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Commission des affaires étrangères

Mardi 9 juin 2009

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 63

Présidence de Mme Martine Aurillac, vice-présidente

– Audition de M. Bruno Le Maire, Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes (ouverte à la presse)

Audition de M. Bruno Le Maire, Secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

Mme Martine Aurillac, présidente. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, au lendemain d’élections européennes qui se sont traduites dans notre pays par un taux d’abstention malheureusement élevé et par la redistribution des forces en présence. L’Union européenne est confrontée à de nombreux défis : mettre au point une régulation financière efficace, mieux coordonner les politiques européennes, mettre en place de nouveaux mécanismes institutionnels, préparer le Sommet de Copenhague sur l’environnement… Dans tous ces domaines, la France a un rôle éminent à jouer et une importante responsabilité à assumer. Nous vous entendrons avec intérêt, monsieur le secrétaire d’État, dire quels enseignements vous tirez des résultats des élections européennes et dans quelles dispositions le Gouvernement aborde le Conseil européen des 18 et 19 juin.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Puisque nous avons tous les chiffres en tête, point n’est besoin de longs commentaires sur les élections qui viennent de se dérouler. Dans la nouvelle configuration du Parlement européen, le Parti populaire européen – le PPE –, devrait rester la principale force politique, avec 267 des 736 sièges, soit un peu plus de 36 % des élus, ce qui est sans changement significatif par rapport au Parlement sortant. Cependant, la très forte augmentation du nombre de députés français au sein du groupe PPE rééquilibrera le nombre des députés allemands – 42 sont annoncés – et celui des députés français, l’écart entre eux se réduisant de 32 à 13. Ainsi, alors même que le nombre global des députés français au Parlement européen passe de 78 à 72, leur part augmente dans le groupe politique le plus fourni, où il s’établit à 29. La délégation française au sein du PPE passe ainsi de la cinquième à la troisième place, derrière les Allemands et les Italiens.

M. Bernard Kouchner et moi-même allons réunir sous peu tous les élus français au Parlement européen pour les sensibiliser, au-delà des clivages politiques, à la défense des intérêts de la France au sein de l’institution. A cette fin, nous entendons aussi faire que les liens se renforcent entre parlementaires nationaux et parlementaires européens, par l’instauration de rendez-vous réguliers. C’est d’autant plus nécessaire que si, comme je l’espère, le Traité de Lisbonne est ratifié, le Parlement national exercera un contrôle renforcé sur la législation européenne. Je prends donc devant vous l’engagement de construire des relations nouvelles entre députés nationaux et députés européens.

Le Conseil européen qui se tiendra les 18 et 19 juin est important parce qu’il suit les élections européennes de quelques jours mais aussi parce que l’Union européenne est à un moment décisif de son histoire, sans que l’on sache de quel côté elle va basculer. La France continuera de tout faire pour que l’Union s’affirme sur le plan politique, pour que son poids politique corresponde à son poids économique, mais rien n’est garanti.

Cela suppose, sur le plan institutionnel, l’entrée en vigueur avant la fin de l'année du Traité de Lisbonne et pour cela la formalisation par le Conseil européen de juin des engagements souscrits en décembre 2008 à l'égard de l'Irlande : garanties sur la politique fiscale, sur la politique de la famille, sur la politique européenne de sécurité et de défense et sur le respect de la neutralité irlandaise. Ces points ont fait l’objet de discussions techniques approfondies, l’Irlande demandant l'élaboration d'un protocole annexé au Traité de Lisbonne. Les chefs d'État et de gouvernement devront donc opter pour une solution pragmatique, qui permette aux Irlandais de préparer le nouveau référendum dans de bonnes conditions sans susciter de difficultés dans d’autres États. Mais dans la perspective de la ratification du Traité de Lisbonne, la situation du Royaume-Uni n’est pas sans susciter des préoccupations.

Le Conseil européen débattra aussi de la composition de la future Commission, et de qui sera son président. A ce sujet, il nous paraît souhaitable de ne pas paraître préjuger le résultat du nouveau référendum irlandais qui aura lieu à l’automne. Mieux vaudrait donc, selon nous, se limiter à donner une indication quant au nom du futur président de la Commission européenne, sans prendre une décision juridiquement contraignante dès le Conseil européen de juin. Mais une telle décision requiert une majorité, et les positions à ce sujet sont fluctuantes.

