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Commission des affaires étrangères

Jeudi 12 février 2009

Séance de 10 h 30

Compte rendu n° 33

Présidence de M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères et de M. Michel Voisin, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées

– Audition, conjointe avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l’OTAN (ouverte à la presse)

– Informations relatives à la commission

Audition, conjointe avec la commission de la défense nationale et des forces armées, de M. Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l’OTAN

La séance est ouverte à dix heures trente

M. Axel Poniatowski, président de la Commission des affaires étrangères. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir le secrétaire général de l'OTAN, M. Jaap de Hoop Scheffer, dans le cadre d’une audition commune de la Commission des affaires étrangères et de la Commission de la défense.

Après de brillantes études à l’université de Leiden, M. de Hoop Scheffer entre au ministère néerlandais des affaires étrangères. En 1986, il est élu député à la Chambre des représentants. De 1989 à 1994, il est président de la commission parlementaire permanente pour la coopération au développement, ainsi que membre des assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe et de l’Union de l’Europe occidentale ; parallèlement, il occupe de nombreuses fonctions au sein du groupe de l’Alliance chrétienne démocrate (CDA). De novembre 2001 à mai 2002, il préside la commission permanente pour les affaires étrangères de la Chambre des représentants. Le 22 juillet 2002, M. de Hoop Scheffer devient ministre des affaires étrangères dans le premier gouvernement Balkenende ; en 2003, les Pays-Bas exerçant la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, il est le président en exercice de cette organisation. M. de Hoop Scheffer est nommé secrétaire général de l’OTAN en 2004.

Merci, monsieur le secrétaire général, d’avoir répondu à notre invitation. Le président Teissier, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui, vous prie d’excuser son absence ; il a demandé à Michel Voisin, vice-président de la commission de la défense, de le remplacer.

Je vous cède tout de suite la parole pour un propos liminaire, à la suite duquel nous ouvrirons le débat.

M. Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l'OTAN. Tout d’abord, je voudrais vous présenter mes condoléances pour la mort d’un soldat français hier en Afghanistan. Les soldats français accomplissent dans ce pays un travail remarquable.

Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les députés, c'est avec un grand plaisir et une grande fierté que je m'adresse à vous ce matin. Comme vous le savez, j'ai été moi-même parlementaire durant de longues années dans mon pays, les Pays-Bas ; en tant que secrétaire général de l'OTAN, je me prête de temps en temps à l'exercice de l'audition devant le Parlement, dans les pays alliés comme dans les pays partenaires. Aussi, lorsque le président Poniatowski m'a proposé, en novembre dernier, lors de sa visite à Bruxelles, de venir parler aux commissions de l'Assemblée nationale française, j'ai accepté sans hésiter. Cette rencontre revêt cependant une importance toute particulière à mes yeux.

En premier lieu, j'étais le week-end dernier à la conférence de Munich sur la sécurité, et j'ai entendu le Président de la République française annoncer qu’il aurait un débat avec les Français – et donc aussi avec vous, leurs représentants – sur la rénovation de la relation entre la France et l'Alliance d’ici au sommet de Strasbourg-Kehl. Ma venue parmi vous était prévue de longue date, mais elle tombe à point nommé ! Voilà ce que l'on appelle le sens de l'anticipation – qui, vous en conviendrez, n'est pas une qualité inutile pour une organisation de sécurité.

Surtout, c'est la première fois que je suis amené à m'exprimer devant l'Assemblée nationale française en tant que secrétaire général de l'OTAN – et, je crois, la première fois depuis plus de quinze ans qu'un secrétaire général a cette chance. J’ignore si la France reprendra toute sa place dans l'OTAN – ce dont, à titre personnel, je me féliciterai – mais, en ce qui me concerne, je suis heureux de prendre toute ma place à l'Assemblée nationale.

Je sais que, dès la semaine prochaine, les ministres des affaires étrangères et européennes Bernard Kouchner, et de la défense Hervé Morin, viendront parler devant vous de l'avenir de la France dans l'OTAN. Il m'a donc semblé intéressant de vous faire part de mes propres réflexions sur cette relation et de vous montrer qu'une Alliance rénovée a besoin de la France et que la France aurait tout à gagner si elle menait jusqu'à son terme son rapprochement avec les structures de l'OTAN. Auparavant, permettez-moi de vous dire quelques mots de cette Alliance que j'ai le privilège de diriger depuis maintenant plus de cinq ans.

L'OTAN d'aujourd'hui n'est plus celle de 1966, ni même celle de 1995, lorsque la France a amorcé son premier mouvement de rapprochement. L'Alliance a quitté sa posture de guerre froide, centrée sur la défense du territoire, tout en conservant sa mission originelle, voire son fondement, qui est la défense collective en cas d'agression, établie par l'article 5 du traité de Washington. Elle a entrepris de contribuer à la stabilité internationale et de défendre les intérêts de ses membres au-delà du territoire de l'OTAN, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et, tout récemment, au large des côtes de la Somalie, dans le cadre de la lutte contre la piraterie. Le plus souvent, d'ailleurs, elle l'a fait en mettant en œuvre des mandats des Nations Unies.

Cette évolution me semble logique. Que l'on ne s'y trompe pas, elle ne signifie nullement que l'OTAN a soudainement développé l'ambition de devenir le gendarme du monde. L’évolution était nécessaire parce que le monde lui-même a changé, et que les menaces ont changé. Le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les trafics transnationaux, la piraterie, les cyberattaques sont autant de nouvelles menaces pour les membres de l'OTAN. Celle-ci aurait failli à sa mission si elle ne s'était pas donné la possibilité de répondre à ces défis. Il s’agit, à bien des égards, d’un processus en cours, où l'Alliance doit définir avec justesse sa valeur ajoutée.

