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Commission des affaires étrangères

Mardi 31 mars 2009

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 47

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République

Audition de M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la présidence de la République

La séance est ouverte à seize heures trente.

M. le président Axel Poniatowski. Mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’honneur de recevoir M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement à la Présidence de la République.

Monsieur Bajolet, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Beaucoup d’entre nous vous connaissent déjà car, avant de devenir coordonnateur national du renseignement en juillet 2008, vous avez été notamment ambassadeur en Jordanie, en Bosnie, en Irak, puis en Algérie. Vous êtes également un très bon connaisseur du Proche-Orient.

Aujourd’hui, vous êtes notamment chargé de préparer et de suivre l’exécution des décisions du Conseil national du renseignement, nouveau conseil de défense placé auprès du Président de la République et dont l’objet est de faciliter le dialogue entre tous les responsables des services de renseignement, tant intérieurs qu’extérieurs. Cette nouvelle fonction était préconisée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui met l’accent sur la nécessité de mieux coordonner, faire circuler et exploiter les informations recueillies par les différentes instances du renseignement.

Votre audition est aujourd’hui particulièrement opportune, car notre commission examinera tout à l’heure, pour avis, le projet de loi de programmation militaire pour 2009-2014, qui prévoit un effort notable en faveur du renseignement, intégré à une nouvelle fonction des armées intitulée « connaissance et anticipation ».

Point d’entrée des services auprès du Président de la République, vous avez reçu de sa part d’importants pouvoirs. Nous sommes très intéressés de savoir quels sont vos priorités et vos objectifs.

M. Bernard Bajolet, coordonnateur du renseignement à la présidence de la République. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir devant votre commission. Je présenterai brièvement mes fonctions et la façon dont la cellule que je dirige a commencé à fonctionner depuis le mois de juillet dernier, puis je répondrai vos questions.

Comme vous le savez, le poste de coordonnateur du renseignement a été défini à la suite du Livre blanc par une lettre de mission que le Président de la République m’a adressée le 23 juillet 2008. Celle-ci préfigure un décret, nécessairement plus concis, qui fera suite au vote de la loi de programmation militaire, laquelle comporte un alinéa créant le Conseil de défense et de sécurité nationale et le Conseil national du renseignement, qui en est une des formations spécialisées. C’est cette disposition qui assurera un pont entre la loi et les recommandations du Livre blanc.

Mon équipe, légère – une quinzaine de personnes, dont quatre cadres – a commencé à fonctionner dès l’été dernier. Il s’agit d’un petit état-major, car il n’est pas question pour nous de faire les choses à la place des services, mais de les faire faire, de donner les impulsions et de mettre en œuvre les orientations décidées par le Conseil national du renseignement.

Notre fonctionnement s’appuie sur le Secrétariat général de la défense nationale – le SGDN –, futur Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui assurera le secrétariat du Conseil national du renseignement et, d’ores et déjà, assure celui des réunions que je tiens et héberge des groupes thématiques ou géographiques du renseignement, que j’évoquerai rapidement tout à l’heure.

Cette organisation reflète bien l’articulation des pouvoirs publics en France, car ce petit état-major, d’une dimension comparable à celle de l’état-major particulier du Président de la République et légèrement moins importante que celle de la cellule diplomatique de la Présidence de la République, fonctionne en étroite collaboration avec le SGDN, qui relève des services du Premier ministre avec une compétence interministérielle.

Dans la pratique, mes fonctions comportent aussi celle d’animer les services, que je réunis périodiquement pour des réunions plus restreintes que par le passé. Sont ainsi organisées, au moins une fois par mois, des réunions auxquelles participent, en présence du Secrétaire général de la défense nationale, les directeurs des six services qui relèvent des ministres chargés de la sécurité, de la défense, de l’économie, du budget : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) et la Direction du renseignement militaire (DRM) pour la défense, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), pour le ministère de l’intérieur, la DNRED, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui dépend de la Direction générale des douanes, et la cellule de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), qui relève du ministre du budget. Diverses réunions à géométrie variable, ainsi que de nombreuses réunions bilatérales, sont également organisées.