Le Conseil traitera aussi des questions économiques et financières. Il lui faudra poursuivre dans la voie tracée par le G20 de Londres. A cet égard, la France rappellera qu’elle souhaite une réforme de la supervision en Europe strictement conforme aux conclusions du rapport M. Jacques de Larosière. Nous soulignerons donc que la proposition formulée par le commissaire européen Charlie McCreevy est insatisfaisante car elle ne tient pas suffisamment compte des engagements souscrits à Londres.

S’agissant de la lutte contre le changement climatique et du développement durable, notre objectif est double : préserver l’unité européenne en répondant aux inquiétudes d’ordre financier exprimées par certains pays tels la Pologne et débloquer les négociations avec les États-Unis, dont les objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 continuent d’être très inférieures à celles de l'Europe. Le Conseil européen de juin devra réaffirmer la volonté d’une politique européenne unie à se sujet, et celle de faire évoluer ses grands partenaires – les États-Unis, la Chine et les pays émergents.

Un mot, enfin, sur l'élargissement. La position du président de la République et du gouvernement est claire : nous demandons l’arrêt de l’élargissement après l’adhésion des pays des Balkans à l’Union, car pour être politiquement forte l’Europe doit avoir un territoire stable et donc des frontières définies. La Turquie n'a pas vocation à adhérer à l’Union européenne, ce qui n’empêche pas la conclusion d’un partenariat privilégié avec elle. Plus je pratique la chose européenne et moins je crois, si l’on souhaite vraiment renforcer le poids politique de l’Union européenne dans le monde, à la pertinence de frontières indéterminées.

Le président de la République soutient l'entrée dans l'Union européenne des États des Balkans – Serbie, Kosovo, Croatie. Il s’en est encore entretenu avec le Président serbe il y a dix jours et avec le Premier ministre kosovar hier. Les adhésions devront se faire au rythme souhaitable selon le pays considéré, sans précipitation. Ce sera une garantie de stabilité que la reconstitution de l’unité historique de l’Europe.

La question de l’adhésion de l'Islande est maintenant ouverte ; nous considérons que même si ce pays est membre de l'Espace économique européen et qu’il a déjà repris à son compte presque tout l'acquis communautaire, son éventuelle candidature devra être examinée selon les mêmes critères que pour les autres États.

Enfin, un élargissement limité de l’Union européenne doit s’accompagner du voisinage le plus fructueux possible avec ses voisins. Nous souhaitons donc que l’Union pour la Méditerranée retrouve son allant ; que des relations fortes s’instaurent avec les pays de l’Est dans le cadre du Partenariat oriental ; qu’un partenariat stratégique soit conclu avec la Russie.

Mme Martine Aurillac, présidente. Je vous remercie pour cet exposé clair et précis. S’agissant de l’Union pour la Méditerranée, pensez-vous que les obstacles qui se sont cristallisés à Gaza pourraient être surmontés par l’élaboration de projets concrets ? D’autre part, comment les États membres et l’équipe de M. Javier Solana préparent-ils le service européen d’action extérieure ?

M. François Loncle. Ce que vous avez dit à propos de l’Irlande, monsieur le secrétaire d’État, confirme qu’après l’échec du référendum dans ce pays, on s’achemine, hélas, vers la construction d’une Union européenne « à la carte » – les États membres, y compris les plus anciens, agiront en fonction de considérations nationales. Ainsi de l’Irlande, précisément, qui tente par ses exigences d’arracher un « oui » au nouveau référendum prévu à la fin de l’année. Voilà qui n’est pas très favorable à la constitution d’une Europe politique.

D’autre part, la France, quoi que vous en disiez, a une position ambiguë sur l’élargissement. Cela est vrai, singulièrement, pour la Turquie, puisque nous acceptons de continuer à négocier différents chapitres. La question divise les membres de l’Union, mais la correction à l’égard d’un grand pays comme la Turquie impose pourtant que les choses soient dites clairement.