C'est aussi un processus que l'OTAN mène en ayant une conscience aiguë de la nécessité de s'intégrer dans un ensemble plus vaste d'organisations internationales et régionales, dans une « approche globale ». L'OTAN ne peut, ni ne veut, tout faire. C'est actuellement l'une des limites en Afghanistan : on ne peut stabiliser – ce qui est la mission de l'OTAN – que si l'on reconstruit – ce qui est la mission de l'ONU, de l'Union européenne, du gouvernement afghan, de la Banque mondiale et des ONG. L'OTAN doit apprendre à travailler avec tous ces acteurs, dans une démarche cohérente.

J'ai personnellement œuvré à l'amélioration des relations entre l’OTAN et l’ONU : j'ai été le premier secrétaire général de l'OTAN à m'exprimer devant le Conseil de sécurité à New York ; j'ai été parmi les premiers à promouvoir le poste de grand coordonnateur de l'aide internationale en Afghanistan – poste créé et actuellement occupé par Kai Eide, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies ; et j'ai travaillé sans relâche à une déclaration sur la coopération entre l’OTAN et l’ONU, que j'ai signée avec Ban Ki-moon en septembre dernier, lors de mon déplacement annuel à l'Assemblée générale des Nations Unies.

Ses missions ayant changé, l'OTAN a revu ses structures en conséquence. C'est ce que l'on appelle dans notre jargon la « transformation » : simplification des chaînes de commandement, encouragement de nouvelles initiatives capacitaires tournées vers la déployabilité des forces, création de la Force de réaction rapide de l'OTAN, la NRF. Les forces intégrées n'existent plus : les capacités sont mises à la disposition de l'OTAN pour une mission déterminée par les nations ; seules demeurent quelques forces dédiées, pour des raisons de cohérence, comme en matière de défense aérienne. Il me tient à cœur de poursuivre cet effort réformateur, quand bien même ce serait à mon successeur de le mener à terme et, je l'espère, d'en tirer les bénéfices. Ainsi, dès la semaine prochaine, à Cracovie, je proposerai aux vingt-six ministres de la défense un nouvel ensemble de réformes du fonctionnement du siège de l'OTAN et du secrétariat international. Cette action est fortement encouragée et soutenue par les autorités françaises, ce dont je les remercie.

Pendant que l'OTAN accomplissait sa mue, la France n'est pas restée immobile, loin de là. Membre fondateur toujours actif dans la structure civile – j'en veux pour preuve la présence à mes côtés de l'un de mes plus proches collaborateurs, le secrétaire général adjoint pour la diplomatie publique, M. Jean-François Bureau –, la France s'est depuis 1991 progressivement rapprochée de la structure militaire qu'elle avait quittée.

Depuis 1993, le chef d'état-major des armées a, d'abord au cas par cas, participé à nouveau aux réunions du comité militaire, puis, à partir de 1996, de manière systématique. Depuis 1994, le ministre français de la défense prend une part active aux réunions ministérielles du Conseil de l'Atlantique Nord. Et depuis 2003, ce ne sont pas moins de cent dix officiers français qui sont présents dans les commandements alliés « Transformation » – ACT, à Norfolk – et « Opérations » – ACO, au SHAPE, près de Mons.

À cela s'ajoute une participation forte, voire déterminante, de la France dans les opérations. La France est aujourd'hui le cinquième fournisseur de troupes de l'OTAN ; il y a davantage de troupes françaises sous commandement de l’OTAN que sous commandement de l’Union européenne ou de l’ONU. La France a même commandé des opérations de l'Alliance, comme, récemment, au Kosovo – le général Bout de Marnhac y commandait la KFOR – ou, par le passé, en Afghanistan. L'OTAN ne pourrait se passer de ces contributions.

Ce faisant, la France n'a rien perdu de sa souveraineté, et elle n’en perdrait pas davantage si elle décidait de reprendre toute sa place au sein de l'Alliance. En effet, la décision de participer à une opération ainsi que la nature de l'engagement restent nationales. C'est d'ailleurs le défi quotidien du secrétaire général : faire en sorte que chacun, quel que soit son degré d'engagement, contribue à la bonne marche de l'Alliance, au consensus et à la solidarité globale. L'Espagne ne participe pas aux nouvelles tâches de l'OTAN au Kosovo ; la Kosovo Security Force n'en a pas moins été mise sur pied, il y a quelques semaines, avec l'appui et l'expertise de l'OTAN.

Enfin, la France est pour moi un acteur clef, car elle est la seule à pouvoir symboliser la complémentarité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD. M’étant toujours défini comme européen et atlantiste, cette notion de complémentarité m’est particulièrement chère.

Le besoin d'une PESD forte est en effet devenu une évidence. Une Europe de la défense est dans l'intérêt de l'OTAN. Je dirais même que pour l'OTAN, l'enjeu, ce n'est pas moins d'Europe, comme certains pouvaient le croire il y a dix ans ; c'est au contraire plus d'Europe, en particulier en ce qui concerne les capacités militaires. Le renforcement des capacités de l'OTAN et de l'Union européenne doit être mutuel car, le plus souvent, ces efforts visent à remédier à des lacunes similaires. Je souscris donc pleinement à la tribune publiée la semaine dernière dans Le Monde par le président Sarkozy et la chancelière Merkel.

Ils ont cent fois raison lorsqu'ils écrivent que « nous devons aller vers une véritable coopération, fondée sur une nécessaire complémentarité ». Ce constat est pleinement partagé outre-Atlantique ; je le constate tous les jours : le débat théologique qui avait cours aux États-Unis sur ce sujet est mort. Le président Bush avait eu des mots très forts au sommet de Bucarest, l'année dernière ; il y a quelques jours, à Munich, le vice-président Biden s'est inscrit dans la même ligne.

