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Commission des affaires étrangères

Mercredi 18 mars 2009

Séance de 11 h 45

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse).

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse).

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le ministre, merci d’avoir répondu à notre invitation.

Je ne reviendrai pas sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, au sujet duquel le Gouvernement a obtenu hier la confiance de l’Assemblée nationale.

Actualité oblige, nous souhaiterions que vous fassiez le point sur les événements actuels à Madagascar, mais aussi sur la situation au Soudan, en ce qui concerne tant les conséquences de la décision de la Cour pénale internationale à l’encontre du président Béchir que l’achèvement de la mission de l’EUFOR au Tchad-Darfour, où vous avez assisté il y a quelques jours à la passation de pouvoirs entre l’Union européenne et l’ONU.

Enfin, nous voudrions évoquer avec vous la situation en Israël et dans les territoires palestiniens après les élections israéliennes.

Toutefois, je voudrais vous poser une question préalable. Au cours des dernières semaines, plusieurs nominations ont été annoncées dans le domaine des affaires étrangères : celle de M. Jack Lang comme émissaire spécial du Président de la République pour le dialogue franco-cubain, celle de M. Michel Rocard au poste d’ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctique et antarctique, et celle de notre collègue Pierre Lellouche en tant que représentant spécial de la France pour l’Afghanistan et le Pakistan, fonction qui constitue une innovation dans notre pays et qui ne correspond à aucun statut préexistant. Comment interpréter cette série de nominations de personnalités politiques pour des missions remplies jusqu’à présent par des diplomates ? Ce mouvement est-il appelé à se poursuivre ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Merci pour votre invitation, monsieur le président, et pour la densité et l’intérêt de vos questions.

Les ambassadeurs itinérants et les émissaires ne constituent pas un phénomène nouveau. Il existe aussi de nombreux ambassadeurs thématiques.

M. le président Axel Poniatowski. Ce ne sont pas des personnalités politiques.

M. le ministre. Certes. Mais, pour ce qui est des personnalités politiques, les thèmes sont très précis. Lorsque Michel Rocard était Premier ministre, il a élaboré avec son homologue norvégien, Gro Harlem Brundtland, la première convention sur l’Antarctique. Je faisais partie de son gouvernement et je me souviens avec émotion de cet épisode. D’importantes réflexions doivent être menées, notamment sur les voies que la fonte des glaces va ouvrir dans l’Arctique. Michel Rocard est, à bien des titres, une personnalité incontestable. Sur ce sujet, il est en plus un pionnier. La première réunion avec les directeurs au Quai d’Orsay a été enthousiasmante.

Pierre Lellouche, quant à lui, a été nommé parlementaire en mission et son mandat ne peut excéder six mois. Après la nomination, pour les États-Unis, de Richard Holbrooke comme envoyé spécial en Afghanistan et au Pakistan, un ambassadeur britannique et un ambassadeur allemand ont été investis de fonctions similaires. Nous ne pouvions rester absents de ce dispositif, d’autant que, dans la perspective de la réunion sur l’Afghanistan qui se tiendra le 31 mars à La Haye, il sera important d’arrêter une position européenne commune. M. Pierre Lellouche a été nommé car il connaît bien ces sujets, sur lesquels il a beaucoup réfléchi et écrit.

Ces nominations traduisent aussi la volonté d’ouverture du Président de la République, tendance dont vous n’ignorez pas que je suis partisan. Pour autant, ces nominations ne sauraient se multiplier sans risquer de poser des problèmes de gestion et d’intendance au Quai d’Orsay. Pour l’Afghanistan, par exemple, cinq représentants de différents ministères travaillent en permanence avec Pierre Lellouche, en plus des diplomates placés dans la cellule interministérielle. La question de la vallée de la Kapisa est un sujet essentiel : on ne peut parler d’afghanisation sans parler des moyens que l’on met à la disposition des populations civiles. C’est ce que nous proposerons, avec notamment une gendarmerie européenne.

L’utilité des missions de Jack Lang, Michel Rocard et de Pierre Lellouche est évidente.