S’agissant des pays des Balkans, contradictions et ambiguïtés ne manquent pas non plus : ne retarde-t-on pas l’entrée de la Croatie dans l’Union alors que la Bulgarie et la Roumanie y ont adhéré en 2004 et qu’à l’époque il était clair pour tous que la Croatie adhérerait en 2006 ? Un problème de voisinage mineur avec la Slovénie bloque tout et, faute de volonté politique de la Commission, du Conseil et de la France pendant sa présidence de l’Union, le dossier n’est pas réglé, bien qu’il ne soit pas très compliqué : il suffirait d’être un peu plus exigeant avec la Slovénie.

Comment, en revanche, ne pas s’étonner que le président de la République, recevant le premier ministre kosovar, lui ait dit juger utile l’adhésion du Kosovo « le plus vite possible », alors que la justice internationale n’a pas tranché sur le statut même de cet «État» encore sous tutelle et bien incapable de remplir la plupart des objectifs fixés aux pays candidats ? Je ne comprends pas cette précipitation quelque peu démagogique à satisfaire un visiteur d’un soir alors que la présidence française de l’Union s’est montrée incapable de faire adhérer la Croatie.

M. le secrétaire d'État. Notre projet, madame la présidente, est de relancer l’Union pour la Méditerranée. Une réunion de hauts fonctionnaires a eu lieu le 23 avril en présence de représentants des autorités palestiniennes et israéliennes, une autre le 25 mai, et j’ai bon espoir que, Mme Merkel ayant fait part de son soutien à l’Union pour la Méditerranée, la réunion prévue le 25 juin permettra de surmonter le blocage politique.

Nous comptons être le plus présents possible au sein du service européen d’action extérieure, en y plaçant nos diplomates comme l’ont déjà fait les Britanniques ; l’enjeu est très important pour la France. Il faut en finir avec les doublons Conseil-Commission, et cela vaut dans ce domaine en particulier : M. Javier Solana et la commissaire Benita Ferrero-Waldner accomplissent tous deux un travail remarquable, mais il faut parvenir à une fusion.

Le protocole annexé permettra que les préoccupations de l’Irlande soient prises en considération. Je ne pense pas, monsieur Loncle, que cela dessine une « Europe à la carte », puisque l’Irlande continuera d’appliquer toutes les politiques européennes.

S’agissant de la très délicate question de l’adhésion de la Turquie, je vous répondrai avec une parfaite honnêteté : on ne va pas mettre un terme à la négociation, à la fois parce que ce n’est pas possible politiquement et parce que cela irait contre notre intérêt, qui est d’ouvrir les chapitres permettant que la Turquie se rapproche le plus possible des politiques européennes. Si nous ouvrons le chapitre « fiscalité » et que la Turquie finit par appliquer les mêmes règles de recouvrement de la TVA que l’Union européenne, cela ira dans le sens des intérêts de l’Union. Il en va de même pour le respect des droits de l’homme ou la liberté religieuse, et nous pourrons ainsi construire un partenariat privilégié. C’est l’objectif de la France, qui refuse en revanche l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et qui, en raison de ce refus, bloque la négociation sur les cinq chapitres qui la permettraient. Je ne peux donc être plus clair : nous voulons un rapprochement entre l’Union européenne et la Turquie se traduisant par un partenariat privilégié, lequel ne peut conduire à l’adhésion de ce pays. Le sujet est politiquement si sensible que l’on constate l’évolution des positions. Ainsi, Mme Merkel est la première des chanceliers allemands à s’être déclarée publiquement défavorable à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Cette évolution majeure se produit dans d’autres pays membres.

Pour ce qui est de l’élargissement aux pays des Balkans, je tiens à souligner que la négociation est très difficile – je le sais pour y avoir participé. Sur le fond, il est en effet incompréhensible que l’adhésion de la Croatie soit bloquée par la Slovénie. Pendant qu’elle présidait l’Union, la France a multiplié les efforts pour mener ce dossier à bonne fin et elle a appuyé le commissaire Olli Rehn dans sa recherche d’une solution. Alors que la négociation était complètement bloquée, la présidence française a repris la main et rédigé un texte de compromis que la Croatie a accepté comme base de discussion. Une forte volonté politique doit maintenant se manifester pour que le dossier se débloque définitivement. Nous n’avons ménagé aucun effort à cette fin, sachez-le, et nous continuerons.

