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Commission des affaires étrangères

Mercredi 20 mai 2009

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 58

Présidence de M. Axel Poniatowski, président

– Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes (ouverte à la presse)

– Informations relatives à la commission

Audition de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes

La séance est ouverte à seize heures quinze

M. le président Axel Poniatowski. Merci, monsieur le ministre, d’avoir répondu à l’invitation de la commission des affaires étrangères.

Avant de laisser mes collègues vous interroger sur d’autres sujets d’une actualité très chargée, je voudrais pour ma part commencer par celui du Proche-Orient.

Quel est votre sentiment sur la rencontre qui a eu lieu à Washington entre le président Obama et le Premier ministre israélien, M. Netanyahu, et sur la fermeté apparente du premier envers le second ? Pensez-vous que les Etats-Unis vont utiliser des moyens de pression efficaces à l’égard d’Israël ? On attendait un gel de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens, mais c’est au contraire l’installation de nouvelles colonies qui a été annoncée.

Nous aimerions aussi vous entendre au sujet du dialogue inter-palestinien, lequel semble au point mort, le Hamas ayant démenti l’information selon laquelle il aurait conclu un accord avec le Fatah. Enfin, au-delà de la position française, pourriez-vous nous donner des indications sur le rôle joué par l’Union européenne ?

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Vous ne me faites pas commencer par le sujet le plus facile.

Nous nous attendions à une position de fermeté de la part du président Obama, et la manière dont s’était déroulée notre conversation avec le ministre des affaires étrangères israélien, M. Lieberman – même si celui-ci n’est pas exactement sur la même ligne que M. Netanyahu, lequel est à la tête d’un gouvernement de coalition – nous faisait imaginer un choc entre les deux conceptions. Le président Obama est, comme nous, un partisan déterminé de la création d’un Etat palestinien. M. Lieberman, ce n’est un secret pour personne, ne l’est pas ; il pense que le développement économique en Cisjordanie est un préalable, ce contre quoi nous nous sommes élevés. Quant à Gaza, il n’en parle pas car il en fait un sujet à part, ce que nous contestons tout autant.

Que va-t-il se passer ? Je pense que l’on va revenir aux négociations politiques. Mais la position américaine devait être précisée à l’issue des contacts avec les parties ; or je crains que la visite de M. Moubarak aux Etats-Unis ne soit reportée, et il reste aussi M. Abou Mazen. Après ces diverses rencontres, le président Obama délivrera son message ; il était prévu qu’il le fasse le 4 juin au Caire.

La position française, vous la connaissez : arrêt des colonisations, retour au processus de paix, création d’un Etat palestinien. Nous n’en démordrons pas. Ne vous laissez pas abuser par quelques dépêches tronquées. Quant à la position européenne, elle est ferme, même si elle est plus difficile à affirmer en cette période de transition.

J’ai cru que la position de M. Netanyahu n’était pas aussi dure que celle de M. Lieberman. Cependant, dans la conversation qui nous a été rapportée, s’il a affirmé que le retour au processus politique était possible, il n’a pas parlé d’Etat palestinien. Il n’a pas dit non plus qu’il imposerait la fin des colonisations – et il y en a toujours de nouvelles, ce qui est particulièrement inquiétant.

Enfin, nous pensions que le gouvernement de M. Salam Fayyad, avec qui nous avons tous très bien travaillé, pourrait réunir un plus large consensus ; le Hamas a affirmé qu’il n’en était rien – ce que je ne crois qu’à moitié.

Il y a donc un blocage, et pour nous il est clair qu’il faut créer un Etat palestinien. La position iranienne, au-delà du danger qu’elle représente, nous renforce dans cette certitude. C’est en dénouant le problème le plus épineux qui oppose le monde arabe à Israël et une partie du reste du monde que nous pourrons avancer dans le règlement de la question iranienne.

M. François Rochebloine. Sur une initiative de la Pologne, l’Union européenne vient d’arrêter le principe d’un partenariat oriental avec l’Ukraine, le Belarus, la Moldavie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ces six pays appartiennent en fait à deux ensembles géopolitiques différents, les marches occidentales de la Russie et le Caucase du Sud. Leur « unité » est essentiellement négative : ils ne sont plus intégrés dans ce qui était la zone d’influence soviétique. Par ailleurs, l’action de l’Union européenne va coexister avec d’autres initiatives telles que, pour le Caucase du Sud, le Groupe de Minsk, dans lequel la France joue un rôle important aux côtés des Etats-Unis et de la Russie. Dans ces conditions, quelles devraient être à vos yeux les priorités de ce partenariat européen ?

