Audition de Mme Rama Yade, secrétaire d’Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, sur la situation des droits de l’homme en Chine et en Birmanie
La séance est ouverte à dix-sept heures
M. le président Axel Poniatowski. Nous allons auditionner Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme, sur la situation en Chine et en Birmanie. Cette audition était aussi désirée par Mme Aurélie Filippetti, présidente du groupe d’études à vocation internationale Birmanie.
La Chine et la Birmanie, étroitement liées l’une à l’autre, figurent dans l’actualité.
En Chine, le vingtième anniversaire du massacre de la place Tiananmen donne l’occasion de dresser le bilan des conséquences de cet épisode.
En Birmanie, le nouveau procès contre Mme Aung San Suu Kyi illustre le refus persistant de la junte de procéder à la moindre concession en matière de droits de l’homme.
La situation dans ces deux pays soulève aussi la question de la réaction de la communauté internationale, privée tantôt de moyens d’action efficaces, tantôt de réelle volonté d’agir.
Mme Rama Yade, secrétaire d’État chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme. L’actualité des droits de l’homme en Chine a été marquée au cours des derniers mois par l’organisation des jeux Olympiques à Pékin, le passage de la flamme olympique à Paris, les visites successives du Dalaï-lama en France et le vingtième anniversaire des événements de Tiananmen.
Pour la Birmanie, l’actualité des droits de l’homme a été tout aussi riche, avec les manifestations de bonzes en septembre 2007, le passage du cyclone Nargis et le procès en cours d’Aung San Suu Kyi.
Le bilan de la République populaire de Chine reste insuffisant à de nombreux égards. Les droits économiques, sociaux et culturels se sont indéniablement améliorés, avec l’accès à la santé, à l’éducation, l’amélioration du niveau de vie et de la liberté de circulation. Cependant, les problèmes demeurent pour le volet politique. La Chine reste un État autoritaire, dans lequel le Parti communiste, le PCC, détient le monopole de l’exercice du pouvoir politique. Cette réalité n’a pas connu d’évolution notable depuis la répression violente du mouvement démocratique de Tiananmen, le plus important qu’ait connu la Chine depuis 1949.
Vingt ans après, Tiananmen reste un tabou en Chine. La France, à cette occasion, a appelé Pékin à libérer les prisonniers. Il est temps aussi que la Chine permette aux familles des victimes et aux organisations qui les représentent de faire valoir librement leurs préoccupations et leurs demandes. Le nombre de victimes lui-même fait l’objet de discussions. Une Chine émergente comme puissance économique, de plus en plus intégrée dans le concert des nations, doit être capable d’assumer pleinement son passé et d’engager sa mutation politique.
Les progrès économiques accomplis par la Chine ne sauraient être négligés. Bien que le régime mette fréquemment en avant son bilan réputé favorable en la matière, la situation reste toutefois dans les faits largement perfectible. Le décollage économique a conduit à un enrichissement général – la croissance économique chinoise a atteint 9,8 % en 2005, 10,7 % en 2006, 11,4 % en 2007 et 9 % en 2008 – mais a aussi provoqué un accroissement criant des inégalités sous toutes leurs formes : entre les villes et les campagnes, entre les provinces côtières et celles de l’intérieur, entre les riches et les pauvres. Cette situation contribue à provoquer une fracture sociale et géographique significative. Les questions des travailleurs migrants, de l’accès à l’éducation ou à la santé, de l’organisation syndicale, du respect du droit de propriété ou des discriminations de toutes natures demeurent cruciales pour les autorités chinoises compte tenu de la forte croissance économique et des nombreux conflits sociaux récents, générateurs de désordre public. Outre les manifestations – 60 000 ont été répertoriées en 2006 –, souvenez-vous de la mobilisation autour du cas de la jeune fille ayant tué un cadre qui essayait de la violer ou des révoltes contre les expropriations forcées.
Les améliorations sur le terrain économique et social dépendent fondamentalement du modèle de développement qu’a choisi la Chine depuis 1978, structurellement générateur d’injustices et d’abus de pouvoir, même s’il s’est également traduit par une amélioration des conditions de vie de centaines de millions de personnes.
Le bilan en matière de droits civils et politiques n’est pas satisfaisant, loin s’en faut. Le Parti a certes relâché son étreinte sur une large part de la vie quotidienne de la population chinoise, dans les domaines de la liberté d’entreprendre et de la liberté de mouvement à l’intérieur comme hors des frontières chinoises.
Mais la contestation du monopole du PCC demeure une ligne rouge infranchissable et la situation des droits civils et politiques reste en conséquence problématique. La liberté d’association demeure soigneusement contrôlée. La société civile – organisations non gouvernementales, ou ONG, médias, défenseurs des droits de l’homme, intellectuels et juristes engagés dans des causes sociales – est maintenue étroitement encadrée et surveillée. Les médias chinois restent assujettis à un contrôle très strict. La censure des médias et des publications est très présente, même si Internet offre à la population chinoise la possibilité de s’exprimer, parfois de façon critique à l’égard des autorités, surtout sur les questions sociales. Le bloggeur Hu Jia a ainsi reçu le prix Sakharov du Parlement européen. L’affaire du lait frelaté a aussi été largement commentée sur les sites chinois.
La peine de mort, qui, en raison de réformes judiciaires récentes, aurait connu un recul de 30 %, est toujours appliquée dans des proportions élevées. Les statistiques demeurant secrètes, il est impossible d’obtenir des chiffres officiels. On estime entre 2 000 et 5 000 le nombre annuel d’exécutions, 68 crimes étant passibles de la peine capitale, y compris pour des faits comme la corruption ou le trafic de drogue, qui ne sont pourtant pas des crimes de sang.
