Audition, conjointe avec la commission chargée des affaires européennes, de M. Ivo Sanader, Premier ministre de Croatie
La séance est ouverte à dix-heures trente.
M. Axel Poniatowski, président de la Commission des affaires étrangères. Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, d’avoir accepté l’invitation de nos deux commissions réunies. Nous sommes heureux de vous recevoir à l’occasion de votre visite en France. Outre vos entretiens avec le Président de la République et le Premier ministre, votre journée comportera aussi l’inauguration de la nouvelle chancellerie de l’ambassade de Croatie à Paris. Cette célébration de l’entente entre nos deux pays fait écho à l’attention portée par la France, au cours de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, à la question de l’adhésion de la Croatie.
Vos réponses à nos interrogations, monsieur le Premier ministre, seront d’autant plus éclairées que vous avez, depuis de nombreuses années, fait du rapprochement avec l’Union européenne votre ligne de conduite politique. Ayant pris vos fonctions actuelles en décembre 2003, environ deux ans avant le début des négociations d’adhésion, vous avez été l’acteur privilégié de ce rapprochement, et la nouvelle victoire de votre parti aux élections législatives de novembre 2007 vous a conforté dans la poursuite de cet objectif.
En parallèle de ce mouvement, la Croatie, invitée à rejoindre l’OTAN lors du sommet de Bucarest, en avril 2008, va en devenir membre à part entière au prochain sommet de Strasbourg-Kehl. La loi française autorisant la ratification du protocole relatif à cette entrée de votre pays dans l’OTAN vient d’être publiée.
Nous sommes également heureux d’accueillir un homme de culture qui, avant de s’engager dans une carrière politique de député puis de ministre, a été directeur de théâtre et qui, au cours de ses études littéraires, s’est notamment intéressé à l’œuvre de Jean Anouilh.
Monsieur le Premier ministre, vous avez la parole.
M. Ivo Sanader, Premier ministre de Croatie. J’ai accepté avec grand plaisir votre invitation, qui me donne la possibilité d’engager un dialogue ouvert avec vous. Permettez-moi d’abord exprimer ma reconnaissance au Parlement français pour le soutien qu’il a apporté à la Croatie en vue de son adhésion à l’Union européenne et de son entrée dans l’OTAN. Je tiens à souligner l’importance de la décision prise par l’Assemblée nationale et le Sénat d’autoriser la ratification du protocole relatif à l’adhésion de la Croatie à l’Alliance atlantique, qui ouvre la voie à d’autres, jusqu’à l’achèvement du processus de ratification. Aussi, je l’espère, nous apprêtons-nous à célébrer dans un mois et demi, à Strasbourg et à Kehl, en même temps que le soixantième anniversaire de l’OTAN, le retour de la France dans sa structure militaire intégrée et l’adhésion de la Croatie, une adhésion qui contribuera également à accroître la capacité de défense européenne. La Croatie est déterminée à soutenir le renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense, ce qu’elle fait déjà en participant aux missions de l’Union européenne au Tchad, en Afghanistan et au Kosovo. Le partenariat transatlantique, auquel notre pays apporte son plein soutien, a besoin d’une Europe forte, unie sur les principes du droit, de la solidarité et de la coopération.
C’est cette vision d’une Europe unie qui a inspiré des générations de Croates. Ils ont rêvé du jour où la Croatie, à nouveau aux côtés de la France et des autres démocraties occidentales, apporterait son concours à la construction de l’Europe de l’avenir. Nous n’oublions pas la déclaration de Robert Schuman, dans laquelle il affirmait : « Il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte hardi, d’un acte constructif. La France a agi, et les conséquences de son action peuvent être immenses. Nous espérons qu’elles le seront. » Elles l’ont été, conduisant à l’intégration européenne. Ce processus doit aujourd’hui se poursuivre et s’approfondir.
