas ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Il est malheureusement vrai que la situation se dégrade régulièrement depuis 1967. Il n’est pas surprenant qu’une telle occupation, de plus en plus dure au fil des années, déchirant systématiquement le tissu social, économique et politique de la communauté palestinienne, aboutisse à la division que l’on voit aujourd’hui entre le Hamas et le Fatah. C’est surtout depuis Oslo et le compromis historique par lequel les Palestiniens ont accepté l’existence d’Israël que la situation n’a pas cessé d’empirer.
Si j’ai parlé des « armes légères » du Hamas, c’est en comparaison avec l’armée israélienne : j’ignore le détail de leur armement, contrairement, apparemment, à l’ambassadeur d’Israël. Il est probable qu’ils ont importé des armes pendant la trêve parce qu’ils savaient ce qui les menaçait. On aurait pu cependant l’éviter : s’il y a des tunnels, c’est parce qu’il y a le blocus ; s’il y a des tirs de roquettes, c’est parce que notre peuple est agressé, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. La trêve elle-même a été violée par Israël, le 4 novembre mais aussi quand les Israéliens ont refusé d’ouvrir des points de passage pour laisser passer l’approvisionnement humanitaire.
Je viens d’apprendre qu’Hillary Clinton a déclaré que les États-Unis se chargeraient de la question dès l’investiture d’Obama. C’est plutôt une bonne nouvelle, mais attendons de voir.
Le contact n’a jamais été rompu entre le Hamas et le Fatah : même les leaders palestiniens détenus dans les prisons d’Israël travaillent et s’expriment sur cette question. De même les pays arabes, particulièrement l’Égypte, et même la Turquie depuis peu, se proposent comme médiateurs. Même si les confrontations actuelles rendent ces contacts difficiles, ils sont nécessaires et exigés par tout le peuple palestinien. Il n’y a pas d’autre solution si on veut un État palestinien et un avenir de paix, de prospérité et de stabilité. Selon beaucoup d’analystes, le Hamas, en persistant à nourrir la division, joue le jeu d’Israël qui s’efforce, depuis son désengagement unilatéral de Gaza, de se débarrasser de Gaza sur l’Égypte, et des ghettos de la Cisjordanie sur la Jordanie.
M. Jacques Myard. Y a-t-il des contacts physiques entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, ou s’agit-il de simples déclarations de part et d’autre ? Votre division géographique est-elle aussi une division politique totale ?
Ma deuxième question porte sur la Cisjordanie : compte tenu du morcellement complet de ce territoire, on peut douter qu’il soit encore possible d’y créer un État viable.
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Bien sûr qu’il y a des contacts entre le Hamas et le Fatah, que ce soit en Syrie, à Gaza elle-même, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Du reste, les membres du Hamas et du Fatah appartiennent souvent aux mêmes familles, jusqu’à être frères parfois : il s’agit du même peuple. C’est ce qui rend la division actuelle tellement triste, et c’est la raison pour laquelle le président Abbas a appelé en juin à ouvrir un dialogue sans condition entre les deux parties. Il faut espérer que ce dialogue s’ouvrira quand les passions se seront apaisées.
Quant à la Cisjordanie, cela fait des années que nous prouvons, cartes à l’appui, que le territoire laissé aux Palestiniens n’est plus qu’un gruyère, ce que George Bush lui-même a reconnu. Tant qu’il y aura des colonies en Cisjordanie, on ne pourra pas y établir un État palestinien : de nombreux Palestiniens y ont renoncé, et cherchent d’autres moyens de recouvrer leur dignité et leur liberté en s’installant à l’étranger.
L’OLP et l’Autorité palestinienne demandent l’établissement d’un État palestinien sur la base du droit international, même si celui-ci n’était pas, à l’origine, conforme au vœu des Palestiniens, qui était, avant 1988, celui d’un seul État démocratique pour tous, Juifs, Musulmans, Chrétiens.
