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Commission des affaires étrangères

Mercredi 8 avril 2009

Séance de 11 h 30

Compte rendu n° 50

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Table ronde sur la situation à Sri Lanka avec Mme Jasmine Zérinini, sous-directrice d’Asie méridionale au ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Eric Meyer, professeur et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales – INALCO

Table ronde sur la situation à Sri Lanka avec Mme Jasmine Zérinini, sous-directrice d’Asie méridionale au ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Eric Meyer, professeur et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales – INALCO.

La séance est ouverte à onze heures trente

M. le président Axel Poniatowski. Je tiens à remercier Mme Jasmine Zérinini, sous-directrice d’Asie méridionale au ministère des affaires étrangères et européennes, et M. Éric Meyer, professeur et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), d’avoir accepté notre invitation. Mme Zérinini est spécialiste du sous-continent indien et elle travaille notamment avec notre collègue Pierre Lellouche sur l’Afghanistan et le Pakistan. Quant à M. Meyer, il est « le » spécialiste français de Sri Lanka, auquel il a consacré de nombreux travaux, d’abord au CNRS de 1976 à 1994, puis à l’INALCO, dont il est actuellement vice-président.

Grâce à votre présence parmi nous ce matin, nous allons avoir l’occasion d’en savoir plus sur la situation à Sri Lanka alors que les députés sont de plus en plus sollicités à ce sujet par des organisations tantôt cingalaises, tantôt tamoules. Or les médias s’intéressent peu à une guerre civile qui, depuis trente ans, a fait plus de 70 000 victimes. Les autorités estiment avoir remporté une victoire décisive tandis que, dans certaines zones, la situation sanitaire des populations est extrêmement dégradée.

M. Éric Meyer, professeur et vice-président de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). On parle en effet assez peu de Sri Lanka dans les médias. Il s’agit d’un conflit d’une très grande complexité bien qu’il ne soit en rien multiséculaire. Jusqu’à la fin de la période coloniale britannique, les deux communautés – les Cingalais et les locuteurs de langue tamoule qui représentent respectivement 75 % et 25 % de la population – ont coexisté de façon largement pacifique. Après une indépendance acquise sans heurts six mois après celle de l’Inde, s’est développé démocratiquement – les institutions étaient copiées sur celles de Westminster – un mouvement identitaire cingalais qui estimait que la majorité de la population avait été victime de la préférence accordée aux Tamouls pendant la domination britannique. À partir de 1956, le cingalais devient la langue officielle à la place de l’anglais. Par ailleurs, le bouddhisme bénéficie d’une reconnaissance de plus en plus marquée et devient en 1972 la religion que l’État se doit de protéger. L’identité cingalaise s’affirme donc progressivement au détriment des – je dis bien : des – minorités tamoules.

En effet, 18 % de la population est constituée de Tamouls vivant au Nord et à l’Est de l’île, qui ont un esprit d’entreprise particulièrement développé. Cette minorité est largement scolarisée, elle a appris l’anglais, ce qui a favorisé l’expatriation dès la fin du XIXe siècle, et elle a essaimé à Kuala Lumpur et à Singapour. C’est elle qui a beaucoup pâti du changement de langue officielle. Il existe aussi sur la côte Est une communauté tamoulophone de confession musulmane, environ 7 % de la population, qui ne s’identifie pas à la lutte des séparatistes et qui a persisté dans son attitude de coexistence avec les autres communautés. Enfin, on trouve une troisième communauté tamoule, installée par les Britanniques dans le centre de l’île pour travailler dans les plantations de thé, qui ne s’identifie pas non plus réellement aux séparatistes.