À cet égard, je souligne mon plein accord avec le Président Nicolas Sarkozy quant à la nécessité d’achever le processus de ratification du traité de Lisbonne. Je ne le dis pas seulement à Paris : je l’ai dit l’an dernier à Dublin, et je l’ai redit à Prague, à la convention de l’ODS, à l’occasion de la réélection de M. Topolánek à la tête du parti au pouvoir.
Au moment où nous sommes confrontés à une crise financière et économique mondiale, il est plus que jamais indispensable que l’Europe se dote de mécanismes modernes lui permettant d’agir efficacement. Cette crise représente un grand défi, mais c’est également une chance pour approfondir de manière résolue l’intégration européenne. C’est pourquoi je soutiens ardemment le traité de Lisbonne, qui doit permettre le bon fonctionnement d’une Union européenne comptant en son sein la Croatie, vingt-huitième État membre. Le Président Sarkozy a clairement exposé cette perspective en décembre dernier, à Bruxelles et à Strasbourg. La Croatie s’en félicite car elle correspond aux valeurs fondatrices de l’Union européenne.
Notre pays a déjà accompli de grands progrès pour répondre aux critères d’adhésion. C’est pourquoi la Commission européenne a élaboré, en novembre dernier, une feuille de route en vue de la conclusion des négociations en 2009, processus confirmé en décembre par le Conseil européen, sous présidence française.
Toutefois, une semaine seulement après les conclusions de ce Conseil européen de décembre, le Gouvernement de la Slovénie a décidé de bloquer nos négociations d’adhésion en raison d’un contentieux frontalier bilatéral non résolu. Ce faisant, les Slovènes ont négligé le fait qu’ils avaient eux-mêmes rejoint l’Union européenne sans que ce problème ait été réglé. À l’époque, nous ne l’avions pas porté au niveau européen ; au contraire, nous nous étions félicités de l’adhésion de nos voisins à l’Union. Aujourd’hui, les mêmes règles doivent s’appliquer à la Croatie. Les deux processus, celui des négociations d’adhésion et celui du règlement de la question frontalière, sont tout à fait indépendants et doivent être clairement distingués.
Permettez-moi de rappeler que pour éviter toute nouvelle tension, l’ancien Premier ministre slovène Janez Janša et moi-même, forts du soutien des dirigeants des partis de l’opposition, en Slovénie comme en Croatie, sommes convenus en août 2007, à Bled, de soumettre ce litige à la Cour internationale de justice de La Haye. Nous avions alors conclu d’un commun accord – et cette conclusion vaut toujours – que, le droit international et les conventions auxquelles nos deux pays ont souscrit constituant la pierre angulaire de l’ordre européen, la seule solution durable était de nous en remettre à l’arbitrage de la Cour internationale de justice.
Conformément à l’accord de Bled, la Slovénie et la Croatie ont installé des commissions mixtes chargées de préparer la procédure à engager auprès de la Cour de La Haye. Mais, alors que ces commissions sont allées très loin dans l’harmonisation des critères à retenir dans la procédure auprès de la Cour, nous assistons à une tentative visant à résoudre notre litige frontalier en pesant sur le cours de nos négociations d’adhésion avec l’Union européenne. Nous rejetons ce faux dilemme. La Croatie rejoindra l’Union européenne comme la Slovénie l’a fait, et sous les mêmes conditions.
Je tiens à souligner aussi que, demain, la Croatie, membre de l’Union européenne, s’engagera en faveur d’une perspective européenne pour tous ses pays voisins d’Europe du Sud-Est, et que jamais elle ne bloquera leurs négociations d’adhésion en raison de questions bilatérales. N’est-ce pas la force même de l’Union européenne que la primauté du droit, la solidarité, la tolérance ? N’est-ce pas la force de la déclaration Schuman d’avoir mis fin aux affrontements frontaliers et fait prévaloir la paix et la prospérité dans un espace élargi ? Au cours de ces six dernières décennies, par son influence et son autorité, la France a contribué, avec les autres démocraties européennes, à l’aboutissement de ce projet. Je suis convaincu que le temps des « actes hardis et constructifs » est à nouveau venu, celui de la consolidation des principes fondamentaux d’une Union européenne forte, à l’avenir de laquelle la Croatie entend apporter sa contribution en tant que vingt-huitième État membre.