Un mot à propos de Cuba. Il fallait un envoyé spécial car nous nous sommes jusqu’à présent conformés à la politique très précise arrêtée par l’Europe : pas de visite de responsables si nous ne pouvons rencontrer des dissidents. Nous espérons que la mission de M. Lang fera évoluer ce pays vers des positions plus raisonnables.

J’en viens à la situation de Madagascar, qui est, comme vous le savez, très mouvante. Le président constitutionnel, M. Marc Ravalomanana, a désigné hier un Directoire militaire de onze membres, lequel Directoire a passé presque aussitôt les pouvoirs à l’ancien maire de Tananarive, M. Andry Rajoelina. La Haute cour constitutionnelle malgache, saisie par ce dernier, vient de le confirmer dans les fonctions de Président de la République de Madagascar pour une transition ne pouvant dépasser vingt-quatre mois – et M. Rajoelina s’était en effet engagé à ce que des élections aient lieu dans les vingt-quatre mois.

Était-ce un coup État ? Dans ce cas, un coup d’État appuyé par une partie du peuple et par l’armée.

M. Pascal Clément. Comme le précédent.

M. le ministre. Oui et non. Une crise avait eu lieu, en effet, mais le pouvoir de M. Ravalomanana a ensuite été confirmé par un vote régulier.

On ne sait aujourd’hui où se trouve l’ancien président. On a dit qu’il avait trouvé refuge à l’ambassade des États-Unis mais celle-ci a démenti. Rappelons que notre propre ambassade a hébergé, pour une courte période, le maire de Tananarive qui se sentait menacé physiquement. Nous en avions fait état aux autorités légales et nous avions demandé à M. Rajeolina de ne pas se servir de l’ambassade comme d’une base politique ; il a bénéficié de la protection des Nations unies, tandis que l’archevêque de Tananarive menait les négociations.

En théorie, c’est le président du Sénat qui aurait dû assurer l’intérim, mais la Haute cour constitutionnelle a validé l’ordonnance de transfert des pleins pouvoirs.

Je rappelle que les manifestations ont été très importantes, qu’elles ont même fait des morts et qu’elles ont traduit un basculement de la population au détriment du Président Ravalomanana – même si l’on ne peut quantifier ce mouvement. Il est évident que des accusations de corruption pesaient sur M. Ravalomanana et qu’il avait été accusé de vendre une partie du territoire à un pays étranger.

Plus généralement, on assiste en Afrique à une augmentation du nombre des coups d’État, quelle que soit la forme qu’ils prennent. Bien qu’il n’y ait pas eu effusion de sang, on ne peut nier que c’est un coup d’État qui s’est produit en Mauritanie, renversant le pouvoir constitutionnellement établi. On ne peut nier qu’il y a eu un coup d’État en Guinée, quel que soit le jugement que l’on puisse porter sur M. Lansana Conté. Le capitaine Camara a ensuite accepté les conditions que la communauté internationale, dont la France, lui proposait. Au Kenya, après des violences qui ont fait de milliers de morts, le Premier ministre Raila Odinga – un homme remarquable – a accepté de cohabiter avec le Président Kibaki. Au Zimbabwe, où les victimes se comptent par milliers, M. Tsvangirai a lui aussi fini par cohabiter avec le président Mugabe.

Dans tous les cas, on assiste à une prise de pouvoir non constitutionnelle. Il y a lieu de s’inquiéter de l’extension de ce phénomène.

Dans un tel contexte, la ligne constante de la France est de s’aligner sur l’Union africaine. La démarche n’est pas si simple : au sujet de la Mauritanie, par exemple, la Commission de l’Union, présidée par M. Jean Ping, ne partage pas la position du Président de l’Union, M. Kadhafi. Il n’en reste pas moins que l’UA est pour nous une référence.

Concernant le Soudan, le mandat d’arrêt émis au début de ce mois par la Cour pénale internationale à l’encontre du président Omar el-Béchir, à l’initiative du procureur général Luis Moreno-Ocampo, était prévu de longue date. Nous prenons toutes les dispositions pour la sécurité de nos concitoyens, en associant à ces précautions les ONG qui le souhaitaient ainsi que certains ressortissants européens.