Lors de la mise en place du partenariat avec ces six pays, on a évoqué l’Union pour la Méditerranée. Où en est sa réalisation concrète ?

Vous avez signé le traité d’Oslo interdisant les bombes à sous-munitions. A quelle date nous soumettra-t-on le projet de loi autorisant sa ratification ?

Enfin, vous avez annoncé il y a quelques semaines la création d’une agence culturelle, en me faisant l’honneur de m’y associer. A quelle date le rapport sera-t-il remis ? Quand le projet de loi viendra-t-il en discussion ?

M. Robert Lecou. A l’occasion des élections européennes, la question des frontières de l’Europe sera immanquablement posée. Il semble cependant que l’intégration des pays des Balkans ne prête pas à contestation. L’accélération de cette intégration dans l’Union ne serait-elle pas un bon moyen pour ces pays de régler les problèmes qu’ils connaissent entre eux ? On a même entendu hier M. Joe Biden dire que les Etats-Unis devaient l’encourager… Quelle est la position de la France sur l’intégration de la Croatie, de la Serbie, du Monténégro, de la Macédoine et du Kosovo ainsi que sur celle, hors de l’ex-Yougoslavie, de l’Albanie ?

Mme Marie-Louise Fort. Le président de la commission des affaires étrangères du Parlement turc est actuellement en visite à Paris. Nous avons entendu le président Obama souhaiter que la Turquie intègre l’Europe, et le Président de la République réaffirmer en réponse que lui, au contraire, ne le souhaitait pas. Nous nous rendons bien compte, au fil de nos auditions, que ce pays a un rôle de plus en plus important sur la scène internationale, à telle enseigne que, à l’initiative du président de notre commission, il a été décidé de constituer une mission sur le sujet. Quel type de partenariat envisagez-vous entre l’Union européenne et la Turquie ?

M. Jean-Paul Lecoq. Concernant le Proche-Orient, que pensez-vous de l’insistance des Israéliens à faire reconnaître la notion d’ « Etat juif », et non plus seulement l’Etat d’Israël ? Souvenons-nous des réactions entendues lorsque l’Iran s’était proclamé République islamique. La traduction concrète de cette nouvelle étape, c’est, par exemple, le tramway de Jérusalem, qui ne s’arrête que dans les quartiers juifs…

Par ailleurs, je vous avais interrogé il y a quelque temps sur l’attitude de notre ambassadeur à l’ONU, le 30 avril dernier, au sujet de la proposition d’étendre le mandat des Casques bleus de la MINURSO à la surveillance du respect des droits de l’homme. La France s’y est opposée. Elle a préféré la notion de droits humains, ce qui n’est pas la même chose, comme me l’ont confirmé plusieurs experts en droit. En 2007, en Chine, Ségolène Royal avait également parlé de droits humains plutôt que de droits de l’homme pour essayer de ne pas vexer les Chinois. On me dira peut-être que c’est la traduction de l’expression anglaise, mais si le français est utilisé comme langue officielle aux Nations unies, c’est bien en raison de sa précision. Je m’élève donc contre le fait d’avoir cédé au Maroc sur ce point, et je vous demande de vous battre pour que les droits de l’homme soient respectés au Sahara occidental.

Tant sur la question israélo-palestinienne que sur la question sahraouie, la faiblesse de notre diplomatie ne sert pas la paix. Dans un cas comme dans l’autre, il faudrait que nous fassions preuve de plus de fermeté.