Il est de notre intérêt que le Kosovo rejoigne l’Union européenne, mais en disant que l’adhésion devait se faire « le plus vite possible », le Président de la République parlait de tous les pays des Balkans, le Kosovo n’étant pas forcément le plus avancé.

M. Jacques Myard. Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, la réduction de l’écart entre le nombre de députés allemands et le nombre de députés français au sein du groupe PPE. Permettez-moi de souligner que jamais l’Allemagne n’aurait dû avoir plus de députés européens que la France – en premier lieu, parce qu’il n’y a pas 82 millions d’habitants en Allemagne, mais 75 millions seulement. De plus, puis-je rappeler que le projet européen initial consistait à rassembler des peuples et non à comptabiliser des populations ? Par ailleurs, ne nous dîtes pas, de grâce, que le Traité de Lisbonne renforcera le contrôle des parlements nationaux sur la législation européenne, alors que 54 nouvelles compétences vont être transférées à Bruxelles !

Si l’on en croit Le Monde, le Président de la République aurait demandé aux députés européens à peine élus de ne pas être « eurobéats ». Cette mise en garde me satisfait pleinement, mais la faites-vous vôtre ? L’Union européenne, dans la forme qui lui a été donnée, se caractérise à la fois par l’hétérogénéité des pays membres et par la centralisation à Bruxelles. Ce dispositif conduit à la paralysie, à l’obésité et à une construction complètement décalée de la réalité, si bien que nous sommes partis pour une nouvelle décennie de crise. Il faut donc tout remettre à plat, et le plus tôt sera le mieux. Quant aux coopérations renforcées, elles sont impossibles parce qu’interdites par les textes ; autrement dit, on va d’impotence en impotence !

Quant au service européen d’action extérieure, qu’est-ce ? Comment imaginer pouvoir exprimer à trente une position commune sur des sujets qui demandent des décisions rapides et de la cohérence ? Je déplore qu’avant même l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, on en soit à se dire qu’il y a des places à prendre dans un organisme où il y a fort à parier que l’on ne parlera qu’anglais et où la défense de nos intérêts risque de passer au second plan.

M. Jean-Marc Nesme. L’Allemagne nous avez-vous dit, monsieur le secrétaire d’État, n’est plus un obstacle à la mise en œuvre de ce très beau projet qu’est l’Union pour la Méditerranée. Soit, mais est-elle un moteur ? On peut devenir un obstacle en se contentant de traîner les pieds…

M. Lionnel Luca. J’approuve sans réserve, monsieur le secrétaire d’État, la position que vous avez exprimée à propos de la Turquie : un équilibre subtil est en effet nécessaire, qui permette de ménager ce grand partenaire de l’Union sans laisser l’irréparable se commettre. Or, la Suède a déjà fait savoir qu’elle entendait, au cours de sa prochaine présidence de l’Union, accélérer le processus d’adhésion de la Turquie en ouvrant trois nouveaux chapitres. Quelle est l’opinion du Gouvernement français sur la détermination ainsi affirmée par la Suède ?

M. le secrétaire d’État. Monsieur Myard, en matière européenne, le pire n’est pas toujours sûr ! On peut donc conserver un espoir et se battre pour que l’Europe ait l’organisation politique que nous voulons qu’elle ait. Au risque de vous contredire, je persiste à dire que le Traité de Lisbonne permettra un vrai contrôle des politiques européennes par les Parlements nationaux, contrôle qui n’existe pas aujourd’hui. Je considère comme un progrès le fait qu’un Parlement national pourra donner son avis sur tous les textes européens…

M. Jacques Myard. Mais c’est déjà le cas !

M. le secrétaire d’État. …et aussi qu’un texte puisse être bloqué à la majorité des deux tiers des Parlements nationaux.

M. Jacques Myard. Deux tiers ! Rendez-vous compte !

M. le secrétaire d’État Une telle disposition suppose une majorité solide : vous ne seriez vraisemblablement pas très heureux de voir repousser une mesure que vous estimeriez conforme aux intérêts de la France par les seuls Parlements slovène et letton, par exemple. Je rappelle enfin que le Traité de Lisbonne instaure la codécision, une démarche démocratique.