M. Pierre Lequiller, président de la Commission chargée des affaires européennes. Monsieur le Premier ministre, je suis heureux de vous accueillir en ces murs pour vous dire combien nous souhaitons tous voir la Croatie devenir le vingt-huitième État membre de l’Union européenne. Avec M. Jérôme Lambert, rapporteur d’information de notre Commission sur le processus d’adhésion de la Croatie à l’Union, nous sommes favorables à cette adhésion. Nous nous réjouissons des progrès que votre pays a accomplis vers sa future intégration, en particulier sous la présidence française puisque, sur les vingt-deux chapitres ouverts, dont sept ont été clos depuis le début des négociations, cinq ont été ouverts et quatre ont été clos au cours du second semestre 2008.
Nous nous félicitons par ailleurs que les députés tchèques aient approuvé, hier, le traité de Lisbonne. On peut espérer que le Sénat tchèque se prononcera sous peu, puis l’Irlande, son Premier ministre s’y étant engagé. La perspective d’une ratification du traité avant octobre 2009 se rapprocherait donc, ce qui faciliterait l’adhésion de la Croatie.
Cependant, le différend frontalier auquel vous avez fait allusion a eu pour effet que la Slovénie a bloqué l’ouverture ou la clôture de dix chapitres de la négociation en cours. Nous comprenons très bien votre point de vue mais nous aimerions savoir si vous entendez privilégier un règlement politique ou une approche juridique par la saisine de la Cour internationale de justice. Par ailleurs, vous avez clairement indiqué que vous ne vous opposerez pas à l’adhésion d’autres pays des Balkans. Toutefois, ne serait-il pas judicieux d’engager dès maintenant des discussions avec les pays voisins pour éviter la répétition de tels blocages ?
S’agissant de la réforme du système judiciaire et de la lutte contre la corruption et le crime organisé, vous avez déjà accompli d’importants progrès en créant des forces spéciales de police de lutte contre la corruption et le crime organisé ainsi qu’un département spécialisé au sein du bureau du procureur et des tribunaux spécialisés. Vous avez aussi adopté le principe de la confiscation des biens d’une personne accusée de corruption ou de crime organisé. On reproche toutefois au gouvernement croate de ne pas faire tout ce qu’il faudrait, et l’assassinat du propriétaire de l’hebdomadaire National et du directeur du marketing de ce groupe de presse a relancé ces accusations.
On vous reproche aussi de tarder à remettre au procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie – le TPIY – les documents militaires qu’il vous a demandés. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Quel est, par ailleurs, l’impact de la crise économique et financière sur les finances publiques croates ? La crise aura-t-elle des conséquences sur le programme de privatisation des six chantiers navals, principal critère d’ouverture de la négociation sur le chapitre de la concurrence ?
Dans quelle mesure le dernier conflit gazier a-t-il touché la Croatie et quelles conclusions en tirez-vous pour le renforcement de la Communauté de l’énergie constituée par l’Union européenne et l’Europe du Sud-Est et, par ailleurs, comment voyez-vous le partenariat oriental que la République tchèque a fait figurer dans le programme de sa présidence de l’Union ?
M. Ivo Sanader. Je remercie une nouvelle fois M. Axel Poniatowski et M. Pierre Lequiller de m’avoir invité à m’exprimer devant vous. Je les remercie aussi de leurs paroles d’encouragement et du désir qu’ils ont exprimé de voir la Croatie devenir le 28e État de l’Union européenne.