La rééducation par le travail est elle aussi encore en vigueur, malgré les appels à son abolition. Les détentions administratives arbitraires, notamment dans les hôpitaux psychiatriques, sont de plus en plus utilisées, en particulier au niveau local, à l’encontre des militants des droits de l’homme. La détention de quelques personnalités emblématiques, comme l’avocat Gao Zhisheng, Hu Jia ou encore Liu Xiaobo, principal coordinateur de la Charte 2008 – texte publié à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme –, montrent l’extrême sensibilité et la fébrilité du régime envers quiconque remet en cause le dogme du monopole politique du PCC.
La France, vous le savez, est vigilante et reste préoccupée par la persistance de la répression au Tibet, sous couvert de lutte contre le « séparatisme », qui frappe en particulier les moines. J’ai condamné la répression de mars 2008 et appelé constamment au respect des libertés civiles et religieuses. Nous exprimons régulièrement notre préoccupation à propos des cas individuels. Malgré les difficultés, il faut continuer à encourager la poursuite du dialogue entre le Dalaï-lama et Pékin. J’ai fait passer ce message au négociateur chinois, que j’ai rencontré à Paris, ainsi qu’à la partie tibétaine. Il faut continuer à appeler la Chine à accepter de travailler sur la base du mémorandum pour une autonomie, remis par la partie tibétaine lors de la dernière session du dialogue. Les manifestations dans la région autonome du Tibet témoignent d’une insatisfaction face à la politique volontariste d’assimilation menée par Pékin. Principalement axée sur le développement économique et matérialisée par la ligne de chemin de fer Lhassa-Pékin, par l’implantation massive de Chinois au Tibet et par le développement du tourisme, elle ne tient pas compte des aspirations de la population en matière de liberté spirituelle et religieuse. La tension reste grande dans la région autonome tibétaine et les autres zones de peuplement tibétain. Les autorités chinoises, depuis avril, ont procédé à une réouverture très progressive de ces régions aux délégations officielles mais elles restent fermées aux médias.
Nous rappelons inlassablement nos attentes aux autorités chinoises. C’est ce qu’a fait le Président de la République lorsqu’il s’est rendu en Chine, en 2007 et en 2008. C’est ce que je fais lorsque je rencontre les autorités chinoises. J’ai écrit personnellement à mon homologue chinois pour demander la libération de prisonniers politiques, parmi lesquels le bloggeur Hu Jia ou l’avocat aveugle Chen Guangcheng. J’ai remis le prix des droits de l’homme de la République française aux avocats aux pieds nus, dont certains font l’objet de harcèlement pour leur engagement sur des cas sensibles.
La Chine a ratifié six des huit grandes conventions des Nations unies relatives aux droits de l’homme. Elle n’est pas encore partie, en revanche, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui date de 1966 et transpose en texte contraignant une partie des droits contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Tant au Conseil de sécurité qu’à l’Assemblée générale des Nations unies, la Chine prône une vision assez relativiste des droits de l’homme, fort éloignée des positions que la France défend avec ses partenaires européens, relevant d’une conception universaliste. De ce point de vue, la coopération de la Chine avec les instances onusiennes demeure insatisfaisante. Par ailleurs, elle n’accepte pas le principe de résolutions visant des pays particuliers comme l’Iran et la Corée du Nord ; elle s’efforce de vider de leur substance les mécanismes existants ou d’en réduire la portée.
L’Union européenne, mais aussi les États-Unis et d’autres pays occidentaux, entretiennent néanmoins un dialogue avec la Chine sur la question des droits de l’homme. La France est à l’origine du dialogue entre l’Union européenne et la Chine, entamé il y a maintenant treize ans. Ce dialogue sert avant tout à faire passer de manière plus apaisée des messages dont l’évocation est souvent sensible pour les autorités chinoises.
Une idée reçue consiste à présenter la Chine à la peine en matière de droits civils et politiques alors que, s’agissant des droits économiques et sociaux, le succès aurait été patent. Cette opposition, n’est pas fausse mais trop schématique.
Les progrès en matière de droits civils et politiques existent mais sont limités car ils se heurtent à l’interdiction absolue de remettre en cause le monopole politique du PCC. Quant au bilan dans le domaine du respect des droits économiques et sociaux, en dépit du discours affiché par les dirigeants chinois, il reste largement perfectible. L’essor de la liberté d’entreprendre et l’émergence d’une classe moyenne urbaine sont des résultats non négligeables. Cependant, alors que le pays connaît depuis des années une croissance à deux chiffres, les inégalités sociales se sont creusées dans des proportions considérables. Les récits d’injustices, d’abus de pouvoir, d’expropriation sans indemnisation juste sont innombrables et déchaînent les passions civiles, de très nombreux faits divers le montrent. N’oublions pas que le mouvement de Tiananmen, avant d’être un mouvement démocratique, fut une protestation contre la corruption.
En cette année 2009 de crise économique mondiale qui n’épargne pas la Chine, les autorités de ce pays restent fondamentalement marquées par un sentiment d’insécurité, notamment vis-à-vis de l’expression du mécontentement populaire. C’est ce qui a motivé les crispations récentes, notamment à la suite des événements au Tibet, du tremblement de terre du Sichuan ou encore des jeux Olympiques de Pékin. La France ne manque pas de rappeler à la Chine que ces retours en arrière ne sont pas à la hauteur de son statut international de pays émergent. Il est dans l’intérêt des autorités chinoises d’accompagner les changements irréversibles intervenus depuis vingt ans dans la société et de répondre ainsi aux aspirations pour plus de justice et de libertés.