M. Didier Mathus. Ce conflit ne risque-t-il pas de faire des militants du Hamas les héros du combat palestinien, contribuant à affaiblir encore plus le Fatah et l’Autorité palestinienne, y compris en Cisjordanie, Israël plaçant ainsi en position d’interlocuteur exclusif l’adversaire le plus commode pour lui au regard de la communauté internationale ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Je suis parvenue à la même conclusion que vous ces derniers jours, quand j’ai vu Israël continuer à bombarder les infrastructures d’une bande de Gaza réduite à rien. Cela m’a rappelé la destruction des infrastructures de Cisjordanie par Ariel Sharon en 2002 : l’Autorité palestinienne souffre encore aujourd’hui de l’affaiblissement consécutif à ces destructions, puisque ces institutions publiques, toutes des investissements de l’Union européenne, n’ont jamais été reconstruites. Le Hamas sera certainement affaibli, mais ces destructions menacent la possibilité même d’un État palestinien, non seulement à Gaza, mais même en Cisjordanie. Heureusement Salam Fayyad réalise un magnifique travail pour reconstruire les institutions et l’économie, malgré les difficultés liées à l’occupation.
Reste que l’objectif est peut-être d’affaiblir tout partenaire palestinien. Pendant très longtemps, Israël a refusé d’avoir un interlocuteur palestinien : on a vu comment Arafat a été écarté après la mort de Itzhak Rabin ou après Camp David. Voilà qu’avec Mahmoud Abbas, on a un homme de paix, l’ingénieur d’Oslo, avec pour seul objectif la paix entre les deux États, et qui peut dire qu’il a tout mis en œuvre pour y parvenir.
C’est d’autant plus triste que le Hamas lui-même a évolué, en acceptant l’accord de La Mecque et la participation à un gouvernement d’union nationale. Auparavant, il avait accepté le « plan des prisonniers » établi par les détenus politiques palestiniens, qui préconise l’établissement d’un État palestinien dans les frontières de 1967, faisant de l’OLP le seul représentant du peuple palestinien et donnant à Mahmoud Abbas mandat de conduire les négociations. C’était là des pas importants, qui prouvent que le Hamas a mûri politiquement depuis sa victoire aux élections, dont il a été le premier surpris.
M. Jean-Pierre Brard. Quel rôle peut jouer l’Égypte dans la situation actuelle et quel rôle joue l’Iran ? Est-il exact que le Hamas ait exécuté des membres de la direction de Fatah à Gaza depuis le début de l’offensive israélienne ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Nombre de ses enjeux donnant à ce conflit une dimension régionale, tous les pays de la région, notamment la Syrie, la Turquie et l’Iran, ont un rôle à jouer. En cela, le choix du président Sarkozy de chercher avec tous ces acteurs le moyen d’avancer m’a semblé opportune.
Il est clair que l’Iran, qui cherchait à être une puissance dans la région, y a trouvé des alliés par l’intermédiaire desquels mener ses confrontations. Isolé par les sanctions internationales qui ont suivi son coup d’État à Gaza, le Hamas a dû établir des relations avec l’Iran, avec lequel il avait peu de contacts jusque-là.
La Turquie, peut-être parce qu’elle est le pays laïc qui aurait le plus à perdre dans un « choc des civilisations », semble encline à assumer un rôle plus important en tant qu’état à majorité musulmane prônant un Islam modéré. Le président Abbas entretient des relations excellentes avec son gouvernement, très crédible pour de nombreux États de la région, et même aux yeux du Hamas.
L’Égypte conserve le rôle très important qu’elle a toujours joué dans le monde arabe et pour la cause palestinienne ; elle entretient des relations diplomatiques avec Israël et tout le monde arabe, et depuis quelques temps elle s’entremet entre le Hamas et le Fatah. J’espère que l’initiative franco-égyptienne sera couronnée de succès, mais on ne peut rien affirmer dans un contexte aussi instable : cela dépendra de la situation sur le terrain.
L’opposition entre le Hamas et le Fatah a connu des épisodes absolument terribles, et pour moi, qui connais le caractère paisible du peuple palestinien, inexplicables. Il est vrai que la jeune génération de Gazaouis n’a connu que la violence extrême, et que depuis 1967, la population de Gaza est composée à 80 % de réfugiés. Or, cette situation de réfugiés qui est la leur depuis 1948 est vécue comme une grande humiliation, qui n’a été transformée en capacité de résistance qu’au bout de quelques années. Déjà, en 1994, lorsque je travaillais à Gaza pour l’ONU, je me suis aperçue que je ne pouvais pas établir de contact, ne serait-ce que du regard, avec les réfugiés de Gaza, et cela m’a donné le pressentiment des horreurs auxquelles on assiste actuellement.
