Accord France-Chine sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 1135)
La séance est ouverte à dix heures trente
La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Claude Mignon, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 1135).
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. Je vous remercie, Monsieur le Président, d’avoir accepté de n’inscrire ce projet à l’ordre du jour que ce matin car j’étais retenu hier au titre de mes activités à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous sommes d’ailleurs, avec tous mes collègues membres de la délégation française, à la disposition de la commission pour rendre compte régulièrement des activités du Conseil de l’Europe en matière de politique étrangère.
L’examen par notre commission, ce matin, de l’accord entre la France et la Chine sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Pékin le 26 novembre 2007, pourrait ressembler à une formalité. En effet, les relations bilatérales entre nos deux pays dans ce domaine sont régies, depuis près d’un quart de siècle, par un accord signé le 30 mai 1984 qui ne nécessite – en apparence – qu’une « mise à jour ». Dans l’intervalle, la Chine a concrétisé sa participation au système économique multilatéral : la Convention de Washington de 1965 pour le règlement des différends relatifs aux investissements lui est devenue applicable en 1993, et elle est devenue membre de l’OMC en 2001.
Pourtant, deux éléments de contexte donnent à ce nouvel accord de protection des investissements un relief particulier. Il n’est donc guère surprenant que le projet de loi d’approbation de cet accord fasse bientôt l’objet d’un débat dans l’Hémicycle, et non d’une procédure d’examen simplifiée. Le premier élément de contexte est évidemment la crise économique dans laquelle est entrée l’économie mondiale. Pour tenter de vous en donner un aperçu – bien que l’art de la prévision soit en la matière devenu plus délicat que jamais –, selon les estimations publiées par le FMI le 28 janvier dernier, la croissance de l’économie mondiale devrait tomber à 0,5 % en 2009, taux le plus faible depuis la Seconde Guerre mondiale. La France connaîtrait une croissance négative de 1,9 %, et la Chine un net ralentissement, à 6,7 %, contre 9 % attendus pour l’année 2008. Le second élément de contexte a trait aux relations politiques franco-chinoises, qui se sont récemment rafraîchies. En effet, les autorités chinoises ont décidé de demander le report du Sommet avec l’Union européenne qui devait se tenir sous présidence française, à Lyon, le 1er décembre dernier. Il s’agissait d’un signe de protestation à l’égard des rencontres que le Dalaï-lama devait avoir en Europe avec plusieurs dirigeants, dont le Président de la République, le 6 décembre dernier à Gdansk. Depuis lors, les relations avec l’Union européenne tendent à se réchauffer quelque peu – solidarité économique oblige. Un nouveau Sommet UE / Chine est d’ailleurs envisagé, comme vient de l’annoncer la présidence tchèque. Mais les relations franco-chinoises demeurent tendues. Les célébrations organisées à l’occasion du 45e anniversaire de l’établissement de nos relations diplomatiques, le 27 janvier dernier, ont d’ailleurs été discrètes.
Dans ce contexte, je ne voudrais surtout pas oublier les espoirs déçus dans le domaine des droits de l’homme. Je veux parler des espoirs qui avaient pu être placés dans l’organisation par la Chine des Jeux olympiques en août dernier, et des engagements pris dans ce cadre. Or la violente répression des troubles survenus au Tibet au mois de mars 2008 a, pour le moins, terni l’image de la Chine auprès des opinions publiques occidentales. Et les négociations informelles du 4 mai dernier entre les représentants du Dalaï-lama et des fonctionnaires chinois n’ont pas, à ce jour, connu de prolongement officiel. J’insiste pourtant sur ce point : les relations franco-chinoises forment un tout, économique autant que politique. Le respect mutuel entre nos deux pays ne saurait conduire la France à abaisser son niveau de vigilance à l’égard de la situation des droits de l’homme en Chine. J’ai eu l’occasion de l’écrire, de le dire et de le faire partager à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en juin 2008, où le rapport que je présentais a été adopté à une très forte majorité, moins cinq abstentions et une voix contre. Les réussites économiques et le statut international reconnu de la Chine sont incontestables et incontestés. Mais ce pays ne pourra se maintenir sur le devant de la scène qu’à condition de faire parvenir les bénéfices de son développement économique à l’ensemble de sa population. Le gouvernement chinois s’est officiellement fixé comme objectif « la société harmonieuse » ; cela ne peut pas exister sans que de réels progrès s’opèrent en matière de respect des droits de l’homme. Il ne s’agit pas d’une attitude de donneurs de leçons, de la part des Européens que nous sommes. Il s’agit d’une vérité universelle.