M. le ministre. Monsieur Rochebloine, les six pays que vous avez cités ne sont pas les premiers à connaître des tensions entre eux ; c’est même la raison pour laquelle il faut qu’ils fassent partie d’un même ensemble. L’Angleterre et la France ne se sont-elles pas combattues pendant 650 ans, l’Allemagne et la France pendant un siècle ? Comme nous avons accepté l’Union à vingt-sept et l’Union pour la Méditerranée, nous avons accepté le partenariat oriental, dans un contexte particulier : le Conseil était présidé pour la dernière fois par M. Topolanek, Premier ministre tchèque démissionnaire, grâce auquel, par ailleurs, le Sénat tchèque venait de voter le traité de Lisbonne. Cela nous a donné l’occasion, pour commencer, d’écouter les uns et les autres. Des projets ont été évoqués et vont prendre corps, mais cela ne contrariera en rien nos autres cadres d’action. Le partenariat oriental est l’une des formes que prend la « politique de voisinage » de l’Union. Il reste que la Russie n’en fait pas partie et qu’il est indispensable de développer le dialogue et la coopération avec elle. Les priorités de ce partenariat oriental seront politiques et économiques, avec une participation européenne au financement de divers projets.

Concernant l’Union pour la Méditerranée, on ne peut nier que la situation est bloquée. Au-delà des quelques tentatives de rencontre entre des ambassadeurs, il sera bien difficile de progresser tant que la situation ne sera pas éclaircie au Proche-Orient. Récemment, avec nos amis égyptiens, qui partagent avec nous la présidence et qui nous avaient réunis à Bruxelles, nous avons décidé d’aller de l’avant. La conférence qui devait avoir lieu à Monaco a été reportée et se tiendra à Paris. Peut-être faudra-t-il procéder autrement, mais encore une fois, tout dépend de l’évolution de la situation au Proche-Orient. Il y a des projets de coopération économique et technique – le plan solaire, par exemple, est très avancé – et nous soutenons toutes les initiatives que prennent les entreprises, mais il n’y a pas d’avancées au niveau politique.

Nous avons signé le 3 décembre à Oslo le traité sur les bombes à sous-munitions, contrairement à certains pays comme la Chine et les Etats-Unis. Le processus suit son cours pour que le Parlement soit saisi du projet de loi de ratification. J’espère que cela pourra être fait en juin, mais je ne peux pas encore vous donner de date précise.

En ce qui concerne l’agence culturelle, le projet avance. Des réunions thématiques sont organisées sous la direction du secrétaire général du Quai d’Orsay, M. Pierre Sellal. Fin juin, nous ferons un premier bilan, notamment sur la forme juridique que cette agence devra prendre ; je pense qu’il faudra passer par la loi, qui dotera l’agence du statut d’établissement public. Et le 3 ou le 4 juillet, au centre culturel de Dakar, à l’occasion du cinquantième anniversaire, j’apporterai des précisions, compte tenu des 20 millions d’euros supplémentaires que nous avons obtenus. Quant au dépôt du projet de loi, qui suppose que les nombreux obstacles soient surmontés, il n’est pas envisageable avant le mois de septembre, au plus tôt. L’une des questions auxquelles il faut répondre est celle-ci : est-ce l’ambassadeur qui doit déterminer la politique de la France dans un pays, aussi bien en matière culturelle qu’en matière de développement ?

Monsieur Lecou, ou bien le Traité de Lisbonne peut entrer en vigueur avant la fin de l’année, ou il n’y aura pas d’élargissement. Oui, certains pays des Balkans occidentaux sont plus avancés que d’autres ; c’est le cas de la Croatie, pays candidat confronté, au seuil de son adhésion, à la Slovénie sur un problème majeur de frontière. Pouvons-nous le régler ? Nous tentons de le faire . Avec l’Union européenne, nous faisons pression pour parvenir à une solution. Comme la Croatie, nous savons bien que la Serbie aura elle aussi un jour vocation à intégrer l’Union européenne.

L’Albanie devrait elle aussi rejoindre l’Union européenne d’ici quelques années ; elle est moins loin qu’on ne le pense d’être prête. En ce qui concerne l’ARYM, c’est le conflit avec la Grèce sur le nom même de Macédoine qui fait obstacle à l’entrée de cet Etat dans l’Union. La France a soutenu la Grèce en tant que membre de l’Union européenne, mais pour le moment les propositions d’appellation qui ont été faites n’ont pas pu faire l’objet d’un accord. Que pouvons-nous faire ? L’ARYM a pour objectif d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Union, mais encore faudrait-il lever ce blocage.