La présidence française de l'Union européenne, au semestre dernier, a elle-même beaucoup contribué à rehausser le profil de la PESD et à la relancer. Au plan opérationnel d'abord, avec la Géorgie, le lancement de la mission Eulex au Kosovo et celui de l'opération Atalanta au large de la Somalie, qui a pris le relais de la force navale déployée en urgence par l’OTAN. Le bilan n'est pas mince. S'y ajoutent des initiatives de long terme sur les capacités qui me semblent très positives et un vrai souci de développer la coopération entre l’OTAN et l’Union européenne.

C’est ainsi que le secrétaire d'État aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, est venu présenter les priorités françaises devant le Conseil de l'Atlantique Nord – une vraie novation ! La présidence française m'a également invité à venir parler de l'Afghanistan au conseil Affaires générales et relations extérieures de l’Union européenne : c’était une première ! Les Alliés ont perçu ces initiatives très positivement, non seulement en raison de leur portée sur le fond, mais aussi parce que, sur la forme, elles ont contribué à dissiper l’impression que, parfois, la France jouait une organisation contre l'autre, que tout progrès de l'Union européenne devait s'accomplir au détriment de l'OTAN, et qu'il y avait des arrière-pensées.

Une OTAN qui change, une France qui évolue : voilà deux mouvements convergents, qui me semblent pouvoir se renforcer mutuellement davantage encore si la France choisit d'achever la rénovation de ses relations avec l'OTAN – une décision qui, cela va de soi, lui appartient souverainement.

Ils se renforceraient, tout d'abord, parce que l'Alliance bénéficierait d'une plus grande implication de la France dans ses travaux. La France vient ainsi d’élaborer son Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale – je sais que plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, y ont été personnellement associés ; j’ai également eu l’occasion d’exposer mes vues à la commission Mallet lors de ma visite officielle à Paris l’an dernier. La France est désormais dotée d'une doctrine stratégique rénovée, cohérente et globale. De ce fait, ses analyses vont incontestablement enrichir les débats au sein du Conseil. Il ne s'agit nullement de « noyer » les idées françaises dans une « pensée unique otanienne », mais, au contraire, de contribuer à l’amélioration de l'efficacité de l'Alliance dans tous les domaines.

Autre exemple illustrant la spécificité française sur un sujet déterminant : nos relations avec la Russie. La sécurité et la stabilité de la zone euro-atlantique sont directement liées à une coopération saine et équilibrée entre l'OTAN et la Russie. Malheureusement, la crise en Géorgie a porté un coup à cette exigence. Suite à la réunion ministérielle de décembre dernier, les Alliés ont adopté une « approche mesurée et progressive » dans leurs relations avec la Russie. Suivant ce mandat, j'ai renoué le dialogue au niveau politique en rencontrant à Munich, le week-end dernier, M. Serguei Ivanov, le vice-Premier ministre russe. J’espère que le sommet de Strasbourg-Kehl permettra de poursuivre dans la voie d’un dialogue sans concessions mais positif et tourné vers l'avenir. Forte de sa médiation dans la crise géorgienne en tant que présidente de l'Union européenne et de sa connaissance de la Russie, la France a joué un rôle moteur dans ce processus.

J’ai évoqué un enrichissement mutuel : le retour complet de la France dans les structures militaires permanentes et dans les mécanismes de planification de défense de l'Alliance apporterait en effet, me semble-t-il, de nombreuses plus-values pour la France ; leur dénominateur commun est une meilleure cohérence, sans contraintes supplémentaires. Si l’on prend, par exemple, la planification de défense, la France pourrait participer à la définition du niveau d’ambition de l’Alliance, c'est-à-dire du nombre et du type de missions que l’Alliance est en mesure de conduire ; ce faisant, elle pourrait assurer une concordance entre les niveaux d’engagement de l’Union européenne et de l’OTAN. Elle pourrait aussi contribuer à la définition des besoins capacitaires des alliés à moyen et à long termes, ainsi qu’à celle des capacités dont l’Alliance a besoin collectivement. La France gagnerait en visibilité sur les plans de défense des alliés et elle aurait la possibilité d’influer sur eux. Cela ne peut qu’être très positif pour un pays comme le vôtre, qui encourage ses partenaires européens à en faire toujours plus dans le domaine des investissements de défense.

J’ajouterai, pour prendre un dernier exemple, qu’en raison de sa faible représentation dans la structure militaire, la France ne participe pas à la rédaction d’une grande partie des scénarios de gestion de crise dans lesquels elle se trouve par la suite impliquée – ce qui est tout de même paradoxal, compte tenu de la place éminente prise par la France lorsque des opérations sont lancées ! La présence d’experts français à tous les échelons des structures militaires permettrait à la France d’être directement impliquée tant dans la préparation de l’avenir – les travaux d’ACT – que dans la rédaction des scénarios de gestion de crise, la préparation des plans d’opérations et la conduite des opérations sur le terrain – le rôle d’ACO et des commandements subordonnés.

La France, avec l’Allemagne, s’apprête à accueillir, les 3 et 4 avril prochains, le sommet du soixantième anniversaire de l’OTAN, à Strasbourg et Kehl. Cette perspective me réjouit, car je ne vois pas de meilleure concrétisation de la promesse initiale des rédacteurs du traité de Washington : une Europe libre et unie, ayant surmonté ses divisions historiques. Cela aura une portée symbolique. Toutefois, ce sommet ne sera pas seulement pour l’Alliance l’occasion de fêter un anniversaire et d’accueillir en son sein un nouveau président des
États-Unis, mais aussi de faire des choix concernant son avenir et le XXIsiècle. Les chefs d’État et de gouvernement adopteront une Déclaration sur la sécurité de l’Alliance, qui devrait traduire cette vision. Ils devraient aussi, je l’espère, donner le coup d’envoi à l’élaboration d’un nouveau concept stratégique de l’OTAN – l’actuel remontant à 1999. La France doit prendre toute sa part dans cet important débat. Je ne doute pas qu’elle sera au rendez-vous.