La réaction à ce mandat d’arrêt, vous la connaissez : le président Béchir a refusé de se soumettre et il s’en est suivi l’expulsion de treize ONG qui travaillaient au Darfour. L’approvisionnement et les soins apportés aux réfugiés sont, de ce fait, mis en péril.

Notre position est difficile. La France est membre fondateur de la CPI. Elle soutient depuis longtemps au Conseil de sécurité l’idée qu’il faut lutter contre l’impunité au Darfour. J’ai rencontré le président Béchir à de multiples reprises, le président Sarkozy l’a rencontré deux fois. Nous lui avons demandé des efforts qu’il n’a jamais consentis. Nous souhaitions notamment qu’il livre à la justice les deux personnes recherchées pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Or l’une d’entre elle a été nommée secrétaire d’Etat aux affaires humanitaires, ce qui constitue une provocation particulière, et l’autre a été emprisonnée par les autorités soudanaises mais n’a pas été livrée.

Reste l’effort de paix que le Qatar a mené avec efficacité depuis quelques mois. Le président Béchir se rendra-t-il à Doha à l’appel de la Ligue arabe, laquelle s’est prononcée – à l’instar de l’Union africaine – contre le mandat de la CPI ? Je le pense, et l’on ne pourra s’en alarmer que théoriquement.

Rappelons que Hassan al-Tourabi, qui a fait des études à la Sorbonne et qui est un membre important de l’opposition soudanaise, s’est prononcé en faveur de la CPI et a été mis en prison pour cette raison il y a deux mois. Tourabi est soutenu par une organisation, le JEM – Mouvement pour la justice et l’égalité – de Khalil Ibrahim, dont l’attaque s’est arrêtée aux portes de Khartoum il y a un an.

L’affaiblissement possible du pouvoir du président Béchir peut laisser supposer qu’il y aura d’autres prises de position de ce type. Il faudra attendre quelque mois avant que les effets de la décision de la CPI se manifestent. Peut-être y aura-t-il un remaniement du pouvoir mais je n’en suis pas sûr. Si la situation se dégrade au Darfour, si, notamment, les ONG ne peuvent plus mener leur action, ce sont des dizaines de milliers de vies qui seront menacées et nous devrons faire face à un grave dilemme.

En ce qui concerne Israël, il y a peu d’évolutions récentes. Le Premier ministre pressenti, M. Benyamin Netanyahou, semble avoir reporté de quinze jours la composition de son gouvernement. Les efforts pour convaincre Kadima ou le parti travailliste se poursuivent. On peut être fondé à penser que M. Netanyahou préférerait Mme Tzipi Livni à M. Lieberman au poste de ministre des affaires étrangères, mais celle-ci a refusé.

Le cessez-le-feu est fragile. Des roquettes continuent d’être tirées en direction du territoire israélien. Même s’ils sont reportés, nous continuons à soutenir les objectifs de nos amis égyptiens pour ce qui est de la prolongation du cessez-le-feu et de la réconciliation palestinienne – qui n’a pu se faire avant la conférence de Charm el Cheikh sur la reconstruction de Gaza. Nous comptons beaucoup sur cette réconciliation, non par tropisme pour le Hamas mais parce que manifestement il existe deux tendances qui ne peuvent que se joindre pour faire avancer les choses et, en particulier, pour faire lever le blocus de Gaza.

La guerre de Gaza n’aura apporté que des retards, des contradictions supplémentaires et des malheurs. Le blocus n’est pas levé, le Hamas est toujours dans les rues et des roquettes – même si c’est en moindre proportion – continuent de tomber sur Israël.

Au dernier pointage, 150 camions ont franchi les points de passage. Il en aurait fallu 500. La conférence du Caire a été un succès financier – près de 4,5 milliards de dollars – mais comment reconstruire si le passage est fermé ? Même le ciment ne passe plus, alors qu’il passait auparavant pour notre programme relatif à la station d’épuration de Beit Lahia.