Quant au Kosovo, ce n’est pas encore à lui de faire une demande, même si soixante pays, dont la France, l’ont reconnu. La Serbie, si elle sait faire preuve de souplesse, démontre également son attachement à une position proche de celle de la Russie – associant contradiction et fermeté, sur le Kosovo comme sur l’Ossétie et l’Abkhazie. Là aussi, c’est un problème politique difficile ; nous attendons, et en même temps nous faisons pression. Sur le terrain, comme me l’ont dit les représentants du Kosovo que j’ai rencontrés hier, les choses se passent bien. Le tribunal de Mitrovica est maintenant à la disposition de la mission EULEX de l’Union européenne.

Madame Fort, sur la Turquie, les choses sont très simples. Le Président de la République a dit à plusieurs reprises qu’il était défavorable à son entrée dans l’Union européenne. J’ai été extrêmement troublé par l’attitude de la Turquie au moment du sommet de Strasbourg et je reste sur mon trouble. Des chapitres sont ouverts dans les discussions entre l’UE et la Turquie, mais il faudra des années pour qu’elle remplisse les conditions requises. Un autre partenariat a été esquissé par le Président de la République, tant pour la Turquie que pour la Russie ; ce partenariat aurait un caractère économique mais pourrait également répondre aux propositions faites par le président Medvedev sur la sécurité en Europe.

Monsieur Lecoq, en ce qui concerne la demande de M. Netanyahu il y a quelques jours que l’Autorité palestinienne reconnaisse le caractère juif de l’Etat d’Israël, nous ne sommes pas du tout partisans de l’introduction d’un nouveau préalable à la reprise du dialogue politique. De même que nous continuerons à défendre l’Etat d’Israël avec détermination, nous continuerons à défendre avec détermination la création d’un Etat palestinien. C’est dans la suite du processus de paix que nous pourrons examiner les précisions qu’il convient ou non d’apporter sur la qualification de ces Etats.

L’expression « human rights » est employée au moins autant que l’expression « droits de l’Homme » ; et franchement, je ne crois pas que le choix entre les deux ait un caractère politique. Les organisations International Crisis Group et Human Rights Watch parlent de human rights, et pourtant elles sont parfois plus exigeantes encore que les organisations françaises. Par ailleurs, concernant la question du Sahara occidental, nous avons en effet favorablement reçu la proposition marocaine, laquelle a rencontré un accueil positif aux Nations unies, parce qu’elle permettait de relancer un processus qui est bloqué depuis trente ans. Nous sommes évidemment tres attentifs à la situation des réfugiés sahraouis et à la question des droits de l’homme dans cette région, même si elle ne relève pas du mandat de la MINURSO...

M. Jean-Michel Boucheron. C’est en 2010 – donc demain – que doit être renégocié le traité de non-prolifération nucléaire. Le traité actuel repose sur des principes simples : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité considèrent être les seuls à avoir droit à l’arme nucléaire, et veulent bien aider d’autres pays à avoir du nucléaire civil à condition qu’ils ouvrent leurs installations à toute demande d’inspection. Cette position n’est plus acceptable par de nombreux pays, d’autant plus que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité n’ont pas été très sages dans l’application du traité : au lieu de diminuer leurs armements, ils les ont améliorés. En outre, on ne peut pas dissocier le traité de non-prolifération des traités START, ni ceux-ci du traité ABM ; il n’est pas possible de parler de diminution de la menace nucléaire et d’abandonner le traité ABM.

Les discussions vont donc être complexes pour aboutir à une unanimité. Pourtant il faut absolument que ce nouveau TNP voie le jour, et pour cela il faut qu’il soit acceptable par tous. Peut-on en savoir un peu plus sur les positions que la France va défendre ? Où les négociations doivent-elles avoir lieu ? Quel est le calendrier de la réflexion ?

M. Serge Janquin. En 2008, le premier président démocratiquement élu de Mauritanie, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, a été renversé par le général Ould Abdel Aziz. La communauté internationale a condamné ce putsch et pris des sanctions, notamment économiques. M. Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, a vigoureusement condamné cette énième prise de pouvoir par les armes en Afrique, tandis que le colonel Kadhafi, récemment élu président de l’Union africaine, a, semble-t-il, plutôt entériné cette situation. Sur l’élection présidentielle, boycottée par l’opposition, le président Wade et l’Union africaine tentent de trouver un compromis, mais la date fixée approche. Quelle est la position de la France, notamment pour que l’initiative Wade-Ping ait des chances d’aboutir ?