M. le président Axel Poniatowski. Merci, monsieur le secrétaire général, pour ce propos liminaire. Nous notons l’importance que vous attachez à une participation plus active de la France au sein de l’OTAN.

Je tiens à saluer les membres de la délégation qui vous accompagne, ainsi que la présence de l’ambassadeur de France auprès de l’OTAN, Mme Pascale Andreani.

La réintégration complète de la France au sein de l’OTAN, qui, comme vous l’avez mentionné, est susceptible d’être annoncée lors du prochain sommet de Strasbourg-Kehl, fait chez nous l’objet d’un important débat. C’est la raison essentielle pour laquelle nous avons le plaisir de vous accueillir.

Je vous poserai deux questions.

La première concerne la transformation de l’OTAN. Au-delà des réformes de fonctionnement, où en est la révision du concept stratégique ? Une nouvelle version sera-t-elle présentée, voire adoptée, lors du prochain sommet ?

Ensuite, certains membres de l’OTAN font montre de réticences quant à la poursuite de la construction de l’Europe de la défense. Quelle appréciation portez-vous sur celle-ci, parallèlement à l’évolution de l’OTAN ?

M. Michel Voisin, vice-président de la Commission de la défense. Monsieur le secrétaire général, je vous souhaite à mon tour la bienvenue, au nom des commissaires de la défense. Le président Guy Teissier ayant d’autres obligations, il m’a prié de vous présenter ses excuses.

Son soixantième anniversaire sera pour l’OTAN une étape importante. Le retour de la France dans le commandement intégré devrait avoir des conséquences sur les effectifs français présents au sein des différentes structures de l’Alliance. Disposez-vous d’ores et déjà d’une évaluation chiffrée et pouvez-vous nous donner des précisions sur les postes de commandement qui pourraient être confiés à des officiers généraux français ?

La poursuite du processus de transformation de l’OTAN est une nécessité si l’on souhaite que ses outils militaires assurent efficacement l’ensemble de ses missions, qu’elles relèvent de la défense collective ou de la gestion de crise. Nous connaissons tous votre attachement à cette évolution, mais nous avons également le sentiment d’une certaine stagnation. Quelle impulsion envisagez-vous de donner aux projets de réforme ?

M. Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l'OTAN. Je n’attends pas du prochain sommet de Strasbourg-Kehl – qui aura lieu dans cinquante-cinq jours seulement – des décisions sur le contenu du concept stratégique ; en revanche, j’espère qu’à cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement donneront l’instruction d’en élaborer un nouveau. La Déclaration sur la sécurité de l’Alliance, que je citais à l’instant, pourrait en constituer la base. Le soixantième anniversaire est une date importante, il importe de commémorer le passé, mais c’est tout de même l’avenir qui compte !

S’agissant de l’élaboration du futur concept stratégique, pour l’instant, deux pistes sont envisageables. La première, défendue par le ministre allemand des affaires étrangères, Franck-Walter Steinmeier, consisterait à faire rédiger par un groupe de « sages » un rapport comparable au rapport Harmel de 1967. C’est celle qui a ma préférence. La seconde serait de négocier entre Alliés un nouveau concept stratégique. Dans tous les cas, le nouveau concept stratégique devrait être adopté au sommet de 2010.

Monsieur le président Poniatowski, je suis à la fois atlantiste et européen : à mon avis, il faut considérablement renforcer le partenariat entre l’OTAN et l’Union européenne. La nécessité d’une Europe de la défense a été acceptée par les États-Unis : désormais, le débat est clos. Les problèmes qui subsistent entre l’OTAN et l’Union européenne sont avant tout de nature politique ; ils concernent notamment l’avenir de Chypre. Si l’on veut leur apporter des solutions, des interventions au plus haut niveau politique sont nécessaires : ni Javier Solana, ni moi-même ne pouvons le faire.

Monsieur le vice-président Voisin, il faut faire les choses dans l’ordre. D’abord, le Président de la République française doit, en toute souveraineté, prendre une décision sur le fond : à savoir quelle place la France doit occuper au sein de l’OTAN – permettez-moi, à ce propos, de souligner qu’il est erroné de parler de « réintégration », la France étant déjà un membre important de l’OTAN. Si la France décidait de rejoindre totalement les structures militaires, je peux vous garantir qu’elle se verrait confier, au sein du commandement intégré, des postes correspondant à sa position éminente au sein de l’Alliance. Mais, à l’heure actuelle, il m’est impossible de vous préciser lesquels : il faut, préalablement, prendre la décision politique.

M. Jean-Michel Boucheron. Avant tout, monsieur le secrétaire général, permettez-moi de vous féliciter pour votre parfaite maîtrise de notre langue.

Dans un discours important de 1962, le président John Fitzgerald Kennedy commit un lapsus, en définissant l’OTAN comme l’alliance des États-Unis et de l’Europe. Il fut immédiatement corrigé par les Britanniques, qui lui rappelèrent que l’OTAN était une alliance entre les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne…, bref, entre différents pays. Nous sommes toujours dans ce débat. En effet, un point n’est pas résolu, et ne le sera pas avant le sommet de Strasbourg-Kehl : il s’agit de la non-duplication des structures.

L’Europe aura-t-elle les moyens politiques et techniques de se doter d’un état-major autonome ? Les pays européens, munis d’une défense commune, peuvent avoir à régler des problèmes politiques et militaires différents de ceux des États-Unis. Or, monsieur le secrétaire général, si l’Europe devait le faire aujourd’hui en dehors des États-Unis, à travers l’OTAN elle ne le pourrait pas.