M. le président Axel Poniatowski. S’agissant de l’EUFOR et du transfert d’autorité entre l’Union européenne et les Nations unies, savez-vous combien de temps nos troupes devront rester sur place ?

M. le ministre. Elles seront parties avant la fin de l’année – j’entends bien les troupes de l’EUFOR stationnées à Abéché, Goz Beïda, etc., qui assurent l’assistance aux populations. Pour ce qui est de la MINURCAT II – mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad –, nous avons passé le pouvoir au Nations unies le jour fixé, le 15 mars. Au cours de cette cérémonie, les soldats de l’EUFOR ont troqué leur béret contre le béret bleu des Nations unies. Je veux dire mon émotion d’avoir vu ces 3 300 soldats qui avaient avant tout conscience d’être européens…

M. Jacques Myard. Je m’esclaffe !

M. le ministre. …et qui étaient fiers d’avoir protégé les populations. Il suffit d’interroger les femmes dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées pour se rendre compte que la sécurité est en bonne partie retrouvée. Bien entendu, le problème politique reste entier, mais l’EUFOR n’avait pas pour mission de réconcilier le Tchad et le Soudan ! En outre, les retards de la mise en place de la MINUAD de l’autre côté de la frontière n’ont pas permis d’établir une sécurité au niveau de la région. Aujourd’hui encore, la présence de l’ONU au Darfour n’est pas complète.

Quoi qu’il en soit, nous avons assisté à la plus grande opération de la politique européenne de sécurité et de défense – PESD – en dehors de notre continent, et les troupes ont démontré à la fois leurs possibilités, leur enthousiasme et leur efficacité.

Pour y avoir été quatre fois, je connais ces camps de réfugiés. D’après les chiffres du Haut Commissariat aux réfugiés, 40 000 personnes sur un total de 140 000 à 160 000 ont pu regagner leur village.

M. Jacques Myard. Les ambassadeurs en mission ont toujours existé et il ne faut pas se priver de cette souplesse. Il convient toutefois de faire la différence entre un ambassadeur en mission, qui traite un thème global – ou, en d’autres termes, transversal et mondial –, et un ambassadeur qui « coiffera » deux ambassadeurs en place. Le risque est de diminuer l’autorité de ces derniers. Ce n’est pas parce que les Américains le font que nous devons le faire !

J’ai été également étonné, monsieur le ministre, que vous vous précipitiez à Washington pour rencontrer Mme Hillary Clinton alors que c’était à elle de venir à Paris. Il y a des règles diplomatiques ! M. Hubert Védrine avait commis la même faute et je la lui avais reprochée.

En matière de justice internationale, je pense comme vous que les salauds méritent la corde et que le procès de Nuremberg est exemplaire à ce titre – ce qui pose d’ailleurs, parfois, le problème de la peine de mort. Cela dit, seule la victoire des démocraties peut permettre d’envisager des solutions aux problèmes des pays que vous venez d’évoquer. Si Hitler avait gagné, il aurait fait pendre Churchill et de Gaulle.

Au risque de paraître snob, je reviens de Moscou…

M. le ministre. Vous n’avez pas attendu que les Russes viennent vous rendre visite à Paris ?

M. Jacques Myard. J’estime que la Russie est un partenaire incontournable en Europe et j’aimerais connaître votre avis sur l’initiative russe de traité sur la sécurité. Au moment de l’effondrement de l’URSS, le président François Mitterrand avait à juste titre proposé une confédération européenne : on ne peut pas couper en deux le continent européen, notamment en matière de sécurité. La Russie connaît une évolution difficile, il semblerait que son armée, même si elle a de beaux restes, soit très mal en point, mais elle demeure un partenaire pour la sécurité.

M. le ministre. Je suis d’accord avec tout ce qu’a dit M. Myard sauf en ce qui concerne mon invitation à Washington. Je connais Hillary Clinton depuis longtemps et j’ai été très heureux de la retrouver à ce déjeuner auquel elle m’avait convié.