Après ce long préambule, je serai assez bref sur le contenu de l’accord qui nous est soumis. Sa facture est en effet des plus classiques – trop classique, peut-être. Je rappellerai tout d’abord que les investissements réciproques entre la France et la Chine se sont surtout développés depuis dix à quinze ans. Côté français, selon les statistiques de la Banque de France, les flux d’investissement français en Chine ont atteint 1,43 milliard d’euros en 2007. La Chine est, avec 0,9 % du total, la treizième destination de nos investissements directs étrangers. Côté chinois, selon les statistiques officielles, la France se maintient en 2007 au seizième rang des investisseurs et au quatrième rang parmi les pays européens. Ces statistiques font apparaître une progression de 19,2 % des investissements français en Chine en 2007, avec 456 millions de dollars, et une croissance encore plus soutenue sur les huit premiers mois 2008 : + 40 %, avec 385 millions de dollars sur la période. Il existe environ 1 800 implantations d’entreprises françaises en Chine et une cinquantaine d’entreprises chinoises en France. Les difficultés rencontrées par les investisseurs de part et d’autre ne sont pas minces. En particulier, je fais état dans mon rapport écrit de témoignages d’entrepreneurs français assez démunis face au défi de l’investissement en Chine. Par conséquent, relancer l’encouragement et, surtout, la protection réciproques des investissements entre la France et la Chine, est tout à fait opportun. À cette fin, l’accord que nous examinons apporte au précédent accord, datant de 1984, des retouches qui, si elles ne sont pas à négliger, demeurent d’une ampleur limitée.
Dans son préambule, le texte mentionne l’objectif de stimulation des « transferts de capitaux et de technologie entre les deux pays », ce qui est nouveau. À l’article 1er, l’accord élargit la définition de l’investisseur, en y intégrant les entités à but non lucratif dotées de la personnalité morale. À l’article 3, le texte précise que le traitement juste et équitable réservé par chaque État aux investissements de l’autre, s’effectue « conformément aux principes généralement reconnus du droit international », ce qui constitue un élément de sécurité supplémentaire. L’article 4 de l’accord octroie le traitement national, c’est-à-dire l’absence de discrimination entre investissements domestiques et investissements provenant de l’autre Partie contractante, désormais sous réserve des exceptions suivantes : le respect de la législation interne de chaque État, le cas particulier de conventions fiscales plus favorables, et surtout une exception culturelle. Le nouvel accord introduit également des stipulations indispensables au regard du droit communautaire. Par exemple, des mesures de sauvegarde en cas de déséquilibre grave pour la balance des paiements. Enfin, le texte améliore les conditions d’accès des investisseurs à l’arbitrage international. Il affirme aussi le caractère contraignant et définitif de la sentence arbitrale. Il stipule également l’impossibilité d’écarter le recours à l’arbitrage.
Puisqu’à l’impossible nul n’est tenu, il était difficilement envisageable d’inclure dans un tel accord, très normé, des clauses relatives au respect des droits de l’homme. Mais même sans aller jusque-là, il n’est pas certain que les petits investisseurs – je pense ici aux PME françaises – se sentent beaucoup mieux protégés, par ce nouvel accord, contre les dures réalités du marché chinois. Dans l’immédiat, je vous propose de voter l’approbation de cet accord d’encouragement et de protection des investissements, qui représente une utile mise à jour. Il s’agira ensuite de faire confiance à nos missions économiques, à la chambre de commerce et d’industrie française en Chine et au réseau des conseillers du commerce extérieur pour faire vivre cet accord et apporter à nos PME l’aide nécessaire.