Je ne suis pas sûr que, comme vous le redoutez, le service européen d’action extérieure devienne une annexe du Foreign Office, mais cela dépend de nous. Une fois encore, le pire n’est pas sûr, et nous travaillons à ce qu’il n’advienne pas. Notre objectif est que le nouveau service soit plus efficace que le doublon Conseil-Commission, dont les actions sont illisibles.

Soyez rassuré, monsieur Nesme, les malentendus initiaux sont entièrement levés et l’Allemagne souhaite que l’Union pour la Méditerranée fonctionne. Elle est notre partenaire actif dans le plan solaire méditerranéen et n’a aucun intérêt à bloquer ce projet.

La position suédoise traduit, monsieur Luca, le fait que deux conceptions de l’Union européenne s’affrontent de plus en plus violemment. On trouve, d’un côté, les tenants d’une Europe complètement ouverte, sans règles, où seule la concurrence vaut, dans laquelle le dumping social est considéré comme une bonne chose et où l’intégration rapide de la Turquie est souhaitée car elle rapprochera l’Union de son partenaire américain. Cette conception signifie entre autres la fin de la politique européenne de sécurité et de défense. Notre conception est autre : nous voulons une plus grande intégration européenne, plus de fiscalité commune, des règles de concurrence strictement établies, des frontières clairement définies. Dans ce cadre, nous voulons proposer à la Turquie autre chose que l’adhésion. La position française ne doit pas être caricaturée : nous ne rejetons pas la Turquie mais nous avons un projet européen d’ensemble et, pour le mettre en œuvre, nous considérons que nous devons avoir avec ce pays un partenariat privilégié. Aussi, la position abruptement exprimée par le Premier ministre suédois n’est pas la nôtre. L’enjeu, c’est l’édification de l’Europe politique.

M. Rudy Salles. Le projet initial du Président de la République était la création d’une Union qui aurait regroupé les seuls pays méditerranéens. Ce n’est pas ce qu’il est advenu, et l’Union pour la Méditerranée rassemble pays riverains de la Méditerranée et pays du Nord de l’Europe. L’Union pour la Méditerranée ainsi dessinée est nécessaire pour renforcer la coopération entre le Nord et le Sud, et si des projets de développement économique voient le jour, ils peuvent aboutir. Cependant, en ma qualité de Président de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, je constate que, sur le plan politique, les pays méditerranéens assimilent Bruxelles à l’Europe du Nord. Leurs relations avec Paris sont bien différentes, et l’influence de la francophonie est loin d’être négligeable. La France doit donc reprendre l’initiative politique, ce que facilitera sa position équilibrée dans le conflit entre Israël et la Palestine ; si elle reste noyée dans la masse de l’Union pour la Méditerranée, son influence sera affaiblie. De plus, je me suis entendu dire dans plusieurs pays du Moyen-Orient, que certains États adhéreraient sans réserve au projet tel qu’il avait été initialement défini par le Président de la République mais que si l’on passait à autre chose, c’est la politique de la chaise vide qui prévaudrait. Une nouvelle initiative politique française est donc indispensable.

M. Robert Lecou. Ne pourrait-on, pour aller dans ce sens, privilégier des projets de portée culturelle ? Ne serait-ce pas un moyen de retrouver le passionnant projet d’origine ?

Le prochain Conseil européen débattra de la régulation financière qu’impose la crise économique. Mais comment assurer une coordination efficace entre les différents organismes financiers internationaux ?