M. Jacques Myard. Il ne faut pas mélanger les choses !

M. le ministre. Je vous demande pardon d’avoir cru bon d’honorer cette invitation. Sachez que cela ne traduit aucune subordination de ma part. Au contraire, c’est moi qui ai incité Mme Clinton à parler, lors de la conférence de presse, de la nécessité pour les États-Unis d’entamer des relations suivies avec la Russie, notamment d’associer ce pays à ce que nous pourrions décider en matière de sanctions contre l’Iran.

Quant au président américain, c’est lui qui se rendra très prochainement en France, monsieur Myard.

Je partage votre analyse sur la démocratie qui gagne. Mais la démocratie ne gagne pas toujours ! Je rappelle que trente pays africains sont membres de la Cour pénale internationale, même si certains se sont prononcés en défaveur de la décision prise par les juges. Je pense que cette décision est malgré tout un progrès et qu’elle sera suivie d’effets à plus ou moins long terme. Certes, on agit toujours trop tard. Je l’ai dit dans le discours que j’ai prononcé au nom de la France lors de la création de la CPI à Rome : il faut agir à titre préventif.

Le premier chef d’État en exercice à avoir été inquiété par une juridiction internationale, c’est Slobodan Milosevic. Nous ne pensions pas que cela marcherait ; or cela a marché.

À propos de la Russie, je partage entièrement votre sentiment. Il faut absolument se saisir de la proposition de M. Medvedev. Mme Clinton s’est d’ailleurs mise d’accord avec M. Lavrov à Genève sur ce sujet. Le Président de la République a indiqué le cadre : c’est à l’OSCE, sous la présidence grecque, que nous travaillerons ces propositions. Je note cependant que M. Medvedev a tout récemment raidi son attitude, évoquant le renouvellement et le déploiement de différents matériels militaires.

M. Jacques Myard. Le débat avec l’armée n’est pas simple en Russie. Nous avons plutôt intérêt à conforter le pouvoir civil et à éviter l’aventure.

M. le ministre. Bien sûr. Le partenariat avec la Russie n’est ni contournable ni contourné.

M. Hervé de Charette. Si la nomination d’ambassadeurs extraordinaires est une bonne idée, je trouve néanmoins que le Quai d’Orsay devrait donner plus de place à la diplomatie parlementaire. Beaucoup de pays utilisent leur Parlement pour faire passer des messages et assurer une présence. Un ministre des affaires étrangères, aussi disponible soit-il, ne peut être partout.

Par ailleurs, j’ai défendu avec succès la création de la Cour pénale internationale à un moment où, à Paris, on y était franchement opposé, y compris à l’Élysée. La création d’une communauté internationale, que certains, à tort, brocardent, dépend des progrès du droit international, y compris en matière pénale. La CPI est donc un élément important, même si son maniement est complexe. L’autorité judiciaire ainsi créée échappe aux pouvoirs publics des nations et elle n’est pas à l’abri d’erreurs. Il n’empêche : notre rôle est de soutenir cette institution jeune, et de ce fait fragile.

Cela ne nous dispense pas, bien entendu, de rechercher des solutions dans le champ qui est le nôtre. Il ne faut pas mélanger les genres. La CPI engage des poursuites, les autorités politiques des pays cherchent des solutions au drame soudanais.

J’en viens à l’opération israélienne à Gaza, qui a abouti – vous l’avez dit – à un échec total et à un malheur épouvantable. Peut-être y a-t-il un peu moins de tirs de roquettes, mais on en reviendra très rapidement à la situation initiale. Je connais bien les impératifs de la diplomatie, ainsi que le poids des uns et des autres dans le monde actuel. Il n’en reste pas moins que la France s’est toujours honorée de tenir un langage fondé, non pas sur le poids des uns et des autres, mais sur la réalité des situations humaines. Franchement, entre Israël et la Palestine, les limites sont en permanence dépassées ! On ne le dit pas assez fortement et les populations concernées, qui attendent de nous un langage de vérité, le ressentent comme une injustice profonde.