Un retour complet de la France dans l’OTAN mettrait fin à toute perspective de politique européenne de sécurité et de défense commune et à l’Europe de la défense, parce que la question de la non-duplication serait définitivement réglée : nous ne pourrions plus avoir de moyens propres.

Voilà le réel enjeu. Nous sommes plusieurs ici à refuser d’être soit nulle part, soit derrière les États-Unis – même si le passage de la présidence Bush à la présidence Obama adoucit quelque peu les choses. Il n’y a qu’à examiner l’exemple récent de l’installation d’éléments de défense antimissile en République tchèque et en Pologne : M. Bush a voulu régler un problème de sécurité et d’influence américain ; quand il a vu que les choses tournaient mal, il a essayé de transférer la responsabilité du dossier aux Européens via l’OTAN, en affirmant que c’était à elle de régler la question. Une alliance comme celle-là, je n’en veux pas ! J’aime l’Amérique, j’aime le peuple américain, je suis content que la France soit dans l’Alliance, mais je refuse qu’elle rejoigne le commandement intégré, car ce n’est pas l’avenir que j’escompte pour une Europe que je souhaite indépendante.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le secrétaire général, je vous remercie à mon tour pour votre exposé et pour l’excellence de votre français.

Tout d’abord, je souhaiterais m’associer aux propos de mon collègue Jean-Michel Boucheron. Si nous sommes attachés au renforcement du pilier européen de l’Alliance, nous ne considérons pas pour autant que la défense européenne se résume à cela. L’Europe de la défense doit être autonome. Elle est aujourd’hui faible et fragile ; l’affectation de moyens supplémentaires à l’OTAN viendrait bien évidemment se soustraire à ce que nous pouvons lui consacrer.

Ensuite, vous nous avez dit que, les menaces ayant changé, l’Alliance s’était transformée, sans toutefois donner davantage de précisions, notamment dans votre réponse à la question du président Poniatowski sur le concept stratégique. Il s’agit pourtant d’un point fondamental. Qu’est-ce que l’Alliance atlantique aujourd’hui ? Quels sont ses objectifs ? Localisez-vous géographiquement les menaces que vous avez citées : terrorisme, armes de destruction massive, cyberterrorisme ? Défendez-vous le concept de « monde occidental » ?

Enfin, quelles limites géographiques fixez-vous à l’Alliance ? D’une part, l’extension actuelle de son champ d’intervention, à l’origine borné par le rideau de fer, pose problème – vous-même l’avez reconnu en soulignant qu’elle ne pouvait pas tout faire. D’autre part, jusqu’où s’élargira-t-elle ? Mon collègue Boucheron a rappelé l’affaire de la défense antimissile ; dans la crise géorgienne aussi, la perspective d’une adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine à l’Alliance a été une source majeure de difficultés avec la Russie. S’élargir aux anciennes Républiques de l’Union soviétique, c’est autre chose que d’accueillir les pays d’Europe centrale et orientale ! Certes, Mme Sarah Palin a quitté la scène internationale, mais à la question de savoir si l’article 5 du traité de Washington devrait être appliqué pour la Géorgie, elle avait répondu sans sourciller par l’affirmative ! Concevez que nous nous posions quelques questions s’il faut s’engager dans cette voie ! En outre, considérer que lorsqu’un pays demande à entrer dans l’Union européenne, cela signifie automatiquement qu’il souhaite adhérer à l’Alliance atlantique ne me semble pas aller de soi.

M. Jacques Myard. Monsieur le secrétaire général, merci pour ce plaidoyer pro domo : on a l’impression d’être obligé de se jeter dans vos bras ! Pourtant, comme viennent de vous le dire mes collègues, ce ne sera pas le cas. De M. Boucheron à moi-même, c’est un large éventail politique qui s’exprime ; nous n’appartenons pas aux mêmes formations mais nous partageons les mêmes préoccupations.

L’OTAN s’est considérablement transformée, cela est exact. À l’origine organisation défensive s’inscrivant dans le système des blocs, elle tend à devenir un instrument politico-militaire d’interventionnisme américain – même si, j’en conviens, ces interventions s’effectuent souvent dans le cadre de résolutions prises en application du chapitre VII de la Charte de l’ONU. Il n’en demeure pas moins qu’il y a une dérive forte. Aussi peut-on s’interroger sur la nature d’une organisation qui intervient jusqu’en Afghanistan.

Se pose également la question de son élargissement. Je suis, personnellement, en total désaccord avec l’entrée dans l’OTAN d’États faisant partie, qu’on le veuille ou non, de la sphère d’influence russe. Jusqu’où ira-t-on ? Alors que nous étions sortis d’un monde dangereux, dominé par des blocs, pour entrer dans un système de puissances relatives, nous reconstituerions un bloc monolithique à forte connotation occidentale ? Notre intérêt n’est pas de nous lier les mains dans ce genre de projets !

Enfin, dans une telle perspective intégrationniste et euro-atlantiste – dont, à titre personnel, je me suis guéri depuis longtemps –, comment concevoir une défense européenne si aucun de nos partenaires européens n’admet la possibilité de se doter d’instruments autonomes et que les Américains y sont hostiles ? C’est faire litière de l’identité européenne de sécurité et de défense, sans même parler de la défense européenne commune !

Vous l’avez dit : la réintégration complète de la France dans l’OTAN relève d’une décision politique. Je ne vois pas ce que nous y gagnerions par rapport à la situation actuelle où, comme le soulignait Donald Rumsfeld, « c’est la mission qui détermine la coalition » : si les Français veulent participer à une action militaire, ils le peuvent, sans faire pour autant partie d’une machine risquant d’apparaître aux yeux du monde entier comme la reconstitution d’un bloc occidental – alors qu’il faudrait faire preuve de davantage de souplesse et d’intelligence dans la gestion des crises.