Dans les années soixante-dix, le mouvement tamoul, qui s’exprimait de façon pacifique – la tradition démocratique britannique fait qu’il y a toujours eu des députés tamouls – a été doublé par d’autres mouvements créés par des jeunes auxquels l’accès à l’université – un accès très étroit, il est vrai, que l’introduction de quotas avait encore restreint – avait été refusé, alors que les Tamouls y étaient jusque-là plus que proportionnellement représentés. Ceux qui le pouvaient sont partis dans les pays de langue anglaise, tandis que ceux qui n’en avaient pas les moyens se sont lancés dans l’action clandestine et ont constitué une dizaine de groupes militants autour de Jaffna, la ville principale du nord de l’île. L’organisation des Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (LTTE), dont l’emblème est une tête de tigre derrière laquelle se croisent deux fusils sur fond rouge, l’a progressivement emporté sur les autres au début des années quatre-vingts, soit par absorption, soit surtout par élimination. Ces groupes étaient alors appuyés en sous-main par le gouvernement régional de Madras et même par le gouvernement fédéral indien qui craignait que Colombo ne laisse s’installer une base américaine dans le port de Trincomalee sur la côte est. En 1983, a eu lieu à Colombo, à la suite d’un attentat des Tigres contre l’armée, un véritable pogrom à l’encontre de Tamouls, pourchassés à cause de leur nom ou de leur accent, qui s’est soldé par plusieurs centaines de morts. Cet événement dramatique, organisé par des proches du gouvernement cingalais, a provoqué une vague d’émigration massive soit vers le nord du pays, soit vers l’Occident où les immigrés ont obtenu le statut de réfugié politique. Les Tamouls sri-lankais ont acquis à cette occasion une visibilité nouvelle.

Les émigrés vont se faire les partisans ardents du séparatisme tamoul et, volontairement ou non, les financiers du LTTE, qui devient un mouvement puissant. Il recueille des sommes considérables auprès de la diaspora et se lance entre 1993 et 1999 dans le trafic international d’armes.

A partir de 1987, le mouvement séparatiste opère un tournant car l’Inde intervient pour que le Gouvernement sri-lankais accorde aux provinces à majorité tamoule du Nord et de l’Est un statut particulier. C’est ainsi qu’est voté le treizième amendement à la Constitution, qui introduit, mais sous une forme atténuée, une sorte de fédéralisme à l’indienne. A la clef, une clause secrète, mais c’est un secret de polichinelle, portant sur l’utilisation comme base navale par l’Inde du port de Trincomalee, le seul à l’abri des tempêtes dans l’océan Indien. Mais la démarche indienne se soldera par un fiasco car les indépendantistes reprennent les armes contre l’Inde accusée de faire le jeu des Cingalais car elle a admis le principe de l’intégrité territoriale du pays. Les Indiens, qui avaient envoyé un corps expéditionnaire qui comptera jusqu’à 50 000 hommes, se retirent, laissant le champ libre aux Tigres, qui prennent le contrôle du nord et de l’est de l’île jusqu’en 1994-1995.

A cette époque, une première tentative de négociation entre la présidente Chandrika Kumaratunga, qui vient d’être élue, et les maîtres de Jaffna avorte car elle refuse d’accorder une quasi-indépendance à l’Eelam – la zone Nord et Est –, terme qui signifie « Ceylan » en tamoul. Le Gouvernement opte pour une solution militaire de reconquête du Nord mais s’efforce à la retenue. L’armée est envoyée dans le nord en 1995 pour dégager la route A7 qui relie le centre de l’île à Jaffna. La ville repasse sous le contrôle des forces régulières. Mais, ayant conservé la maîtrise de la route A7, les Tigres se replient à l’intérieur et Kilinochchi devient leur « capitale ». Le mouvement de troupes s’accompagne de déplacements de population, volontaires ou non : 200 000 personnes environ quittent Jaffna pour la région de Vanni, qui était jusque-là une jungle inhabitée.

Entre Kilinochchi et Mullaittivu, dorénavant zone de peuplement, les Tigres construisent une véritable base militaire équipée de moyens de télécommunications très modernes et de pistes d’aviation d’où décollent des avions de tourisme pour bombarder les villes, y compris Colombo. Il y règne une discipline de fer – les combattants ont en permanence autour du cou une capsule de cyanure qu’ils avalent s’ils sont pris – et on exalte la culture du sacrifice, de l’héroïsme qui s’accompagne du culte du chef. Ce sont des dizaines de milliers de jeunes qui sont enrôlés, les parents devant fournir à la cause au moins un de leurs enfants. On assiste à des recrutements forcés et les jeunes filles sont nombreuses dans les rangs des combattants.