M. Dominique Souchet. Monsieur le ministre, vous avez salué la reprise des négociations bilatérales américano-russes sur la réduction des arsenaux nucléaires stratégiques, visant à donner un successeur au traité START. L’évolution du cadre conceptuel américain vers ce que le président Obama appelle un monde sans armes nucléaires ne pose-t-elle pas un problème à la France, en remettant en cause la notion de dissuasion nucléaire, à laquelle nous restons attachés ?

Par ailleurs, la partie russe a indiqué qu’elle lierait toute progression des discussions à la question du déploiement du bouclier anti-missiles. Quelle est sur ce point la position de la France, alors que le président Obama, après avoir hésité, paraît vouloir lier les négociations sur ce projet à la résolution de la question iranienne ?

M. Michel Terrot. Je reviens au continent africain, d’abord pour évoquer la RDC, dont vous connaissez mieux que quiconque la situation et où, de catastrophe humanitaire en catastrophe humanitaire, on doit déplorer probablement plus de quatre millions de morts. Nous étions quelques-uns à penser que l’offensive conjointe qu’avaient menée les forces congolaises et les forces rwandaises dans l’Est du Congo, dans les Kivu, et qui avait mis un terme à la rébellion du général Nkunda, aurait permis d’améliorer la situation. Or nous venons d’apprendre un nouveau massacre, commis par les rebelles hutus rwandais, qui a fait il y a quelques jours plus de 90 morts, dont 60 ou 70 civils, et il ne se passe pas de semaine sans que tombe une nouvelle de ce genre. Quelles initiatives la France peut-elle encore prendre pour tenter de ramener la paix dans ce pays ?

Ma deuxième question concerne le Tchad. La dernière colonne de rebelles a été, cette fois, stoppée loin de la capitale. J’aimerais savoir quel rôle a pu jouer la France, notamment sur le plan du renseignement, et par ailleurs quelle responsabilité vous imputez au Soudan dans cette nouvelle opération.

M. le ministre. Monsieur Boucheron, l’approche française de la Conférence d’examen prévue l’année prochaine sur le TNP est claire. Nous avons salué les propositions du président Obama. Nous sommes pour la non-prolifération ; c’est la raison pour laquelle nous avons une position très déterminée sur l’Iran et sur la Corée du Nord. D’autre part, nous sommes pour le désarmement nucléaire, comme le Président de la République l’a exprimé dans son discours de Cherbourg en annonçant la réduction de notre arsenal à moins de 300 têtes nucléaires. Enfin, nous considérons que l’accès au nucléaire civil doit se faire sous le contrôle de l’AIEA, et c’est dans ce contexte que nous avons conclu un accord de coopération nucléaire civile avec l’Inde.

Nous avons déjà discuté avec nos partenaires en « P5 », c’est-à-dire entre membres permanents du Conseil de sécurité. Pour le moment, nous constatons que l’évolution américaine, sous l’impulsion de M. Obama, est très encourageante.

Concernant le bouclier antimissile américain, je rappelle que ce projet ne concerne pas l'Union européenne en tant que telle mais deux pays : la Pologne et la République tchèque. Ce dispositif est destiné à contrer une éventuelle attaque balistique iranienne, que les Etats-Unis prennent au sérieux, contrairement en apparence aux Russes alors même que leur territoire constitue une cible plus facile à atteindre pour l'Iran, le cas échéant.

Pour le reste, nous allons affiner notre position au fur et à mesure du déroulement des négociations, étant entendu que, si nous sommes favorables au désarmement, nous voulons aussi conserver une force de dissuasion autonome aussi longtemps que le contexte stratégique l’exigera.