M. Jaap de Hoop Scheffer. Ma première réaction à votre intervention, monsieur Boucheron, serait de dire que l’Europe est plus forte que ce que vous affirmez et que cette force devrait dissiper la crainte que la politique européenne de sécurité et de défense se trouve bloquée. La question est plutôt de savoir si l’Europe veut cette politique. À mon avis, elle y est forcée. Ce n’est de toute façon pas l’OTAN qui pourrait affaiblir le processus car ce sont les mêmes soldats. Pour l’instant, les soldats français ne portent pas plus d’insigne de l’Union européenne que d’insigne de l’OTAN. C’est une des raisons pour lesquelles je suis si favorable à un partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN.

En outre, d’un point de vue intellectuel, en quoi les États-Unis seraient-ils en mesure de bloquer un processus de développement européen que vous et moi souhaitons ardemment ? Je le répète, je suis européen et atlantiste et je ne crois pas que l’Europe doive craindre une domination des États-Unis. L’OTAN, on le sait, n’est pas une organisation supranationale. Je vous renvoie à la question irakienne, au sujet de laquelle la France et d’autres pays de l’OTAN ont adopté une position différente de celle des États-Unis.

À la différence de l’Union européenne, l’OTAN n’a pas une ambition d’intégration. Aucune duplication n’est à craindre. Ce qu’il faut – et j’en suis d’accord avec vous, monsieur Boucheron –, c’est une relation plus étroite entre l’Union européenne et l’OTAN. Si l’Union prenait la décision d’instituer un commandement européen, l’OTAN ne pourrait certainement pas exercer de blocage.

M. Jean-Michel Boucheron. Juridiquement au moins, c’est exact.

M. Jaap de Hoop Scheffer. L’opposition vient de certains pays de l’Union, pas de l’OTAN. Et je n’ai pas l’impression que c’est parce que ces pays sont membres de l’OTAN. Il ne me semble pas qu’il y ait une relation directe entre le fait que la France reprenne toute sa place au sein de l’OTAN et la question du développement d’une Europe forte en matière de défense et de sécurité.

En matière de défense antimissile, j’espère qu’un accord pourra se dégager. Sur ce sujet important, j’ai dit d’emblée qu’il fallait « otaniser » le débat. En effet, le troisième site américain est insuffisant pour assurer la protection de tous les pays membres de l’Organisation.

M. Jean-Michel Boucheron. C’est la négation de la dissuasion…

M. Jacques Myard. …et la relance de la course aux armements !

M. Jaap de Hoop Scheffer. Je ne suis pas d’accord. Les risques liés aux missiles et à la prolifération des armes de destruction massive sont réels. La France se défend contre ces risques. L’OTAN en tant que telle – et non les États-Unis – le fait aussi. À mes yeux, tous les pays de l’OTAN sont dans la même catégorie : il n’y a pas de « première division » et de « deuxième division ».

Pour ce qui est du troisième site, vous n’ignorez pas que la réflexion du Président Obama est en cours et que l’on ne peut préjuger l’avenir de ce projet. Quoi qu’il en soit, la défense antimissile est un sujet important pour l’OTAN. Que se passerait-il s’il venait à l’idée de l’Iran, de la Corée du Nord ou d’autres États de nous intimider ?

Je considère comme vous, monsieur Boucheron, que la dissuasion nucléaire reste indispensable. Le conseil stratégique de l’OTAN a considéré en 1999 que les forces nucléaires indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale et la sécurité des Alliés. On ne saurait remettre en cause une seule seconde cet élément d’importance stratégique pour la France. Cela étant, il faut discuter de la défense antimissile.

Vous me demandez, madame Guigou, si l’OTAN a une finalité politique. Vous avez une grande expérience européenne et savez fort bien que c’est une question difficile pour l’Union elle-même. L’article 10 du Traité de Washington donne la possibilité à toute démocratie européenne de devenir partie au Traité. Mais ce n’est en aucun cas automatique, et c’est à juste titre que le président Sarkozy a indiqué la semaine dernière à Munich qu’il ne s’agit pas d’un droit. Il y a un an, à Bucarest, les chefs d’État et de gouvernement de l’OTAN ont clairement indiqué – sans préciser d’échéance – que l’Ukraine et la Géorgie pourraient être membres de l’Organisation.

M. Jacques Myard. Et la Russie ?

M. Jaap de Hoop Scheffer. Personnellement, je ne l’exclus pas. Si la Russie souhaite se rapprocher de l’OTAN, pourquoi lui opposer un refus de principe ? Je n’ai jamais constaté le souhait d’un tel rapprochement au-delà de la convention OTAN-Russie, mais pourquoi ne pas envisager qu’un pays tiers rejoigne la famille démocratique qui a pour nom OTAN ? Certes, l’environnement politique actuel ne s’y prête pas et c’est bien pourquoi les chefs d’État et de gouvernement, parmi lesquels le président Sarkozy, se sont accordés sur le principe que l’Ukraine et la Géorgie pourraient un jour ou l’autre – eventually – rejoindre l’OTAN. Nous intensifions nos relations avec ces deux pays sans qu’il soit question de droit de regard ou de droit de veto. Devons-nous considérer que c’est une ligne rouge pour nous parce que c’est une ligne rouge pour la Russie ? Je ne le crois pas. S’ils remplissent les conditions – et ces conditions, comme pour l’entrée dans l’Union européenne, sont lourdes –, l’Ukraine et la Géorgie pourront, par principe, rejoindre l’OTAN.

Au premier rang des missions clé de l’OTAN figure la défense du territoire des pays membres, puis la projection de la stabilité – avec cette limite, madame Guigou, que l’OTAN n’est pas le gendarme du monde : n’oublions pas que, hormis la mission navale en Méditerranée, toutes ses missions et opérations s’appuient sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

J’espère vous avoir aussi répondu, monsieur Myard. Vos questions sont primordiales et c’est sur elles que le débat doit se concentrer.