L’année 1993 avait vu l’assassinat du président Premadasa, après celui de Rajiv Gandhi en 1991, tué par une kamikaze tamoule. La présidente échappe à un attentat en 1999. L’attaque de l’aéroport de Colombo en 2001 provoque l’effondrement d’une économie fondée sur le tourisme. Parallèlement, prenant conscience du fonctionnement de certaines organisations aux ramifications internationales après les attentats du 11 septembre, la communauté internationale se penche de plus près sur les circuits de financement des Tigres qui, sous la pression, concluent une trêve début 2002, après des négociations menées sous l’égide de la Norvège. Une mission, composée surtout de soldats scandinaves, s’installe sur place pour surveiller le cessez-le-feu, qui sera régulièrement violé, principalement par les Tigres. La négociation a une fois de plus échoué.

L’équilibre des forces se modifie fin 2004, le tsunami frappant aussi les zones contrôlées par les Tamouls et détruisant une partie de leurs infrastructures militaires. L’aide humanitaire qui parvient aux victimes devient un enjeu, le Gouvernement s’efforçant d’en prendre le contrôle. Le LTTE subit un autre coup dur avec la défection de son chef dans l’est de l’île, où les leaders du nord recrutaient de plus en plus, faute de combattants chez eux. Leur capacité à poursuivre le combat est entamée à l’avantage du Gouvernement, qui tire profit d’une vague d’attentats suicides dans les zones cingalaises pour radicaliser sa position. Peu après l’assassinat du ministre des affaires étrangères d’origine tamoule, la victoire très courte du nouveau président Rajapakse en 2005 est obtenue contre l’un des partisans de la trêve, et les Tigres l’ont objectivement facilitée en donnant une consigne d’abstention : il devait y avoir entre 300 000 et 400 000 abstentions pour 150 000 voix d’écart. Les violations du cessez-le-feu se multiplient et le conflit redémarre. Le Gouvernement peut compter désormais sur la collaboration du chef tamoul de la côte Est dont les troupes sont devenues les auxiliaires de l’armée régulière. L’issue de la bataille dépend du contrôle de la mer, et la marine sri-lankaise parvient à couler la totalité de la flotte marchande des Tigres dans les eaux internationales, au large de Sumatra, avant de mettre au point une stratégie contre les vedettes rapides de ses ennemis. Les troupes gouvernementales reprendront le contrôle des côtes et de Jaffna en prenant leurs adversaires en tenaille. En dépit de l’absence de tradition militaire, l’armée, forte désormais de 200 000 hommes, s’est aguerrie et, à la fin de l’année 2008, les Tigres, après la perte de Kilinochchi, sont refoulés le long de la côte nord-est, dans une étroite langue de terre, où les combattants se mêlent à la population civile, estimée d’après des photos satellites à 100 000 individus, et où les conditions de vie sont épouvantables. Un drame humanitaire se prépare car la zone n’est plus approvisionnée en eau, le dernier hôpital a été évacué et seule la Croix-Rouge internationale peut encore évacuer les blessés par la mer.

Mme Jasmine Zérinini, sous-directrice de l’Asie méridionale au ministère des affaires étrangères et européennes. Du point de vue diplomatique, la première urgence consiste pour nous à régler la situation des 100 000 personnes qui vivent dans la safe zone dans des conditions sanitaires extrêmement détériorées. Elles meurent de maladies, mais sont aussi prises sous les tirs tant de l’armée régulière que des Tigres, qui les empêchent de s’enfuir.

Nous nous préoccupons des civils qui, après leur évacuation de la zone de combat, sont acheminés dans des camps de filtrage du Gouvernement, où, à l’exception du CICR, aucune ONG n’est installée, où se mélangent civils et partisans du LTTE – qui n’hésitent pas à y commettre des attentats suicides –, et où il n’existe aucune garantie que le droit international humanitaire soit pleinement respecté.