Ces services relevant de tutelles définies différemment par la loi, la pratique a instauré des différences dans la façon dont s’exercent ces tutelles. Ainsi, la DRM relève directement du chef d’état-major des armées et la DPSD, ancienne sécurité militaire, du ministre de la défense, la DCRI, qui résulte de la fusion intervenue le 1er juillet 2008 entre les Renseignements généraux et la Direction de la surveillance du territoire (DST), fait partie de la Direction générale de la police nationale et la DNRED est un service de la Direction générale des douanes et droits indirects. Il faut donc aussi travailler avec les tutelles de ces services, c’est-à-dire avec les directeurs concernés – le directeur général de la police nationale, le directeur général des douanes, le chef d’état-major des armées – et les cabinets dont relèvent ces services, pour « huiler » tous ces mécanismes.

Depuis la mise en place de la cellule, nous avons en quelque sorte fait table rase du passé et recréé des groupes géographiques ou thématiques qui succèdent aux groupes thématiques qui existaient dans le cadre de l’ancien Comité interministériel du renseignement, appelé à disparaître après la mise en place officielle du Conseil national du renseignement, et du SGDN. Ces groupes sont mis en place en fonction des besoins qui apparaissent et sont chargés de fournir des synthèses tant au Président de la République qu’au Premier ministre, ainsi qu’aux administrations utilisatrices. Ils ne regroupent d’ailleurs pas que des services, mais également, en fonction des besoins, les ministères intéressés, comme celui des affaires étrangères ou ceux de Bercy.

Nous avons en outre créé dans ce cadre du SGDN et sous le pilotage du CNR des chargés de missions temporaires, dont les missions portent sur les ressources humaines des services, le cadre budgétaire et la formation – c’est-à-dire le projet d’académie du renseignement –, aspects évoqués par le Livre blanc.

La cellule suit l’évolution du cadre législatif. Nous sommes ainsi concernés par les dispositions du projet de loi de programmation militaire relatives à la protection du secret de la défense nationale, actuellement soumises à votre examen. Elle est également chargée de préparer les orientations nationales du renseignement. Pour la première fois, en effet, les services devront exercer leur mission dans le cadre d’orientations approuvées par le Conseil national du renseignement, lequel est présidé par le Président de la République et comprend le Premier ministre, ainsi que les ministres de la défense, de l’intérieur, des affaires étrangères, de l’économie et du budget.

Les priorités absolues de nos services restent la lutte contre le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que le renseignement d’intérêt militaire là où nos troupes sont engagées.

En matière de lutte contre le terrorisme, l’un de nos axes de travail a consisté à favoriser le rapprochement entre la DGSE et la DCRI sur ce thème, pour lequel il n’est pas toujours facile de tracer une frontière entre renseignement intérieur et extérieur. Parmi nos autres priorités, je citerai les questions économiques, en particulier la protection de notre patrimoine économique contre des tentatives d’ingérence ou de prise de contrôle de la part d’États ou de groupes étrangers.

Il s’agit, je le répète, non de faire, mais de faire faire, d’assurer la bonne circulation du renseignement au sein de l’État et de développer la mutualisation entre les services. Il s’agit aussi de veiller au contrôle de l’autorité politique sur les services.

Au-delà, il s’agit également de travailler à une meilleure image des services de renseignement. Le but, qui peut paraître ambitieux, est en quelque sorte de réconcilier le renseignement avec la Nation en le mettant au service de celle-ci.

M. le président Axel Poniatowski. Merci, monsieur l’ambassadeur.

L’objet essentiel de la réorganisation que vous venez d’évoquer était d’assurer une meilleure coordination et un meilleur échange d’informations entre les différents services. Après bientôt neuf mois dans vos fonctions de coordonnateur, avez-vous pu constater une meilleure efficacité des différents services du fait d’une plus grande fluidité des échanges d’informations ?