Sur le dossier birman, l’exigence de la France et de ses partenaires européens est simple et sans ambiguïté : nous voulons une libération sans délai et sans condition de Mme Aung San Suu Kyi ainsi que des dirigeants de l’opposition et des prisonniers politiques. C’est ce message que je martèle depuis 2007. C’est ce message que j’ai récemment réitéré en Asie du Sud-Est lors de deux réunions avec les ministres des affaires étrangères asiatiques et européens, à Hanoï et à Phnom Penh, où le sujet birman a pour la première fois dominé tous les débats. J’ai interpellé en séance le ministre birman des affaires étrangères pour lui demander de cesser de persécuter Aung San Suu Kyi. Le harcèlement indigne dont elle est victime ne fera que renforcer l’aura de ce prix Nobel de la paix, fille du père de l’indépendance birmane.
J’ai également appelé à un engagement plus actif les pays asiatiques voisins, qui, compte tenu de la vigueur de leurs échanges avec la Birmanie, détiennent la clé et ne sauraient rester ni silencieux, ni impassibles. La crédibilité de l’Asie en général est en jeu, alors que, à l’instar de l’Union européenne, elle essaie de mettre sur pied des processus d’intégration régionale. Le consensus inédit qui s’est dégagé durant ces réunions à propos de la libération d’Aung San Suu Kyi est à cet égard encourageant, de même que la prise de position forte de la présidence thaïlandaise de l’ASEAN, l’Association of Southeast Asian Nations. Cela illustre, comme les voyages récents des autorités singapouriennes et japonaises en Birmanie, une implication plus significative des pays asiatiques. L’Europe peut décider et renouveler toutes les sanctions possibles – gel des avoirs des dirigeants birmans, interdiction d’accéder au territoire européen, embargo sur le bois et les pierres précieuses –, sans les pays asiatiques, elle ne pourra pas, à elle seule, faire évoluer notablement la situation.
Soyez assurés que le Gouvernement continuera de suivre avec la plus grande vigilance la situation des droits de l’homme en Birmanie. Nous maintenons le dialogue avec M. Ibrahim Gambari, envoyé spécial de M. Ban Ki-moon en Birmanie, qui a rencontré Aung San Suu Kyi trois fois, et M. Piero Fassino, envoyé spécial de l’Union européenne, qui n’a pas encore eu l’occasion de se déplacer en Birmanie. C’est plus compliqué pour ce dernier, dans la mesure où son message est essentiellement politique, mais l’invocation de la non-ingérence dans les affaires intérieures ne tient plus vraiment car elle n’est plus relayée par les Asiatiques. Quant à moi, j’ai souhaité me rendre en Birmanie ; Le Président de la République a réussi à m’obtenir un visa mais les conditions de la visite étaient telles qu’elle n’aurait pas été intéressante : je n’aurais pas eu le loisir de rencontrer Aung San Suu Kyi et cela aurait été une visite guidée…
Je n’ai jamais manqué une occasion de soulever la question birmane avec mes homologues européens et asiatiques. J’ai écrit aux ministres des affaires étrangères européens pour demander que la stratégie en Birmanie soit repensée. Les sanctions n’ayant pas fait bouger le régime, ne convient-il pas de tenter autre chose ? De les assouplir ou de les renforcer ? Les Européens, à ce sujet, restent divisés. Mais nous oeuvrons à faire concorder nos positions.
J’ai également écrit aux principaux ministres asiatiques – de la Chine, du Japon, de l’Inde, de l’Indonésie, des Philippines, de la Thaïlande et de Singapour –, pour leur demander de faire pression sur la junte.
Je reste vigilante vis-à-vis de la situation sur le terrain. Avec l’aide humanitaire, nous faisons en sorte que les sanctions européennes ne touchent que les militaires et non la population, qui a déjà suffisamment souffert du cyclone Nargis.
Quelques jours avant son arrestation, j’ai fait état de ma préoccupation face à la dégradation de l’état de santé de Aung San Suu Kyi, indiquant que notre pays était prêt à apporter l’aide matérielle ou médicale nécessaire. Nous avons condamné avec la plus grande fermeté son arrestation et son transfert à la prison d’Insein ainsi que les atteintes répétées des autorités birmanes aux droits de l’homme. J’avais demandé à notre ambassadeur de rendre visite à Aung San Suu Kyi, ce que les autorités birmanes ont refusé ; toutefois, sur mes instructions, il a pu assister à son procès.
Nous ne relâcherons pas nos efforts, à aucun niveau. Sur le plan européen, à la demande de la France, le conseil affaires générales et relations extérieures de l’Union européenne a débattu à nouveau hier de la situation de l’opposante birmane. Nous continuons, avec nos partenaires européens, à nous préparer à réagir rapidement, en fonction de l’issue du procès d’Aung San Suu Kyi, sans relâcher la pression d’ici là.
Nous veillerons à ce que le Conseil de sécurité reste saisi du dossier. Il a déjà adopté, le 23 mai, à l’initiative de la France, une déclaration exprimant sa préoccupation face à l’emprisonnement d’Aung San Suu Kyi et rappelant l’exigence d’une libération de tous les prisonniers politiques ainsi que l’engagement d’un véritable dialogue avec l’opposition et les groupes ethniques. Je rappelle que des élections sont prévues pour 2010. Le référendum organisé en plein cyclone, remporté à 92 % par la junte, prévoyait en effet une feuille de route pour arriver coûte que coûte aux élections. Aujourd’hui, le parti d’Aung San Suu Kyi, la LND, Ligue nationale pour la démocratie, se demande s’il doit participer au processus électoral ou le boycotter. Quoi qu’il en soit, nous nous félicitons de l’expression unanime des membres du Conseil de sécurité.