Monsieur Janquin, en Mauritanie, la France est sur la même ligne que l’Union africaine. Il y a eu un coup d’Etat, même s’il était pacifique. Que pouvions-nous faire ? Nous avons reçu les émissaires à Paris sous l’égide de l’Organisation internationale de la Francophonie, ce fut une rencontre importante. J’ai appris que l’opposition n’allait pas participer à la consultation électorale car on se trouve dans une impasse. L’élection présidentielle était fixée au 6 juin ; quatre candidats, tous favorables au putsch, sont déclarés. Nous encourageons la médiation de M. Wade, lui-même encouragé par l’Union africaine et M. Jean Ping. Je vais recevoir la semaine prochaine le ministre sénégalais des affaires étrangères. Depuis le début, nous sommes favorables à une solution de compromis ; si nos amis sénégalais veulent nous associer à leur démarche de médiation, nous y sommes prêts.

En ce qui concerne la RDC, je suis moi aussi inquiet devant les nouveaux massacres perpétrés par le FDLR. Mais qui pensait que l’offensive mixte du Rwanda et des forces congolaises allait permettre d’éradiquer tous les petits groupes de meurtriers, cachés dans la forêt, qui composent le FDLR ? Personne. Il y aura malheureusement d’autres offensives. Nous pensons qu’un projet régional pourrait permettre, en regroupant tout le monde, d’élaborer une solution. C’est l’objet du projet Grands lacs, mais pour le moment on en est bien loin. La réalité d’aujourd’hui, ce sont les massacres, les déplacements de population, les réfugiés, les femmes violées, malgré les 17 000 soldats de l’ONU. Je dois retourner sur place avec mon homologue britannique, M. David Miliband.

Au Tchad, la responsabilité du Soudan est clairement posée. Tout le monde savait que les groupes rebelles avaient passé la frontière. Il est quand même inouï que la veille, à huit heures du soir, à Doha, ait été signé le compromis de paix, et que dès le matin il y ait eu une attaque à partir du Soudan ! Il se trouve que cette fois-ci les forces tchadiennes, sans l’aide de la France, ont très vite montré leur supériorité – et les rebelles sont revenus au Soudan. Il semble qu’il y ait eu encore ces jours-ci quelques passages de frontière. Je souligne que pendant tout le temps où l’EUFOR s’est trouvée sur place, chargée de la protection des populations civiles – mais pas du tout de celle de la frontière –, il n’y a pas eu une seule attaque. C’est l’une des réussites de la politique de défense européenne.

M. Jacques Myard. Je commencerai par une observation sur l’Union pour la Méditerranée. Il est clair que l’usine à gaz qu’on avait imaginée ne peut pas fonctionner. Devant cette impasse, et parce que les défis à relever demeurent, nous devons revenir au bilatéral. Il faut rapatrier tous les crédits multilatéraux, tant au niveau de l’ONU qu’au niveau européen, et s’en servir pour des actions directes car il y a des projets à faire avancer.

Au moment même du voyage du Premier ministre israélien à Washington, est publié aux Etats-Unis un rapport, repris dans Le Monde de ce soir, sur l’inadéquation de frappes israéliennes sur l’Iran pour arrêter le programme nucléaire iranien. Cette coïncidence ne semble pas fortuite. Qu’en pensez-vous ? Selon vous, Israël est-il maintenant convaincu que des frappes sur l’Iran seraient catastrophiques ? Un journaliste du quotidien israélien Ha’aretz, dans une analyse très intelligente, explique qu’à l’évidence, l’atome rend sage, et que l’Iran, s’il avait un jour la bombe, ne se risquerait pas à l’utiliser. Partagez-vous cette analyse ?

Quant au TNP, il est inégalitaire, et jusqu’à présent il a fonctionné, à quelques nuances près. Ne pourrait-on, tout en renforçant le contrôle, donner un strapontin à Israël, au Pakistan, à l’Inde, voire demain à l’Iran ?

Mme Martine Aurillac. Un sommet entre l’Union européenne et le Pakistan doit avoir lieu en juin. Tandis que le Président de la République vient de recevoir le président Karzaï, dont il semble bien que la réélection soit quasiment assurée, et au moment où M. Obama se concentre sur l’Afghanistan, pourriez-vous nous apporter des informations sur le Pakistan et nous dire comment vous apparaît le couple qu’il forme avec l’Afghanistan ?

M. Jacques Remiller. Il se passe depuis quelques jours des événements graves en Birmanie, avec le procès du leader de l’opposition, prix Nobel de la paix. Indépendamment de l’intervention de l’épouse du Président de la République, quelle est la position de la France, quelle est celle de l’Europe, quelles sont les actions possibles de l’une et de l’autre pour que Mme Aung San Suu Kyi recouvre la liberté ?