Une fois filtrés, les réfugiés sont dirigés vers des camps situés à l’ouest du pays, ouverts très parcimonieusement aux ONG. Le service d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO), rattaché au commissaire Louis Michel, s’en est vu refuser l’accès, alors qu’ECHO est un partenaire important, dont l’aide à Sri Lanka s’est élevée à 22 millions d’euros en 2008.

Par ailleurs, le conflit se déroule sur fond de vie politique très dégradée. Les violations des droits de l’homme sont préoccupantes, notamment contre les journalistes. Le rédacteur en chef d’un journal très critique du gouvernement a été abattu en pleine rue à Colombo récemment. Il sera essentiel pour la stabilité du pays dans le long terme que les autorités réussissent à faire émerger une solution politique ménageant, à la fois, les droits des différentes communautés et le principe d’intégrité territoriale. A plus long terme, se posera aussi la question de la réconciliation nationale, qui est indispensable.

La France, l’Union européenne et les Nations unies ont entrepris des démarches pour infléchir la position des autorités sri-lankaises et améliorer le sort des civils.

Le ministère des affaires étrangères est en lien permanent avec les ONG présentes à Sri Lanka, en particulier dans la zone nord, notamment ACTED et Handicap International, dont il soutient certains projets sur place. Elles nous font régulièrement part de l’évolution de la situation et de leur préoccupations. Le ministre s’implique personnellement et s’est notamment entretenu avec son homologue sri-lankais le 26 février. Il a réclamé un cessez-le-feu au moins provisoire pour évacuer les civils, dont 6 000 seulement ont pu quitter la zone des opérations depuis un mois. Il lui a également écrit pour lui faire part de nos projets humanitaires, et de la nécessité pour le gouvernement sri-lankais d’œuvrer à la mise en place d’une solution politique. L’ambassadeur de France auprès des institutions européennes a aussi rencontré, à la demande de celui-ci, l’ambassadeur de Sri Lanka en Belgique. La France apporte sa contribution au HCR et aux ONG. L’outil diplomatique français est mobilisé pour influencer les autorités sri-lankaises.

Au niveau européen, de nombreuses démarches ont été engagées depuis un mois et demi. Les conclusions du conseil des affaires générales ont été très fermes et perçues comme telles par les autorités sri-lankaises. Une troïka, à niveau ministériel ou vice-ministériel, devrait se rendre sur place en mai, et la Commission a envoyé une mission de terrain la semaine dernière, laquelle a pu notamment rencontrer le frère du Président. Sri Lanka bénéficie aujourd’hui du système de préférences généralisées (SGP). Une enquête a été lancée par la Commission sur l’opportunité d’attribuer à Sri Lanka le « SPG+ » (qui accorde plus d’avantages que le SPG) car il est assorti de certaines exigences concernant les droits de l’homme. La reconduction du « SPG+ » sera subordonnée aux résultats de cette enquête, démarche qui suscite des réserves de la part des autorités sri-lankaises.

A l’ONU aussi, la mobilisation est forte. Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, John Holmes, a organisé deux briefings informels devant le Conseil de sécurité, et il s’est rendu sur place en février. Il pourrait aussi être envisagé que la situation fasse l’objet d’une réunion du Conseil des droits de l’homme, à Genève. Mais nous nous heurtons à un gouvernement qui estime en être à la dernière phase de reconquête du territoire.

Par ailleurs, la position de la France et de l’Union européenne vis-à-vis du LTTE est ferme. Le mouvement a été inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union en 2006. En 2007, une information judiciaire a été ouverte en France et elle vient de se terminer par la transmission du dossier au parquet à fins de réquisitions sur la base d’extorsions de fonds auprès de la communauté tamoule.

M. le président Axel Poniatowski. L’Union considère les Tigres comme une organisation terroriste, mais pas l’ONU.

Mme Jasmine Zérinini. L’Union européenne établit effectivement sa propre liste exprimant la position de ses 27 Etats membres.