Enfin, le Président de la République a demandé lui-même à s’entretenir avec Aung San Suu Kyi, mais cette requête a été rejetée par les autorités birmanes la semaine dernière. L’attitude de la junte est inacceptable.
Soyez sûrs que la France restera mobilisée et fera tout son possible pour obtenir la libération d’Aung San Suu Kyi. Pour autant, nous devons avoir conscience que nous ne disposons, à nous seuls, d’aucun moyen déterminant pour précipiter cette évolution. C’est pourquoi il est nécessaire de créer, avec nos partenaires européens, un front commun au sein du Conseil de sécurité et surtout en compagnie des pays asiatiques, afin de pouvoir exercer une pression diplomatique efficace sur le régime.
M. le président Axel Poniatowski. Les effets des sanctions exercées par l’Union européenne et les États-Unis contre la Birmanie semblent gommés par l’intensification des relations commerciales de ce pays avec la Chine, l’Inde et certains de ses voisins du Sud-Est asiatique. Par conséquent, d’autres modes de pression sont-ils envisagés ? Que pense le gouvernement français d’un éventuel gel des transactions financières avec les banques birmanes ?
Mme Aurélie Filippetti. La France conditionnera-t-elle la reconnaissance du résultat des élections de 2010 à la libération d’Aung San Suu Kyi et de l’ensemble des prisonniers politiques birmans, dont le nombre excède 2 500 ? Sans la participation de l’opposition et des minorités ethniques, les élections ne sauraient être validées par la communauté internationale.
Le groupe Total exploite les champs gaziers du Yadana, qui représentent 60 % du volume de gaz produit en Birmanie, et verse, à ce titre, environ 1,5 milliard de dollars par an à la junte birmane. M. Kouchner a récemment admis que Total devenait un problème. Quelles sont les intentions du Gouvernement à l’égard du groupe Total ? Quelles pressions entend-il exercer contre la junte birmane à travers le groupe Total ?
La France accomplit-elle des efforts pour élargir au reste du monde l’embargo sur les ventes d’armes prononcé par l’Union européenne en 1996 ? Des discussions ont-elles été entamées avec les États-Unis et le Royaume-Uni pour permettre au Conseil de sécurité d’avancer vers un embargo total ?
Les minorités ethniques karen, karenni et chan sont victimes, de la part de l’armée birmane, d’un harcèlement incessant qualifié par Amnesty International de crime contre l’humanité. La France reconnaît-elle cette qualification ? Si oui, serait-elle prête à soutenir activement l’ouverture d’une commission d’enquête internationale ?
M. Javier Solana a déclaré que le moment n’était pas venu de lever les sanctions mais au contraire de les renforcer. À quel type de sanctions faisait-il référence ? Quelles initiatives la France serait-elle prête à soutenir ? La mise sous séquestre des revenus gaziers et leur gestion par une institution internationale sont envisageables. Après la révolution safran, l’Union européenne a mis l’embargo sur les exportations de bois, de pierres précieuses et de minéraux. Pourquoi le secteur gazier resterait-il épargné, alors qu’il constitue la principale source de revenus de la junte ?
Zarganar, considéré comme le Coluche birman, commence à purger trente-cinq ans de prison pour avoir recueilli de l’argent et du ravitaillement en faveur des réfugiés du cyclone Nargis. Il serait en très mauvais état de santé. Disposez-vous d’informations à son sujet ? La France peut-elle s’engager à plaider sa cause ?
Mme la secrétaire d’État. Le référendum fixant l’échéancier électoral en cours était une farce. Comment imaginer, en plein cyclone, qu’un scrutin rassemble 93 % de taux de participation ? L’absurdité de l’opération invalide le processus électoral défini par la junte. Si des élections avaient tout de même lieu en 2010, la même indignation s’exprimerait. Au demeurant, nous ignorons encore si la LND participera à ces élections, sachant que ce parti ne dispose pas de terrain d’expression publique et se trouve marginalisé. Or notre réaction dépendra aussi de l’option que choisira la LND.
Avec les sanctions, nous sommes allés au bout de ce qu’il était possible de faire, mais, si les pays asiatiques prennent le contre-pied de notre action, celle-ci restera vaine. Une réflexion est en cours pour déterminer s’il convient d’aller plus loin. Les pays européens sont divisés entre ceux qui le voudraient et ceux, notamment en Europe du Nord, qui pensent que les sanctions économiques nuisent à la population et qui plaident pour un renforcement de l’aide humanitaire. En vérité, nous attendons de connaître le sort d’Aung San Suu Kyi, dont l’assignation à résidence devait prendre fin le 27 mai, quelques jours avant que le nageur américain qui s’était ainsi rendu à son domicile ne fournisse un prétexte à l’arrestation de cette dernière. En fonction du verdict qui sera prononcé – maintien en détention, prolongation de l’assignation à résidence ou libération –, nous analyserons les différentes réactions possibles, notamment sous forme de sanctions. Gel des transactions financières, renforcement de l’embargo sur les ventes d’armes, placement sous séquestre des revenus gaziers ? Nous verrons le moment venu quelles sont les options retenues.