M. Loïc Bouvard. Dernièrement, dans le cadre d’une mission de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, j’étais à Tbilissi, et j’ai pu rencontrer le président Saakachvili. Il nous a dit combien le rôle de la France avait été majeur et n’a pas caché son désir que la Géorgie fasse partie un jour de l’Union européenne. Mais j’ai constaté à quel point la situation était devenue instable. Depuis un mois les parlementaires ne peuvent plus entrer dans leur bureau, une unité de l’armée a failli se rebeller. Tandis que la Russie fait preuve de sa fermeté, qu’entend faire la France pour conforter la Géorgie ?

Mme Élisabeth Guigou. S’agissant de l’Europe, y a-t-il des éléments nouveaux au sujet de la ratification du traité de Lisbonne par l’Irlande ?

Par ailleurs, la France est-elle favorable à une désignation du président de la Commission juste après les élections de juin, ou souhaite-t-elle que celle-ci intervienne en même temps que les nominations prévues à la fin de l’année si le traité de Lisbonne est ratifié, c’est-à-dire celles du président du Conseil européen et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ?

M. le ministre. Monsieur Myard, il n’est pas sûr que l’atome rende sage, et prendre ce pari c’est prendre un gros risque... A une époque où les détenteurs de l’arme nucléaire étaient censés être sages, nous avons déjà frôlé l’apocalypse. Au Moyen-Orient aujourd’hui, le pari serait particulièrement lourd. Le traité de non-prolifération ne va pas être modifié pour le moment. Tous les pays l’ont accepté, sauf Israël, le Pakistan, l’Inde et la Corée du Nord ; rouvrir la boîte de Pandore serait extrêmement dangereux. Garder ce traité n’empêche pas de le renforcer. L’Inde a ouvert un chemin, je ne sais si le Pakistan voudra la suivre mais ce n’est pas d’actualité, non plus que pour Israël.

Je crois qu’Israël est conscient des conséquences qu’entraîneraient des frappes sur l’Iran. Il faut tout faire pour les éviter, mais le risque existe, je l’ai toujours dit. Les Etats-Unis me semblent dans le même état d’esprit et je pense que le président Obama s’exprimera sur ce point au Caire. L’un des moyens d’action dont ils disposent réside dans l’évocation de contacts directs avec l’Iran. En ce qui concerne la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne réunis au sein des E3 de l’Union européenne, l’expérience n’a pas été très positive jusqu’à présent. En tout cas, il me paraît important de faire peser sur l’ensemble du Moyen-Orient, et pas seulement sur Israël, la « menace » – si j’ose dire – de la paix. A ce sujet, il y a eu entre l’administration Bush et l’administration Obama un réel changement de ton, bien ressenti en Iran.

Quant à la publication que vous avez évoquée, elle aurait aussi bien pu avoir lieu avant. Quoi qu’il en soit, tous les états-majors du monde font des études de scénarios. Madame Aurillac, le président du Pakistan a été reçu récemment en France ; étant en Afghanistan à ce moment-là, je l’avais pour ma part rencontré à New York. Nous venons également de recevoir le chef d’état-major des forces terrestres du Pakistan, le général Kayani. Je ne crois pas que de raisonner en termes de «  paquet AfPak » soit très utile. Certes le danger et les actions terroristes ne relèvent pas d’un seul de ces deux pays ; néanmoins leurs situations diffèrent – ne serait-ce que par la démographie car, ne l’oublions pas, le Pakistan compte 170 millions d’habitants – et on ne peut pas traiter de la même façon le terrorisme pratiqué en Afghanistan et celui qui vient de groupes installés au Pakistan. Comme j’ai pu le constater sur place, nos troupes font en Afghanistan un travail exceptionnel, exactement conforme à ce que nous avions prôné à la Conférence de Paris, à savoir l’option de la sécurisation et du développement d’une zone plutôt que l’option militaire seule. Les soldats pakistanais sont en ce moment dans la vallée de la Swat, ce qui provoque évidemment des mouvements de réfugiés. Tout cela est compliqué, mais il faut savoir gré aux Pakistanais de la détermination dont ils font preuve ; le discours du président Zardari doit être considéré comme amical et démocratique, et son pays non pas comme un obstacle, mais comme un ami, que nous devons aider à combattre le terrorisme sans frapper les populations – ce qui est beaucoup plus difficile à faire qu’à dire.