Quelles sont par ailleurs, pour l’observateur que vous êtes, les principales qualités et les principales faiblesses des services français de renseignement, par rapport notamment aux grands services occidentaux ?

Comment jugez-vous, enfin, le fonctionnement des services de renseignement sur le terrain d’opérations très important qu’est l’Afghanistan ? Les différents services de renseignement alliés fonctionnent-ils bien, ou pourraient-ils fonctionner mieux encore ?

M. Bernard Bajolet. Même après neuf mois de travail, il est encore prématuré, de tirer des conclusions quant à l’efficacité des services. C’est dans les prochains mois, au vu notamment de notre capacité à déjouer d’éventuelles tentatives d’attentats, que nous pourrons mesurer l’efficacité du nouveau dispositif.

Bien que la tâche n’ait pas toujours été facile, il me semble que les services, dont certains avaient tendance à s’auto-orienter, sont demandeurs d’orientations et de priorités de la part de l’autorité politique. Les services ne peuvent pas tout faire et la demande est immense, mais les moyens restent limités, même si le Livre blanc a prévu de les accroître. Il faut donc hiérarchiser les priorités et accepter d’avoir moins de renseignements pour certaines régions du monde, voire de faire l’impasse sur certains pays – étant entendu toutefois qu’il appartient à l’autorité politique de décider des choix en la matière. Les services, je le répète, sont preneurs d’orientations, et je ne rencontre pas de difficultés majeures pour obtenir d’eux ce que je leur demande. Il n’y a d’ailleurs rien que de normal à ce que les services répondent aux commandes.

Afin de connaître les priorités actuelles, nous avons dû dresser un état des lieux et demander à chaque service comment les moyens étaient répartis en fonction des régions, des pays ou des thèmes. Les réponses que nous avons reçues, assez détaillées, nous permettent de voir comment les moyens sont actuellement orientés, ce qui est utile pour savoir quelles sont les marges de manœuvre et comment on pourrait faire évoluer ces orientations.

Pour ce qui est des qualités et des faiblesses des services, je relèverai tout d’abord que leurs faiblesses tiennent à une relative dispersion, qui rend nécessaire une coordination. Cependant, chaque service possède sa culture propre et il convient de faire de ces différences un avantage. Globalement, bien qu’ils soient moins étoffés que, par exemple, les services britanniques, les services français soutiennent parfaitement la comparaison avec les autres services européens.

De retour à Paris après plusieurs années passées en poste, je constate que la production des services est bien meilleure, notamment plus ciblée, que voilà 14 ans. La DGSE, en particulier, ne fait pas doublon avec le travail diplomatique et s’attache à apporter une valeur ajoutée par rapport aux analyses du réseau diplomatique. La qualité est donc en net progrès – c’est le cas par exemple des cartes fournies à l’appui des notes.

Sur le plan technique, les services vont engager, conformément aux recommandations du Livre blanc, un important effort d’investissement qui leur permet, sans avoir, bien évidemment, de moyens comparables à ceux des services américains, de tenir leur rang et d’être des interlocuteurs crédibles pour leurs partenaires, en particulier sur le terrain, notamment en Afghanistan, qui faisait, monsieur le président, l’objet de votre dernière question.

En Afghanistan, la priorité va au renseignement d’intérêt militaire, afin d’assurer la protection de nos forces et de leur procurer les renseignements dont elles ont besoin pour accomplir leurs missions. Sur ce point, les dispositifs de coordination du renseignement, tant entre services français qu’avec leurs partenaires alliés, paraissent satisfaisants.