M. Jean-Claude Guibal. Comment cet accord s’articule t-il avec la politique gouvernementale de lutte contre les délocalisations ? L’accord permet-il le rapatriement des dividendes pour les entreprises françaises investissant en Chine ?
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. Il appartient au Gouvernement d’inciter les entreprises françaises à maintenir leur implantation sur le territoire national. Cette question, qui mériterait une réflexion approfondie, ne relève pas de l’accord. Comme je l’ai indiqué précédemment, celui-ci procède à un toilettage de l’accord existant. En réponse à la seconde question, l’article 6 de l’accord prévoit le libre transfert des dividendes garantissant par là même leur rapatriement en France.
M. Jean-Paul Lecoq. Alors que Mme Christine Lagarde vient de réaffirmer sa confiance dans les équilibres du marché, il me semble que la France devrait plutôt, à l’instar des Américains, assurer la protection de ses entreprises.
La rédaction de l’article 5 concernant les nationalisations, qui préserve la souveraineté nationale contrairement à la rédaction prévue par les accords de même nature examinés la semaine dernière, justifie mon vote en faveur de cet accord.
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. Il est intéressant de noter que M. Lecoq souhaite que le Gouvernement français s’inspire de la politique des Etats-Unis.
Mme Martine Aurillac. Cet accord est conclu pour une durée de dix ans. Une clause de révision donnant lieu à l’évaluation de l’accord est-elle prévue ?
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. L’évaluation de l’accord peut intervenir au terme des dix ans ou avant si les deux parties en conviennent.
M. Jean-Marc Roubaud. La tentation protectionniste est une solution naïve. Nos produits ne manqueraient pas en retour d’être sanctionnés. Pourquoi la Chine a-t-elle finalement accepté de renégocier cet accord alors qu’elle a longtemps été réticente ?
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. La visite du Président de la République en Chine en 2007 est à l’origine de la signature de cet accord.
Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1135).
M. Axel Poniatowski, président. Mes chers collègues, je vous indique qu’une mission conduite par le président de notre Assemblée et rassemblant les présidents de groupe et moi-même pourrait se rendre à Gaza ce week-end, sous réserve de confirmation, afin d’évaluer la situation sur place.
M. François Loncle. Au nom du groupe socialiste, radical et citoyen, je souhaiterais demander l’audition par la Commission de M. Bernard Kouchner sur l’affaire qui occupe l’actualité ces derniers jours.
M. Axel Poniatowski, président. Je considère que cette affaire ne relève pas de la compétence de la Commission puisqu’elle est d’ordre strictement privé.
M. François Loncle. Vous êtes tout à fait en droit de ne pas accéder à ma demande. Je précise néanmoins que cette affaire n’est en aucun cas privée, cela sera démontré dans les prochains jours.
M. Jean-Paul Lecoq. Alors que la situation au Sri Lanka se dégrade – les exactions contre les Tamouls se multiplient en l’absence de témoins internationaux –, il me paraît urgent que la Commission se saisisse de cette question.
M. Axel Poniatowski, président. Je partage votre préoccupation. La Commission devrait prochainement s’intéresser à la situation au Sri Lanka ainsi qu’à Madagascar.
M. Jean-Marc Roubaud. Je partage la position du Président sur la demande du groupe socialiste que je juge indécente.
M. François Rochebloine. Je considère très utile le déplacement prévu à Gaza. Par ailleurs, ne pourrait-on pas imaginer d’organiser les réunions de la Commission le jeudi matin ?
M. Jean-Claude Mignon, rapporteur. Je me réjouis de la mission à Gaza. Sur ce sujet, je ne saurais trop vous recommander la lecture du compte rendu du débat d’urgence qui s’est tenu la semaine dernière au Conseil de l’Europe.
M. Axel Poniatowski, président. J’ai pris note des observations de chacun. La séance est levée.
La séance est levée à onze heures.
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