M. Daniel Garrigue. Votre présence à l’Assemblée nationale est un signe des temps, monsieur le secrétaire général.

Vous avez parlé d’« Europe libre ». Les tenants d’une défense européenne considèrent que nous nous trouvons dans un monde multipolaire et que l’Europe, compte tenu de son histoire et de l’ouverture particulière qu’elle a sur le monde, a un rôle propre à jouer. À bien des égards, la position militaire et diplomatique de la France est l’amorce de ce que peuvent être une défense et une politique étrangère européennes. Or ce que vous évoquez devant nous et ce que M. Sarkozy et Mme Merkel évoquent dans leur tribune commune, c’est en réalité un partage de concepts stratégiques, un partage des scénarios. Comment continuer à parler d’« Europe libre » et de défense européenne alors que ces concepts et scénarios seront, dans le meilleur des cas, euro-atlantiques. Le changement de perspective est considérable.

En matière de défense antimissile, nous sommes aussi en plein paradoxe. On prône l’union entre l’OTAN et l’Union européenne et, dans le même temps, les États-Unis ne s’embarrassent pas de prendre des initiatives par-dessus l’OTAN et par-dessus l’Union en menant leurs projets en République tchèque et en Pologne. Je ne nie pas que l’on puisse concilier dissuasion et défense antimissile, pour peu que l’approche soit européenne et s’inscrive dans le cadre d’un dialogue avec les Russes, qui sont les premiers concernés. Mais, dans les conditions actuelles, le retour dans le commandement intégré de l’OTAN ressemble à un marché de dupes : rien ne garantit que les États-Unis ne prendront plus d’initiatives de cette sorte.

M. Loïc Bouvard. Je voudrais à mon tour vous féliciter pour la qualité de votre français, monsieur le secrétaire général.

Jusqu’à présent, ce sont des collègues « OTANsceptiques » qui se sont exprimés. Pour ma part, j’approuve entièrement la position du Président de la République pour rendre la présence de la France plus complète et plus forte au sein de l’OTAN. Cela étant, à droite comme à gauche, nous sommes très attentifs à la préservation de l’indépendance de la France. Bien que je doute que cette indépendance puisse se trouver compromise, je souhaite vous poser trois questions essentielles qui recoupent celles qui ont déjà été posées.

Premièrement, quel avantage la France peut-elle obtenir du renforcement de son rôle dans l’OTAN ? Vous avez parlé de « plus-value ». Pourriez-vous démontrer en détail que la France y trouvera pleinement son compte ?

Deuxièmement, en quoi cette entrée pourra-t-elle contribuer à l’élaboration d’une Europe de la défense, condition que le Président de la République a posée à l’évolution de la position française ?

Troisièmement, en quoi ce mouvement de la France en direction de l’OTAN permettra-t-il de rééquilibrer l’Alliance qui, pour l’instant, est bancale ? Allons nous transformer le leadership américain en un véritable partnership entre les États-Unis et l’Europe ? En d’autres termes, l’entrée de la France permettra-t-elle d’« européaniser » l’OTAN ?

Mme Marie-Louise Fort. Vous avez affirmé fortement que la France maintiendrait son indépendance même si elle rejoignait le commandement intégré de l’OTAN. Il est vrai que la situation actuelle n’est pas dépourvue d’une certaine hypocrisie. Nous ne sommes pas pleinement dans l’OTAN bien que les Présidents successifs, depuis Georges Pompidou, aient fait de nombreux pas dans cette direction. J’aimerais que vous nous décriviez très précisément quelles seront les conséquences de ce retour sur l’indépendance nationale. Car c’est bien la considération de l’indépendance nationale qui avait poussé le général de Gaulle à retirer nos forces de l’organisation militaire intégrée – plus de quarante ans ont passé et l’on peut mesurer maintenant ce que cette décision avait de visionnaire. Au reste, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale traduit ce souci d’indépendance nationale en mettant en avant trois principes auxquels nos concitoyens sont sans nul doute très sensibles : une totale liberté d’appréciation sur l’envoi de nos troupes en opération ; le fait de ne pas avoir de contingent placé en permanence sous commandement de l’OTAN en temps de paix ; le maintien du caractère strictement national de la dissuasion nucléaire.

En outre, la sphère de l’OTAN a beau être limitée, de nombreux pays du Sud coopèrent avec l’Organisation. Pourriez-vous préciser cet aspect ?

Le retour de la France dans les structures intégrées de l’OTAN permettrait sans doute de conforter parallèlement le poids de notre pays en tant qu’acteur sur la scène internationale. La France a un rôle à jouer en Europe et elle peut très bien, au sein de l’OTAN, constituer un contrepoids positif aux États-Unis.

M. Gérard Voisin. Pourriez-vous préciser, monsieur le secrétaire général, votre point de vue sur la partition scandaleuse de Chypre ? Voyez-vous des solutions ?

M. Yves Fromion. Je souhaite moi aussi marquer une certaine différence par rapport aux premières interventions. Il faut être réaliste, pragmatique, et c’est une illusion de croire que l’Europe de la défense pourra progresser si nos alliés européens nous soupçonnent, comme c’est le cas actuellement, d’avoir un agenda caché pour miner l’OTAN. Vous avez bien souligné, monsieur le secrétaire général, que les pays membres de l’OTAN ne sont pas mécaniquement obligés de participer aux actions décidées par l’Organisation. Il faut donc se garder de tout procès d’intention et de toute caricature.

Le général de Gaulle avait sans doute pris la bonne décision. Mais, aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. La France est engagée dans de nombreuses opérations – c’est le cas en Afghanistan – sans disposer d’une prise suffisante sur le plus haut niveau de décision. C’est une sujétion qui ne me paraît pas acceptable pour mon pays.