La France a toujours demandé au groupe Total de respecter scrupuleusement les principes directeurs de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, édictés à l’intention des entreprises internationales. La compagnie s’est engagée dans un programme humanitaire significatif dans sa zone d’activité. Suite à la répression de septembre 2007 contre les bonzes, le Président de la République avait lancé un appel très clair aux entreprises françaises leur demandant de ne pas procéder à de nouveaux investissements en Birmanie, y compris dans le secteur des hydrocarbures. Total est l’un des partenaires du consortium qui exploite le champ gazier de Yadana, avec Chevron, une entreprise thaïlandaise et une entreprise birmane. D’autres zones sont prospectées ou exploitées par des entreprises étrangères, notamment sud-coréennes et chinoises. Si Total devait vendre ses parts et quitter la Birmanie, elle serait immédiatement remplacée par une autre entreprise, qui ne serait pas forcément animée par des préoccupations humanitaires et sociales, et les autorités birmanes continueraient de percevoir le produit des impôts. Mais la présence de Total pose un problème symbolique, d’où de multiples rencontres avec M. Christophe de Margerie. Si Total s’en va et qu’Aung San Suu Kyi reste en prison, on peut se demander si nous ne risquons pas de perdre sur les deux tableaux, celui de nos intérêts économiques et celui des droits de l’homme. En outre, cela ne serait-il pas susceptible de créer un précédent et d’inciter les ONG à demander aux entreprises françaises et européennes de quitter les autres pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés ? L’impact d’un retrait de Total sur la junte dépendrait de l’ampleur de l’opération, de la réaction des autres entreprises internationales implantées en Birmanie et de la position des pays asiatiques. Sur un tel sujet, la réponse ne saurait être oui ou non ; nous y réfléchissons.
Le cas de Zarganar fait partie de ceux que nous avons soumis à la junte birmane. Zarganar fait partie des 600 militants des droits de l’homme condamnés il y a quatre mois à des peines d’emprisonnement très longues, allant jusqu’à vingt voire trente ans de prison. Ces condamnations sont intervenues un an après la libération d’un millier de prisonniers, qui avait fait illusion.
M. François Rochebloine. La France a placé le droit à un environnement durable parmi les nouveaux droits de l’homme. Dans les conversations bilatérales avec la Chine, cette préoccupation a-t-elle été exprimée ? Si oui, de quelle manière et avec quelles suites concrètes ? Sur ce sujet, quelle action la France conduit-elle dans les négociations internationales en cours ?
La première caractéristique de la philosophie des droits de l’homme est son universalité. Le comportement des dirigeants birmans relève-t-il d’une négation politique pure et simple ou traduit-il une différence de références culturelles difficilement surmontable ? Comment interpréter le principe de l’universalité des droits de l’homme dans des pays manifestant un mépris évident pour la dignité individuelle et collective de la personne humaine ?
M. Michel Terrot. Comment expliquez-vous les licenciements massifs constatés en Chine, alors que la croissance reste très dynamique ?
M. Jean-Paul Lecoq. L’extraordinaire évolution de la Chine m’interpelle. Quel est ce système qui a réussi l’exploit de faire passer un pays du Moyen Âge à la modernité ? Ayant vécu la construction puis la chute du Mur de Berlin, je pense que les peuples sont capables de s’affranchir eux-mêmes. Le Parti communiste d’Union soviétique a muté de l’intérieur. Il y a un an et demi, à propos de la question sahraouie, vous m’aviez dit que, en matière de droits de l’homme, il convient d’apprécier le mouvement. Pour la Chine, c’est pareil : il faut apprécier le mouvement ; même s’il reste beaucoup à faire, la situation s’améliore. Et même si des reculs interviennent, nous devrions balayer devant notre porte. Songez que, dans quelques jours, 32 000 employés de l’éducation nationale seront jetés à la rue ! La France n’est pas toujours exemplaire en matière de droits de l’homme, ni d’ailleurs en matière de droits des femmes.
Le Gouvernement est-il prêt à susciter d’autres fronts communs contre les atteintes aux droits de l’homme, notamment en Palestine ?
M. Jacques Remiller. L’entreprise Levi Strauss a quitté la Birmanie, constatant qu’il n’y a pas moyen de travailler dans ce pays sans marcher « main dans la main avec le régime ».
Il y a six ans, dans cette même salle, le ministre des affaires étrangères condamnait la junte birmane. Six ans après, nous ne constatons pas de réelles avancées. Envoyer une force internationale en Birmanie ne serait-il pas une solution ?
Mme la secrétaire d’État. Monsieur Remiller, une entreprise installée dans un pays est contrainte d’entretenir des relations avec lui. Ce qui est sûr, c’est que le consortium dont fait partie Total verse des royalties à la junte. Il a été demandé à Total de tenir compte de l’environnement et de ne pas exploiter les sous-sols à n’importe quel prix. L’entreprise a donc entrepris des actions humanitaires, mais cela ne résout pas le problème symbolique : la présence de Total, entreprise porteuse du drapeau français, pose bien entendu un problème à tous les défenseurs des droits de l’homme. C’est précisément l’objet de notre réflexion.
Même après la chute du Mur de Berlin, des régimes totalitaires et autistes demeurent, à commencer par ceux de la Corée du Nord et de la Birmanie. La démocratie n’a pas saisi le monde entier comme une valeur incontestable. C’est regrettable mais c’est la réalité. La junte birmane refuse d’engager un dialogue diplomatique classique car elle a fait le choix de prendre le pouvoir et de s’y maintenir par la force et la terreur après les élections de 1990, qui avaient été remportées par la LND avec un score de 80 %. Quelles sont les solutions ? Les enquêtes, l’envoi d’émissaires, les pressions diplomatiques, les condamnations du Conseil de sécurité, l’évolution des pays asiatiques ne suffisent pas.