M. le président Axel Poniatowski. Sur l’Afghanistan, cette réponse est particulièrement sobre !

M. Paul Giacobbi. Monsieur l’ambassadeur, je vous poserai quatre questions.

La première porte sur les organigrammes de la réorganisation. L’absence du Conseil de défense et de sécurité nationale et du Conseil national du renseignement sur le schéma dont nous disposons, intitulé « Le dispositif français du renseignement : les principaux acteurs », tient sans doute à ce que vous avez attendu, pour les y indiquer, le vote de la loi de programmation militaire. Le Conseil de défense et de sécurité nationale et sa subdivision qu’est le Conseil national du renseignement remplaceront-ils certaines structures de cet organigramme ou s’y ajouteront-ils ? Le Comité interministériel du renseignement, par exemple, disparaîtra-t-il ?

En deuxième lieu, en un temps où le mot d’ordre est la simplification, M. Balladur n’objectera-t-il pas, au vu de cette réorganisation, qu’elle témoigne d’une clause de compétence générale et d’un mille-feuilles bien plus compliqués que dans le cas des départements, des régions et des communes ? Dans ce cadre, le regroupement de certains services a-t-il été envisagé ? Pour quelles raisons la coordination des services existants a-t-elle été préférée ?

En troisième lieu, pour ce qui concerne la coopération avec les autres services, notamment dans le cadre de l’Alliance atlantique, la réintégration de la France au sein des dispositifs intégrés de l’OTAN permettra-t-elle une nouvelle vision de la coopération dans le domaine du renseignement ?

Enfin, pour faire écho à une question posée par certains de mes collègues au chef d’état-major des armées à propos du renseignement en Afghanistan, pouvez-vous nous indiquer combien de fonctionnaires ou de militaires français parlent le dari ou le pachtou ?

M. Bernard Bajolet. Pour ce qui est organigrammes, je vous confirme la disparition du Comité interministériel du renseignement, dont certaines fonctions sont reprises dans le nouveau dispositif. Le Conseil national du renseignement est une formation spécialisée du Conseil de défense et de sécurité nationale. Cette disposition figure parmi les propositions du Livre blanc et la différence de composition entre les deux conseils est minime. Le secrétariat de chacun d’entre eux est assuré par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. L’ensemble forme donc un tout qui n’est pas difficile à articuler.

Tout cela est compliqué – car la réalité l’est aussi –, mais la coordination a l’ambition d’ajouter plutôt un élément de rapprochement entre tous les services.

Quant à savoir s’il n’aurait pas été possible de fusionner tous ces services, l’option choisie a été celle d’un compromis consistant à fusionner ce qui semblait pouvoir l’être – les Renseignements généraux et la Direction de la surveillance du territoire, même si une partie seulement des fonctions des Renseignements généraux a été reprise par la DCRI, les autres fonctions d’information générale relevant désormais de la compétence de la sous-direction de l’information générale, ou SDIG, qui dispose de services déconcentrés au niveau du département.

À la différence des États-Unis, la France ne dispose pas d’un directeur national du renseignement. De fait, je ne suis pas le directeur général des services et n’ai pas d’autorité hiérarchique sur les directeurs de ces derniers. Cependant, comme l’indique sa lettre de mission, le coordonnateur n’est pas qu’une boîte aux lettres : il a diverses fonctions d’animation et diverses responsabilités dans le domaine budgétaire et dans le suivi des investissements et des ressources humaines, qui le situent à mi-chemin entre une fonction de simple liaison et de direction générale des services.

Il s’agit là d’une étape importante. Pour savoir s’il faut aller plus loin, il importe d’évaluer les vrais besoins de rapprochement. Dans certains domaines, un rapprochement est indispensable, comme entre la DGSE et la DCRI en matière de lutte contre le terrorisme, pour laquelle les équipes doivent être imbriquées. Les deux services ont d’ailleurs commencé à travailler très sérieusement dans ce sens. Il reste néanmoins beaucoup à faire. C’est le cas également en matière de mutualisation des équipements, bien que des pas importants aient déjà été faits.