Enfin, la plupart des pays européens ont adopté le traité de Lisbonne. Celui-ci comprend des dispositions importantes relatives à l’organisation d’une défense européenne, notamment la « coopération structurée permanente », largement méconnue par les parlementaires des pays européens que j’ai visités. Quelle est la position de l’OTAN vis-à-vis de ces bases institutionnelles d’une défense européenne posées pour la première fois ?

M. Jaap de Hoop Scheffer. S’agissant de la PESD, je remarque que l’Union européenne n’a jamais eu autant de missions qu’à l’heure actuelle : Kosovo, Bosnie, Géorgie, Proche-Orient, Afghanistan, Tchad… Je le répète, bien qu’elle puisse l’être encore plus, l’Europe est déjà forte. Il y a six ou sept ans, on n’aurait pas pu envisager la gestion simultanée de toutes ces opérations. Voilà pourquoi il m’est difficile d’imaginer qu’une France reprenant toute sa place au sein de l’OTAN bloquerait le développement de l’Europe de la défense.

À l’heure actuelle, la France joue dans l’OTAN un rôle politique et militaire très important. Elle est intégrée à 100 % politiquement, mais pas militairement. Si tel était le cas, cela aurait-il des conséquences aussi néfastes qu’on le dit sur l’Union européenne ? La France n’est pas un acteur de troisième ou de quatrième rang dans l’OTAN, bien au contraire ! Sans elle, les opérations et les missions de l’OTAN ne sont pas possibles.

M. Loïc Bouvard pose la question des avantages que la France pourrait retirer de sont intégration au commandement militaire. Tout d’abord, elle participerait pleinement à la discussion des « directives ministérielles » qui fixent les objectifs et les types d’opération. Il va sans dire, aussi, que des officiers généraux français seraient les bienvenus dans les structures de commandement. Enfin, il nous faut transformer le système de planification de la défense hérité de la Guerre froide, et je souhaite que la France participe pleinement à cette discussion. Elle pourrait ainsi influer sur les directives données aux autres alliés, États-Unis compris. Étant donné l’importance des troupes françaises en opération, ce serait un grand plus.

Pour ce qui est de la défense antimissile, lorsque j’ai appris l’existence de pourparlers au sujet d’un troisième site américain en Europe, j’ai dit d’emblée à l’administration du président Bush : si l’on veut être sérieux, il faut « otaniser » le débat. J’ignore quelle sera la position du président Obama. Le vice-président Biden a indiqué qu’il n’était pas entièrement convaincu de l’efficacité du système et que l’information sur les coûts était insuffisante. Pour ma part, je soutiendrai toujours que la défense antimissile est une priorité de l’OTAN et qu’elle ne saurait avoir un effet négatif sur la dissuasion.

La France, madame Fort, décidera seule de sa participation aux missions et opérations de l’OTAN. Notre organisation repose sur un principe sacré, celui du consensus. Quant à la dissuasion nucléaire française, elle n’est pas du ressort de l’OTAN, non plus que la gestion des opérations de maintien de la paix. Dès lors, je ne crois pas que le dernier pas qui consiste à rejoindre la structure militaire intégrée fasse une grande différence ni pour la France, ni pour l’OTAN, ni pour l’Europe. Vraiment, je ne vois pas comment le fait que la France reprenne toute sa place affaiblirait l’Europe de la sécurité et de la défense. Cela dit, il s’agit d’une décision nationale souveraine. Il me revient ensuite, en tant que garant des procédures, d’en appliquer les conséquences au niveau de l’OTAN. J’ai une grande admiration pour le général de Gaulle et je me sens un peu gaulliste, mais je crois qu’il est temps que la France et l’OTAN profitent d’une rénovation de la relation entre la France et l’Alliance.

L’OTAN, en tant que telle,, monsieur Fromion, ne peut prendre position sur la coopération structurée permanente. À titre personnel, je pense qu’il est très positif que l’Europe se donne les moyens de telles coopérations car j’espère que l’Europe de la sécurité et de la défense ne se résumera pas à un « pouvoir doux » – soft power. Il faut qu’elle soit également active dans le hard power, faute de quoi on assistera à un partage des responsabilités entre l’Union européenne et l’OTAN qui me semble peu souhaitable. Pour moi, l’Europe de la défense doit assumer des opérations plus importantes que des opérations de maintien de la paix. Je suis aussi favorable à la formule des groupements tactiques. En Afghanistan, la formation de la police est certes importante mais je souhaiterais que l’Union européenne soit également active dans les opérations militaires que nous sommes obligés de mener.

Enfin, monsieur Gérard Voisin, l’OTAN n’est pas impliquée dans la difficile question de Chypre. Cependant, l’absence de solution à ce problème n’est pas sans conséquences sur les relations entre l’Union européenne et sur l’OTAN. Il ne s’agit pas d’accuser quiconque, mais une solution est nécessaire pour que ces relations s’améliorent.

M. le président Axel Poniatowski. Nous vous sommes reconnaissants, monsieur le secrétaire général, d’avoir répondu ainsi à nos questions, en français et sans langue de bois.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion, la commission a nommé :

– M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d’une part, et la République du Monténégro, d’autre part (n° 1374) ;

– Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, rapporteure du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres relatives à la garantie des investisseurs entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco (n° 1379) ;

– M. Tony Dreyfus, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur l'enseignement bilingue entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie (n° 1386) ;

– M. Claude Birraux, rapporteur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière (n° 1437).

– M. Michel Vauzelle, rapporteur du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Australie concernant la coopération en matière de défense et le statut des forces (n° 1438) ;

– M. François Rochebloine, rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de la Convention entre le Gouvernement de la République française et l’organisation internationale de la francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la Francophonie à Paris ;

La séance est levée à douze heures.

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