M. le secrétaire d’État. Monsieur Salles, on ne reviendra pas en arrière, et l’on en restera à l’Union pour la Méditerranée telle qu’elle est dessinée. La négociation de ce très beau projet a été très difficile, notamment avec l’Allemagne. Nous avons trouvé un accord à Hanovre, et il n’est pas dans notre intérêt de revenir sur ce compromis. L’Union pour la Méditerranée rassemble 500 millions d’habitants. C’est une force considérable, celle de la première économie mondiale. Voulons-nous une Europe divisée, ou fait-on de la préservation de l’unité européenne un élément clé du projet commun ? Pour moi, il n’y a évidemment aucun doute. Cela n’interdit pas de donner une coloration moins « bruxelloise » à l’Union pour la Méditerranée et, à cet égard, l’installation du secrétariat général de l’Organisation à Barcelone est une très bonne chose. Cela n’interdit pas non plus de prendre des initiatives, y compris culturelles, pour faire redémarrer l’Union pour la Méditerranée. La France demeurera un élément moteur, en raison de ses liens particuliers avec nombre des pays concernés et de sa crédibilité propre.

Il doit en être pour l’Union pour la Méditerranée comme pour les autres politiques : certains pays doivent prendre des initiatives, tout en s’attachant à préserver l’unité européenne. C’est ce qu’a fait le Président de la République avec le plan climat. Sur le plan culturel, la saison turque commencera dans quelques mois et je ne doute pas qu’elle aura le même impact que la saison brésilienne. Ce type d’initiatives doit se multiplier.

Chaque institution financière internationale a un rôle différent et les tâches sont bien réparties entre elles. Notre objectif est de renforcer la coordination économique en Europe, mais encore faut-il s’accorder sur ce que cela signifie. Est-on d’accord sur le principe d’une coordination fiscale ? Est-on d’accord pour réduire la dette publique ? Pour ma part, je pense que ce serait dans notre intérêt mais toutes ces questions sont particulièrement délicates. Certes, des réticences persistent, mais des progrès se font. Ainsi, les Allemands, qui refusaient jusqu’à présent l’idée même de coordination économique, en ont accepté le principe. Voyons maintenant ce qu’il recouvrira. Selon moi, on ne peut avoir une monnaie unique mais aucune coordination économique.

M. Jacques Remiller. Seuls certains pays membres de l’Union européenne ont un service de renseignement, les autres dépendant entièrement des États-Unis à ce sujet. Si l’on souhaite véritablement une politique européenne de défense et de sécurité, ne devrait-on songer à fonder un service européen du renseignement ? Par ailleurs, qu’en est-il de l’indépendance énergétique de l’Europe ? Quelle est enfin l’influence de la francophonie au sein de l’Union ?

M. Michel Delebarre. L’Union pour la Méditerranée est un projet majeur qui permettra à l’Europe de jouer un rôle essentiel, mais il n’aboutira que si, à brève échéance, des perspectives de résolution du conflit israélo-palestinien sont trouvées.

Vous nous avez donné la liste des priorités du prochain Conseil européen, et je déplore que la dimension sociale n’y figure pas. Un nouveau Parlement vient d’être élu, une nouvelle Commission va être désignée et certains Parlements sont sensibles à des directives qui pourraient remettre en cause les services publics. Quelle sera la position du Gouvernement français à ce sujet ?

Qu’en est-il par ailleurs de la transposition en droit français des directives européennes ? Ces textes participent de la prise de conscience de la construction européenne par nos concitoyens, et qu’il faille de un à deux ans pour les transposer ne renforce pas véritablement cette prise de conscience… Pourrait-on d’autre part veiller, lorsque l’on transpose, à ce que notre valeureuse administration n’«enrichisse » pas le texte des directives ?

J’observe enfin que la Stratégie de Lisbonne n’a pas eu de résultat. Si elle a peu concerné, c’est que les collectivités territoriales ont été peu impliquées. Il faut revenir sur ce sujet et, pour gagner en efficacité, impliquer les régions bien davantage.

M. Jean-Claude Guibal. L’Union pour la Méditerranée, telle qu’elle est à présent conçue, est ressentie comme prolongeant le processus de Barcelone, dans lequel les décisions sont prises au centre et appliquées à la périphérie. Ne pourrait-on envisager des coopérations renforcées, en Méditerranée occidentale par exemple, ce qui montrerait que la coopération est possible sur d’autres bases ?