Pour ce qui est des conséquences de la réintégration du commandement intégré de l’OTAN, je rappelle qu’une coopération existe déjà, notamment sur les théâtres d’opérations où nos troupes sont engagées dans le cadre de l’OTAN. En somme, on peut en attendre, non pas un bouleversement, mais davantage de fluidité dans l’échange de renseignements.

Enfin, la question de savoir combien d’officiers français en Afghanistan parlent le dari ou le pachtou mérite d’être posée, car j’ai pu constater que la connaissance des langues présentait certaines lacunes, tant dans les services qu’au ministère des affaires étrangères – où, paradoxalement, on constate un manque non seulement de linguistes, mais aussi, plus généralement, de connaisseurs des régions dans lesquelles la France est confrontée à des enjeux importants. Cela vaut autant pour la langue arabe que pour les langues que vous citez ou pour le chinois, le japonais et de nombreuses autres langues.

L’un des objectifs de la coordination et des orientations du renseignement est de pouvoir indiquer aux services comment ils doivent planifier le recrutement de leurs ressources humaines à moyen terme. Un effort est nécessaire pour ce qui concerne les langues et nous risquons de connaître des goulots d’étranglement non seulement pour les traducteurs et linguistes, mais aussi pour certaines formations spécialisées, comme celles d’ingénieur, d’analyste d’images et d’expert économique et financier, portant sur des domaines que nos services devront suivre davantage.

M. Henri Plagnol. Vous avez conclu votre présentation, en déclarant que vous souhaitiez rapprocher – et même réconcilier – le renseignement et la Nation, et qu’il y avait beaucoup à faire à cet égard. Le fait même que vous ayez accepté d’être auditionné aujourd’hui par notre commission en est un signe, car ce combat passe notamment par un meilleur dialogue entre les commissions compétentes de la représentation nationale et le renseignement français. J’en prendrai deux illustrations.

La première est une remarque critique : chargés par la Commission des affaires étrangères d’une mission sur l’Afghanistan et le Pakistan, mon collègue Jean Glavany et moi-même demandons depuis plusieurs mois, sans réponse, un rendez-vous à la DGSE. C’est dire que le chemin est long. Une telle situation serait impensable pour le Congrès américain.

Ma deuxième remarque porte à nouveau sur l’Afghanistan. Le fait que plusieurs questions posées cet après-midi évoquent ce dossier exprime l’importance qu’accorde la représentation nationale à l’actualité et à la crédibilité politique, au sens le plus fort du mot.

Or, après un passage au Pakistan et en Afghanistan, j’ai le sentiment que, si la France dispose dans ces pays d’excellents professionnels et si la collaboration avec les pays alliés est bonne, l’investissement national est cependant très insuffisant pour assurer la crédibilité de notre pays face à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Je souhaiterais avoir sur ce point une réponse franche. De fait, l’éternel défaut du système français est de se montrer incapable d’investir vite dans un endroit essentiel pour la crédibilité de la communauté du renseignement français.

À cet égard, la représentation nationale peut vous aider. Quel que soit le talent de nos services – qui nous ont d’ailleurs très correctement traités au Pakistan –, nous devons investir davantage sur ce terrain où nous avons des hommes et qui est devenu le cœur de la lutte contre le terrorisme international – je suis certain que de nombreux parlementaires partagent cette conviction.

M. Bernard Bajolet. Je pense comme vous, monsieur le député, qu’il faut donner une nouvelle dimension aux relations entre les services de renseignement et la représentation parlementaire.

La Délégation parlementaire au renseignement, créée par la loi d’octobre 2007, est certainement appelée à contribuer à ces relations. J’ai moi-même été auditionné à deux reprises par cette Délégation et crois savoir que les deux directeurs du renseignement intérieur et de la sécurité extérieure l’ont également été. C’est une très bonne chose et sans doute avons-nous trop tardé à renforcer ces liens. Je souhaite, pour ma part, que cette relation avec la Délégation parlementaire au renseignement soit aussi substantielle que possible.