Je voudrais enfin faire une proposition. Le territoire de Gaza est une prison à ciel ouvert. Les Égyptiens ne veulent pas ouvrir la porte et les Israéliens serrent le collet chaque fois que cela leur semble nécessaire. Il est très choquant que tout ce qui est destiné à Gaza pour nourrir les populations ou pour reconstruire ce qu’Israël a détruit doive passer par le territoire israélien. C’est une humiliation permanente et une difficulté quasi insoluble. Pourquoi ne pas reprendre l’idée, formulée naguère par l’Union européenne, de l’ouverture d’un port à Gaza ? Les projets sont prêts et la réalisation ne prendrait que quelques mois. Le problème est qu’Israël est convaincu qu’un tel port permettrait l’entrée incontrôlée de marchandises dangereuses pour sa sécurité. L’Europe de la défense ne pourrait-elle pas proposer d’assurer la sécurité de ce port, en garantissant à Israël que rien ne transitera qui ne soit contrôlé par les autorités militaires, policières et douanières mises en place par l’Union ? La création d’un point d’entrée et de sortie, c’est le commencement de la liberté et du développement.

M. le ministre. Nos ambassadeurs extraordinaires sont bien entendu en contact permanent avec les ambassadeurs en place. Pierre Lellouche travaille en liaison très étroite avec Jean de Ponton d’Amécourt et Daniel Jouanneau. Nous avons voulu participer efficacement aux travaux avec les Britanniques, les Allemands et les Américains.

Je suis très favorable à la diplomatie parlementaire. Le débat en séance publique d’hier en a d’ailleurs donné une illustration – peut-être insuffisante. Je suis toujours très heureux de venir répondre à vos questions et je m’efforce d’avoir à mes côtés le plus de parlementaires possible lors de mes visites à l’étranger.

Pour ce qui est de la CPI, je n’ai rien à ajouter à votre analyse, monsieur de Charette. Après que nous avons approuvé le statut de Rome, les décisions de la Cour nous échappent entièrement et nous ne saurions songer une seconde à les contrecarrer. Nous ne pourrions nous y opposer qu’en invoquant l’article 16 dudit Statut au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Nous n’avons aucune raison de le faire. Devrions-nous imaginer que M. Béchir en vienne à user du malheur de ses populations et à les rendre plus dépendantes de l’aide étrangère ? De toute façon, nous devons respecter la décision de la CPI. À mes yeux, cette institution constitue un progrès considérable. Elle sera progressivement mieux acceptée et, je l’espère, son action deviendra aussi préventive.

Vous indiquez que nous devons poursuivre nos efforts politiques nationaux. Le problème est que, théoriquement, nous ne pouvons plus rencontrer M. Béchir, et selon le statut de la CPI, nous devons l’arrêter s’il se présente sur notre territoire.

Quant à l’intervention israélienne à Gaza, nous avons été les premiers à la condamner – tout comme les tirs de roquette, d’ailleurs. Au sujet des colonies, le Président de la République l’a répété à la Knesset et à Ramallah : sans évacuation et compensation, comme le prévoit une proposition de loi des travaillistes, le processus de paix ne pourra se réamorcer.

Les Israéliens ont conditionné l’ouverture des passages vers Gaza à la libération de Gilad Shalit. Nous avons beaucoup travaillé pour résoudre cette complication supplémentaire.

La construction d’un port à Gaza est une bonne idée. Il nous serait beaucoup plus facile de contrôler un seul port. Pour notre part, nous avons proposé de placer des forces européennes à tous les points de passage ; encore faut-il qu’Israéliens et Égyptiens soient d’accord.

M. François Rochebloine. Je souscris aux propos de M. de Charette. Certes, la France a condamné fermement et à plusieurs reprises l’intervention à Gaza, mais sans grand résultat. Pour ce qui est de la Cisjordanie, le mur continue de se construire et la colonisation progresse. La France réagit mais peut-être pourrait-elle le faire avec plus de force. On a en effet l’impression qu’il y a deux poids deux mesures.

Les élections législatives libanaises auront lieu le 7 juin. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur leur préparation ? Il semblerait que des rapprochements s’effectuent entre le Hezbollah et les chrétiens maronites.