M. le président Axel Poniatowski. Sur le plan militaire, l’armée régulière en est à la phase finale et la question se pose du respect des règles humanitaires dans la dernière bande de terre encore aux mains des Tigres. Quelle est, envers eux, l’attitude des 100 000 civils coincés là-bas ? Sont-ils pris en otages ou complices ?

M. Éric Meyer. Il y a les deux puisque vivaient là des pêcheurs qui ont été pris dans le conflit et qui ont dû composer avec les Tigres, lesquels sont arrivés avec leurs familles. Mais comment faire le partage ? Depuis que les Tigres ont perdu leurs positions, ils ne sont plus en uniforme et il devient très difficile de les identifier.

M. le président Axel Poniatowski. Les Tamouls qui vivent dans les camps ou ailleurs sont-ils persécutés ?

M. Éric Meyer. Pas systématiquement. Mais les contrôles policiers sont ce qu’ils sont, et ils visent souvent les Tamouls, que leur nom ou leur accent rend automatiquement suspects, ne serait-ce qu’à cause des attentats suicides.

Mme Jasmine Zérinini. On ne peut pas parler de génocide, comme on l’entend dire par certains, car il n’y a pas de politique délibérée en ce sens. Mais l’activité du LTTE, qui est un mouvement terroriste jusqu’au-boutiste, a fait naître la suspicion et les contrôles sont opérés jusque dans les camps de filtrage.

M. Dominique Souchet. Quel est le rôle actuel de l’Inde ? Campe-t-elle sur une position d’abstention ou bien exerce-t-elle des pressions sur l’un ou l’autre camp ?

Quelle est la place de la communauté tamoule en France ? Est-elle engagée derrière les Tigres tamouls ?

Mme Jasmine Zérinini. L’Inde a payé dans sa chair sa médiation dans ce conflit avec l’assassinat de Rajiv Gandhi. Elle est désormais en retrait et ne veut plus apparaître sur le devant de la scène. Cependant, depuis quelques mois, elle est de retour de manière plus visible dans le jeu diplomatique. Des déclarations publiques demandent au LTTE de rendre les armes pour s’engager dans un processus politique. Parallèlement, les autorités sont invitées à appliquer le treizième amendement et à accorder une autonomie poussée aux provinces tamoules.

M. Éric Meyer. De 70 000 à 90 000 personnes sont arrivées en France depuis 1983, dont certaines sont devenues des citoyens français – et leurs enfants le sont aussi. Actuellement, la communauté est très mobilisée et angoissée. Le Tamil Coordination Committee, contrôlé par les Tigres, organise des manifestations et il a fait élire des conseillers municipaux en Ile-de-France. La communauté navigue entre deux eaux : elle affiche son soutien à la cause des Tigres, mais elle se pose des questions. Il faut l’encourager dans cette seconde voie pour préparer l’ouverture d’un dialogue ultérieur. Il s’agit là d’un enjeu politique hexagonal car la défaite militaire des Tigres n’entamera pas leur trésor de guerre, qui est considérable et qui est géré par quelqu’un qui a été désigné par les chef des Tigres comme leur représentant international – je précise que cette personne, qui évolue entre la Thaïlande, la Malaisie et parfois la Norvège, est recherchée par Interpol. Il ne faut pas non plus oublier que, dans la diaspora, l’esprit militant n’est pas mort.

M. Loïc Bouvard. Quelle est l’importance de la diaspora installée en Australie, à Toronto et Kuala Lumpur ? S’agite-t-elle partout comme à Paris ?

La victoire de l’armée va-t-elle pousser à la recrudescence des attentats tamouls, les attentats étant, comme on l’a vu en Irak et en Afghanistan, l’arme des vaincus ?

M. Éric Meyer. La diaspora compte environ un million de personnes qui sont reliées via Internet. Ainsi, le site TamilNet fait écho au point de vue des militants. La communauté est organisée à l’échelle mondiale et elle est contrôlée jusqu’à présent par les partisans des Tigres.