Je suis très heureux de pouvoir m’exprimer aujourd’hui devant votre commission. J’ai également eu l’occasion d’être entendu par le rapporteur de la Commission des lois sur le projet de loi de programmation militaire, pour ce qui est des articles 12 à 14. Il me semble nécessaire d’approfondir cette relation, assez nouvelle en France. Il nous faut certes trouver nos marques, mais s’il est tout à fait légitime que nos services puissent attendre du Parlement davantage de soutien budgétaire et d’accompagnement législatif, il est tout aussi légitime que le Parlement attende des services certaines réponses et une certaine réactivité.

Quant à l’Afghanistan, il serait sans doute plus juste d’évoquer à la fois l’Afghanistan et le Pakistan, car, du point de vue des services, la présence française en Afghanistan ne peut se concevoir sans prendre en compte les pays de la région, au premier rang desquels le Pakistan. Cette région est d’ailleurs actuellement celle qui concentre les effectifs les plus importants du renseignement français. Est-ce suffisant ? On peut certes toujours faire mieux, mais du moins les services ne demandent-ils pas davantage de moyens en hommes et en matériel. Cette question a été réexaminée, notamment après le grave accrochage du 18 août dernier, et une mission s’est rendue en Afghanistan pour examiner les améliorations qui pouvaient être apportées à notre organisation en matière de renseignement.

D’autre part, il importe de ne pas négliger la relation avec les services locaux – afghans, qui doit être renforcée, et pakistanais.

M. François Loncle. À la suite de l’intervention de mon collègue Giacobbi, qui a évoqué la complexité de l’organisation des services et leur nécessaire coordination, que vous représentez aujourd’hui, je souhaiterais savoir qui, dans ce dispositif, est en relation avec les services étrangers, en particulier ceux avec lesquels notre pays a le plus intérêt à travailler sur les questions sensibles.

Ma deuxième question est très directe : quel est l’effectif des services français en Afghanistan et au Pakistan ? Vous n’êtes certes pas obligé d’y répondre, mais force est cependant de constater que, comme vous l’avez relevé à propos du Parlement en réponse à l’excellente question de M. Plagnol, les services français ont une culture du silence très différente de la conception démocratique dont font montre les pays anglo-saxons envers les citoyens et les représentants du peuple.

M. Bernard Bajolet. Chacun de nos grands services a établi au fil des ans des relations plus ou moins suivies avec certains services partenaires étrangers. Cela vaut pour la DGSE comme pour la DCRI, chacune dans son domaine de compétence, et concerne tout particulièrement certains partenaires privilégiés, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou le Canada. Il n’existe donc pas de monopole en la matière.

Il me semble toutefois important d’assurer une fluidité satisfaisante de l’information et une gestion harmonisée des contacts de nos différents services, de manière à éviter que les contacts avec les services étrangers ne se traduisent par des distorsions, voire des surenchères de la part de ces derniers. Les services doivent donc s’informer mutuellement et en tant que de besoin de leurs contacts avec leurs partenaires étrangers. Conformément à ma lettre de mission, je suis amené, en cas de besoin, à rendre des arbitrages. Ainsi, si tel service étranger demande une coopération à un interlocuteur français, il me revient de décider s’il s’agit bien de l’interlocuteur pertinent pour ce contact.

J’évite, au demeurant, de m’ingérer dans les aspects opérationnels de la coopération entre les services, dont je suis cependant informé, et mes propres contacts se situent principalement au niveau des fonctionnaires qui exercent, quelles que soient par ailleurs les différences d’organisation entre les différents pays, des fonctions semblables aux miennes. Il s’agit par exemple, aux États-Unis, du Director of National Intelligence, ou DNI, le directeur national du renseignement, ou, en Grande-Bretagne, du conseiller qui, au cabinet du Premier ministre, coordonne les services de renseignements, avec des fonctions légèrement différentes des miennes, ou du fonctionnaire équivalent au cabinet de Mme Merkel. Cette organisation repose sur une certaine souplesse, mais des arbitrages doivent parfois être rendus pour éviter que plusieurs services ne mènent simultanément les mêmes démarches à l’étranger.