Toutefois, l’envoi d’une force internationale n’est pas dans la tradition française. Lorsque les États-Unis, sous George Bush, ont défini un « axe du mal » et sont intervenus en Irak, la France a estimé que ce n’était pas sa manière d’opérer. Comment envoyer une force internationale dans un pays dirigé par un pouvoir militaire au comportement autiste voire paranoïaque ? N’existe-t-il pas un risque que la junte se retourne contre la population à titre de représailles ? Si vous sondiez les voisins asiatiques directs de la Birmanie, vous constateriez qu’ils sont hostiles à une intervention de ce type. L’escalade peut aller très vite et le succès d’une telle opération n’est jamais garanti. Nous poursuivons vaillamment notre action, faite de pressions diplomatiques et économiques, en réfléchissant à l’opportunité de les recalibrer.
Monsieur Lecoq, la Chine va mieux, mais c’est le pays du monde qui procède au plus d’exécutions capitales. La Chine va mieux mais les inégalités n’y ont jamais été aussi profondes. À la télévision, vous voyez les touristes chinois qui achètent chez Vuitton mais pas les millions de paysans qui n’ont pas de quoi manger. Il faut distinguer propagande et réalité. Le taux de croissance y est certes élevé mais le régime est autoritaire, dirigé par un parti unique. Mais peut-être vous sentez-vous solidaires parce que c’est le Parti communiste ! Je m’efforce de ne pas schématiser, sans ignorer les faits relatés par les dissidents chinois, sans ignorer que les manifestants arrêtés place Tiananmen il y a vingt ans sont encore emprisonnés, que les chars ont sans doute laissé un millier de morts derrière eux, que les mères de Tiananmen existent, que des bloggeurs sont jetés en prison, que la liberté d’expression est limitée, notamment pour les acteurs des luttes sociales. Le dire n’empêche pas de balayer devant sa porte. Sinon, nous n’accepterions pas que la Cour européenne des droits de l’homme puisse nous condamner ni que les Nations unies nous envoient des enquêteurs. La différence entre la France et la Chine, c’est que nous, nous l’acceptons et ne crions pas à l’ingérence, parce que nous avons signé des conventions internationales et parce que nous avons intégré l’Union européenne. Ce « plus » démocratique est la meilleure manière de préserver les libertés publiques. C’est tout ce que nous demandons à la Chine, pour le bien de ses propres ressortissants. Nous souhaitons qu’elle fasse son chemin sur le plan économique et qu’elle assume les responsabilités politiques inhérentes à son statut de grande puissance économique. Pour notre part, nous les assumons, notamment en payant le prix du sang comme en Afghanistan. La Chine étant aussi membre permanent du Conseil de sécurité, son veto compte, ce qui lui confère des obligations. Sur le reste, nous ne portons pas de jugement, tout comme nous n’avons pas permis à l’ambassadeur de Chine à Paris de dicter l’agenda présidentiel lors de la visite du Dalaï-lama.
À propos des territoires palestiniens, la position européenne est équilibrée. L’Union européenne n’a pas la réputation d’être pro-israélienne ; c’est l’entité qui apporte le plus gros financement aux territoires palestiniens, mais elle ne possède pas une voix politique portant aussi fort que celle des États-Unis. Lors de l’attaque contre Gaza, la nouvelle administration américaine n’était pas tout à fait installée et la présidence française a été à la hauteur de la situation en prononçant une condamnation ferme. L’aide humanitaire française et communautaire a considérablement augmenté et le Président de la République a accompli deux tournées au Proche-Orient pour mettre autour de la table tous les acteurs concernés par le conflit. Au-delà, lors du lancement officiel de l’Union pour la Méditerranée, les responsables israéliens et palestiniens se sont retrouvés autour d’une même table. Les événements de Gaza ont un peu ralenti le processus, mais nous nous efforçons de le relancer avec des réunions ministérielles. Le problème est lié à l’émergence d’une Europe politique, qui arrivera un jour, je n’en doute pas.
Monsieur Rochebloine, les échanges commerciaux sont soumis à des règles communautaires comportant des normes sanitaires. D’autres normes sont définies par l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce. La qualité sanitaire et la sécurité des produits chinois sont expertisées. En cas d’alerte sur l’origine ou la fiabilité d’un produit, la réactivité européenne et française est bonne.
Le comportement de la junte birmane relève de l’autisme. Le dialogue est actuellement impossible mais nous laissons toujours ce canal ouvert, et il m’arrive régulièrement de me retrouver aux côtés du ministre birman des affaires étrangères. Le relativisme culturel consiste à penser que les droits de l’homme doivent être adaptés à une tradition, à une culture, à une religion, à des coutumes. Cette logique ne pose pas de problèmes dans certains cas mais seulement quand elle conduit à des attitudes attentatoires à la dignité humaine. Le relativisme culturel ne saurait justifier, par exemple, les statuts d’infériorité de la femme. La Déclaration universelle des droits de l’homme a été signée en 1948 par presque tous les pays du monde, hormis ceux du bloc soviétique et l’Afrique du Sud. Toutefois, des résistances apparaissent dans la pratique. Mais l’attitude de la junte n’a rien à voir avec cette problématique : il s’agit d’un pouvoir militaire qui ne veut rien entendre.