En engageant les démarches d’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne, la Croatie n’a pas pour autant tourné le dos à ses voisins. Elle continue de coopérer avec tous les pays de l’Europe du Sud-Est. Ainsi, je me rendrai le mois prochain en visite officielle à Belgrade pour poursuivre le dialogue fructueux engagé de longue date avec la Serbie. La Croatie et la Serbie ont, en particulier, signé dix accords bilatéraux relatifs à la protection croisée des minorités nationales - les Croates de Serbie et les Serbes de Croatie. Le dialogue entre Zagreb et Belgrade a un effet bénéfique pour tous les pays de la région. Certes, après que la Croatie a reconnu le Kosovo, des problèmes ont surgi entre nos deux pays, mais je suis convaincu que nous les surmonterons. Dans tous les cas, le dialogue serbo-croate est nécessaire, et la Croatie appuie la candidature de la Serbie à l’Union européenne et à l’OTAN.
D’autre part, j’ai reçu les représentants des trois communautés de Bosnie-Herzégovine. Dans ce pays, la réforme de la Constitution doit impérativement conduire à garantir à la fois l’unicité d’une Bosnie indivisible, l’égalité entre les trois communautés – serbe, bosniaque et croate – qui la constituent et une orientation euro-atlantique. La Croatie appuie sans faillir le dialogue entre les chefs de file des trois peuples qui, dans la Yougoslavie de Tito, étaient des peuples souverains traitant sur un pied d’égalité. Le maintien de la force multinationale de paix est encore nécessaire en Bosnie-Herzégovine, mais il serait bon que ce pays parvienne à s’émanciper politiquement et à devenir réellement indépendant.
La semaine dernière, j’ai reçu le Premier ministre albanais. Je m’apprête à me rendre en visite officielle au Monténégro et je suis aussi allé en Turquie. Comme vous le constatez, les efforts que nous déployons pour adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN ne signifient pas que nous nous soyons le moins du monde détournés du reste de la région.
S’agissant de la Slovénie, je m’entretiendrai, la semaine prochaine, avec mon homologue, le Premier ministre Borut Pahor. Cette rencontre a bien entendu été préparée par des contacts diplomatiques. Je souhaite revenir un instant sur la question litigieuse du tracé de certaines de nos frontières communes, qui préexistait à l’adhésion de la Slovénie à l’OTAN et à l’Union européenne. Outre que le problème ne se pose que pour des segments limités de nos frontières communes, j’observe que la Slovénie a pu adhérer à ces deux organisations internationales alors que la question était déjà en suspens. Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même pour la Croatie, d’autant que la situation était plus délicate lors de l’adhésion de la Slovénie : ce qui était alors en jeu était le tracé des frontières extérieures de l’Union européenne. La Slovénie étant désormais membre de l’Union, le différend porte sur des frontières intérieures ; le problème est donc beaucoup moins important. En 2004, la Croatie s’était félicitée de l’adhésion de la Slovénie à l’Union, sans avoir songé à bloquer le processus.
Le mieux serait de trouver une solution fondée sur les principes du droit international, en chargeant la Cour internationale de justice de La Haye de définir le tracé des frontières. Il faut que Zagreb et Ljubljana s’engagent, avant même l’ouverture de la procédure, à accepter la décision de la Cour. Les deux Parlements doivent faire une déclaration en ce sens. Même s’il en va autrement, les décisions de la Cour internationale de justice, organe judiciaire de l’Organisation des Nations unies, doivent s’appliquer. Privilégier une solution politique ne serait pas judicieux car le tracé des frontières ainsi déterminé ne pourrait que susciter des frustrations dans les deux pays. Mieux vaut, sans conteste, que la Cour tranche. Un différend du même type a opposé la Roumanie à l’Ukraine ; il leur a fallu dix ans pour trancher, mais elles y sont parvenues. En ce qui concerne la Croatie et la Slovénie, le litige est déjà vieux de dix-huit ans... Cela étant, la Slovénie est un pays ami et nous considérons que ce qui nous lie est bien plus important que ces quelques questions en suspens. En résumé, si la Slovénie a pu adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN sans que le litige ait été réglé, la Croatie doit pouvoir le faire elle aussi.
La question m’a été posée des relations entre la Croatie et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie – le TPIY – et, en particulier, de la remise au bureau du procureur des registres d’artillerie dont il a demandé la transmission. Je tiens à vous faire savoir qu’hier, le procureur du TPIY, M. Serge Brammertz a souligné devant le Coreper que la coopération entre la Croatie et le tribunal était très bonne et qu’il pensait avoir communication des documents demandés d’ici fin juin. La Croatie tient à respecter tant ses engagements internationaux que la loi constitutionnelle relative à la coopération avec le TPIY qu’elle a adoptée en 1995. Le TPIY, émanation du Conseil de sécurité des Nations Unies, est une excellente institution, puisqu’il est destiné à punir les auteurs de crimes et d’atteintes au droit international. Je me félicite donc de l’opinion très favorable exprimée hier par son procureur sur la coopération apportée par la Croatie.
Vous m’avez demandé quel a été l’impact de la crise financière sur la Croatie. Pour l’instant, les banques croates ont plutôt bien traversé la crise. Le système bancaire croate est assez stable. Quatre-vingt-dix pour cent des banques ont été privatisées ; elles sont désormais pour la plupart filiales de banques italiennes, allemandes et autrichiennes. La Société générale a aussi une forte présence dans notre pays. Notre système bancaire est solide et la crise ne l’a pas bouleversé. Les sociétés mères n’ont pas l’intention de retirer les dépôts constitués en Croatie, et les bénéfices des filiales croates des établissements bancaires étrangers continueront d’être réinvestis dans notre pays. J’ai eu des assurances à ce sujet, en particulier du nouveau gouvernement autrichien.
On peut craindre, en revanche, un plus fort impact de la crise économique, ce qui nous a poussé à constituer, il y a deux mois, un conseil économique composé d’experts chargés de conseiller le Gouvernement et les partenaires sociaux. Il est difficile de savoir si la saison touristique sera aussi bonne cette année que les années précédentes mais nous l’espérons ; nous nous félicitons en tout cas de ce que le nombre de touristes français en villégiature en Croatie ne cesse de croître. Le plus grave sera, à n’en pas douter, l’augmentation du chômage. Les experts du Conseil économique nous aideront à trouver des mesures évitant que nos PME soient contraintes de licencier.
S’agissant de la privatisation des chantiers navals, nous entretenons des contacts permanents avec la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. En accord avec elle et avec les partenaires sociaux croates, nous allons lancer des appels d’offres internationaux concernant nos six chantiers navals les plus importants. À l’époque yougoslave, 90 % des chantiers navals de la Fédération étaient situés en Croatie. Nous disposons ainsi d’une main-d’œuvre très qualifiée, et nous souhaitons maintenir cette activité et les emplois qu’elle représente. Nous attendons des nouveaux investisseurs qu’ils renforcent ce secteur important pour notre économie. Bien entendu, les appels d’offres seront faits avec l’aval de la Commission européenne.
La production gazière croate, qui provient d’une part des plateformes offshore situées en mer Adriatique, d’autre part des gisements exploités en Slavonie, couvre 60 % des besoins du pays. Les 40 % manquants sont importés de Russie, aux termes d’un accord passé avec Gazprom. La Croatie, membre de la Communauté de l’énergie, contribuera à ce titre à trois projets européens. Elle entend par ailleurs participer à trois projets lui permettant de diversifier l’origine de ses importations de gaz. Il s’agit en premier lieu de l’édification d’un terminal de regazéification de gaz naturel liquéfié, situé sur l’île de Krk. La construction et l’exploitation seraient assurées par un consortium au capital duquel Total et une société allemande participeraient à hauteur de 75 %, et la Croatie à hauteur de 25 %. Toutes les études techniques et d’impact environnemental ont déjà été faites et nous souhaitons que les travaux commencent au plus tôt. Je me suis par ailleurs entretenu avec M. Erdogan, Premier ministre de Turquie, de la construction d’un gazoduc reliant la mer Caspienne à l’Italie, et nous sommes convenus d’organiser une conférence ministérielle en Turquie à ce sujet. Ce projet intéresse un consortium constitué d’une société suisse et d’une société norvégienne. S’il aboutit, une interconnexion vers l’Albanie est prévue. Enfin, nous souhaitons importer du gaz d’Algérie, via l’Italie, en utilisant pour cela le gazoduc existant. Pour autant, nous ne souhaitons pas interrompre nos relations avec Gazprom, avec lequel notre accord arrive à échéance fin 2009 ; des contacts ont eu lieu hier encore, mais nous ne voulons pas dépendre de ce seul fournisseur.
M. le président Axel Poniatowski. La Croatie a obtenu, en novembre 2004, le statut d’observateur auprès de l’Organisation internationale de la francophonie. Pourriez-vous, monsieur le Premier ministre, nous dire les raisons de cette démarche ?
M. Robert Lecou. Comment la Croatie envisage-t-elle le respect des droits des minorités et des réfugiés ? Quelle appréciation votre Gouvernement porte-t-il sur l’Union pour la Méditerranée ? Qu’en attendez-vous et comment pouvez-vous y contribuer, en particulier dans les domaines économique et culturel et en matière d’environnement et de pêche durable ?
Mme Marietta Karamanli. Une enquête menée à l’été 2008 concluait à un fort scepticisme des Croates à l’égard de l’Europe, moins de 30 % d’entre eux disant souhaiter voir leur pays adhérer à l’Union européenne alors que la proportion était de 50 % en Turquie, et de 70 % dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Il ressortait aussi de cette enquête que les préoccupations principales de vos concitoyens portaient sur la sécurité et la justice, dont la réforme demeure inachevée. Qu’en est-il actuellement ?
M. Jérôme Lambert. Après avoir été, il y a quelques années, chargé du rapport sur le processus d’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne, je suis aujourd’hui, avec mon collègue Thierry Mariani, chargé d’un rapport sur l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne qui sera soumis au vote du Parlement, et j’en suis fort heureux. Sachez, monsieur le Premier ministre, que notre disponibilité est entière, car nous avons le souci de construire une relation plus solide encore entre nos deux pays dans le cadre de l’Union européenne.
La Croatie a donc décidé d’adhérer à l’OTAN, comme l’ont fait de très nombreux membres de l’Union européenne. Mais quelle est votre vision de la politique de défense européenne ?
M. Patrick Bloche. En ma qualité de président du groupe d’amitié France-Croatie de l’Assemblée nationale, je me félicite des relations entre nos deux Parlements. Nous recevrons à nouveau une délégation du Sabor en juin, car nous avons voulu intensifier nos relations pour promouvoir l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. Je me réjouis par ailleurs que le président croate du groupe d’amitié Croatie-France ne soit autre que M. Petar Selem, ancien directeur du Théâtre de l’Europe à Paris, dont je sais l’amitié qui vous lie.
M. Ivo Sanader. La Croatie a effectivement demandé et obtenu le statut d’observateur auprès de l’Organisation internationale de la francophonie. Les jeunes Croates, de plus en plus nombreux, apprennent le français. Je m’en félicite. Cet intérêt croissant s’explique par l’attraction que la France, et Paris en particulier, exercent depuis toujours sur nos artistes et nos écrivains. La littérature française a nourri plusieurs générations de Croates. Ce fut mon cas : j’ai suivi des études de philologie romane et de littérature française, consacrant mon doctorat à Jean Anouilh.
Vous m’avez interrogé sur la situation dans les Balkans. Je considère que tout élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne contribue à réduire l’instabilité dans la région. Je me félicite donc que la Croatie et l’Albanie rejoignent l’Alliance atlantique dans quelques semaines. S’agissant de l’Union européenne, il faut favoriser l’adhésion des pays de l’Europe du Sud-Est qui le souhaitent, si les conditions nécessaires sont remplies. Comme on l’a vu jusqu’à présent, l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN est un moteur de réforme. Nos voisins voient en la Croatie une nation qui s’est déjà beaucoup réformée, et ils constatent que ces réformes paient. La perspective de l’adhésion est une incitation à faire siennes les valeurs européennes. L’entrée de la Croatie dans l’OTAN n’est pas seulement une adhésion à une alliance militaire ; c’est avant tout une adhésion à des valeurs communes de paix, de respect des droits de l’homme et de démocratie, et à l’économie de marché.