M. Jean-Pierre Brard. Pour vous, le contexte explique, sans les justifier, l’accomplissement des horreurs que j’ai évoquées ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Je ne peux pas confirmer ce que vous dites : je ne suis pas plus informée que vous de ce qui se passe sur le terrain.
M. le président Axel Poniatowski. Pouvez-vous, madame la déléguée générale, nous dire où en sont les négociations, évidemment interrompues pour l’instant, entre l’Autorité palestinienne et Israël, tant en ce qui concerne Jérusalem, qu’en ce qui concerne les frontières, les colonies et les réfugiés ?
Mme Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France. Les détails de ces négociations sont maintenus secrets, car il est important de négocier loin des médias. On en connaît néanmoins les grandes lignes : les positions des deux parties restent très éloignées, même si des progrès ont été réalisés depuis les négociations de Camp David.
La question des réfugiés est la plus difficile pour Israël, qui n’accepte même pas l’idée de leur retour, sinon pour quelques centaines de réfugiés, surtout du Liban, qui ont, il est vrai, connu des situations particulièrement difficiles. Encore devraient-ils s’établir sur les territoires échangés contre des colonies. La question de la reconnaissance du mal fait aux réfugiés est cruciale. Il ne s’agit pas seulement de leur garantir des compensations qui ne seront jamais à la hauteur des pertes subies : il faut laisser à la diaspora la liberté de choisir.
En ce qui concerne les colonies, les négociations sont allées au-delà de ce qui avait été obtenu à Camp David, mais les positions restent éloignées : les Israéliens parlent de 6,8 %, les Palestiniens pas même de 2 %. Les colonies israéliennes sont établies sur moins de 2 % du territoire de la Cisjordanie, mais Israël réclame en outre, de nombreuses terres pour leur développement futur, ce que nous n’acceptons pas.
En ce qui concerne les frontières, il s’agit de celles de 1967, ce qui suppose l’échange de presque 2 % de territoires pour prendre en compte les colonies déjà établies et qui resteront sous la souveraineté d’Israël. En revanche, le mur ne sera jamais accepté comme frontière.
Le principe du retour aux frontières de 1967 vaut également pour Jérusalem-Est, qui est un territoire occupé tout autant que l’est Gaza. La question de Jérusalem reste très compliquée, en dépit de tout le travail accompli à Camp David. Malheureusement, Israël veut toujours se référer aux paramètres de Clinton, alors que les colonies se sont considérablement étendues à la périphérie et à l’intérieur de Jérusalem.
Il faut continuer ces négociations. L’un des plus grands obstacles est le refus d’Israël de discuter sur la base du droit international. À nos yeux, le droit international est la seule référence : on ne peut pas négocier dans le vide.
Nous voulons que la communauté internationale définisse d’une façon plus sérieuse et responsable le calendrier de ces négociations : le calendrier d’Oslo n’a pas été respecté et on a lancé un autre plan de paix en 1999. La feuille de route, qui prévoyait l’établissement d’un État palestinien en 2005, n’a pas été davantage respectée.
Cette question du calendrier est d’autant plus importante que la possibilité d’établir un État palestinien en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza devient de jour en jour plus virtuelle, du fait de la poursuite de la colonisation, de l’établissement de routes de contournement et de la démographie elle-même : de nombreux Palestiniens quittent la Cisjordanie ; à Jérusalem, beaucoup perdent leur carte d’identité et leur permis de résident. Jérusalem elle-même, à l’intérieur comme à l’extérieur du mur, n’est déjà plus viable. Je connais une zone très fertile, au nord de Jérusalem, dont les paysans exportaient leur production vers le Koweït. Aujourd’hui les villageois ne cultivent plus cette zone. En effet, ils n’ont pas le droit d’utiliser la route réservée aux colons : ils ne peuvent utiliser qu’un minuscule tunnel pour se rendre à Ramallah, à deux heures de là. Une fois parvenue à Ramallah, leur production, dont le prix est encore grevé par le coût du transport, doit affronter les produits israéliens vendus à bas prix : elle n’est plus rentable.
M. le président Axel Poniatowski. Madame la déléguée, je vous remercie et je forme le vœu qu’une solution de paix durable puisse être trouvée le plus rapidement possible.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.
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