En matière de droits de l’homme, il s’agit plutôt de voir que de faire. Avant d’envisager la restauration de la dignité humaine, il faut faire prendre conscience de leurs actes à ceux qui portent atteinte à cette dignité. Ensuite, il ne faut pas forcer mais parler, comprendre et convaincre. Il y a quelques semaines, j’ai reçu une personnalité de la famille royale saoudienne, militante des droit des femmes, qui m’a suppliée : « S’il vous plaît, ne nous imposez pas la démocratie ! Privilégiez l’écoute plutôt que la provocation ! ». Monsieur Terrot, la Chine est en phase d’urbanisation rapide et peu contrôlée. L’exode rural, dû aux inégalités entre zones rurales et urbaines, provoque une croissance annuelle de la population urbaine de 13 à 15 millions d’habitants. Le déferlement de migrants représente un tiers de la population pékinoise. L’écart entre les niveaux de vie s’est accru dans les villes, provoquant un essor de la mendicité, de la délinquance, de la précarité et des violences urbaines. La canalisation, l’intégration des migrants constitue un défi considérable pour le régime, tout autant que les contestations liées à ces phénomènes migratoires internes.
Mme Martine Aurillac. Après la réélection très controversée du président Mahmoud Ahmadinejad, l’Iran connaît une explosion de colère et des manifestations extrêmement violentes, qui se sont déjà soldées par sept morts. Je ne reviendrai pas sur les éléments permettant de mettre en cause la sincérité du scrutin. En tout cas, il suscite une grande déception dans une société constituée pour plus de la moitié par des jeunes, aspirant à davantage de liberté, de prospérité et refusant le fondamentalisme. Au-delà, ce résultat fait reculer les espoirs de paix au Proche-Orient. Le Premier ministre nous a confirmé, dans l’hémicycle, que le ministre des affaires étrangères, comme son homologue allemand, a convoqué l’ambassadeur iranien pour obtenir des explications. La communauté internationale ne saurait rester indifférente à cet état de fait. De quels moyens disposons-nous pour faire face à la très grave crise iranienne ?
M. Philippe Cochet. Prenons garde, à l’instar de Mme la secrétaire d’État, de ne pas jeter en pâture des sociétés fleurons de l’économie française. Les droits de l’homme ne sont pas applicables au même degré dans tous les pays.
Parmi les vingt-sept, quels sont les pays en pointe s’agissant des exigences en matière d’application des droits de l’homme ?
Si nous vivions dans un monde idéal, quels seraient les meilleurs moyens pour faire progresser les droits de l’homme ?
M. François Asensi. La Chine présente depuis plusieurs années un taux de croissance annuel compris entre 8 et 11 % ; elle sera dans vingt ans la première puissance mondiale ; elle est déjà le premier banquier des États-Unis ; elle mène une politique extérieure très agressive, notamment en Afrique. C’est à la fois un pays capitaliste et une dictature, susceptible d’évoluer vers un régime autoritaire. Sans la politique de l’enfant unique, il y aurait aujourd’hui 2 milliards de Chinois supplémentaires. Le message des droits de l’homme doit être porté, mais sans la volonté de transposer à l’étranger notre oxygène quotidien : la démocratie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut lever le pied sur les questions des droits de l’homme ou de la peine de mort.
Un communiqué du ministère des affaires étrangères sur le Tibet, datant du 1er avril 2009, réitère l’attachement au principe de non-ingérence et s’en tient à la politique d’une seule Chine. Quelle est précisément la doctrine française ? En quoi les positions de la Chine et du Dalaï-lama à propos du Tibet divergent-elles ?
M. François Loncle. Capitalisme et dictature ne sont pas antinomiques, nous le savons depuis le Chili de Pinochet.
Madame la secrétaire d’État, votre discours est un peu singulier ; j’espère que, au fil des mois, vous parviendrez à convaincre vos collègues du Gouvernement et les plus hautes instances du pays. À propos de la Chine, nous avons assisté à un véritable tango, des délégations françaises, conduites par de hautes personnalités, étant envoyées là-bas pour présenter de plates excuses. Je préférerais que le Gouvernement suive votre ligne, qui, je crois, a l’aval de la majorité des membres de cette commission.
Il faut peser les inconvénients et les avantages de la présence d’une multinationale française en Birmanie. Une position plus équilibrée ne consisterait-elle pas à présenter des exigences à cette firme ? Et je ne reviendrai pas sur le rapport Kouchner, anecdote assez triste.
M. le président Axel Poniatowski. Concernant l’Iran, j’indique que nous aurons la semaine prochaine une audition de M. le ministre des affaires étrangères et européennes, consacrée à cette actualité.