Mme Karamanli a évoqué la faible adhésion des Croates à l’idée européenne. Il en a été de même lorsque l’hypothèse d’une adhésion à l’OTAN a été évoquée pour la première fois. À cette époque, un quart seulement de la population était favorable à cette idée. Mais lorsque nous avons expliqué qu’il s’agissait de partager des valeurs communes, l’image de l’OTAN a changé au sein de la population et la proportion de refus a diminué. Je suis convaincu qu’il en ira de même s’agissant de l’adhésion à l’Union européenne. Le problème vient de ce que, en cas de difficultés, les gens ont tendance à rejeter la faute sur l’Union, qui impose ceci ou cela à la Croatie – ce qui fait reculer leur soutien à l’idée européenne. Ainsi, en 2005, les négociations d’adhésion auraient dû commencer en mars, mais elles ont été reportées de sept mois à cause du cas Ante Gotovina. Inutile de dire qu’en mars, le soutien à l’entrée dans l’Union européenne était au plus bas. Mais, aussitôt les négociations lancées, la proportion de citoyens croates favorables à l’adhésion a remonté dans des proportions spectaculaires. Je suis certain que ce soutien se renforcera encore et que le référendum se soldera par 60 à 65 % de « oui ». Il est logique que les citoyens suivent les négociations d’adhésion avec attention, mais ils doivent avoir une vision exacte des choses.
M. Lecou m’a interrogé sur le respect des droits des minorités nationales. En 2003 déjà, mon gouvernement a demandé aux représentants de ces minorités de rejoindre notre coalition. Actuellement, le Sabor compte 153 députés, dont huit appartiennent à une minorité – trois Serbes, un Italien, un Hongrois, un Bosniaque, un Tchèque et, pour la première fois, un Rom. J’ajoute que l’un des vice-présidents est un Serbe. Le peuple croate doit faire preuve de sa largesse d’esprit en soutenant ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les minorités nationales. L’accord conclu à ce sujet avec la Serbie est des plus importants ; je l’ai co-signé en 2004 avec mon homologue de l’époque, M. Koštunica.
La Croatie est membre de l’Union pour la Méditerranée, qui instaure de nouvelles collaborations sans aller contre l’Union européenne. Tous les pays riverains de la Méditerranée devraient renforcer leur coopération car la crise énergétique les touche tous. Les propositions formulées à cet égard par la Commission européenne sont excellentes.
En Croatie, un nouveau ministre de l’intérieur et un nouveau ministre de la justice ont été nommés il y a quatre mois, et ils ont déjà obtenu d’excellents résultats. La réforme de la justice est lancée, et la Croatie bénéficie des conseils d’un expert français. Nous avons d’ailleurs décidé de nous conformer au modèle français pour ce qui est de la formation des juges, et une école de la magistrature ouvrira à l’automne à Split. Comme à l’école de Bordeaux, les candidats reçus au concours seront formés pour devenir des juges professionnels indépendants, et seule la compétence prévaudra.
Nous considérons que l’appartenance à l’OTAN et la définition d’une politique de défense européenne sont compatibles. Le partenariat transatlantique est la condition sine qua non de la stabilité, aussi bien pour les États-Unis que pour l’Europe. L’utilité de l’Alliance n’est plus à démontrer, ce qui n’empêche pas que la politique de défense et de sécurité européenne devra s’en émanciper.
Je ne conclurai pas sans remercier M. Patrick Bloche du travail accompli dans le cadre du groupe d’amitié France-Croatie et de ses aimables propos.
M. le président Axel Poniatowski. Au nom de M. Pierre Lequiller et en mon nom personnel, je vous remercie, monsieur le Premier ministre, d’avoir accepté de répondre à nos questions. Nous nous réjouissons tous de la future entrée de la Croatie dans l’Union européenne.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.
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