En Afghanistan, les élections sont prévues au mois d’août. Pensez-vous qu’elles pourront se dérouler dans des conditions acceptables ?

M. François Asensi. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la nature de la mission que le Président de la République a confiée à M. Jack Lang à Cuba. Quel est le bilan du long entretien entre M. Lang et M. Raul Castro ?

Vous avez raison en ce qui concerne les dissidents. Reste que le blocus américain est tout aussi scandaleux : on peut pénaliser des dirigeants, on ne doit pas pénaliser un peuple. Quelles initiatives la France compte-t-elle prendre pour la levée de ce blocus ? Il faut reconnaître que l’ouverture du marché cubain poserait des problèmes à notre pays : un appel d’offre international relatif à la prospection pétrolière a été lancé mais nos entreprises sont absentes.

Par ailleurs, l’asphyxie financière des Alliances françaises, qui dispensent un enseignement à 500 000 personnes de par le monde et constituent un élément essentiel du rayonnement international de notre pays, risque de contraindre certaines d’entre elles à réduire leur personnel. Comptez-vous demander au Premier ministre de leur accorder les moyens dont elles ont besoin ?

M. le président Axel Poniatowski. Sur ce dernier sujet, notre commission a lancé une vaste mission d’information.

M. Pascal Clément. Il y a sept ans, au cours d’un voyage dans la région, j’avais fait état des exactions du général Béchir à notre ambassadeur au Kenya. Celui-ci avait rétorqué que j’étais mal informé et que la France ne reprochait rien aux dirigeants du Soudan. J’aimerais savoir ce qui a accéléré notre prise de conscience.

Le mandat d’amener de la CPI est-il le fait d’un juge unique ou d’une formation collégiale ? Quelle est sa portée pratique, sachant que le général Béchir ne viendra pas se livrer de lui-même ? L’institution ne risque-t-elle pas de perdre de sa crédibilité ?

M. Patrick Labaune. Vous estimez, monsieur le ministre, que l’action de la CPI va dans le sens de l’histoire. Or le monde politico-médiatico-humanitaire a plutôt tendance à considérer la décision de la CPI comme une catastrophe pour les populations civiles du Darfour.

Est-ce cette décision et la pression internationale qu’elle provoque qui feront chuter le président Béchir ? Ou bien sera-ce la conséquence de la division interne du Soudan ? Certains évoquent même la possibilité d’une exfiltration du Président Béchir vers l’Arabie Saoudite.

M. le ministre. En Israël, monsieur Rochebloine, certes il y a toujours le mur, mais il y a beaucoup moins d’attentats suicides. Je ne me ferai pas, pour autant, l’avocat de la politique israélienne. L’intervention à Gaza a constitué une énorme erreur, consécutive d’ailleurs à l’erreur de M. Sharon – qui a également engagé la construction du mur – quand il a décidé d’évacuer ce territoire sans négocier.

Pour ce qui est de la colonisation, nous plaçons beaucoup d’espoirs dans la nouvelle politique américaine. La première intervention d’Hillary Clinton au sujet du Moyen-Orient a été de demander l’ouverture des points de passage. Le sénateur Mitchell n’a pas encore remis son rapport, mais la modification de la politique américaine nous permettra de nous opposer avec plus de force aux colonisations. Mme Rice et M. Bush avaient protesté timidement, certes. Mais ce qui assurera la sécurité d’Israël, c’est l’existence d’un État palestinien.

Nous avons transmis un document aux États-Unis dans le but de définir une politique commune. Mme Clinton a réagi mais ce n’est pas suffisant. Il faut maintenant une implication pratique.

M. François Rochebloine. Bien sûr !

M. le ministre. Je défends l’idée de deux États depuis 1975 ! Cela dit, que faire lorsque l’on a demandé dix fois l’arrêt de la colonisation ?

S’agissant des élections libanaises, les responsables politiques, avec lesquels je suis en contact permanent – encore hier soir –, ne sont pas inquiets. La campagne commencera en mai et tous les partis, Hezbollah compris, devraient y participer. En dépit d’une modification des circonscriptions, la grosse difficulté, c’est cette loi qui prévoit une élection à un tour sur liste mélangée. Pour le moment, on ne constate pas de tensions, sauf au sein des listes elles-mêmes et des groupes, en particulier dans le sud du pays.

Les élections afghanes sont quant à elles prévues pour le 20 août. À partir de la fin du mois d’avril s’ouvre une période transitoire que les Afghans doivent assumer eux-mêmes. C’est probablement le président Karzaï qui exercera le pouvoir jusqu’au vote, mais il faut que le Parlement le lui permette.

À Cuba, M. Lang s’est longuement entretenu avec Raul Castro, ainsi qu’avec le ministre des affaires étrangères Felipe Perez Roque lequel ne fait plus aujourd’hui partie du gouvernement ! Je rappelle que c’est la présidence française de l’Union européenne qui a mis en œuvre le rétablissement des relations économiques avec Cuba, tout en maintenant les exigences concernant le sort des dissidents. La mission de M. Lang a pour objet de relancer les relations bilatérales. Je rappelle toutefois que la France n’a jamais pris part au blocus, pas plus que le Mexique. Nous évoquerons ces questions au G20 avec le Président Obama, le Président Calderon et M. Zapatero. Les signes en provenance des États-Unis sont relativement encourageants. Même s’il ne faut pas s’attendre à une levée immédiate du blocus, je pense que c’est un objectif à moyen terme. Nous attendons aussi, bien entendu, des résultats en matière de droits de l’homme.

Les Alliances français sont un élément essentiel de la diplomatie dite d’influence. Elles sont autonomes mais reçoivent une aide financière et sont en rapport constant avec le ministère. J’espère, monsieur Asensi, que vous approuverez la réforme du Quai d’Orsay qui sera annoncée le 25 mars et qui prévoit de rendre toute sa place à la culture.

Monsieur Clément, trois juges de la CPI – dont une Ghanéenne –, au vu de l’enquête menée pendant plusieurs années par le Procureur sur les crimes commis au Darfour, ont pris une décision collective. Ils ont conclu à la délivrance d’un mandat d’arrêt contre le Président Béchir. Une fois le mandat délivré, il n’y a plus aucun moyen de s’y opposer.

Depuis trois ans, nous avons tout essayé pour le Darfour. J’ai consacré à ce sujet ma première réunion au Quai d’Orsay. Avec Mme Rice, nous avons élaboré la résolution adoptée par le Conseil de sécurité. Hélas, cela n’a pas été suivi d’effets sur le terrain.

Je suis bien placé, monsieur Labaune, pour savoir que l’action humanitaire et l’action politique peuvent entrer en contradiction. Je crois qu’il faut faire triompher les droits de l’homme à titre préventif par le biais de la justice internationale, même s’il est toujours nécessaire d’assister les populations. Cela prendra des années, mais on arrivera un jour, j’en suis persuadé, à une politique de prévention en matière de droits de l’homme.

Au Darfour, le conflit a fait 2,5 millions de réfugiés et entre 250 000 et 300 000 morts. Les ONG sont tout à fait dans leur rôle quand elles protestent et il est exclu de les régenter. Les gouvernements sont dans une situation différente : on peut avoir pour exigence de faire respecter le mieux possible les droits de l’homme mais, à un moment donné, il faut prendre des décisions politiques. Voilà pourquoi je souhaite que ce progrès de la justice internationale n’aggrave pas une situation humanitaire qui pourrait devenir intolérable.

Ni la France ni l’Union européenne n’exigent un changement de régime au Soudan. Elles demandent seulement une amélioration des conditions de vie, la protection des victimes et la fin des violations des droits de l’homme au Darfour. La CPI ne demande pas non plus un changement de régime : elle demande seulement que M. Béchir réponde des crimes dont on l’accuse. Pour des raisons différentes, Mme Clinton comme M. Tourabi ont également formulé cette exigence.

M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le ministre, je vous remercie.

La séance est levée à treize heures.

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