Quant à votre deuxième question, je doute que, si vous interrogiez nos amis britanniques sur les effectifs de leurs services en Afghanistan, ils ne vous apportent une réponse plus précise que celle que je pourrais vous fournir sur les nôtres. En effet, si l’on cite souvent les Britanniques en exemple dans le domaine du renseignement, ils sont souvent aussi un exemple de discrétion, en particulier sur ce point. En outre, comme vous le savez, les effectifs des services peuvent relever de différents statuts et évoluer en fonction des besoins sur le terrain. Je regrette donc de ne pas pouvoir répondre pleinement à votre curiosité.

M. Jean-Michel Boucheron. Monsieur le coordonnateur, je vous livrerai un sentiment plus que je ne vous poserai une question. Vous avez évoqué, à propos de la répartition de nos moyens, les nécessaires arbitrages entre ce que je serais tenté d’appeler l’histoire et le futur. Les enjeux budgétaires sont, au regard du budget de l’État et de l’importance de ces questions, assez limitées pour justifier des efforts supplémentaires dans les domaines où nous sommes faibles sans imposer pour autant des allégements dans des secteurs où nous sommes stratégiquement seuls et pouvons aider nos alliés dans un cadre négocié. Un consensus est sans doute possible sur ce point et il s’impose d’autant plus que, dans ce domaine, ce qui disparaît n’est pas facile à remplacer.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur l’ambassadeur, je m’associe à ceux de mes collègues qui, comme M. Boucheron, jugent qu’un effort supplémentaire serait souhaitable.

Ma question est cependant d’un autre ordre : quelle place reste-t-il au Premier ministre dans ce dispositif ?

M. Bernard Bajolet. Monsieur Boucheron, c’est une de mes préoccupations et l’une de mes missions que de m’assurer que la volonté exprimée dans le Livre blanc trouvera bien sa traduction dans les différentes lois de programmation budgétaire et lois de finances annuelles. Je suis donc très vigilant en la matière. Il faut en effet s’assurer que les investissements très importants envisagés dans le domaine du renseignement, comme le programme d’imagerie satellitaire MUSIS, disposeront des financements nécessaires et seront engagés en temps utile pour éviter le risque, pas tout à fait négligeable, d’une rupture capacitaire telle que celle qui pourrait se produire lorsque le satellite Hélios II aura terminé sa période de vie contractuelle, en 2014.

Pour l’heure, je n’ai aucune raison de penser que les décisions prises en matière de personnel ou d’équipement sont menacées, mais, dans le contexte économique et budgétaire très difficile que nous connaissons, je surveille ce point avec une attention particulière. Cette vigilance est très concrète : nous examinons avec précision les budgets des services – par exemple celui de la DCRI, très récemment créée et dont il faut s’assurer qu’elle part sur de bonnes bases budgétaires.

Madame la ministre, c’est précisément parce que le Premier ministre est responsable devant le Parlement et parce qu’il est chargé de coordonner et d’animer le Gouvernement que la cellule très légère que je dirige doit s’appuyer sur une structure interministérielle, laquelle n’est autre que le SGDN, futur Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui est un service du Premier ministre.

Dans la pratique, je travaille en liaison étroite avec le Premier ministre et ses collaborateurs, dont l’un participe d’ailleurs à une réunion hebdomadaire que j’organise avec mes collègues de l’Élysée. Le Premier ministre et ses collaborateurs sont donc très étroitement associés à tout ce que nous faisons et le Premier ministre est destinataire de tout ce que ma cellule peut produire.

La question que vous posez est très importante et j’y suis très attentif. Du reste, ce point fait partie des instructions que j’ai reçues dès le départ.

M. le président Axel Poniatowski. Il me reste à vous remercier d’avoir accepté de venir devant notre commission est de nous avoir apporté ces éclaircissements.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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