Mme la secrétaire d’État. Madame Aurillac, le score très élevé obtenu par le président iranien, 62 %, nous interpelle, au regard de la composition de l’électorat, dominé par la classe moyenne, et du profil du challenger, M. Mir Hossein Moussavi, qui incarne les aspirations réformatrices de la population. Pour autant, il ne faut pas se contenter de regarder ce qui fait plaisir. Sur la question du nucléaire militaire, le candidat démocrate, ancien premier ministre, est issu du même sérail que M. Ahmadinejad, sauf qu’il aurait été davantage ouvert au dialogue. En outre, malgré le mouvement d’aspiration à la liberté, ce « printemps iranien », M. Ahmadinejad bénéficie d’une certaine popularité dans le monde rural, grâce à ses origines modestes, à ses positions sur la scène internationale et aux aides sociales qu’il distribue aux plus pauvres. L’élection peut certes paraître suspecte – le Guide suprême a demandé une enquête. Le président iranien aurait-il pu être réélu sans fraude ? Au fond, certains spécialistes disent que la fraude aurait été motivée par la volonté des conservateurs du régime d’éviter une mauvaise surprise face à la jeunesse urbaine turbulente, et les effets de cette application du principe de précaution auraient été au-delà de leurs espérances. Enfin, il est important que nous ne nous affichions pas comme des partisans de M. Moussavi, qui apparaîtrait alors comme un suppôt de l’Occident. Le peuple iranien, issu d’une civilisation millénaire, tient à la souveraineté nationale et craint les manipulations étrangères. Notre stratégie doit donc être toute en subtilité : appuyer les revendications en faveur des libertés fondamentales, réclamer que la lumière soit faite sur le scrutin, militer contre une répression brutale des violences, mais sans donner le sentiment de porter atteinte à la souveraineté iranienne.
Monsieur Cochet, concernant la Birmanie, les pays européens sont divisés. Certains prônent un renforcement des sanctions pour des raisons symboliques : c’est le cas de la République tchèque, qui, comme les autres pays de l’Est, est très attachée aux droits de l’homme et qui ne transige jamais ; c’est également le cas la Grande-Bretagne, parce que la majorité des exilés birmans en Europe vivent dans ce pays, parce que le mari d’Aung San Suu Kyi était Anglais et parce que la Birmanie est une ancienne colonie britannique. L’autre groupe d’États – Suède, Allemagne, Italie, Finlande par exemple – souligne les limites et l’inefficacité de cette politique qui finit par attenter aux conditions de vie des. Des rapports d’étape ont été rédigés par nos chefs de poste en Birmanie en vue de prendre une décision. La France occupe une position centrale : compte tenu de la détérioration de la situation, elle préconise le renforcement des sanctions mais reste vigilante pour que cela ne touche pas la population.
Monsieur Asensi, notre modèle n’est effectivement pas toujours transposable. Le fait d’être née dans un pays du Sud et de n’avoir accédé à la nationalité française qu’il y a dix ans m’entraîne instinctivement à avoir une double lecture pour juger la situation d’un pays en matière de droits de l’homme et à adopter des positions équilibrées afin d’échapper aux accusations de colonialisme. Chaque pays a la mémoire de sa civilisation, et tout jugement extérieur peut être perçu comme une agression culturelle. Néanmoins, quand la dignité humaine est en jeu – mariage forcé, excision, etc. –, il n’y a pas deux lectures possibles mais une seule, universelle.
Depuis le général de Gaulle, la position de la France à propos du Tibet est constante : nous ne demandons pas l’indépendance, pas plus que le Dalaï-lama, mais seulement le respect de l’identité spirituelle et religieuse des Tibétains. Or l’entreprise de développement de l’Ouest pour intégrer économiquement le Tibet ressemble à une politique d’assimilation. Les moines tibétains ne peuvent plus pratiquer leur religion ni exprimer leur identité. La politique chinoise a engendré une croissance économique forte au Tibet – progression de 12,5 % par an –, a contribué à la construction de grands équipements d’infrastructures, au développement du tourisme, à la création d’emplois, mais tout cela bénéficie aux immigrés han, installés pour occuper l’espace et marginaliser les Tibétains de souche. Réclamer l’indépendance du Tibet serait un acte d’ingérence ; nous demandons seulement que les Tibétains puissent exercer leur religion et exprimer leur identité.
Monsieur Loncle, mon poste au sein du Gouvernement est lui-même singulier car la question des droits de l’homme ne saurait s’accommoder d’un discours diplomatique classique. Ma fonction implique une nuance plus humaniste, sinon vous nous demanderiez à quoi il sert. Les personnalités qui se sont rendues en Chine pour présenter des excuses comme vous dites et rabibocher les deux pays sont des parlementaires, me semble-t-il ! Il s’agit de réitérer notre considération envers la Chine, considération qui a toujours existé, car nous tenons au partenariat stratégique avec ce pays, nous respectons cette civilisation millénaire et nous avons conscience que ce géant économique, appelé à devenir un géant politique, est un peu susceptible sur le thème du Tibet.
Les Britanniques, les Américains et les Allemands ont reçu le Dalaï-lama sans que cela fasse d’histoire. Je ne comprends pas cette susceptibilité particulière à l’égard de la France, si ce n’est que les plus gros désordres au passage de la flamme olympique ont eu lieu à Paris et que le maire de Paris a accueilli le Dalaï-lama et l’a fait citoyen d’honneur de la ville de Paris. Les manifestations olympiques n’étaient pas organisées par le Gouvernement et le maire de Paris administre librement sa collectivité : c’est la réalité, mais nous avons du mal à faire passer ce message aux autorités chinoises.
Quant aux émissaires, je pense qu’ils font du bon travail. Il ne faut pas ranger notre drapeau dans notre poche : des signes mutuels de considération et de respect doivent être donnés mais s’agenouiller serait inefficace. Il faut adopter un discours équilibré en défendant l’idée que l’expression de nos convictions n’est pas insultante.
En Birmanie, les lignes jaunes à ne pas franchir sont symboliques et humanitaires. Des initiatives ont été prises et d’autres suivront. Le Président de la République et son épouse s’impliquent beaucoup sur ce dossier, ce qui rend ma voix moins singulière !
M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie pour cette audition brillante.
Information relative à la commission
Mme Nicole Ameline a été nommée rapporteure pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (n° 951).
La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq