Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Emirats Arabes Unis (n° 1243)
La séance est ouverte à dix heures
La commission examine, sur le rapport de Mme Martine Aurillac, le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat des Emirats Arabes Unis (n° 1243).
Mme Martine Aurillac, Rapporteure. Mon intervention sera courte, car la convention d’entraide judiciaire en matière pénale, qu’il nous est demandé de ratifier, est classique. J’ai néanmoins tenu à l’examiner avec attention car elle prend place dans un contexte particulier.
Tout d’abord, elle est signée avec un Etat, les Emirats Arabes Unis, qui ne ressort pas de l’influence traditionnelle de la France, mais avec lequel notre coopération est en plein essor.
Ensuite, elle est signée avec un Etat dont le système juridique est complexe, et qui applique encore la charia en certaines circonstances. Cette réalité exigeait des négociateurs du Quai d’Orsay et de la Chancellerie une grande prudence dans l’élaboration de la convention.
J’évoquerai rapidement notre coopération avec les Emirats Arabes Unis, qui rappelons le, sont une fédération de sept émirats, dont les plus importants sont Abou Dhabi, Dubaï et Charjah.
Le dynamisme économique des Emirats Arabes Unis (EAU) a conduit de nombreuses sociétés françaises à investir et à s’implanter dans ce pays, avec comme corollaire une communauté française dont les effectifs ne cessent de croître. Banques et services financiers, hôtellerie, architecture, immobilier, transport aérien, nombreux sont les secteurs où nos entreprises remportent des contrats.
Prenant acte du rôle croissant des Emirats dans le monde arabe, et son positionnement comme plate-forme d’échanges et de services entre l’Europe et l’Asie, la France a entrepris ces dernières années une politique de rapprochement avec cet Etat avec lequel elle n’avait, traditionnellement, que des liens épisodiques, marqués par la signature de grands contrats, comme des ventes d’Airbus. Il est vrai que les Emirats constituaient un ancien protectorat britannique dont l’influence demeure importante dans le domaine de la défense.
Ces dernières années, la coopération entre la France et les Emirats s’est intensifiée, avec l’ouverture d’une université de La Sorbonne à Abou Dhabi, la réalisation prochaine d’un musée du Louvre à Abou Dhabi, en contrepartie d’un versement financier qui bénéficiera aux activités du Louvre à Paris, et enfin l’ouverture d’une base navale, toujours à Abou Dhabi, consacrant ainsi le partenariat stratégique et la relation de confiance qui s’est établie entre les deux pays.
Il était nécessaire, dans ce contexte, de formaliser certaines des relations entre la France et les Emirats, notamment dans le domaine judiciaire. Aucune convention ne régissait jusqu’à présent les crimes et délits commis par des citoyens français ou émiriens sur le sol d’un des deux pays. L’entraide judiciaire ne reposait que sur des relations de réciprocité, dans le cadre de la courtoisie.
La convention signée entre les deux pays le 2 mai 2007 répond à une double demande : celle des autorités des Emirats, soucieuses de moderniser leur système judiciaire ; celle de la France, qui souhaite formaliser ses relations judiciaires avec les Emirats afin de pouvoir disposer d’un cadre lorsque nos juges d’instruction enquêtent sur des affaires financières ou de terrorisme.
J’en viens au contenu de la convention. Pour bien la comprendre, il convient de rappeler qu’elle est signée avec un Etat dont le système est fédéral, mais qui garde une tradition de justice tribale au sein de chaque Emirat. Ceci n’a rien d’étonnant et reflète l’évolution très rapide des Emirats. D’une société nomade et pastorale, vivant en autarcie selon des traditions tribales millénaires, ce pays est passé en une quarantaine d’année au stade d’une société développée, au cœur d’importantes routes commerciales. Les traditions demeurent néanmoins vivaces, ce qui explique le maintien de tribunaux locaux dont les procédures sont anciennes, au côté d’un système plus moderne.
Le système judiciaire des Emirats s’est constitué comme un mille feuilles, les autorités utilisant avec pragmatisme l’expérience d’autres Etats. Il combine des principes de la Common Law britannique avec des traditions tribales, mais compte tenu de la présence de magistrats égyptiens, ils connaissent également les principes du droit français, car l’Egypte, dès le XIXème siècle, s’est inspirée de notre droit.
Ce système est ainsi construit : il n’y a qu’un seul ordre de juridiction au niveau fédéral, divisé en trois niveaux : des tribunaux de première instance ; des tribunaux de grande instance avec trois juges (Cour fédérale d’appel) ; une Cour suprême fédérale, qui fait office de Cour de cassation.