En ce qui concerne la Birmanie, Mme Aung San Suu Kyi, jusqu’à lors assignée à résidence, a été arrêtée le 13 mai au motif qu’elle a accepté d’héberger un Américain qui avait réussi à atteindre sa maison à la nage ! Ce prétexte pour le moins curieux a été saisi, bien sûr afin de l’empêcher de participer aux élections de 2010. Dans un premier temps, l’accès à son procès a été refusé aux ambassadeurs allemand, britannique et français. Finalement, il leur a été possible d’y assister. Nous avons fait tout ce que nous avons pu : pressions sur tous les pays de l’ASEAN, pressions sur la Chine. En ce qui concerne les sanctions économiques, il n’y a pas pour la France de commerce avec la Birmanie en dehors du groupe Total ; il peut être décidé au sommet de l’Etat d’avoir une attitude ferme à son sujet mais cela voudrait dire que l’on coupe le gaz à une grande partie de la population birmane ainsi qu’à la ville de Bangkok, ce gaz allant aussi en Thaïlande.

M. Jacques Myard. Et Total sera remplacé par une autre société !

M. le ministre. Tout de suite, oui, par une société chinoise. Je le sais bien. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas réfléchir à cette solution, la situation actuelle étant insupportable. Je vous rappelle que j’étais le plus favorable à une intervention à la suite du cyclone Nargis l’an dernier. Maintenant, tout le monde regrette de ne pas avoir agi.

Le ministre des affaires étrangères suédois, M. Carl Bildt, ancien Premier ministre, a bien indiqué qu’il ne fallait pas se faire d’illusions. Les sanctions pourraient porter sur les circuits bancaires et les comptes en banque des généraux birmans, qui se trouvent dans des pays de l’ASEAN. Dans ce domaine, nous ne pouvons pas agir tout seuls.

Monsieur Bouvard, concernant la Géorgie, je conviens avec vous qu’on est dans l’impasse et qu’à Genève les négociations n’avancent pas, voire reculent. Il faut néanmoins qu’elles se poursuivent. Pour le moment, l’Ossétie et l’Abkhazie sont sous le contrôle russe. Nous ne savons pas si les agents des Nations unies qui s’occupaient de l’Abkhazie et ceux de l’OSCE qui s’occupaient de l’Ossétie seront autorisés à poursuivre. En tout cas, nous maintenons les Européens, qui sont maintenant 320. Nous faisons pression pour qu’ils passent de l’autre côté pour aller contrôler. Certes il y a eu des manoeuvres avec les Américains, mais l’été dernier, lorsque les chars étaient à Gori et prenaient la route de Tbilissi, les Américains n’étaient pas là.

Madame Guigou, en Irlande, il semblerait d’après les sondages qu’une majorité soit en train de se dessiner en faveur du Traité de Lisbonne. J’espère et je crois que le référendum le confirmera.

En ce qui concerne la nomination du président de la Commission, nous souhaitons qu’une décision politique soit prise en juin et que la nomination formelle ait lieu à l’automne avec celle du Président stable du Conseil européen et du Haut représentant dans l’hypothèse que nous souhaitons d’une entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Il faut cependant éviter d’influencer le référendum irlandais.

M. le président Axel Poniatowski. Il me reste à vous remercier d’avoir répondu très franchement à toutes nos questions.

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Informations relatives à la commission

La commission des affaires étrangères, sur proposition de son bureau, a décidé la création d’une mission d’information sur « la place de la Syrie dans la communauté internationale ».

Cette mission de douze membres est ainsi composée :

Présidente : Mme Elisabeth Guigou ; Rapporteur : M. Renaud Muselier.

Membres : MM. Jean-Michel Boucheron, Jean-Jacques Guillet, Robert Lecou, François Loncle, Jacques Myard, Jean-Marc Nesme, Eric Raoult, Jean Roatta, Marc Vampa, Michel Vauzelle.

La séance est levée à dix-sept heures trente.