M. le secrétaire d’État. La France, comme vous le savez, monsieur Remiller, a pris la décision politique de rejoindre les structures de commandement de l'OTAN. Cette décision ne nous exonère pas de la responsabilité de trouver le moyen de renforcer la politique européenne de sécurité et de défense, et nous pouvons le faire plus facilement aujourd’hui. Il est vrai, cependant, que la situation politique au Royaume Uni rend les choses plus compliquées. Le renseignement est une question très délicate. La simple coopération entre les services existants est déjà très difficile, et ces services sont d’ailleurs de qualité inégale en Europe. Nous entretenons une coopération soutenue avec les services de renseignement allemand et britannique. En matière de lutte contre le terrorisme notamment, cette coopération est exemplaire et elle se poursuivra. Nous pouvons, certes, envisager de renforcer les liens entre nos services de renseignement et ceux d’autres pays membres de l’Union, mais nous nous heurterons à de fortes réticences car la nécessité de protéger les sources, les filières et certains secrets impose des coopérations bilatérales plutôt que multilatérales.

La question de l’indépendance énergétique de l’Europe est capitale. Non sans raison, le Président de la République a proposé la création d’une centrale d’achat du gaz. Nous avancerons d’autres propositions car nous sommes certains que les litiges qui ont opposé la Russie à l’Ukraine peuvent se reproduire, et il ne serait pas tolérable que des dizaines de milliers de citoyens européens soient à nouveau privés de chauffage.

La dimension sociale est un volet prioritaire, monsieur Delebarre, mais certaines choses ne sont pas possibles pour l’instant. Ainsi, en l’état, la création d’un SMIC européen irait contre les intérêts français. La France continuera de défendre les services publics, et donc les directives affirmant la valeur du service public à la française, dont la crise économique a montré qu’ils répondent aux besoins de la population. Le taux de transposition des directives en droit français s’est fortement amélioré - nous sommes passés sous la barre du 1 % de directives non transposées. Mon cabinet fait le point sur cette question chaque semaine.

La Stratégie de Lisbonne s’est en effet traduite par un échec puisque les objectifs fixés n’ont pas été atteints. Il faut donc trouver un autre moyen de renforcer la recherche et le développement en Europe. À vous qui avez présidé le comité des régions de l’Union européenne, je le dis tout net : je ne verrais que des avantages à impliquer davantage les régions dans cet effort collectif.

Je suis favorable, monsieur Guibal, à ce que certains pays membres de l’Union pour la Méditerranée prennent plus de responsabilités, mais je suis hostile à la constitution de groupes dont certains pays seraient exclus. Que dirions-nous si l’Allemagne se mettait en tête de lancer une sorte d’OPA sur le groupe de Visegrad au motif que les pays qui le composent relèvent de son aire d’influence ? Une telle conception de l’Europe n’est dans l’intérêt de personne. Il en va de même pour la Méditerranée : prenons en considération les intérêts de chacun, mais dans un cadre global, qu’il s’agisse d’immigration, de développement économique et culturel ou de renforcement de l’État de droit.

M. Jean-Claude Guibal. Le dialogue 5 + 5 sera-t-il institutionnalisé ou dissous ?

M. le secrétaire d’État. Il peut être utile, comme l’est la « troïka » Allemagne-France-Royaume Uni pour le dialogue avec l’Iran. Je suis convaincu que l’Europe pourrait jouer un rôle beaucoup plus important dans la négociation du règlement du conflit israélo-palestinien, mais l’on comprend que cela ne peut se faire que dans un format restreint – on ne peut imaginer arriver à 27… L’important, c’est que les pays qui participeraient à la négociation fassent constamment rapport aux autres membres de l’Union et qu’ils écoutent leurs avis et leurs conseils. Il serait inacceptable de leur dire : « Cela ne vous regarde pas ». Sur le fond, si l’on a du poids quand on parle aux Israéliens, c’est parce que l’on parle au nom de 500 millions de personnes.

Mme Martine Aurillac, présidente. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie.

La séance est levée à dix-huit heures.

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