La plupart des compétences judiciaires des sept Emirats ont été transférées à la juridiction fédérale. Néanmoins, trois Emirats ont conservé en certains domaines des compétences propres.
A côté de cet ordre de juridiction fédérale, il subsiste des tribunaux locaux, de tradition tribale, compétents le plus souvent pour les affaires de personnes ou de familles, et qui sont susceptibles d’appliquer la charia, dont la philosophie est étrangère à notre ordre public, puisque certaines des peines prévues vont jusqu’aux châtiments corporels.
Pour ce qui concerne la convention, la plupart des articles relèvent du dispositif classique en matière d’entraide pénale. Je me suis surtout arrêtée aux articles 1er, 3 et 5, les plus importants.
L’article 1er définit le champ de l’entraide. Il est inspiré de la rédaction de la Convention européenne de 1959, reprise dans de nombreuses conventions bilatérales postérieures signées par la France.
Les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale couvrent traditionnellement la coopération entre Etats dans le recueil des éléments de preuve et la réalisation d’actes d’enquête dans le cadre des procédures pénales. Elle exclut donc la coopération judiciaire aux fins de recherche et d’arrestation des personnes, ainsi qu’aux fins d’exécution des décisions de condamnation. Celle-ci relève classiquement du domaine de l’extradition.
De même, la coopération aux fins d’exécution des décisions de condamnations ne relève pas, en principe, de l’entraide pénale, même si des tempéraments ont parfois pu être apportées à cette règle, notamment dans le cadre de certaines conventions multilatérales adoptées au sein de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Seules font exception à cette règle les conventions comportant des dispositions de coopération aux fins d’exécution des décisions de confiscation des instruments et des produits du crimes, ce qui est le cas dans la présente convention.
Actuellement, neuf citoyens français sont détenus aux Emirats.
L’article 3 est relatif au refus d’entraide. Les motifs de refus (infractions politiques ou connexes, atteinte à la souveraineté, l’ordre public ou la sécurité) sont classiques et se retrouvent dans d’autres conventions bilatérales. Néanmoins, cet article a attiré l’attention de votre Rapporteur en raison de l’environnement géopolitique des Emirats, particulièrement exposés au terrorisme, et du risque encouru par nos ressortissants de subir des peines ne relevant pas de notre ordre public.
L’article 3 n’a ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle à la coopération judiciaire entre la France et les Emirats Arabes Unis en matière de lutte contre le terrorisme. La possibilité d’un refus éventuel d’entraide répond à une demande de la France, en raison des contraintes d’ordre constitutionnel qui découlent des conditions essentielles d’exercice de notre souveraineté nationale. Il s’agit de protéger nos ressortissants dans les cas où ils encourraient les peines suivantes :
– lorsque l’infraction pour laquelle l’entraide pénale est demandée est punie dans le droit de la partie requérante par la peine capitale ou par des peines contraires à notre conception de l’ordre public (châtiments corporels, travaux forcés…) ;
– lorsque l’infraction est, par sa nature même, contraire aux exigences de respect des droits fondamentaux (par exemple, l’apostasie, l’appartenance à une religion donnée ou le fait d’en respecter la pratique, etc...) ;
– lorsque les poursuites ont été engagées en raisons des opinions politiques ou religieuses ou des convictions philosophiques de la personne concernée et que la demande d’entraide tend à recueillir des éléments de preuve susceptibles d’être utilisées à cette fin ;
– lorsque l’acte d’enquête demandé est, de par sa nature, contraire à l’ordre public (par exemple, s’il vise à faire auditionner un médecin sur des informations détenues par lui et couvertes par le secret médical) ;
– lorsque les informations dont la communication est sollicitée sont, par exemple, protégées par le « secret de la défense nationale » ou concernent des questions présentant un niveau élevé de sensibilité (ce peut être le cas, par exemple, pour certaines informations ayant trait à la conduite de la diplomatie française).
J’en viens enfin à l’article 5, qui contient deux dispositions classiques, quoique différentes :
– le paragraphe 1 concerne la confidentialité de la demande d’entraide elle-même. Il oblige la partie requise à préserver la confidentialité de cette demande lorsque la partie requérante le sollicite expressément. Cette disposition a pour but d’éviter que la teneur des demandes d’entraide visant à l’accomplissement d’actes d’enquête, ne soit rendue publique dans des conditions qui pourraient compromettre le bon déroulement des mesures d’investigation.
– le paragraphe 2 permet à la partie requise de demander que des éléments de preuve communiqués à la partie requérante en exécution de la demande restent confidentiels ou ne soient utilisés que selon les termes ou conditions qu’elle aura spécifiées. Ces dispositions, combinées avec le principe de spécialité énoncé par le paragraphe 3, constituent une garantie supplémentaire contre le risque d’utilisation des éléments de preuve communiqués, par la partie requérante, aux fins de prononcé d’une peine capitale, qui n’existe plus en France.
Ces dispositions n’ont pas pour objet de restreindre les droits de la défense et l’accès des parties au procès au dossier de la procédure dans le cadre des exigences du débat contradictoire, notamment lors de la procédure de jugement dans la partie requérante. Votre Rapporteur a tenu à ce que le ministère de la Justice et le ministère des Affaires étrangères confirment cette analyse, lors de l’entretien qu’elle a tenu avec les négociateurs de la convention.
Tel sont les points les plus importants de cette convention, que je vous propose d’adopter, car elle préserve les principes les plus importants de notre droit pénal, elle assure à nos ressortissants une bonne protection et permet d’instaurer avec un Etat un partenariat en matière judiciaire, ce qui est nouveau dans cette région du monde, où les systèmes français et britanniques sont en concurrence.
Après une intervention de M. François Rochebloine sur le nombre de citoyens français détenus aux Emirats, la commission, conformément aux conclusions de la Rapporteure, adopte le projet de loi (no 1243).
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Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (n° 1293)
La commission examine, sur le rapport de M. Michel Delebarre, le projet de loi autorisant l’approbation des amendements aux articles 25 et 26 de la convention sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux (n° 1293).
M. Michel Delebarre, Rapporteur. Face à la double nécessité de promouvoir une gestion durable de la ressource en eau et de prévenir les conflits qui s’y rapportent, la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-NU), organe subsidiaire du Conseil économique et social réunissant 56 Etat, s’est précocement préoccupée de résoudre les problèmes posés par le caractère essentiellement transfrontière des ressources en eau.
Dans cette perspective, la convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux, signée le 17 mars 1992 à Helsinki, est venue fixer le cadre de la coopération entre les pays membres de la CEE-NU en matière de prévention et de maîtrise de la pollution des cours d’eau transfrontières.
Traduisant la conviction que « la coopération entre les Etats riverains des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux contribue à la paix et à la sécurité ainsi qu’à une gestion durable de l’eau », 26 Etats membres de la CEE-NU ont adopté la convention du 17 mars 1992 en vertu de laquelle les Etats doivent veiller à ce que la gestion des eaux transfrontières soit effectuée de manière rationnelle et respectueuse de l’environnement, faire un usage raisonnable et équitable des eaux transfrontières et assurer la conservation ou la remise en état des écosystèmes.
La convention met notamment en avant les principes suivants : le principe de précaution, le principe de pollueur-payeur, ainsi qu’une gestion des ressources en eau respectueuse des générations futures.
La convention encourage la coopération des États riverains, au moyen d’accords bilatéraux ou multilatéraux, pour la mise en place de politiques, programmes, et stratégies harmonisés de protection des eaux transfrontières.
C’est cet objectif que poursuivent les amendements aujourd’hui soumis à l’examen de l’Assemblée nationale en élargissant la zone géographique couverte par la convention aux pays limitrophes de la région CEE-NU.
Adoptés le 28 novembre 2003, à la suite d’une proposition suisse en date du 20 août 2003, les amendements portent sur les articles 25 (ratification, acceptation, approbation et adhésion) et 26 (entrée en vigueur) de la Convention.
Le premier amendement complète l’article 25 par un paragraphe qui prévoit que tout Etat, membre des Nations unies mais non membre de la CEE-NU, peut adhérer à la Convention avec l’accord de la réunion des Etats parties. Le paragraphe nouveau précise également que la demande d’adhésion d’un Etat ne sera pas examinée avant l’entrée en vigueur de ces amendements à l’égard de tous les Etats et de toutes les organisations qui étaient parties à la Convention au 28 novembre 2003 Le second amendement modifie par coordination l’article 26 de la Convention.
Pour la France, ces amendements devraient permettre de gérer la ressource aquatique de manière plus efficace puisque certains bassins versants sont partagés entre des territoires français et des États hors CEE-NU, comme la Guyane et le Brésil ;
Si l’objet des amendements, aujourd’hui soumis à la commission des Affaires étrangères est limité, ceux-ci contribuent modestement à renforcer la coopération autour de l’utilisation des cours d’eau qui constitue au XXIème siècle un gage de paix entre les nations partageant des ressources en eau. C’est pourquoi votre rapporteur recommande l’adoption du présent projet de loi.
Conformément aux conclusions du Rapporteur, la commission adopte le projet de loi (no 1293).
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Information relative à la commission
Au cours de sa séance, la commission nomme M. Loïc Bouvard rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 1216).
La séance est levée à dix heures trente.
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