S’agissant des attentats, rien n’est sûr car ils étaient organisés depuis le sommet de l’organisation qui risque d’être décapitée. Une guérilla sans territoire a besoin de moyens de communication. Il restera alors les actes individuels isolés. Il y a bien eu à Genève un suicide par le feu d’un Tamoul venu de Londres. Votre hypothèse est possible, mais elle n’est pas certaine.

M. François Asensi. Les élections de 2005 opposaient deux candidats : un cingalais ouvert et un autre radical. Les Tamouls ont choisi leur adversaire. Mais que proposait le candidat qui a perdu ? En ce qui me concerne, je refuse de stigmatiser la communauté tamoule et de l’assimiler à un groupe de terroristes. Je suis élu à Tremblay-en-France où vit une importante communauté tamoule. Ce sont des gens pacifiques, dont les enfants travaillent remarquablement à l’école.

Vous accordez, à mon avis, un peu vite un brevet de démocratie au gouvernement cingalais. La communauté tamoule de France demande non pas la victoire totale des Tigres, mais le respect des droits de la minorité et préconise une démarche fédéraliste. On ne peut pas à la fois soutenir les Tchétchènes et condamner les Tamouls.

M. Éric Meyer. Le candidat battu voulait sauver la trêve par une intervention internationale, que les Tigres ont refusée. Le gouvernement sri-lankais n’était pas allé très loin dans les concessions politiques. De leur côté, les Tamouls avaient le sentiment d’avoir été bercés de paroles en l’air depuis 1958, les gouvernements étant revenus sur leurs promesses et ayant de ce fait suscité leur méfiance. Il est impropre de parler de gouvernement cingalais dans la mesure où il a toujours compté des ministres issus des minorités, mais la solution fédérale n’a pas vu le jour malgré le vote du treizième amendement.

Mme Jasmine Zérinini. Nous ne faisons pas trop peu de cas de la communauté tamoule : le ministre a répété qu’il fallait un plan d’action qui favorise une solution politique négociée entre Sri-Lankais dans le respect de l’intégrité territoriale tout en tenant compte des aspirations légitimes des différentes communautés. Nous recommandons des élections libres dans la province du Nord et nous exprimons notre inquiétude quant à la situation des droits de l’homme et à l’impunité qui s’étend. Nous ne faisons pas preuve de légèreté, mais la solution doit émerger localement. Nous poussons à la mise en application du treizième amendement, mais les autorités gouvernementales veulent conclure leur reconquête militaire. Elles voient dans la victoire une étape préalable à la négociation politique.

M. Jean-Pierre Kucheida. J’ai entendu dire que les ONG avaient joué dans ce conflit un rôle particulièrement déplaisant et plutôt favorable aux Tamouls.

Mme Jasmine Zérinini. Ce n’est pas exact. Ces remarques devaient correspondre à la période post-tsunami pendant laquelle les ONG de terrain ont été prises à partie par les autorités gouvernementales et accusées d’avoir été utilisées, voire manipulées, par le LTTE. Ce n’est pas une première : on avait entendu la même chose après le tremblement de terre au Pakistan.

M. Éric Meyer. Je confirme. La communauté tamoule n’a pas pris conscience de ce qu’il existe à Sri Lanka des forces démocratiques. Sri Lanka a été longtemps un pays réellement démocratique et il a perdu ses valeurs dans cette lutte terrible. Il existe cependant des ressources dans la population cingalaise, y compris chez certains bouddhistes, qui restent fidèles aux enseignements de base de cette religion. Il existe des minorités extrémistes, mais il existe aussi un fond pacifique dans la culture, dont il ne faudrait pas faire bon marché.

Cela étant, il est contradictoire de brandir le drapeau des Tigres en se déclarant pacifique.

M. le président Axel Poniatowski. Nous vous remercions de nous avoir apporté un éclairage très précis, qui nous permettra de mieux apprécier la situation.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq

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